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HOMÉLIE DU PAPE BENOÎT XVI – II DIMANCHE DE CARÊME B,
27 février, 2015VISITE PASTORALE À LA PAROISSE ROMAINE SAINT JEAN-BAPTISTE DE LA SALLE, DANS LE QUARTIER DU TORRINO
HOMÉLIE DU PAPE BENOÎT XVI – II DIMANCHE DE CARÊME B,
Dimanche 4 mars 2012
Chers frères et sœurs de la paroisse Saint Jean-Baptiste de La Salle!
Je voudrais tout d’abord vous remercier, de tout mon cœur, pour cet accueil si cordial, si chaleureux. Merci à votre bon curé pour ses belles paroles, merci pour cet esprit familial que je trouve ici. Nous sommes réellement la famille de Dieu et le fait que le Pape représente également pour vous un père est pour moi quelque chose de très beau qui m’encourage! Mais à présent, nous devons penser que le Pape n’est pas la dernière instance: la dernière instance est le Seigneur et nous regardons le Seigneur pour percevoir, pour comprendre — dans la mesure du possible — quelque chose du message de ce deuxième dimanche de carême.
La liturgie de ce jour nous prépare aussi bien au mystère de la Passion — nous l’avons entendu dans la première lecture — qu’à la joie de la Résurrection.
La première lecture nous rapporte l’épisode où Dieu met Abraham à l’épreuve (cf. Gn 22, 1-18). Celui-ci avait un fils unique, Isaac, qui était né alors qu’il était âgé. C’était le fils de la promesse, le fils qui devrait ensuite apporter le salut aux peuples. Mais un jour, Abraham reçoit de Dieu le commandement de l’offrir en sacrifice. Le patriarche âgé se trouve face à la perspective d’un sacrifice qui pour lui, père, est certainement le plus grand que l’on puisse imaginer. Toutefois, il n’hésite pas même un instant et, après avoir préparé le nécessaire, il part avec Isaac pour le lieu décidé. Et nous pouvons imaginer lors de cette marche vers le sommet du mont, ce qui a pu se passer dans son cœur et dans le cœur de son fils. Il construit un autel, il place le bois et, après avoir attaché le jeune garçon, il prend le couteau pour l’immoler. Abraham a entièrement confiance en Dieu, au point d’être disposé à sacrifier également son propre fils et, avec son fils, également l’avenir, car sans son fils la promesse de la terre n’était rien, elle finit dans le néant. Et en sacrifiant son fils, il se sacrifie lui-même, tout son avenir, toute la promesse. C’est réellement un acte de foi extrêmement radical. A cet instant, il est arrêté par un ordre venant d’en-haut: Dieu ne veut pas la mort, mais la vie, le véritable sacrifice ne donne pas la mort, mais il est la vie et l’obéissance d’Abraham devient source d’une immense bénédiction jusqu’à aujourd’hui. Laissons cela, mais nous pouvons méditer ce mystère.
Dans la deuxième lecture, saint Paul affirme que Dieu lui-même a accompli un sacrifice: il nous a donné son propre Fils, il l’a donné sur la Croix pour vaincre le péché et la mort, pour vaincre le malin et pour dépasser toute la malice qui existe dans le monde. Et cette miséricorde extraordinaire de Dieu suscite l’admiration de l’apôtre et une profonde confiance dans la force de l’amour de Dieu pour nous; en effet, saint Paul affirme: «Lui [Dieu] qui n’a pas épargné son propre Fils mais l’a livré pour nous tous, comment avec lui ne nous accordera-t-il pas toute faveur?» (Rm 8, 32). Si Dieu se donne lui-même dans le Fils, il nous donne tout. Et Paul insiste sur la puissance du sacrifice rédempteur du Christ contre tout autre pouvoir qui peut menacer notre vie. Il se demande: «Qui se fera l’accusateur de ceux que Dieu a élus? C’est Dieu qui justifie. Qui donc condamnera? Le Christ Jésus, celui qui est mort, que dis-je? Ressuscité, qui est à la droite de Dieu, qui intercède pour nous?» (vv. 33-34). Nous sommes dans le cœur de Dieu, telle est la raison de notre grande confiance. Cela crée l’amour et dans l’amour nous allons vers Dieu. Si Dieu a donné son propre Fils pour nous tous, personne ne pourra nous accuser, personne ne pourra nous condamner, personne ne pourra nous séparer de son immense amour. C’est précisément le sacrifice suprême d’amour sur la Croix, que le Fils de Dieu a accepté et choisi volontairement, qui devient source de notre justification, de notre salut. Et pensons que dans la Sainte Eucharistie est toujours présent cet acte du Seigneur qui reste pour l’éternité dans son cœur, et cet acte d’amour de son cœur nous attire, nous unit à lui-même.
L’Evangile nous parle, pour finir, de l’épisode de la Transfiguration (cf. Mc 9, 2-10): Jésus se manifeste dans sa gloire avant le sacrifice de la croix et Dieu le Père le proclame son Fils préféré, le bien-aimé, et il invite les disciples à l’écouter. Jésus gravit une haute montagne et emmène avec lui trois apôtres — Pierre, Jacques et Jean —, qui seront particulièrement proches de lui dans sa dernière agonie, sur un autre mont, celui des Oliviers. Le Seigneur avait annoncé sa passion depuis peu et Pierre n’avait pas réussi à comprendre pourquoi le Seigneur, le Fils de Dieu, parlait de souffrance, de refus, de mort, de croix, il s’était même opposé de manière décidée à cette perspective. A présent, Jésus emmène les trois disciples avec lui pour les aider à comprendre que la voie pour parvenir à la gloire, la voie de l’amour lumineux qui vainc les ténèbres, passe à travers le don total de soi, passe à travers le scandale de la Croix. Et le Seigneur doit toujours à nouveau nous emmener nous aussi avec lui, au moins pour commencer à comprendre que cela est le chemin nécessaire. La Transfiguration est un moment anticipé de lumière qui nous aide également à considérer la passion de Jésus avec le regard de la foi. Celle-ci est en effet un mystère de souffrance, mais elle est également la «passion bienheureuse» car elle est — en son cœur — un mystère d’amour extraordinaire de Dieu; elle est l’exode définitif qui nous ouvre la porte vers la liberté et la nouveauté de la Résurrection, qui nous sauve du mal. Nous en avons besoin sur notre chemin quotidien, souvent marqué également par l’obscurité du mal!
Chers frères et sœurs! Comme je l’ai déjà dit, je suis très heureux de me trouver parmi vous aujourd’hui, pour célébrer le jour du Seigneur. Je salue cordialement le cardinal-vicaire, l’évêque auxiliaire du secteur, votre curé, le p. Giampaolo Perugini, que je remercie, encore une fois des paroles aimables qu’il m’a adressées au nom de vous tous et également pour les dons appréciés que vous m’avez offerts. Je salue les vicaires paroissiaux. Et je salue les Sœurs franciscaines missionnaires du Cœur Immaculé de Marie, ici présentes depuis tant d’années, particulièrement dignes d’éloge pour la vie de cette paroisse, qui a trouvé une hospitalité immédiate et généreuse dans leur maison au cours de ses trois premières années de vie. J’étends ensuite mon salut aux Frères des Ecoles chrétiennes, qui éprouvent naturellement de l’affection pour cette église paroissiale qui porte le nom de leur fondateur. En outre, je salue ceux qui sont actifs dans le cadre de la paroisse: je pense aux catéchistes, aux membres des Associations et des Mouvements, ainsi qu’aux divers groupes paroissiaux. Je voudrais enfin étendre ma pensée à tous les habitants du quartier, en particulier les personnes âgées, les malades, les personnes seules et en difficulté.
En venant parmi vous aujourd’hui, j’ai remarqué la position particulière de cette église, située à l’endroit le plus élevé du quartier, et dotée d’un clocher élancé, comme un doigt ou une flèche vers le ciel. Il me semble qu’il s’agit d’une indication importante: comme les trois apôtres de l’Evangile, nous avons nous aussi besoin de monter sur le mont de la Transfiguration pour recevoir la lumière de Dieu, pour que sa Face illumine notre visage. Et c’est dans la prière personnelle et communautaire que nous rencontrons le Seigneur, non comme une idée ou comme une proposition morale, mais comme une Personne qui veut entrer en relation avec nous, qui veut être notre ami et qui veut renouveler notre vie pour la rendre comme la sienne. Et cette rencontre n’est pas seulement un fait personnel; votre église située à l’endroit le plus élevé du quartier vous rappelle que l’Evangile doit être communiqué, annoncé à tous. N’attendons pas que d’autres viennent apporter des messages différents, qui ne conduisent pas à la vraie vie, devenez vous-mêmes les missionnaires du Christ auprès de vos frères, là où ils vivent, travaillent, étudient ou passent simplement leur temps libre. Je connais les nombreuses œuvres d’évangélisation significatives que vous réalisez, en particulier à travers l’aumônerie appelée «Stella polare», — je suis heureux de porter également ce vêtement [le t-shirt de l’aumônerie] — où, grâce au volontariat de personnes compétentes et généreuses et avec la participation des familles, on encourage le rassemblement des jeunes à travers l’activité sportive, sans pour autant négliger la formation culturelle, à travers l’art et la musique, et où l’on éduque en particulier à la relation avec Dieu, aux valeurs chrétiennes et à une participation toujours plus consciente à la célébration eucharistique du dimanche.
