Archive pour le 30 mars, 2015

High Altar of St Mary (detail of the Lamentation) 1477-89, Wood, Church of St. Mary, Cracow

30 mars, 2015

High Altar of St Mary (detail of the Lamentation) 1477-89, Wood, Church of St. Mary, Cracow dans images sacrée 9lament

http://www.wga.hu/html_m/s/stoss/2closed/9lament.html

LE JEUDI SAINT: QUAND A EU LIEU LA DERNIÈRE CÈNE DE JÉSUS ?

30 mars, 2015

http://www.christusrex.org/www1/ofm/easter/Jeudisaint.html

RESURREXIT SICUT DIXIT. ALLELUIA!

LE JEUDI SAINT: QUAND A EU LIEU LA DERNIÈRE CÈNE DE JÉSUS ?

Don Ariel Alvarez Valdés
(Traduit de l’espagnol par C. Bertrand)
La position de S. Jean

Le Jeudi saint, tous les catholiques du monde célèbrent le souvenir de la dernière Cène, au cours de laquelle Jésus institua l’eucharistie, lava les pieds à ses apôtres et nous laissa son commandement de l’amour. Le jour suivant, le vendredi, à 3 h de l’après-midi, il mourait cloué en croix.
Mais quand eut lieu réellement cette Cène? Pour bien poser le problème, il convient de tenir compte d’une façon de concevoir les jours qui est propre aux juifs. Alors que pour nous le jour commence à zéro h, c’est-à-dire à minuit, il commence, pour les juifs, la veille au soir, vers 17 h. Le lundi commence le dimanche soir, le mardi le lundi soir et ainsi de suite.
L’Évangile de S. Jean nous apprend que la fête de la Pâque, durant laquelle Jésus mourut, tomba cette année-là le jour du sabbat (19,31). Cela étant, les juifs devaient consommer l’agneau pascal dans la nuit du vendredi. Mais, comme Jésus savait que le vendredi, à 3 h de l’après-midi, il serait mort et ne pourrait donc pas manger la Pâque avec ses disciples à la date officiellement prévue, il le fit un jour plus tôt, dans la nuit du jeudi. C’est pourquoi S. Jean nous dit que Jésus célébra la dernière Cène « avant la fête de la Pâque » (13,1), c’est-à-dire dans la soirée du jeudi, date qui a été retenue traditionnellement dans notre liturgie.

Le point de vue différent des trois autres
Les trois autres évangélistes, tout en étant d’accord avec Jean pour dire que Jésus mourut un vendredi, à 3 h de l’après-midi (Mt 27,62; Mc 15,42; Lc 23,54), affirment cependant qu’au moment où il célébra la Cène, la fête de la Pâque était déjà en cours.
Ainsi, Matthieu et Marc soutiennent que Jésus et ses disciples se réunirent pour manger la Pâque, « le premier jour des azymes, où l’on immolait l’agneau pascal » (Mt 26,17; Mc 14,12). Et Luc, plus explicite encore, assure que le Seigneur se mit à table, lors de « la fête des azymes, appelée la Pâque » (22,1.7.14.). Le jour des « azymes » était le premier des 7 jours durant lesquels se prolongeait la fête de la Pâque.
Il est donc clair que, pour les trois évangiles synoptiques, Jésus célébra la Cène avec ses apôtres, le jour même de la Pâque. Puis, il fut arrêté et mourut crucifié, le jour suivant, alors que se déroulait la très solennelle fête de la Pâque.

La solution « Qumran »
C’est un problème déjà classique que celui de concilier les points de vue divergents des Évangiles et de vérifier si Jésus célébra sa dernière Cène la nuit même de la Pâque (vendredi), comme l’assurent les Synoptiques, ou le jour précédent (jeudi), comme l’écrit S. Jean. Diverses solutions ont été proposées au long des siècles, mais aucune n’a réussi à convaincre.
Il a fallu attendre la découverte, en 1947, des manuscrits de Qumran. Avec ces manuscrits, il semble bien qu’une nouvelle possibilité ait été offerte de résoudre le problème de manière satisfaisante.
En quoi consistent les manuscrits de Qumran? Ils font partie d’une ancienne bibliothèque du premier siècle avant J.-C., appartenant à une secte juive dite des Esséniens. Parmi les nombreux livres que contenait cette bibliothèque, on en découvrit deux (le Livre des Jubilés et le Livre d’Hénoch) qui révélèrent qu’au temps de Jésus, on se référait non pas à un seul, mais à deux calendriers distincts. L’un, désigné sous le nom de calendrier « solaire », était basé sur le cours du soleil. Il comptait 364 jours et les mois y étaient répartis de façon que les fêtes importantes tombent un mercredi. C’est ainsi que le jour du nouvel an était toujours un mercredi; de même, la fête des Tabernacles et celle de la Pâque.
Pourquoi, dans ce calendrier, l’année commençait-elle toujours un mercredi? Parce que, selon la Genèse, lorsque Dieu créa le monde, ce fut en ce quatrième jour (mercredi) qu’il fit le soleil, la lune et les étoiles, et c’est à partir d’alors que commença le cours du temps.

