Archive pour mars, 2015
BENOÎT XVI – (la prière dans les Actes des Apôtres)
9 mars, 2015http://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/audiences/2012/documents/hf_ben-xvi_aud_20120314.html
BENOÎT XVI – (la prière dans les Actes des Apôtres)
AUDIENCE GÉNÉRALE
Place Saint-Pierre
Mercredi 14 mars 2012
Chers frères et sœurs,
Avec la catéchèse d’aujourd’hui, je voudrais commencer à parler de la prière dans les Actes des Apôtres et dans les Lettres de saint Paul. Saint Luc nous a remis, comme nous le savons, l’un des quatre Evangiles, consacré à la vie terrestre de Jésus, mais il nous a également laissé ce qui a été défini comme le premier livre sur l’histoire de l’Eglise, c’est-à-dire les Actes des Apôtres. Dans ces deux livres, l’un des éléments récurrents est précisément la prière, de celle de Jésus à celle de Marie, des disciples, des femmes et de la communauté chrétienne. Le chemin initial de l’Eglise est rythmé avant tout par l’action de l’Esprit Saint, qui transforme les Apôtres en témoins du Ressuscité jusqu’à l’effusion de sang, et par la rapide diffusion de la Parole de Dieu vers l’Orient et l’Occident. Toutefois, avant que l’annonce de l’Evangile ne se diffuse, Luc rapporte l’épisode de l’Ascension du Ressuscité (cf. Ac 1, 6-9). Le Seigneur remet aux disciples le programme de leur existence vouée à l’évangélisation et dit : « Vous allez recevoir une force, celle du Saint-Esprit, qui viendra sur vous. Alors vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre » (Ac 1, 8). A Jérusalem, les apôtres, demeurés au nombre de Onze après la trahison de Judas Iscariote, sont réunis dans la maison pour prier, et c’est précisément dans la prière qu’ils attendent le don promis par le Christ Ressuscité, l’Esprit Saint.
Dans ce contexte d’attente, situé entre l’Ascension et la Pentecôte, saint Luc mentionne pour la dernière fois Marie, la Mère de Jésus, et sa famille (v. 14). Il a consacré à Marie les débuts de son Evangile, de l’annonce de l’Ange à la naissance et à l’enfance du Fils de Dieu fait homme. Avec Marie commence la vie terrestre de Jésus et avec Marie commencent également les premiers pas de l’Eglise ; dans les deux moments, le climat est celui de l’écoute de Dieu, du recueillement. C’est pourquoi je voudrais m’arrêter aujourd’hui sur cette présence orante de la Vierge dans le groupe des disciples qui seront la première Eglise naissante. Marie a suivi avec discrétion tout le chemin de son Fils au cours de sa vie publique jusqu’aux pieds de la croix, et elle continue à présent de suivre, avec une prière silencieuse, le chemin de l’Eglise. Lors de l’Annonciation, dans la maison de Nazareth, Marie reçoit l’Ange de Dieu, elle est attentive à ses paroles, elle les accueille et répond au projet divin, en manifestant sa pleine disponibilité : « Voici la servante du Seigneur; que tout se passe pour moi selon ta volonté » (cf. Lc 1, 38). Marie, précisément en raison de l’attitude intérieure d’écoute, est capable de lire son histoire, en reconnaissant avec humilité que c’est le Seigneur qui agit. En rendant visite à sa parente Elisabeth, Elle se lance dans une prière de louange et de joie, de célébration de la grâce divine, qui a empli son cœur et sa vie, en faisant d’elle la Mère du Seigneur (cf. Lc 1, 46-55). Louange, action de grâce, joie: dans le cantique du Magnificat, Marie ne regarde pas seulement ce que Dieu a opéré en Elle, mais également ce qu’il a accompli et accomplit continuellement dans l’histoire. Saint Ambroise, dans un célèbre commentaire au Magnificat, invite à avoir le même esprit dans la prière et écrit : « Qu’en tous réside l’âme de Marie pour glorifier le Seigneur ; qu’en tous réside l’esprit de Marie pour exulter en Dieu » (Expositio Evangelii secundum Lucam, 2, 26 : PL 15, 1561).
Elle est aussi présente au Cénacle, à Jérusalem, dans « la chambre haute où se tenaient habituellement » les disciples de Jésus (cf. Ac 1, 13), dans un climat d’écoute et de prière, avant que ne s’ouvrent les portes et que ces derniers ne commencent à annoncer le Christ Seigneur à tous les peuples, enseignant à observer tout ce qu’Il avait commandé (cf. Mt 28, 19-20). Les étapes du chemin de Marie, de la maison de Nazareth à celle de Jérusalem, à travers la Croix où son Fils lui confie l’apôtre Jean, sont marquées par la capacité de conserver un climat de recueillement persévérant, pour méditer chaque événement dans le silence de son cœur, devant Dieu (cf. Lc 2, 19-51) et, dans la méditation devant Dieu, de comprendre également la volonté de Dieu et devenir capables de l’accepter intérieurement. La présence de la Mère de Dieu avec les Onze, après l’Ascension, n’est donc pas une simple annotation historique d’une chose du passé, mais elle prend une signification d’une grande valeur, parce qu’Elle partage avec eux ce qu’il y a de plus précieux : la mémoire vivante de Jésus, dans la prière ; elle partage cette mission de Jésus: conserver la mémoire de Jésus et conserver ainsi sa présence.
La dernière mention de Marie dans les deux écrits de saint Luc se situe le jour du samedi : le jour du repos de Dieu après la Création, le jour du silence après la mort de Jésus et de l’attente de sa Résurrection. Et c’est sur cet épisode que s’enracine la tradition de la sainte Vierge au samedi. Entre l’Ascension du Ressuscité et la première Pentecôte chrétienne, les apôtres et l’Eglise se rassemblent avec Marie pour attendre avec Elle le don de l’Esprit Saint, sans lequel on ne peut pas devenir des témoins. Elle qui l’a déjà reçu pour engendrer le Verbe incarné, partage avec toute l’Eglise l’attente du même don, pour que dans le cœur de chaque croyant « le Christ soit formé » (cf. Ga 4, 19). S’il n’y a pas d’Eglise sans Pentecôte, il n’y a pas non plus de Pentecôte sans la Mère de Jésus, car Elle a vécu de manière unique ce dont l’Eglise fait l’expérience chaque jour sous l’action de l’Esprit Saint. Saint Chromace d’Aquilée commente ainsi l’annotation des Actes des Apôtres : « L’Eglise se rassembla donc dans la pièce à l’étage supérieur avec Marie, la Mère de Jésus, et avec ses frères. On ne peut donc pas parler d’Eglise si Marie, la Mère du Seigneur, n’est pas présente… L’Eglise du Christ est là où est prêchée l’Incarnation du Christ par la Vierge, et où prêchent les apôtres, qui sont les frères du Seigneur, là on écoute l’Evangile » (Sermo 30, 1 : sc 164, 135).
Le Concile Vatican ii a voulu souligner de manière particulière ce lien qui se manifeste de manière visible dans la prière en commun de Marie et des Apôtres, dans le même lieu, dans l’attente de l’Esprit Saint. La constitution dogmatique Lumen gentium affirme : « Dieu ayant voulu que le mystère du salut des hommes ne se manifestât ouvertement qu’à l’heure où il répandrait l’Esprit promis par le Christ, on voit les Apôtres, avant le jour de Pentecôte, “persévérant d’un même cœur dans la prière avec quelques femmes dont Marie, Mère de Jésus, et avec ses frères” (Ac 1, 14); et l’on voit Marie appelant elle aussi de ses prières le don de l’Esprit qui, à l’Annonciation, l’avait déjà elle-même prise sous son ombre » (n. 59). La place privilégiée de Marie est l’Eglise où elle est « saluée comme un membre suréminent et absolument unique… modèle et exemplaire admirables pour celle-ci dans la foi et dans la charité » (ibid., n. 53).
Vénérer la Mère de Jésus dans l’Eglise signifie alors apprendre d’Elle à être une communauté qui prie : telle est l’une des observations essentielles de la première description de la communauté chrétienne définie dans les Actes des Apôtres (cf. 2, 42). Souvent, la prière est dictée par des situations de difficulté, par des problèmes personnels qui conduisent à s’adresser au Seigneur pour trouver une lumière, un réconfort et une aide. Marie invite à ouvrir les dimensions de la prière, à se tourner vers Dieu non seulement dans le besoin et non seulement pour soi-même, mais de façon unanime, persévérante, fidèle, avec « un seul cœur et une seule âme » (cf. Ac 4, 32).
Chers amis, la vie humaine traverse différentes phases de passage, souvent difficiles et exigeantes, qui exigent des choix imprescriptibles, des renoncements et des sacrifices. La Mère de Jésus a été placée par le Seigneur à des moments décisifs de l’histoire du salut et elle a su répondre toujours avec une pleine disponibilité, fruit d’un lien profond avec Dieu mûri dans la prière assidue et intense. Entre le vendredi de la Passion et le dimanche de la Résurrection, c’est à elle qu’a été confié le disciple bien-aimé et avec lui toute la communauté des disciples (cf. Jn 19, 26). Entre l’Ascension et la Pentecôte, elle se trouve avec et dans l’Eglise en prière (cf. Ac 1, 14). Mère de Dieu et Mère de l’Eglise, Marie exerce cette maternité jusqu’à la fin de l’histoire. Confions-lui chaque étape de notre existence personnelle et ecclésiale, à commencer par celle de notre départ final. Marie nous enseigne la nécessité de la prière et nous indique que ce n’est qu’à travers un lien constant, intime, plein d’amour avec son Fils que nous pouvons sortir de « notre maison », de nous-mêmes, avec courage, pour atteindre les confins du monde et annoncer partout le Seigneur Jésus, Sauveur du monde. Merci.
LES FEMMES DE LA BIBLE PORTENT L’INTUITION DE DIEU
9 mars, 2015LES FEMMES DE LA BIBLE PORTENT L’INTUITION DE DIEU
Voici mis en lumière quelques beaux portraits de ces femmes extraordinaires qui sont citées dans la Bible. On dit que la Bible est rude avec les femmes. Le jugement est trop dur.
Clair-obscur
Dans une société où la femme avait peu de droit pour beaucoup de devoirs, la Bible a sculpté des portraits d’exception, avec cette intuition majeure : magnifiques, tenaces, parfois fourbes ou astucieuses, ces femmes sont souvent étonnamment ajustées au projet de Dieu. Elles veillent sur lui comme sur un nouveau né, elles ouvrent large l’espace de Dieu au pays des hommes.
