Archive pour le 28 janvier, 2015
BENOÎT XVI: SAINT THOMAS D’AQUIN (28 Janvier)
28 janvier, 2015BENOÎT XVI
AUDIENCE GÉNÉRALE
Place Saint-Pierre
Mercredi 2 juin 2010
SAINT THOMAS D’AQUIN
Chers frères et sœurs,
Après quelques catéchèses sur le sacerdoce et mes derniers voyages, nous revenons aujourd’hui à notre thème principal, c’est-à-dire la méditation de certains grands penseurs du Moyen-Age. Nous avions vu dernièrement la grande figure de saint Bonaventure, franciscain, et je voudrais aujourd’hui parler de celui que l’Eglise appelle le Doctor communis: c’est-à-dire saint Thomas d’Aquin. Mon vénéré prédécesseur, le Pape Jean-Paul II, dans son encyclique Fides et ratio, a rappelé que saint Thomas « a toujours été proposé à juste titre par l’Eglise comme un maître de pensée et le modèle d’une façon correcte de faire de la théologie » (n. 43). Il n’est donc pas surprenant que, après saint Augustin, parmi les écrivains ecclésiastiques mentionnés dans le Catéchisme de l’Eglise catholique, saint Thomas soit cité plus que tout autre, pas moins de soixante et une fois! Il a également été appelé Doctor Angelicus, sans doute en raison de ses vertus, en particulier le caractère sublime de sa pensée et la pureté de sa vie.
Thomas naquit entre 1224 et 1225 dans le château que sa famille, noble et riche, possédait à Roccasecca, près d’Aquin, à côté de la célèbre abbaye du Mont Cassin, où il fut envoyé par ses parents pour recevoir les premiers éléments de son instruction. Quelques années plus tard, il se rendit dans la capitale du Royaume de Sicile, Naples, où Frédéric II avait fondé une prestigieuse Université. On y enseignait, sans les limitations imposées ailleurs, la pensée du philosophe grec Aristote, auquel le jeune Thomas fut introduit, et dont il comprit immédiatement la grande valeur. Mais surtout, c’est au cours de ces années passées à Naples, que naquit sa vocation dominicaine. Thomas fut en effet attiré par l’idéal de l’Ordre fondé quelques années auparavant par saint Dominique. Toutefois, lorsqu’il revêtit l’habit dominicain, sa famille s’opposa à ce choix, et il fut contraint de quitter le couvent et de passer un certain temps auprès de sa famille.
En 1245, désormais majeur, il put reprendre son chemin de réponse à l’appel de Dieu. Il fut envoyé à Paris pour étudier la théologie sous la direction d’un autre saint, Albert le Grand, dont j’ai récemment parlé. Albert et Thomas nouèrent une véritable et profonde amitié, et apprirent à s’estimer et à s’aimer, au point qu’Albert voulut que son disciple le suivît également à Cologne, où il avait été envoyé par les supérieurs de l’Ordre pour fonder une école de théologie. Thomas se familiarisa alors avec toutes les œuvres d’Aristote et de ses commentateurs arabes, qu’Albert illustrait et expliquait.
A cette époque, la culture du monde latin avait été profondément stimulée par la rencontre avec les œuvres d’Aristote, qui étaient demeurées longtemps inconnues. Il s’agissait d’écrits sur la nature de la connaissance, sur les sciences naturelles, sur la métaphysique, sur l’âme et sur l’éthique, riches d’informations et d’intuitions, qui apparaissaient de grande valeur et convaincants. Il s’agissait d’une vision complète du monde, développée sans et avant le Christ, à travers la raison pure, et elle semblait s’imposer à la raison comme « la » vision elle-même: cela était donc une incroyable attraction pour les jeunes de voir et de connaître cette philosophie. De nombreuses personnes accueillirent avec enthousiasme, et même avec un enthousiasme acritique, cet immense bagage de savoir antique, qui semblait pouvoir renouveler avantageusement la culture, ouvrir des horizons entièrement nouveaux. D’autres, toutefois, craignaient que la pensée païenne d’Aristote fût en opposition avec la foi chrétienne, et se refusaient de l’étudier. Deux cultures se rencontrèrent: la culture pré-chrétienne d’Aristote, avec sa rationalité radicale, et la culture chrétienne classique. Certains milieux étaient conduits au refus d’Aristote également en raison de la présentation qui était faite de ce philosophe par les commentateurs arabes Avicenne et Averroès. En effet, c’était eux qui avaient transmis la philosophie d’Aristote au monde latin. Par exemple, ces commentateurs avaient enseigné que les hommes ne disposaient pas d’une intelligence personnelle, mais qu’il existe un unique esprit universel, une substance spirituelle commune à tous, qui œuvre en tous comme « unique »: par conséquent, une dépersonnalisation de l’homme. Un autre point discutable véhiculé par les commentateurs arabes était celui selon lequel le monde est éternel comme Dieu. De façon compréhensible, des discussions sans fin se déchaînèrent dans le monde universitaire et dans le monde ecclésiastique. La philosophie d’Aristote se diffusait même parmi les personnes communes.
