Archive pour mars, 2015
UN CRI DANS LA NUIT. COMMENTAIRE DU PSAUME 22
4 mars, 2015http://www.bible-service.net/extranet/current/pages/442.html
UN CRI DANS LA NUIT. COMMENTAIRE DU PSAUME 22
Commentaire au fil du texte
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»Pourquoi…? » Question angoissée à un Dieu muet. Ainsi commence le psaume 22.
Ps 22 (21) : Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?
»Jamais sans doute un psalmiste n’a décrit de plus près la lutte contre la mort et n’a approché de plus près de la victoire » (Paul Beauchamp). Patiemment, au fil du texte, première approche de cette lutte.
»Pourquoi…? » Le cri déchire le ciel. Question angoissée à un Dieu muet. Ainsi commence le psaume. Suivent trois moments que l’on pourrait nommer respectivement : abandon, supplication, louange.
Le frôlement de la mort
Le premier moment, abandon, est encadré par un soupir douloureux : »Mon Dieu » (v. 2 à 11). Le psalmiste se souvient des louanges anciennes de son peuple et y expose ce qui le déshumanise : »je suis un ver, pas un homme, injurié…, rejeté… ». Quel est son drame ? Guerre, maladie, persécution, trahison ? Tout est possible. Le deuxième moment, supplication (v. 12 à 22), commence et se termine par un appel au secours : » ne reste pas (si) loin », »personne pour m’aider », »à l’aide ! Vite ! » ; le suppliant y accuse son Dieu : »tu me déposes dans la poussière de la mort ». La situation initiale du psaume : »Le salut est loin de moi… » a un écho pathétique aux v. 20-22 : »ne reste pas si loin… sauve ma vie… »
Quelque chose est advenu ! La lamentation du v. 3 : »tu ne réponds pas… » devient cri de joie : »Tu m’as répondu » (v. 22). Quand la réponse a-t-elle eu lieu ? Où ? Comment ? Nous l’ignorons mais nous assistons à un changement radical du suppliant : troisième et dernier moment d’un psaume désormais marqué par la louange (v. 22b-32 ; le verbe »louer » y est répété 4 fois). Au centre, il y a comme un inattendu : »les pauvres mangeront : ils seront rassasiés ». Fini le sentiment d’abandon, voici les merveilles actuelles et futures du Seigneur non seulement envers celui qui vient d’être sauvé mais pour une multitude de gens, sur un horizon universel. L’action de grâce est infinie : on passe de »je vais proclamer ton nom à mes frères » à » la génération future proclamera la justice [du Seigneur] au peuple qui va naître… » (v. 23 et 32).
Ces trois moments dessinent un mouvement où la louange se métamorphose : dans le premier moment, elle était contredite par l’expérience de l’abandon (v. 2 à 11), dans le troisième, elle se renouvelle et se déploie dans le temps et l’espace (v. 22b à 32). Mais ce renouvellement est passé par l’ombre de la mort et l’impossibilité de chanter (v. 12 à 22a).
L’étonnante redécouverte de Dieu
La métamorphose de la louange et du suppliant s’accompagne d’une redécouverte de Dieu. En effet, le premier moment ( v. 2 à 11) joue du contraste entre le sentiment d’abandon et la geste salvifique du Dieu »des pères ». Le suppliant fait un constat amer : les récits d’autrefois ne fonctionnent plus (cf. la répétition stérile de »ils espéraient »), les hymnes laissent place aux ricanements ironiques. Mais cette expérience ouvre à un nouveau regard sur Dieu. Celui-ci n’est plus seulement le Dieu de l’histoire, il est aussi celui de la création : quand le Dieu Sauveur semble se taire, l’action du Dieu accoucheur et éducateur – père ? mère ? – revient à la mémoire : »à toi, je fus remis dès ma naissance… »
Dans le deuxième moment, le plus atroce (v. 12 à 22a), la violence des fauves se déchaîne (taureaux, lions, chiens, buffles…), le corps se disloque (cœur, entrailles, langue, mâchoires, mains, pieds, os, vêtements, habits,…), tantôt liquide et tantôt argile sèche. Or le Dieu intime qui vient d’être découvert reste silencieux. Serait-il complice de la violence ? Le suppliant insiste, halète, bien que sa langue »colle aux mâchoires » : quand plus rien ne va, il reste encore la parole comme lien entre »toi », Dieu de la vie, et »moi » qui vais mourir, parole qui accuse (v. 16), parole qui appelle (v. 20 à 22).
Entre l’appel et la réponse, nous ne saurons pas ce qui s’est passé, mais Dieu est intervenu. Le troisième moment du psaume (v. 22b à 32) non seulement déploie la louange, mais développe de nouvelles relations humaines : frères, race, famille des nations, générations à venir. Les frontières du peuple choisi (Jacob/Israël) s’ouvrent à la terre entière. Les hymnes qui chantaient les relations de Dieu et des »pères » changent de contenu : aux récits des hauts-faits libérateurs, succèdent, autour de la table des pauvres, les souhaits du frère à son frère : »A vous, longue et heureuse vie ! » ou du fidèle à son Dieu : »Au Seigneur, la royauté, il domine les nations ! » Les membres de l’assemblée – sans doute l’assemblée du culte – sont interpellés, intégrés dans la louange. Où étaient-ils quand on raillait l’homme abandonné ? Quel changement ! Changement de regard du psalmiste ? Celui qui a été sauvé renonce à parler de lui-même pour ne parler que des autres et de l’Autre. Il voit loin, vers le passé, vers le futur. Il voit large, vers les nations. Il voit profond, vers les malheureux. Il voit haut, vers le Dieu universel : Le Seigneur des origines, le Père aux gestes maternels redécouvert dans la détresse, est proclamé Dieu de tous les vivants…
Mais qui donc est ce psalmiste ? Nous ignorons ce que fut exactement son malheur. Il n’a pas un mot de malédiction pour ses bourreaux, il n’avoue aucune faute et ne proteste même pas de son innocence. Mais à nous, qui faisons partie de la »génération à venir », il donne ses mots et invite à passer, avec lui, de l’effroi à la confiance, de l’angoisse à la foi.
SOUFFRANCE ET AMOUR DE DIEU : DEUX NOTIONS INCOMPATIBLES ?
4 mars, 2015http://www.promesses.org/arts/148p1-5f.html
SOUFFRANCE ET AMOUR DE DIEU : DEUX NOTIONS INCOMPATIBLES ?
Henry Bryant
L’auteur de cet article est marié et père de 4 enfants. Il a une double formation: en génie industriel et en théologie. De nationalité américaine, il est en France depuis 1968 pour exercer un ministère d’enseignement, principalement auprès des églises de la région grenobloise et à l’Institut Biblique de Genève. Il est également chargé de la construction et de la réfection de lieux de culte. Henri Bryant est un conférencier apprécié et auteur de trois commentaires bibliques solides (Matthieu, 1 et 2 Corinthiens) et de plusieurs livres d’évangélisation.
L’écrivain René Barjavel, dans La faim du tigre, exprime avec lucidité le problème. D’un côté il reconnaît que l’examen de notre univers « sans parti pris impose à notre logique la conclusion qu’il est le fruit d’une intelligence inventive et d’une volonté planificatrice. » Toutefois il ne croit pas en le Dieu de la tradition chrétienne car il constate que « Entre la constitution du monde vivant et son fonctionnement, entre les merveilles dont il est fait et l’horreur pour laquelle il semble avoir été fait, il y a une contradiction suffocante. » En effet, la Bible affirme que Dieu est tout-puissant et souverain dans toute sa création, mais aussi qu’il est bon et juste dans tout ce qu’il fait. Alors la question est pertinente : si c’est le cas, pourquoi Dieu permet-il que ses créatures souffrent et fassent souffrir autant ? S’il aime réellement sa création, pourquoi n’y intervient-il pas pour enrayer le mal et l’affliction qui semblent si souvent frapper à l’aveuglette le juste et l’injuste ?
D’abord, il convient de noter que ce problème a troublé plusieurs des prophètes et des croyants des temps bibliques, sans qu’ils mettent en cause l’existence ni la bonté de leur Créateur. Abraham (Gen 18.22-33), Job, David (Ps 94), Asaph (Ps 73), Jérémie (Jér 12.1-6), Esaïe (Es 10.5-16), Habakuk, et Malachie (Mal 3.13-18) ont tous été confrontés à ces questions, tout en exprimant leur confiance en Dieu.
Leurs paroles nous aident à comprendre mieux les « pourquoi », sans pour autant résoudre ce que la Bible appelle « le mystère de l’iniquité» (2 Thes 2.7).
Que disent donc les Saintes Écritures sur ce sujet ?