Les femmes de la Bible portent l’intuition de Dieu (1)
Ouvrant ces portraits, il faut bien parler d’ Eve! Beaucoup, pour parler d’elle, ont des mots au parfum de pomme acide. Eve ne mérite peut-être pas tout cela. Quand elle apparaît, ils sont deux à chercher tant bien que mal les chemins de Dieu, l’oreille encore si mal affinée à sa voix…
On retiendra qu’Eve est nommée, au terme du récit de la Genèse, « mère des vivants » (Gn 3). Car c’est toujours de vie que parle la Bible.
La Genèse voit alors défiler de grandes figures, avec lesquelles nous parcourons les premiers sables bibliques, étonnés. Ainsi
Sarah, déjà âgée, rit de ce qu’elle entend de l’étranger qui passe et dans lequel le lecteur reconnaît l’ange de Dieu.
Il parle de naissance alors qu’elle se sent toute sèche, trop vieille pour rouvrir le chapitre des imprévus et de la vie. Elle rit. Et l’enfant qui naîtra d’elle, puisqu’elle enfantera, s’appellera l’enfant du rire, selon le jeu de mots hébreu qui entoure le nom d’Isaac (Gn 18).
Tenaces pour veiller sur la vie
Puis vient Rébecca, qui entre dans l’histoire d’Isaac par la porte du courage et de la fidélité à l’accueil, au respect de l’étranger de passage, à la vie. Elle ne ménage pas sa peine au bord du puits, pour les chameaux de l’étranger qui arrive.
Bien lui en prend, car c’était pour lui le signe attendu. Et il la ramène vers Isaac, son maître, qui désirait une femme prête à un grand rêve, à une histoire où Dieu aurait sa place. Rébecca épouse Isaac.(Gn 24).
Bien sûr on se souvient de sa rouerie quand Jacob devenu vieux et rendu aveugle par l’âge, doit donner sa bénédiction à l’aîné, Esaü. Elle, de ces deux jumeaux terribles, semble préférer Jacob, et l’aide à obtenir la bénédiction paternelle qui échappe à Esaü. Celui-ci pleure de s’être fait ainsi ravir la bénédiction de l’aîné. Ainsi Rébecca aide son fils Jacob, l’assoiffé de bénédiction et de Dieu !…(Gn 27).
Mais traversons ainsi le temps, et voici Myriam, qui aime tellement chanter qu’elle emporte tout le monde dans son chant. Le temps a passé depuis Rébecca. Le peuple a connu la servitude d’Egypte. Et si Myriam entreprend de chanter son étonnement pour Dieu, c’est que le peuple a traversé la mer sous la conduite de Moïse, son frère (Ex 15). Son chant est le premier grand, immense cantique du peuple de la Bible, au Dieu qui fait franchir la mort.
Franchissons les siècles. Et l’on aimerait ne pas oublier Rahab, la prostituée de Jéricho, qui a l’oreille fine à la « parole du Seigneur » (Jos 2) ! Rahab, la merveilleuse païenne qui ouvre ainsi les portes de Jéricho aux envoyés de Dieu, pour que le peuple qu’il aime entre en terre promise.
Ruth a une histoire différente. Elle est du pays de Moab. Elle est étrangère et a épousé un fils du pays de Juda venu par là, mais a connu très vite le veuvage. Par fidélité à sa belle-mère, ou peut-être par amour pour son amour qui n’est plus, elle vient au pays de Juda.
La Bible dit avec gratitude et presque tendresse sa fidélité à la Parole de Dieu ! Parvenue au pays de Juda, elle ira errer en pauvresse sur les champs moissonnés par Booz, pour y glaner. Elle glanera gros, puisque Booz la remarque et la choisit pour en faire sa femme.
D’eux naîtront Jessé et sa lignée, l’arbre de Jessé, l’arbre généalogique de David et… du Messie. La tradition juive chantera la foi de Ruth ? mais de quelle nature est-elle exactement ? devenue ainsi en sa ténacité et sa fidélité, l’ancêtre du Messie.(cf. livre de Ruth).
Et il nous faut aller plus loin vers le Nord, aux confins de la terre du Liban, un siècle plus tard peut-être. Comment ne pas évoquer en effet cette autre figure merveilleuse, de la femme que rencontre le prophète Elie au temps de la sécheresse et de la famine. On ne sait rien d’elle, pas même son nom, juste sa peine, elle que l’on appelle simplement la veuve de Sarepta. Elie lui demande à manger et, alors que ce sont ses dernières ressources avant de mourir, elle et son fils, elle donne son reste de farine et d’huile.
Comme si elle pressentait que l’identité même de Dieu est résurrection, vie plus grande, plus forte que la mort, et qu’avec ce Dieu là au coeur, on peut donner (1 R 17) !
On comprend, à regarder la vie de ces femmes trempées au rythme de Dieu, que les prophètes aient aimé comparer Jérusalem à une femme. Une femme dévoyée quand c’est le péché qui emporte le coeur de Jérusalem. Une veuve dévorée par le chagrin au temps de l’Exil, une femme resplendissante de beauté au temps où Dieu ramène son peuple des terres du mal et de l’Exil.
L’accueil de Dieu sans réserves
Marie, dans le Nouveau Testament, sera cette grâce venue du ciel et habitant au pays des hommes. Une disponibilité intégrale à la Parole, au point qu’en elle la Parole venue de Dieu se fait chair. Et l’humanité passe de façon nouvelle aux saisons de Dieu, ouvrant le temps pour chaque homme, chaque être, d’un enfantement.
D’autres femmes splendides traversent avec discrétion les évangiles, le temps de semer la vie, d’accueillir le pardon, de renaître, d’aimer. On pense à toutes ces Marie dont les visages se sont fondus, au fil de la tradition, avec celui de Madeleine, celle dont on dit tout aujourd’hui, au rythme des films et des romans. Elle a simplement laissé saisir sa vie pour que s’y inscrive, avec le pardon, la résurrection de Jésus.
Il est des êtres de lumière qui éveillent ainsi l’humanité et la sauvent. On reconnaîtra en eux la parole de Dieu, énoncée sans ombre, au coeur de notre histoire.
FENÊTRE AVEC LES SAINTES FÉLICITÉ & PERPÉTUE
6 mars, 20157 MARS – SAINTES FÉLICITÉ & PERPÉTUE, BIOGRAPHIE
6 mars, 2015http://missel.free.fr/Sanctoral/03/07.php
7 MARS – SAINTES FÉLICITÉ & PERPÉTUE
BIOGRAPHIE
Lors de la persécution ordonnée par Septime-Sévère[1], Perpétue et Félicité furent arrêtée à Thuburbo, ville épiscopale de la Proconsulaire (aujourd’hui Tebourba, en Tunisie). Perpétue, âgée de vingt-deux ans, était patricienne ; elle était encore catéchumène et mère d’un tout jeune enfant. Félicité qui était esclave, était enceinte et elle accoucha d’une fille dans la maison. Malgré les supplications de son père qui l’implore de se soumettrez et malgré son angoisse d’avoir à priver son enfant de sa mère, Perpétue demeure ferme jusqu’au bout. Perpétue et Félicité sont martyrisées dans l’amphithéatrum Castrense de Carthage, le 7 mars 303, avec Saturus, Satuminus, Revocatus et Secundulus.
« Le jour se leva, où les martyrs allaient remporter la victoire, et ils sortirent de la prison pour s’avancer vers l’amphithéâtre comme s’ils allaient au ciel. Ils avaient des visages gais et radieux, et s’ils tremblaient, c’était de joie, non de peur. Perpétue, la première, fut frappée par les cornes d’une vache furieuse et tomba à la renverse. Puis elle se releva et voyant que Félicité avait été précipitée sur le sol, elle s’approcha, la prit par la main et l’aida à se redresser. Toutes deux demeurèrent debout. La cruauté du peuple s’apaisa et on les fit sortir par la porte des Vivants. Là, Perpétue fut accueillie par un certain Rustique, alors catéchumène qui était à son service et, comme si elle sortait du sommeil (tellement elle avait été ravie en extase), elle se mit à regarder autour d’elle et dit, à la surprise de tous : ‘ Quand donc serons-nous exposés à cette vache dont on parle ? ’ Et quand elle apprit que cela avait déjà eu lieu, elle ne le crut pas avant d’avoir reconnu sur son corps et sur ses vêtements les marques des coups. Alors, après avoir appelé son frère et ce catéchumène, elle les exhorta ainsi : ‘ Demeurez fermes dans la foi, aimez vous tous les uns les autres, et ne soyez pas ébranlés par nos souffrances ’. De même, Saturus, à une autre porte, s’adressait ainsi au soldat Pudens : ‘Finalement, comme je l’avais pensé et annoncé par avance, je n’ai vraiment rien souffert d’aucune bête jusqu’ici. Et maintenant, crois de tout ton coeur: voici que je vais au-devant du léopard, et par une seule de ses morsures je parviens au but ’. Et aussitôt, à la fin du spectacle, il fut livré à un léopard. A la première morsure, il fut tellement inondé de sang que le peuple, lorsqu’il revint, cria, comme si l’on était aux bains : ‘ Baigne-toi et bonne santé ! Baigne-toi et bonne santé ! ’ Ce cri témoignait qu’il avait reçu le second baptême, celui du sang. Et, certes, après un tel bain, il avait trouvé le salut. Alors il dit au soldat Pudens : ‘ Adieu, garde mon souvenir et garde la foi. Que tout cela, au lieu de t’ébranler, te fortifie ’. En même temps il lui demanda l’anneau qu’il portait au doigt et, après l’avoir plongé dans sa blessure, il le lui remit en héritage, lui laissant cette relique, ce mémorial de son sang. Puis, comme il est inanimé, on le jette avec les autres dans le local où l’on devait les égorger. Mais, comme le peuple les réclamait au milieu de l’arène pour être témoin oculaire de leur mise à mort en voyant l’épée s’enfoncer dans leurs corps, ils se levèrent d’eux-mêmes et se portèrent à l’endroit voulu par le peuple. Mais d’abord ils s’embrassèrent pour achever la célébration de leur martyre par le rite du baiser de paix. Tous reçurent le coup d’épée, immobiles et silencieux; en particulier Saturus qui rendit l’esprit le premier, lui qui était monté le premier à l’échelle de la vision de Perpétue, pour attendre celle-ci. Perpétue, quant à elle, devait faire l’expérience de la douleur: frappée entre les côtes, elle poussa un grand cri ; puis, comme la main du gladiateur débutant hésitait, elle la poussa elle-même sur sa gorge. Sans doute une telle femme ne pouvait-elle être mise à mort autrement, elle qui faisait peur à l’esprit mauvais: il fallait qu’elle-même le veuille ».