Le changement de calendrier
Ce calendrier fut en usage chez les juifs, durant de nombreux siècles. En effet, dans les livres de l’Ancien Testament, nous pouvons constater que les dates, les chronologies, la fête de la Pâque (toujours fixée au mercredi) et les autres festivités sont réglées par le calendrier solaire.
Mais, selon la nouvelle hypothèse, deux cents ans avant J.-C., les prêtres du Temple de Jérusalem auraient décidé de changer ce calendrier et d’en adopter un autre, basé à la fois sur le cours du soleil et sur celui de la lune, et appelé de ce fait « lunisolaire ». Ce calendrier était plus exact, vu qu’il comptait 365 jours. Il s’y trouvait cependant une variante: la fête de la Pâque y pouvait figurer n’importe quel jour de la semaine.
Petit à petit, le nouveau calendrier se répandit parmi le peuple. Mais à cette époque il fallait beaucoup de temps aux changements pour s’imposer. C’est ce qui explique le fait que, deux cents ans plus tard, au temps de Jésus, bon nombre de gens continueront de suivre l’ancien calendrier et de célébrer les fêtes aux jours fixés par lui. Même parmi les juifs, certains, tels les Esséniens de Qumran, refusèrent immédiatement d’adopter le nouveau calendrier, estimant qu’il constituait une altération inadmissible de la loi de Moïse. Ils restèrent fidèles à l’observance du calendrier primitif, comme on peut le constater en lisant leur « Manuel de Discipline », trouvé également à Qumran et où il est écrit: « Que l’on ne s’écarte point d’un pas en dehors de ce que dit la Parole de Dieu, concernant ses temps. Que les dates fixées par elle ne soient pas avancées et qu’aucune de ses fêtes ne soit retardée ».

Tous les deux avaient raison
Ainsi donc, du temps de Jésus, deux calendriers étaient en vigueur. L’un, le plus ancien, suivi par les classes populaires, et où le repas de la Pâque était toujours fixé au mercredi (c’est-à-dire à la soirée du mardi). L’autre, adopté par le sacerdoce officiel et par les classes les plus élevées, et où la fête de la Pâque pouvait tomber n’importe quel jour de la semaine. L’année où mourut Jésus, cette fête tomba précisément un samedi.
Cela étant, si nous supposons que Jésus, se référant au calendrier le plus ancien, célébra la dernière Cène avec ses apôtres le mardi soir, c’est-à-dire le jour où les gens du peuple prenaient, eux aussi, le repas pascal, la contradiction qu’on relève dans les Évangiles disparaît automatiquement.
En effet, si Jésus l’a célébrée le mardi, les évangiles synoptiques peuvent affirmer que cet événement a eu lieu « le jour même de Pâque », car ils se réfèrent au calendrier ancien. Quant à S. Jean, qui suit le calendrier officiel, il nous dit que Jésus célébra la Cène « avant la fête de la Pâque ». Les Synoptiques ont raison. S. Jean, également.

Trop peu de temps pour tant d’événements
La nouvelle hypothèse, suivant laquelle Jésus mourut un vendredi, comme l’affirment les quatre Évangiles, mais célébra la Cène le mardi précédent, non seulement élimine les contradictions qu’on relève chez ceux-ci, mais permet de résoudre d’autres difficultés, admises par tous les exégètes.
Une de celles-ci réside dans le nombre d’épisodes vécus par Jésus en si peu de temps. De fait, si la dernière Cène a eu lieu le jeudi et le crucifiement le vendredi après-midi, nous ne disposons que de 18 heures à peine pour y répartir tous les événements de la Passion.
Nous savons en effet qu’après son arrestation au jardin de Gethsémani, Jésus fut conduit chez Anne, l’ex-grand prêtre, dans la demeure duquel se déroula le premier interrogatoire (Jn 18,12). Puis on l’emmena, ligoté, chez Caïphe, le grand prêtre en charge (Jn 18,14). Là il fallut attendre que se réunisse le Sanhédrin, tribunal suprême de justice des juifs, dont faisaient partie tous les grands prêtres, les anciens et les scribes (Mc 14,53). Au cours de cette réunion nocturne, on tenta de trouver de faux témoins qui accuseraient Jésus; ce qui s’avéra laborieux, car les témoignages de ceux qui déposaient contre lui ne concordaient pas (Mc 14,55-59). Ensuite, on lui fit subir toutes sortes de vexations: coups, crachats, railleries (Mc 14,65). Au lever du jour, les 71 membres du Sanhédrin se réunirent pour la seconde fois (Mc 15,1). C’est alors qu’ils auraient décidé de condamner Jésus à mort.