I. La souffrance dans le monde :
« Il n’y a point de paix, dit l’Éternel, pour les méchants. » Esaïe 48.22
Ce passage révèle deux vérités fondamentales qui déterminent l’œuvre de Dieu dans notre monde.
-La première vérité, c’est que « tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu » (Rom 3.23). La Bible ajoute que l’homme est entièrement responsable pour cette « méchanceté » qui marque chacun. Créé à l’image de Dieu et donc doté d’une liberté de choix, il a décidé de se révolter contre Celui qui est la source de toute véritable justice. Moïse dit clairement : « Rendez gloire à notre Dieu ! Il est le rocher ; ses oeuvres sont parfaites, car toutes ses voies sont justes ; c’est un Dieu fidèle et sans iniquité, il est juste et droit. S’ils (les êtres humains) se sont corrompus, à lui n’est point la faute ; la honte est à ses enfants, race fausse et perverse. » (Deut 32.3-5). Nous sommes toujours enclins à blâmer les autres pour nos problèmes. Ce texte affirme que l’homme est entièrement responsable pour l’injustice et ses conséquences.
-La deuxième vérité montre que Dieu ne permet pas que l’homme, dans sa méchanceté, puisse connaître une véritable paix. Car dans un monde où tout être vivant est plus ou poins égoïste et injuste, la souffrance est un mal nécessaire. Comme les douleurs dans le corps sont nécessaires pour nous avertir qu’un membre est malade ou doit être soigné, ainsi la souffrance dans le monde est un appel pressant à l’homme de chercher la délivrance auprès du Grand Médecin. C’est pourquoi que Dieu affirme clairement qu’il est effectivement celui qui permet et gère la souffrance : « Je suis l’Éternel, et il n’y en a point d’autre. Je forme la lumière et je crée les ténèbres, je réalise la paix et je crée le malheur ; moi, l’Éternel, je fais toutes ces choses. » (Es 45.6-7). Paul explique que même toute la création a été « soumise à la vanité » et à « la servitude de la corruption » par Dieu, à cause du péché de l’homme, mais dans l’attente d’une délivrance future (Rom 8.19-20).
L’homme peut réagir de deux manières face à cette vérité :
-Beaucoup diront cyniquement, avec les Juifs du temps de Malachie, « Où est le Dieu de la justice ? » (Mal 2.17) ou « Il n’y a pas de Dieu ! » (Ps 14.1). La tragédie de cette manière d’agir est évidente : elle nous éloigne de Celui qui est le Père de miséricordes et le Dieu de toute consolation – la seule source de véritable aide dans la détresse (2 Cor 1.3).
-Il vaut beaucoup mieux écouter les conseils de Jérémie : « N’est-ce pas de la volonté du Très-Haut que viennent les maux et les biens ? Pourquoi l’homme vivant se plaindrait-il ? Que chacun se plaigne de ses propres péchés. Recherchons nos voies et sondons-les, et retournons à l’Éternel ; Elevons nos coeurs et nos mains vers Dieu qui est au ciel : nous avons péché, nous avons été rebelles ! » (Lam 3.38-42).
Jésus donna un message similaire aux personnes troublées par l’injustice du procurateur Pilate, dans Luc 13.1-5. Dans sa réponse à leur question, nous pouvons voir deux vérités importantes.
-Premièrement, les catastrophes n’arrivent pas forcément aux gens parce qu’ils sont plus mauvais que d’autres. Le livre de Job nous donne un petit aperçu d’un monde victime de l’ennemi de Dieu capable de manipuler les éléments naturels aussi bien que le cœur des hommes. Et c’est parfois les « innocents » qui en souffrent, ou tout au moins ceux qui ne sont pas les plus méchants.
-La deuxième vérité est plus importante : ces choses arrivent comme un avertissement, comme le douleur dans le corps. Elles sont autant de rappels solennels que tout homme va mourir et passer devant le Juge de toute la terre. Dieu, dans son amour pour l’humanité sait que le destin éternel de l’homme est bien plus important que sa santé et son confort. Car il prépare pour ceux qui se tournent vers lui « de nouveaux cieux et une nouvelle terre, où la justice habitera » (2 Pi 3.13) et où « la mort ne sera plus; il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur, car les premières choses (aur)ont disparu » (Apoc 21.4).
II. La souffrance dans la vie d’un chrétien :
« Si tu m’as affligé, c’est par fidélité » Psaume 119.75 (Semeur)
L’affliction dans la vie d’un croyant, une preuve de la fidélité de Dieu ? Peut-on vraiment l’affirmer, comme le fit David dans ce psaume ? En tout cas, nous aurons plusieurs occasions dans la vie d’en douter ! Car nous le savons : ce n’est pas parce que nous sommes chrétiens que Dieu va éloigner de nous l’épreuve. Au travers des siècles, les croyants ont été exposés aux souffrances les plus atroces – la persécution, la torture, l’hostilité et même le martyr. Certes, cela ne nous surprend pas, car Jésus lui-même nous a dit : « Si le monde vous hait, sachez qu’il m’a haï avant vous. … Souvenez-vous de la parole que je vous ai dite : Le serviteur n’est pas plus grand que son maître. S’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront aussi… » (Jean 15.18-20). Mais même si nous acceptons de bonne grâce l’opprobre du Seigneur, nous avons beaucoup plus de difficulté à admettre que toutes les autres souffrances qui nous accablent sont la preuve de la fidélité et de l’amour de Dieu. Car le chrétien pourrait connaître tout autant de souffrances que son voisin non croyant. Il pourrait contracter n’importe quelle maladie, être la victime de la violence, avoir des accidents de voiture, tomber dans la dépression, et subir tous les désagréments que connaissent les autres.
L’exemple de Paul
Rappelons-nous seulement ce que l’apôtre Paul a dû supporter durant sa vie. De toute évidence il a été accablé par une maladie de longue durée, car après avoir reçu une révélation quatorze ans plus tôt, il vivait avec une « écharde dans la chair, un ange de Satan » pour le souffleter (2 Cor 12.2-7). Serait-ce la maladie des yeux repoussante dont il parle dans sa lettre aux Galates (4.13-15) ? De plus, il parle librement de son grand découragement (2 Cor 4.8-9), de ses luttes, de ses craintes, de son abattement (2 Cor 7.5-6), de ses peines et des dangers auxquels il a été exposé (2 Cor 11.26-28). On ne peut guère imaginer la frustration qu’il a dû connaître, homme plein d’activité et d’ambition, pendant les longs jours et années qu’il passait enfermé dans une cellule de prison ! Pourtant selon ses propres affirmations et l’impact de sa vie, nous sommes convaincus que toutes ces épreuves faisaient clairement partie du plan de Dieu pour son bien et celui d’une multitude d’autres.
Pourquoi la souffrance ?
Les diverses afflictions ne sont pas seulement physiques ou mentales, elles sont pour le chrétien une épreuve de sa foi. D’ailleurs le mot grec pour épreuve est le même traduit par tentation. La souffrance suscite des questions difficiles et nous tente de mettre en cause la bonté de notre Dieu, et la véracité de ses promesses. Le psalmiste Asaph, se laissant envahir par l’amertume en voyant le bonheur des méchants, disait dans son moment de révolte : « C’est donc en vain que j’ai purifié mon cœur, et que j’ai lavé mes mains dans l’innocence. Chaque jour je suis frappé, tous les matins mon châtiment est là. » (Ps 73.13-14). Les Israélites du temps de Malachie disaient aussi cyniquement : « C’est en vain que l’on sert Dieu; qu’avons-nous gagné à observer ses préceptes, et à marcher avec tristesse à cause de l’Eternel des armées ? Maintenant nous estimons heureux les hautains; oui, les méchants prospèrent; oui, ils tentent Dieu, et ils échappent ! » (Mal 3.14-15).
Ces critiques demandent une réponse. En effet, qu’en est-il des promesses de Dieu qui nous assurent de sa protection et de sa provision face à tous nos besoins ? Si le chrétien peut souffrir autant que le non croyant, quel avantage de vivre pour lui ? La Parole de Dieu nous donne des affirmations précieuses face à ces questions.
-Premièrement, Dieu promet que nous ne serons jamais tentés (éprouvés) au delà de nos forces, mais en lui et par lui nous pouvons avoir la délivrance (1 Cor 10.13). David annonce clairement la différence entre la souffrance d’un croyant et celle d’un non croyant : « Le malheur atteint souvent le juste, mais l’Eternel l’en délivre toujours. Il garde tous ses os, aucun d’eux n’est brisé. Le malheur tue le méchant, et les ennemis du juste sont châtiés. L’Eternel délivre l’âme de ses serviteurs, et tous ceux qui l’ont pour refuge échappent au châtiment » (Ps 34.19-22). Ce passage n’est certainement pas une garantie contre le bris des os, mais la certitude que finalement le malheur n’est pas nocif pour le croyant, comme il peut l’être pour celui qui résiste à Dieu.