Thomas d’Aquin, à l’école d’Albert le Grand, accomplit une opération d’une importance fondamentale pour l’histoire de la philosophie et de la théologie, je dirais même pour l’histoire de la culture: il étudia à fond Aristote et ses interprètes, se procurant de nouvelles traductions latines des textes originaux en grec. Ainsi, il ne s’appuyait plus seulement sur les commentateurs arabes, mais il pouvait également lire personnellement les textes originaux, et commenta une grande partie des œuvres d’Aristote, en y distinguant ce qui était juste de ce qui était sujet au doute ou devant même être entièrement rejeté, en montrant la correspondance avec les données de la Révélation chrétienne et en faisant un usage ample et précis de la pensée d’Aristote dans l’exposition des écrits théologiques qu’il composa. En définitive, Thomas d’Aquin démontra qu’entre foi chrétienne et raison, subsiste une harmonie naturelle. Et telle a été la grande œuvre de Thomas qui, en ce moment de conflit entre deux cultures – ce moment où il semblait que la foi devait capituler face à la raison – a montré que les deux vont de pair, que ce qui apparaissait comme une raison non compatible avec la foi n’était pas raison, et que ce qui apparaissait comme foi n’était pas la foi, si elle s’opposait à la véritable rationalité; il a ainsi créé une nouvelle synthèse, qui a formé la culture des siècles qui ont suivi.
En raison de ses excellentes capacités intellectuelles, Thomas fut rappelé à Paris comme professeur de théologie sur la chaire dominicaine. C’est là aussi que débuta sa production littéraire, qui se poursuivit jusqu’à sa mort, et qui tient du prodige: commentaires des Saintes Ecritures, parce que le professeur de théologie était surtout un interprète de l’Ecriture, commentaires des écrits d’Aristote, œuvres systématiques volumineuses, parmi elles l’excellente Summa Theologiae, traités et discours sur divers sujets. Pour la composition de ses écrits, il était aidé par des secrétaires, au nombre desquels Réginald de Piperno, qui le suivit fidèlement et auquel il fut lié par une amitié sincère et fraternelle, caractérisée par une grande proximité et confiance. C’est là une caractéristique des saints: ils cultivent l’amitié, parce qu’elle est une des manifestations les plus nobles du cœur humain et elle a quelque chose de divin, comme Thomas l’a lui-même expliqué dans certaines quaestiones de la Summa Theologiae, où il écrit: « La charité est l’amitié de l’homme avec Dieu principalement, et avec les êtres qui lui appartiennent » (II, q. 23, a. 1).
Il ne demeura pas longtemps ni de façon stable à Paris. En 1259, il participa au Chapitre général des Dominicains à Valenciennes, où il fut membre d’une commission qui établit le programme des études dans l’Ordre. De 1261 à 1265, ensuite, Thomas était à Orvieto. Le Pape Urbain iv, qui nourrissait à son égard une grande estime, lui commanda la composition de textes liturgiques pour la fête du Corpus Domini, que nous célébrons demain, instituée suite au miracle eucharistique de Bolsena. Thomas eut une âme d’une grande sensibilité eucharistique. Les très beaux hymnes que la liturgie de l’Eglise chante pour célébrer le mystère de la présence réelle du Corps et du Sang du Seigneur dans l’Eucharistie sont attribués à sa foi et à sa sagesse théologique. De 1265 à 1268, Thomas résida à Rome où, probablement, il dirigeait un Studium, c’est-à-dire une maison des études de l’ordre, et où il commença à écrire sa Summa Theologiae (cf. Jean-Pierre Torell, Thomas d’Aquin. L’homme et le théologien, Casale Monf., 1994).