Le long procès romain
Mais les choses ne se terminèrent pas là. après le procès religieux, on traîna Jésus devant Pilate, le gouverneur civil (Lc 23,1); l’entrevue dut être assez longue. Il y eut d’abord, entre le Préfet romain et les Juifs, une rencontre au cours de laquelle ces derniers présentèrent leurs accusations. Vint ensuite un interrogatoire de Jésus, à huis-clos, puis la déclaration d’innocence par Pilate et, à nouveau, des accusations insistantes de la part des juifs.
Afin de se débarrasser de l’accusé, qu’il estimait innocent, Pilate décida de l’envoyer à Hérode Antipas, gouverneur de Galilée, vu que Jésus, en tant que galiléen, relevait de sa juridiction (Lc 23,7). Cette entrevue dut, elle aussi, se prolonger un certain temps: l’Évangile dit, en effet, qu’Hérode posa beaucoup de questions à Jésus (Lc 23,9), avant de le renvoyer finalement à Pilate (Lc 23,11).
Le gouverneur romain se vit alors contraint de convoquer une nouvelle fois les grands prêtres, les magistrats et tout le peuple. Suite à un second entretien avec Jésus, il décida de soumettre à l’avis du peuple la libération éventuelle de celui-ci ou de Barabbas. Entre-temps, sa femme lui envoya un message, l’invitant à ne rien faire contre Jésus, car, durant la nuit, elle avait eu des cauchemars à propos de ce jugement. Mais, face à l’insistance de la foule, il se résolut à libérer Barabbas (Mt 27,11-25). Alors, se succédèrent la flagellation, le couronnement d’épines, les dernières tentatives de Pilate pour libérer Jésus et finalement la sentence et le lent cheminement jusqu’au Calvaire (Mt 27,27-31).

Et tout cela se serait déroulé entre la nuit du jeudi et l’après-midi du vendredi.

La nouvelle répartition
On s’en rend compte, il est absolument impossible de répartir sur si peu de temps tous les faits que nous venons de mentionner. Par contre, si l’on adopte la nouvelle date proposée pour la dernière Cène, tout s’arrange beaucoup mieux, de la manière suivante:
Mardi: dans la soirée, Jésus célèbre la Pâque. Ensuite, il va prier au mont des Oliviers, où il est arrêté. De là, il est conduit chez le grand prêtre.
Mercredi: dans la matinée, a lieu la première session du Sanhédrin, qui procède à l’audition des témoins. La nuit, Jésus la passe dans la prison des juifs.
Jeudi: seconde délibération matinale du Sanhédrin et condamnation à mort de Jésus, que l’on emmène aussitôt chez Pilate. Celui-ci l’interroge puis l’envoie à Hérode. Jésus passe la nuit dans la prison des Romains.
Vendredi: au cours de la matinée, Pilate reçoit Jésus pour la deuxième fois. Après quoi, il le fait flageller et couronner d’épines, puis il prononce la sentence et le livre aux juifs pour être crucifié. A 3 h de l’après-midi, Jésus meurt en croix.
Un jugement conforme à la Loi
La nouvelle hypothèse qui situe la dernière Cène le mardi, présente encore un autre avantage. En nous référant à la Mishna (livre sacré des juifs qui contient la législation complémentaire de l’Ancien Testament), nous pouvons constater que toute une série de lois auraient été violées, si nous nous en tenons à la date traditionnelle.
En effet, la législation juive exigeait que tout jugement se fasse de jour. Si Jésus avait célébré la Pâque le jeudi, il faudrait supposer que le Sanhédrin a siégé durant la nuit. C’eût été illégal. D’ailleurs, il est peu probable que les membres du Sanhédrin et les témoins se soient déjà trouvés réunis, pour siéger à cette heure de la nuit, sans avoir la certitude que Jésus serait appréhendé. Par contre, si la Cène a eu lieu le mardi, on peut présumer que les sessions se déroulèrent dans la matinée du mercredi et du jeudi.
La Mishna défend en outre de condamner à mort un coupable, la veille du Sabbat ou d’une fête. Selon le comput traditionnel, Jésus aurait été condamné à mort par le Sanhédrin, le vendredi matin, veille du sabbat et de la fête de la Pâque. Mais, suivant la nouvelle théorie, cette condamnation aurait eu lieu le jeudi matin, donc un jour et demi avant la Pâque et le sabbat.
La Loi juive défendait enfin de condamner quelqu’un à mort, dans les 24 heures consécutives à son arrestation, afin d’éviter que l’échauffement des esprits n’influence cette décision. Selon la chronologie brève, Jésus fut condamné à mort, quelques heures à peine après son arrestation. Mais selon la chronologie longue, il aurait été arrêté le mardi soir et condamné le vendredi matin, dans le délai prévu par la loi.
Si les juifs condamnèrent Jésus, sous prétexte qu’il avait violé la Loi, il ne paraît guère probable qu’au cours du jugement, ils aient eux-mêmes transgressé d’une manière si grossière cette Loi qu’ils prétendaient défendre.