-En effet, le chrétien peut savoir que Dieu, « lorsqu’il afflige, il a compassion selon sa grande bienveillance ; car ce n’est pas volontiers qu’il humilie et qu’il afflige les fils d’homme » (Lam 3.32-33). Autrement dit, les épreuves que Dieu permet ne sont jamais vaines ou inutiles, même si elles sont pénibles. Comme les corrections d’un père sont la preuve de son amour pour son enfant, de même, l’affliction dans la vie d’un chrétien n’est pas simplement utile, mais nécessaire pour notre croissance en Christ (Héb 12.4-11). Notons brièvement ce à quoi la souffrance sert dans la vie d’un enfant de Dieu :
1. Elle produit en nous de la compassion pour les autres (2 Cor 1.4). Celui qui n’a jamais souffert ne saura pas compatir (souffrir avec) avec ceux qui souffrent.
2. Elle développe en nous le fruit de la persévérance (Jac 1.3 et Rom 5.3) et de la sainteté, sans laquelle personne ne verra le Seigneur (Héb 12.10,14)
3. Elle peut être l’occasion du salut éternel pour ceux qui voient votre témoignage (2 Cor 1.6). Un chrétien qui a de la joie malgré ses épreuves rend un témoignage très percutant. Alors sa souffrance n’est pas seulement pour lui, mais dans l’intérêt des autres.
4. Elle nous amène à voir plus clairement la fragilité de toute capacité humaine pour mieux nous confier en Dieu (2 Cor 1.8-9).
5. Elle est l’occasion pour les chrétiens de multiplier l’intercession et de mieux connaître l’œuvre de Dieu à travers la prière (2 Cor 1.11).
6. Elle est une médecine préventive contre l’orgueil dans notre cœur qui bloque l’œuvre de Dieu en nous (2 Cor 12.7).
7. Elle agit pour que le croyant meure à lui-même afin que Christ vive plus pleinement en lui et que la gloire revienne à Dieu (2 Cor 4.7-11).
8. Elle est donc nécessaire pour que notre foi, étant éprouvée, soit purifiée comme de l’or dans le four (1 Pi 1.6-7).
Ces vérités nous montrent que le chrétien peut vraiment affirmer avec David « Je reconnais, ô Eternel, que tes décrets sont justes : si tu m’as affligé, c’est par fidélité. » (Ps 119.75 Semeur). Toute véritable affliction est une source de tristesse, et elle peut être l’occasion d’une défaite si nous nous laissons gagner par l’amertume. Par contre, heureux l’enfant de Dieu qui peut dire, dans le fort de la tempête :
« Si l’Eternel n’était pas mon secours, mon âme serait bien vite dans la demeure du silence. Quand je dis: « Mon pied chancelle ! » ta bonté, ô Éternel ! me sert d’appui. Quand les pensées s’agitent en foule au-dedans de moi, tes consolations réjouissent mon âme » (Ps 94.17-19).
RENDRE COMPTE DE NOTRE ESPÉRANCE
3 mars, 2015http://www.scourmont.be/Armand/writings/rendre_compte.htm
RENDRE COMPTE DE NOTRE ESPÉRANCE
Comme beaucoup de nos frères et soeurs, nous sommes entrés dans la vie religieuse durant les « belles années» de l’Église au Québec. C’est donc comme religieux que nous avons vécu la sécurité des années ’50, l’emballement de la Révolution tranquille et du Concile au cours des années ’60, puis l’essoufflement et le repliement paisible des années ’70. Nous avons investi pas mal d’espoirs dans des transformations sociales, dans des réformes ecclésiastiques et religieuses et aussi dans des personnes.
Nous avons assisté à l’écroulement de la plupart de ces espoirs, et nous avons survécu. Et si nous sommes encore bien vivants et avons le goût de proclamer notre espérance, c’est que nous nous sommes toujours gardés d’identifier cette espérance avec aucun de nos espoirs.
Au cours de nombreuses rencontres périodiques à quatre, aussi bien qu’avec divers réseaux d’amis, nous avons souvent fait l’inventaire des espoirs dans lesquels, comme tant d’autres, nous avions investi. Nous fûmes alors plus d’une fois amenés à établir la liste de nos désespérances et à les formuler d’une façon qui nous renvoyât sans cesse au fondement inébranlable de cette Espérance qui en nous ne veut vraiment pas mourir. De même, pour garder vive notre Foi, nous avons dû faire l’élaboration de notre anti-credo : la liste de toutes les « patentes » auxquelles l’honnêteté nous oblige de dire que nous ne croyons plus et au-delà de la disparition desquelles se situe notre foi en Quelqu’un.
Nous ne sommes ni cyniques ni sceptiques, loin de là. Notre goût de vivre est intact! Mais nous avons perdu depuis longtemps notre «première naïveté ». Nous ne désirons ni nous conter des histoires ni nous en laisser conter. Aux pessimistes larmoyeurs qui s’attristent sur la disparition de certaines structures ecclésiales et religieuses, nous avons le goût de demander: «Pourquoi refuser de mourir? La vraie vie n’est-elle pas à ce prix? » Aux porteurs de lunettes rose-tendre en mal de sécurité, toujours prêts à réchauffer leurs espoirs à la première réapparition d’un vestige du bon vieux temps, nous devons confesser «Vos espoirs sont précisément ce qui nous fait désespérer». Des prophètes de tout poil nous réclamons un prophétisme ravageur de nos facilités et de nos conforts. Enfin, avec tous nous voudrions partager nos raisons d’espérer, au-delà de tous nos espoirs comme de tous nos désespoirs.
Aller jusqu’au bout de nos désespoirs
« À partir de ce moment, Jésus commença à montrer à ses disciples qu’il lui fallait s’en aller à Jérusalem, souffrir beaucoup … être mis à mort » (Mt 16,21). L’Église d’ici, au temps du triomphalisme des années ’50, a évité ce morceau d’Évangile. Elle avait les jarrets solides et des chevaux fougueux. La « droite et le bras » du «Vainqueur » lui étaient un surcroît pour les moments liturgiques (Ps 43). Sa consolation était là, à portée de main, manipulable à volonté, pouvoir additionnel pour les disputes apologétiques. «Je réussis, donc j’ai raison, Dieu est avec moi ! »
« Pierre, le tirant à part, se mit à le réprimander, en disant: « Dieu t’en préserve, Seigneur! Non cela ne t’arrivera pas ! » » (Mt 16,22). Non ! même après la déconfiture des années ’60, qui furent un moment de saignée et de dépouillement, l’Église et la vie religieuse d’ici n’acceptent pas de mourir. Elles consacrent beaucoup d’énergie à maintenir debout une façade, un peu comme l’église St-Jacques, au coin de Berri et de Montigny. Elles ont tendance à se trouver une nouvelle contenance, celle de la rencontre chaleureuse, des consolants rapports interpersonnels, de la sérénité, de la spiritualisation … ou, à l’opposé, de la lutte ouvrière à grands cris, dans un flirt avancé avec le marxisme.
Si notre option pour Jésus n’a souvent guère d’impact, c’est qu’elle n’a pas le mordant qui conduit au martyre, parce qu’elle ne se présente pas assez comme une alternative au désespoir. « À qui irions-nous? » disaient les Apôtres (Jn 6,68). Nous avons toujours des succédanés qui reculent devant nous cette alternative fondamentale, et alors nous nous laissons distraire de l’option décisive, celle de suivre Jésus. C’est certes un risque que d’aller au bout de son désespoir, mais Jésus l’a pris avec ses Apôtres, en relativisant sans merci tous les faux espoirs qu’ils nourrissaient, surtout ceux qui le concernaient personnellement. Il leur a simplement fait comprendre que leur espérance devait se porter plus loin, toujours plus loin.
En ce sens, nous accueillons positivement le mouvement charismatique, qui nous réapprend à danser devant Dieu, aussi bien que les politisés chrétiens qui nous réveillent à la lutte pour la justice sociale. Nous savons apprécier les regroupements par réseaux, les communes, les communautés de base. Nous acceptons d’y investir des espoirs, mais nous nous refusons à voir en l’une ou l’autre de ces lignes d’évolution la solution à tous nos problèmes ou la panacée venant guérir miraculeusement tous nos maux. Nous nous refusons, en d’autres mots, à y fonder notre espérance. Ces germes de vie nouvelle peuvent être voués eux aussi à la mort après avoir joué un rôle provisoire. Nous nous réjouissons de voir des communautés religieuses redécouvrir des valeurs d’intériorité et de fraternité, et de constater qu’un nombre un peu plus grand de religieux et religieuses s’engagent dans des projets de libération sociale. Mais nous n’acceptons pas d’y voir la fin de la « crise de la vie religieuse », ni des signes de réanimation d’une institution à bout de souffle.
