LA RÉSURRECTION DE LA CHAIR
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LA RÉSURRECTION DE LA CHAIR
David Gilbert
Dimanche après dimanche, quand nous confessons notre foi selon le symbole des Apôtres, nous affirmons croire à la résurrection de la chair. Il s’agit là pourtant, pour de nombreux chrétiens, de l’un des articles les plus mystérieux du Credo, sans doute à cause du réalisme surprenant de la formule. La résurrection des morts mentionnée dans le symbole de Nicée-Constantinople semble susciter moins de perplexité car l’expression, quoiqu’elle veuille dire la même chose, n’est pas aussi explicite sur la dimension corporelle de notre résurrection. Nous savons bien, en effet, qu’après la mort le corps humain se corrompt: nous n’allons pas conserver notre corps intact jusqu’au Dernier Jour. Comment pourrons-nous donc récupérer cette chair réduite en poussière ? Voilà qui heurte notre raison.
Le Catéchisme de l’Église catholique (CEC) affirme pourtant avec résolution l’importance capitale de cette vérité de la foi: «Le Credo chrétien — profession de notre foi en Dieu le Père, le Fils et le Saint Esprit, et dans son action créatrice, salvatrice et sanctificatrice — culmine en la proclamation de la résurrection des morts à la fin des temps, et de la vie éternelle» (988). Il nous faut donc accorder la plus grande attention à cette notion de résurrection de la chair, ce qui nous permettra de mieux saisir le mystère de la vocation de l’homme selon Dieu.
La nécessaire dimension corporelle de la résurrection
Pour comprendre la résurrection, nous devons d’abord méditer sur la création de
l’homme. Il est en effet créé par Dieu «corps et âme, mais vraiment un» (Gaudium et spes, 14, § 1). Le corps humain fait donc pleinement partie de cette Création dont Dieu vit qu’elle était très bonne (Gn 1,31). Les nombreuses faiblesses dont nous faisons tous l’expérience dans notre vie corporelle, la faim, la soif, la maladie, le vieillissement et la corruption, ne doivent pas nous faire oublier cette réalité primordiale que niait, par exemple, l’hérésie cathare en affirmant que le monde spirituel et donc l’âme humaine étaient créés par Dieu, tandis que le monde matériel et donc le corps humain étaient l’oeuvre du Mauvais.
Plusieurs passages de l’Écriture sainte expriment clairement la dignité du corps, en particulier dans les lettres de saint Paul: le plus connu est sans doute le discours sur le corps, «temple du Saint Esprit» (1 Co 6,12–20), où l’apôtre rappelle aux disciples de Corinthe qu’ils ne s’appartiennent plus et que, dans l’union au Christ, ils doivent glorifier Dieu par leur corps. Le CEC explicite: «Le corps et l’âme du croyant participent déjà à la dignité d’être « au Christ »; d’où l’exigence de respect envers son propre corps, mais aussi envers celui d’autrui, particulièrement lorsqu’il souffre» (1004). La blessure de la chute n’entame donc pas la dignité de notre corps, racheté par l’incarnation, la mort et la résurrection du Christ et appelé avec l’âme à la vie nouvelle en Lui.
Car le corps est le lieu de la communion de l’âme avec Dieu. La sublime vocation de l’homme s’éclaire tout spécialement quand on considère l’originalité de sa constitution, matérielle et spirituelle. C’est cette double nature qui lui permet d’être appelé à la communion avec Dieu, alors que les êtres uniquement matériels comme les animaux ou uniquement spirituels comme les anges ne le peuvent pas. La vocation des anges est en effet de contempler Dieu, de Le louer et de Le glorifier continuellement; mais dépourvus de corps, comment pourraient-ils communier avec Dieu, L’accueillir, Le laisser habiter en eux? Or le dessein de Dieu pour l’homme, c’est justement cela: Se donner, venir en lui, Se communiquer à lui, et c’est ce que nous vivons de la manière la plus intime dans l’Eucharistie. Un ange avait bien compris que Dieu avait réservé l’honneur suprême à l’homme dans son corps; c’est là l’origine de la révolte de Lucifer.
La résurrection finale que nous attendons (Et expecto resurrectionem mortuorum, selon le symbole de Nicée), achèvement de notre communion avec Dieu, ne peut donc pas concerner seulement une partie de notre être, autrement dit seulement notre âme: Dieu a béni l’homme corps et âme (Gn 1,28), Il l’appelle à Lui être uni corps et âme. Le terme même de résurrection ne s’applique d’ailleurs pas à proprement parler à l’âme, dont l’Église enseigne qu’elle est immortelle (CEC 366): ce n’est donc pas l’âme qui ressuscite, mais le corps qui par la résurrection est réuni à l’âme dont la mort l’avait séparé. La résurrection de la chair est donc l’accomplissement du dessein d’amour que Dieu a réalisé pour nous dans le Christ.