Je me réjouis que le sens d’appartenance à la communauté paroissiale ait toujours davantage mûri et se soit consolidé au cours des années. La foi doit être vécue ensemble et la paroisse est un lieu dans lequel on apprend à vivre sa propre foi dans le «nous» de l’Eglise. Et je désire vous encourager afin que grandisse également la coresponsabilité pastorale, dans une perspective d’authentique communion entre toutes les réalités présentes, qui sont appelées à marcher ensemble, à vivre la complémentarité dans la diversité, à témoigner le «nous» de l’Eglise, de la famille de Dieu. Je connais l’engagement dont vous faites preuve pour préparer les enfants et les jeunes aux sacrements de la vie chrétienne. Que la prochaine «Année de la foi» soit une occasion propice, également pour cette paroisse, pour faire croître et consolider l’expérience de la catéchèse sur les grandes vérités de la foi chrétienne, de manière à permettre à tout le quartier de connaître et d’approfondir le Credo de l’Eglise, et de surmonter cet «analphabétisme religieux» qui est l’un des plus grands problèmes d’aujourd’hui.
Chers amis! Votre communauté est une communauté jeune — on le voit —, constituée de familles jeunes, et, grâce à Dieu, nombreux sont les enfants et les jeunes qui la peuplent. A ce propos, je voudrais rappeler la tâche de la famille et de toute la communauté chrétienne d’éduquer à la foi, aidés en cela par le thème de l’année pastorale en cours, par les orientations pastorales proposées par la Conférence épiscopale italienne et sans oublier l’enseignement profond et toujours actuel de saint Jean-Baptiste de La Salle. Chères familles, vous êtes en particulier le cadre de vie dans lequel se font les premiers pas de la foi; soyez une communauté dans laquelle on apprend à connaître et à aimer toujours plus le Seigneur, une communauté dans laquelle on s’enrichit réciproquement pour vivre une foi vraiment adulte.
Je voudrais enfin rappeler à tous l’importance et le caractère central de l’Eucharistie dans la vie personnelle et communautaire. Que la Messe soit le centre de votre dimanche, qui doit être redécouvert et vécu comme le jour de Dieu et de la communauté, le jour où louer et célébrer Celui qui est mort et ressuscité pour notre salut, le jour où vivre ensemble dans la joie d’une communauté ouverte et prête à accueillir chaque personne seule ou en difficulté. En effet, réunis autour de l’Eucharistie, nous ressentons plus facilement que la mission de chaque communauté chrétienne est celle d’apporter le message de l’amour de Dieu à tous les hommes. Voilà pourquoi il est important que l’Eucharistie soit toujours le cœur de la vie des fidèles comme elle l’est aujourd’hui.
Chers frères et sœurs! Du Thabor, le mont de la Transfiguration, l’itinéraire quadragésimal nous conduit jusqu’au Golgotha, mont du sacrifice d’amour suprême de l’unique Prêtre de l’Alliance nouvelle et éternelle. Dans ce sacrifice est contenue la plus grande force de transformation de l’homme et de l’histoire. En prenant sur lui chaque conséquence du mal et du péché, Jésus est ressuscité le troisième jour comme vainqueur de la mort et du Malin. Le carême nous prépare à participer personnellement à ce grand mystère de la foi, que nous célébrerons dans le Triduum de la passion, de la mort et de la résurrection du Christ. Nous confions notre chemin quadragésimal, ainsi que celui de l’Eglise tout entière, à la Vierge Marie. Que Celle-ci, qui a suivi son Fils Jésus jusqu’à la Croix, nous aide à être des disciples fidèles du Christ, des chrétiens mûrs, pour pouvoir participer avec Elle à la plénitude de la joie pascale. Amen!
HOMÉLIE 2E DIMANCHE DE CARÊME
27 février, 2015http://www.homelies.fr/homelie,,4126.html
2E DIMANCHE DE CARÊME
DIMANCHE 1ER MARS 2015
FAMILLE DE SAINT JOSEPH
HOMÉLIE – MESSE
La vie est une série de Pâques, c’est-à-dire de naissances impliquant le consentement à une mort préalable ; depuis la sortie du sein maternel, jusqu’au dernier soupir, où nous devrons accepter de mourir à notre vie naturelle pour entrer dans la vie de Dieu lui-même. Entre ces extrêmes, deux autres étapes sont fondamentales : le passage de l’enfance à l’adolescence, et celui de l’état adulte à la maturité, c’est-à-dire à la découverte de notre identité véritable. Or devenir soi-même ne peut se faire qu’au prix d’une mort aux personnages que nous avons endossés pour paraître aux yeux des autres – et des nôtres. Ce passage est particulièrement délicat, car il se fait le plus souvent à l’occasion d’une épreuve, d’un échec, d’une « crise » qui remet en cause ce que nous avions soigneusement mis en place. La liturgie de ce jour présente le franchissement de cette étape déterminante par deux personnages clés de l’histoire sainte : Abraham qui ouvre la lignée des patriarches, et Jésus qui scelle l’Alliance définitive. Le récit biblique annonce clairement la couleur : « Dieu mit Abraham à l’épreuve ». Le Seigneur lui demande de lui « offrir en sacrifice son fils, celui qu’il aime » – on devine tout l’attachement que pouvait ressentir ce vieux père pour cet unique descendant sur qui reposait tous ses espoirs. Mais là où Adonaï lui demande de « sacrifier » ce fils, c’est-à-dire de le « rendre sacré » en le consacrant au Dieu de la vie afin qu’il vive, Abraham comprend que le Seigneur lui demande de l’offrir en holocauste, ce qui implique la mort de la victime. Cette interprétation erronée de l’appel de Dieu trahit une paternité abusive, qui croit pouvoir disposer de la vie et de la mort de son enfant. L’« épreuve » du patriarche consiste précisément à renoncer au droit auquel il prétend, conformément à la mentalité de l’époque. Il s’agit pour lui de découvrir que pour pouvoir transmettre la bénédiction divine – conformément à sa mission particulière – il lui faut immoler non pas l’enfant de la promesse, mais sa paternité possessive, symbolisée par le bélier.
L’épreuve est bien plus radicale encore pour Jésus : elle ne consiste pas à renoncer à disposer de la vie d’un autre, mais à la sienne. Pour transmettre la bénédiction divine à sa descendance de génération en génération, Abraham devait laisser vivre son fils ; « à la plénitude des temps », pour que cette bénédiction puisse enfin devenir agissante, Jésus devait descendre dans notre mort pour y déposer le germe de vie divine, comme un grain de blé doit être enfoui en terre pour pouvoir donner son fruit. Tous autant que nous sommes, nous subirons notre mort, cette dernière Pâque qui nous introduira dans la définitivité de la vie éternelle. Jésus l’a choisie délibérément ; car lui qui n’avait pas été effleuré par le péché, n’aurait pas dû goûter la mort. S’il est passé par ce chemin, c’est uniquement par solidarité avec nous, et afin de pouvoir triompher de la mort en y déversant la vie divine qu’il tient du Père. Sur la montagne, en présence de trois de ses proches auxquels il venait d’annoncer sa Passion prochaine, Jésus s’est offert intentionnellement au Père pour le salut du monde ; il a fait son choix : il ira jusqu’au bout. Par ce libre et plein consentement à sa mission, son humanité adhère parfaitement à son identité véritable de Fils unique, que « le Père a livré pour nous tous » (2nd lect.). La lumière resplendissante que contemplent les apôtres n’éclaire pas leur Maître de l’extérieur, mais de l’intérieur : elle jaillit du plus profond de sa divinité, d’où elle illumine son humanité. La voix dans la nuée confirme l’option que Jésus vient de faire : il est le Fils bien-aimé, celui qui accomplit la promesse annoncée par la Loi et confirmée par les prophètes. Il est la Parole vivante qui donne la vie ; c’est lui désormais qu’il nous faut écouter. Moïse et Elie peuvent disparaître : tout est dit en Jésus-Christ.
