Archive pour février, 2015

MESSE, BÉNÉDICTION ET IMPOSITION DES CENDRES, PAPE BENOÎT XVI (2011)

16 février, 2015

http://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/homilies/2011/documents/hf_ben-xvi_hom_20110309_ceneri.html

PROCESSION PÉNITENTIELLE DE L’ÉGLISE SAINT-ANSELME À LA BASILIQUE SAINTE-SABINE SUR L’AVENTIN

MESSE, BÉNÉDICTION ET IMPOSITION DES CENDRES

HOMÉLIE DU PAPE BENOÎT XVI

Basilique Sainte-Sabine

Mercredi des Cendres, 9 mars 2011

Chers frères et sœurs!
Nous entamons aujourd’hui le temps liturgique du carême avec le rite suggestif de l’imposition des cendres, à travers lequel nous voulons prendre l’engagement de convertir notre cœur vers les horizons de la Grâce. En général, dans l’opinion commune, ce temps a parfois une connotation de tristesse, de grisaille de la vie. En revanche, il est un don précieux de Dieu, c’est un temps fort et dense de significations sur le chemin de l’Eglise, c’est l’itinéraire vers la Pâque du Seigneur. Les lectures bibliques de la célébration de ce jour nous offrent des indications pour vivre en plénitude cette expérience spirituelle.
«Revenez à moi de tout votre cœur» (Jl 2,12). Dans la première lecture, tirée du livre du prophète Joël, nous avons entendu ces paroles par lesquelles Dieu invite le peuple juif à une repentance sincère et non de pure forme. Il ne s’agit pas d’une conversion superficielle et passagère, mais bien d’un itinéraire spirituel qui concerne en profondeur les attitudes de la conscience et suppose une intention sincère de repentir. Le prophète s’inspire de la plaie de l’invasion des sauterelles qui s’était abattue sur le peuple en détruisant les récoltes, pour inviter à une pénitence intérieure, à se lacérer le cœur et non les vêtements (cf. 2, 13). Il s’agit donc de mettre en œuvre une attitude de conversion authentique à Dieu — revenir à Lui —, en reconnaissant sa sainteté, sa puissance, sa majesté. Et cette conversion est possible parce que Dieu est riche en miséricorde et grand dans l’amour. Sa miséricorde est régénératrice, elle crée en nous un cœur pur, renouvelle intimement un esprit ferme, en nous restituant la joie du salut (cf. Ps 50, 14). Dieu, en effet, — comme dit le prophète — ne veut pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et vive (cf. Ez 33, 11). Le prophète Joël ordonne, au nom du Seigneur, que se crée une atmosphère pénitentielle propice: il faut sonner du cor, convoquer l’assemblée, réveiller les consciences. Le temps quadragésimal nous propose ce contexte liturgique et pénitentiel, un chemin de quarante jours au cours desquels faire l’expérience de manière concrète de l’amour miséricordieux de Dieu. Aujourd’hui retentit pour nous l’appel «Revenez à moi de tout votre cœur»; aujourd’hui, c’est nous qui sommes appelés à convertir notre cœur à Dieu, toujours conscients de ne pas pouvoir réaliser notre conversion seuls, avec nos forces, parce que c’est Dieu qui nous convertit. Il nous offre encore son pardon, en nous invitant à revenir à Lui pour nous donner un cœur nouveau, purifié du mal qui l’opprime, pour nous faire prendre part à sa joie. Notre monde a besoin d’être converti par Dieu, il a besoin de son pardon, de son amour, il a besoin d’un cœur nouveau.
«Laissez-vous réconcilier avec Dieu» (2 Co 5, 20). Dans la deuxième lecture, saint Paul nous offre un autre élément sur le chemin de la conversion. L’apôtre nous invite à détourner notre regard de lui et à tourner en revanche notre attention sur celui qui l’a envoyé et sur le contenu du message qu’il apporte: «Nous sommes donc les ambassadeurs du Christ, et par nous c’est Dieu lui-même qui, en fait, vous adresse un appel. Au nom du Christ, nous vous le demandons, laissez-vous réconcilier avec Dieu» (ibid.). Un ambassadeur répète ce qu’il a entendu prononcer par son Seigneur et parle avec l’autorité qu’il a reçue et dans ses limites. Celui qui exerce la fonction d’ambassadeur ne doit pas attirer l’intérêt sur lui-même, mais il doit se mettre au service du message à transmettre et de celui qui l’a envoyé. C’est ainsi qu’agit saint Paul en exerçant son ministère de prédicateur de la Parole de Dieu et d’apôtre de Jésus Christ. Il ne recule pas devant la tâche reçue, mais il l’accomplit avec un dévouement total, en invitant à s’ouvrir à la grâce, à laisser Dieu nous convertir: «Et puisque nous travaillons avec lui — écrit-il — nous vous invitons à ne pas laisser sans effets la grâce reçue de Dieu» (2 Co 6, 1). «Or l’appel du Christ à la conversion — nous dit le Catéchisme de l’Eglise catholique — continue à retentir dans la vie des chrétiens. [...] C’est une tâche ininterrompue pour toute l’Eglise qui “enferme des pécheurs dans son propre sein” et qui “est donc à la fois sainte et appelée à se purifier, et qui poursuit constamment son effort de pénitence et de renouvellement”. Cet effort de conversion n’est pas seulement une œuvre humaine. Il est le mouvement du “cœur contrit” (Ps 51, 19) attiré et mû par la grâce à répondre à l’amour miséricordieux de Dieu qui nous aimés le premier» (n. 1428). Saint Paul s’adresse aux chrétiens de Corinthe mais, à travers eux, il entend s’adresser à tous les hommes. Tous ont en effet besoin de la grâce de Dieu, qui illumine l’esprit et le cœur. Et l’apôtre presse: «Or, c’est maintenant le moment favorable, c’est maintenant le jour du salut» (2 Co 6, 2). Tous peuvent s’ouvrir à l’action de Dieu, à son amour; à travers notre témoignage évangélique, nous, chrétiens, devons être un message vivant; dans de nombreux cas, nous sommes même l’unique Evangile que les hommes d’aujourd’hui lisent encore. Voilà notre responsabilité sur les traces de saint Paul, voilà un motif de plus pour bien vivre le carême: offrir le témoignage de la foi vécue à un monde en difficulté qui a besoin de revenir à Dieu, qui a besoin de conversion.
«Gardez-vous de pratiquer votre justice devant les hommes, pour vous faire remarquer d’eux» (Mt 6, 1). Dans l’Evangile d’aujourd’hui, Jésus relit les trois œuvres fondamentales de piété prévues par la loi de Moïse. L’aumône, la prière et le jeûne caractérisent le juif qui observe la loi. Au fil du temps, ces prescriptions avaient été érodées par la rouille du formalisme extérieur, ou encore, elles s’étaient transformées en un signe de supériorité. Jésus met en évidence dans ces trois œuvres de piété une tentation commune. Lorsque l’on accomplit quelque chose de bon, presque instinctivement naît le désir d’être estimé et admiré pour la bonne action, c’est-à-dire d’avoir une satisfaction. Et cela, d’une part, conduit au repli sur soi, et, de l’autre, à aller au dehors de soi, car l’on vit projeté vers ce que les autres pensent de nous et admirent en nous. En reproposant ces prescriptions, le Seigneur Jésus ne demande pas le respect formel d’une loi étrangère à l’homme, imposée par un législateur sévère comme un lourd fardeau, mais invite à redécouvrir ces trois œuvres de piété en les vivant de façon plus profonde, non pas par amour propre, mais par amour de Dieu, comme moyens sur le chemin de conversion à Lui. Aumône, prière et jeûne: tel est l’itinéraire de la pédagogie divine qui nous accompagne, non seulement au cours du carême, vers la rencontre avec le Seigneur Ressuscité; un itinéraire qu’il faut parcourir sans ostentation, dans la certitude que le Père céleste sait lire et voir également dans le secret de notre cœur.
Chers frères et sœurs, commençons confiants et joyeux l’itinéraire du carême. Quarante jours nous séparent de Pâques; ce temps «fort» de l’année liturgique est un temps propice qui nous est donné pour parvenir, avec un engagé accru, à notre conversion, pour intensifier l’écoute de la Parole de Dieu, la prière et la pénitence, en ouvrant le cœur à l’accueil docile de la volonté divine, en vue d’une pratique plus généreuse du sacrifice qui permet de porter toujours plus son aide au prochain dans le besoin: un itinéraire spirituel qui nous prépare à revivre le Mystère pascal.
Que Marie, notre guide sur le chemin quadragésimal, nous conduise à une connaissance toujours plus profonde du Christ, mort et ressuscité, qu’elle nous aide dans le combat spirituel contre le péché, qu’elle nous soutienne pour invoquer avec force: «Converte nos, Deus salutaris noster», — Convertis-nous à Toi, ô Dieu, notre salut». Amen!

LE « B.A-BA DE LA PRIÈRE » DANS NOTRE VIE QUOTIDIENNE SE JOUE NOTRE PRIÈRE.

16 février, 2015

http://www.apostolat-priere.org/prier-au-coeur-du-monde/le-ba-ba-de-la-priere/pere-du-desert-dans-notre-vie-quotidienne-se-joue-notre-priere.html

LE « B.A-BA DE LA PRIÈRE » DANS NOTRE VIE QUOTIDIENNE SE JOUE NOTRE PRIÈRE.

P. Frédéric Fornos, jésuite

A l’école des maîtres spirituels – Evagre le Pontique
Chloé me demande : « J’ai lu dans le ‘’Traité de la prière » d’Evagre quelques paroles qui m’ont surprise. C’est comme s’il disait que pour pouvoir vraiment prier toute notre vie devait en être une préparation… je trouve étonnant et même paradoxal. Ne faudrait-il pas dire plutôt le contraire, que c’est la prière qui nous aide à aimer et ainsi à trouver Dieu dans notre vie ? »

Prier, en éveillant notre cœur à la présence du Seigneur, nous aide en effet à trouver Dieu dans notre vie. Mais Evagre le Pontique, ce Père du désert égyptien, appelé aussi « le scrutateur de l’âme », est un maître dans la vie spirituelle. Il sait que prier, c’est-à-dire entrer dans une communication intime avec le Père, demande de préparer son cœur pour s’ouvrir à la présence du Seigneur avec beaucoup de respect et d’amour. Comment l’accueillir si notre cœur est plein d’égoïsme, de rancune ou de jalousie, même plus ou moins reconnu ou dissimulé ? Pour Evagre c’est clair : dans notre vie quotidienne se joue notre prière (n°13-22). Ce qui est en jeu est la rencontre amoureuse de Dieu en toutes choses.

Dans ces sentences, il nous fait comprendre que c’est notre attitude face aux événements de la vie et à nos relations qui conditionne notre prière, nous y dispose ou pas. Par respect pour le Seigneur, pour ce temps de cœur à cœur avec Lui, il s’agit donc de s’y préparer auparavant au cours de notre journée. En fait, c’est ce cœur à cœur avec Lui que toute notre vie prépare pour « louer, respecter et servir Dieu notre Seigneur » (1). Notre manière d’être en relation aux autres et aux événements, dans la confiance, la bienveillance et la douceur ou bien la méfiance, la rancune ou la colère, prépare notre cœur à l’accueil du Seigneur ou bien le renferme.

Notre vie quotidienne est une préparation pour chercher et trouver Dieu dans la prière : « Si tu endures toutes sortes de tracas, accepte cela sagement pour la prière. » Tout comme la prière nous aide à trouver Dieu dans la vie, Evagre nous aide à comprendre que le but de notre vie, tout comme de notre prière, c’est l’union à DIEU. C’est une conception « circulaire » de la prière pleine de sagesse.