En 1269, il fut rappelé à Paris pour un second cycle d’enseignement. Les étudiants – on les comprend – étaient enthousiastes de ses leçons. L’un de ses anciens élèves déclara qu’une très grande foule d’étudiants suivaient les cours de Thomas, au point que les salles parvenaient à peine à tous les contenir et il ajoutait dans une remarque personnelle que « l’écouter était pour lui un profond bonheur ». L’interprétation d’Aristote donnée par Thomas n’était pas acceptée par tous, mais même ses adversaires dans le domaine académique, comme Godefroid de Fontaines, par exemple, admettaient que la doctrine du frère Thomas était supérieure à d’autres par son utilité et sa valeur et permettait de corriger celles de tous les autres docteurs. Peut-être aussi pour le soustraire aux vives discussions en cours, les supérieurs l’envoyèrent encore une fois à Naples, pour être à disposition du roi Charles i, qui entendait réorganiser les études universitaires.
Outre les études et l’enseignement, Thomas se consacra également à la prédication au peuple. Et le peuple aussi venait volontiers l’écouter. Je dirais que c’est vraiment une grande grâce lorsque les théologiens savent parler avec simplicité et ferveur aux fidèles. Le ministère de la prédication, d’autre part, aide à son tour les chercheurs en théologie à un sain réalisme pastoral, et enrichit leur recherche de vifs élans.
Les derniers mois de la vie terrestre de Thomas restent entourés d’un climat particulier, mystérieux dirais-je. En décembre 1273, il appela son ami et secrétaire Réginald pour lui communiquer sa décision d’interrompre tout travail, parce que, pendant la célébration de la Messe, il avait compris, suite à une révélation surnaturelle, que tout ce qu’il avait écrit jusqu’alors n’était qu’ »un monceau de paille ». C’est un épisode mystérieux, qui nous aide à comprendre non seulement l’humilité personnelle de Thomas, mais aussi le fait que tout ce que nous réussissons à penser et à dire sur la foi, aussi élevé et pur que ce soit, est infiniment dépassé par la grandeur et par la beauté de Dieu, qui nous sera révélée en plénitude au Paradis. Quelques mois plus tard, absorbé toujours davantage dans une profonde méditation, Thomas mourut alors qu’il était en route vers Lyon, où il se rendait pour prendre part au Concile œcuménique convoqué par le Pape Grégoire X. Il s’éteignit dans l’Abbaye cistercienne de Fossanova, après avoir reçu le Viatique avec des sentiments de grande piété.
La vie et l’enseignement de saint Thomas d’Aquin pourrait être résumés dans un épisode rapporté par les anciens biographes. Tandis que le saint, comme il en avait l’habitude, était en prière devant le crucifix, tôt le matin dans la chapelle « San Nicola » à Naples, Domenico da Caserta, le sacristain de l’Eglise, entendit un dialogue. Thomas demandait inquiet, si ce qu’il avait écrit sur les mystères de la foi chrétienne était juste. Et le Crucifié répondit: « Tu as bien parlé de moi, Thomas. Quelle sera ta récompense? ». Et la réponse que Thomas donna est celle que nous aussi, amis et disciples de Jésus, nous voudrions toujours lui dire: « Rien d’autre que Toi, Seigneur! » (Ibid., p. 320).