Un jour ou l’autre, nous serons tous invités à offrir librement notre « Isaac » ; à accepter de mourir à ce qu’il y a en nous d’inauthentique, à ce qui fait obstacle à la transmission de la vie. Cette « épreuve » est pour chacun de nous la condition d’accès à notre identité profonde. Certes nous désirons tous nous débarrasser des oripeaux du vieil homme et devenir ce que nous sommes aux yeux de Dieu ; mais sommes-nous prêts à payer le prix ? Nous aimerions bien revêtir notre vêtement de lumière par-dessus nos guenilles, mais le Seigneur a dénoncé clairement la vanité de cette démarche : « personne ne raccommode un vieux vêtement avec une pièce d’étoffe neuve ; à vin nouveau outres neuves » (Mc 2, 21-22). Ce qui signifie que pour entrer dans la vie nouvelle de l’Esprit, il nous faut d’abord accepter de mourir à la vie selon la chair – entendons : renoncer à être les seuls maîtres à bord de notre barque. On comprend que dans de telles conditions, nous hésitions à faire le grand saut : qui aurait le courage de quitter ses vieux repères, ses sécurités si chèrement acquises, sans avoir la moindre certitude sur ce qui l’attend ? Pourtant c’est bien le pas qui un jour ou l’autre nous sera demandé à tous. Comme Saint Pierre au matin de Pâque, nous nous entendrons dire par le Seigneur : « Amen, amen je te le dis : quand tu étais jeune, tu mettais ta ceinture toi-même pour aller là où tu voulais ; quand tu seras vieux, tu étendras les mains, et c’est un autre qui te mettra ta ceinture, pour t’emmener là où tu ne voudrais pas aller » (Jn 21, 18). Simon avait déjà répondu à l’appel du Seigneur et s’était mis généreusement à sa suite ; pourtant c’est ce second appel, dans le dépouillement le plus radical, qui est véritablement fondateur de sa mission. Il a fallu que Pierre apprenne à connaître Jésus en cheminant avec lui, puis qu’à travers sa trahison, il fasse l’épreuve de sa fragilité, avant de pouvoir saisir à la fois la gratuité de l’appel de son Maître, et la radicalité de la réponse qu’il convient de lui donner.
Tel est le chemin du disciple – de tout disciple. Ne croyons pas que Dieu prenne plaisir à nous faire souffrir : « Il en coûte au Seigneur de voir mourir les siens ! » (Ps 115), mais il n’y a pas d’autre chemin pour venir jusqu’à lui, que celui de la Pâque, sur lequel Jésus nous précède. Le Seigneur désire ardemment « briser les chaînes » qui nous empêchent de quitter ce vieux monde qui passe, pour accéder au monde nouveau ; mais il ne peut le faire sans notre consentement. Pour oser le grand passage, puisons notre courage dans la parole de l’Apôtre : « Si Dieu n’a pas refusé son propre Fils, alors comment pourrait-il avec lui ne pas nous donner tout ? » (2nd lect.). Oui nous le croyons : par le Christ, avec lui et en lui, chacune de nos « morts » peut devenir une Pâque qui s’ouvre sur la vie, une vie toujours plus pleine, plus authentique qui nous rapproche de lui.
« “Jésus ressuscité, toi qui intercède pour nous à la droite de Dieu » (2nd lect.), augmente en nous la foi, l’espérance et la charité ; donne-nous l’audace de te suivre sur le chemin de nos Pâques quotidiennes. Illuminés par la présence intérieure de ton Esprit qui transfigurera nos pauvres vies, nous découvrirons alors qui nous sommes à tes yeux, et nous pourrons « marcher en ta présence sur la terre des vivants » (Ps 115).
Père Joseph-Marie
SAINT IGNACE BRIANTCHANINOV : DE L’UTILITÉ ET DES DANGERS DE L’ASCÈSE CORPORELLE
26 février, 2015http://www.pagesorthodoxes.net/metanoia/jeune-ecrits.htm#dorothee
SAINT IGNACE BRIANTCHANINOV : DE L’UTILITÉ ET DES DANGERS DE L’ASCÈSE CORPORELLE
Au Paradis, après la transgression du commandement de Dieu par nos ancêtres, la malédiction de la terre figure parmi les punitions auxquelles l’homme fut soumis. Maudit soit le sol à cause de toi dit Dieu à Adam. À force de peines tu en tireras subsistance, tous les jours de ta vie. Il produira pour toi épines et chardons, et tu mangeras l’herbe des champs. À la sueur de ton visage tu mangeras ton pain (Gn 3, 17-19).
Cette malédiction pèse jusqu’à présent sur la terre, comme chacun peut s’en rendre compte. La terre ne cesse de produire de l’ivraie bien qu’elle ne serve de nourriture pour personne. La terre est arrosée par la sueur du paysan, et ce n’est qu’au prix d’un labeur ardu, qui souvent même fait couler le sang, qu’elle produit ces herbes dont les graines nourrissent l’homme, ce blé dont est fait pain.
Le châtiment prononcé par Dieu a aussi un sens spirituel. En effet, le décret divin punissant l’homme s’accomplit tout aussi rigoureusement sur le plan spirituel que sur le plan matériel (Cf. (1) Cf. Marc l’Ascète, Traités, 70, Sur le jeûne et l’humilité ; Isaac le Syrien Discours ascétiques 19 ; Macaire le Grand, Homélies, XXVI, 21). Les saints Pères comprennent le mot « terre » dans le sens de « cœur ,i En raison de la malédiction qui l’a frappée, la terre ne cesse produire d’elle-même, de par sa nature corrompue, des épines et des chardons ; de même le cœur, empoisonné par le péché, ne cesse d’engendrer de lui-même, de par sa nature corrompue, des sentiments et des pensées pécheurs. De même que personne ne se soucie de semer ou de planter de l’ivraie mais que la nature pervertie la produit spontanément, de même les pensées et les sentiments pécheurs sont conçus et croissent d’eux-mêmes dans le cœur de l’homme. Si le pain matériel s’obtient à la sueur du front, c’est par un labeur ardu de l’âme et du corps qu’est semé dans le cœur de l’homme le blé céleste qui nous procure la vie éternelle ; c’est encore par intense effort qu’il croît, qu’on le moissonne, qu’on le rend propre à la consommation et qu’on le conserve.
Le blé céleste, c’est la Parole de Dieu. Le travail pour semer la parole de Dieu dans le cœur exige de tels efforts qu’on l’appelle « exploit ascétique ». L’homme est voué à manger de la terre au milieu des afflictions tous les jours de sa vie terrestre et son pain à la sueur de son front. Ici, par le mot « terre », on doit comprendre la sagesse charnelle par laquelle l’homme séparé de Dieu se dirige habituellement durant sa vie sur terre ; guidé par elle, il est soumis à de continuels soucis et réflexions concernant les choses terrestres, à d’incessantes afflictions et déceptions, à une constante agitation. Seul un serviteur du Christ se nourrit durant sa vie sur terre du pain céleste à la sueur de son front, en luttant continuellement contre la sagesse charnelle et en travaillant sans cesse à cultiver les vertus.
Pour cultiver la terre, on a besoin de divers outils de fer – charrues, herses et bêches – avec lesquels le sol est retourné, ameubli et amolli ; de même notre cœur, siège des sentiments et de la sagesse charnels, a besoin d’être travaillé par le jeûne, les veilles, les agenouillements et autres accablements du corps pour que la prédominance des sentiments charnels et passionnels cède le pas à celle des sentiments spirituels, et que l’influence des pensées charnelles et passionnelles sur l’esprit perde cet irrésistible pouvoir qu’elle a chez ceux qui rejettent l’ascèse ou la négligent.
Qui aurait l’idée de semer dans une terre non travaillée ? Ce serait tout simplement perdre ses semences, sans en retirer le moindre profit, et se causer un dommage certain. Tel est celui qui, avant d’avoir refréné les impulsions charnelles de son cœur et les pensées charnelles de son esprit par une ascèse corporelle adéquate, s’aviserait de vaquer à l’oraison mentale et de planter dans son cœur les commandements du Christ. Non seulement il ferait des efforts vains, mais il courrait encore le risque de subir un désastre psychique, de tomber dans l’aveuglement spirituel et dans l’illusion démoniaque, et de s’attirer la colère divine, comme l’homme qui était allé à un festin nuptial sans porter le vêtement de noce (cf. Mt 22, 12).