La résurrection du Christ et notre résurrection
Il nous faut en effet comprendre notre propre résurrection à la lumière de celle du Christ, auquel le Père veut nous conformer par la puissance de l’Esprit-Saint. Les évangiles insistent clairement sur la résurrection corporelle de Jésus: dans le récit de Matthieu, les saintes femmes Lui saisissent les pieds (Mt 28,9); dans celui de Luc, Il invite les apôtres à Le toucher car «un esprit n’a ni chair ni os, comme vous voyez que j’en ai» (Lc 24,39), et Il mange avec eux (Lc 24,41–43); chez Jean, Jésus invite Thomas à enfoncer sa main dans Son côté (Jn 20,27) et mange avec les disciples au bord du lac (Jn 21,12–13). Ce n’est donc pas un être immatériel qui est apparu aux disciples. Ce corps, en un sens, est le même: il reste marqué par les stigmates de la Passion, aux mains, aux pieds et au côté (Lc 24,39–40; Jn 20,27). Mais en un sens, il est aussi différent: Jésus apparaît jusque dans le Cénacle, pourtant hermétiquement fermé (Jn 20,26); on ne Le voit pas venir, Il est comme brusquement présent (Lc 24,36). Son corps n’est donc plus comme le nôtre, il ne semble plus soumis aux mêmes lois physiques. L’attitude des disciples, qui reconnaissent Jésus tantôt immédiatement, tantôt au bout de quelque temps, montre à la fois la familiarité et l’étrangeté du corps de Jésus ressuscité.
À l’image du Christ, nous sommes donc nous aussi appelés à revêtir ce que la Tradition, à la suite de saint Paul, appelle le corps glorieux (Ph 3,21): vrai corps, le même que celui que nous avons en cette vie, et pourtant autre. Certes, il existe une différence évidente entre le corps du Christ et le nôtre: le premier n’a pas connu la corruption (Ac 13,35), alors que le nôtre se décompose. Ce peut être une occasion de doute. Aux Corinthiens qui remettaient en question la résurrection des morts, Paul répond vigoureusement que ce qu’il reste de notre corps, cette poussière à laquelle nous retournons (Gn 3,19) est comme le germe, la semence à laquelle «Dieu donne corps, comme il le veut» (1 Co 15,38). La mort est une étape nécessaire dans l’ordre des choses hérité de la chute, et Jésus, qui S’est soumis à cet ordre des choses par Son incarnation, l’enseigne Lui-même à Son propre sujet, quoique dans une perspective différente: «Si le grain de blé qui tombe en terre ne meurt pas, il reste seul; si au contraire il meurt, il porte du fruit en abondance» (Jn 12,24). La mort corporelle acquiert donc une valeur positive que l’horreur de la corruption ne peut annuler: certes, pour l’âme humaine, c’est un état douloureux et même anormal, dans le plan de Dieu, que d’être séparée du corps; mais de ce mal, Dieu le Créateur fait naître un plus grand bien en préparant pour l’âme du défunt, à partir de la poussière, un corps de gloire qui ne sera plus soumis au péché et qui, effectivement, sera bien glorieux dans la mesure où il sera pour l’âme le lieu de la béatitude et du repos en Dieu pour l’éternité.
Le corps des défunts: amour et espérance
C’est pourquoi l’Église attache une grande importance au corps des défunts. Même si ce corps, séparé de l’âme, n’est plus qu’une dépouille mortelle, une enveloppe qu’a quittée l’âme, il n’en demeure pas moins que cette séparation est provisoire et que c’est à partir de cette peau morte que nous ressusciterons dans la gloire. À ce titre, le corps du défunt mérite notre amour et notre sollicitude. C’est pourquoi le CEC recommande l’ensevelissement comme une «oeuvre de miséricorde corporelle» (2300), alors que l’incinération est tolérée si elle n’exprime pas une mise en cause de la résurrection de la chair (2301 et Code de droit canon, can. 1176, § 3). Car il est clair que la crémation peut effectivement être comprise, dans certains cas, comme un manque d’amour pour le corps: on s’empresse de le brûler comme pour se débarrasser de cette enveloppe encombrante qui, de toute manière, est destinée à finir en poussière. Toutefois, ce n’est pas la crémation elle-même qui est condamnée, mais seulement l’esprit qui l’anime parfois.
Nos pratiques funéraires témoignent du respect évangélique pour le corps du défunt: la toilette, l’exposition, la veillée dans le recueillement et la prière, la présence d’un crucifix, image du Christ mort sur la croix pour que nous ayons la vie, et de cierges dont la lumière symbolise l’espérance chrétienne dans la venue du Royaume où resplendira une autre lumière, éternelle celle-là.
Plus encore, la liturgie des funérailles, par ses paroles et par ses gestes, exprime avec une belle sérénité la «miséricorde corporelle» des chrétiens. Le prêtre bénit le corps qui repose dans le cercueil, c’est-à-dire qu’il en dit du bien et qu’il appelle le bien sur lui. L’encensement est un signe de vénération: le corps y a droit comme le Saint Sacrement, l’autel, les reliques, le crucifix, les ministres ordonnés et le peuple de Dieu; ce geste liturgique nous invite également à entourer fidèlement le défunt de notre prière, selon l’analogie qui trouve sa source dans le psaume 141 (140), verset 2. L’eau bénite enfin, dont on asperge le cercueil au cimetière lors de la cérémonie appelée absoute, fait référence au Baptême qui était déjà, du vivant de la personne, mort au monde et au péché et nouvelle naissance dans le Christ; ainsi est soulignée la continuité entre le Baptême et la mort chrétienne qui l’accomplit. Le signe de la croix rappelle la mort du Christ et symbolise la conformation du chrétien au Christ dans la mort.
Après ce dernier adieu, le corps peut donc reposer en paix: parents et amis du défunt pourront continuer de manifester par leurs visites leur amour pour ce corps — amour fondé sur l’espérance de la résurrection finale où tous seront réunis dans le Christ pour goûter la joie éternelle.
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