De temps immémorial les saintes Félicité et sainte Perpétue (citées au canon de la messe, première prière eucharistique) étaient honorées le 7 mars sous le rite simple ; en 1901, saint Pie X éleva leur fête au rite double et la fixa au 6 mars. Paul VI remit leur fête au 7 mars.
[1] Sous Septime Sévère (193-211), fondateur de la dynastie syrienne, s’annonce pour le christianisme une phase de développement inexorable. Des chrétiens occupent à la cour des positions influentes. Dans la dixième année de règne (202), l’Empereur change radicalement de position : un édit prescrit de graves peines pour ceux qui se convertissent au judaïsme et à la religion chrétienne. On ne peut comprendre le changement soudain de l’empereur que si on pense qu’il s’est rendu compte que les chrétiens s’unissent toujours plus fortement en une société religieuse universelle et organisée, dotée d’une grande capacité intime d’opposition qui, en vertu de la raison d’État, lui semble suspecte. Les dommages les plus importants seront encourus par Alexandrie et les communautés chrétiennes d’Afrique.
COMMENTAIRES DE MARIE NOËLLE THABUT, 8 MARS – LIVRE DE L’EXODE 20, 1 – 17
6 mars, 2015COMMENTAIRES DE MARIE NOËLLE THABUT, 8 MARS
PREMIERE LECTURE – LIVRE DE L’EXODE 20, 1 – 17
Sur le Sinaï,
1 Dieu prononça toutes les paroles que voici :
2 « Je suis le SEIGNEUR ton Dieu,
qui t’ai fait sortir du pays d’Egypte, de la maison d’esclavage.
3 Tu n’auras pas d’autres dieux en face de moi.
4 Tu ne feras aucune idole,
aucune image de ce qui est là-haut dans les cieux,
ou en-bas sur la terre, ou dans les eaux par-dessous la terre.
5 Tu ne te prosterneras pas devant ces dieux,
pour leur rendre un culte.
Car moi, le SEIGNEUR ton Dieu, je suis un Dieu jaloux :
chez ceux qui me haïssent,
je punis la faute des pères sur les fils,
jusqu’à la troisième et la quatrième génération ;
6 mais ceux qui m’aiment et observent mes commandements,
je leur garde ma fidélité jusqu’à la millième génération.
7 Tu n’invoqueras pas en vain le nom du SEIGNEUR ton Dieu,
car le SEIGNEUR ne laissera pas impuni
celui qui invoque en vain son nom.
8 Souviens-toi du jour du sabbat pour le sanctifier.
9 Pendant six jours tu travailleras
et tu feras tout ton ouvrage ;
10 Mais le septième jour est le jour du repos,
sabbat en l’honneur du SEIGNEUR ton Dieu :
tu ne feras aucun ouvrage,
ni toi, ni ton fils, ni ta fille,
ni ton serviteur, ni ta servante, ni tes bêtes,
ni l’immigré qui est dans ta ville.
11 Car en six jours le SEIGNEUR a fait le ciel,
la terre, la mer et tout ce qu’ils contiennent,
mais il s’est reposé le septième jour.
C’est pourquoi le SEIGNEUR a béni le jour du sabbat
et l’a sanctifié.
12 Honore ton père et ta mère, afin d’avoir longue vie
sur la terre que te donne le SEIGNEUR ton Dieu.
13 Tu ne commettras pas de meurtre.
14 Tu ne commettras pas d’adultère.
15 Tu ne commettras pas de vol.
16 Tu ne porteras pas de faux témoignage contre ton prochain.
17 Tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain ;
tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain,
ni son serviteur, ni sa servante,
ni son boeuf, ni son âne : rien de ce qui lui appartient. »
JE SUIS LE SEIGNEUR QUI T’AI FAIT SORTIR D’EGYPTE
Nos frères juifs appellent ce texte « les Dix Paroles », et non pas « les dix commandements », car la première parole n’est pas un commandement. Or elle est la plus importante !
« Je suis le SEIGNEUR ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Egypte, de la maison d’esclavage. » Ce verset constitue le prologue, et les commandements suivent ; c’est ce préambule qui justifie tout le reste, qui donne sens à tout le reste. L’originalité de la Loi en Israël, ce n’est pas son contenu, c’est d’abord son fondement : la libération d’Egypte. Israël sait pour toujours que le Dieu libérateur donne la Loi comme un chemin d’apprentissage de la liberté.
Voici ce que dit le livre du Deutéronome qui est une méditation théologique a posteriori sur les événements de l’Exode et les exigences de l’Alliance avec Dieu : « C’est le SEIGNEUR qui est Dieu, en haut dans le ciel et en bas sur la terre ; il n’y en a pas d’autre. Garde ses lois et ses commandements que je te donne aujourd’hui pour ton bonheur et celui de tes fils après toi, afin que tu prolonges tes jours sur la terre que le SEIGNEUR ton Dieu te donne, tous les jours. » (Dt 4, 39 – 40 ).1
On peut donc lire chacun des commandements comme une entreprise de libération de l’homme, de la part de Dieu, ou si vous préférez, une méthode d’apprentissage de la liberté pour l’homme. C’est le sens, pour commencer de l’interdiction de l’idolâtrie : « Tu n’auras pas d’autres dieux que moi ». Et, tout au long de l’Ancien Testament, les prophètes, les uns après les autres, se feront les champions de la lutte contre toute idolâtrie. Et ils auront bien du mal.
Aujourd’hui encore, ils auraient bien du mal, peut-être ; parce que, finalement, la définition d’une idole, c’est ce qui nous occupe au point de faire de nous ses esclaves : ce peut être une secte, mais aussi l’argent, le sexe, une drogue ou une autre, la télévision, ou toute autre occupation qui finit par remplir le champ de nos pensées au point de nous faire oublier le reste.
« Tu ne feras aucune idole, aucune image de ce qui est là-haut dans les cieux, ou en bas sur la terre, ou dans les eaux par-dessous la terre » : toute image de Dieu est interdite, car toute image serait fausse ; d’autre part, on ne peut posséder Dieu ; Dieu est le Tout-Autre, l’Inaccessible. C’est par pure grâce (gratuitement) qu’il se fait proche de nous.
NE PAS RETOMBER D’UN ESCLAVAGE DANS UN AUTRE
« Tu ne te prosterneras pas devant ces images pour leur rendre un culte. Car moi, le SEIGNEUR, ton Dieu, je suis un Dieu jaloux. » Le vocabulaire employé est un vocabulaire amoureux. C’est donc dire cet amour passionné, exigeant de Dieu qui veut son peuple libre et heureux. Un amour qui ne supporte pas de rivaux : Dieu n’est pas jaloux de nous, mais de notre liberté ; il veut nous préserver de nous engager sur de fausses pistes.
« Chez ceux qui me haïssent, je punis la faute des pères sur les fils jusqu’à la troisième et la quatrième génération ; mais ceux qui m’aiment et observent mes commandements, je leur garde ma fidélité jusqu’à la millième génération » ; dans la mentalité de l’époque, on ne pouvait pas concevoir un Dieu qui ne punirait pas ; mais le texte affirme déjà beaucoup plus fortement la fidélité perpétuelle promise par Dieu à ceux qui sont en train de contracter l’Alliance avec lui.
« Tu n’invoqueras pas en vain le Nom du SEIGNEUR ton Dieu » (verset 7) : Dieu a révélé son Nom à l’homme : c’est-à-dire en langage biblique « Dieu s’est fait connaître à l’homme ». Ce serait monstrueux de tenter d’utiliser ce don merveilleux pour le mal. Et comme Dieu n’a aucun contact avec le mal, ce serait se couper de Dieu, se condamner soi-même. C’est le sens de l’expression : « Car le SEIGNEUR ne laissera pas impuni celui qui invoque en vain son nom ».2
Les premiers commandements concernaient notre relation à Dieu. Viennent ensuite les commandements concernant notre relation à autrui, les parents puis tous les autres. « Honore ton père et ta mère… Tu ne porteras pas de témoignage contre ton prochain… » Car relation à Dieu et relation aux autres sont étroitement liées. Les derniers commandements sont en forme négative : simples balises pour une vie en société ; à nous d’inventer leur traduction concrète, positive, dans le quotidien. Chacun de ces commandements, à sa manière, fait oeuvre de libération pour nous-mêmes et pour les autres. En particulier, il libère notre regard : ne pas convoiter ce qui ne nous appartient pas, est bien l’un des chemins de la liberté intérieure.
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Notes
1 – Le bonheur promis à ceux qui observent la Loi est l’une des grandes insistances du Deutéronome : « Et demain, quand ton fils te demandera : Pourquoi ces exigences, ces lois et ces coutumes que le SEIGNEUR notre Dieu vous a prescrites ? Alors, tu diras à ton fils : Nous étions esclaves du Pharaon en Egypte, mais, d’une main forte, le SEIGNEUR nous a fait sortir d’Egypte… Le SEIGNEUR nous a ordonné de mettre en pratique toutes ces lois et de craindre le SEIGNEUR notre Dieu, pour que nous soyons heureux tous les jours, et qu’il nous garde vivants comme nous le sommes aujourd’hui » (Dt 6, 20…25).
2 – D’après André Chouraqui, ce commandement s’inscrit dans le contexte judiciaire : il s’agit de faux serment prononcé pour se disculper. Au tribunal, les serments étaient toujours prononcés au nom de Dieu : le seul fait d’accepter de prêter serment d’innocence était considéré comme une preuve de non-culpabilité ; eh bien, un coupable qui jurerait (au nom de Dieu) d’être innocent ne peut espérer être acquitté par Dieu.
HOMÉLIE 3E DIMANCHE DE CARÊME
6 mars, 2015http://www.homelies.fr/homelie,,4133.html
3E DIMANCHE DE CARÊME
DIMANCHE 8 MARS 2015
FAMILLE DE SAINT JOSEPH
HOMÉLIE – MESSE
L’évangile nous présente Jésus qui chasse les marchands du Temple de Jérusalem. Jésus ne joue aucun rôle dans la hiérarchie religieuse du Temple et la demande des juifs est naturelle : « Quel signe peux-tu nous donner pour justifier ce que tu fais là ? » N’ayant aucune charge dans le Temple, il devait être accrédité directement par Dieu comme son envoyé à travers un signe.
La réponse de Jésus va donner alors la clef de lecture de l’épisode tout entier : « Détruisez ce Temple, et en trois jours je le relèverai. » Et Jean d’expliquer qu’il était en train de parler de son corps. Le Temple c’est Jésus lui-même, Jésus qui sera crucifié et qui ressuscitera le troisième jour.