Une terre très soigneusement cultivée, bien fumée, finement ameublie, mais laissée non ensemencée, produira de l’ivraie avec une vigueur redoublée. De même un cœur cultivé par, des pratiques ascétiques corporelles mais qui ne s’est pas assimilé les commandements évangéliques, fera pousser encore plus vigoureusement l’ivraie de la vanité, de l’orgueil et de la luxure. Plus la terre est cultivée et fumée, plus elle est capable de produire de l’ivraie touffue et pleine de sève. Plus intense est l’ascèse corporelle du moine qui néglige les commandements de l’Évangile, plus grande et plus incurable sera la présomption.
Un paysan qui possède de nombreux et d’excellents outils agricoles et qui en est enchanté, mais qui ne les utilise pas pour cultiver la terre, ne fait que s’aveugler et se leurrer, sans en retirer le moindre profit ; de même l’ascète qui pratique le jeûne, les veilles et d’autres observances corporelles, mais qui néglige de s’examiner et de se guider à la lumière de l’Évangile, se trompe en fondant vainement et à tort tous ses espoirs sur ses labeurs ascétiques. Il ne récoltera aucun fruit, n’amassera aucune richesse spirituelle.
L’homme qui se mettrait dans la tête de cultiver sa terre sans utiliser ses outils agricoles aurait à fournir un grand travail, et le ferait en vain. De même celui qui prétend acquérir les vertus sans efforts ascétiques corporels, travaille en vain ; il perd irrévocablement son temps qui ne reviendra plus, épuise ses forces psychiques et physiques, et il ne gagnera rien du tout. L’homme qui est toujours en train de labourer sa terre sans jamais rien y semer ne récoltera rien. De même celui qui ne s’occupe que de l’ascèse d – corps perd la possibilité de vaquer à celle de l’âme, de planter dans son cœur les commandements évangéliques qui, en leur temps produiraient des fruits spirituels.
L’ascèse corporelle est nécessaire pour rendre la terre du cœur apte à recevoir les semences spirituelles et à produire des fruits de 1a même espèce. Abandonner ou négliger les labeurs ascétiques, c’est rendre le sol impropre à être ensemencé et à produire du fruit : Les exagérer ou placer son espérance en eux est tout aussi nuisible ou même davantage que de les abandonner. L’abandon des observances ascétiques corporelles rend l’homme semblable à un animal, donnant libre cours et offrant un vaste champ d’action aux passions du corps, mais leur exagération le rend semblable aux démons, car elle favorise et renforce la prédisposition aux passions de l’âme. Ceux qui relâchent l’ascèse corporelle s’asservissent à la gloutonnerie, à la luxure et à la colère dans ses formes grossières. Ceux qui pratiquent une ascèse corporelle excessive, qui en font un usage déraisonnable ou qui mettent en elle toute leur espérance avec l’idée qu’elle leur confère mérite et dignité au regard de Dieu, tombent dans la vanité, la présomption, la fierté, l’orgueil, l’endurcissement, dans le mépris de leur prochain, le dénigrement et la condamnation des autres, dans la rancune, la haine, dans le blasphème, dans le schisme, dans l’hérésie, dans l’aveuglement spirituel et l’illusion démoniaque.
Estimons à leur juste valeur les pratiques ascétiques corporelles – elles sont des instruments indispensables pour acquérir les vertus – mais gardons-nous de prendre ces outils pour des vertus, de peur de tomber dans l’aveuglement et de nous priver de progrès spirituels par une fausse conception de l’agir chrétien.
L’ascèse corporelle est nécessaire même aux saints qui sont devenus les temples du Saint-Esprit, afin que, laissé sans frein, leur corps ne revienne à des mouvements passionnels et ne soit la cause de l’apparition chez un homme sanctifié de sentiments et de pensées obscènes, si malséants pour un temple spirituel de Dieu, « non fait de main d’homme ». C’est ce dont a témoigné le saint apôtre Paul lorsqu’il dit de lui-même : Je traite durement mon corps et je le tiens assujetti, de peur qu’après avoir proclamé le message aux autres je ne sois moi-même éliminé (1 Co 9,27).
Saint Isaac le Syrien dit que la dispense, c’est-à-dire le fait d’abandonner le jeûne, les veilles, le silence de la solitude et les autres observances corporelles – ces aides pour la vie spirituelle – et de s’accorder constamment du repos et du plaisir, nuit même aux vieillards et aux parfaits (Discours ascétiques, 90).
Extrait de saint Ignace Briantchaninov,
Introduction à la tradition ascétique
de l’Église d’Orient : Les miettes du festin.
Éditions Présence, 1978.
SYRIAQUES CATHOLIQUES: LES VOEUX DU PATRIARCHE YOUNAN (sois voeux de Noël, il me semble beau!)
26 février, 2015http://www.zenit.org/fr/articles/syriaques-catholiques-les-voeux-du-patriarche-younan
SYRIAQUES CATHOLIQUES: LES VOEUX DU PATRIARCHE YOUNAN
LE JOUR DE LA DÉLIVRANCE NE TARDERA PAS À VENIR
Rome, 1 janvier 2015 (Zenit.org) Patriarche Ignace Youssef III Younan
Le patriarche d’Antioche de l’Eglise syriaque catholique, Ignace Youssef III Younan, adresse ses voeux de Noël aux chrétiens syriaques catholiques: il dit sa communion avec ceux qui ont tout perdu et avec ceux qui ont tout quitté, et il « implore le Divin Enfant de combler leurs cœurs de la richesse de Ses dons, et leur accorder la paix et le bonheur avec la Nouvelle Année 2015″.
Un message de confiance: « le jour de la délivrance ne tardera pas à venir, où ils rentreront dans leur patrie et la terre de leurs ancêtres pour porter à nouveau le témoignage de l’Amour du Christ et de son Evangile de Paix ».
Voici le message dans son intégralité, publié en français par le patriarcat.
A.B.
A nos vénérables frères Archevêques et Evêques bien-aimés
Aux révérends Pères, Diacres, religieux, religieuses et séminaristes
Et à tous nos fidèles au Liban, en Orient et dans la Diaspora
Paix et amour dans le Seigneur:
A l’occasion de la sainte fête de Noël et au seuil du Nouvel An 2015, nous adressons de tout cœur nos vœux les meilleurs à nos fils et filles de notre Eglise Syriaque d’Antioche, ainsi qu’aux communautés de toutes les Eglises Orientales et aux hommes de bonne volonté des pays du Proche-Orient et de la diaspora, implorant le Divin Enfant de combler leurs cœurs de la richesse de Ses dons, et leur accorder la paix et le bonheur avec la Nouvelle Année 2015.
Nous pensons particulièrement à ceux qui sont expulsés de leurs maisons en Syrie et en Iraq, et qui souffrent du manque de logement et des premiers moyens de vie les plus élémentaires. Privés de la joie de célébrer en familles les saintes fêtes de Noël et l’entrée du Nouvel An 2015, ils endurent la douleur de l’exil, acceptant avec Jésus et à cause de lui l’amertume de la privation et l’incertitude de l’avenir.
Avec toute la sollicitude de notre cœur, nous communions à leurs souffrances, et nous leur assurons tout notre soutien, en les exhortant à mettre leur Espérance en Jésus venu au monde annoncer aux exilés la délivrance. Qu’ils prennent confiance car le jour de la délivrance ne tardera pas à venir, où ils rentreront dans leur patrie et la terre de leurs ancêtres pour porter à nouveau le témoignage de l’Amour du Christ et de son Evangile de Paix.
A nos fils dans le Seigneur relevant de notre Diocèse Patriarcal du Liban, nous souhaitons d’heureuses fêtes de la Nativité du Seigneur et du Nouvel an. Puisse l’Enfant Dieu les bénir et accorder au peuple libanais la grâce de résoudre dans la concorde les problèmes sociopolitiques dans lesquels le Liban se débat.
A nos fils et filles de Terre Sainte et de Jordanie, ceux d’Egypte et de Turquie, et ceux qui sont nous ont quittés pour l’étranger, en Europe, l’Amérique ou l’Australie, nous leur adressons également nos vœux très sincères, en les engageant à préserver fidèlement leur foi chrétienne et resserrer les liens qui les attachent à leur Eglise d’origine, l’Eglise Syriaque d’Antioche, dans laquelle ils ont été baptisés.
Nous ne perdons pas de vue les familles qui ont perdu un des leurs dans la tourmente qui déchire depuis quelques années la Syrie et l’Iraq. Nous leurs exprimons toute notre sympathie, en les soutenant de nos ferventes prières, afin qu’ils persévèrent dans l’Espérance et soient nonobstant la dure épreuve qui les touche, artisans de paix et de charité chrétienne.