P. Frédéric Fornos, jésuite

Jésus guérit un lépreux

13 février, 2015

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http://talford.hubpages.com/hub/TorahProphesiesofthemessiah

LA LÈPRE ET LE PARDON – (COMMENTAIRE ET UN TEXTE PATRISTIQUE)

13 février, 2015

http://www.zenit.org/fr/articles/la-lepre-et-le-pardon

LA LÈPRE ET LE PARDON – (COMMENTAIRE ET UN TEXTE PATRISTIQUE)

Sixième dimanche du temps ordinaire – Année B – 15 février 2015

Rome, 13 février 2015 (Zenit.org) Mgr Francesco Follo

Rite romain
Sixième dimanche du temps ordinaire – Année B – 15 février 2015.
Lv 13,1-2.45-46; 1 Co 10,31-11.1; Mc 1,40-451

Rite ambrosien
Dernier dimanche après l’Épiphanie – appelé «du pardon».
Es 54,5-10; Ps 129; Rm 14,9-13; Lc 18,9-14

1) La vie est un miracle et l’Évangile n’est pas un conte de fées
Le passage de l’Évangile d’aujourd’hui raconte la rencontre entre Jésus et le lépreux. Le Messie quitte Capharnaüm où il a commencé les premières guérisons, et va dans les villages voisins où il devait porter l’Évangile. Dans le désert qui entourait ces petites villes de Galilée, il n’y avait certainement pas de sable, comme dans le Sahara, mais plutôt une nature si aride que personne ne voulait y vivre. C’était une région de passage, une terre inhospitalière. Mais cela ne signifie pas qu’il n’y avait personne parce que, parfois, l’homme vit là, justement, par choix ou à cause d’une faute ou parce que quelqu’un l’y a envoyé.
C’est le cas du lépreux. Quand on avait été frappé de la lèpre, « le premier-né de la mort » (Job 18:13), on devait se tenir à l’écart et on ne pouvait s’approcher de personne parce que la loi de l’Ancien Testament prescrivait: « Le lépreux habitera à l’écart, sa demeure sera hors du camp » (Lv 13,46)2. Le lépreux était abandonné à lui-même, destiné à une mort lente, sujet d’opprobre parce qu’il était considéré comme un pécheur qui méritait d’avoir contracté une maladie repoussante, incurable et contagieuse.
Jésus, le Médecin venu pour guérir tous les malades, touche le lépreux et le guérit. Nos lois ne peuvent que reconnaître le mal et le condamner. Jésus, lui, le guérit. L’impur, le châtié, l’intouchable devient une source d’émerveillement et d’Evangile. Mais pourquoi le Christ touche-t-il ce malade répugnant? Puisqu’il guérit les malades par sa volonté et sa parole, pourquoi Jésus vient-il, en plus, le toucher de sa main? «Je crois qu’il n’y pas d’autre raison que de montrer que rien n’est impur pour un homme pur.» (Saint Jean Chrysostome).
L’explication la plus profonde de ce miracle nous est donnée par l’exemple de François d’Assise. Saint François d’Assise, qui aimait le Christ jusqu’à lui ressembler physiquement dans ses stigmates, a baisé les lépreux. Pas toute de suite, bien sûr. Thomas de Celano le confirme: « Au début, la seule vue des lépreux lui était tellement insupportable que dès qu’il apercevait leur habitation à deux milles de distance, il se bouchait le nez avec ses mains. Or, à l’époque où il avait déjà commencé, par la grâce et la vertu du Très-Haut, à nourrir des pensées saintes et saines tout en vivant dans le monde, un lépreux se présenta un jour devant lui : se faisant violence, il s’approcha de lui et l’embrassa. Dès lors, il décida de s’abaisser de plus en plus jusqu’à ce que la miséricorde du Rédempteur lui obtînt la victoire complète « . Il vécut ainsi non par peur, mais par amour parce qu’il était amoureux de Dieu. En fait, il le faisait avec son cœur « .Quelque temps après, il voulut répéter ce geste: il se rendit à la léproserie et, après avoir donné de l’argent à chaque malade, il lui baisa la main et la bouche. « 
Dans son testament, Saint François lui-même écrivit: «Le Seigneur m’a donné à moi, François, de commencer à faire pénitence de cette manière: quand j’étais dans le péché, il me semblait trop difficile de voir des lépreux; et c’est le Seigneur lui-même qui me conduisit parmi eux et je leur montrai de la miséricorde. Et quand je les eus quittés, ce qui m’avait semblé si difficile s’est changé en douceur de l’âme et du corps. Ensuite, j’ai attendu un peu, puis j’ai quitté le monde « (Sources franciscaines, 110).
Dans les lépreux que rencontra François alors qu’il était encore «dans le péché » – comme il le dit –Jésus était là. Et quand François s’approcha de l’un d’eux, et surpassant son dégoût, le prit dans ses bras, Jésus le guérit de sa lèpre, c’est-à-dire de son orgueil, et le convertit à l’amour de Dieu. Voilà la victoire du Christ : notre profonde guérison et notre résurrection à une vie nouvelle.
Saint François d’Assise a montré et montre encore que l’Évangile n’est pas un conte de fées fait pour inspirer de bons sentiments et enseigner une morale, mais c’est le récit d’une Présence qui accomplit des miracles. Le miracle, pour Jésus, est la convergence de deux volontés bienveillantes; le contact vivant entre la volonté de bonté de celui qui agit et la foi de celui qui est agi. La collaboration des deux forces. La concordance, la convergence de deux certitudes: une qui demande : »Si tu le veux, tu peux me guérir » et l’autre, purificatrice, qui guérit non seulement le corps mais aussi le cœur malade.
2) Jésus nous purifie de notre « lèpre »
Il n’a pas de nom ou de visage, le lépreux de l’Évangile, de sorte que chacun de nous peut s’identifier à lui. Sa voix exprime notre désir de santé physique et spirituelle. Discrètement il supplie: «Si tu le veux, guéris-moi ».
Le lépreux exprime ce désir parce que, plus ou moins consciemment, il se demande: « Qu’est-ce que Dieu veut de moi? Que veut-Il de cette chair décrépite, de ce corps couvert de plaies, de ces années de douleur (pour ceux qui souffrent le temps de la maladie est toujours long). Les scribes de chaque époque répètent que la souffrance est la punition de nos péchés ou bien un maître de vie, ou encore la volonté incompréhensible de Dieu. La question du lépreux est «théologique» car à partir de son expérience de la souffrance, cet homme se tourne vers le Fils de Dieu –Amour. La foi du lépreux n’est pas théorique ou abstraite: elle est née d’un cœur qui bat et qui a compris que Dieu est le Dieu de la compassion. La douleur fait ressortir l’amour à partir duquel on est né.
Faisons nôtre cet appel du lépreux: «Si tu le veux, tu peux me purifier. » Il ne s’agit pas de notre pureté selon la Loi, mais de notre misère qui nous donne le droit de nous tourner vers le Seigneur, de l’invoquer et de tomber à genoux parce que nous reconnaissons sa divinité et son amour. Nous avons besoin de Dieu et de son amour. L’important, c’est de reconnaître notre mal et de vouloir guérir.
Et Jésus, saisi de compassion3, nous touche. Pour Jésus, le lépreux (chacun de nous) n’est pas un cas à résoudre, mais c’est un couteau dans la chair. Pour lui, le lépreux n’est pas une question théorique à laquelle donner une réponse, mais un frère pour qui ses entrailles frémissent, comme celles d’une mère pour son enfant. Dieu a pour nous cette commisération maternelle qui génère des gestes, qui fait quasiment violence à la main, la fait se tendre, la fait toucher. Jésus touche le lépreux, sachant que, pour la loi mosaïque, toucher un lépreux rend impur. Pour lui, l’homme vaut plus que cette loi. Avec une caresse, qui purifie, le Rédempteur porte l’ancienne loi à son accomplissement grâce à la nouvelle loi de l’amour et de la liberté.
Dieu veut des enfants guéris pour l’éternité. A chacun de nous, comme au lépreux, à Lazare, à la fille de Jaïre, à la belle-mère de Simon, Jésus répète: je le veux, lève-toi, sois guéri.
Dieu est la santé et le salut, la guérison du mal de vivre. Nous ne savons pas quand et comment, mais nous savons, par la foi, qu’il renouvellera notre cœur, un battement après l’autre. Avec de la compassion, une caresse de Sa main, avec la force de sa voix tendre, Il nous arrache toujours et pour toujours à l’abîme de la douleur.
Un exemple actuel de cette compassion nous est donné par les Vierges Consacrées dans le monde.
En vertu de cette consécration, (cf rite de consécration des vierges n° 36, bénédiction finale : « Que Dieu vous vous établisse aux yeux du monde comme signe et témoin de son amour ») elles sont appelées à être des témoins de la compassion de Dieu pour chaque frère et sœur. Si ces femmes, par le don total d’elles-mêmes, sont appelées à être dans la virginité pour servir Dieu dans la prière, en particulier dans la liturgie, elles sont, par ailleurs, appelées au service de la charité envers le prochain, qui consiste précisément en ceci qu’en Dieu et avec Dieu, elles aiment aussi la personne que l’on n’aime pas, dont la maladie inspire la répulsion. Totalement consacrées à Dieu, elles sont entièrement données à leurs frères, pour apporter la lumière du Christ là où les ténèbres se font plus épaisses et pour répandre Son espérance dans les cœurs sans courage.
Les personnes consacrées sont un signe de Dieu dans les différents domaines de la vie, elles sont ferment de croissance d’une société plus juste et plus fraternelle, elles sont prophétie de partage avec les pauvres et les petits. Ainsi comprise et vécue, la vie consacrée nous apparaît sous son jour véritable: un don de Dieu, un don de Dieu à l’Église, un don de Dieu à son peuple « (Pape François).

