Archive pour janvier, 2015
COMMENTAIRES DE MARIE NOËLLE THABUT, 1ER FÉVRIER – 1Co 7, 32-35
30 janvier, 2015COMMENTAIRES DE MARIE NOËLLE THABUT, 1ER FÉVRIER
DEUXIEME LECTURE – PREMIÈRE LETTRE DE PAUL AUX CORINTHIENS 7, 32 – 35
Frères,
32 j’aimerais vous voir libres de tout souci.
Celui qui n’est pas marié a le souci des affaires du Seigneur,
il cherche comment plaire au Seigneur.
33 Celui qui est marié a le souci des affaires de ce monde,
il cherche comment plaire à sa femme,
et il se trouve divisé.
34 La femme sans mari,
ou celle qui reste vierge,
a le souci des affaires du Seigneur,
afin d’être sanctifiée dans son corps et son esprit.
Celle qui est mariée a le souci des affaires de ce monde,
elle cherche comment plaire à son mari.
35 C’est dans votre intérêt que je dis cela ;
ce n’est pas pour vous tendre un piège,
mais pour vous proposer ce qui est bien,
afin que vous soyez attachés au Seigneur sans partage.
« Etre attachés au Seigneur sans partage », décidément, c’est la seule chose qui compte pour Saint Paul ; il faut garder en mémoire la belle formule que nous avons lue dimanche dernier : « Le temps est limité », littéralement « le temps a cargué ses voiles » comme un navire qui arrive au port. Traduisez « l’histoire humaine arrive à son terme, le Christ vient accomplir le dessein de Dieu, c’est-à-dire nous réunir tous en lui. »
Mais on pouvait très bien s’appuyer sur cette imminence du Royaume pour tomber dans deux excès contraires, et apparemment, les Corinthiens n’y échappaient pas : certains se livrant à la débauche, sous prétexte que « seul le royaume compte et que ce que l’on fait dans la vie quotidienne ne compte pas, on peut donc faire tout ce qu’on veut, Jésus nous a libérés » ; d’autres au contraire, méprisant la sexualité, se prenant pour des « surhommes », prêchant la continence à tout prix et soutenant « qu’il est bon pour l’homme de s’abstenir de la femme » (c’est au début du chapitre 7).
Nous avons lu au deuxième dimanche la réponse de Paul aux débauchés : elle était on ne peut plus claire : « Frères, fuyez l’impureté… Ne le savez-vous pas ? Votre corps est le temple de l’Esprit Saint, qui est en vous et que vous avez reçu de Dieu… » (1 Co 6, 18-19). Ici il s’attaque à l’excès inverse : ceux qui prêchent la continence absolue dans le mariage ou plus radicalement le célibat ; il a commencé très prudemment en précisant en début de chapitre qu’il ne fait que répondre à des questions qu’on lui a posées : « Venons-en à ce que vous m’avez écrit » (7, 1).
Il a d’autant plus de raisons d’être prudent que la question du célibat était déjà très controversée chez les Juifs : pendant des siècles, la méditation des phrases de la Genèse « Il n’est pas bon pour l’homme d’être seul » (Gn 2, 18) et « Soyez féconds et prolifiques » (Gn 1, 28) avait conduit à considérer que le seul état de vie normal pour le croyant était le mariage ; à tel point que les eunuques ne pouvaient ni être prêtres (Lv 21, 20), ni même entrer dans l’assemblée du Seigneur (Dt 23, 2). Et la stérilité était ressentie comme une honte et une malédiction : « Dieu a enfin enlevé mon opprobre », s’écrie Rachel en mettant au monde son premier fils (Gn 30, 23).
Après l’Exil à Babylone, ce mépris pour les célibataires et les eunuques s’était estompé dans les textes bibliques. On en a la preuve dans un texte du prophète Isaïe après l’Exil à Babylone : on avait ouvert les portes des synagogues aux eunuques s’ils désiraient vraiment s’agréger à la communauté des croyants. (cf Is 56, 3-5 et Sg 3, 14). Mais l’opinion populaire est restée longtemps réticente au choix délibéré pour le célibat ; Paul, lui, lutte certainement contre ce mépris ; il n’a d’ailleurs de mépris pour personne, ni pour les gens mariés, ni pour les célibataires.
Il ne fait pas non plus de théorie : il ne nous propose pas un cours sur le mariage, le célibat et la vie sexuelle en général ; il veut encore moins donner de directives contraignantes : « Je ne veux pas vous prendre au piège, mais vous proposer ce qui est bien… c’est votre intérêt à vous que je cherche » ; seulement, il constate : il y a des célibataires qui savent user de leur liberté pour se consacrer à Dieu et aux autres. Il arrive également que la vie du couple occupe tellement l’horizon des amoureux qu’ils en délaissent leur vie spirituelle ; il faut croire qu’il avait ces deux sortes d’exemples sous les yeux…
Paul avait également rencontré des couples mariés auxquels le Baptême de l’un des deux avait posé des problèmes insurmontables : il en a parlé explicitement dans les versets précédents. Car lorsqu’un couple entendait parler de la foi chrétienne, il arrivait que l’un des deux se convertisse et pas l’autre : comment dans ce cas le nouveau baptisé pouvait-il être attaché au Seigneur sans partage ?