O Verbe Eternel venu dans notre monde assumant notre humanité déchue, sois parmi nous le Prince de Paix et Soleil de justice. O Emmanuel, Dieu parmi nous, augmente en nous la Foi et l’Espérance. Accorde-nous la grâce de pouvoir vivre l’Amour et la Paix dans notre terre si troublée par les dissensions et les rivalités. Fais de chacun de tes disciples témoin de ton Evangile et artisan de paix, de justice et de libération.
Avant de terminer, nous vous accordons de tout cœur, fils et filles bien-aimés dans le Seigneur, notre bénédiction apostolique, gage de notre affection paternelle et des faveurs divines, implorants sur vous, sur vos familles et vos enfants, les bénédictions célestes et les grâces divines.
Que la grâce de la Sainte Trinité, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, descende sur vous, vous bénisse et vous garde de tout mal. Amen.
Le Christ est né, Alléluia!
Ignace Youssef III YOUNAN
Patriarche d’Antioche de l’Eglise Syriaque Catholique
Saint Basile – Fou en Christ
25 février, 2015JE DÉBORDE DE JOIE AU MILIEU DE TOUTES MES TRIBULATIONS (2 CORINTHIENS 7, 4)
25 février, 2015http://www.pagesorthodoxes.net/pages-choisies/joie/joie2.htm
JE DÉBORDE DE JOIE AU MILIEU DE TOUTES MES TRIBULATIONS (2 CORINTHIENS 7, 4)
L’humanité sans Dieu a cherché les sommets de la sagesse depuis toujours. De Socrate, le modèle même du sage, à Bouddha, cet Himalaya de l’impassibilité, de l’orient à l’occident, on savait qu’on y était parvenu lorsque la joie était devenue inébranlable et que rien, aucune circonstance extérieure, ne pouvait plus l’enlever ou lui porter atteinte. Être malade et heureux, en danger et heureux, mourant et heureux, discrédité et heureux, disait Épictète avec tous les stoïciens (Ier siècle). En joie parfaite, nous sommes sans ennemis dans ce monde de l’inimitié, phrase célèbre de Bouddha qui traduit bien son Chemin extraordinaire, poussé d’une façon si énigmatique jusqu’aux limites du mystère.
LA JOIE MAL HEUREUSE
Le sage est invulnérable, alors il est visité par une joie que rien ne peut plus troubler. Mais quelle est cette joie qui l’habite ? L’expérience même du mystère qu’il semble avoir atteint le taraude et le plonge dans une attente indéfinissable. La nostalgie la plus indicible hiverne au creux du sourire de Bouddha et dans les vertiges de Socrate buvant la ciguë… Hiver de l’attente, car le coeur de l’homme ne peut être dans la plénitude sans la rencontre définitive, qu’est le visage du Christ, vrai visage de toute joie. C’est pourquoi la joie des sages, comme d’ailleurs toutes nos joies à nous tous, quel que soit leur humble degré d’accomplissement, sont cette présence voilée du Christ, qu’on le sache ou non. Ainsi peut-on voir la venue du Christ à l’oeuvre, se frayant son chemin vers l’homme à travers toutes ses joies. Elles sont toutes une annonce de sa venue. Mais la plénitude n’est que dans le face à face. Si la joie est seulement un sentiment, alors à quoi bon ? Ce » malheur » (mal heureux), inhérent à la joie des sages, ne se résout que par la rencontre de la joie comme Personne, elle est Quelqu’un et l’homme, chacun de nous, ne peut se réaliser que dans la relation avec lui, en entrant dans sa joie à lui : Entre dans la joie de ton Maître, dit le Christ (Mt 25,21). Ici réside la nouveauté fantastique du Christianisme que ne pouvait soupçonner aucun sage de l’humanité et dont la joie pourtant était l’annonciatrice inconsciente, et dont chacune de nos joies aujourd’hui encore est porteuse…
C’est pourquoi Jésus demande à ses disciples d’être joyeux d’une grande joie dont les raisons sont au-delà de l’homme, dans le seul fait bouleversant que Dieu existe. C’est dans cette joie limpide de l’amour désintéressé, offert entièrement et sans réserve, que gît le salut du monde (Paul Evdokimov, L’amour fou de Dieu, Seuil, pp. 71-72). Dieu existe au plus intime de moi-même, parce qu’en Jésus Christ il a épousé ma chair et mon sang, et, en descendant dans mes ténèbres et ma mort, il m’a illuminé par la joie de sa résurrection. Là est mon salut, ma libération définitive. Mais maintenant, il s’agit d’en vivre pleinement à chaque instant. Dans cette seule réalité se trouve la prédication des premiers apôtres, c’est le noyau de leur message, ce que l’on appelle le » kérygme « ; ils n’avaient rien d’autre à annoncer jusqu’aux extrémités du monde (Ac 1,8), mais c’est autour de ce noyau que bascule toute l’histoire de l’humanité et la vie de chacun d’entre nous.
LA JOIE : UN FEU QUI BRÛLE
Saint Paul est le témoin le plus fabuleux de cette gigantesque aventure. Quand, sur le chemin de Damas, il tombe de son cheval à la vue de l’éblouissante beauté du Christ ressuscité, c’est le saisissement total de tout son être. Paul comprend d’un coup, par expérience, qu’il n’y a désormais plus d’autre joie pour lui et que sa vie ne saurait avoir un autre sens maintenant que d’annoncer cette bonne nouvelle à tous. Jusqu’à la fin de ses jours, son martyr à Rome, il va parcourir tout le bassin méditerranéen pour proclamer partout cet Évangile de sa joie à lui, qui n’est autre que le Christ en personne. Toutes les communautés qu’il fonde, c’est-à-dire l’Église, sont bâties sur cette Joie. Rien ne pourra l’arrêter dans sa passion unique, ni la prison où il fait de nombreux séjours, ni les supplices de toutes sortes qu’on lui inflige, ni les dangers sans nombre sur les routes et les mers de son époque, ni les souffrances, ni la mort qu’il côtoie souvent ; lors même qu’il se croit devenu comme l’ordure du monde et l’universel rebut, sa joie ne fait que s’affermir et illuminer son existence, quelles qu’en soient parfois les terribles tribulations. Pour lui, le Christ est ressuscité, et rien ne saurait plus avoir le dernier mot ; tout mal est définitivement vaincu : Qui nous séparera de l’amour du Christ ? La tribulation, l’angoisse, la persécution, la faim, la nudité, les périls, le glaive ? En tout cela nous n’avons aucune peine à triompher par celui qui nous a aimés ! Oui, j’en ai l’assurance, ni mort, ni vie, ni anges, ni principautés, ni présent, ni avenir, ni puissance, ni hauteur, ni profondeur, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté dans le Christ Jésus notre Seigneur ! (Rm 8, 35-39).
C’est donc par cette puissante énergie qui le fait vivre lui-même que Saint Paul enfante les Églises. Elles sont le lieu où tout homme peut, à son tour, expérimenter la joie d’une libération radicale, le don gratuit que Dieu veut faire à chacun, tout comme à Paul, d’une absolue nouveauté. Pour celui qui accepte de tomber de son cheval et de lâcher tous ses faux dieux sans joie, il y a un avant et un après : toute sa vie s’organise autour de cette unique expérience. Il n’est plus pour lui de possibilité de joie en dehors de ce mystère de l’Évangile : Ainsi donc que nul ne se glorifie dans les hommes ; car tout est à vous…, mais vous êtes au Christ et le Christ est à Dieu (1 Co 3,21). Alors que l’homme, tant qu’il n’est pas converti en profondeur, est livré à une multitude de choses, dépendant et enchaîné, le vrai disciple est libre de tout, il appartient au Christ seul : il n’y a pas de joie supérieure à celle-là ; à cette gloire chacun est appelé (2 Th 2,14), elle fait de lui, ainsi que des communautés, des foyers de lumière où ils brillent pour le monde, au sein d’une génération dévoyée et pervertie (Ph 2,15).