Lecture Patristique
Saint Paschase Radbert (né vers 790, mort à Saint-Riquier en 865)
Commentaire sur l’évangile de Matthieu, 5, 8, CCM 56 A, 475-476.
Le Christ guérit celui qui croit

Le Seigneur guérit chaque jour l’âme de tout homme qui l’implore, l’adore pieusement et proclame avec foi ces paroles: Seigneur, si tu le veux, tu peux me purifier (Mt 8,2), et cela quel que soit le nombre de ses fautes. Car celui qui croit du fond du cœur devient juste (Rm 10,10). Il nous faut donc adresser à Dieu nos demandes en toute confiance, sans mettre nullement en doute sa puissance.
Et si nous prions avec une foi pleine d’amour, nous bénéficions certainement, pour parvenir au salut, du concours de la volonté divine qui agit en proportion de sa puissance et qui est capable de produire son effet. C’est la raison pour laquelle le Seigneur répond aussitôt au lépreux qui le supplie: Je le veux (Mt 8,3). Car, à peine le pécheur commence-t-il à prier avec foi, que la main du Seigneur se met à soigner la lèpre de son âme.
Ce lépreux nous donne un conseil excellent sur la façon de prier. Ainsi ne met-il pas en doute la volonté du Seigneur, comme s’il refusait de croire en sa bonté. Mais, conscient de la gravité de ses fautes, il ne veut pas présumer de cette volonté. Quand il dit que le Seigneur, s’il le veut, peut le purifier, il fait bien d’affirmer ainsi le pouvoir qui appartient au Seigneur, de même que sa foi inébranlable. Car, pour obtenir une grâce, la foi pure et vraie est à bon droit requise tout autant que la mise en œuvre de la puissance et de la bonté du Créateur.
Par ailleurs, si la foi est faible, elle doit d’abord être fortifiée. C’est alors seulement qu’elle révélera toute sa puissance pour obtenir la guérison de l’âme et du corps. L’apôtre Pierre parle sans aucun doute de cette foi quand il dit: Il a purifié leurs cœurs par la foi (Ac 15,9). Si le cœur des croyants est purifié par la foi, nous devons entendre par là la force de la foi, car, comme le dit l’apôtre Jacques, celui qui doute ressemble au flot de la mer (Jc 1,6).
Mais la foi pure, vécue dans l’amour, maintenue par la persévérance, patiente dans l’attente, humble dans son affirmation, ferme dans sa confiance, pleine de respect dans sa prière et de sagesse dans ce qu’elle demande, est certaine d’entendre en toute circonstance cette parole du Seigneur: Je le veux. En ayant présente à l’esprit cette réponse admirable, nous devons regrouper les mots selon leur sens. Aussi bien le lépreux a-t-il dit pour commencer: Seigneur, si tu le veux, et le Seigneur: Je le veux. Le lépreux ayant ajouté: Tu peux me purifier, le Seigneur ordonna avec la puissance de sa parole: Sois purifié (Mt 8,2-3).
Vraiment, tout ce que le pécheur a proclamé dans une vraie confession de foi, la bonté et la puissance divine l’ont aussitôt accompli par grâce.
Un autre évangéliste précise que l’homme qui recouvra la santé était tout couvert de lèpre (Lc 5,12), afin que personne ne perde confiance en raison de la gravité de ses fautes. Car tous les hommes sont pécheurs, ils sont tous privés de la gloire de Dieu (Rm 3,23).
C’est pourquoi, si nous croyons à bon droit que la puissance de Dieu est à l’œuvre partout, nous devons le croire également de sa volonté. Il veut, en effet, que tous les hommes soient sauvés et arrivent à connaître pleinement la vérité (1Tm 2,4) .
1Un lépreux vint trouver Jésus; il tombe à ses genoux et le supplie: « Si tu le veux, tu peux me purifier. » Pris de pitié devant cet homme, Jésus étendit la main, le toucha et lui dit : « Je le veux, sois purifié. » A l’instant même, sa lèpre le quitta et il fut purifié. Aussitôt Jésus le renvoya avec cet avertissement sévère : « Attention, ne dis rien à personne, mais va te montrer au prêtre. Et donne pour ta purification ce que Moïse prescrit dans la Loi : ta guérison sera pour les gens un témoignage. » Une fois parti, cet homme se mit à proclamer et répandre la nouvelle, de sorte qu’il n’était plus possible à Jésus d’entrer ouvertement dans une ville. Il était obligé d’éviter les lieux habités, mais de partout on venait à lui. (Mc 1,40-45)
2La première et la deuxième lectures de ce jour nous placent devant ce qui a été pendant des siècles un véritable cauchemar, un spectre horrible causant répulsion et terreur: la lèpre. Le premier texte est extrait du Lévitique, en particulier des chap. 13-14, qui traitent de la lèpre dans les moindres détails: le chap.13 en décrit la typologie, et plus largement,dans ses diverses manifestations ( la Mishnah, repertoire des commentaires traditionnels de la Loi de l’Ancien Testament, en aurait identifié 72) des maladies de la peau, dont la plupart étaient guérissables; le chap.14 expose le rituel de la purification des lépreux et des maisons infestées. Il ne fait pas de doute que c’est un souci d’hygiène qui inspire un comportement communautaire vigilant pour ce qui est des maladies contagieuses. Les prêtres étaient habilités à examiner le malade et à décider s’il était contagieux, en faisant une déclaration d”impureté” (chap.13,a.3); ces mêmes prêtres auraient, plus tard, certifié sa guérison (chap.14, v;1-4). Dans les sociétés antiques , les précautions légales constituaient la seule défense à l’égard des maladies contagieuses, surtout celles qui ne pouvaient pas guérir; d’où les réglementations inflexibles exposées au chap. 13 (v.45-46): le lépreux atteint de cette plaie porterades vêtements déchirés et les cheveux en désordre, il se couvrira le haut du visage jusqu’aux lèvres, et il criera: “Impur! Impur!” Tant qu’il gardera cette plaie il sera impur. C’est pourquoi il habitera à l’écart, sa demeure sera hors du camp.”

3Le verbe grec, que l’on traduit par « saisi de compassion »signifie que l’on est pris aux entrailles, que l’on com-patit, que l’on souffre-avec.

HOMÉLIE 6E DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE

13 février, 2015

http://www.homelies.fr/homelie,,4111.html

6E DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE

DIMANCHE 15 FÉVRIER 2015

FAMILLE DE SAINT JOSEPH

Homélie – Messe

La lèpre revêt une valeur symbolique très forte dans l’Ancien Testament qui ne connaissait aucun remède à ce terrible fléau. Afin d’arrêter sa diffusion parmi ceux qui étaient sains, il condamnait le lépreux à une existence de solitude qui l’excluait totalement de la société. Un véritable enfer ! Le portrait du lépreux que dresse la Loi de Moïse accuse nettement son exclusion : « Le lépreux atteint de cette plaie portera des vêtements déchirés et les cheveux en désordre, il se couvrira le haut du visage jusqu’aux lèvres, et il criera : ‘Impur ! Impur !’ Tant qu’il gardera cette plaie, il sera impur. C’est pourquoi il habitera à l’écart, sa demeure sera hors du camp » (Cf. 1ère lecture).
Mais, bien plus qu’un mal horrifiant qui défigure l’homme, la lèpre était considérée comme un mal religieux qui le ronge à un niveau plus existentiel. Elle était le symbole du péché et certains allaient même jusqu’à lui donner le caractère de châtiment divin. C’est aussi pour cette raison que le lépreux était banni, rejeté comme un mort ambulant, source d’impureté c’est-à-dire de non-communion avec Dieu comme avec les hommes.
Il est clair que sa guérison ne pouvait être attribuée qu’à Dieu seul. Le geste de Jésus qui vient toucher le lépreux dans l’évangile et lui adresse une parole de vie est donc hautement significatif sur sa messianité et son identité divine. Par cette guérison, Jésus manifeste qu’il est le Fils de Dieu venu prendre sur lui le mal physique et moral de tout homme, son isolement, sa mise à l’écart de la société, mais aussi le mal de son péché.
L’évangile nous dit que Jésus est « pris de pitié devant cet homme », littéralement « ému jusqu’aux entrailles » comme le père qui accueille le retour du fils prodigue dans l’évangile de saint Luc (Cf. Lc 15). En Jésus, c’est le cœur du Père qui se penche vers tout homme pour franchir la distance que par son péché il avait établie entre lui et Dieu.
« Jésus étendit la main, le toucha et lui dit : ‘Je le veux sois purifié’ » : En Jésus, la main du Père s’est avancée jusqu’à toucher l’impureté de notre humanité marquée par le péché pour la purifier et la recréer.
Et comment Jésus recrée ? En prenant sur lui le mal qui affecte l’homme. En effet, l’évangile nous dit que Jésus, après que le lépreux ait transgressé son avertissement de ne rien révéler, se voit dans l’obligation d’éviter les lieux habités. Autrement dit, Jésus retrouve les lépreux qui étaient exclus des villes et autres lieux d’habitation. Jésus devient lépreux à notre place, il devient lui-même l’exclu qui sera crucifié hors de la ville, le serviteur souffrant qui prend sur lui la lèpre de son peuple (Is 53, 4 ; traduction de la Vulgate). Jésus nous sauve en prenant sur lui le mal qui nous séparait de notre Père du ciel pour nous communiquer en échange sa vie, nous réconcilier avec Lui et nous réintroduire ainsi dans le monde des vivants : « Je le veux, sois purifié » (Cf. Evangile).
Que faisons nous de la lèpre de notre péché qui nous isole de Dieu et de nos frères ? Osons-nous l’exposer à Jésus en lui criant notre désir d’être guéri : « Seigneur si tu le veux, tu peux me purifier » ? Alors que par nous-mêmes nous ne voyons pas comment être libéré de notre lèpre, croyons-nous que Jésus peut nous guérir ? Croyons nous qu’en Jésus-Christ, Dieu n’est pas venu pour juger ou condamner mais pour pardonner, libérer et sauver ? Avons-nous cette audace de crier vers lui comme nous y invite le psaume, dans la foi que Dieu ne reste pas indifférent à nos appels, que « des hauteurs de son sanctuaire, il se penche et regarde la terre, pour entendre la plainte des captifs et libérer ceux qui étaient condamnés à la mort » (Cf. Psaume) ?
Jésus continue aujourd’hui à étendre la main et à guérir ses enfants, tout d’abord et en premier lieu à travers les sacrements. Une foi illuminée devrait nous conduire à expérimenter chaque sacrement comme un contact vital avec le Seigneur, transformant et sanctifiant, à l’image de celui qu’il eut avec le lépreux de l’évangile. Avoir cela présent à la conscience lorsque nous nous approchons de la communion eucharistique ou du sacrement de la Réconciliation, nous permettrait sans doute d’en cueillir beaucoup plus de fruit spirituel.
Mais Jésus veut aussi prolonger son geste de miséricorde et de récréation à travers chacun de nous. A nous qui avons bénéficié de sa miséricorde, Dieu nous invite à être ses mains et sa voix auprès de tous les exclus de notre temps, de tous ceux qui souffrent la maladie physique, morale ou spirituelle. C’est ce qu’avait compris l’Apôtre Paul et qu’il nous invite à vivre dans la deuxième lecture de ce dimanche lorsqu’il nous dit : « Faîtes comme moi : en toutes circonstances je tâche de m’adapter à tout le monde ; je ne cherche pas mon propre intérêt personnel, mais celui de la multitude des hommes, pour qu’ils soient sauvés. Prenez-moi pour modèle ; mon modèle à moi c’est le Christ. »
« ‘Je le veux, sois purifié’ : puisse ta Parole résonner aujourd’hui à nos oreilles. Oui, c’est librement que tu viens nous guérir, c’est là ton désir le plus profond : nous libérer de nos morts en allant jusqu’à les toucher, les traverser, les prendre sur toi pour nous communiquer ta vie et nous réintroduire dans le monde des vivants. Avec reconnaissance, nous voulons accueillir ta condescendance et nous en faire les canaux auprès de nos frères qui souffrent physiquement, moralement et spirituellement. »

Frère Elie

The old city walls near the Jaffa Gate.

12 février, 2015

The old city walls near the Jaffa Gate. dans images 1280px-Jerusalem_-_Walls_leading_to_Jaffo_Gate

http://en.wikipedia.org/wiki/City_of_David_National_Park

QUELQUES ASPECTS DE LA MÉDITATION CHRÉTIENNE – CARD. RATZINGER

12 février, 2015

http://www.meditation-chretienne.org/meditation_chretienne_aspects.htm

QUELQUES ASPECTS DE LA MÉDITATION CHRÉTIENNE – CARD. RATZINGER

Lettre de la Congrégation pour la Doctrine de la foi aux évêques de l’Église catholique

L’expérience humaine démontre que la position et l’attitude du corps ne sont pas sans influence sur le recueillement et la disposition de l’esprit.