Le silence des jours
D’autres détails, de moindre importance, deviennent eux aussi plus compréhensibles, si nous situons la dernière Cène, le mardi et la mort de Jésus, le vendredi.
Ainsi, par exemple, les Évangiles font le récit des événements qui ont marqué les derniers jours de Jésus, jusqu’en la soirée du mardi; mais ils ne disent rien de ce qui s’est passé le mercredi et le jeudi. Ce mystérieux silence a donné à penser que Jésus aurait vécu ces jours avec ses apôtres, dans l’intimité. En fait, nous savons maintenant qu’il les vécut en prison, comme une étape de sa longue Passion.

La tradition le confirme
La tradition, enfin, nous apporte une bonne confirmation de cette nouvelle hypothèse concernant la dernière Cène.
En effet, dans l’Église primitive, les chrétiens, on le sait, jeûnaient les mercredis et les vendredis. Cette coutume avait probablement son origine dans une tradition qui considérait le mercredi comme le jour de l’arrestation de Jésus et le vendredi comme le jour de sa mort.
De même, dans un ancien écrit du IIe siècle, appelé Didachè (catéchèse) des Apôtres, nos lisons: « Après avoir mangé la Pâque, le mardi dans la soirée, nous (les apôtres) nous sommes rendus au mont des Oliviers, et c’est au cours de la nuit qu’ils s’emparèrent du Seigneur. Le jour suivant, donc le mercredi, il demeura sous bonne garde dans la maison du grand prêtre… »
L’évêque Victorin de Pettau, mort vers 304, nous a laissé un texte où il dit: « Le Christ fut arrêté le quatrième jour (mardi soir, mercredi pour les juifs). Nous jeûnons le mercredi, en souvenir de sa captivité. Nous jeûnons le vendredi, en souvenir de sa Passion ».
Un autre évêque, Épiphanie de Salamine (Chypre), qui mourut en 403, écrit également: « Le Seigneur fut arrêté alors que commençait le mercredi (mardi soir), et il fut crucifié le vendredi ».
L’hypothèse selon laquelle la dernière Cène eut lieu le mardi soir, repose donc sur une tradition très ancienne, qui remonte au moins au IIIe siècle.

Fidèle jusqu’à la fin
L’Église, se référant à l’Évangile de Jean, a toujours commémoré la dernière Cène le Jeudi saint. Faudra-t-il, tenant compte de la nouvelle hypothèse (mardi), modifier la liturgie de la Semaine sainte? Non, bien sûr! La liturgie, dans l’Église, a une finalité pédagogique et non pas historique. De même que nous célébrons la naissance de Jésus, le 25 décembre, tout en sachant que cette date n’est pas historiquement certaine, nous pouvons continuer à célébrer la Dernière Cène le Jeudi saint, l’essentiel étant ici de tirer un profit spirituel de cette célébration.
La Passion du Christ fut beaucoup plus longue que nous ne le pensons généralement. Elle dura, non pas quelques heures, mais plusieurs jours. Ce qui prouve que sa mort ne fut pas le dénouement brutal de l’effervescence d’une foule excitée et irréfléchie qui, en quelques heures, décida d’en finir avec lui, mais fut la mise à exécution d’un projet prémédité, auquel les autorités juives et romaines, et le peuple tout entier donnèrent leur consentement.
La Passion du Christ apparaît ainsi entourée de circonstances bien plus dramatiques et plus terrifiantes que celles sur lesquelles nous avions coutume de méditer. Elle révèle aussi, avec une plus grande clarté, l’inexorable volonté du Seigneur d’aller jusqu’au bout, malgré les durs tourments qu’on lui infligea durant quatre jours, en vue de briser sa résistance. Jésus ne fut pas fidèle pendant quelques heures seulement, mais pendant tout le temps que dura sa Passion. Nous aussi, qui sommes ses disciples, nous ne pouvons pas nous contenter d’être fidèles, un moment. Nous devons l’être jusqu’au bout.