Mais l’inverse peut se produire aussi : que l’amour vécu dans le mariage soit un chemin de progression dans l’amour de Dieu et des frères ; et que, au contraire, des célibataires se recroquevillent dans leur égoïsme. Deux types d’attitudes que nous connaissons bien mais que Paul préfère ne pas évoquer dans l’ambiance de mépris du célibat qui prévalait alors.
Son seul objectif est la propagation de l’évangile. A chacun de choisir l’état de vie qui lui permet d’être le plus disponible : la seule chose qui compte, c’est que nous soyons « attachés au Seigneur sans partage », car nous sommes dans les derniers temps. Cette perspective seule doit occuper notre esprit ; il dit bien : « J’aimerais vous voir libres de tout souci. » Il faut croire que c’est très important pour lui puisque le mot « souci » revient cinq fois dans ce court passage ! On entend résonner ici la phrase de la lettre aux Philippiens (Phi 4, 5-7) : « Le Seigneur est proche. N’entretenez aucun souci, mais, en toute occasion, par la prière et la supplication accompagnée d’action de grâce, faites connaître vos demandes à Dieu. Et la paix de Dieu, qui surpasse toute intelligence, gardera vos coeurs et vos pensées en Jésus-Christ. »
———————————————–
Complément
Le célibat volontaire, jusque-là inconnu dans le Judaïsme, avait fait son apparition à Qumran, dans un milieu qui, précisément, vivait ardemment l’attente du Jour de Dieu.
HOMÉLIE 4E DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE
30 janvier, 2015http://www.homelies.fr/homelie,,4097.html
4E DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE
DIMANCHE 1ER FÉVRIER 2015
FAMILLE DE SAINT JOSEPH
HOMÉLIE – MESSE
L’homme est l’être de la parole : c’est là sa spécificité au milieu du monde animal auquel il appartient par sa dimension somatique. Mais il n’est pas la source du verbe : l’enfant n’accède à la parole que dans la mesure où un adulte – son père – l’invite à prendre sa place dans le dialogue qu’il instaure avec lui. Autrement dit, la prise de parole est toujours réponse, qui fait suite à l’écoute d’une parole venant d’un autre. Ultimement, au bout de la chaîne – qu’elle soit horizontale ou verticale – c’est la Parole du Tout-Autre qui fonde notre discours humain.
Hélas depuis que la ruse du Serpent a perverti notre intelligence, la parole du « Père du mensonge » (Jn 8, 44) interfère avec celle de Dieu. Désormais notre cœur est double : nous avons le souci non seulement « des affaires du Seigneur », mais aussi – et souvent en priorité – « des affaires de cette vie » (2nd Lect.). Pour retrouver l’unité et la paix intérieures et extérieures, il n’est pas d’autre chemin que de nous recentrer sur la Parole de Dieu, afin « de lui être attachés sans partage » (Ibid.). C’est pourquoi le Seigneur nous a envoyé ses serviteurs, porteurs de sa Parole ; il a promis à Moïse de faire lever au milieu de ses frères un prophète comme lui, qui transmettrait tout ce que le Très-Haut lui prescrirait (cf. 1ère lect.).
Nous le croyons : c’est en Jésus, le Verbe incarné, que Dieu accomplit cette promesse. L’Evangile de ce jour décrit l’action toute-puissante et irrésistible de sa Parole : « Voilà un enseignement nouveau, proclamé avec autorité ! Il commande même aux esprits mauvais, et ils lui obéissent ». Non seulement Jésus est la Parole de Dieu qui nous offre la possibilité d’entrer à nouveau en dialogue avec le Père, mais par sa simple présence, il dévoile le Menteur et lui impose le silence.
Aujourd’hui comme hier, l’ennemi est toujours à l’œuvre ; il a en effet acquis des droits sur nous en raison de nos complicités avec le péché, et il ne se reconnaît pas vaincu sans opposer auparavant une résistance farouche. Il était hors de question d’admettre un démoniaque dans une synagogue ; il clair que cet homme ignorait le triste état de son âme, et l’esprit malin ne s’est trahi que parce que Jésus l’y a contraint par sa présence. La contestation rencontrée par Jésus de son temps, perdurera de générations en générations ; car si par sa Passion victorieuse Notre-Seigneur a effectivement déjà triomphé du Mauvais et nous a rendu participants de sa victoire, il n’a pas pour autant interdit au Satan de nous tenter. Notre participation à la rédemption consiste précisément à « choisir la vie » (Dt 30, 19) en adhérant à la Parole de Dieu et en repoussant le discours du Diable, dont nous pouvons reconnaître les sophismes et les mensonges à la lumière de l’Esprit. Car de même que nous avons librement failli, c’est par un nouvel acte de liberté, soutenu par la grâce divine, que nous sommes appelés à exprimer notre adhésion au Christ Sauveur. Plus précisément : c’est en obéissant à sa Parole de vérité que nous avons à nouveau accès à la vie, cette vie divine que nous avions perdue par notre adhésion au discours de celui qui est « homicide dès les origines » (Jn 8, 44).