Voilà la grande nouveauté : le Temple, le lieu où Dieu se rend présent et où l’homme peut rencontrer Dieu c’est Jésus le crucifié, ressuscité d’entre les morts, vivant à jamais.
Jésus est un Temple totalement pur où il n’y a de place pour aucun marchandage mais où tout est gratuit, pure grâce. Jésus, en fait, que ce soit avec son Père ou avec ses frères, vit la logique du don, de la gratuité et de la liberté de l’amour authentique. Et Jésus aime jusqu’au point le plus extrême, jusqu’à donner sa vie pour ses amis.
Après la résurrection, les disciples, illuminés par l’Esprit Saint, ont compris que la passion de Jésus pour la maison de Dieu s’est exprimée dans sa passion à lui : en souffrant, en mourrant et en ressuscitant, il a construit la nouvelle maison de Dieu, le Temple nouveau et indestructible. Dès lors, tout homme aura accès au Père « en Christ », en étant en lui comme dans un temple. Nous avons ici ce qui constitue l’ossature de toute vie chrétienne que nous trouvons exprimée dans la liturgie eucharistique à travers ces paroles prononcées par le prêtre au moment de l’élévation : « Par Lui (le Christ), avec Lui et en Lui, à toi Dieu le Père tout-puissant, dans l’unité du Saint Esprit… »
Celui qui veut entrer dans le Temple doit entrer en Jésus. Il doit entrer non pas animé par un esprit mercantile, mais par l’esprit de Jésus, l’Esprit de l’Amour gratuit pour le Père et pour ses frères en humanité.
Nous aussi nous avons sans doute à chasser les vendeurs du temple : refuser toutes les formes de religiosité qui sont, plus ou moins ouvertement, des relations de donnant-donnant avec Dieu. Cela est typique des religiosités naturelles où l’on doit sacrifier quelque chose à Dieu pour obtenir en retour ses faveurs. Ce n’est pas alors notre Père céleste que nous adorons mais une idole, adoration qui peut cacher une idolâtrie que nous nous portons à nous-mêmes. Car Dieu est alors instrumentalisé, réduit à un moyen pour atteindre nos fins. C’est ici qu’il nous faut réentendre ces paroles de la première lecture : « Tu ne te feras aucune idole, car moi, le Seigneur ton Dieu, je suis un Dieu jaloux”.
Mais comment tromper le Seigneur qui connaît mieux que nous-mêmes ce qui habite le fond de notre cœur ! La liturgie de ce jour nous invite à lui demander de débarrasser nos cœurs de toute intention de marchandage dans notre relation à son Père et notre Père. En effet, nous devons bien reconnaître combien il nous est difficile de faire le bien gratuitement sans penser avoir des droits sur Dieu et exiger en retour quelques faveurs.
« Seigneur Jésus, viens chasser les marchands qui habitent nos cœurs. Tu nous fais la grâce de nous savoir aimés en toi gratuitement et de pouvoir alors renoncer à nos vains calculs humains – qui ne cessent de renaître en nous sous des formes toujours nouvelles et inattendues – pour entrer dans la liberté de l’amour. Béni sois-tu ! »
Frère Elie
LETTRE DU PAPE JEAN-PAUL II AUX PERSONNES ÂGÉES – 1999
5 mars, 2015LETTRE DU PAPE JEAN-PAUL II AUX PERSONNES ÂGÉES – 1999
A mes frères et sœurs âgés!
Le nombre de nos années? soixante-dix,
quatre-vingts pour les plus vigoureux!
Leur plus grand nombre n’est que peine et misère;
elles s’enfuient, nous nous envolons (Ps 90 [89], 10)
1. Soixante-dix ans était un grand âge à l’époque où le Psalmiste écrivait ces mots, et peu nombreux étaient ceux qui allaient au-delà; aujourd’hui, grâce aux progrès de la médecine et à toutes les améliorations des conditions économiques et sociales, dans beaucoup de régions du monde la durée de la vie s’est considérablement allongée. Il reste toujours vrai, cependant, que les années passent vite; le don de la vie, malgré la peine et la misère qui la marquent, est trop beau et trop précieux pour que nous puissions nous en lasser.
Âgé moi aussi, j’ai ressenti le désir d’engager le dialogue avec vous. Et je le fais avant tout en rendant grâce à Dieu pour les dons et les faveurs qu’il m’a accordés en abondance jusqu’à aujourd’hui. Je revois en pensée les étapes de mon existence, qui s’entremêle avec l’histoire d’une grande partie de ce siècle, et je vois affleurer les visages d’innombrables personnes, dont quelques-unes me sont particulièrement chères: les souvenirs d’événements ordinaires et extraordinaires, souvenirs de moments de joie et d’autres marqués par la souffrance. Mais surtout je vois se tendre la main providentielle et miséricordieuse de Dieu le Père, qui “ prend le plus grand soin de tout ce qui existe ” (1) et qui “ nous écoute, si nous demandons quelque chose selon sa
volonté ” (1 Jn 5, 14). A Lui, je dis comme le Psalmiste: “ Mon Dieu, tu m’as instruit dès ma jeunesse, jusqu’à présent j’ai proclamé tes merveilles. Au jour de la vieillesse et des cheveux blancs, ne m’abandonne pas, ô mon Dieu, et je dirai aux hommes de ce temps ta puissance, à tous ceux qui viendront tes exploits ” (Ps 71 [70], 17-18).
Ma pensée se tourne avec affection vers vous toutes, chères personnes âgées de toutes langues et de toutes cultures. Je vous adresse cette lettre au cours de l’année que l’Organisation des Nations unies a voulu opportunément consacrer aux personnes âgées, pour attirer l’attention de toute la société sur la situation de ceux qui, en raison du poids des ans, doivent souvent affronter de multiples et difficiles problèmes.
Sur ce thème, le Conseil pontifical pour les Laïcs a déjà présenté toute une série de précieuses réflexions.(2) Par la présente lettre, je voudrais seulement vous exprimer ma proximité spirituelle dans l’esprit de celui qui, année après année, sent croître en lui une compréhension toujours plus grande de cette étape de la vie et qui éprouve donc le besoin d’un contact plus immédiat avec ses contemporains, pour s’entretenir de ce qui constitue l’expérience commune, plaçant tout sous le regard de Dieu, qui nous enveloppe de son amour et qui, par sa providence, nous soutient et nous conduit.
2. Chers frères et sœurs, se remémorer le passé pour tenter une sorte de bilan est spontané à notre âge. Ce regard rétrospectif permet d’évaluer plus sereinement et plus objectivement les personnes et les situations rencontrées tout au long du chemin. L’écoulement du temps fait s’évanouir les contours des événements et en adoucit les côtés douloureux. Malheureusement soucis et tribulations sont largement présents dans l’existence de chacun. Il s’agit parfois de problèmes et de souffrances qui mettent à dure épreuve la résistance psychophysique et qui ébranlent peut-être la foi elle-même. Mais l’expérience enseigne que les souffrances quotidiennes elles-mêmes contribuent souvent, avec la grâce du Seigneur, à la maturité des personnes, en trempant leur caractère. Au-delà des événements particuliers, la réflexion qui s’impose le plus est celle qui concerne le temps qui s’écoule inexorablement. “ Le temps fuit et sans retour ”, jugeait déjà le vieux poète latin.(3) L’homme est plongé dans le temps: en lui, il naît, il vit et il meurt. Avec la naissance se trouve fixée une date, la première de sa vie, et, avec la mort, une autre, l’ultime: l’alpha et l’oméga, le commencement et la fin de sa vie terrestre, comme le souligne la tradition chrétienne, en gravant ces lettres de l’alphabet grec sur les pierres tombales.
Mais si fragile et mesurée que soit l’existence de chacun d’entre nous, nous sommes confortés par la pensée que, parce que nous avons une âme spirituelle, nous survivons à la mort elle-même. La foi nous ouvre à “ une espérance qui ne déçoit pas ” (cf. Rm 5, 5), en nous indiquant la perspective de la résurrection finale. Ce n’est pas pour rien que l’Eglise, dans la solennité de la Veillée pascale, fait usage de ces mêmes lettres, en référence au Christ vivant hier, aujourd’hui, et toujours: “ Commencement et fin de toutes choses, Alpha et Oméga; à lui le temps et l’éternité ”.(4) L’aventure humaine, même soumise au temps, est située par le Christ dans la perspective de l’immortalité. Il “ s’est fait homme parmi les hommes, afin de rattacher la fin au commencement, c’est-à-dire l’homme à Dieu ”.(5)
Un siècle complexe vers un avenir plein d’espérance
3. En me tournant vers les personnes âgées, j’ai conscience que je parle à des personnes, et de personnes, qui ont accompli un long parcours (cf. Sg 4, 13). Je parle à des personnes de mon âge; je peux donc facilement chercher une analogie dans ma vie personnelle. Notre vie, chers frères et sœurs, a été inscrite par la Providence dans ce vingtième siècle, qui a reçu du passé un lourd héritage et qui a été le témoin d’événements nombreux et extraordinaires.
Comme tant d’autres époques de l’histoire, la nôtre a enregistré ombres et lumières. Tout n’a pas été sombre. Beaucoup d’aspects positifs y ont contrebalancé le négatif ou en ont émergé comme une bienfaisante réaction de la conscience collective.
Il est vrai cependant — et il serait aussi injuste que dangereux de l’oublier! — qu’il y a eu des souffrances inouïes, qui ont marqué la vie de millions et de millions de personnes. Il suffit de penser aux conflits qui ont explosé sur les divers continents à la suite de contestations territoriales entre Etats ou de haines interethniques. Il faut considérer comme tout aussi graves les conditions d’extrême pauvreté qui affectent des couches entières de la société dans l’hémisphère sud, le phénomène honteux de la discrimination raciale et la violation systématique des droits humains dans de nombreux pays. Et que dire ensuite des grands conflits mondiaux?
Dans la première moitié de ce siècle, il y en eut deux, avec une quantité jamais vue de morts et de destructions. La première guerre mondiale faucha des millions de soldats et de civils, brisant une multitude de vies humaines au sortir de l’adolescence, ou même de l’enfance. Et que dire de la seconde guerre mondiale? Survenue après quelques dizaines d’années de paix relative dans le monde, spécialement en Europe, elle fut plus tragique encore que la précédente, avec de terribles conséquences pour la vie des nations et des continents. Ce fut une guerre totale, une mobilisation inouïe de la haine, qui s’abattit brutalement même sur des populations civiles sans défense et qui détruisit des générations entières. Le tribut payé à la folie meurtrière de la guerre, sur les différents fronts, fut incalculable, comme furent aussi terrifiants les massacres perpétrés dans les camps d’extermination, vrais Golgotha de l’époque contemporaine.