I. Introduction
1. Chez beaucoup de chrétiens de notre temps, le désir est très vif d’apprendre à prier d’une manière authentique et approfondie, malgré les nombreuses difficultés que la culture moderne oppose à l’exigence ressentie de silence, de recueillement et de méditation. L’intérêt que des formes de méditation liées à certaines religions orientales et à leurs modes particuliers de prière ont suscité ces dernières années, même parmi les chrétiens, est un signe non négligeable de ce besoin de recueillement spirituel et de profond contact avec le mystère divin. Toutefois, face à ce phénomène, on a aussi ressenti de divers côtés la nécessité de pouvoir disposer de critères sûrs, au plan doctrinal et pastoral, qui permettent d’éduquer à la prière, dans ses multiples manifestations, tout en demeurant dans la lumière de la vérité révélée en Jésus, grâce à l’authentique tradition de l’Église. La présente Lettre entend répondre à cette urgence, afin que dans les diverses Eglises particulières, la pluralité des formes de prière, y compris les nouvelles, ne fasse jamais perdre de vue leur nature précise, personnelle et communautaire. Ces indications sont adressées avant tout aux évêques, afin qu’ils en fassent l’objet de leur sollicitude pastorale à l’égard des Eglises qui leur sont confiées, de sorte que tout le Peuple de Dieu, prêtres, religieux et laïcs, soit invité à prier avec une vigueur nouvelle Dieu notre Père, dans l’Esprit du Christ notre Seigneur.
2. Le contact toujours plus fréquent avec d’autres religions et leurs différents styles et méthodes de prière a, durant ces dernières décennies, conduit de nombreux fidèles à s’interroger sur la valeur que peuvent avoir pour les chrétiens des formes non chrétiennes de méditation. La question concerne surtout les méthodes orientales. Certains s’adressent aujourd’hui à ces méthodes pour des raisons thérapeutiques : l’instabilité spirituelle d’une vie soumise au rythme obsédant de la société technologiquement avancée pousse aussi un certain nombre de chrétiens à chercher en elles la voie de la tranquillité intérieure et de l’équilibre psychique. Cet aspect psychologique ne sera pas considéré dans la présente Lettre, qui entend au contraire mettre en évidence les implications théologiques et spirituelles du problème. D’autres chrétiens, dans le sillage du mouvement d’ouverture et d’échange avec les religions et les cultures diverses, sont d’avis que leur prière a beaucoup à gagner en s’inspirant de ces méthodes. Observant que dans des temps récents, bien des méthodes de méditation spécifiques au christianisme sont tombées dans l’abandon, ces chrétiens se demandent : ne serait-il pas alors possible, par une nouvelle éducation à la prière, d’enrichir notre héritage, en y incorporant aussi ce qui lui était jusqu’ici étranger ?
3. Pour répondre à cette question, il faut avant tout considérer, ne fût-ce qu’à grands traits, en quoi consiste la nature infime de la prière chrétienne, pour voir ensuite si et comment elle peut être enrichie par des méthodes de méditation nées dans le contexte de religions et de cultures différentes. A cette fin, il est nécessaire de formuler une observation préliminaire fondamentale. La prière chrétienne est toujours déterminée par la structure de la foi chrétienne, dans laquelle resplendit la vérité même de Dieu et de la créature. C’est pourquoi elle se présente, à proprement parler, comme un dialogue personnel, intime et profond, entre l’homme et Dieu. Elle exprime donc la communion des créatures rachetées à la vie intime des Personnes trinitaires. Dans cette communion qui se fonde sur le baptême et l’Eucharistie, source et sommet de la vie de l’Eglise, est impliquée une attitude de conversion, un exode du  » moi  » vers le  » Tu  » de Dieu. La prière chrétienne est donc toujours en même temps authentiquement personnelle et communautaire. Elle repousse les techniques impersonnelles ou centrées sur le moi, capables de produire des automatismes dans lesquels celui qui prie reste prisonnier d’un spiritualisme intimiste, incapable d’une libre ouverture au Dieu transcendant. Dans l’Eglise, la légitime recherche de nouvelles méthodes de méditation devra toujours considérer que pour une prière authentiquement chrétienne, il faut essentiellement la rencontre de deux libertés : la liberté infinie de Dieu et la liberté finie de l’homme.

Il. La prière chrétienne à la lumière de la Révélation

4. Comment doit prier l’homme qui accueille la révélation biblique, la Bible elle-même nous l’enseigne. Dans l’Ancien Testament se trouve un merveilleux recueil de prières resté vivant au long des siècles même dans L’Eglise de Jésus-Christ, où il est devenu la base de la prière officielle : le Livre des Louanges ou des Psaumes. Des prières de forme psalmique se trouvent déjà dans des textes plus anciens, ou bien on en retrouve un écho dans des textes plus récents de l’Ancien Testament. Les prières du Livre des Psaumes narrent avant tout les grandes œuvres de Dieu en faveur du peuple élu. Israël médite, contemple et rend à nouveau présentes les merveilles de Dieu, en en faisant mémoire à travers la prière. Dans la révélation biblique, Israël arrive à reconnaître et à louer Dieu présent dans toute la création et dans le destin de chaque homme. Ainsi l’invoque-t-il, par exemple, comme Celui qui secourt dans le danger, la maladie, la persécution, la tribulation. Enfin, toujours à la lumière de ses œuvres salvifiques, Dieu est célébré dans sa divine puissance et sa bonté, dans sa justice et sa miséricorde, dans sa royale grandeur.
5. Grâce aux paroles, aux œuvres, à la Passion et à la Résurrection de Jésus-Christ, dans le Nouveau Testament la foi reconnaît en lui la définitive auto-révélation de Dieu, la Parole incarnée qui dévoile les profondeurs les plus intimes de son amour. C’est l’Esprit-Saint qui fait pénétrer dans ces profondeurs de Dieu, lui qui, envoyé dans le cœur des croyants,  » sonde tout, jusqu’aux profondeurs de Dieu  » (1 Co.2,10). L’Esprit, selon la promesse de Jésus à ses disciples, expliquera tout ce que lui ne pouvait pas encore leur dire. Cependant l’Esprit  » ne parlera pas de lui-même, (…) mais il me glorifiera car c’est de mon bien qu’il recevra et il vous le dévoilera  » (Jn.16,13s). Ce que Jésus appelle  » son bien  » est, comme il l’explique ensuite, également celui de Dieu le Père, car  » tout ce qu’a le Père est à moi. Voilà pourquoi j’ai dit que c’est de mon bien qu’il reçoit et qu’il vous le dévoilera  » (Jn.16,15).
Les auteurs du Nouveau Testament ont, en pleine conscience, toujours parlé de la révélation de Dieu dans le Christ à l’intérieur d’une vision illuminée par le Saint-Esprit. Les Évangiles synoptiques rapportent les œuvres et les paroles de Jésus-Christ sur la base d’une compréhension plus profonde, acquise après Pâques, de ce que les disciples avaient vu et entendu. Tout l’Evangile de Jean respire la contemplation de celui qui, dès le début, est le Verbe de Dieu fait chair. Paul, à qui Jésus est apparu sur la route de Damas dans sa majesté divine, tente d’éduquer les fidèles pour qu’ils soient en mesure  » de comprendre, avec tous les saints, ce qu’est la largeur, la longueur, la hauteur et la profondeur (du Mystère du Christ) et de connaître l’amour du Christ qui surpasse toute connaissance, pour être comblés de toute la plénitude de Dieu  » (Ep.3,18s). Pour Paul, le mystère de Dieu est le Christ  » dans lequel se trouvent cachés tous les trésors de la sagesse et de la science  » (Col.2,3) et, précise l’Apôtre :  » Je dis cela pour que nul ne vous abuse par des discours séduisants  » (v.4).
6. Il existe donc un étroit rapport entre la révélation et la prière. La Constitution dogmatique Dei Verbum nous enseigne que par sa révélation, le Dieu invisible  » s’adresse aux hommes en son immense amour ainsi qu’à des amis (cf. Ex.33,11 ; Jn.15,14-15) ; il s’entretient avec eux (cf. Ba.3,38) pour les inviter et les admettre à partager sa propre vie « .
Cette révélation s’est faite à travers des paroles et des œuvres qui renvoient toujours réciproquement les unes aux autres ; dès le début et dans la suite, tout converge vers le Christ, plénitude de la révélation et de la grâce, et vers le don de l’Esprit-Saint. Celui-ci rend l’homme capable d’accueillir et de contempler les paroles et les œuvres de Dieu, de le remercier et de l’adorer, dans l’assemblée des fidèles et dans l’intimité du cœur illuminé par la grâce.
C’est pourquoi l’Église recommande toujours la lecture de la Parole de Dieu comme source de la prière chrétienne, et en même temps elle exhorte à découvrir le sens profond de la Sainte Ecriture au moyen de la prière, pour que s’établisse le dialogue entre Dieu et l’homme, car nous lui parlons quand nous prions, mais nous l’écoutons quand nous lisons les oracles divins.
7. De ce qui vient d’être rappelé découlent aussitôt plusieurs conséquences. Si la prière du chrétien doit s’insérer dans le mouvement trinitaire de Dieu, son contenu essentiel devra nécessairement être aussi déterminé par la double direction de ce mouvement : dans l’Esprit-Saint, le Fils vient dans le monde pour le réconcilier avec le Père par ses œuvres et ses souffrances ; d’autre part, dans le même mouvement et dans le même Esprit, le Fils incarné retourne au Père, accomplissant sa volonté par la Passion et la Résurrection. Le  » Notre Père « , la prière de Jésus, indique clairement l’unité de ce mouvement : la volonté du Père doit se réaliser sur la terre comme au ciel (les demandes de pain, de pardon, de protection, explicitent les dimensions fondamentales de la volonté de Dieu envers nous), afin qu’une nouvelle terre vive dans la Jérusalem céleste.
C’est à l’Église que la prière de Jésus est remise ( » vous donc, priez ainsi  » Mt.6,9), et pour cette raison, la prière chrétienne, même lorsqu’elle s’élève dans la solitude, est en réalité toujours située à l’intérieur de cette  » communion des saints  » dans laquelle et avec laquelle on prie, tant en forme publique et liturgique qu’en forme privée. C’est pourquoi elle doit se faire toujours dans l’esprit authentique de l’Église en prière et donc sous sa conduite, qui peut se concrétiser parfois sous forme d’une direction spirituelle expérimentée. Même quand il est seul et prie dans le secret, le chrétien a conscience de prier toujours en union avec le Christ, dans l’Esprit-Saint, en union avec tous les saints, pour le bien de l’Église.