Qui d’entre nous n’a pas éprouvé de résistance devant les exigences de l’Evangile ? Ce ne sont pas que les possédés qui réagissent violemment en présence de Jésus : lorsque paraît le Verbe-lumière, nous sommes tous débusqués dans nos complicités secrètes avec les ténèbres. C’est même alors qu’elles révèlent précisément leur visage hideux et que nous découvrons – souvent à notre plus grande confusion – nos oppositions parfois acharnées à la seigneurie du Christ dans nos vies. Le mal hérité du péché originel est en effet très profondément enfoncé et diffusé en nous, et ne s’éveille qu’au moment où nous nous engageons sur le chemin de la conversion : « Aussi longtemps qu’un homme est retenu dans les choses visibles de ce monde, explique Saint Macaire, il ne sait même pas qu’il y a un autre combat, une autre lutte, une autre guerre au-dedans de lui-même. C’est en effet quand un homme se lève pour combattre et se libérer des liens visibles de ce monde, et qu’il commence à se tenir avec persévérance devant le Seigneur, qu’il fait l’expérience du combat intérieur contre les passions et contre les pensées mauvaises. Aussi longtemps que quelqu’un ne renonce pas au monde, ne se détache pas de tout son cœur des convoitises terrestres, ne veut pas s’unir entièrement et sans réserve au Seigneur, il ne connaît ni les ruses secrètes des esprits de malice, ni les passions mauvaises cachées en lui. Mais il est étranger à lui-même, ne sachant pas qu’il porte en lui les plaies des passions secrètes ».
Saint Maxime le Confesseur souligne lui-aussi que nos passions sont en général voilées sous nos préoccupations quotidiennes et demeurent dans un état de sommeil apparent, de sorte que notre âme s’établit dans un état de paix qui en vérité est illusoire. Dès que nous nous engageons sérieusement sur le chemin de la vie spirituelle, des passions dont nous ignorions jusqu’à l’existence, ou qui nous paraissaient peu développées en nous, se réveillent et se manifestent dans toute leur intensité. « Les bêtes féroces étaient déjà là, cachées, écrit Saint Jean Climaque, mais elles ne se montraient pas. »
Que cela ne nous trouble pas, mais nous incite tout au contraire à nous exposer avec plus d’ardeur encore à la Parole qui nous délivre et nous sauve : « Aujourd’hui si nous entendons sa voix, ne fermons pas notre cœur » (Ps 94), mais accueillons la Parole du Seigneur. C’est elle qui tout à la fois nous restaure dans notre orientation originelle vers le Père, qui nous délivre des tromperies de l’Ennemi, et nous donne de pouvoir lui répondre dans la liberté filiale retrouvée.
« “Sauve-nous, Seigneur notre Dieu ; par ta Parole toute-puissante, rassemble tes enfants dispersés” (Ant. d’ouv.) ; qu’elle nous libère de nos compromissions avec le mal, nous fasse découvrir ton visage, et nous révèle notre identité profonde. Nous pourrons alors “t’adorer sans partage, et avoir pour tout homme une vraie charité” (Or. d’ouv.) ».
Père Joseph-Marie
Mosaic of Finding the Child Jesus in the Temple, Saint Louis, called « Rome on the West »
29 janvier, 2015JEAN PAUL II – L’ENGAGEMENT POUR UN AVENIR DIGNE DE L’HOMME – LECTURE: 1 JN 2, 12-14
29 janvier, 2015JEAN PAUL II
AUDIENCE GÉNÉRALE
Mercredi 24 janvier 2001
L’ENGAGEMENT POUR UN AVENIR DIGNE DE L’HOMME – LECTURE: 1 JN 2, 12-14
1. Si nous jetons un regard sur le monde et sur son histoire, il semble, à première vue, que domine l’étendard de la guerre, de la violence, de l’oppression, de l’injustice, de la dégradation morale. Il nous semble, comme dans la vision du chapitre 6 de l’Apocalypse, que sur les landes désolées de la terre chevauchent les chevaliers qui, tour à tour, tiennent la couronne du pouvoir triomphateur, l’épée de la violence, la balance de la pauvreté et de la faim, la faux affilée de la mort (cf. Ap 6, 1-8).
Face à la tragédie de l’histoire et à l’immoralité qui se diffuse, on en vient à répéter la question que le prophète Jérémie adresse à Dieu, se faisant la voix de nombreuses personnes qui souffrent et qui sont opprimées: « Tu es trop juste, Yahvé, pour que j’entre en contestation avec toi. Cependant, je parlerai avec toi de questions de droit: Pourquoi la voie des méchants est-elle prospère? Pourquoi tous les traîtres sont-ils en paix? » (12, 1). A la différence de Moïse, qui du haut du Mont Nebo, contemple la terre promise (cf. Dt 34, 1), nous nous penchons sur un monde tourmenté, dans lequel le Royaume de Dieu éprouve de la difficulté à se frayer un chemin.
2. Saint Irénée, au IIème siècle, trouvait une explication à cela dans la liberté de l’homme qui, au lieu de suivre le projet divin de coexistence pacifique (cf. Gn 2), déchire les relations avec Dieu, avec l’homme et avec le monde. L’Evêque de Lyon écrivait donc: « Ce qui est imparfait n’est pas l’art de Dieu, qui est en mesure de donner un fils à Abraham à partir de pierres, mais c’est celui qui ne le suit pas qui est la cause de sa propre perfection manquée. Ce n’est pas, en effet, la lumière qui manque à cause de la faute de ceux qui se sont aveuglés, mais ceux qui se sont aveuglés qui demeurent dans l’obscurité à cause de leur faute, alors que la lumière continue à briller. La lumière n’assujettit personne par la force, et Dieu ne contraint personne à accepter son art » (Adversus haereses IV, 39, 3).