Il nous faut aujourd’hui des gens capables de suivre Jésus sur son propre chemin, qui mène au Calvaire, et d’affronter sereinement la mort d’une certaine Église et d’une certaine vie religieuse. Des gens capables de compter sur la Parole de Jésus: « … être mis à mort, et le troisième jour, ressusciter (Mt 16,21), quoi qu’il advienne de leurs oeuvres, de leurs entreprises et de leurs projets. L’échec et la victoire ne sont pas toujours là où on croit les discerner. Pour nous, en tout cas, nous n’avons vraiment pas le goût de lutter pour maintenir des murs, des institutions, des formes de vie. Nous avons le goût de consacrer toutes nos énergies à maintenir en nous et en nos frères et sueurs une espérance créatrice, inventive, dévastatrice de nos fausses sécurités.
Le courage de la liberté
Notre credo est fondamentalement un credo en la Personne. Nous ne voyons pas comment nous pourrions adorer en esprit et en vérité un Dieu personnel si nous n’avions pas, au point de départ, un respect absolu pour la personne humaine, dont les possibilités merveilleuses de développement nous font remonter à Dieu. Une vie religieuse qui ne part pas de cette confiance illimitée au pouvoir intérieur de la personne humaine dégénère en organisation et souffre de sclérose.
La collectivité est une idole vorace à laquelle nous avons offert trop de sacrifices humains dans le passé. Nous rêvons d’une vie religieuse qui permette à des individus de découvrir et de réaliser au maximum leur être propre, Mais qu’on nous comprenne bien: nous n’avons pas en vue un certain culte romantique et égoïste de la «personnalité », populaire il y a quelques années. Par l’être propre de chacun, nous entendons une mission personnelle à jouer au sein de la société et de l’Église, et qui débouche, bien sûr, sur un Royaume à bâtir ensemble.
Nos modèles communautaires sont, de toute façon, éclatés. Reconnaissons-le humblement, Ceux à qui nous transmettons notre tradition ne pourront la vivre comme nous l’avons vécue. Nous avons à réinventer une symbolique de la vie en groupe. Mais ne nous pressons pas d’élaborer fébrilement de nouveaux modèles avec les débris de ceux qui se sont écroulés. On parle en divers endroits d’une stabilisation du renouveau. À notre avis, nous n’en sommes pas encore au point où nous puissions réaliser une telle stabilisation. Il nous manque encore trop de matériaux. Trop de pièces de la verrière à construire ne sont même pas encore coulées. Pour former des communautés nouvelles, il nous faut d’abord des hommes nouveaux et des femmes nouvelles. Acceptons de vivre quelques générations avec l’insécurité de modèles communautaires en continuelle mutation, qui se font et se défont.
Jacques Grand’maison parlait, il y a quelques années, de témoins en liberté. Nous voulons d’une vie religieuse qui mette ses témoins en liberté, en libérant d’abord leur dynamisme intérieur. Nous voulons des témoins qui puissent être des rassembleurs parce qu’ils auront d’abord rassemblé leurs énergies dans une personnalité intégrée. Les communautés dont nous avons encore le goût sont celles qui puissent former des êtres assez libres pour affronter l’exploration de voies nouvelles pour tout le Peuple de Dieu. Des hommes et des femmes que nous puissions envoyer en éclaireurs pour bâtir ici et là de petites demeures ou simplement planter des tentes afin d’accueillir l’ensemble du Peuple de Dieu lorsque d’autres pans de la grande structure tomberont et laisseront ce Peuple sans racines et sans abri. Notre époque est celle d’un Exode; elle n’est décidément pas celle de la construction de cathédrales.
Et pour cela nous avons besoin de communautés d’hommes et de femmes pas trop soucieux de leurs particularités, de leurs étiquettes et de leurs catégories canoniques, sachant partager le cheminement de ceux qui sont venus d’autres horizons. Et le courage de la liberté nous conduira au courage des affrontements.
Le courage d’affronter les conflits
Les autoroutes d’Amérique du Nord se distinguent par le nombre et la complexité de leurs échangeurs, qui nous permettent de faire des centaines de kilomètres et même de pénétrer au cœur des villes, sans rencontrer de passages à niveau et sans danger de collisions frontales. Nous cédons souvent à la tentation d’organiser notre vie communautaire sur ce modèle. Par suite d’ententes tacites, on se fait mutuellement les concessions nécessaires au maintien d’une atmosphère chaleureuse, évitant soigneusement toutes les questions vitales qui pourraient provoquer des tensions ou des conflits. On évite certes les affrontements, mais peut-on encore parler de vie?
On constate, à l’inverse, à travers le monde entier, un sursaut des nationalismes, qui conduit à l’éclatement de conflits latents vieux de plusieurs générations, et oblige à les résoudre. Nous espérons que nous aurons le courage, au sein de la vie religieuse, d’affronter nos « nationalismes », plutôt que de court-circuiter le chemin vers l’Unité, laquelle se trouve au-delà des conflits, et non en-deçà.
Nos Chapitres généraux et provinciaux des dernières années se sont souvent réfugiés dans la discussion des comportements, évitant soigneusement les options de base. Il faudra bientôt qu’au sein de nos communautés nous confrontions ouvertement nos sensibilités religieuses diverses, nos images de Dieu fort différentes, nos lectures de la situation sociale et politique. Pourrons-nous, par exemple, rester insensibles, comme groupe, à ce qui se vit actuellement au Québec? Le projet d’avenir du peuple d’ici intéresse au plus haut point notre projet religieux, et réciproquement.
A l’écoute du gémissement de notre peuple
Notre peuple québécois vit présentement un enfantement à la fois douloureux et merveilleux. Il doit faire face à des enjeux importants, et il a souffert plus qu’on ne veut généralement l’admettre. Malgré leur tentation d’un repli chaleureux et d’une réduction du cercle de leurs solidarités, les religieux d’ici ont un urgent besoin de se mettre à l’écoute de la vie et des gémissements de ce peuple, leur peuple.
Mais ce ne sont plus nos institutions qui peuvent pénétrer au cœur du monde de l’éducation et de la santé, dans les milieux syndicaux et dans ceux des affaires. Le rôle de nos institutions est de former des individus qui puissent, à titre personnel être des agents de communion sur toutes les lignes de rupture et travailler activement à la création d’une société nouvelle en chacun de ces milieux.
Nous avons besoin, pour cela, de nous sensibiliser encore beaucoup plus aux problèmes sociaux et politiques, et d’analyser les mécanismes d’exploitation de notre société de consommation, et de continuer à faire émerger une société plus humaine. Avec quelle facilité ne concédons-nous pas des absolutions générales à tout notre système d’exploitation capitaliste, alors que nous condamnons hâtivement et sans retour tout ce que nous pouvons de près ou de loin, affubler de l’étiquette de « socialiste » ou de «communiste ».
Pour nous aider dans cette sensibilisation; il nous faudra rapatrier nos prophètes. En effet, un bon nombre de nos frères et soeurs qui se sont engagés auprès des défavorisés dans des luttes de libération ont dû le faire au prix d’une marginalisation douloureuse. Il fut un temps où on les marginalisait par une attitude négative et agressive; maintenant on le fait plutôt en leur vouant parfois une sorte de culte. Dans l’un et l’autre cas nous nous préservons, en les tenant dans la marge, de leur interpellation.
Si nous leur permettons de fermenter en notre propre pâte, ils nous feront entendre la «clameur des pauvres » de chez nous. Trop parmi nous ne croient pas réellement à l’existence de la pauvreté au Québec! Ils nous sensibiliseront aussi au caractère parfois ambigu, parfois nettement antiévangélique de certains investissements en capitaux et de certaines constructions religieuses. Il y aurait beaucoup à dire sur le « syndrome de construction» qui commence à se manifester de nouveau dans l’Église au Québec, après une période de ventes et de démolition.
Un leadership rénové
Nous aimerions, en guise de conclusion, signaler quelques grandes lignes dans lesquelles devraient se réinventer un leadership pour la vie religieuse d’aujourd’hui. La vie religieuse ne détient évidemment pas le monopole de ..la crise du leadership, qui est plutôt un phénomène caractéristique de toute notre société moderne. Mais les religieux n’auraient-ils pas une contribution propre à apporter dans la solution de cette crise?
Nous avons besoin de leaders prophétiques qui ne craignent pas de vivre en leur vie personnelle la tension connaturelle à l’Église entre charisme et institution. Cela veut dire des leaders qui, tout en remplissant une fonction au sein du peuple de Dieu, refusent de s’identifier à cette fonction et, restant personnellement ouverts au souffle de l’Esprit, sont capables de communiquer une vision, d’ouvrir des voies nouvelles ou de confirmer dans leur mission ceux qui sont appelés à en ouvrir. De tels responsables de communautés seront moins soucieux du maintien des institutions dont ils ont la charge que de la réévaluation constante de la géographie de nos investissements en énergie. Dans la vie religieuse comme ailleurs, la « crise d’énergie » n’en est pas une de disponibilité mais de juste répartition.
