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COMMENTAIRES DE MARIE NOËLLE THABUT, 8 FÉVRIER – 1 Corinthiens 9, 16 … 23
6 février, 2015COMMENTAIRES DE MARIE NOËLLE THABUT, 8 FÉVRIER
DEUXIEME LECTURE – 1 Corinthiens 9, 16 … 23
Frères,
16 annoncer l’Evangile, ce n’est pas là pour moi un motif de fierté,
c’est une nécessité qui s’impose à moi.
Malheur à moi si je n’annonçais pas l’Evangile !
17 Certes, si je le fais de moi-même,
je mérite une récompense.
Mais je ne le fais pas de moi-même,
c’est une mission qui m’est confiée.
18 Alors, quel est mon mérite ?
C’est d’annoncer l’Evangile
sans rechercher aucun avantage matériel,
et sans faire valoir mes droits de prédicateur de l’Evangile.
19 Oui, libre à l’égard de tous,
je me suis fait l’esclave de tous
afin d’en gagner le plus grand nombre possible.
22 Avec les faibles, j’ai été faible
pour gagner les faibles.
Je me suis fait tout à tous
pour en sauver à tout prix quelques-uns.
23 Et tout cela, je le fais à cause de l’Evangile,
pour y avoir part, moi aussi.
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Il apparaît dans plusieurs lettres de Saint Paul qu’il se fait une gloire de travailler de ses mains pour ne pas être financièrement à la charge de la communauté chrétienne. Il semble que, dans l’Eglise de Corinthe, certains de ses adversaires aient trouvé dans ce comportement un argument contre lui :
puisque Paul n’use pas de son droit d’être rétribué, c’est qu’il veut échapper à tout contrôle. Est-il authentiquement l’apôtre qu’il prétend être ?
Paul présente ici les raisons profondes de sa conduite. S’il se montre à ce point désintéressé, c’est pour que l’on sache bien qu’il « ne roule pas pour lui » ; il ne considère pas l’annonce de la Bonne Nouvelle comme l’exercice d’un métier dont il pourrait tirer quelque avantage que ce soit, mais l’accomplissement de la mission qui lui est confiée. Il est en « service commandé » et c’est cela qui le rend libre.
« J’annonce l’Evangile, c’est une nécessité qui s’impose à moi » : Paul n’a pas choisi d’annoncer l’évangile, on le sait bien ; ce n’était pas prévu au programme, pourrait-on dire ! Il était un Juif fervent, cultivé, un Pharisien : tellement fervent qu’il a commencé par persécuter la toute nouvelle secte des Chrétiens. Et puis sa conversion imprévisible a tout changé ; désormais, il a mis son tempérament passionné au service de l’évangile. Pour lui, la prédication est une fonction qui lui a été imposée lors de sa vocation : comme si, à ses yeux, on ne pouvait pas être Chrétien sans être apôtre. Il sait bien que s’il a été appelé par Dieu, c’est POUR le service des autres.
(ceux qu’il appelle les « païens » ; il le dit dans la lettre aux Galates : « …Celui qui m’a mis à part depuis le sein de ma mère et m’a appelé par sa grâce, a jugé bon de révéler en moi son Fils afin que je l’annonce parmi les païens… » Ga 1, 15).
Comment ne pas penser à la vocation de certains prophètes ; Amos, par exemple : « Je n’étais pas prophète, je n’étais pas fils de prophète, j’étais bouvier, je traitais les sycomores ; mais le Seigneur m’a pris de derrière le bétail et le Seigneur m’a dit : Va, prophétise à Israël mon peuple. » (Am 7, 14). Ou encore Jérémie : « La Parole du Seigneur s’adressa à moi : Avant de te façonner dans le sein de ta mère, je te connaissais ; avant que tu sortes de son ventre, je t’ai consacré ; je fais de toi un prophète pour les nations. (Jr 1, 4-5).
Un prophète, par hypothèse, est toujours un homme POUR les autres. Dans l’évangile de Marc, que nous lisons dans cette même liturgie, Jésus dit bien que c’est POUR annoncer la Bonne Nouvelle qu’il est venu.
Cette conscience de sa responsabilité fait dire à Paul une phrase très forte qui nous surprend peut-être : « Malheur à moi si je n’annonce pas l’évangile ! » Cela ne veut pas dire qu’il a peur d’une sanction quelconque ou qu’il ressent une menace extérieure pour le cas où il ne remplirait pas sa mission ; mais quelque chose comme « Si je n’annonçais pas l’Evangile, je serais le plus malheureux des hommes » : cette passion nouvelle pour l’évangile est devenue une seconde nature. Parce que cette découverte qu’il a faite, il brûle de la partager.