EN RELISANT LE POÈME DU SERVITEUR SOUFFRANT – ISAÏE 52,13-53,12

30 mars, 2015

http://www.maisondelabible.catho.be/articles/autres3.htm

EN RELISANT LE POÈME DU SERVITEUR SOUFFRANT – ISAÏE 52,13-53,12

1. Le Premier Testament
2. Le fait unique du Christ
3. Les premiers chrétiens
4. Le serviteur souffrant du 4e chant d’Isaïe
5. Le Serviteur soufrant et nous
6. Retour à la case du départ

Dans un gros roman tout en suspens, Pomilio raconte l’histoire d’un officier américain, historien de métier, qui découvre dans une cure allemande abandonnée, qui lui a été dévolue comme logis pendant l’occupation, la mention de l’existence d’un cinquième évangile (1) . Et le voilà parti dans une quête passionnée à laquelle il associe ses étudiants en histoire. Quel est ce cinquième évangile ? Prenons cette question comme fil rouge de notre recherche : « Qui est le Serviteur souffrant en Isaïe 53 ? ». Pour le découvrir, acceptons de faire un détour dans les Ecritures.

1. Le Premier Testament
Revenons au Premier Testament. Il nous raconte une histoire concrète, l’histoire d’un peuple avec ses aventures, ses joies, sa religion, ses malheurs, ses erreurs, ses péchés, ses retours… Mais déjà le texte écrit que nous lisons est un premier décodage. Les auteurs y livrent déjà une première clé de lecture. Les faits sont décrits de manière à exprimer à travers eux qui est Dieu, qui est l’homme pour Lui. L’histoire sainte est donc une parabole théologale de Dieu. C’est une histoire à décoder. C’est l’histoire de « Dieu avec son peuple », « d’Israël avec Dieu ».
Allons plus loin. L’écrit est livré au lecteur, à l’auditeur, l’histoire devient parabole nouvelle. Le texte devient pour le lecteur « sa » parabole, il peut y lire aussi l’histoire-parabole de Dieu avec tous les peuples, l’histoire de Dieu avec lui-même, lecteur, auditeur.

2. Le fait unique du Christ
L’Histoire-parabole, la Bible, est livrée aux lecteurs de tous les temps. S’il est vrai que l’Histoire Sainte est l’histoire d’un peuple, elle est aussi notre histoire personnelle, celle de l’Eglise et celle de chaque peuple. Nous pouvons la comparer à une parabole extrêmement significative. Pourtant dans cette histoire, un fait unique s’est produit. Du moins les chrétiens le perçoivent-ils ainsi, à la manière de st Paul : un homme dévoile une signification plus totale de la parabole, une réalité inouïe, une réalité qui dépasse toutes les espérances germées de l’histoire-parabole : nous pouvons dire que certains passages du Premier Testament sont une parabole en premier lieu de Jésus lui-même. C’est en cela que « s’accomplissent les Ecritures ». Et lorsqu’il nous est demandé de suivre Jésus, nous réalisons un peu nous-mêmes cet accomplissement.
L’évangéliste Luc exprime cette réalité de Jésus dans les récits après la Résurrection : « Et Jésus, en commençant par Moïse et tous les prophètes, leur expliqua dans toutes les Ecritures, ce qui le concernait » (Luc 24,27). Paul de son côté nous dit : « Un voile demeure lorsqu’on lit l’Ancien Testament… Jusqu’à ce jour un voile demeure sur le cœur. C’est seulement quand on se convertit au Seigneur (Christ) que le voile tombe… » (2 Co 3,14-16). Paul ne dit pas « quand on connaît le Christ » mais « quand on se convertit au Christ ». C’est l’engagement de vie suscité par la connaissance du Christ, la rencontre du Christ, qui découvre peu à peu la vérité des Ecritures, « le mystère caché révélé maintenant aux saints apôtres et prophètes » (Eph 3,5).