Il y a donc besoin d’un effort de conversion permanent qui redresse la route de l’humanité, afin qu’elle choisisse librement de suivre « l’art de Dieu », c’est-à-dire son dessein de paix et d’amour, de vérité et de justice. C’est cet art qui se révèle pleinement dans le Christ, et que Paulin de Nola, qui s’était converti, faisait sien avec ce touchant programme de vie: « Mon seul art est la foi et la musique est le Christ » (Carme XX, 32).
3. Avec la foi l’Esprit Saint dépose également dans le coeur de l’homme la semence de l’espérance. En effet, la foi est, comme le dit l’Epître aux Hébreux, « la garantie des biens que l’on espère, la preuve des réalités qu’on ne voit pas » (11, 1). Dans un contexte souvent marqué par le découragement, par le pessimisme, par des choix de mort, d’inertie et de superficialité, le chrétien doit s’ouvrir à l’espérance qui naît de la foi. Cela apparaît dans la scène évangélique de la tempête qui se déchaîne sur le lac: « Maître, maître, nous périssons! », s’écrient les disciples. Et le Christ leur demande: « Où est votre foi? » (Lc 8, 24-25). En ayant foi dans le Christ et dans le Royaume de Dieu, on n’est jamais perdu, et l’espérance du calme serein réapparaît à l’horizon. Pour un avenir digne de l’homme, il est également nécessaire de faire refleurir la foi active qui engendre l’espérance. A propos de celle-ci, un poète français a écrit: « L’espérance est l’attente impatiente du bon semeur, elle est l’inquiétude de celui qui se présente comme candidat à l’éternité. L’espérance est l’infinité de l’amour » (Charles Péguy, Le portique du mystère de la seconde Vertu).
4. L’amour pour l’humanité, pour son bien-être matériel et spirituel, pour un progrès authentique, doit animer tous les croyants. Tout acte accompli pour créer un avenir meilleur, une terre plus habitable et une société plus fraternelle participe, même si c’est de façon indirecte, à l’édification du Royaume de Dieu. Précisément dans la perspective de ce Royaume, « l’homme, l’homme vivant, constitue la route première et fondamentale de l’Eglise » (Evangelium vitae, n. 2; cf. Redemptor hominis, n. 14). C’est la voie que le Christ a lui-même suivie, en se faisant dans le même temps la « voie » de l’homme (cf. Jn 14, 6).
Sur cette voie, nous sommes tout d’abord appelés à effacer la peur de l’avenir. Celle-ci tenaille souvent les jeunes générations, en les conduisant par réaction à l’indifférence, au refus face aux engagements dans la vie, à l’anéantissement de soi-même dans la drogue, la violence, la déchéance. Il faut ensuite manifester la joie pour chaque enfant qui naît (cf. Jn 16, 21), afin qu’il soit accueilli avec amour et qu’on lui offre la possibilité de grandir physiquement et en esprit. De cette façon, on collabore à l’oeuvre même du Christ, qui a ainsi défini sa mission: « Moi, je suis venu pour qu’on ait la vie et qu’on en abondance » (Jn 10, 10).
5. En ouverture, nous avons écouté le message que l’Apôtre Jean adresse aux pères, aux fils, aux personnes âgées et aux jeunes, afin qu’ils continuent ensemble à lutter et à espérer, dans la certitude qu’il est possible de vaincre le mal et le Malin, en vertu de la présence efficace du Père céleste. Montrer l’espérance est une tâche fondamentale de l’Eglise. Le Concile Vatican II nous a laissé à ce propos une note lumineuse: « On peut légitimement penser que l’avenir est entre les mains de ceux qui auront su donner aux générations de demain des raisons de vivre et d’espérer » (Gaudium et spes, n. 31). Dans cette perspective, j’ai plaisir à reproposer l’appel à la confiance que j’ai lancé dans mon discours aux Nations unies, en 1995: « Nous ne devons pas avoir peur de l’avenir [...] Nous sommes capables de sagesse et de vertu. Avec ces dons et avec l’aide de la grâce de Dieu, nous pouvons construire dans le siècle qui est sur le point d’arriver et pour le prochain millénaire, une civilisation digne de la personne humaine, une vraie culture de la liberté.
Nous pouvons et nous devons le faire! Et, en le faisant, nous pourrons nous rendre compte que les larmes de ce siècle ont préparé la voie d’un nouveau printemps de l’esprit humain » (cf. Insegnamenti XVIII/2 [1995], p. 744, cf. ORLF n. 41, du 10 octobre 1995).
TRATTO DA « L’EPIPHANIE – SOISY SUR SEINE »CAHIERS SUR L’ORAISON“ N°59 MARS 1963- LA PRIÈRE DE DEMANDE
29 janvier, 2015http://ora-et-labora.net/preghieradomanda.html
TRATTO DA « L’EPIPHANIE – SOISY SUR SEINE »CAHIERS SUR L’ORAISON“ N°59 MARS 1963- LA PRIÈRE DE DEMANDE
DI SŒUR JEANNE D’ARC O.P.
LA PRIÈRE DE DEMANDE
Dieu est créateur. Le Tout-Puissant donne l’être; et à chaque être, selon ce qu’il est, il donne une certaine participation à ses insondables richesses: la vie, une part de connaissance et d’attrait proportionnelle à chaque degré d’être; au sommet: l’esprit, la lumière et l’amour… A ces créatures spirituelles il se donne lui même, dans la grâce et ensuite dans la gloire.