Elle est là sa joie et sa récompense : simplement savoir qu’il a accompli sa mission. Paul n’est pas un prédicateur itinérant qui vend ses talents d’orateur en faisant des conférences payantes ici ou là ; il est en service commandé : « C’est une nécessité qui s’impose à moi… Je ne le fais pas de moi-même, je m’acquitte de la charge que Dieu m’a confiée. »
Cette dernière expression était celle qu’on employait pour les esclaves ; si bien qu’on pourrait résumer ainsi les versets 17-18 : si j’avais choisi ce métier moi-même, je me ferais payer comme pour tout autre métier ; mais en réalité, je suis devenu l’esclave de Dieu, et un esclave n’est pas payé, comme chacun sait !
Mais pourtant ma récompense est grande, car c’est un grand honneur et une grande joie d’annoncer l’évangile : traduisez « Ne recevoir aucun salaire, voilà mon salaire » ; cet apparent paradoxe est la merveilleuse expérience quotidienne de tous les serviteurs de l’évangile. Car la gratuité est le seul régime qui s’accorde avec le discours sur la gratuité de l’amour de Dieu. Bien sûr, il faut vivre et assurer sa subsistance ; mais Paul nous dit très fort ici que la prédication de l’Evangile est une charge, une mission, une vocation et non un métier. En accomplissant de tout coeur la tâche qui lui est imposée, l’apôtre est gratifié de la joie de donner : en cela il est à l’image de celui qu’il annonce.
LES EXIGENCES DE LA VIE FRATERNELLE
Cette prédication n’est pas seulement paroles mais aussi tout un comportement : « J’ai partagé la faiblesse des faibles, pour gagner les faibles » ; de quelle sorte de faiblesse parle-t-il ? Je m’explique : cette phrase traduit le contexte dans lequel Paul écrit : les membres de la communauté de Corinthe n’ont pas tous eu le même parcours, comme on dit. Certains sont d’anciens Juifs, devenus Chrétiens, comme Paul ; mais les autres sont d’anciens non-Juifs ; ils n’étaient pourtant pas des païens, à proprement parler ; ils avaient une religion, des dieux, des rites… Leur Baptême et leur entrée dans la communauté chrétienne leur ont imposé des changements d’habitudes parfois radicaux. Par exemple, dans leur ancienne religion, ils offraient des sacrifices à leurs idoles et mangeaient ensuite la viande des animaux sacrifiés, dans une sorte de repas sacré. En adhérant à la foi chrétienne, ils ont évidemment abandonné ces pratiques : on sait que l’entrée en catéchuménat imposait des exigences très strictes.
Mais il peut leur arriver d’être invités par des proches ou des amis païens.
Par exemple, on a retrouvé des cartes d’invitation à une réception dans un Temple à Corinthe, dont voici le libellé : « Antoine, fils de Ptolémée, t’invite à dîner avec lui à la table du Seigneur Sarapis (l’une des nombreuses divinités de Corinthe), dans les locaux du Sarapeion de Claude… » suivent le jour et l’heure.
Quand on est un Chrétien sûr de sa foi (Paul dit « fort ») on n’a aucun cas de conscience à accepter ce genre d’invitations : puisque les idoles n’existent pas, on peut bien leur immoler tous les animaux que l’on voudra, ces sacrifices n’ont aucun sens et donc ces repas ne sont pas un blasphème à l’égard du Dieu des Chrétiens. Un Chrétien sûr de sa foi est assez libre pour cela. Et il préfère ne pas peiner sa famille ou ses amis en refusant une invitation.
Mais il y a des Chrétiens moins sûrs d’eux, ceux que Paul appelle les faibles : ils savent bien, eux aussi, que les idoles ne sont rien… Mais ce genre de problème les trouble encore* ; il ne faudrait ni les choquer ni les inciter à retomber dans leurs anciennes pratiques. Les plus forts devront donc toujours veiller à respecter les plus faibles. C’est le B.A. BA d’une véritable vie fraternelle.