L’HOMÉLIE DE PAUL VI AUX ARTISTES EN 1964 ET L’INAUGURATION DE LA COLLECTION D’ART RELIGIEUX MODERNE EN 1973 (1- 2008)
28 janvier, 2015http://www.30giorni.it/articoli_id_17001_l4.htm
L’HOMÉLIE DE PAUL VI AUX ARTISTES EN 1964 ET L’INAUGURATION DE LA COLLECTION D’ART RELIGIEUX MODERNE EN 1973 (1- 2008)
«Nous avons besoin de vous»
par Paolo Mattei
«Nous avons besoin de vous». Par ces mots, Paul VI s’adressait en 1964 aux artistes pendant la messe de l’Ascension dans la Chapelle Sixtine. Ce fut une homélie aux accents émouvants, pendant laquelle le Pape reconnut les fautes de l’Église pour la fracture qui s’était créée au cours des temps entre elle et les artistes, et il leur demanda pardon. «Nous pouvons le dire: il nous est arrivé de vous couvrir d’une chape de plomb, pardonnez-nous!». De cette manière, le Pape entendit rétablir avec ces hommes «créateurs, toujours vivaces, jaillissant de millle idées et de mille nouveautés» un lien qui s’était distendu parce que, expliquait-il, «nous ne vous avons pas eu comme élèves, comme amis, comme interlocuteurs; parce que vous ne nous avez pas connus».
L’allocution de Paul VI survenait un an après la rédaction de la constitution concilaire sur la sainte liturgie Sacrosanctum Concilium, qui abordait la question de l’art sacré dans le chapitre VII. Ce document, qui proclame la totale liberté de l’art dans l’Église, recommande en même temps que l’on privilégie la «noble beauté» par rapport à une «simple somptuosité», fixe une série de règles et de recommandations adressées aux artistes dans leur fonction de créateurs d’œuvres sacrées, et aux évêques et aux prêtres dans leur tâche de contrôle et de vigilance.
Les vœux pour un renouvellement du dialogue formulés dans l’homélie de Paul VI seront accueillis en 1965 dans la constitution Gaudium et spes qui exhorte qu’on s’engage «afin que les artistes se sentent compris par l’Église dans leur activité et, jouissant d’une liberté ordonnée, établissent des rapports plus faciles avec la communauté chrétienne».
Il y a trente-cinq ans, en juin 1973, Paul VI fit un autre geste d’ouverture envers le monde de l’art en inaugurant dans les Musées du Vatican la Collection d’Art Religieux Moderne, qui commença par accueillir des compositions picturales et scupturales d’artistes italiens et internationaux, et qui a continué à s’enrichir avec l’acquisition, depuis les années Quatre-vingt, d’environ quatre cents autres pièces.
Dans l’Église post-conciliaire, on a vu émerger des orientations et des tendances qui manifestent des visions et des exigences différentes par rapport à la fonction et à la valeur des œuvres d’art sacré. La présence de plus en plus envahissante des images dans la vie quotidienne des individus – à travers la télévision, le cinéma et surtout, la publicité – a donné lieu à différentes réactions, par exemple la prédilection nostalgique pour l’imagerie saint-sulpicienne du dix-neuvième siècle (qui tend à multiplier des images dévotionnelles à travers des schémas figuratifs stéréotypés) ou, d’un autre côté, un fort rappel à une forme de culte dépourvu d’images figurées, à un silence figuratif qui serait, selon les rares partisans de ce courant, un témoignage efficace d’un christianisme attentif aux valeurs de la personne. À côté de ces orientations “passéistes” (la grande diffusion en Occident des icônes de l’Église russe ou grecque – qui est d’ailleurs accueillie sans enthousiasme dans certains milieux orthodoxes – doit elle-même être comprise, selon certains observateurs, comme une orientation nostalgique) il existe, à l’inverse, des tendances qui encouragent l’usage de tout instrument plus moderne de communication visuelle pour trandmettre le message chrétien.
Enfin il existe une large propension à ne commencer ni par une dialectique exacerbée entre le présent et le passé ni par une attitude d’opposition au monde contemporain déchristianisé. Dans les milieux qui ressentent cette urgence, on souhaite une rencontre profitable entre les communautés chrétiennes locales et les artistes les plus représentatifs de leurs cultures figuratives respectives et l’on soutient la mise en valeur de rapports avec des sculpteurs et des peintres qui seraient peut-être peu connus, mais qui partagent histoire et tradition avec les Églises locales.