Nous désirons donc un leadership qui soit orienté vers la personne plus que vers l’administration d’institutions et l’application de décisions des Chapitres. Un tel leadership se consacrera à susciter et encourager le dynamisme et la créativité des jeunes religieux. Il verra aussi à empêcher que la grande masse des religieux du « moyen âge » n’endorment leurs énergies dans l’identification à des fonctions ou à des services, Enfin, il continuera d’interpeller ceux et celles du « troisième âge » à la mission, bien au-delà du seuil de la « retraite». Nous croyons qu’un dynamisme missionnaire de grande valeur se sclérose chez nous alors que plusieurs pourraient facilement continuer à être des témoins de l’Évangile au coeur du peuple de Dieu, même lorsque les forces physiques ne permettent plus un « travail » apostolique ou professionnel.
Enfin, de la vie et de l’enseignement de nos leaders nous attendons un appel à l’intériorité. Car, au-delà de nos engagements sociaux, de la chaude intimité de nos réunions communautaires et de l’envoûtement de nos assemblées charismatiques, c’est dans l’adoration que nous percevons le sens ultime de notre espérance.
Jacques Bélanger, o f m. cap.
4373, ave de l’Esplanade
Montréal, Qué.
Édith Blais, s.s.j.
560, chemin Ste-Foy
Québec, Qué.
Claire Dumouchel, s.c.i.m.
1150, chemin Ste-Foy
Québec, Qué.
Armand Veilleux, o.c.s.o.
Abbaye cistercienne
Mistassini, Qué.
L’ÉPÎTRE À PHILÉMON OU PAUL ET L’ESCLAVAGE
3 mars, 2015L’ÉPÎTRE À PHILÉMON OU PAUL ET L’ESCLAVAGE
Plus d’esclaves ! Et pourtant…
Paul définit les baptisés comme une nouvelle création (2 Co 5, 17) au sein de laquelle les degrés et différences qui partageaient la société d’alors sont évacués au profit d’une splendide égalité dans le Christ unique ; « Il n’y a ni juif ni grec, il n’y a ni esclave ni homme libre, il n’y a ni homme ni femme, car tous vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus » (Ga 3, 28) – « Aussi bien est-ce en un seul Esprit que tous nous avons été baptisés pour ne former qu’un seul corps. Juifs ou grecs, esclaves ou hommes libres, et tous nous avons été abreuvés d’un seul esprit » (1 Co 12, 13) – « Là, il n’est plus question de Grec ou de Juif, de circoncision ou d’incirconcision, de Barbare, de Scythe, d’esclave, d’homme libre ; il n’y a que le Christ qui est tout en tous » (Col 3, 11).
L’épître à Philémon, la plus courte des lettres de saint Paul, aborde un cas concret où ;, justement, Paul est en mesure d’appliquer les considérations théoriques qu’on vient de lire : un esclave évadé est converti par Paul qui écrit à son maître pour intercéder en sa faveur. Mais dans quel but précis ? On cherche en vain dans ce billet une demande explicité de mise en liberté. Comme par ailleurs, Paul prêche aux esclaves la permanence de leur état (1 Co 7, 21-22) et l’obéissance à leurs maîtres (Col 2, 22-25), on s’interroge : que valent ces déclarations d’égalité fondées sur une appartenance commune au Christ ?
Avant d’esquisser une réponse, il nous faut considérer l’épître à Philémon avec l’attention qui convient
Les circonstances de l’épître à Philémon
Et d’abord précisons les circonstances dans lesquelles elle a été rédigée.
Paul est prisonnier à cause de son activité apostolique (« prisonnier du Christ Jésus.. dans ces chaînes que me vaut l’Evangile » : voit versets 1.9.13). les conditions de sa captivité sont relativement bénignes, puisque disciples et collaborateurs ont libre accès auprès de lui (voir versets 1.23-24). Le lieu de l’incarcération n’est pas indiqué, de sorte qu’on rencontre ici le même problème que pour l’épître aux Philippiens. Toutefois un point est indiscutable : l’épître à Philémon est étroitement lié à l’épître aux Colossiens. On trouve en effet les mêmes personnes (Epaphras, Aristarque, Démas, Marc et Luc) dans les salutations des deux épîtres : de plus un Onésime est mentionné, avec Tychique, comme porteur de la lettre aux Colossiens (Col 4, 7.9). Pour les mêmes raisons qui poussent à situer la composition de Philippiens à Rome on peut placer celle de Colossiens et de Philémon dans la capitale de l’Empire. Certes, Colossiens pose un problème spécifique : mais si l’on admet que cette épître a pu être rédigée par Paul lui-même ou sous sa direction ; il suffit d’établir un laps de temps convenable entre Philippiens et des deux autres lettres.
Bien des obscurités entourent également les destinataires de notre épître. Pourtant, le nom de Philémon est attestée en Phrygie où ; se trouve la ville de Colosses ; ajouter la parenté aux Colossiens, et l’on comprendra qu’on songe le plus souvent à cette ville pour y fixer le domicile de Philémon.
La lettre est adressée non seulement à ce dernier, mais encore à la communauté chrétienne qui s’assemble dans sa maison (cf. 1 Co 16, 19 ; Rm 16, 5 ; Col 4, 15). Rien ne prouve que Philémon ait été le président de cette communauté. Par contre, il y a fait figure de notable et de bienfaiteur insigne (versets 5-7). C’est Paul lui-même qui l’a amené à la foi, comme il nous l’apprend à mos couverts (verset 19). A Philémon est jointe « Apphia, notre soeur » qu’accompagne « Archippos, notre frère d’arme », les deux pouvant être respectivement la femme et le fils du premier.
Le fait qui a occasionné cette lettre est le suivant . Philémon avait parmi sa domesticité un esclave nommé Onésime [1]. Celui-ci s’est enfui de la maison de son maître . On ignore pourquoi. Il n’est pas sûr, malgré les versets 18-19, qu’il l’ait volé. Néanmoins, ce départ a du causer un tort grave à Philémon. Onésime, au hasard de sa fuite et dans des circonstances qu’il est impossible de déterminer, rencontre Paul dans la ville où ; il est incarcéré. Sious la direction de l’apôtre, il se convertit à la foi chrétienne, devanant pour lui un authentique fis spirituel, « engendré dans les chaînes », bien plus, l’objet d’uen affection particulière (versets 10.12, cf. verset 17).
Cet esclave fugitif, Paul le renvoie à son maître (verset 12) avec un billet dont le plan est le suivant :
- Adresse et supplication (versets 1-3)
- Action de grâce et félicitations (versets 4-7)
- Partie centrale : l’intercession pour Onésime (versets 8-20)
- Conclusion, salutation et souhait final (versets 21-25)
Qu’espérait Paul en écrivant ce mot à l’adresse de Philémon ? D’après ses propres paroles , il comptait bien que, grâce à ses recommandations et au nouvel état d’Onésime, Philémon le recevrait « non plus comme un esclave, mais bien mieux qu’un esclave, comme un frère très cher » (verset 16). Paul espère-t-il davantage ? On comprend souvent les versets13-14 dans ce sens que Paul aurait voulu garder Onésime auprès de lui, mais qu’il n’a pas voulu imposer ce geste à Philémon, le laissant à sa générosité. C’est possible. En tous cas, il n’apparaît pas que Paul sollicite en même temps l’affranchissement de l’esclave : celui-ci, tout en revenant assister Paul, serait resté la propriété de Philémon.
Ainsi l’institution elle-même n’est pas atteinte . Comment dès lors comprendre les phrases citées plus haut, selon lesquelles dans le Christ « il n’y a ni esclave ni homme libre » ?
Pour résoudre ce dilemme, revenons sur l’épître elle-même, afin d’en saisir à la fois la densité et les limites.
Une démarche normative
Ce billet a seulement les apparences de la correspondance privée. Sans doute vise-t-il à régler un cas personnel. Mais l’adresse, on l’a vu, s’étend jusqu’à la communauté qui s’assemble chez Philémon et c’est tous que Paul salue (verset 3) comme il le fait dans ses lettres aux communautés. Comme dans ses dernières, apparaît également ici l’action de grâce (verset 4) et la conclusion au caractère semi-liturgique (verset 25). C’est donc autre chose qu’une de ses lettres privées dont l’antiquité nous a transmis plus d’un exemplaire. A travers Philémon, c’est à l’Eglise locale, assurément au courant du cas traité et en partie intéressée à sa solution, que Paul s’adresse. On peut même aller plus loin : la conduite qu’il dessine et ses considérants peuvent difficilement passer pour l’expression d’une casuistique momentanée. Car la soin que met Paul à rédiger ses lignes permet d’y voir « un acte public qui se veut explicatif, régulateur et normatif [2] », donc susceptible d’étendre son influence à d’autres cas similaires et à d’autres églises.