Sur la seconde moitié du siècle a pesé, durant des années, le cauchemar de la guerre froide, autrement dit de l’affrontement entre les deux grands blocs idéologiques opposés, l’Est et l’Ouest, dans une course folle aux armements et sous la menace constante d’une guerre atomique, capable de conduire à l’extinction de l’humanité.(6) Grâce à Dieu, cette page obscure s’est achevée avec la chute des régimes totalitaires oppressifs en Europe; c’est là un fruit de la lutte pacifique qui a fait usage des armes de la vérité et de la justice.(7) Il s’est ainsi engagé un processus de dialogue et de réconciliation, laborieux mais profitable, visant à instaurer une convivialité plus sereine et plus solide entre les peuples.
Mais trop de pays sont encore bien loin de connaître les bienfaits de la paix et de la liberté. C’est une grande inquiétude qu’a suscitée, ces derniers mois, le violent conflit qui a éclaté dans la région des Balkans, qui fut déjà les années précédentes le théâtre d’une terrible guerre d’inspiration ethnique: d’autres sangs ont été versés, d’autres destructions ont eu lieu, d’autres haines ont été alimentées. Maintenant que finalement la fureur des armes s’est apaisée, on commence à penser à la
reconstruction, dans la perspective du nouveau millénaire. Mais en attendant, continuent d’éclater, sur d’autres continents, de multiples foyers de guerre, parfois avec des massacres et des violences trop vite oubliés par la presse.
4. Si ces souvenirs et cette actualité douloureuse nous attristent, nous ne pouvons oublier que notre siècle a vu se lever à l’horizon de nombreux signes positifs, qui constituent autant de motifs d’espérance pour le troisième millénaire. Ainsi on a vu croître — malgré bien des contradictions, spécialement quant au respect de la vie de tout être humain — la conscience des droits humains universels, proclamés dans des déclarations solennelles qui engagent les peuples.
Dans le cadre des rapports nationaux et internationaux inspirés par la valorisation des identités culturelles et en même temps par le respect des minorités, on a vu également se développer le sens du droit des peuples à se gouverner eux-mêmes. L’écroulement des régimes totalitaires, comme ceux de l’Est de l’Europe, a fait croître la perception universelle de la valeur de la démocratie et du libre marché, sans pour autant supprimer l’immense défi d’avoir à conjuguer liberté et justice sociale.
Il faut également considérer comme un grand don de Dieu le fait que les religions s’efforcent, avec toujours plus de détermination, de nouer un dialogue qui en fait un élément fondamental de paix et d’unité pour le monde.
Et que dire de la croissance, dans la conscience commune, de la reconnaissance de la dignité de la femme? Il y a encore, indubitablement, beaucoup de chemin à parcourir, mais la voie est tracée. Autre motif d’espérance: l’intensification des communications qui, favorisées par la technologie actuelle, permettent de dépasser les frontières traditionnelles, en faisant de nous comme des citoyens du monde.
Un autre domaine de maturation est la nouvelle sensibilité écologique, qui mérite d’être encouragée. Les grands progrès de la médecine et des sciences qui se consacrent au bien-être de l’homme sont aussi des facteurs d’espérance.
Ainsi donc, nous ne manquons pas de motifs pour lesquels nous devons rendre grâce à Dieu. Cette fin de siècle se présente, malgré tout, avec un grand potentiel de paix et de progrès. Des épreuves mêmes par lesquelles notre génération est passée émerge une lumière capable d’éclairer les années de notre vieillesse. Ainsi est confirmé un principe cher à la foi chrétienne: “ Non seulement les tribulations ne détruisent pas l’espérance, mais elles en sont le fondement ”.(8)
Il est alors significatif qu’au moment où le siècle et le millénaire s’achèvent et que pointe déjà l’aube d’une nouvelle saison pour l’humanité, nous nous arrêtions pour méditer sur la réalité de la fuite du temps, non pour nous résigner à un destin inexorable, mais pour donner pleine valeur aux années qu’il nous reste à vivre.
L’automne de la vie
5. Qu’est-ce que la vieillesse? Parfois, on parle d’elle comme de l’automne de la vie — comme le faisait déjà Cicéron (9) —, suivant l’analogie suggérée par les saisons et les phases successives de la nature. Il suffit de regarder la variété du paysage, tout au long de l’année, sur les montagnes ou dans les plaines, dans les champs, les vallées, les bois, sur les arbres et sur les plantes. Il y a une étroite ressemblance entre les biorythmes humains et les cycles de la nature, dont fait partie l’automne.
En même temps toutefois, l’homme se distingue de toutes les autres réalités qui l’environnent parce qu’il est une personne. Façonné à l’image et à la ressemblance de Dieu, il est un sujet conscient et responsable. Et c’est aussi par sa dimension spirituelle qu’il vit la succession de diverses étapes, toutes également fugitives. Saint Éphrem le Syrien aimait comparer la vie aux doigts d’une main, soit pour mettre en évidence que sa durée ne dépasse par un empan, soit pour indiquer que, comme
chacun des doigts, chaque étape de la vie a sa caractéristique, “ les doigts représentant les cinq marches que l’homme gravit successivement ”.(10)
S’il est vrai, donc, que l’enfance et la jeunesse constituent pour l’être humain la période où il se forme, où il vit projeté vers l’avenir et où, prenant conscience de ses potentialités, il bâtit ses projets pour l’âge adulte, en revanche, la vieillesse ne manque pas de certains avantages, car — comme l’observe saint Jérôme —, en atténuant la force des passions, elle “ accroît la sagesse, elle donne des conseils plus avisés ”.(11) En un certain sens, c’est l’époque privilégiée de la sagesse, qui est en général le fruit de l’expérience, parce que “ le temps est un grand maître ”.(12) On connaît la prière du Psalmiste: “ Apprends-nous la vraie mesure de nos jours: que nos cœurs pénètrent la sagesse ” (Ps 90 [89], 12).
Les personnes âgées dans la Sainte Ecriture
6. “ La jeunesse et les cheveux noirs ne sont qu’un souffle ”, observe Qohélet (11, 10). La Bible n’hésite pas à attirer l’attention, parfois avec un franc réalisme, sur la précarité de la vie et sur la fuite inexorable du temps: “ Vanité des vanités, … vanité des vanités, tout est vanité ” (Qo 1, 2): qui ne connaît le sévère avertissement de cet ancien Sage? Nous, les personnes âgées, qui sommes instruites par l’expérience, nous le comprenons fort bien.
Malgré ce réalisme désenchanté, l’Ecriture garde une vision très positive de la valeur de la vie. L’homme reste toujours fait “ à l’image de Dieu ” (cf. Gn 1, 26) et chaque âge a sa beauté et ses tâches. Dans la parole de Dieu, le grand âge est en si grande vénération que la longévité est considérée comme signe de la bienveillance divine (cf. Gn 11, 10-32). Avec Abraham, homme dont on souligne que le grand âge est un privilège, cette bienveillance prend le sens d’une promesse: “ Je ferai de toi un grand peuple et je te bénirai, je magnifierai ton nom et tu deviendras une bénédiction. Je bénirai ceux qui te béniront et je réprouverai ceux qui te maudiront et par toi seront bénies toutes les familles de la terre ” (Gn 12, 2-3). A ses côtés, il y a Sara, femme qui voit vieillir son propre corps, mais qui fait l’expérience, dans les limites d’une chair désormais flétrie, de la puissance de Dieu qui supplée l’insuffisance humaine.
Moïse est un homme âgé lorsque Dieu lui confie la mission de faire sortir d’Egypte le peuple élu. Ce n’est pas durant sa jeunesse mais pendant sa vieillesse qu’il accomplit, sur ordre du Seigneur, les grandes œuvres en faveur d’Israël. Parmi d’autres exemples que nous offrent les personnes âgées, je voudrais citer l’histoire de Tobie, qui s’efforce, avec courage et humilité, d’observer la loi divine, de venir en aide aux nécessiteux, de supporter avec patience la cécité, jusqu’à ce qu’il constate
l’intervention décisive de l’ange de Dieu (cf. Tb 3, 16-17); et il y a encore l’histoire d’Eléazar, dont le martyre témoigne d’une force et d’une générosité peu communes (cf. 2 M 6, 18-31).
7. Rayonnant de la lumière du Christ, le Nouveau Testament compte, lui aussi, d’éloquentes figures de vieillards. L’Evangile de Luc s’ouvre par la présentation de deux époux “ avancés en âge ” (1, 7), Elisabeth et Zacharie, les parents de Jean-Baptiste. La miséricorde du Seigneur (cf. Lc 1, 5-25. 39-79) se tourne vers eux: on annonce à Zacharie, désormais âgé, la naissance d’un fils. C’est lui-même qui le souligne: “ Moi, je suis un vieillard et ma femme est avancée en âge ” (Lc 1, 18). Tandis que Marie vient lui rendre visite, sa vieille cousine Elisabeth, remplie de l’Esprit Saint, s’exclame: “ Bénie es-tu entre les femmes et béni le fruit de ton sein ” (Lc 1, 42) et, à la naissance de Jean-Baptiste, Zacharie entonne l’hymne du Benedictus. Voilà un admirable couple de vieillards, envahi par un profond esprit de prière.
Au Temple de Jérusalem, où ils ont amené Jésus pour l’offrir au Seigneur, ou plutôt, selon la Loi, pour le racheter comme premier-né, Marie et Joseph font la rencontre du vieillard Syméon qui, depuis longtemps, attendait le Messie. Prenant l’Enfant dans ses bras, Syméon bénit Dieu et s’écrie dans le Nunc dimittis: “ Maintenant, ô Maître souverain, tu peux laisser ton serviteur s’en aller en paix… ” (Lc 2, 29).
Près de lui, nous trouvons Anne, une veuve de quatre-vingt-quatre ans qui, fréquentant assidûment le Temple, éprouve à cette occasion la joie de voir Jésus. L’évangéliste note qu’elle “ louait Dieu et parlait de l’enfant à tous ceux qui attendaient la délivrance de Jérusalem ” (Lc 2, 38).