Dieu donne. Dieu, parce qu’il est l’amour, diffuse librement tous les biens.
Quand il crée, cela, si l’on ose dire, ne lui est pas difficile: il ne rencontre nul obstacle à ses largesses.
Mais ensuite, tout au long de notre existence, quand il désire nous combler, il lui faut un art et une patience infinie avec nous: nous sommes souvent réfractaires aux dons les meilleurs; ou nous les méconnaissons, ou nous nous en servons comme d’une parure pour notre vanité; comme d’un aliment pour notre orgueil.
Et c’est pourquoi dans sa sagesse il a institué la prière de demande. Et il y revient souvent dans l’Evangile: demandez! Demandez et vous recevrez. Qui cherche trouve… Demandez.
Quand les Apôtres interrogent le Christ : « Seigneur, apprenez-nous à prier » (Lc.1l,l), il ne leur fait pas un traité sur la prière. Il leur apprend à demander : que demander et comment le demander. Il formule pour nous ces demandes qui constituent la prière parfaite de l’enfant du Père.
Il arrive pourtant que la prière de demande soit parfois assez méprisée par les « spirituels », qui pensent que d’autres formes sont plus hautes, comme 1′adoration, la louange, l’action de grâce. Au fait, beaucoup de gens ne connaissent de la demande qu’une forme fruste, proche même de certaines pratiques magiques ou infra-religieuses: on prie pour retrouver son sac à main; on fait dire des messes pour réussir à un examen… Sans doute il faut demander les biens matériels: panem nostrum quotidianum – mais dans la mesure où ils sont nécessaires come le pain, et dans la mesure ou ils sont ordonnés aux biens essentiels.
Dès qu’une âme commence à s’approcher davantage du Seigneur, elle prend un peu plus conscience de la grandeur de Dieu et de la primauté du spirituel; et il est bien qu’elle rejette, dans la mesure où elles sont impures et facilement égoïstes, les demandes intéressées, toujours accrochées à des objets matériels et immédiats.
Mais il serait regrettable qu’elle se mît du même coup à méconnaître la grandeur et la nécessité absolues de la prière de demande, celle qui vise les plus vrais biens: d’abord ce qui intéresse la gloire de Dieu, l’avancement du royaume, le rassemblement de tous les peuples et de toutes les nations dans le bercail de l’unique Pasteur, le retour du Seigneur… Et aussi les biens spirituels dont nous avons besoin actuellement, personnellement: toutes les grâces, les vertus, les lumières…
Mais ces biens, Dieu lui-même ne désire-t-il pas nous les donner? Bien sûr, il veut nous les donner. Et c’est pourquoi il nous les fait demander.
Nous commençons ici à apercevoir la double fonction de la prière de demande: par elle d’abord nous reconnaissons que tous ces biens viennent de Dieu, et il y a là une valeur d’hommage irremplaçable. Et aussi la demande creuse en nous le chemin des biens que nous demandons : elle nous met dans l’attitude d’humilité qui laisse Dieu libre de nous combler à sa mesure divine.
Il faut demander les biens spirituels avec persévérance, avec violence, comme Jacob qui lutte devant l’ange : « Je ne te quitterai pas que tu ne m’aies béni“(Gn.32,27). Il faut fatiguer Dieu avec une insistance têtue, secouer la porte jusqu’à ce qu’elle cède.
C’est la leçon de ces admirables paraboles sur la prière, celle de l’ami importun qui demande trois pains; et celui qui repose dans sa maison, bien décidé à faire le sourd, finit par se lever: il lui donne ces pains, non parce qu’il est ému du besoin de l’autre, non parce qu’il est généreux; non parce que celui qui les demande est son ami, mais pour avoir la paix. Aussi bien le fâcheux a fait un tel vacarme que la maisonnée est maintenant réveillée. Et il y met tant d’insistance, on sent bien qu’il ne s’en ira pas, voilà ses trois pains et qu’il nous laisse tranquilles!
Et la parabole plus audacieuse encore du juge inique – le Père qui nous aime comparé à un juge inique! Il finit par faire droit à la veuve qui réclame son héritage, non parce qu’elle a raison, non parce qu’il est juste, non parce qu’il a pitié d’elle, mais « propter importunitatem », parce qu’elle l’importune tant qu’il en est excédé.
Savons-nous crier assez fort pour demander ce qui nous est plus nécessaire que le pain: la grâce, la foi et l’amour….? Savons-nous importuner assez Dieu pour obtenir les biens qui font réellement partie de notre héritage? Si nous sommes pour de bon des enfants adoptés, nous avons « droit », dans cette logique admirable de la grâce, à la totalité de l’héritage: et il inclut tout ce qui constitue une vie chrétienne, tout ce qui nous rend capables de vivre en enfants de lumière, selon les Béatitudes et le sermon sur la montagne.
De même les biens du Royaume font partie de l’héritage de l’Eg1ise. Et nous devons les demander: que tous les hommes connaissent le Père et celui qu’il a envoyé, Jésus-Christ; le rassemblement du peuple de Dieu; l’unité des chrétiens et la paix du monde…
L’héritage dépend seulement du libre vouloir de Dieu. Mais nous pouvons le réclamer à grands cris puisque lui-même nous a adoptés. Savons-nous insister assez, implorer, supplier, sans jamais nous lasser (Lc.18,l)? Il faut y tenir autant que la veuve qui s’épuise en démarches. Il faut mendier comme les mendiants loqueteux de jadis harcelaient un touriste à l’apparence confortable. C’est une excellente oraison.