III. Manières erronées de prier
8. Déjà au cours des premiers siècles, s’insinuèrent dans l’Église des manières erronées de prier. Quelques textes du Nouveau Testament en font connaître les traces (cf. 1 Jn.4,3 ; 1 Tm.1,3-7 et 4,3-4). Dans la suite, on peut remarquer deux déviations fondamentales : la fausse gnose et le messalianisme, dont se sont occupés les Pères de l’Eglise. De cette expérience chrétienne primitive et de l’attitude des Pères, on peut apprendre beaucoup pour faire face à la problématique contemporaine.
Contre la déviation de la fausse gnose, les Pères affirment que la matière est créée par Dieu, et que comme telle, elle n’est pas mauvaise. Ils soutiennent en outre que la grâce, dont la source est toujours l’Esprit-Saint, n’est pas un bien propre de l’âme, mais doit être implorée de Dieu comme un don. L’illumination ou connaissance supérieure de l’Esprit (« gnose ») ne rend donc pas superflue la foi chrétienne. Enfin pour les Pères le signe authentique d’une connaissance supérieure, fruit de la prière, est toujours l’amour chrétien.
9. Si la perfection de la prière chrétienne ne peut être jugée sur la base de la sublimité de la connaissance gnostique, elle ne peut pas l’être davantage en référence à l’expérience du divin, à la manière du messalianisme. Les faux charismatiques du IVe siècle identifiaient la grâce de l’Esprit-Saint avec l’expérience psychologique de sa présence dans l’âme. S’opposant à eux, les Pères insistèrent sur le fait que l’union de l’âme orante avec Dieu s’accomplit dans le mystère, en particulier à travers les sacrements de l’Eglise. Elle peut ainsi se réaliser jusque dans des expériences d’affliction et aussi de désolation. Contrairement à l’opinion des Messaliens, ces expériences ne sont pas nécessairement un signe que l’Esprit a abandonné l’âme. Comme l’ont toujours clairement reconnu les maîtres spirituels, elles peuvent être au contraire une authentique participation à l’état d’abandon sur la croix de Notre Seigneur, qui demeure toujours modèle et médiateur de la prière.
10. Ces deux formes d’erreur continuent d’être une tentation pour l’homme pécheur. Elles l’incitent à essayer de surmonter la distance qui sépare la créature du Créateur, comme quelque chose qui ne devrait pas exister ; à considérer le cheminement du Christ sur la terre, grâce auquel il a voulu nous conduire au Père, comme une réalité dépassée ; enfin à rabaisser ce qui est accordé comme une pure grâce au niveau de la psychologie naturelle, comme  » connaissance supérieure  » ou comme  » expérience « .
Réapparues de temps à autres aux marges de la prière de l’Église, ces formes erronées semblent aujourd’hui impressionner à nouveau de nombreux chrétiens, se présentant à eux comme un remède psychologique et spirituel, et comme un procédé rapide pour trouver Dieu.
11. Mais ces formes erronées, où qu’elles surgissent, peuvent être diagnostiquées d’une manière très simple. La méditation chrétienne orante cherche à cueillir, dans les œuvres salvifiques de Dieu en Jésus-Christ, Verbe Incarné, et dans le don de son Esprit, la profondeur divine qui s’y révèle toujours à travers la dimension humaine et terrestre. Dans de semblables méthodes de méditation, au contraire, même lorsque l’on part des paroles et des œuvres de Jésus, on cherche à faire abstraction le plus possible de ce qui est terrestre, sensible et conceptuellement limité pour s’élever ou s’immerger dans la sphère du divin qui n’est en tant que telle ni terrestre, ni sensible, ni conceptualisable. Déjà présente dans la religiosité grecque tardive (surtout celle du néoplatonisme), cette tendance se rencontre au fond dans l’inspiration religieuse de nombreux peuples, aussitôt qu’ils ont reconnu le caractère précaire de leurs représentations du divin et de leurs tentatives de s’en approcher.
12. Avec la diffusion actuelle des méthodes orientales de méditation dans le monde chrétien et dans les communautés ecclésiales, on se trouve en face d’un renouvellement aigu de la tentative, non exempte de risques et d’erreurs, de mélanger la méditation chrétienne et la méditation non chrétienne. Les propositions en ce sens sont nombreuses et plus ou moins radicales : certaines utilisent des méthodes orientales seulement aux fins d’une préparation psychophysique pour une contemplation réellement chrétienne ; d’autres vont plus loin et cherchent a engendrer, par diverses techniques, des expériences spirituelles analogues à celles dont on parle dans les écrits de certains mystiques catholiques ; d’autres encore ne craignent pas de placer l’absolu sans images ni concepts, propre à la théorie bouddhiste, sur le même plan que la majesté de Dieu, révélée dans le Christ, qui s’élève au-dessus de la réalité finie ; et dans ce but, ils se servent d’une  » théologie négative  » qui transcende toute affirmation de contenu sur Dieu, niant que les réalités du monde puissent être une trace qui renvoie à l’infinité de Dieu. Aussi proposent-ils d’abandonner non seulement la méditation des œuvres salvifiques que le Dieu de l’Ancienne et de la Nouvelle Alliance a accomplies dans l’histoire, mais aussi l’idée même du Dieu un et trine, qui est amour, cela en faveur d’une immersion dans l’abîme indéterminé de la divinité.
Ces propositions, ou d’autres analogues, pour harmoniser méditation chrétienne et techniques orientales, devront être continuellement examinées avec un soigneux discernement des contenus et de la méthode, pour éviter de tomber dans un pernicieux syncrétisme.

IV. La voie chrétienne de l’union a Dieu
13. Pour trouver la juste  » voie  » de la prière, le chrétien considèrera ce qui a été dit précédemment à propos des traits saillants de la voie du Christ, dont  » la nourriture est de faire la volonté de Celui qui l’a envoyé et de mener son œuvre à bonne fin  » (Jn.4,34). Jésus ne vit pas une union plus intime et plus stricte avec le Père que celle qui pour lui se traduit continuellement dans une profonde prière. La volonté du Père l’envoie aux hommes, aux pécheurs, même à ses bourreaux, et il ne peut être plus intimement uni au Père qu’en obéissant à cette volonté. Cela n’empêche nullement que dans son cheminement terrestre, il se retire aussi dans la solitude pour prier, pour s’unir au Père et recevoir de lui une force nouvelle pour sa mission dans le monde. Sur le Thabor, où certainement il est uni au Père d’une façon manifeste, sa passion est évoquée (cf. Lc.9,31) et la possibilité de demeurer dans les  » trois tentes  » sur le mont de la transfiguration n’est pas même prise en considération. Toute prière contemplative chrétienne renvoie continuellement à l’amour du prochain, à l’action et à la passion, et c’est ainsi qu’elle rapproche le plus de Dieu.
14. Pour s’approcher de ce mystère de l’union à Dieu, que les Pères grecs appelaient divinisation de l’homme, et pour saisir avec précision les modalités selon lesquelles elle se réalise, il faut tenir compte avant tout du fait que l’homme est essentiellement créature et qu’il reste tel pour l’éternité, de sorte qu’une absorption du moi humain dans le moi divin ne sera jamais possible, pas même dans les états de grâce les plus élevés. On doit cependant reconnaître que la personne humaine est créée à l’image et ressemblance de Dieu, et que l’archétype de cette image est le Fils de Dieu, dans lequel et pour lequel nous avons été créés (cf. Col.1,16). Or cet archétype nous révèle le plus grand et le plus beau mystère chrétien : de toute éternité, le Fils est autre par rapport au Père, et toutefois, dans l’Esprit-Saint, il est de la même substance ; en conséquence, le fait qu’il existe une altérité n’est pas un mal, mais plutôt le plus grand des biens. Il y a altérité en Dieu même, qui est une seule nature en trois personnes, et il y a altérité entre Dieu et la créature, qui sont par nature différents. Enfin, dans la sainte Eucharistie comme dans les autres sacrements, et analogiquement dans ses actions et ses paroles, le Christ se donne lui-même à nous, et nous fait participer à sa nature divine, sans pour autant supprimer notre nature créée, à laquelle lui-même participe avec son Incarnation.
15. Si l’on considère ensemble ces vérités, on découvre avec un profond émerveillement que dans la réalité chrétienne, toutes les aspirations présentes dans la prière des autres religions sont comblées, sans pour autant que le moi personnel et son caractère de créature doivent être annulés et disparaître dans l’océan de l’Absolu.  » Dieu est amour  » (1 Jn.4,8) : cette affirmation profondément chrétienne peut concilier l’union parfaite avec l’altérité entre l’être qui aime et l’être aimé, avec l’éternel échange et l’éternel dialogue. Dieu lui-même est cet éternel échange, et nous pouvons en pleine vérité devenir participants du Christ, comme fils adoptifs, et crier avec le Fils dans l’Esprit-Saint :  » Abba, Père « . En ce sens, les Pères de l’Eglise ont pleinement raison de parler de divinisation de l’homme qui, incorporé au Christ Fils de Dieu par nature, devient par sa grâce participant de la nature divine, fils dans le Fils. Le chrétien, en recevant l’Esprit-Saint, glorifie1e Père et participe réellement à la vie trinitaire de Dieu.