Membre estimé du Sanhédrin, Nicodème est un homme âgé. Il se rend de nuit chez Jésus pour ne pas attirer l’attention. Le divin Maître lui révèle qu’Il est le Fils de Dieu, venu pour sauver le monde (cf. Jn 3, 1-21). Nous retrouverons Nicodème au moment de l’ensevelissement du Christ, lorsque, apportant un mélange de myrrhe et d’aloès, il triomphera de la peur et s’affirmera comme disciple du Crucifié (cf. Jn 19, 38-40). Quels témoignages réconfortants! Ils nous montrent qu’à tout âge le
Seigneur demande à chacun d’apporter ses talents. Le service de l’Evangile n’est pas une question d’âge. Et que dire de Pierre, appelé dans sa vieillesse à témoigner de sa foi par le martyre? Un jour, Jésus lui avait dit: “ Quand tu étais plus jeune, tu mettais toi-même ta ceinture, et tu allais où tu voulais; mais quand tu auras vieilli, tu étendras les mains, et un autre te ceindra et te mènera là où tu ne voudrais pas ” (Jn 21, 18). Ce sont des paroles qui me touchent de près en tant que successeur de Pierre et qui me font éprouver avec force le besoin de tendre les mains vers celles du Christ, par obéissance à son commandement: “ Suis-moi! ” (Jn 21, 19).
8. Comme en une synthèse des témoignages éclatants de vieillards que l’on trouve dans la Bible, le Psaume 92 [91] proclame: “ Le juste grandira comme un palmier, il poussera comme un cèdre du Liban… Vieillissant, il fructifie encore, il garde sa sève et sa verdeur pour annoncer: “Le Seigneur est droit” ” (13. 15-16). Et l’Apôtre Paul, faisant écho au Psalmiste, note dans la lettre à Tite: “ Que les vieillards soient sobres, dignes, pondérés, robustes dans la foi, la charité, la constance. Que, pareillement, les femmes âgées aient le comportement qui sied à des saintes…; qu’elles soient de bon conseil, pour apprendre aux jeunes à aimer leur mari et leurs enfants ” (2, 2-5).
A la lumière de l’enseignement de la Bible et selon son langage, la vieillesse se présente donc comme un “ temps favorable ” à l’achèvement de l’aventure humaine et elle entre dans le dessein de Dieu sur l’homme comme le temps où tout concourt à ce que l’homme puisse mieux saisir le sens de la vie et parvienne à la “ sagesse du cœur ”. “ La vieillesse honorable — remarque le livre de la Sagesse — n’est pas celle que donnent de longs jours, elle ne se mesure pas au nombre des années; c’est cheveux blancs pour les hommes que l’intelligence, c’est un âge avancé qu’une vie sans tache ” (4, 8-9). Elle constitue l’étape définitive de la maturité humaine et elle est l’expression de la bénédiction divine.
Gardiens d’une mémoire collective
9. Dans le passé, on nourrissait un grand respect pour les personnes âgées. Le poète latin Ovide écrivait à ce sujet: “ Grand était jadis le respect qu’inspirait une tête chenue ”.(13) Déjà des siècles auparavant, le poète grec Phocylide donnait ce conseil: “ Respecte les cheveux blancs: ces hommages que tu rends à ton père, rends-les de même au vieux sage ”.(14)
Et de nos jours? Si l’on s’arrête un instant pour analyser la situation actuelle, on constate que chez quelques peuples la vieillesse est estimée et valorisée; chez d’autres, au contraire, elle l’est beaucoup moins à cause d’une mentalité qui prône l’utilité immédiate et la productivité de l’homme. Une telle attitude amène souvent à déprécier ce qu’on appelle le troisième ou le quatrième âge, et les personnes âgées elles-mêmes en viennent à se demander si leur existence est encore utile.
Avec une insistance croissante, on va jusqu’à proposer l’euthanasie pour résoudre les situations difficiles. Malheureusement, ces derniers temps, le concept d’euthanasie a perdu peu à peu, pour beaucoup de gens, la connotation d’horreur qu’elle suscite naturellement lorsqu’on est sensible au respect de la vie. Il peut arriver, il est vrai, que, dans les cas de maladies graves accompagnées de souffrances insupportables, les personnes éprouvées soient poussées à l’exaspération, et leurs proches ou ceux qui sont chargés de les soigner peuvent se sentir enclins, par une compassion mal comprise, à tenir pour raisonnable la solution de la “ mort douce ”. A ce propos, il faut rappeler que la loi morale permet de renoncer à ce qu’on appelle “ acharnement thérapeutique ” (15) et qu’elle réclame seulement les soins qui entrent dans les exigences normales de l’assistance médicale, laquelle est surtout destinée, dans les maladies incurables, à alléger la douleur. Mais toute autre est l’euthanasie, entendue comme provocation directe de la mort! Malgré les intentions et les circonstances, elle demeure un acte intrinsèquement mauvais, une violation de la loi divine, une offense à la dignité de la personne humaine.(16)
10. Il est urgent de se replacer dans la perspective juste qui consiste à considérer la vie dans son ensemble. Et cette perspective juste, c’est l’éternité, dont la vie, dans chacune de ses étapes, est une préparation significative. Le temps de la vieillesse, lui aussi, a son rôle à jouer dans ce processus de maturation progressive de l’être humain en marche vers l’éternité. De cette maturation, tout le groupe social auquel appartient la personne âgée ne pourra que tirer profit.
Les personnes âgées aident à prendre tous les événements d’ici-bas avec plus de sagesse, car les vicissitudes les ont dotées d’expérience et de maturité. Elles sont les gardiennes de la mémoire collective et, pour cette raison, les interprètes privilégiées de l’ensemble de valeurs et d’idéaux communs qui règlent et guident la convivialité sociale. Les exclure, c’est, au nom d’une modernité sans mémoire, refuser le passé où s’enracine le présent. Les personnes âgées, par leur expérience et leur maturité, sont en mesure de proposer aux jeunes des conseils et des enseignements précieux.
Sous cet angle, les aspects fragiles de l’humanité, liés de manière plus visible à la vieillesse, constituent alors un appel à l’interdépendance et à la nécessaire solidarité qui unissent entre elles les générations, parce que chacun a besoin de l’autre et s’enrichit des dons et des charismes de tous.
A cet égard, les réflexions d’un poète qui m’est cher ont une résonance significative: “ Ce n’est pas seulement l’avenir qui est éternel, pas seulement. [...] Oui, le passé appartient aussi à l’éternité: tout ce qui est déjà passé ne reviendra pas tout d’un coup comme il était, [...] il reviendra comme Idée, mais il ne reviendra pas en tant que lui-même ”.(17)
“ Honore ton père et ta mère ”
11. Pourquoi alors ne pas continuer à témoigner envers les personnes âgées du respect que les saines traditions de nombreuses cultures, sur tous les continents, ont mis en valeur? Pour les peuples des régions gagnées à l’influence de la Bible, la référence a été, de tout temps, le commandement du Décalogue “ Honore ton père et ta mère ”; ce devoir est d’ailleurs universellement admis. Sa mise en pratique, totale et cohérente, n’a pas seulement fait jaillir l’amour des enfants pour leurs parents, elle a mis aussi en évidence les liens étroits qui existent entre les générations. Là où le précepte est accueilli et fidèlement observé, les personnes âgées savent qu’elles ne courent pas le risque d’être considérées comme un poids mort ou encombrant.
Au contraire, ce qu’enseigne le commandement, c’est de faire preuve de respect envers ceux qui nous ont précédés et tout ce qu’ils ont fait de bien: “ ton père et ta mère ” indiquent le passé, le lien d’une génération à l’autre, la condition qui rend possible l’existence même d’un peuple. Selon la double rédaction proposée par la Bible (cf. Ex 20, 2-17; Dt 5, 6-21), ce commandement divin occupe la première place dans la seconde Table de la Loi, celle qui concerne les devoirs de l’être humain envers lui-même et envers la société. C’est aussi le seul commandement auquel est associée une promesse: “ Honore ton père et ta mère, afin que se prolongent tes jours sur la terre que te donne Yahvé ton Dieu ” (Ex 20, 12; cf. Dt 5, 16).
12. “ Tu te lèveras devant une tête chenue, tu honoreras la personne du vieillard ” (Lv 19, 32). Honorer les personnes âgées implique un triple devoir à leur égard: les accueillir, les assister et mettre en valeur leurs qualités. Dans beaucoup de milieux, tout cela se pratique presque spontanément, comme par une habitude très ancienne. Ailleurs, en particulier dans les nations les plus évoluées sur le plan économique, c’est un devoir d’opérer une inversion de tendance pour faire en sorte que ceux qui avancent en âge puissent vieillir dans la dignité, sans devoir craindre d’être réduits à ne compter pour rien. Il faut se convaincre qu’il appartient à une civilisation pleinement humaine de respecter et d’aimer les personnes âgées, pour que, malgré l’affaiblissement de leurs forces, elles se sentent partie prenante de la société. Cicéron avait déjà observé que “ le poids de l’âge est plus léger pour qui se sent respecté et aimé de la jeunesse ”.(18)
L’esprit humain, du reste, tout en participant du vieillissement du corps, reste en un sens toujours jeune s’il vit tourné vers l’éternel; de cette éternelle jeunesse, il fait la plus vive des expériences lorsque, au témoignage intérieur de la bonne conscience, s’ajoute l’affection prévenante et reconnaissante des personnes aimées. L’homme alors, comme l’écrit saint Grégoire de Nazianze, “ ne vieillira pas dans son esprit: il acceptera la dissolution comme le moment décidé selon la loi de la liberté humaine. Avec douceur, il passera dans l’au-delà, où il n’y a ni immaturité, ni vieillesse, mais où tous ont la perfection de l’âge spirituel ”.(19)
Nous connaissons tous des exemples éloquents de vieillards d’une jeunesse et d’une vigueur d’esprit surprenantes. Celui qui s’en approche est stimulé par leur conversation et réconforté par leur exemple. Puisse la société valoriser pleinement les personnes âgées, qui, dans certaines régions du monde — je pense en particulier à l’Afrique —, sont estimées à bon droit comme des “ bibliothèques vivantes ” de sagesse, des gardiennes d’un patrimoine inestimable de témoignages humains et spirituels. S’il est vrai que sur le plan physique elles ont en général besoin d’aide, il est tout aussi vrai que, dans leur grand âge, elles peuvent aussi soutenir les jeunes dans leur marche au moment où ils s’ouvrent à leur avenir et en cherchent les voies.