Quelquefois nous ne savons pas que dire ou que faire pendant notre oraison? Mendions.
Le Seigneur est en son paradis avec tous ses bienheureux dans le reos du huitième jour, et il nous laisse là, démunis de tous ces biens si nécessaires qui ne lui coûteraient rien! Il faut insister et secouer la porte jusqu’à ce qu’il se décide enfin à faire l’aumône d’un peu de ce pain. Clamons sans trêve:
Donne-moi l’humilité, donne-moi l’humilité, donne-moi l’humilité…
Ou: donne-moi la foi… donne-moi la charité…
Et encore : donne aux chrétiens l’unité…
Puis, si nous sentons que nous sommes en train de faiblir:
Donne-moi la persévérance dans la demande, donne-moi d’insister assez en face de toi…
Ces biens, Dieu désire nous les donner beaucoup plus que nous ne pouvons désirer les avoir, car il sait mieux que nous leur prix, et un peu de sa gloire est suspendue à la sainteté de ses enfants. S’il veut que nous les demandions, c’est qu’i1 n’y a pas de meilleure façon de nous rendre capables de les recevoir: la prière accroît l’intensité du désir; elle ouvre en notre âme la capacité d’accueillir; elle créa déjà en nous l’attitude qui corresponde à ce que nous demandons:
Demander la charité de cette façon est du même coup accroître sa charité.
Demander la foi est déjà un acte de foi : on le sait bien lorsqu’on arrive à y décider un incroyant!
Et quel meilleur acte d’humilité que cette persévérance à mendier humblement l’humilité: c’est reconnaître que nous ne l’avons point et que Dieu seul peut l’opérer en nous.
De même le fait de supplier ensemble le Seigneur de réaliser parmi eux l’unité unit déjà les chrétiens dans et par cette supplication convergente.
A force d’avoir ainsi mendié, peut-être serons-nous enfin ouverts, et Dieu pourra sans trop de risques nous combler; la demande humble et persévérante aura peut-être atténué nos réflexes de vanité ou d’orgueil; l’insistance à mendier aura inscrit au plus profond de notre cœur la confiance que tous ces biens sont des dons gratuits de la libéralité divine.
Et du même coup la prière de demande ainsi conçue est un des meilleurs hommages que nous puissions rendre au Seigneur, à sa toute-puissance, à sa bonté, à sa paternité : elle affirme concrètement son absolu domaine sur tout être et sur tout bien.
Faite dans ces conditions, la prière de demande est nécessairement efficace. Et c’est pourquoi elle s’achève en remerciement, dans la foi. Mais sa première efficacité est de nous apprendre que tout est grâce.
BENOÎT XVI: SAINT THOMAS D’AQUIN (28 Janvier)
28 janvier, 2015BENOÎT XVI
AUDIENCE GÉNÉRALE
Place Saint-Pierre
Mercredi 2 juin 2010
SAINT THOMAS D’AQUIN
Chers frères et sœurs,
Après quelques catéchèses sur le sacerdoce et mes derniers voyages, nous revenons aujourd’hui à notre thème principal, c’est-à-dire la méditation de certains grands penseurs du Moyen-Age. Nous avions vu dernièrement la grande figure de saint Bonaventure, franciscain, et je voudrais aujourd’hui parler de celui que l’Eglise appelle le Doctor communis: c’est-à-dire saint Thomas d’Aquin. Mon vénéré prédécesseur, le Pape Jean-Paul II, dans son encyclique Fides et ratio, a rappelé que saint Thomas « a toujours été proposé à juste titre par l’Eglise comme un maître de pensée et le modèle d’une façon correcte de faire de la théologie » (n. 43). Il n’est donc pas surprenant que, après saint Augustin, parmi les écrivains ecclésiastiques mentionnés dans le Catéchisme de l’Eglise catholique, saint Thomas soit cité plus que tout autre, pas moins de soixante et une fois! Il a également été appelé Doctor Angelicus, sans doute en raison de ses vertus, en particulier le caractère sublime de sa pensée et la pureté de sa vie.
Thomas naquit entre 1224 et 1225 dans le château que sa famille, noble et riche, possédait à Roccasecca, près d’Aquin, à côté de la célèbre abbaye du Mont Cassin, où il fut envoyé par ses parents pour recevoir les premiers éléments de son instruction. Quelques années plus tard, il se rendit dans la capitale du Royaume de Sicile, Naples, où Frédéric II avait fondé une prestigieuse Université. On y enseignait, sans les limitations imposées ailleurs, la pensée du philosophe grec Aristote, auquel le jeune Thomas fut introduit, et dont il comprit immédiatement la grande valeur. Mais surtout, c’est au cours de ces années passées à Naples, que naquit sa vocation dominicaine. Thomas fut en effet attiré par l’idéal de l’Ordre fondé quelques années auparavant par saint Dominique. Toutefois, lorsqu’il revêtit l’habit dominicain, sa famille s’opposa à ce choix, et il fut contraint de quitter le couvent et de passer un certain temps auprès de sa famille.