3. Les premiers chrétiens
Les premiers chrétiens l’avaient bien compris, eux qui, pour découvrir la personne de Jésus, ont recouru aux textes du Premier Testament, particulièrement les psaumes et les prophètes. Des hommes, tels que Moïse et Elie (présents à la transfiguration, disent les évangélistes!), Jérémie ou l’un des prophètes, surgissent déjà dans la pensée des auditeurs de Jésus : « Qu’est-ce que les gens disent de moi ? » demande Jésus. « Il disent que tu es Elie ou Jérémie, ou l’un des prophètes… » (Mt 16,13-14). Plus encore, les psaumes, qui s’adressent à Dieu à travers les souffrances, et Isaïe, présentant le Serviteur souffrant, sont les textes les plus cités par les écrits des premiers chrétiens. Nous comprenons mieux maintenant ce que dit si souvent Matthieu: « Ainsi s’accomplit ce que dit le Seigneur par le prophète… ». Non que les prophètes aient connu par avance la vie de Jésus, comme le croient encore naïvement certains chrétiens, mais parce que leurs paroles étaient paraboles, ‘grosses’ de réalités nouvelles auxquelles elles vont donner le jour, comme la graine mise en terre ne dit encore rien clairement des fruits de l’arbre qui pourtant va germer à partir d’elle. Ce n’est pas pour rien que nombre de paraboles de l’évangile parlent de la semence! Et que tant de textes prophétiques appellent « germe » celui qu’on attend comme sauveur (Is 4,2; 61,11; Jr 23,5; 33,15; Za 3,8; 6,12) et, dans le poème du serviteur souffrant, celui-ci est annoncé comme un « surgeon qui sort d’une terre déssèchée » (Is 53,2). Le psaume 21 et Isaïe 53 sont des textes importants qui ont permis d’appréhender quelque peu le mystère de Jésus, le secret de Dieu et de son dessein d’amour. .