Tandis que je parle des personnes âgées, je ne peux pas ne pas me tourner aussi vers les jeunes pour les inviter à se tenir à leurs côtés. Je vous exhorte, chers jeunes, à le faire avec amour et générosité. Les anciens peuvent vous apporter beaucoup plus que vous ne sauriez l’imaginer. Le livre du Siracide donne cet avertissement à ce sujet: “ Ne néglige pas le discours des vieillards, car eux-mêmes ont appris de leurs pères ” (8, 9); “ tiens-toi dans l’assemblée des vieillards; y a-t-il quelqu’un de sage? attache-toi à lui ” (6, 34); car “ quelle belle chose que la sagesse ” des personnes âgées (25, 5)!
13. Quant à la communauté chrétienne, elle peut recevoir beaucoup de la présence sereine de ceux qui sont avancés en âge. Je pense surtout à l’évangélisation: son efficacité ne dépend pas principalement des résultats de l’action. Dans combien de familles, les petits-enfants reçoivent-ils de leurs grands-parents les premiers rudiments de la foi! Mais il y a bien d’autres domaines où peut s’étendre l’apport bénéfique des personnes âgées. L’Esprit agit comme il veut et où il veut, se servant souvent de voies humaines qui, aux yeux du monde, apparaissent de peu de valeur. Nombreux sont ceux qui trouvent compréhension et réconfort auprès des personnes âgées, seules ou malades, mais capables de redonner courage par un conseil affectueux, par la prière silencieuse, par le témoignage d’une souffrance accueillie dans l’abandon et la patience! C’est vraiment lorsque diminuent leurs énergies et que se réduisent leurs capacités d’agir que nos frères et sœurs âgés deviennent d’autant plus précieux dans le dessein mystérieux de la Providence.
De ce point de vue aussi, et non seulement en raison d’une évidente exigence psychologique des personnes âgées elles-mêmes, le lieu le plus naturel pour vivre la condition de la vieillesse reste le cadre dans lequel elles se sentent “ chez elle ”, parmi les leurs, parmi leurs connaissances et leurs amis, et où elles peuvent rendre encore quelques services. A mesure que, avec l’allongement moyen de la vie, le nombre des personnes âgées augmente, il deviendra toujours plus urgent de promouvoir cette culture d’une vieillesse accueillie et valorisée, et non reléguée au ban de la société. L’idéal serait que les personnes âgées restent en famille, avec la garantie d’aides sociales efficaces pour les nécessités croissantes propres à leur âge ou à la maladie. Toutefois, il y a des cas où les circonstances recommandent ou imposent l’entrée dans une maison de retraite, afin que les
personnes âgées puissent jouir de la compagnie d’autres personnes et profiter d’une assistance spécialisée. Ces institutions sont donc dignes d’éloge et l’expérience montre qu’elles peuvent rendre un service précieux dans la mesure où elles s’inspirent de critères non seulement d’efficacité dans l’organisation, mais aussi d’attention affectueuse. Dans ce domaine, tout est plus facile si les relations établies par les familles, les amis, les communautés paroissiales, avec les résidents âgés sont de nature à les aider à se sentir aimés et encore utiles à la société. Et comment ne pas exprimer ici mon admiration et ma gratitude à toutes les Congrégations religieuses et aux groupes de bénévoles qui se dévouent avec un soin spécial à l’assistance des personnes âgées, surtout des plus pauvres, de celles qui sont abandonnées ou en difficulté?
Chères personnes âgées, vous qui vous trouvez dans des conditions précaires, de santé ou autres, je vous suis proche par le cœur. Quand Dieu permet que nous souffrions de maladie, de solitude ou en raison d’autres motifs liés à notre grand âge, il nous donne toujours la grâce et la force de nous unir avec plus d’amour au sacrifice de son Fils et de participer avec plus d’intensité à son projet de salut. Soyons-en persuadés: il est notre Père, un Père riche d’amour et de miséricorde!
Je pense de manière spéciale à vous, veufs et veuves, qui êtes restés seuls pour parcourir la dernière étape de votre vie; à vous, religieux et religieuses âgés, qui, pendant de longues années, avez servi dans la fidélité la cause du Royaume des Cieux; à vous, chers frères dans le sacerdoce et dans l’épiscopat, qui, atteints par la limite d’âge, avez quitté la responsabilité directe du ministère pastoral. L’Eglise a encore besoin de vous. Elle apprécie les services que vous vous sentez encore en mesure d’accomplir dans de nombreux champs d’apostolat; elle compte sur votre prière continuelle; elle est à l’écoute de vos conseils expérimentés et elle s’enrichit du témoignage évangélique que vous donnez jour après jour.
“ Tu m’apprendras le chemin de la vie
devant ta face, débordement de joie ” (Ps 16 [15], 11)
14. Au fil des années, il est naturel de se familiariser avec la pensée du “ déclin ”. S’il en était autrement, le fait même de voir les rangs s’éclaircir dans nos familles, nos connaissances et nos amis nous le rappellerait: nous nous en rendons compte en plusieurs occasions, par exemple lorsque nous nous retrouvons dans des réunions familiales, dans des rencontres entre amis d’enfance, d’école, d’université, de service militaire, entre confrères de séminaire… La frontière entre la vie et la mort traverse ainsi nos communautés et elle s’approche inexorablement de nous. Si la vie est un pèlerinage vers la patrie céleste, la vieillesse est la période où il est le plus naturel de regarder le seuil de l’éternité.
Et pourtant, nous aussi, les personnes âgées, ce n’est pas sans peine que nous nous résignons à envisager ce passage. En lui en effet, dans la condition humaine marquée par le péché, il y a quelque chose d’obscur qui nécessairement nous attriste et nous fait peur. Comment en serait-il autrement? L’homme a été fait pour la vie, tandis que la mort — comme nous l’explique la Sainte
Ecriture dès ses premières pages (cf. Gn 2-3) — n’était pas prévue dans le projet initial de Dieu, mais elle est survenue à la suite du péché, fruit de “ l’envie du diable ” (Sg 2, 24). On comprend donc pourquoi, devant cette réalité de ténèbres, l’homme réagit et se rebelle. Il est significatif, à ce propos, que Jésus lui-même, “ ayant été éprouvé en toute chose, comme nous, à l’exception du péché ” (He 4, 15), ait connu la peur devant la mort: “ Père, s’il est possible, que cette coupe passe loin de moi ” (Mt 26, 39). Et comment oublier ses larmes sur la tombe de son ami Lazare, alors même qu’il s’apprêtait à le ressusciter (cf. Jn 11, 35)?
Quoique d’un point de vue biologique la mort soit compréhensible par la raison, il n’est pas possible de la vivre de manière “ naturelle ”. Elle est contraire à l’instinct le plus profond de l’homme. Comme le soulignait le Concile, “ c’est en face de la mort que l’énigme de la condition humaine atteint son point culminant. L’homme n’est pas seulement tourmenté par la douleur et la dissolution progressive de son corps, mais plus encore par la peur d’un anéantissement durable ”.(20) Il est certain que la douleur serait inconsolable si la mort était la destruction totale, la fin de tout. C’est pourquoi la mort pousse l’homme à se poser les questions fondamentales sur le sens de la vie: qu’y a-t-il derrière le mur d’ombre de la mort? Celle-ci constitue-t-elle le terme définitif de la vie ou existe-t-il quelque chose au-delà?
15. Depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours, les réponses réductrices n’ont pas manqué dans la culture de l’humanité, réponses qui limitent la vie à notre existence terrestre. Dans l’Ancien Testament lui-même, quelques commentaires au Livre de Qohélet imaginent la vieillesse comme un édifice en démolition et la mort comme sa destruction totale et définitive (cf. 12, 1-7). Mais c’est précisément à la lumière de ces réponses pessimistes que prend toute sa valeur la vue pleine d’espérance qui émane de toute la Révélation et en particulier de l’Evangile: “ Dieu n’est pas le Dieu des morts, mais le Dieu des vivants ” (Lc 20, 38). L’Apôtre Paul atteste que le Dieu qui donne la vie aux morts (cf. Rm 4, 17) donnera aussi la vie à nos corps mortels (cf. ibid. 8, 11). Et Jésus affirme de lui-même: “ Moi, je suis la Résurrection et la vie; qui croit en moi, même s’il meurt, vivra; quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais ” (Jn 11, 25-26).
Le Christ, ayant franchi le seuil de la mort, a révélé qu’au-delà, il y a bien une vie, dans ce “ territoire ” non exploré par l’homme qu’est l’éternité. Il est le premier Témoin de la vie immortelle; en Lui l’espérance de l’homme se révèle comblée d’éternité. “ Si la loi de la mort nous afflige, la promesse de l’immortalité nous apporte la consolation ”.(21) Après ces paroles que la Liturgie offre
aux croyants comme réconfort à l’heure où ils disent un dernier adieu à une personne bien-aimée vient une annonce de l’espérance: “ Pour tous ceux qui croient en toi, Seigneur, la vie n’est pas détruite, elle est transformée; et lorsque prend fin leur séjour sur la terre, ils ont déjà une demeure éternelle dans les cieux ”.(22) Dans le Christ, cette réalité dramatique et bouleversante qu’est la mort est rachetée et transformée, jusqu’à apparaître comme une “ sœur ” qui nous conduit dans les bras du Père.(23)
16. La foi éclaire ainsi le mystère de la mort et elle donne de la sérénité à la vieillesse, qui n’est plus considérée ni vécue comme l’attente passive d’un événement destructeur, mais comme la promesse de parvenir à la pleine maturité. Ce sont des années qu’il faut vivre en s’abandonnant avec foi entre les mains de Dieu le Père et de sa miséricordieuse Providence; c’est une période qu’il faut employer, de façon inventive, à approfondir sa vie spirituelle, en priant plus intensément et en se dévouant à ses frères dans la charité.
Il faut donc louer toutes les initiatives sociales qui permettent aux personnes âgées de continuer à s’entretenir sur les plans physique et intellectuel, et dans leur vie de relations, aussi bien que de se rendre utiles en mettant au service des autres leur temps, leurs capacités et leur expérience. C’est ainsi qu’on garde et qu’on développe le goût de la vie, ce premier don de Dieu. D’autre part, un tel goût de vivre ne va pas à l’encontre du désir d’éternité qui mûrit chez tous ceux qui font une expérience spirituelle profonde, comme le montre bien la vie des saints.