C’est que Paul, ici comme ailleurs, ne doute pas de son autorité légitime. Il a « dans le Christ plein droit de prescrire [3] » (verset 8), tant à Philémon, par lui amené à la foi, qu’aux communautés dont il est le fondateur, les devoirs que lui dicte sa conscience apostolique. Ce droit lui vient de Dieu avec l’Evangile qu’il a pour mission de communiquer (Ga 1, 11-12 ; Rm 1, 1-5 ; 15, 15-16). Mais Paul est aussi capable de renoncer à certains droits quand il s’agit du bien de ce même Evangile et de ceux auquel il est destiné (1 Co 9, 15-18 ; cf. 2 Co 11, 7). C’est ce qu’il fait ici « à cause de la charité » (verset 8), cette charité dont, – Paul vient de le souligner (versets 5.7) – Philémon est animé. Avec cette assurance, Paul ne commande pas, mais il adresse une supplique, renforçant celle-ci de considérations personnelles : son âge d’abord donne plus de poids à la demande [4] si, comme il est permis de le supposer, Philémon est plus jeune que lui, et puis sa situation de prisonnier est bien faite pour attendrir son destinataire (verset 9). Enfin Paul a Philémon pour débiteur : dernier argument (verset 19) auquel la reconnaissance de celui-ci ne saurait se dérober. Qui a reçu de Paul un don si précieux que l’acheminement vers le Christ ne peut refuser la faveur demandée (verser 19b) – quoique, ici encore, Paul préfère au rapport d’obligation celui de l’affection spirituelle qui l’unit à son disciple : « Apaise mon coeur (littéralement : mes entrailles) dans le Christ ! [5] » (verset 20b).
Il reste que, pour finir (verset 21), Paul revient curieusement à l’obéissance. Faut-il croire qu’il a, en un court intervalle, oublié ce qu’il a écrit aux versets 8 et 9 ? Non, car Paul ne s’exprime jamais dans son ministère apostolique sans qu’il ait conscience de le faire sous la puissance de Dieu et au nom du Christ : « prêcher, ordonner, demander veulent être chez l’apôtre discours chrétien sous la puissance de l’Esprit (cf. 1 Co 7, 40), Dieu étant témoin [6]. » De plus, il invoque présentement la charité, autrement dit, le précepte central de la volonté de Dieu (Ga 5, 14 ; Rm 13, 9-10). Si Philémon n’a pas ici à obéir à un ordre de Paul, il le doit à sa prière et, plus encore, à la règle suprême de l’amour.
Paul et l’esclavage
Nous arrivons à présent au noeud de la question.
Nulle part, ni dans la lettre à Philémon, ni dans le reste de sa correspondance, Paul ne fait campagne contre l’esclavage. Son programme n’implique donc pas la fin de cette institution. On doit en dire autant du Nouveau Testament en général, lequel n’apporte aucune caution aux mouvements anti-esclavagistes : bien au contraire, pourrait-on dire, puisque dans les règles domestiques qu’il édicte [7] il considère l’esclavage comme normal. Logiquement, la « conquête » chrétienne n’a provoqué ni les révoltes d’esclaves, ni l’augmentation de leurs fuites, autant d’actes qui mettaient en péril l’ordre et l’économie de la société antique.
Mais à cette attitude conservatrice, Paul et l’ensemble du Nouveau testament ajoutent des vues capables de supprimer les abus. Si les esclaves sont exhortés à obéir à leurs maîtres, les maîtres sont aussi l’objet de recommandations : en Col 3, 22, « les possesseurs d’esclaves sont appelés »maîtres selon la chair« , ce qui laisse entendre qu’au dessus d’eux, il y a le maître divin ; c’est pourquoi ils doivent accorder à leurs esclaves ce »qui est juste et équitable« (Col 4, 1), termes qui sont repris de l’antique morale sociale. Du point de vue de l’Eglise et comme membres de celle-ci, les esclaves ne sont plus privés de tout droit [8] ». Ajoutons qu’à la différence de l’autorité politique (cf. Rm 13, 1-7), ni Paul ni au autre auteur du Nouveau Testament ne s’évertue à fonder religieusement la nécessité de l’esclavage comme un ordre dont Dieu serait le suprême garant. L’esclavage reste un fait qui n’est pas discuté comme tel : il est simplement soumis comme les autres rapports sociaux à des règles supérieures dont il nous faut à présent indiquer les contours.
Paul a défini la liberté. Elle n’est plus dégagement de toute contrainte extérieure et des commandements humains ; elle est, par la grâce de Dieu en Christ, possibilité de réaliser l’homme nouveau. Cet homme est un homme libre non parce qu’il n’a plus de maître sur terre, mais parce qu’étant soumis à Dieu, il n’est plus empêtré dans les filets que lui ont tendu les forces du mal et qu’il lui est simplement possible d’aimer. Cet amour se vit en communauté et se traduit concrètement par le service :
« Car vous, mes frères, vous avez été appelé à la liberté ; seulement que cette liberté ne se tourne pas en prétexte pour la chair ; mais par la charité mettez-vous au service des uns des autres » (Ga 5, 13)
L’essentiel est là, n’hésitons pas à le dire, il peut, il doit même se vivre dans le rapport maître-esclave là où ; il existe. La raison des directives pauliniennes en la matière n’est pas d’ordre pragmatique et, s’il n’a pas exhorté une seule fois les maîtres à affranchir leurs esclaves, ce n’est pas parce que l’émancipation pouvait être tout autre chose qu’un bienfait pour l’esclave. On ne trouvera pas d’avantage ici une motivation prudentielle, inspirée par le danger pour les communautés chrétiennes d’ébranler l’ordre social. Quant à alléguer le manque d’intérêt pour Paul pour les choses de ce monde en raison de la proximité de la Parousie (1 Co 7, 20-21), on peut être certain que si Paul avait perçu dans l’esclavage une institution immorale, c’est-à-dire à-dire contraire à l’existence vécue en Christ, il n’aurait pas manqué de l’interdire aux chrétiens, en vertu même de la prochaine venue du Sauveur et pour préparer cet événement final (cf. 1 Th 5, 1-19).
En fait la raison est ailleurs. SI Paul n’attaque pas l’institution, c’est que selon lui, il importe peu de changer le statut social des membres de la communauté : la réforme est à opérer sur un autre plan. Elle s’active dans la conversion d’un chacun à la norme de l’amour, lequel tend nécessairement à l’égalité, de sorte qu’« il n’y a ni esclave, ni homme libre », comme « il n’y a plus ni homme ni femme », et que l’esclave est aux yeux du maître chrétien « bien mieux qu’un esclave, un frère très cher » (Verset 16). Statutairement inchangée, la société est en réalité transformée : alors que les maîtres se libèrent de leurs instincts possessifs, les esclaves perdent leur sentiments d’infériorité, conscients d’appartenir avec leurs maîtres à la famille du Christ.
Ainsi l’envisageait Paul, qui ne visait que les Eglises et leur vie interne. Mais avec lui le christianisme primitif faisait acte déterminant bien avant qu’avant ne disparaisse la pratique de l’esclavage entre chrétiens.
A.-J. Fustigère souligne l’inédit lancé par le christianisme dans la société antique :
« A Rome, l’esclave est une res : chose achetée. Pour le paysan Caton, un esclave hors de service compte moins qu’une vieille vache : la vache, au moins, on la mange. Ayant rapporté le massacre de tous les serviteurs d’une maison, Tacite ajoute : vile damnum (dommage de nulle valeur). A ces déshérités la Bonne Nouvelle donnait tout : le sens de leur dignité, de leur personne humaine. Un Dieu les avait aimé, il était mort pour eux. Il leur assurait, dans son royaume, la meilleur place. Le patricien n’avait ici nul avantage. Cependant, à l’ »assemblée« , il se mêlait à cette tourbe mal lavée, dont l’haleine empestait l’ail et le gros vin. Ces êtres d’une autre race qu’il pouvait d’un mot, faire battre et mourir, étaient ses frères. Qu’on ne dise pas que ce progrès est l’oeuvre des moeurs du temps ou des préceptes du stoïcisme. Les beaux prêches de Sénèque n’ont point conduit à un changement. Après avoir fignolé la lettre XLVII à Lucilius, Sénèque n’eut dîné avec ses esclaves. Il n’eut pas goûté avec eux les viandes des sacrifices. On eut dressé au moins deux tables. Cette égalité dans la pratique n’a commencé qu’avec le repas du Seigneur. C’est un des plus grands miracles de la religion chrétienne [9]. »
[1] Onesimos, « utile », « profitable », nom fréquent chez les esclaves. Ce nom donne lieu à un jeu de mots au verset 11.