En 1245, désormais majeur, il put reprendre son chemin de réponse à l’appel de Dieu. Il fut envoyé à Paris pour étudier la théologie sous la direction d’un autre saint, Albert le Grand, dont j’ai récemment parlé. Albert et Thomas nouèrent une véritable et profonde amitié, et apprirent à s’estimer et à s’aimer, au point qu’Albert voulut que son disciple le suivît également à Cologne, où il avait été envoyé par les supérieurs de l’Ordre pour fonder une école de théologie. Thomas se familiarisa alors avec toutes les œuvres d’Aristote et de ses commentateurs arabes, qu’Albert illustrait et expliquait.
A cette époque, la culture du monde latin avait été profondément stimulée par la rencontre avec les œuvres d’Aristote, qui étaient demeurées longtemps inconnues. Il s’agissait d’écrits sur la nature de la connaissance, sur les sciences naturelles, sur la métaphysique, sur l’âme et sur l’éthique, riches d’informations et d’intuitions, qui apparaissaient de grande valeur et convaincants. Il s’agissait d’une vision complète du monde, développée sans et avant le Christ, à travers la raison pure, et elle semblait s’imposer à la raison comme « la » vision elle-même: cela était donc une incroyable attraction pour les jeunes de voir et de connaître cette philosophie. De nombreuses personnes accueillirent avec enthousiasme, et même avec un enthousiasme acritique, cet immense bagage de savoir antique, qui semblait pouvoir renouveler avantageusement la culture, ouvrir des horizons entièrement nouveaux. D’autres, toutefois, craignaient que la pensée païenne d’Aristote fût en opposition avec la foi chrétienne, et se refusaient de l’étudier. Deux cultures se rencontrèrent: la culture pré-chrétienne d’Aristote, avec sa rationalité radicale, et la culture chrétienne classique. Certains milieux étaient conduits au refus d’Aristote également en raison de la présentation qui était faite de ce philosophe par les commentateurs arabes Avicenne et Averroès. En effet, c’était eux qui avaient transmis la philosophie d’Aristote au monde latin. Par exemple, ces commentateurs avaient enseigné que les hommes ne disposaient pas d’une intelligence personnelle, mais qu’il existe un unique esprit universel, une substance spirituelle commune à tous, qui œuvre en tous comme « unique »: par conséquent, une dépersonnalisation de l’homme. Un autre point discutable véhiculé par les commentateurs arabes était celui selon lequel le monde est éternel comme Dieu. De façon compréhensible, des discussions sans fin se déchaînèrent dans le monde universitaire et dans le monde ecclésiastique. La philosophie d’Aristote se diffusait même parmi les personnes communes.
Thomas d’Aquin, à l’école d’Albert le Grand, accomplit une opération d’une importance fondamentale pour l’histoire de la philosophie et de la théologie, je dirais même pour l’histoire de la culture: il étudia à fond Aristote et ses interprètes, se procurant de nouvelles traductions latines des textes originaux en grec. Ainsi, il ne s’appuyait plus seulement sur les commentateurs arabes, mais il pouvait également lire personnellement les textes originaux, et commenta une grande partie des œuvres d’Aristote, en y distinguant ce qui était juste de ce qui était sujet au doute ou devant même être entièrement rejeté, en montrant la correspondance avec les données de la Révélation chrétienne et en faisant un usage ample et précis de la pensée d’Aristote dans l’exposition des écrits théologiques qu’il composa. En définitive, Thomas d’Aquin démontra qu’entre foi chrétienne et raison, subsiste une harmonie naturelle. Et telle a été la grande œuvre de Thomas qui, en ce moment de conflit entre deux cultures – ce moment où il semblait que la foi devait capituler face à la raison – a montré que les deux vont de pair, que ce qui apparaissait comme une raison non compatible avec la foi n’était pas raison, et que ce qui apparaissait comme foi n’était pas la foi, si elle s’opposait à la véritable rationalité; il a ainsi créé une nouvelle synthèse, qui a formé la culture des siècles qui ont suivi.
En raison de ses excellentes capacités intellectuelles, Thomas fut rappelé à Paris comme professeur de théologie sur la chaire dominicaine. C’est là aussi que débuta sa production littéraire, qui se poursuivit jusqu’à sa mort, et qui tient du prodige: commentaires des Saintes Ecritures, parce que le professeur de théologie était surtout un interprète de l’Ecriture, commentaires des écrits d’Aristote, œuvres systématiques volumineuses, parmi elles l’excellente Summa Theologiae, traités et discours sur divers sujets. Pour la composition de ses écrits, il était aidé par des secrétaires, au nombre desquels Réginald de Piperno, qui le suivit fidèlement et auquel il fut lié par une amitié sincère et fraternelle, caractérisée par une grande proximité et confiance. C’est là une caractéristique des saints: ils cultivent l’amitié, parce qu’elle est une des manifestations les plus nobles du cœur humain et elle a quelque chose de divin, comme Thomas l’a lui-même expliqué dans certaines quaestiones de la Summa Theologiae, où il écrit: « La charité est l’amitié de l’homme avec Dieu principalement, et avec les êtres qui lui appartiennent » (II, q. 23, a. 1).