L’Evangile nous remet en mémoire, à ce sujet, les paroles du vieillard Syméon, qui se déclare prêt à mourir, puisqu’il a pu tenir dans ses bras le Messie qu’il attendait: “ Maintenant, ô Maître souverain, tu peux laisser ton serviteur s’en aller en paix selon ta parole; car mes yeux ont vu ton salut ” (Lc 2, 29-30). L’Apôtre Paul a le sentiment d’être comme écartelé entre le désir de continuer à vivre pour annoncer l’Evangile et le désir “ d’être libéré du corps pour être avec le Christ ” (Ph 1, 23). Tandis que saint Ignace d’Antioche s’en allait tout joyeux subir le martyre, il affirmait qu’il entendait dans son cœur la voix du Saint-Esprit, comme une “ eau ” vive jaillissant intérieurement et lui murmurant l’invitation: “ Viens vers le Père ”.(24) On pourrait multiplier les exemples. Ceux-ci ne jettent aucune ombre sur la valeur de la vie terrestre, qui est belle malgré ses limites et ses souffrances, et
qui doit être vécue jusqu’au bout. Mais ils nous rappellent qu’elle n’est pas la valeur dernière, que, selon la vision chrétienne, ce déclin de l’existence apparaît comme un “ passage ”, comme un pont jeté de la vie à la vie, entre la joie fragile et incertaine de cette terre et la joie pleine et entière que le Seigneur réserve à ses serviteurs fidèles: “ Entre dans la joie de ton Maître! ” (Mt 25, 21).
Un présage de vie
17. Dans cet esprit, en vous souhaitant, chers frères et sœurs âgées, de vivre sereinement les années que le Seigneur a préparées pour chacun, je me sens poussé, par un désir spontané, à vous faire part en toute sincérité des sentiments qui m’animent en cette dernière étape de ma vie, après plus de vingt ans de ministère sur le Siège de Pierre et dans l’attente du troisième millénaire, désormais à nos portes. Malgré les limitations qui surviennent avec l’âge, je conserve le goût de la vie. J’en rends grâce au Seigneur. Il est beau de pouvoir se dépenser jusqu’à la fin pour la cause du Royaume de Dieu!
En même temps, j’éprouve une grande paix quand je pense au moment où le Seigneur m’appellera: de la vie à la vie! C’est pourquoi monte souvent à mes lèvres, sans aucun sentiment de tristesse, une prière que le prêtre récite après la célébration eucharistique: In hora mortis meæ voca me, et iube me venire ad te – à l’heure de la mort, appelle-moi, et ordonne-moi de venir à toi. C’est la prière de l’espérance chrétienne, qui n’ôte rien à la joie de l’heure présente, tandis qu’elle confie le lendemain à la protection de la divine bonté.
18. “ Iube me venire ad te! ”: c’est là le désir le plus profond du cœur humain, même en celui qui n’en a pas conscience.
Donne-nous, ô Seigneur de la vie, d’en prendre une conscience lucide et de savourer toutes les saisons de notre vie comme un don riche de promesses futures!
Fais-nous accueillir ta volonté avec amour, en nous remettant chaque jour entre tes mains miséricordieuses!
Et lorsque viendra le moment du “ passage ” ultime, accorde-nous de l’affronter avec une âme sereine, sans rien regretter de ce que nous laisserons. Car te rencontrer, après t’avoir cherché longtemps, ce sera retrouver toute valeur authentique expérimentée ici sur la terre, avec tous ceux qui nous ont précédés sous le signe de la foi et de l’espérance.
Et toi, Marie, Mère de l’humanité en marche, prie pour nous “ maintenant et à l’heure de notre mort ”! Tiens-nous toujours étroitement unis à Jésus, ton Fils bien-aimé et notre frère, le Seigneur de la vie et de la gloire!
Amen!
Du Vatican, le 1er octobre 1999.
VISITE À LA MAISON D’ACCUEIL POUR PERSONNES ÂGÉES DE LA COMMUNAUTÉ SANT’EGIDIO À ROME
5 mars, 2015(hier dans son catéchèse, Pape François a parlé des gens âgés, la traduction en français n’est pas encore, en parlant, il a cité une vue à un centre âgé de Pape Benoit, entre temps je vous mets les mots de cette rencontre)
VISITE À LA MAISON D’ACCUEIL POUR PERSONNES ÂGÉES DE LA COMMUNAUTÉ SANT’EGIDIO À ROME
PAROLES DU PAPE BENOÎT XVI
Rome, Lundi 12 novembre 2012
Chers frères et sœurs,
Je suis véritablement heureux d’être avec vous dans cette maison d’accueil de la communauté de Sant’Egidio destinée aux personnes âgées. Je remercie votre président, M. Marco Impagliazzo, pour les paroles cordiales qu’il m’a adressées. Avec lui, je salue M. Andrea Riccardi, fondateur de la communauté. Je remercie de leur présence l’évêque auxiliaire du centre historique, Mgr Matteo Zuppi, le président du Conseil pontifical pour la famille, Mgr Vincenzo Paglia, et tous les amis de la communauté de Sant’Egidio.
Je viens à vous comme évêque de Rome, mais également comme personne âgée parmi les siens. Il est inutile de dire que je connais bien les difficultés, les problèmes et les limites de cet âge, et je sais que ces difficultés, pour de nombreuses personnes, sont aggravées par la crise économique. Parfois, à un certain âge, il arrive de se tourner vers le passé, en regrettant le temps où l’on était jeune, où l’on jouissait d’énergies fraîches, où l’on faisait des projets pour l’avenir. Ainsi, parfois, le regard se voile de tristesse en considérant cette étape de la vie comme le temps du déclin. Ce matin, en m’adressant idéalement à toutes les personnes âgées, tout en étant conscient des difficultés que notre âge comporte, je voudrais vous dire avec une profonde conviction : il est beau d’être âgé ! À chaque âge, il faut savoir découvrir la présence et la bénédiction du Seigneur et les richesses qu’elle contient. Il ne faut jamais se laisser emprisonner par la tristesse ! Nous avons reçu le don d’une longue vie. Il est beau de vivre même à notre âge, malgré quelques « petits ennuis de santé » et quelques limitations. Que sur notre visage apparaisse toujours la joie de se sentir aimés par Dieu, et non pas la tristesse.
Dans la Bible, la longévité est considérée comme une bénédiction de Dieu : aujourd’hui, cette bénédiction s’est diffusée et doit être considérée comme un don à apprécier et à valoriser. Et pourtant souvent, la société, dominée par la logique de l’efficacité et du profit, ne l’accueille pas comme tel ; au contraire, souvent elle le repousse, considérant les personnes âgées comme non productives, inutiles. Tant de fois on sent la souffrance de celui qui est marginalisé, qui vit loin de chez lui ou dans la solitude. Je pense qu’on l’on devrait agir avec un plus grand engagement, en commençant par les familles et les institutions publiques, pour faire en sorte que les personnes âgées puissent rester chez elles. La sagesse de vie dont nous sommes porteurs est une grande richesse. La qualité d’une société, je dirais d’une civilisation, se juge aussi à la façon dont les personnes âgées sont traitées et à la place qui leur est réservée dans la vie commune. Qui fait place aux personnes âgées fait place à la vie ! Qui accueille les personnes âgées accueille la vie !
La communauté de Sant’Egidio, depuis ses débuts, a soutenu le chemin de nombreuses personnes âgées, les aidant à rester dans leur milieu de vie, ouvrant diverses maisons d’accueil à Rome et dans le monde. Au moyen de la solidarité entre jeunes et personnes âgées, elle a aidé à faire comprendre que l’Église est effectivement une famille de toutes les générations, où chacun doit se sentir « chez soi » et où ne règne pas la logique du profit et de la possession, mais celle de la gratuité et de l’amour. Lorsque la vie devient fragile, dans les années de la vieillesse, elle ne perd jamais sa valeur et sa dignité : chacun de nous, à chaque étape de l’existence, est voulu, aimé par Dieu, chacun est important et nécessaire (cf. Homélie lors de la messe inaugurale du ministère pétrinien, 24 avril 2005).
La visite d’aujourd’hui se situe dans le cadre de l’année européenne du vieillissement actif et de la solidarité entre générations. Précisément dans ce contexte, je désire confirmer que les personnes âgées sont une valeur pour la société, surtout pour les jeunes. Il ne peut y avoir de véritable croissance humaine et éducation sans un contact fécond avec les personnes âgées, parce que leur existence elle-même est comme un livre ouvert dans lequel les jeunes générations peuvent trouver de précieuses indications pour le chemin de la vie.
Chers amis, à notre âge, nous faisons souvent l’expérience du besoin de l’aide des autres ; et cela arrive aussi pour le Pape. Dans l’Évangile, nous lisons que Jésus dit à l’apôtre Pierre : « Quand tu étais jeune, tu mettais toi-même ta ceinture, et tu allais où tu voulais ; quand tu auras vieilli, tu étendras les mains, et un autre te ceindra et te mènera où tu ne voudrais pas » (Jn 21, 18). Le Seigneur se référait à la façon dont l’Apôtre témoignerait de sa foi jusqu’au martyre, mais cette phrase nous fait aussi réfléchir sur le fait que le besoin d’aide est une condition de la personne âgée. Je voudrais vous inviter à voir aussi en ceci un don du Seigneur, car c’est une grâce d’être soutenu et accompagné, de sentir l’affection des autres ! Ceci est important à toutes les étapes de la vie : personne ne peut vivre seul et sans aide ; l’être humain est relationnel. Et dans cette maison je vois, avec plaisir, que ceux qui aident et ceux qui sont aidés forment une unique famille, qui a comme sève vitale l’amour.
Chers frères et sœurs âgés, parfois, les journées semblent longues et vides, avec des difficultés, peu d’occupations et de rencontres; ne vous découragez jamais : vous êtes une richesse pour la société, même dans la souffrance et la maladie. Et cette étape de la vie est aussi un don pour approfondir le rapport avec Dieu. L’exemple du bienheureux Jean-Paul II a été et est encore éclairant pour tous. N’oubliez pas que parmi les ressources précieuses que vous avez, il y a la ressource essentielle de la prière : devenez intercesseurs auprès de Dieu, priant avec foi et avec constance. Priez pour l’Église, pour moi aussi, pour les besoins du monde, pour les pauvres, pour qu’il n’y ait plus de violence dans le monde. La prière des personnes âgées peut protéger le monde, en l’aidant peut-être de manière plus incisive que l’agitation de nombreuses personnes. Je voudrais confier aujourd’hui à vos prières le bien de l’Église et la paix dans le monde. Le Pape vous aime et compte sur vous tous ! Sentez-vous aimés de Dieu et sachez apporter dans notre société, souvent si individualiste et portée sur l’efficacité, un rayon de l’amour de Dieu. Et Dieu sera toujours avec vous et avec ceux qui vous soutiennent par leur affection et leur aide.
Je vous confie tous à l’intercession maternelle de la Vierge Marie, qui accompagne toujours notre chemin avec son amour maternel, et je donne volontiers à chacun ma Bénédiction. Merci à tous !