[2] R. Lehmann, Epître à Philémon : le christianisme primitif et l’esclavage, Genève, Labor et Fides, 1978, p.17
[3] Cf. 1 Co 7,6.17 ;11,34 ;16,1
[4] Le mot presbytès n’oblige cependant pas à vieillir Paul au-delà de 50-55 ans.
[5] Comparer avec le verset 12 où ; Paul applique la même expression à Onésime pour traduire sa tendresse envers lui.
[6] P. Stuhlmacher, Der Brief an Philemon (EKK), Neukirchen-Vluyn et Einsiedeln, 1975, p. 52)
[7] Col 3,22-25 ; Ep 6,5-8 ; Tit 2,9-10 ; 1 P 2,18-22.
[8] H.-D. Wendland, Ethique du Nouveau Testament, Genève, Labor et Fides, 1972, p. 98.
[9] A.-J. Festugère, L’enfant d’Agrigente, Paris, Cerf, 1941, pp. 104-105
LA MAISON DE LA VIERGE A ÉPHÈSE
2 mars, 2015http://www.moncelon.com/Meryem.htm
LA MAISON DE LA VIERGE A ÉPHÈSE
Sa découverte
On doit « l’invention » de la Maison de la Vierge à Éphèse à un concours de circonstances assez étonnant et somme toute providentiel. Les visions d’Anne-Catherine Emmerick, la grande stigmatisée de Dülmen, si précises sur la vie de la Vierge Marie, inspirèrent en 1880 l’idée à un prêtre français, l’abbé Gouyet, de se rendre à Éphèse pour constater sur place la véracité des propos et pour découvrir peut-être l’emplacement de la maisonnette d’Éphèse. Après quelques recherches, il parvint en un lieu où se dressait une ruine et quand il demanda le nom de l’endroit, on lui répondit : Panaya Kapoulou, la « porte de la Vierge ». De mémoire d’homme, les habitants de la région venaient y célébrer, le 15 août, l’Assomption de la Vierge, parce que, disaient-ils, c’était en cette maison qu’elle était morte.
Les premières fouilles entreprises confirmèrent l’antiquité des fondations de la maison et la découverte fut authentifiée par Mgr Timoni, archevêque de Smyrne, en 1892. C’est ainsi que la Maison de la Vierge, où la Mère de Jésus vécut exilée auprès de Saint Jean, est un sanctuaire marial depuis plus d’un siècle et surtout, du fait de la vénération de l’Islam pour la Mère de Jésus, qu’elle est devenue le lieu d’un pèlerinage commun aux chrétiens et aux musulmans qui compte plus de 300 000 pèlerins par an.
Description des lieux selon Anne Catherine Emmerick
« Sa maison était située à trois lieues et demi de là, sur une montagne qu’on voyait à gauche en venant de Jérusalem, et qui s’abaissait en pente douce vers la ville. Lorsqu’on vient du Sud, Éphèse semble ramassée au pied de la montagne ; mais à mesure qu’on avance, on la voit se dérouler tout autour. Au midi on aperçoit des allées plantées d’arbres magnifiques, puis d’étroits sentiers conduisent sur la montagne, couverte d’une verdure agreste. Le sommet présente une plaine ondulée et fertile d’une demi-lieue de tour : c’est là que s’était établie la sainte Vierge. (…) Avant de conduire la sainte Vierge à Éphèse, Jean avait fait construire pour elle une maison en cet endroit, où déjà beaucoup de saintes femmes et plusieurs familles chrétiennes s’étaient établies, avant même que la grande persécution eût éclaté. Elles demeuraient sous des tentes ou dans des grottes, rendues habitables à l’aide de quelques boiseries. Comme on avait utilisé les grottes et autres emplacements tels que la nature les offrait, leurs habitations étaient isolées, et souvent éloignées d’un quart de lieue les unes des autres. Derrière la maison de Marie, la seule qui fût en pierre, la montagne n’offrait, jusqu’au sommet, qu’une masse de rochers d’où l’on apercevait, par delà les allées d’arbres, la ville d’Éphèse et la mer avec ses îles nombreuses. (…) La maison de Marie était carrée, la partie postérieure seule était arrondie ; les fenêtres étaient pratiquées au haut des murs et le toit était plat. Elle était divisée en deux parties par le foyer, placé au centre… » Anne-Catherine Emmerick, Visions, Tequi, s.d., pp. 486-487
Un pèlerinage islamo-chrétien
La Maison de la Vierge, à Éphèse, en tant que sanctuaire, est le lieu d’une rencontre exceptionnelle entre les chrétiens et les musulmans, « où les Catholiques célèbrent la messe, tandis que les Musulmans prient dans la chambre adjacente ; les divers ex-votos montrent que la Vierge accorde des miracles aux uns comme aux autres » (Frithjof Schuon, L’ésotérisme comme principe et comme voie, Dervy, 1997, p.204, n.5). Mais aussi, de manière symbolique, elle préfigure l’unanimité de tous les Ahl al-Kitab, de tous les Gens du Livre : à Jérusalem, cette fois. C’est ainsi que Frithjof Schuon écrira : « Mère de tous les prophètes et matrice de toutes les formes sacrées, elle [ la Vierge Marie ] a sa place d’honneur dans l’Islam tout en appartenant a priori au Christianisme ; de ce fait, elle constitue une sorte de lien entre les deux religions, lesquelles ont ceci en commun qu’elles entendent universaliser le monothéisme d’Israël » (Frithjof Schuon, Christianisme / Islam, Arché, Milano, 1985, p.103). Et Louis Massignon, en 1961, dans la revue Notre-Dame d’Éphèse : « Éphèse doit devenir, avant le rassemblement final à Jérusalem, pour tous les groupes chrétiens et musulmans, le lieu de la réconciliation en « Hazrat Meryem Ana » (Notre Mère, en turc), en attendant qu’Israël la reconnaisse enfin comme la gloire de Sion, rejoigne cette unanimité tant désirée » (Cité par Christian Destremau & Jean Moncelon, Louis Massignon, une biographie, op. cit., p.330)
PAPE BENOÎT XVI EN TURQUIE – MESSE AU SANCTUAIRE « MERYEM ANA EVÌ »
2 mars, 2015VOYAGE APOSTOLIQUE DU PAPE BENOÎT XVI EN TURQUIE
(28 NOVEMBRE – 1er DÉCEMBRE 2006)
MESSE AU SANCTUAIRE « MERYEM ANA EVÌ »
HOMÉLIE DU SAINT-PÈRE
Ephèse, Mercredi 29 novembre 2006
Chers frères et soeurs,
Au cours de cette célébration eucharistique, nous voulons rendre grâce au Seigneur pour la maternité divine de Marie, un mystère qui fut ici, à Ephèse, lors du Concile oecuménique de 431, solennellement confessé et proclamé. En ce lieu, l’un des plus chers à la Communauté chrétienne, sont venus en pèlerinage mes vénérés prédécesseurs, les Serviteurs de Dieu Paul VI et Jean-Paul II, qui s’arrêta dans ce Sanctuaire le 30 novembre 1979, un peu plus d’un an après le début de son Pontificat. Mais il y a un autre de mes Prédécesseurs qui s’est rendu dans ce pays non pas en tant que Pape, mais comme Représentant pontifical, de janvier 1935 à décembre 1944, et dont le souvenir suscite encore une grande dévotion et sympathie: le bienheureux Jean XXIII, Angelo Roncalli. Il nourrissait une grande estime et admiration pour le peuple turc. A cet égard, j’ai plaisir à rappeler une expression que l’on peut lire dans son Journal de l’âme: « J’aime les Turcs, j’apprécie les qualités naturelles de ce peuple qui a également toute sa place dans la marche de la civilisation » (n. 741). En outre, il a laissé en don à l’Eglise et au monde une attitude spirituelle d’optimisme chrétien, fondé sur une foi profonde et une union constante avec Dieu. Animé par cet esprit, je m’adresse à cette nation et, de manière particulière, au « petit troupeau » du Christ qui vit au milieu de celle-ci, pour l’encourager et lui manifester l’affection de l’Eglise tout entière. Je salue avec une grande affection vous tous, qui êtes ici présents, fidèles d’Izmir, de Mersin, d’Iskenderun et d’Antakya, et ceux qui sont venus de diverses parties du monde; ainsi que ceux qui n’ont pas pu participer à cette célébration, mais qui sont spirituellement unis à nous. Je salue, en particulier, Mgr Ruggero Franceschini, Archevêque d’Izmir; Mgr Giuseppe Bernardini, Archevêque émérite d’Izmir; Mgr Luigi Padovese, les prêtres et les religieuses. Je vous remercie de votre présence, de votre témoignage et de votre service à l’Eglise, sur cette terre bénie où, aux origines, la communauté chrétienne a connu de grands développements, ainsi que l’attestent également les nombreux pèlerinages qui se rendent en Turquie.