V. Questions de méthode
16. La majeure partie des grandes religions qui ont cherché l’union avec Dieu dans la prière, ont aussi indiqué des voies pour l’atteindre. Comme l’Eglise catholique ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans ces religions, on ne devra pas rejeter a priori ces indications parce que non chrétiennes. On pourra au contraire recueillir en elles ce qui s’y rencontre d’utile, à condition de ne jamais perdre de vue la conception chrétienne de la prière, sa logique et ses exigences, puisque c’est à l’intérieur de cette totalité que ces fragments devront être reformulés et assumés. Parmi eux, on peut compter avant tout l’humble acceptation d’un maître expert dans la vie de prière et de ses directives ; c’est là une chose dont on a toujours eu conscience dans l’expérience chrétienne, depuis les temps anciens, dès l’époque des Pères du désert. Ce maître, expert dans le sentire cum Ecclesia, doit non seulement guider et appeler l’attention sur certains dangers, mais comme  » père spirituel « , il doit aussi introduire d’une manière vivante, dans le cœur à cœur, dans la vie de prière qui est un don de l’Esprit-Saint.
17. L’époque classique tardive non chrétienne distinguait volontiers trois stades dans la vie de perfection : la voie de la purification, de l’illumination et de l’union. Cette doctrine a servi de modèle à beaucoup d’écoles de spiritualité chrétienne. Le schéma, en soi valable, réclame toutefois quelques précisions qui en permettent une correcte interprétation chrétienne pour éviter de dangereuses méprises.
18. La recherche de Dieu moyennant la prière doit être précédée et accompagnée par l’ascèse et la purification des propres péchés et erreurs, car selon la parole de Jésus, seuls  » ceux qui ont le cœur pur verront Dieu  » (Mt.5,8). L’Evangile vise surtout à une purification morale du manque de vérité et d’amour, et sur un plan plus profond, de tous les instincts égoïstes qui empêchent à l’homme de reconnaître et d’accepter la volonté de Dieu dans toute sa pureté. Ce ne sont pas les passions en tant que telles qui ont un caractère négatif (comme le pensaient les stoïciens et les néoplatoniciens), mais leur tendance égoïste. C’est de celle-ci que le chrétien doit se libérer pour arriver à cet état de liberté positive, que l’époque classique chrétienne appelait  » apatheia « , le Moyen Age  » impassibilitas « , et les exercices spirituels ignaciens  » indiferencia « .
Cela est impossible sans une abnégation radicale, comme on le voit aussi dans saint Paul qui utilise ouvertement le mot mortification (des tendances peccamineuses). Seule cette abnégation rend l’homme Libre de réaliser la volonté de Dieu et de participer à la liberté de l’Esprit-Saint.
19. Il conviendra donc d’interpréter correctement l’enseignement des maîtres qui recommandent de  » vider  » l’esprit de toute représentation sensible et de tout concept, en maintenant toutefois une aimante attention à Dieu, de sorte qu’il y ait en celui qui prie un vide qui peut alors être rempli par la richesse divine. Le vide dont Dieu a besoin est celui du renoncement au propre égoïsme, pas nécessairement celui du renoncement aux réalités créées qu’il nous a données et au milieu desquelles il nous a placés. Il n’y a pas de doute que dans la prière, on doive se concentrer entièrement sur Dieu et exclure le plus possible les choses du monde qui enchaînent notre égoïsme. Saint Augustin est sur ce point un maître insigne : si tu veux trouver Dieu, dit-il, abandonne le monde extérieur et rentre en toi-même. Toutefois, poursuit-il, ne demeure pas en toi-même, mais surpasse-toi, car tu n’es pas Dieu : Lui est plus profond et plus grand que toi.  » Je cherche sa substance dans mon âme, et je ne la trouve pas ; j’ai toutefois médité sur la recherche de Dieu et, tendu vers lui, à travers les choses créées, j’ai cherché à connaître les perfections invisibles de Dieu « .  » Demeurer en soi-même  » : voilà le vrai danger. Le grand Docteur de l’Église recommande de se concentrer en soi-même, mais aussi de transcender le moi qui n’est pas Dieu, mais une créature. Car Dieu est bien en nous et avec nous, mais il nous transcende dans son mystère.
20. Du point de vue dogmatique, il est impossible d’arriver à l’amour parfait de Dieu si l’on fait abstraction du don qu’il fait de lui-même dans le Fils incarné crucifié et ressuscité. En lui, sous l’action de l’Esprit-Saint et par pure grâce, nous prenons part à la vie intradivine. Lorsque Jésus déclare :  » Qui m’a vu a vu le Père  » (Jn.14,9), il n’entend pas simplement la vision et la connaissance extérieures de sa figure humaine ( » la chair ne sert de rien  » Jn.6,63). Ce qu’il entend est plutôt une vision rendue possible par la grâce de la foi : voir, à travers la manifestation sensible de Jésus ce que comme Verbe incarné il veut vraiment nous montrer de Dieu ( » C’est l’esprit qui vivifie [...]; les paroles que je vous ai dites sont esprit, et elles sont vie  » ibid.). Dans ce  » voir « , il ne s’agit pas de l’abstraction purement humaine de la figure en qui Dieu s’est révélé, mais de saisir la réalité divine dans la figure humaine de Jésus, de saisir sa dimension divine et éternelle dans sa temporalité. Comme le dit saint Ignace dans les Exercices spirituels, nous devrions essayer de saisir  » le parfum infini et la douceur infinie de la divinité  » (n° 124) en partant de la vérité révélée finie par laquelle nous avons commencé. Tandis qu’il nous élève, Dieu est libre de nous  » vider  » de tout ce qui nous retient en ce monde, de nous attirer complètement dans la vie trinitaire de son amour éternel. Toutefois, ce don ne peut nous être concédé que dans le Christ par l’Esprit-Saint, et non à travers nos propres forces, en faisant abstraction de sa révélation.
21. Dans le chemin de la vie chrétienne, la purification est suivie de l’illumination par l’amour que le Père nous donne dans le Fils et l’onction que nous recevons de lui dans l’Esprit-Saint (cf. 1 Jn.2,20). Dès l’antiquité chrétienne, on fait référence à l’illumination reçue au baptême. Elle introduit les fidèles, initiés aux divins mystères, à la connaissance du Christ par la foi qui opère au moyen de la charité. Bien plus, certains écrivains ecclésiastiques parlent d’une manière explicite de l’illumination recue dans le baptême comme du fondement de la sublime connaissance du Christ Jésus (cf. Ph.3,8) qui est définie comme contemplation.
Par la grâce du baptême, les fidèles sont appelés à progresser dans la connaissance et le témoignage des mystères de la foi moyennant l’intelligence intérieure qu’ils éprouvent des choses spirituelles. Aucune lumière venant de Dieu ne rend superflues les vérités de foi. Les grâces éventuelles d’illumination que Dieu peut concéder aident plutôt à mieux clarifier la dimension plus profonde des mystères professés et célébrés par l’Eglise, en attendant que le chrétien puisse contempler Dieu tel qu’il est dans sa gloire (cf. 1 Jn.3,2).
22. Enfin le chrétien qui prie peut arriver, si Dieu le veut, à une expérience particulière d’union. Les sacrements, surtout le baptême et l’Eucharistie, sont le commencement objectif de l’union du chrétien à Dieu. Sur cette base, par une grâce spéciale de l’Esprit, celui qui prie peut être appelé à ce type particulier d’union à Dieu qui, dans le milieu chrétien, est qualifiée de mystique.
23. Assurément, le chrétien a besoin de temps déterminés de retraite dans la solitude pour se recueillir et retrouver près de Dieu son chemin. Mais à cause de son caractère de créature, et de créature qui sait n’avoir de sécurité que dans la grâce, sa manière de s’approcher de Dieu ne se fonde sur aucune technique au sens strict du mot. Cela contredirait l’esprit d’enfance requis par l’Evangile. La mystique chrétienne authentique n’a rien à voir avec la technique : elle est toujours un don de Dieu, dont le bénéficiaire se sent indigne.
24. Il existe des grâces mystiques spéciales, conférées, par exemple, aux fondateurs d’institutions ecclésiales en faveur de toute leur fondation, ainsi qu’à d’autres saints, et qui caractérisent leur expérience particulière de prière; comme telles, elles ne peuvent pas être objet d’imitation et d’aspiration pour d’autres fidèles, même s’ils appartiennent à la même institution et aspirent à une prière toujours plus parfaite. Il peut y avoir divers niveaux et diverses modalités de participation à l’expérience de prière d’un fondateur, sans que la même forme doive être conférée à tous. Du reste, l’expérience de prière, qui a une place privilégiée dans toutes les institutions authentiquement ecclésiales anciennes et modernes, est toujours, en dernière analyse, quelque chose de personnel. Et c’est à la personne que Dieu donne ses grâces en vue de la prière.
25. A propos de la mystique, on doit distinguer entre les dons du Saint-Esprit et les charismes accordés par Dieu d’une manière totalement libre. Les premiers sont quelque chose que tout chrétien peut raviver en soi par une intense vie de foi, d’espérance et de charité ; ainsi, grâce également à une sérieuse ascèse, il peut arriver à une certaine expérience de Dieu et des contenus de la foi. Quant aux charismes, saint Paul dit qu’ils sont surtout donnés en faveur de 1’Eglise, des autres membres du Corps mystique du Christ (cf. 1 Co.12,7). A ce propos, il faut rappeler d’abord que les charismes ne peuvent pas être identifiés avec des dons extraordinaires (cf. Rm.12, 3-21), ensuite que la distinction entre les  » dons du Saint-Esprit  » et les  » charismes  » peut être souple. Il est certain que, dans le cadre néotestamentaire, un charisme fécond pour l’Eglise ne peut être exercé sans un degré déterminé de perfection personnelle, et que, d’autre part, tout chrétien vivant possède un devoir particulier (et en ce sens, un  » charisme « ) pour l’édification du Corps du Christ (cf. Ep.4,15-16), en communion avec la hiérarchie, à laquelle il revient spécialement de ne pas éteindre l’Esprit, mais de tout examiner pour retenir ce qui est bon.

VI. Méthodes psychophysiques et corporelles
26. L’expérience humaine démontre que la position et l’attitude du corps ne sont pas sans inflence sur le recueillement et la disposition de l’esprit. C’est là une donnée à laquelle certains auteurs spirituels de l’Orient et de l’Occident chrétien ont prêté attention. Leurs réflexions, tout en présentant des points communs avec les méthodes orientales non chrétiennes de méditation, évitent les exagérations ou les unilatéralités qui, par contre, sont souvent proposées aujourd’hui à des personnes insuffisamment préparées.
Ces auteurs spirituels ont adopté les éléments qui facilitent le recueillement dans la prière, reconnaissant en même temps aussi leur valeur relative : ceux-ci sont utiles s’ils sont reformulés en vue du but de la prière chrétienne. Ainsi, par exemple, le jeûne possède avant tout, dans le christianisme, la signification d’un exercice de pénitence et de sacrifice ; mais déjà chez les Pères, il avait aussi pour fin de rendre l’homme plus disponible à la rencontre avec Dieu, et le chrétien plus capable de se dominer et en même temps plus attentif à ceux qui sont dans le besoin.
Dans la prière, c’est l’homme tout entier qui doit entrer en relation avec Dieu, et donc son corps aussi doit prendre la position la mieux adaptée au recueillement. Cette position peut exprimer d’une manière symbolique la prière elle-même, variant selon les cultures et la sensibilité personnelle. Dans certaines zones, les chrétiens acquièrent aujourd’hui une conscience plus grande du fait que l’attitude du corps peut favoriser la prière.
27. La méditation chrétienne de l’Orient a valorisé le symbolisme psychophysique, souvent absent de la prière de l’Occident. Il peut aller d’une attitude corporelle déterminée jusqu’aux fonctions vitales, comme la respiration et le battement cardiaque. Ainsi l’exercice de la  » prière de Jésus « , qui s’adapte au rythme respiratoire naturel, peut, au moins pour un certain temps, être d’une aide réelle à beaucoup.
D’autre part, les mêmes maîtres orientaux ont aussi constaté que tous ne sont pas également aptes à utiliser ce symbolisme, parce que tous ne sont pas en mesure de passer du signe matériel à la réalité spirituelle recherchée. Compris d’une manière inadéquate et incorrecte, le symbolisme peut même devenir une idole, et par conséquent un obstacle à l’élévation de l’esprit vers Dieu. Vivre dans le cadre de la prière toute la réalité de son propre corps comme symbole est encore plus difficile : cela peut dégénérer dans un culte du corps, et porter à identifier subrepticement toutes ses sensations avec des expériences spirituelles.
28. Certains exercices physiques produisent automatiquement des sensations de quiétude et de détente, des sentiments gratifiants, voire même des phénomènes de lumière et de chaleur qui ressemblent à un bien-être spirituel. Les prendre pour d’authentiques consolations de l’Esprit-Saint serait une manière totalement erronée de concevoir le cheminement spirituel. Leur attribuer des significations symboliques typiques de l’expérience mystique, alors que l’attitude morale de l’intéressé ne lui correspond pas, représenterait une sorte de schizophrénie mentale, pouvant même conduire à des troubles psychiques et parfois à des aberrations morales. Cela n’empêche pas que d’authentiques pratiques de méditation provenant de l’Orient chrétien et des grandes religions non chrétiennes, qui attirent l’homme d’aujourd’hui divisé et désorienté, puissent constituer un moyen adapté pour aider celui qui prie à se tenir devant Dieu dans une attitude de détente intérieure, même au milieu des sollicitations extérieures.
Il faut toutefois rappeler que l’union habituelle à Dieu, à savoir cette attitude de vigilance intérieure et d’invocation de l’aide divine que le Nouveau Testament nomme la prière continuelle, ne s’interrompt pas nécessairement lorsque l’on s’adonne aussi, selon la volonté de Dieu, au travail et au soin du prochain.  » Soit donc que vous mangiez, soit que vous buviez et quoi que vous fassiez, faites tout pour la gloire de Dieu « , nous dit l’Apôtre (1 Co.10,31). En effet, comme le soutiennent les grands maîtres spirituels, la prière authentique réveille en ceux qui prient une ardente charité, qui les pousse à collaborer à la mission de l’Église et au service de leurs frères, pour la plus grande gloire de Dieu.