Cette joie est un feu qui brûle au coeur de Saint Paul lorsqu’un seul tombe (2 Co 11,29) et il n’a de cesse qu’elle se répande, comme le feu lui-même, car l’amour du Christ le presse (2 Co 5,14). Paul » revit » lorsque ce feu de la joie prend : Comment pourrions-nous remercier Dieu suffisamment à votre sujet pour toute la joie dont vous vous réjouissez devant Dieu ?(1 Th 3,8-9). Saint Paul est enivré par la joie du Christ qui l’habite, mais quand il réussit à la communiquer à d’autres, alors elle est à son comble : Mettez le comble à ma joie par l’accord de vos sentiments : ayez le même amour, une seule âme, un seul sentiment… Ayez en vous les mêmes sentiments qui furent dans le Christ Jésus (Ph 2,2-5). Cela va si loin que, finalement, la joie des autres prime la sienne et devient, pour lui, le critère de toute joie : le pire des malheurs qui pourrait arriver à Paul serait d’être séparé loin du Christ, et bien, il préfère cela pourvu que ses frères, eux, découvrent le Christ (Rm 9,3). Folie de l’amour le plus gratuit qui exprime la qualité insondable de sa joie…
CONNAÎTRE LE CHRIST : NAÎTRE À LA JOIE
Nous sommes ici au sommet de ce à quoi peut tendre un être humain. Tout tient en ces trois mots de Saint Paul : Connaître le Christ ! Là est le bien suprême et rien ne subsiste à ses côtés… Il faut lire et relire ces phrases de l’épître aux Philippiens qui contiennent la quintessence de toute joie imaginable, il faut les garder par-devers soi, sur un petit papier dans sa poche ou accroché au mur, ou mieux encore : en lettres de feu dans son coeur, les inculquer à son souffle jusqu’à ce qu’elles pénètrent dans la mémoire revêche de nos cellules, et un jour il y a une percée qui se fait, les premiers fruits surgissent :
Tous ces avantages dont j’étais pourvu, je les ai considérés comme un désavantage, à cause du Christ. Bien plus, désormais je considère tout comme désavantage à cause de la supériorité de la connaissance du Christ Jésus mon Seigneur. À cause de lui, j’ai accepté de tout perdre, je considère tout comme déchets, afin de gagner le Christ et d’être trouvé en lui… Le connaître, lui, avec la puissance de sa résurrection et la communion à ses souffrances, lui devenir conforme dans sa mort, afin de parvenir si possible à ressusciter d’entre les morts… Je poursuis ma course pour tâcher de saisir, ayant été moi-même saisi par le Christ (Ph 3,7-12).
Cette connaissance du Christ fonde la vie et la mort de tout chrétien. Là se trouve d’ailleurs le sens de son baptême : la connaissance est une nouvelle naissance en Christ, inaugurée par ce sacrement et sans cesse approfondie tout au long de la vie : désormais vivre, c’est le Christ (Ph 1,21). De surcroît, il n’y a aucune limite à cette connaissance qui s’ouvre sur l’au-delà de notre existence, où nous serons avec le Seigneur pour toujours (1 Th 4,17). Or cette joie définitive et plénière, dont nul ne peut mesurer la splendeur, n’est pas qu’un avenir lointain, donc flou et encore sans consistance, mais irradie déjà maintenant notre existence et la modifie tout entière. Depuis la venue du Christ dans l’histoire, chaque instant s’ouvre sur une transcendance habitée, la vie éternelle a déjà commencé, le royaume des cieux est en nous (Lc 17,21). Dés lors tout doit être imprégné par cette formidable Réalité et le comportement d’un chrétien ne devrait pouvoir s’expliquer que par là ! Sinon il est comme les autres qui n’ont pas cette espérance (1 Th 4,11). Notre joie est faite d’une participation totale, spirituelle et corporelle, à la gloire du Christ ressuscité. Le Seigneur transfigurera notre corps de misère pour le conformer à son corps de gloire (Th 3,21) : il n’y a donc pas même de geste qui ne puisse en rendre compte ; un geste conscient rayonne de cette Présence, c’est dans le Christ, en effet, que nous avons le mouvement, l’être et la vie (Ac 17,28).
Mais pour entrer dans cette joie parfaite, il faut évidemment en faire l’apprentissage. Ce chemin c’est le Christ lui-même, il traverse la passion et la mort. Ce qui motive le disciple c’est le Christ, non la joie, sinon toute sa vie n’est qu’une imposture ! Choisir la joie, c’est se choisir soi-même et nourrir une subtile auto-gratification… Choisir le Christ, c’est entrer avec lui dans une relation inconditionnelle où je risque toute ma vie en l’offrant à son bon vouloir. Comme ce choix est toujours ambigu à cause de la condition humaine, il va passer par le feu de l’épreuve, tout comme le métal est purifié pour devenir de l’or. Suivre le Christ et s’identifier à lui, c’est donc communier aussi au Christ crucifié, c’est accepter d’être comme lui persécuté, diffamé, condamné à mort et d’aimer malgré tout ceux qui nous haïssent ainsi, nos ennemis… La vie nous bafoue tous les jours et de mille manières, mais en l’acceptant comme elle est à cause du Christ, mieux : en communiant pleinement à elle nous communions au Christ qui s’y trouve. Communier aux souffrances du Christ à travers les nôtres, c’est faire sa suprême connaissance, joie inouïe au-delà de tout et pourtant au sein même de notre condition la plus tragique :
Nous sommes fous à cause du Christ… Nous avons faim, nous avons soif, nous sommes nus, maltraités et errants ; nous nous épuisons à travailler de nos mains. On nous insulte et nous bénissons, on nous persécute et nous l’endurons, on nous calomnie et nous consolons. Nous sommes devenus comme l’ordure du monde, jusqu’à présent l’universel rebut… Nous portons toujours et partout en notre corps les souffrances de mort de Jésus, pour que la vie de Jésus soit, elle aussi, manifestée dans notre corps…Nous sommes tenus pour tristes, nous qui sommes toujours joyeux. (1 Co 4,9-13 ; 2 Co 4,10 ; 6,10).
À LA SOURCE DE TOUTE JOIE
Tout se trouve pour saint Paul dans ce petit mot à cause du Christ. À cause de lui, il n’y a plus d’épreuve ou de souffrance qui ne soit transfigurée. Le trouver, lui, au coeur de la souffrance, alors la souffrance elle-même est aimable, et jusqu’à la mort. Ô mort, où es ton aiguillon ? (1 Co 15,55). Il n’y a donc plus d’obstacle à la joie : à cause du Christ et par lui, la joie est possible en tout temps et à tout propos (Ép 5,20). Cela explique pourquoi saint Paul parle toujours de la souffrance d’une façon positive, comme d’un lieu de haute expérience : Pour moi, que jamais je ne me glorifie sinon dans la croix de notre Seigneur Jésus Christ (Ga 6,14), Je trouve ma joie dans les souffrances que j’endure pour vous (Col 1,24). Aux Philippiens, Paul dit que c’est une grâce qui vous a été donnée que de souffrir pour le Christ (Ph 1,29).
La souffrance n’est jamais cherchée pour elle-même, mais quand elle est là, loin d’éliminer la joie, elle la renforce encore, car nulle part ailleurs le Christ ne se livre autant que dans la communion à sa croix ; là il nous fait entrer dans son intimité pour laquelle il n’y a pas de mots… La souffrance parle dans le silence et témoigne de notre secrète appartenance au Christ : Je porte dans mon corps les marques de Jésus (Ga 6,17).
L’homme qui a ce Chemin devient une créature nouvelle dans un monde transfiguré (2 Co 5,17). Il est greffé sur le Christ mort et ressuscité (Rm 6,5) et ne s’appartient plus. Sa source de sa joie est cette Pâque de son Maître d’où il se reçoit à chaque instant pour une vie radicalement autre : Si je vis, ce n’est plus moi, dit saint Paul, mais le Christ qui vit en moi (Ga 2, 20). C’est cette joie des profondeurs de son être que Paul s’arrache pour la partager avec tous les hommes, là est le point incandescent de son Évangile : Soyez mes imitateurs (1 Co 4,16).
Ainsi configuré au Christ par une communion aussi intime, le disciple entre en partage avec la joie du Christ lui-même : sa propre intimité avec le Père ! Le Christ veut nous introduire dans cette relation indicible où nous devenons avec lui des fils adoptifs (Ép 1,5). Être fils, cela veut dire pour nous être engendrés par la Joie qu’est le Père en personne et qui engendre éternellement le Christ. Là est notre Source de vie, et cette Source se trouve derrière toute vie de moment en moment dans notre quotidien. C’est pourquoi l’attitude fondamentale d’un fils qui veut se recevoir du Père est celle d’une constante écoute : il pose l’oreille de tout son être sur l’instant présent et accueille la vie telle qu’elle vient, pour communier totalement à la volonté de Dieu, tout comme le Christ nous l’a appris par sa propre vie. La qualité et la profondeur de notre joie est en proportion directe de cette obéissance qui est l’offrande absolue de notre vie à Dieu.