Mère de Dieu – Mère de l’Eglise
Nous avons écouté le passage de l’Evangile de Jean qui invite à contempler le moment de la Rédemption, lorsque Marie, unie au Fils dans l’offrande du Sacrifice, étendit sa maternité à tous les hommes et, en particulier, aux disciples de Jésus. Le témoin privilégié de cet événement est l’auteur du quatrième Evangile lui-même, Jean, le seul des Apôtres qui resta sur le Golgotha avec la Mère de Jésus et les autres femmes. La maternité de Marie, qui commença avec le fiat de Nazareth, s’accomplit sous la Croix. S’il est vrai – comme l’observe saint Anselme – qu’ »à partir du moment du fiat, Marie commença à nous porter tous dans son sein », la vocation et la mission maternelle de la Vierge à l’égard des croyants en Christ commença de manière effective lorsque Jésus lui dit: « Femme, voici ton fils! » (Jn 19, 26). En voyant sa Mère du haut de la Croix et le disciple bien-aimé à ses côtés, le Christ mourant reconnut les prémisses de la nouvelle Famille qu’il était venu former dans le monde, le germe de l’Eglise et de la nouvelle humanité. C’est pourquoi il s’adressa à Marie en l’appelant « femme » et non « mère »; un terme qu’il utilisa en revanche en la confiant au disciple: « Voici ta mère! » (Jn 19, 27). Le Fils de Dieu accomplit ainsi sa mission: né de la Vierge pour partager en tout, hormis le péché, notre condition humaine, au moment de son retour au Père, il laissa dans le monde le sacrement de l’unité du genre humain (cf. Const. Lumen gentium, n. 1): la Famille « rassemblée par l’unité du Père et du Fils et de l’Esprit Saint » (Saint Cyprien, De Orat. Dom. 23: PL 4, 536), dont le noyau primordial est précisément ce lien nouveau entre la Mère et le disciple. Ainsi, la maternité divine et la maternité ecclésiale demeurent soudées de manière indissoluble.
Mère de Dieu – Mère de l’unité
La première Lecture nous a présenté ce que l’on peut définir comme l’ »évangile » de l’Apôtre des nations: tous, même les païens, sont appelés en Christ à participer pleinement au mystère du salut. Le texte contient en particulier l’expression que j’ai choisie comme devise de mon voyage apostolique: « Le Christ, qui est notre paix » (Ep 2, 14). Inspiré par l’Esprit Saint, Paul affirme non seulement que Jésus Christ nous a apporté la paix, mais qu’il « est » notre paix. Et il justifie cette affirmation en se référant au mystère de la Croix: en versant « son sang » – dit-il -, en offrant « sa chair » en sacrifice, Jésus a détruit l’inimitié « en lui-même » et il a créé « en sa personne les deux en un seul Homme Nouveau » (Ep 2, 14-16). L’Apôtre explique dans quel sens, vraiment imprévisible, la paix messianique a été réalisée en la Personne même du Christ et de son mystère salvifique. Il l’explique en écrivant, alors qu’il est emprisonné, à la communauté chrétienne qui habitait ici, à Ephèse: « au peuple saint qui est à Ephèse, fidèles dans le Christ Jésus » (cf. Ep 1, 1), comme il l’affirme dans l’adresse de la Lettre. L’Apôtre leur souhaite « que la grâce et la paix soient avec vous de la part de Dieu notre Père et de Jésus Christ le Seigneur » (Ep 1, 2). La « grâce » est la force qui transforme l’homme et le monde: la « paix » est le fruit mûr de cette transformation. Le Christ est la grâce; le Christ est la paix. Or, Paul sait qu’il est envoyé pour annoncer un « mystère », c’est-à-dire un dessein divin qui, uniquement dans la plénitude des temps, dans le Christ, s’est réalisé et révélé: c’est-à-dire que « les païens sont associés au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Evangile » (Ep 3, 6). Ce « mystère » se réalise, sur le plan historique et salvifique, dans l’Eglise, ce Peuple nouveau dans lequel, une fois abattu le vieux mur de division, se retrouvent unis les juifs et les païens. Comme le Christ, l’Eglise n’est pas seulement un instrument de l’unité, mais elle en est également le signe efficace. Et la Vierge Marie, Mère du Christ et de l’Eglise, est la Mère de ce mystère d’unité que le Christ et l’Eglise représentent et construisent inséparablement dans le monde et au cours de l’histoire.
Demandons la paix pour Jérusalem et le monde entier
L’Apôtre des nations remarque que le Christ « des deux, [il] a fait un seul peuple » (Ep 2, 14): une affirmation qui se réfère au sens propre à la relation entre les juifs et les païens en ce qui concerne le mystère du salut éternel; une affirmation qui peut cependant également s’étendre, sur le plan de l’analogie, aux relations entre les peuples et les civilisations présentes dans le monde. Le Christ « est venu annoncer la paix » (Ep 2, 17) non seulement parmi les juifs et les non juifs, mais entre toutes les nations, car tous proviennent du même Dieu, unique Créateur et Seigneur de l’univers. Réconfortés par la Parole de Dieu, d’ici, d’Ephèse, ville bénie par la présence de la Très Sainte Vierge Marie – que nous savons également aimée et vénérée par les musulmans – nous élevons au Seigneur une prière spéciale pour la paix entre les peuples. De cette partie de la péninsule d’Anatolie, pont naturel entre les continents, nous invoquons la paix et la réconciliation, tout d’abord pour ceux qui vivent sur la Terre que nous appelons « sainte », et qui est considérée comme telle par les chrétiens, les juifs et les musulmans: c’est la terre d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, destinée à accueillir un peuple qui deviendra une bénédiction pour toutes les nations (cf. Gn 12, 1-3). Paix pour l’humanité tout entière! Que cette prophétie d’Isaïe puisse se réaliser au plus tôt: « Ils briseront leurs épées pour en faire des socs / et leurs lances pour en faire des serpes. / On ne lèvera plus l’épée nation contre nation, / on n’apprendra plus à faire la guerre » (Is 2, 4). Nous avons tous besoin de cette paix universelle; l’Eglise est appelée à être non seulement l’annonciatrice prophétique de cette paix, mais, plus encore, à en être « le signe et l’instrument ». C’est précisément dans cette perspective de pacification universelle, que devient plus profonde et intense l’aspiration vers la pleine communion et la concorde entre tous les chrétiens. Les fidèles catholiques de divers Rites sont présents à la célébration d’aujourd’hui, et cela constitue un motif de joie et de louange à Dieu. En effet, ces Rites sont l’expression de l’admirable variété dont l’Epouse du Christ est ornée, à condition qu’ils sachent converger vers l’unité et le témoignage commun. C’est dans ce but que l’unité entre les Evêques au sein de la Conférence épiscopale, dans la communion et le partage des efforts pastoraux, doit être exemplaire.
Magnificat
La liturgie d’aujourd’hui nous a fait répéter, comme refrain du Psaume responsorial, le cantique de louange que la Vierge de Nazareth proclama lors de la rencontre avec sa parente âgée Elisabeth (cf. Lc 1, 39). Les paroles du Psalmiste ont également retenti de manière réconfortante dans nos coeurs: « Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent » (Ps 84, v. 11). Chers frères et soeurs, à travers cette visite, j’ai voulu faire ressentir mon amour et ma proximité spirituelle, ainsi que celle de l’Eglise universelle, à la communauté chrétienne qui ici, en Turquie, est véritablement une petite minorité et qui affronte chaque jour de nombreux défis et difficultés. C’est avec une profonde confiance que nous chantons, avec Marie, le « Magnificat » de la louange et de l’action de grâce à Dieu, qui s’est penché sur l’humilité de sa servante (cf. Lc 1, 47-48). Nous le chantons avec joie, même lorsque nous sommes éprouvés par les difficultés et les dangers, comme l’atteste le beau témoignage du prêtre romain Dom Andrea Santoro, que j’ai plaisir à rappeler au cours de cette célébration. Marie nous enseigne que la source de notre joie et notre unique soutien solide est le Christ, et elle nous répète ses paroles: « N’ayez pas peur » (Mc 6, 50), « Je suis avec vous » (Mt 28, 20). Et toi, Mère de l’Eglise, accompagne toujours notre chemin! Sainte Marie, Mère de Dieu, prie pour nous! Aziz Meryem Mesih’in Annesi bizim için Dua et ». Amen.