VII.  » Je suis le chemin « 
29. Tout fidèle devra chercher et pourra trouver, dans la variété et la richesse de la prière chrétienne enseignée par l’Église, sa propre manière de prier ; mais toutes ces voies personnelles se rejoignent finalement dans cette voie vers le Père, que Jésus-Christ a déclaré être. Dans la recherche de sa propre voie, chacun se laissera donc guider moins par ses goûts personnels que par l’Esprit-Saint, qui, dans le Christ, le conduit jusqu’au Père.
30. Pour qui s’engage sérieusement, il y aura toutefois des moments où il lui semblera errer dans un désert et, malgré tous ses efforts, ne rien sentir de Dieu. Il doit savoir que ces épreuves ne sont épargnées à aucun de ceux qui prennent la prière au sérieux. Mais il ne doit pas identifier immédiatement cette expérience, commune a tous les chrétiens qui prient, avec la nuit obscure de type mystique. De toute manière, pendant ces périodes, la prière qu’il s’efforcera de maintenir fermement pourra lui donner l’impression d’avoir un caractère artificiel, bien qu’il s’agisse en réalité d’une chose tout à fait différente : elle est, en effet, justement alors, expression de sa fidélité à Dieu, en la présence duquel il veut demeurer même lorsqu’il n’est récompensé par aucune consolation subjective. Dans ces moments apparemment négatifs, devient manifeste ce que la personne qui prie cherche réellement : si elle cherche vraiment Dieu qui la dépasse toujours dans son infinie liberté, ou bien si elle se recherche elle-même, sans réussir à dépasser ses propres expériences, qu’elles lui apparaissent comme des expériences positives d’union à Dieu ou comme des expériences négatives de vide mystique.
31. L’amour de Dieu, unique objet de la contemplation chrétienne, est une réalité qu’on ne peut s’approprier par aucune méthode ni aucune technique ; au contraire, nous devons toujours avoir le regard fixé sur Jésus-Christ, en qui l’amour divin est arrivé pour nous sur la Croix à un tel point que lui-même a voulu assumer même la condition d’éloignement du Père (cf. Mc.15,34). Nous devons donc laisser décider par Dieu la manière dont il veut nous faire participer à son amour. Mais nous ne pouvons jamais, en aucune manière, chercher à nous mettre au même niveau que l’objet contemplé, l’amour libre de Dieu ; pas même lorsque, par la miséricorde de Dieu le Père, grâce à l’Esprit-Saint envoyé dans nos cœurs, nous est donné gratuitement dans le Christ un reflet sensible de cet amour divin, et que nous nous sentons comme attirés par la vérité, la bonté et la beauté du Seigneur.
Plus il est accordé à une créature de s’approcher de Dieu et plus grandit en elle la révérence face au Dieu trois fois Saint. On comprend alors la parole de saint Augustin :  » Tu peux m’appeler ami, je me reconnais serviteur « . Ou mieux encore la parole qui nous est encore plus familière, prononcée par celle qui a été gratifiée de la plus haute intimité avec Dieu :  » Il a jeté les yeux sur l’humilité de sa servante.  » (Lc.1,48).

A Rome, au siège de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, le 15 octobre 1989, en la fête de sainte Thérèse de Jésus.

Joseph card. Ratzinger

 

BENOÎT XVI – (LA PRIÈRE DANS LES LETTRES DE SAINT PAUL) – [2012]

12 février, 2015

http://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/audiences/2012/documents/hf_ben-xvi_aud_20120516.html

BENOÎT XVI – (LA PRIÈRE DANS LES LETTRES DE SAINT PAUL) – [2012]

AUDIENCE GÉNÉRALE

Place Saint-Pierre

Mercredi 16 mai 2012

Chers frères et sœurs,

Au cours des dernières catéchèses, nous avons réfléchi sur la prière dans les Actes des Apôtres ; aujourd’hui, je voudrais commencer à parler de la prière dans les Lettres de saint Paul, l’apôtre des nations. Je voudrais avant tout souligner que ce n’est pas un hasard si ses Lettres sont introduites et se concluent par l’expression d’une prière : au début, l’action de grâce et la louange, et, à la fin, le vœu afin que la grâce de Dieu guide le chemin des communautés auxquelles s’adresse la lettre. Entre la formule d’ouverture « Je rends grâce à mon Dieu par Jésus Christ » (Rm 1, 8) et le souhait final : « Que la grâce du Seigneur Jésus soit avec vous » (1 Co 16, 23), se développent les contenus des Lettres de l’apôtre. La prière de saint Paul manifeste une grande richesse de formes qui vont de l’action de grâce à la bénédiction, de la louange à la demande et à l’intercession, de l’hymne à la supplique : une variété d’expressions qui montre que la prière touche et pénètre toutes les situations de la vie, tant celles des personnes que des communautés auxquelles il s’adresse.
Un premier élément que l’apôtre veut nous faire comprendre est que la prière ne doit pas être considérée comme une simple bonne œuvre que nous accomplissons pour Dieu, comme notre propre action. C’est avant tout un don, fruit de la présence vivante, vivifiante du Père et de Jésus Christ en nous. Dans la Lettre aux Romains, il écrit : « Bien plus, l’Esprit Saint vient au secours de notre faiblesse, car nous ne savons pas prier comme il faut. L’Esprit lui-même intervient pour nous par des cris inexprimables » (8, 26). Et nous savons combien ce que dit l’apôtre est vrai : « Nous ne savons pas prier comme il faut ». Nous voulons prier, mais Dieu est loin, nous n’avons pas les paroles, le langage, pour parler à Dieu, ni même la pensée. Nous pouvons seulement nous ouvrir, mettre notre temps à la disposition de Dieu, attendre qu’il nous aide lui-même à entrer dans le vrai dialogue. L’apôtre dit : ce manque de paroles, cette absence de paroles, mais aussi ce désir d’entrer en contact avec Dieu, est précisément la prière que l’Esprit Saint non seulement comprend, mais apporte et interprète auprès de Dieu. Par l’intermédiaire de l’Esprit Saint, notre faiblesse devient précisément une véritable prière, un véritable contact avec Dieu. L’Esprit Saint est presque l’interprète qui nous fait comprendre à nous-mêmes et à Dieu ce que nous voulons dire.
Dans la prière, plus que dans les autres dimensions de notre existence, nous faisons l’expérience de notre faiblesse, de notre pauvreté, de notre condition de créatures, car nous sommes placés face à la toute-puissance et à la transcendance de Dieu. Et plus nous progressons dans l’écoute et dans le dialogue avec Dieu, afin que la prière devienne le souffle quotidien de notre âme, plus nous percevons le sens de nos limites, non seulement face aux situations concrètes de tous les jours, mais aussi dans notre relation même avec le Seigneur. Ainsi croît en nous le besoin de lui faire confiance, de nous en remettre toujours davantage à Lui ; nous comprenons que « nous ne savons pas… prier comme il faut » (Rm 8, 26). Et c’est l’Esprit Saint qui vient en aide à notre incapacité, qui éclaire notre esprit et qui réchauffe notre cœur, en nous guidant lorsque nous nous adressons à Dieu. Pour saint Paul, la prière est surtout l’œuvre de l’Esprit dans notre humanité, pour assumer notre faiblesse et nous transformer, d’hommes liés aux réalités matérielles en hommes spirituels. Dans la Première Lettre aux Corinthiens, l’apôtre dit : « Et nous, l’esprit que nous avons reçu, ce n’est pas celui du monde, c’est celui qui vient de Dieu, et ainsi nous avons conscience des dons que Dieu nous a faits. Et nous proclamons cela avec un langage que nous n’apprenons pas de la sagesse humaine, mais de l’Esprit, et nous interprétons de manière spirituelle ce qui vient de l’Esprit » (2, 12-13). En habitant notre fragilité humaine, l’Esprit Saint nous change, intercède pour nous et nous élève jusqu’à Dieu (cf. Rm 8, 26).
Par cette présence de l’Esprit Saint se réalise notre union au Christ car il s’agit de l’Esprit du Fils de Dieu, en qui nous devenons fils. Saint Paul parle de l’Esprit du Christ (cf. Rm 8, 9), et pas seulement de l’Esprit de Dieu. Cela est évident : si le Christ est le Fils de Dieu, son Esprit est aussi l’Esprit de Dieu ; ainsi, si l’Esprit de Dieu, l’Esprit du Christ, est devenu déjà très proche de nous dans le Fils de Dieu et le Fils de l’homme, l’Esprit de Dieu devient aussi un esprit humain et nous touche ; nous pouvons entrer dans la communion de l’Esprit. C’est comme s’il disait que non seulement Dieu le Père s’est rendu visible dans l’incarnation du Fils, mais aussi que l’Esprit de Dieu se manifeste dans la vie et dans l’action de Jésus, de Jésus Christ, qui a vécu, a été crucifié, est mort et ressuscité. L’apôtre rappelle que « personne n’est capable de dire : “Jésus est le Seigneur” sans l’action de l’Esprit Saint » (1 Co 12, 3). L’Esprit oriente donc notre cœur vers Jésus Christ, de sorte que « ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi » (cf. Ga 2, 20). Dans ses Catéchèses sur les sacrements, en réfléchissant sur l’Eucharistie, saint Ambroise affirme : « Celui qui s’enivre de l’Esprit est enraciné dans le Christ » (5, 3, 17: pl 16, 450).
Je voudrais à présent souligner trois conséquences pour notre vie chrétienne, lorsque nous laissons agir en nous non pas l’esprit du monde, mais l’Esprit du Christ comme principe intérieur de toutes nos actions.
Tout d’abord, avec la prière animée par l’Esprit Saint, nous sommes mis en condition d’abandonner et de surmonter toute forme de peur ou d’esclavage, en vivant la liberté authentique des fils de Dieu. Sans la prière qui alimente chaque jour notre être dans le Christ, dans une intimité croissante, nous nous trouvons dans la condition décrite par saint Paul dans la Lettre aux Romains : nous ne faisons pas le bien que nous voulons, mais le mal que nous ne voulons pas (cf. Rm 7, 19). Telle est l’expression de l’aliénation de l’être humain, de la destruction de notre liberté, à cause de la condition de notre être marqué par le péché originel : nous voulons le bien que nous ne faisons pas et nous faisons ce que nous ne voulons pas, le mal. L’apôtre veut faire comprendre que ce n’est pas avant tout notre volonté qui nous libère de cette condition, ni la Loi, mais l’Esprit Saint. Et puisque « là où l’Esprit du Seigneur est présent, là est la liberté » (2 Co 3, 17), avec la prière, nous faisons l’expérience de la liberté donnée par l’Esprit: une liberté authentique, qui est une liberté du mal et du péché, pour le bien et pour la vie, pour Dieu. La liberté de l’Esprit, continue saint Paul, ne s’identifie jamais ni avec le libertinage, ni avec la possibilité de faire le choix du mal, mais plutôt avec « ce que produit l’Esprit: amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, humilité et maîtrise de soi » (Ga 5, 22). Telle est la véritable liberté: pouvoir réellement suivre le désir du bien, de la vraie joie, de la communion avec Dieu et ne pas être opprimé par les circonstances qui nous attirent vers d’autres directions.
Une seconde conséquence qui se produit dans notre vie, quand nous laissons agir en nous l’Esprit du Christ, est que la relation même avec Dieu devient tellement profonde qu’elle n’est affectée par aucune réalité ni situation. Nous comprenons alors qu’avec la prière, nous ne sommes pas libérés des épreuves ou des souffrances, mais nous pouvons les vivre en union avec le Christ, avec ses souffrances, dans la perspective de participer également à sa gloire (cf. Rm 8, 17). Souvent, dans notre prière, nous demandons à Dieu d’être libérés du mal physique ou spirituel, et nous le faisons avec une grande confiance. Pourtant, nous avons souvent l’impression de ne pas être écoutés et nous risquons alors de nous décourager et de ne pas persévérer. En réalité, il n’y a pas un cri humain qui ne soit écouté par Dieu et c’est précisément dans la prière constante et fidèle que nous comprenons avec saint Paul qu’« il n’y a pas de commune mesure entre les souffrances du temps présent et la gloire que Dieu va bientôt révéler en nous » (Rm 8, 18). La prière ne nous épargne pas les épreuves et les souffrances, au contraire — dit saint Paul — « nous crions en nous-mêmes notre souffrance ;… nous attendons notre adoption et la délivrance de notre corps » (Rm 8, 24) ; il dit que la prière ne nous épargne pas la souffrance mais qu’elle nous permet de la vivre et de l’affronter avec une force nouvelle, avec la même confiance que Jésus qui — selon la Lettre aux Hébreux — « pendant les jours de sa vie mortelle,… a présenté, avec un grand cri et dans les larmes, sa prière et sa supplication à Dieu qui pouvait le sauver de la mort ; et, parce qu’il s’est soumis en tout, il a été exaucé » (5, 7). La réponse de Dieu le Père à son Fils, à ses cris puissants et à ses larmes, n’a pas été la libération des souffrances, de la croix, de la mort, mais une réalisation beaucoup plus grande, une réponse beaucoup plus profonde ; à travers la croix et la mort, Dieu a répondu par la résurrection de son Fils, par une vie nouvelle. La prière animée par l’Esprit Saint nous porte, nous aussi, à vivre chaque jour le chemin de notre vie avec ses épreuves et ses souffrances, dans la pleine espérance, dans la confiance en Dieu qui répond comme il a répondu à son Fils.
Troisième point, la prière du croyant s’ouvre aussi aux dimensions de l’humanité et de toute la création, assumant « la création [qui] aspire de toutes ses forces à voir cette révélation des fils de Dieu » (Rm 8, 19). Cela signifie que la prière, soutenue par l’Esprit du Christ qui parle au plus profond de nous, ne reste jamais fermée sur elle-même, n’est jamais seulement une prière pour moi, mais qu’elle s’ouvre au partage des souffrances de notre temps, des autres. Elle devient une intercession pour les autres et ainsi, la libération de moi-même, le canal d’espérance pour toute la création, l’expression de cet amour de Dieu qui est répandu dans nos cœurs par l’Esprit qui nous a été donné (cf. Rm 5, 5). Et ceci est justement le signe d’une véritable prière, qui ne prend pas fin en nous-mêmes, mais qui s’ouvre aux autres et, ainsi, me libère et contribue à la rédemption du monde.
Chers frères et sœurs, saint Paul nous enseigne que, dans notre prière, nous devons nous ouvrir à la présence de l’Esprit Saint, qui prie en nous par des cris inexprimables, pour nous conduire à adhérer à Dieu de tout notre cœur et de tout notre être. L’Esprit du Christ devient la force de notre « faible » prière, la lumière de notre prière « éteinte », le feu de notre prière « sèche », et nous donne la véritable liberté intérieure, nous enseignant à vivre en affrontant les épreuves de l’existence, dans la certitude que nous ne sommes pas seuls, en nous ouvrant aux horizons de l’humanité et de la création qui « crie sa souffrance,… passe par les douleurs d’un enfantement qui dure encore » (Rm 8, 22). Merci.