Cela nous est cependant impossible sans être assisté par la puissance de l’Esprit Saint. C’est l’Esprit qui nous rend le Christ présent et nous ouvre au Père, c’est donc par lui, l’Esprit, que la joie se communique aux hommes. Aussi une vie » spirituelle « , c’est-à-dire selon l’Esprit Saint, se caractérise par la joie, elle est le grand signe de sa Présence (Ga 5,22). Signe pour soi-même et pour les autres, témoignage d’une vie authentique et qui vivifie ceux que l’on approche. En effet, l’homme ne cherche que la joie et c’est par elle que Dieu se réconcilie le monde. C’est pourquoi lorsque toute une assemblée se retrouve pour célébrer cette joie dans une fête commune, elle est signe pour toute l’humanité, levain pour une nouvelle création à laquelle tous les hommes sont appelés (Ép 1,1-15). Voilà la vocation même de l’Église. Seule l’Église est capable d’une telle célébration, elle est unique au sein de l’humanité, car seule l’Église a la » capacité » de la joie sans limites puisque l’Esprit ne cesse d’y déposer le secret de sa Présence. Et c’est pourquoi seule l’Église est aussi capable d’accueillir le gémissement de tous les humains (Rm 8,22), qui ne peut trouver son refuge que dans la joie. L’Église est ce laboratoire d’un devenir autre, elle est notre mère qui transforme la détresse stérile de chacun : Réjouis-toi, stérile qui n’enfantait pas, éclates en cris de joie et d’allégresse (Ga 4,26-27). Enfantement sans fin, car l’Église est sur terre l’annonce de la Jérusalem Céleste où l’exultation sera à son achèvement; celle-ci va, pour le moment de plénitude en plénitude et s’acheminera au-delà de tout ce que nous pouvons concevoir… (Ép 3, 19-21).
LE SEUL GRAND MALHEUR DE L’HOMME
Dans cette cohérence, on ne sera pas étonné que le message central de saint Paul, face à l’immense tragique de la condition humaine, sera d’une clarté absolue : il n’y a qu’un seul grand malheur, c’est de ne pas connaître Jésus Christ !
Paul nous apprend à regarder toutes les réalités humaines de ce seul point de vue et à découvrir alors comment cela transforme tous nos plans et programmes humains, comment se déplace alors radicalement le niveau de nos décisions et de tous nos questionnements. C’est seulement dans cette unique perspective, l’enracinement dans le Christ ressuscité, que l’homme peut entrevoir quelque peu le sens du malheur prodigieux d’une humanité sans Dieu. Mais avec lui et en lui tout homme est appelé au bonheur (Rm 4,9) et, dès à présent, est-ce devant la mort, est-ce sous les coups de la violence qui s’abat sur lui ou quels que soient les événements extérieurs, la vie du chrétien est toujours une vie royale, une vie de gloire et non d’horreur. Pour Paul, tout est dans la relation à Dieu. Si elle est inexistante, alors l’homme est dans le » péché « , source de tout malheur et de la mort elle-même (Rm 5,12).
En Christ, au contraire, l’homme ne se définit plus, selon Heidegger, comme un être pour la mort, mais un être pour la vie définitive et la gloire incorruptible à jamais. Le chrétien n’échappe pas à la condition commune, il vit, comme tout un chacun, dans le péché et la mort, mais le Christ, en l’enveloppant de sa Présence libératrice, a enlevé au mal sa puissance de destin. C’est pourquoi, là où le péché abonde, la grâce surabonde (Rm 5,20), c’est-à-dire la joie.
Joie et souffrance cohabitent donc dans le même homme, comme la lumière et les ténèbres (Jn 1,4-5), mais il dépend de l’homme qu’il laisse triompher la joie qui lui est acquise par le Christ, bien plus : que la souffrance elle-même se transforme en joie ! Ici, le disciple reçoit la leçon suprême de son Maître, dont toute la vie en a été le développement, nous l’avons déjà dit : il n’y a finalement d’autre joie possible que de se laisser crucifier dans la passion et la mort du Christ : c’est l’acceptation pleine de l’inacceptable quotidien, du détail insignifiant, l’ennui ordinaire dit admirablement Véronique Nahoum, jusqu’aux situations les plus enfériques. Embrasser ce qui nous arrive, le prendre dans notre amour, nous ajuster pleinement à l’instant, comme le Christ sur sa croix, c’est faire descendre la lumière dans les pires ténèbres et la joie dans la souffrance même. Cet ajustement joyeux à ce qui est, de moment en moment, s’éprouve souvent comme absurde à nos yeux, folie et scandale, mais notre entendement lui-même, le raisonneur de ce siècle doit être crucifié pour découvrir qu’il existe une tout autre sagesse que celle des » intelligents » !
Ce qu’il y a de fou dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour confondre les sages ; ce qu’il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour confondre ce qui est fort ; ce qui est dans le monde sans naissance et ce que l’on méprise, voilà ce que Dieu a choisi… (1 Co 1,27-28).
Seule cette acceptation pleine de ce qui vient à nous et que nous voulons recevoir de Dieu, nous libère de toute joie illusoire et vérifie l’authenticité de nos sentiments… Si le Christ est la Vie (Jn 14,6), on ne communie à lui qu’en étant un avec la vie tout court, telle qu’elle se présente. La profondeur de l’océan se trouve autant dans les vagues et les tempêtes que dans eaux calmes. La joie du disciple n’est pas une échappatoire à la condition tragique de l’existence humaine, mais communion à la totalité, à toute l’épaisseur de l’histoire comme lieu où se vit la Pâque du Christ, transformation incessante de la mort en vie. On est loin d’une pieuse émotion qui ne ferait que trahir l’homme et Dieu.
Par l’Incarnation du Christ, Dieu épouse la condition humaine jusque dans ses derniers recoins pour y déposer la joie de sa Résurrection au prix de sa propre mort. La communion de l’homme à cette joie s’inscrira donc dans la même logique, la christologique, qui est une victoire sur toutes les forces contraires. La joie est une conquête et donc un combat ; sans ce combat, justement, la vie n’aurait aucune saveur. Mais à aucun moment l’homme ne peut mettre la main sur elle ; la joie échappera toujours à sa prise, car elle restera un mystère d’éternité inépuisable, transcendant toute expérience humaine. Bien souvent, il n’y a de joie que dans la pure foi en la présence du Ressuscité. Là est l’exercice (l’ascèse) à son plus haut niveau qui consiste à vivre la joie en tous temps et en tous lieux… :
…C’est pourquoi je me complais dans les faiblesses, les outrages, les détresses, les persécutions et les angoisses endurés pour le Christ (2 Co 12,10).
En dehors de toute exaltation sensible, nous sommes dans la douloureuse joie, comme l’appellent les Pères du désert. Par elle nous apprenons le dépouillement du vieil homme (Col 3,9) qui risque toujours de se fixer sur la joie comme sur un bien. La joie inconditionnelle, exercée au sein même de la détresse, s’appelle amour. Et l’amour se suffit à lui-même : il est. Ainsi, devenu libre de la joie elle-même, l’homme naît à Dieu…
Cet article a été publié dans la revue
Le Chemin, numéro 30, 1996. Reproduit avec l’autorisation
du Père Alphonse Goettmann et du Chemin.
LE SCANDALE DE LA CROIX
25 février, 2015http://www.austin-sparks.net/francais/000124.html
LE SCANDALE DE LA CROIX
PAR T. AUSTIN-SPARKS
« Mais moi, frères, si je prêche encore la circoncision, pourquoi suis-je encore persécuté? – alors le scandale de la croix est anéanti. » Galates 5:11
Le verset duquel est tiré le titre de ce message, suggère que si Paul avait seulement continuer à annoncer la circoncision, il aurait pu éviter la persécution et être libéré de l’inévitable scandale généré par le message de la croix. Il est d’un fait évident que, quelque soit le lieu où la croix du seigneur Jésus Christ ai été annoncée avec fidélité, cela n’a pas amené que de l’espérance et une vie nouvelle à quelques uns, cela a apporté aussi beaucoup de troubles à bien d’autres. Où que ce message soit annoncé, il a provoqué de l’antagonisme. Comme ce message était une pierre d’achoppement aux juifs et une absurdité aux grecs au début, il est demeuré, depuis ces premiers jours, inacceptable, non pas seulement aux impies, mais également aux gens religieux.