4. Le Serviteur souffrant du 4e chant (Isaïe 52,13-53,12)
Les paroles d’Isaïe permettent-elles vraiment ce transfert de la prophétie sur le Nouveau Testament ? Essayons de le découvrir. Le texte, appelé souvent « le chant du Serviteur souffrant » est le quatrième d’une série de poèmes, repérés au milieu du texte d’Isaïe entre les chapitres 42 et 54. Ces quatre textes ont ceci de particulier qu’ils parlent d’un mystérieux serviteur que Dieu a choisi pour une mission bien particulière.
Qui est ce serviteur ? Déjà, Israël est appelé « mon serviteur » au chapitre 41,8 : « Je t’ai choisi et non rejeté… ». Le texte est destiné à fortifier la confiance d’Israël, à l’assurer de la présence protectrice de Dieu, « Celui qui te rachète, le saint d’Israël », et lui promet le retournement de sa situation misérable. Ces promesses réconfortantes se continuent au chapitre 43,1 ss. Il s’y ajoute une mission de témoignage « mes témoins à moi, c’est vous, parole du Seigneur; mon serviteur, c’est vous que j’ai choisis » (Is 43,10).
D’autre part, en Isaïe 41,25, nous découvrons un autre serviteur de Dieu : « Du Nord, j’ai fait surgir un homme… » Il s’agit de Cyrus sans doute, comme en Isaïe 40,13 : »Qui a indiqué au Seigneur l’homme (qui réalisera) son dessein ? ». Nous retrouvons ce même serviteur en Isaïe 42,9; 46,11; 44,28; 45,1-6… Quelle est la mission de Cyrus ? Dieu lui promet « d’abaisser les nations devant lui, déboucler les ceintures des rois, ouvrir les battants des portes, Dieu lui donne trésors et richesses… à cause de son peuple ». Le prophète dit de lui « qu’il sera un oiseau de proie…  » (Is 46,11).
Tout autre est la figure d’un autre serviteur, surtout dans ces quatre poèmes (Is 42,1-7; 49,1-9; 50,4-9; 52,13-53,12). « Voici mon serviteur que je soutiens… j’ai mis mon esprit sur lui, il fera paraître le jugement parmi les nations. Il ne criera pas, il n’élèvera pas la voix… il ne brisera pas le roseau blessé… je t’ai destiné à être alliance des nations, lumière des peuples… à ouvrir les yeux des aveugles… » (Is 42,1-7). Ce serviteur reçoit une mission de justice, de guérison, une mission universelle pour toutes la nations. Pourtant il connaît des difficultés, des souffrances, il dira même: « C’est en vain que je me suis fatigué, pour du vide, du vent, que j’ai épuisé mon énergie. En fait mon droit m’attendait près du Seigneur » (Is 49,4). Il souffrira, sera persécuté (Is 50,6). Ce serviteur est un disciple, avec une mission prophétique de réconfort, de consolation : « Tu m’as ouvert l’oreille pour que j’écoute comme un disciple pour que je puisse réconforter l’épuisé… » (Is 50,4-5). Mais surtout sa mission se vit à travers le sacrifice de lui-même pour son peuple, dans sa douceur, son silence,- alors qu’il porte le péché de son peuple, – son offrande de lui-même jusqu’à être rejeté, traité comme puni de Dieu, mis à mort sans qu’on se préoccupe de son sort. Mais sa glorification contre toute attente, son intercession pour les pécheurs, en font une figure énigmatique, une parabole qui recèle un secret inconnu. Qui est le mystérieux Serviteur souffrant ? Ce serviteur ne peut pas être le conquérant Cyrus « oiseau de proie ». Est-il le portrait de Jérémie qui a souffert pour la parole de Dieu ? (Jr 20,8; 26,8.; 30,13…). Est-ce le prophète auteur de ces lignes ? Est-ce le peuple Israël tout entier ? On sait maintenant que le « Maître de Justice » de Qûmran, qui avait aussi été persécuté, disait que ces textes parlaient de lui C’est ainsi que le décrit Israël Knohl (2) , un Israélien, dans son livre « Un autre Messie ». Mais il ne semble pas que les docteurs de la Loi du temps de Jésus voyaient en ces textes des promesses prophétiques.
Comme toutes les paraboles, ces textes ne livrent leur secret qu’à ceux qui « écoutent la parole et qui la gardent » dans leur engagement vivant. Comment Jésus n’aurait-il pas entendu ces paroles comme parlant pour lui? Comment les premiers chrétiens n’auraient-ils pas décrypté le mystère du Serviteur et de Jésus l’un par l’autre? Ils le disent clairement, comme dans le récit de Philippe annonçant Jésus à l’eunuque de Candace, à partir du texte d’Isaïe 53 qu’il était en train de lire (Ac 8,26-37). Ou dans la première lettre de Pierre (1 P 2,24) ou encore par les mots qu’ils utilisent, par exemple quand Jean nous dit l »exaltation » de Jésus comme le Serviteur sera exalté (voir aussi Ro 4,25; 2 Co 5,21; Gal 3,13; Eph 2,14-18). En nous décrivant la Passion, les évangélistes font souvent allusion à ce grand poème du Serviteur souffrant ou même le citent (par exemple Mt 26,63; 27,38.60). On trouve aussi dans les évangiles d’autres citations pendant la vie de Jésus; par exemple : « Il a pris nos infirmités et s’est chargé de nos maladies » (Mt 8,17; Is 53,4; voir aussi Mt 12,18-21; Lc 22,37) « Il a été compté parmi les pécheurs » (Mc 15,28; Is 53,12; les références des différentes éditions des bibles actuelles nous renseigneront sur toutes les citations et les allusions). Nous trouvons dans la première lettre de Pierre un texte remarquable qui montre Jésus accomplissant la prophétie d’Isaïe et demandant aux chrétiens de suivre son exemple, d’accomplir eux aussi ce que disait le prophète : « Le Christ lui aussi a souffert pour vous, vous laissant un exemple afin que vous suiviez ses traces : Lui qui n’a pas commis de péché et dans la bouche duquel il ne s’est pas trouvé de tromperie, lui qui insulté ne rendait pas l’insulte, dans sa souffrance ne menaçait pas mais s’en remettait au juste Juge, lui qui, dans son corps, a porté nos péchés sur le bois, afin que morts à nos péchés nous vivions pour la justice, lui dont les meurtrissures nous ont guéris… » (1 P 2,21-24; Is 53,9…). Jésus lui-même semble bien avoir lu son destin à la lumière du poème d’Isaïe. Les annonces de la Passion, si présentes dans les évangiles, nous disent combien Jésus a senti grandir l’opposition autour de lui et s’est résolument présenté à Jérusalem pour un témoignage décisif qui, il le savait, le conduisait à la mort. Quand Jésus se reconnaît dans le Serviteur souffrant, il ne cultive pas le dolorisme. La souffrance du Serviteur lui est infligée par ceux qui le refusent, ceux qui le méprisent, le condamnent et le comptent pour rien. C’est l’amour du Serviteur, sa fidélité jusqu’à la mort, sans répondre à la violence par la violence ou la haine, qui le mène là : « S’il offre sa vie en sacrifice, il verra de longs jours et le dessein de Dieu par lui s’accomplira… Il intercédera pour les pécheurs » (Is 53,10…12). Les disciples ont refusé d’entrer dans cette perspective dangereuse et de l’accepter (voir Mc 8,31-33; 9,30-37; 10,32-45 et //); ce refus a entraîné leur fuite lors de l’arrestation de Jésus. Au moment de sa Passion, Jésus s’est donné à lui-même le nom de Serviteur : « Je suis au milieu de vous comme celui qui sert » (Lc 22,27). Luc met dans la bouche de Jésus après la résurrection: « Ne fallait-il pas que le Fils de l’Homme souffre cela pour entrer dans sa gloire » (Luc 24,26). Le mot de ‘gloire’ rappelle encore le poème d’Isaïe. La Lettre aux Philippiens contient un chant qui semble un décalque du poème d’Isaïe : « Le Christ, qui est de condition divine, n’a pas revendiqué pour lui d’être l’égal de Dieu. Mais il s’est dépouillé prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes et reconnu à son aspect comme un homme, il s’est abaissé devenant obéissant jusqu’à la mort et la mort de la croix. C’est pourquoi Dieu l’a exalté et lui a donné le Nom qui est au dessus de tout nom… » (Ph 2,2-9…).