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Note
D’une part, ils risquent d’être choqués en voyant certains Chrétiens participer à ces banquets. D’autre part, s’ils suivent cet exemple, ils risquent de vivre ensuite dans une épouvantable culpabilité. Paul donne alors des conseils de prudence à ceux qui n’ont pas ce genre de scrupules : « Prenez garde que cette liberté même, qui est la vôtre, ne devienne une occasion de chute pour les faibles. Car si l’on te voit, toi qui as la connaissance, attablé dans un temple d’idole, ce spectacle risque de pousser celui dont la conscience est faible à manger lui aussi des viandes sacrifiées… » (1 Co 8, 9-10). Et il conclut « Si un aliment doit faire tomber mon frère, je renoncerai à tout jamais à manger de la viande, plutôt que de faire tomber mon frère » (1 Co 8, 13). Ici, il dit la même chose dans d’autres termes : « J’ai partagé la faiblesse des plus faibles pour gagner aussi les faibles. »
Complément
Dans les chapitres 14 et 15 de la lettre aux Romains, Paul reprendra le même thème : « Le Règne de Dieu n’est pas affaire de nourriture ou de boisson ; il est justice, paix et joie dans l’Esprit Saint… Recherchons donc ce qui convient à la paix et à l’édification mutuelle… Tout est pur, certes, mais il est mal de manger quelque chose lorsqu’on est ainsi occasion de chute… C’est un devoir pour nous, les forts, de porter l’infirmité des faibles et de ne pas rechercher ce qui nous plaît » (Rm 14, 17-20 ; 15, 1).
HOMÉLIE 5E DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE
6 février, 2015http://www.homelies.fr/homelie,,4104.html
5E DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE
DIMANCHE 8 FÉVRIER 2015
FAMILLE DE SAINT JOSEPH
HOMÉLIE – MESSE
« La vie de l’homme est une corvée ! ». Ce genre d’affirmation dérange. Parce qu’elle sonne vrai. Parce qu’elle est nôtre. Parce qu’elle est dans la Bible. Parce que la liturgie prétend qu’elle peut nourrir notre prière de ce jour…
Job a le sens de l’image qui touche. Il compare l’homme à un esclave qui ne subsiste que par un travail forcé, qui peine sous la charge sans qu’elle ne lui apporte de sécurité pour l’avenir ni de satisfaction pour le présent. Il travaille pour un autre et sait que dans sa vie, il n’y a plus de place pour le bonheur. Il n’espère même plus la guérison qui le soulagerait de ses maux ni le repos qui apaiserait son sommeil : il sait que la mort emporte bientôt tout cela, tout répit est vain. Bref, une seule solution réaliste : le « zéro espérance » !
Pourtant, au milieu de cette nuit de l’absurde, une lumière jaillit : « Souviens-toi ! », « Souviens-toi, Seigneur » ! Ce sont les premiers mots de la prière d’Israël… « Souviens-toi Israël, le Seigneur est Un ». Ce sont les mots qu’on retrouve dans bon nombre de psaumes. Au cœur de sa détresse, Job tutoie donc Dieu et lui demande de se souvenir de son amour, de son Alliance. « Souviens-toi, ma vie n’est qu’un souffle », c’est-à-dire « Seigneur, vois ma faiblesse, souviens-toi aujourd’hui car demain il sera trop tard ».
Quelle espérance ! Job nous rappelle que le Seigneur est proche, que Dieu est présent au fond de nos abîmes. Il est bon de se le rappeler. En effet, notre souffrance peut être telle que tout le champ de notre conscience soit tout occupé par elle, au point que notre regard sur Dieu est marqué par cette souffrance. Il nous est méconnaissable. Notre souffrance défigure Dieu.
Dans une telle impasse, Job nous révèle qu’il reste toujours une issue, il existe un chemin vers Dieu, dont la porte d’entrée est notre sens inné de l’absurdité de la souffrance. Notre être qui s’insurge contre la souffrance est justement celui que Dieu atteint. Le cœur en révolte contre le mal subi est celui qui a un passé en commun avec le Bon-Dieu et qui peut lui dire dans l’intimité : « Souviens-toi de ton amour ».
Il n’est pas possible en effet qu’il nous laisse sombrer dans le non-sens du mal. Le Créateur a en effet ordonné magnifiquement le monde où nous vivons. Il déborde de sens. Il indique sa source et son terme. Le psalmiste le reconnaît quand il s’écrit : « Il compte le nombre des étoiles, il donne à chacune un nom ». C’est en-soi une vraie bonne nouvelle. L’univers a été par Dieu, et ça change tout. « Alleluia », clame-t-il encore, vive le Dieu qui libère son peuple, vive le Dieu qui « guérit les cœurs brisés et soigne les blessures » ! C’est un cri de victoire et reconnaissance qui fait taire la plainte de la souffrance. Dieu a toujours le dernier le mot, qui est l’amour.