Cela est vrai, malgré le fait, que la croix, est le symbole le plus populaire. Il n’existe pratiquement aucune ville dans la chrétienté où l’architecture, les galeries d’art, les collections de littérature et les conservatoires de musique, qui ne donnent au signe sacré de la croix une place proéminente. Il est donc regrettable, qu’autant de prédications et d’enseignements dans l’Église chrétienne, se limite au ‘Jésus de l’histoire’, qui présente un Christ sans croix, ou à une interprétation de la croix qui est bien inférieure à celle des Écritures.
Malgré cela, le message consistent de toute la Bible est que la croix est l’instrument de Dieu pour le salut, elle en est Son moyen unique et pleinement suffisant. Il est tout aussi clair que cela a été le message béni de Dieu pour le salut des hommes. Il prédominait au temps du Nouveau Testament, et le recouvrement, et la remise en valeur de certains aspects essentiels et vitaux de cette croix, ont provoqué certains mouvements caractérisés par des noms tels que Luther, les Wesleys, Whitefield, Moody, Spurgeon et beaucoup d’autres hommes encore, honorés par Dieu Lui-même.
Avant que nous n’expliquions pourquoi la croix a toujours été la source de troubles et de scandales, nous devons affirmer qu’aucune place n’est accordée au coté héroïque et esthétique de la croix. Le sacrifice, la souffrance, la dévotion dénuée de tout égoïsme, le service sacrificiel pour le bien des autres, le fait d’endurer le tort en se positionnant contre les choses mauvaises actuelles; tous ceux-ci sont des éléments romantiques qui sont populairement appréciés. Mais c’est la plus profonde signification de la croix qu’en donne la Bible qui provoque l’opposition des hommes; et il serait profitable d’examiner quelques uns de ces aspects plus minutieusement.
1. La Croix Condamne le Monde
En la croix, Christ a créé un grand gouffre entre l’ancien monde et le nouveau, un gouffre qui ne peut pas être comblé. Deux systèmes distinctement différents, deux échelles de valeur, deux critères de jugement, deux codes de lois, se tiennent en contraste total de chaque coté de la croix. Chaque système n’est pas seulement entièrement différent l’un de l’autre, mais ils sont irréconciliables et sont pour toujours mutuellement antagonistes. La croix exige, en ce qui concerne les intérêts et les objectifs, les relations et les ressources, une distinction absolue. Elle impose la distinction finale entre ceux qui sont sauvés et ceux qui ne le sont pas, entre les vivants et les morts.
L’apôtre Paul a dit que, par la croix : « le monde m’est crucifié, et moi au monde ». La Parole de Dieu déclare sans ambiguïté aucune que ce siècle est mauvais et que « le monde entier gît dans le méchant ». Elle dit aussi que les voies du monde ainsi que ses motivations, ses buts, ses idées et imaginations, sont tous opposés à Dieu. Elle assure également que le monde est rendu totalement incapable de recevoir la révélation de la pensée divine, de ressembler à l’image divine, de jouir de et d’apprécier une vraie communion avec Dieu; ou même d’être investit des privilèges de co-opération avec Dieu.
De telles capacités et relations n’appartient qu’a ceux dont la nouvelle naissance les a délivrés de ce monde présent. Il est compréhensible que le monde trouve la condamnation de la croix abrasive et inacceptable, et il est à craindre que la présence de ‘mondanité’ dans la vie chrétienne individuelle et dans l’Église ne soit directement en contradiction avec les buts essentiels de la croix. Le seigneur Jésus a décrit Sa croix comme étant « le jugement du monde » (Jean 12:31). Ceux qui Le suivent doivent accepter ce verdict, et devront en conséquence souffrir du scandale de la croix.
2. La Croix Crucifie la Chair
La Parole de Dieu déclare que « notre vieil homme a été crucifié avec lui » (Romains 6:6), et que « Un est mort pour tous, tous sont donc morts; et qu’il est mort pour tous, afin que ceux qui vivent, ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour celui qui pour eux est mort » (2 Corinthiens 5:14-15). En ce qui concerne Dieu la race déchue s’est terminée au calvaire. A partir de ce point, l’attention toute entière de Dieu a été pour la nouvelle création. Il n’y a aucune utilité à ce que nous essayions d’apporter quoi que ce soit de l’ancienne création dans la nouvelle, car Dieu ne l’acceptera pas. Nos capacités humaines ainsi que nos infirmités, ce que nous appelons notre bon coté ainsi que ce que nous reconnaissons comme étant notre plus mauvais coté, notre bonté ainsi que notre méchanceté, tout a été inclus dans cette mort. Ainsi nous sommes appelés a vivre, non pas selon un critère humain mais en accord avec ce qui est divin. En nous-mêmes, nous ne possédons rien qui ne soit acceptable à Dieu.
Bien souvent c’est l’assertion d’un élément humain, d’un goût pour une chose ou une autre, d’une ambition ou d’un intérêt tout personnel, qui paralyse l’œuvre de Dieu en nous et à travers nous. De considérer, non pas seulement nos péchés, mais nous-mêmes comme ayant été portés à la croix par Christ, est le seul moyen par lequel les propos de Dieu peuvent être accomplis à travers nos vies. Il peut sembler étrange, qu’alors que nous déplorons si souvent notre manque de spiritualité, nous sommes si lents a accepter le verdict de la croix sur nos vies naturelles. Nous trouvons humiliant d’accepter le même jugement sur nous-mêmes que celui qui a été passé sur le monde, c’est à dire la mort par crucifixion.
Néanmoins, il n’y a pas d’autre base pour une véritable vie spirituelle et le témoignage: la croix doit produire la mort en nous afin que la vie de Christ soit libérée en pleine manifestation à travers nous. Ainsi il peut y avoir un sens de par lequel le chrétien aussi doit faire face au scandale de la croix. Il ne peut connaître la bénédiction de la nouvelle vie uniquement en venant à connaître toute la signification de la réalité de sa crucifixion avec Christ. Lorsque c’est véritablement « je ne vis plus, moi », alors la voie est ouverte pour affirmer: « mais Christ vit en moi ». L’issue est glorieuse, mais le chemin qui y mène est le douloureux chemin de la croix.
3. La Croix Exclut le Diable
Ici nous touchons la cause la plus profonde du scandale, car le monde et la chair ne sont que les instruments et les armes par lesquels la grande hiérarchie de Satan maintient son emprise et son existence en tant que force dominatrice. En arrivant à la croix, Christ dit; « maintenant le chef de ce monde sera jeté dehors » (Jean12:31). Alors que Paul méditait sur la signification profonde de la croix, il dit que par elle Christ: « ayant dépouillé les principautés et les autorités, il les a produite en public, triomphant d’elles en la Croix » (Colossiens 2:15).
Il est donc alors parfaitement normal que la grande hiérarchie du mal recherche par tous les moyens et utilise toutes les ressources afin de rendre la croix inefficace. Par « l’imagination des pensées » l’ennemi diluera le message de la croix; en imposant les méthodes et l’esprit du monde il assèchera la vitalité spirituelle de l’Église. En excitant la chair, le moi et le vieil Adam, il provoquera des divisions, des tensions et des destructions; ou en mettant en avant les éléments humains dans leurs aspects artistiques, esthétiques, héroïques, il aveuglera ceux qui not besoin de la régénération. La
réputation, la popularité, le critères mondains du succès, sont tous contraires à l’esprit de Christ, mais ils sont les instruments que l’ennemi utilise afin de confondre les pensées de beaucoup; parfois même celles des serviteurs du Seigneur.
Ainsi, si la croix est annoncée selon la pleine victoire qui est la sienne sur le monde, la chair et le Diable, nous devons nous attendre à ce que les forces intelligentes du mal fassent tout ce qui est en leur pouvoir pour mettre un terme à cette proclamation; tout en provoquant toutes causes de scandales qui puissent être imputées à la croix. Il n’est pas surprenant que ce message soit rejeté ou discrédité puisqu’il est la solution divine aux problèmes de l’homme déchu. La crucifixion est une brusque fin, car elle révèle la plus totale répudiation divine de tout ce qui appartient à l’ancienne création. Néanmoins, pour le croyant, la croix telle qu’elle présentée dans l’Évangile est la puissance de Dieu pour le salut.
En conclusion, n’oublions pas que félicité de l’entier propos de Dieu, l’expérience de la victoire, et de l’association en vie avec Celui qui est assis sur le trône dans la gloire, sont nôtres aussi longtemps que nous sommes un avec la réalité de la croix telle qu’elle est présentée dans la Parole de Dieu. Peut-être cela est-il résumé au mieux dans ce passage: « Eux l’ont vaincu à cause du sang de l’Agneau et à cause de la parole de leur témoignage ; et ils n’ont pas aimé leur vie, même jusqu’à la mort » (Apocalypse 12:11).