Christ in the Wilderness – Awaking

11 février, 2015

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ST BERNARD : 107E SERMON SUR LES SENTIMENTS QU’IL FAUT AVOIR DANS LA PRIÈRE

11 février, 2015

http://peresdeleglise.free.fr/textesvaries/bernard-priere.htm

ST BERNARD : 107E SERMON SUR LES SENTIMENTS QU’IL FAUT AVOIR DANS LA PRIÈRE

1. Il doit en être du pécheur par rapport à son Créateur, comme du malade par rapport à son médecin, et tout pécheur doit prier Dieu comme un malade prie son médecin. Mais la prière du pécheur rencontre deux obstacles, l’excès ou l’absence de lumière. Celui qui ne voit ni ne confesse point ses péchés est privé de toute lumière; au contraire celui qui les voit, mais si grands qu’il désespère du pardon, est offusqué par un excès de lumière : ni l’un ni l’autre ne prient. Que faire donc ? Il faut tempérer la lumière, afin que le pécheur voie ses péchés, les confesse, et prie pour eux afin d’en obtenir la rémission. Il faut donc d’abord qu’il prie avec un sentiment de confusion, c’est ce qui a lieu quand le pécheur n’ose point encore s’approcher lui-même de Dieu et cherche quelque homme saint, quelque saint pauvre d’esprit qui soit comme la frange du manteau du Seigneur, et par qui il puisse s’approcher de lui. Nous avons un exemple de cette sorte de prière, dans cette femme de l’Évangile qui souffrait d’un flux de sang: dans son désir d’être guérie, elle s’approche et se disait en elle-même : « Si je touche la frange de son vêtement, je serai sauvée. » (Matt. IX, 23). La seconde sorte de prière est celle qui se fait avec une affection pure ; c’est ce qui a lieu quand le pécheur s’approche lui-même enfin, et confesse ses péchés de sa propre bouche. La pécheresse qui lavait de ses larmes les pieds du Seigneur, et les essuyait des cheveux de sa tête, et dont le Sauveur a dit « beaucoup de péchés lui sont remis parce que elle a beaucoup aimé. » (Luc. VII, 47), nous a laissé un exemple de cette prière. La troisième se fait avec une ample effusion de sentiments ; c’est quand celui qui avait commencé par prier pour lui-même, prie enfin pour les autres. Voilà comment les apôtres ont prié pour la Chananéenne qui priait elle-même pour sa fille. « Seigneur, disaient-ils, accordez-lui ce qu’elle demande, afin qu’elle s’en aille, car elle crie après nous. » (Matt. XV, 23). La quatrième sorte de prière est celle qui part d’un coeur pur sans hésitation, avec action de grâces, et dans un sentiment plein de dévotion. Telle fut la prière que fit le Seigneur quand il ressuscita Lazare depuis quatre jours au tombeau : il dit en effet : « Je vous rends grâce mon Père de ce que vous m’avez écouté. » (Jean XI, 41). Telles sont aussi les prières que l’Apôtre veut que nous fassions fréquemment quand il dit : « Priez sans cesse, et rendez grâce en toute chose. » (I Thess. V, 17). C’est de ces quatre sortes de prières, je veux dire de la prière humble, et de la pure, de la prière ample et de la dévote qu’il nous parle quand il nous excite en ces termes à prier : « Je vous conjure, avant tout, de faire des supplications, des prières, des demandes et des actions de grâces. » (I Tim. II, 1). En effet, les supplications se font dans un sentiment d’humilité, les prières dans un sentiment de pureté, les demandes se font dans un sentiment d’effusion, et les actions de grâces dans un sentiment de dévotion.
2. Je vous ai parlé des différents genres d’affections et de prières, il faut que je vous parle aussi de la pureté de la prière. Et d’abord, il me semble qu’il y a trois choses nécessaires pour donner à la prière une direction ferme. En effet, celui qui prie doit considérer ce qu’il demande dans la prière, quel est celui qu’il prie et quel il est, lui qui prie. Or, dans l’objet de sa prière il a deux choses à observer, en premier lieu, de ne demander rien qui ne soit selon Dieu, et en second lieu, désirer avec la plus grande ardeur de sentiment ce qu’il demande. Prenons un exemple : demander la mort d’un ennemi, le mal ou la ruine du prochain, ce n’est point faire une prière qui soit selon Dieu, puisque lui-même vous fait cette recommandation : « Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, bénissez ceux qui vous maudissent et priez pour ceux qui vous calomnient. » (Luc. VI, 27). Mais si nous demandons la rémission de nos péchés, la grâce du Saint-Esprit, la vertu et la sagesse, la foi et la vérité, la justice et l’humilité, la patience, la douceur et tous les autres dons spirituels, si, dis-je, c’est là ce que nous avons en pensée et l’objet de nos plus ardents désirs, notre prière est bien selon Dieu, et mérite par dessus tout d’être exaucée. Voilà certainement la prière dont Dieu parle quand il dit par la bouche d’Isaïe : « Avant qu’ils crient je les exaucerai ; et lorsqu’ils parleront encore j’exaucerai leurs prières. (Is. LXV, 24). Il y a d’autres choses encore qui, lorsqu’elles nous font défaut, nous sont accordées de Dieu et peuvent être ou n’être point selon Dieu, d’après la fin à laquelle nous les rapportons. Telle est la santé du corps, l’argent, et l’abondance des autres choses semblables. Toutes ces choses-là viennent bien de Dieu, néanmoins, il n’en faut pas faire trop de cas ni les posséder avec trop d’attachement. De même, il y a deux choses aussi à considérer dans celui que nous prions, sa bonté et sa majesté : sa bonté par laquelle il veut gratuitement, et sa majesté par laquelle il peut sans peine donner ce qu’on lui demande. Quant à celui qui prie, il a aussi deux choses à considérer par rapport à lui, c’est qu’il ne mérite point d’être exaucé par lui-même, et qu’il n’a d’espoir d’obtenir ce qu’il demande que de la miséricorde de Dieu. C’est enfin avoir un coeur pur que d’avoir présentes à l’esprit les trois choses dont je viens de parler et de la manière que je l’ai dit. Mais celui qui prie avec cette pureté et cette intention du coeur est sûr d’être exaucé, car, selon ce que dit saint Pierre : « Dieu ne fait acception de personne, mais en toute nation, celui qui le craint et dont les oeuvres sont justes, lui est agréable » (Act. X, 34).
Comment le monde peut-il être sauvé s’il oublie la prière ? Si l’homme ne se reconnaît plus créature d’un Créateur, si l’homme ne se reconnaît plus aimé d’un amour fou par Celui de qui vient tout Amour ? L’Eglise trop souvent se vit maintenant à travers des structures considérées comme indispensables, dans la détresse de l’organisation, alors qu’on ne demande que la prière à ceux qui sont chrétiens ! Prière de chaque instant, prière que nous ne savons pas formuler, mais pour laquelle il ne s’agit pas tant de remuer les lèvres que de laisser prier en nous l’Esprit qui pousse des gémissements ineffables ; prière qui s’épanche comme un chant d’Amour pour nos frères, pour nos proches, et même pour ces plus lointains que de jour en jour nous rencontrons et qui n’attendent qu’un signe pour vivre !
Certes si l’Amour parfois semble naître de la prière (et c’est heureux !), n’oublions pas que toute prière vient de l’Amour reçu, que tout Amour se prolonge en action de grâce… Celui qui est premier, c’est Dieu et c’est lui qui nous a aimé le premier, mais cet Amour accueilli devient puissance d’Amour et se répand ensuite sur ceux qui n’ont jamais entendu parler de Dieu et peut-être même qui n’ont pas vraiment connu l’amour. L’action de grâce est, selon les temps et les moments, Amour brûlant ou prière… et c’est la même chose ! L’homme tente toujours de distinguer, de séparer par l’analyse ce qu’il ne comprend pas. En Dieu il n’y a pas de séparation et si Dieu est vraiment en moi, s’il est venu y faire sa demeure, j’aime quand je prie et je prie quand j’aime… St Paul le redit, l’Amour ne passera jamais (1 Co, 13)…
Lorsque Dieu sera tout en tous, la foi et l’espérance passeront : vivant de la vie même de Dieu, nous n’aurons plus besoin de la foi et de l’espérance, nous n’aurons plus à croire et à attendre, nous n’aurons plus qu’à aimer.
Pour lors, dans notre monde si souvent marqué par la souffrance, l’Eglise avance tant qu’il y a des croyants pour prier quelque part dans le monde ; l’Eglise visible peut être réduite à très peu de chose comme se plaisent à le signaler les médias qui ne s’attachent guère à l’invisible ! Mais l’Eglise est là, petitement, invisiblement, partout où de coeurs assoiffés monte un chant vers le Père, chaque fois que dans le silence et souvent dans la solitude se vit l’élan du plus grand Amour.

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