La preuve nous en est donnée dans l’évangile. Jésus se penche vers les malades, et les guérit tous. En les libérant, il montre que qu’il ne veut pas la maladie et la souffrance qui accablent l’homme. Elles ne sont jamais bonnes en elles-mêmes, même s’il est possible d’en faire un chemin de croissance spirituelle.
Le seul état que Dieu désire pour nous est celui de ressuscité. C’est ce qu’atteste la guérison de la belle-mère de Simon. Jésus la prend par la main et la fait se lever, montrant ainsi qu’il veut pour l’humanité malade du péché et de ses conséquences, la gloire de la résurrection. Il nous montre aussi combien Job visait juste. Jésus qui guérit est un Dieu proche. Dans cette scène que nous rapporte saint Marc, pas de grand discours, pas de considérations sur l’origine de la maladie, sur la façon dont elle a pu être contractée. Il n’y a pas, cette fois-ci, de public qui se presse à la porte, il n’y a pas de question qui oppose les témoins, aucun étonnement. Tout est simple et naturel. Dans l’intimité d’une maison, dans le calme d’un foyer, Dieu donne sa réponse aux cris de Job, elle se dit dans le silence de la main tendue de Jésus, qui relève et rend la vie.
Bien entendu, les nouvelles vont vite. Entre amis, entre voisins, on ne se cache pas ces choses-là, au contraire. Aussi, le soir venu, c’est-à-dire lorsque la prescription sabbatique de compter ses pas arrive à son terme, tous accourent, tous demandent la guérison, la fin de leur souffrance. Et, avec la même simplicité, Jésus guérit, Jésus chasse les démons.
Et Jésus impose le silence aux démons qu’il chasse. Il les fait taire parce qu’ils disent que Jésus est le Messie. En effet, en divulguant une information qui pourrait être mal comprise, Jésus pourrait être pris pour un autre. Il ne suffit pas de dire que Jésus est le Messie pour découvrir le Père qu’il révèle, il faut accueillir de lui quel Messie il dit être. Là est la raison profonde de son ordre de silence. Jésus à autre chose à nous dire et il doit être entendu.
Sans faire passer le disciple avant le maître, nous entendons cette détermination de Jésus en écho dans le cri de saint Paul : « Malheur à moi, si je n’annonce pas l’évangile ». « C’est pour cela que je suis sorti » dit Jésus. Les deux expressions sont équivalentes. Jésus n’est pas venu pour attirer les foules autour d’un thaumaturge mais pour les enseigner, les rassembler et les conduire à la maison du Père. S’il fait taire les démons, s’il ne répond pas à l’appel pressant de la foule au petit matin, c’est pour que son propre enseignement soit entendu. Et en se mettant en marche, il nous enseigne que lui, le Dieu qui se fait proche, il est ailleurs. Il est au-delà de nos attentes, car elles sont trop petites pour le contenir.
Au terme de l’évangile, Jésus se remet ouvre un chemin où nous sommes tous invités à le suivre. Là est sans doute le plus grand enseignement à mettre en œuvre pour notre semaine à venir. Tout ce que Jésus a fait est destiné à être imité par ses disciples. Les demandes que nous lui adressons sont sans doute légitimes, notre attente d’être relevés comme la belle-mère de Simon est grande, mais nous ne vivrons de la joie de la résurrection que lorsque nous saurons modeler l’emploi du temps de nos journées sur cette journée ordinaire de Jésus que saint Marc vient de nous raconter. On ne peut pas vivre de lui sans vivre comme lui. Nous n’aurons sans doute pas à marcher à travers le pays ni à résister aux assauts de la ville entière, mais nous reconnaîtrons la présence du ressuscité quand à tout instant de nos journées nous serons tout tournés vers Dieu et vers nos frères, Dieu rencontré dans la prière, nos frères aidés à se mettre debout et à retrouver la dignité des fils de Dieu, la joie de servir notre maître. Car ce dont nous avons le plus besoin n’est pas d’être soulagés de nos souffrances, mais d’être sauvés. Or voici qu’il vient en nos maisons celui qui porte le salut, accueillons-le.
Frère Dominique