5. Le Serviteur souffrant et nous
Israël porte le Christ comme une mère porte son enfant sans savoir ce qu’il deviendra. Cet enfant grandit encore en nous « jusqu’à la plénitude de la stature du Christ » (Eph 4,13), à travers nos vies, à travers l’histoire du monde. « Confessant la vérité dans l’amour, nous grandissons à tous égards vers Celui qui est la tête, Christ. Et c’est de lui que le corps tout entier, coordonné et bien uni grâce à toutes les articulations qui le desservent, selon une activité répartie à la mesure de chacun, réalise sa propre croissance pour se construire lui-même dans l’amour » (Eph 4,15-16).
Le poème du Serviteur souffrant est lu intégralement le vendredi saint. Il nous parle de Jésus, éclaire sa passion avec ce grand texte. Mais nous souvenant de la lettre de Pierre et d’autres textes semblables du Nouveau Testament, nous découvrons que la prophétie d’Isaïe devient aussi une parabole de ce qui constitue le cœur de l’être chrétien. Comme Jésus et à notre tour, nous avons à porter notre monde avec tout son mal et son espérance. Bien souvent, les chrétiens, comme le Christ, souffrent le martyre aujourd’hui encore. Mais chacun de nous est invité par Pierre à vivre à l’image du Christ tout simplement dans sa vie  » à ne pas répondre à l’insulte, à ne pas menacer, à ne pas avoir dans notre bouche de la tromperie… ». Comme Paul aussi nous le disait, nous portons en nous la croissance du corps du Christ. Il disait aussi : « Je souffre en ma chair ce qui manque aux souffrances du Christ » (Col 1,24). Le poème de la lettre aux Philippiens est précédé d’un encouragement de Paul à ses correspondants, leur demandant « d’avoir eux et entre eux les sentiments qui ont été ceux du Christ » (Ph 2,1-5).

Retour à la case de départ
Partant de l’interrogation de Pomilio (1) , dans l’introduction : « Quel est le cinquième évangile? », nous nous demandions qui était le Serviteur souffrant. Nous sommes mieux à même de répondre maintenant. Le Serviteur souffrant, annoncé par Isaïe, c’est tout à la fois le peuple d’Israël, le Christ, d’une manière unique, parce qu’il a pénétré mieux que n’importe qui le cœur de ce mystère de solidarité et de salut et « qu’habite en lui toute la plénitude » (Col 2,9). Mais aussi, pour leur part, chacun des Juifs ou des Chrétiens qui se confronte au texte, se laisse interpeller, « écoute la Parole et la garde dans sa vie ».

Nous aimons citer en finale un texte de Steinbeck (3) , dans son livre « Les raisins de la colère » (il s’agit d’un homme qui défendait ses frères au péril de sa vie lors d’une crise terrible aux Etats-Unis où des milliers de paysans ont été chassés de leurs terres par les grandes entreprises agricoles):
« Un homme n’a pas à soi une âme unique, mais seulement un morceau de l’âme du monde… à ce moment-là, tout n’a plus d’importance. Je serai toujours là, partout, dans l’ombre. Partout où il y aura une bagarre pour que les gens puissent avoir à manger, je serai là. Partout où il y aura une police en train de passer un type à tabac quand il défend ses frères, je serai là. Dans les cris des gens qui se mettent en colère parce qu’ils n’ont rien dans le ventre, je serai là… Le comprends-tu ? »

Le ‘service’, demandé au chrétien, n’est pas un acte de bonté qu’il consent à faire, mais une exigence de son être. Disciple du ‘Serviteur’, il devient lui-même ‘serviteur’. Le service, que la plupart d’entre nous accepte volontiers de réaliser comme des actes de partage ou de sollicitude, est avant tout une disposition intérieure, un prolongement de l’amour de Dieu. Invisiblement, cette disposition intérieure change le monde, le regard que nous portons sur lui, la source des relations que nous entretiendrons avec lui. Les divers services extérieurs que nous pouvons rendre nous sollicitent à être dans la vie de tous les jours des êtres de non-violence, fidèles jusqu’à la mort.

Marie-Philippe Schùermans

(1) M. Pomilio, Le cinquième Evangile, trad. de l’italien, prix Napoli 1975, éd. Fayard, Paris, 1977
(2) I. Knohl, L’autre Messie, éd. Albin Michel, Paris 2001
(3) J. Steinbeck, Les raisins de la colère, trad. de l’américain, éd.