Il ne demeura pas longtemps ni de façon stable à Paris. En 1259, il participa au Chapitre général des Dominicains à Valenciennes, où il fut membre d’une commission qui établit le programme des études dans l’Ordre. De 1261 à 1265, ensuite, Thomas était à Orvieto. Le Pape Urbain iv, qui nourrissait à son égard une grande estime, lui commanda la composition de textes liturgiques pour la fête du Corpus Domini, que nous célébrons demain, instituée suite au miracle eucharistique de Bolsena. Thomas eut une âme d’une grande sensibilité eucharistique. Les très beaux hymnes que la liturgie de l’Eglise chante pour célébrer le mystère de la présence réelle du Corps et du Sang du Seigneur dans l’Eucharistie sont attribués à sa foi et à sa sagesse théologique. De 1265 à 1268, Thomas résida à Rome où, probablement, il dirigeait un Studium, c’est-à-dire une maison des études de l’ordre, et où il commença à écrire sa Summa Theologiae (cf. Jean-Pierre Torell, Thomas d’Aquin. L’homme et le théologien, Casale Monf., 1994).
En 1269, il fut rappelé à Paris pour un second cycle d’enseignement. Les étudiants – on les comprend – étaient enthousiastes de ses leçons. L’un de ses anciens élèves déclara qu’une très grande foule d’étudiants suivaient les cours de Thomas, au point que les salles parvenaient à peine à tous les contenir et il ajoutait dans une remarque personnelle que « l’écouter était pour lui un profond bonheur ». L’interprétation d’Aristote donnée par Thomas n’était pas acceptée par tous, mais même ses adversaires dans le domaine académique, comme Godefroid de Fontaines, par exemple, admettaient que la doctrine du frère Thomas était supérieure à d’autres par son utilité et sa valeur et permettait de corriger celles de tous les autres docteurs. Peut-être aussi pour le soustraire aux vives discussions en cours, les supérieurs l’envoyèrent encore une fois à Naples, pour être à disposition du roi Charles i, qui entendait réorganiser les études universitaires.
Outre les études et l’enseignement, Thomas se consacra également à la prédication au peuple. Et le peuple aussi venait volontiers l’écouter. Je dirais que c’est vraiment une grande grâce lorsque les théologiens savent parler avec simplicité et ferveur aux fidèles. Le ministère de la prédication, d’autre part, aide à son tour les chercheurs en théologie à un sain réalisme pastoral, et enrichit leur recherche de vifs élans.
Les derniers mois de la vie terrestre de Thomas restent entourés d’un climat particulier, mystérieux dirais-je. En décembre 1273, il appela son ami et secrétaire Réginald pour lui communiquer sa décision d’interrompre tout travail, parce que, pendant la célébration de la Messe, il avait compris, suite à une révélation surnaturelle, que tout ce qu’il avait écrit jusqu’alors n’était qu’ »un monceau de paille ». C’est un épisode mystérieux, qui nous aide à comprendre non seulement l’humilité personnelle de Thomas, mais aussi le fait que tout ce que nous réussissons à penser et à dire sur la foi, aussi élevé et pur que ce soit, est infiniment dépassé par la grandeur et par la beauté de Dieu, qui nous sera révélée en plénitude au Paradis. Quelques mois plus tard, absorbé toujours davantage dans une profonde méditation, Thomas mourut alors qu’il était en route vers Lyon, où il se rendait pour prendre part au Concile œcuménique convoqué par le Pape Grégoire X. Il s’éteignit dans l’Abbaye cistercienne de Fossanova, après avoir reçu le Viatique avec des sentiments de grande piété.
La vie et l’enseignement de saint Thomas d’Aquin pourrait être résumés dans un épisode rapporté par les anciens biographes. Tandis que le saint, comme il en avait l’habitude, était en prière devant le crucifix, tôt le matin dans la chapelle « San Nicola » à Naples, Domenico da Caserta, le sacristain de l’Eglise, entendit un dialogue. Thomas demandait inquiet, si ce qu’il avait écrit sur les mystères de la foi chrétienne était juste. Et le Crucifié répondit: « Tu as bien parlé de moi, Thomas. Quelle sera ta récompense? ». Et la réponse que Thomas donna est celle que nous aussi, amis et disciples de Jésus, nous voudrions toujours lui dire: « Rien d’autre que Toi, Seigneur! » (Ibid., p. 320).
L’HOMÉLIE DE PAUL VI AUX ARTISTES EN 1964 ET L’INAUGURATION DE LA COLLECTION D’ART RELIGIEUX MODERNE EN 1973 (1- 2008)
28 janvier, 2015http://www.30giorni.it/articoli_id_17001_l4.htm
L’HOMÉLIE DE PAUL VI AUX ARTISTES EN 1964 ET L’INAUGURATION DE LA COLLECTION D’ART RELIGIEUX MODERNE EN 1973 (1- 2008)
«Nous avons besoin de vous»
par Paolo Mattei
«Nous avons besoin de vous». Par ces mots, Paul VI s’adressait en 1964 aux artistes pendant la messe de l’Ascension dans la Chapelle Sixtine. Ce fut une homélie aux accents émouvants, pendant laquelle le Pape reconnut les fautes de l’Église pour la fracture qui s’était créée au cours des temps entre elle et les artistes, et il leur demanda pardon. «Nous pouvons le dire: il nous est arrivé de vous couvrir d’une chape de plomb, pardonnez-nous!». De cette manière, le Pape entendit rétablir avec ces hommes «créateurs, toujours vivaces, jaillissant de millle idées et de mille nouveautés» un lien qui s’était distendu parce que, expliquait-il, «nous ne vous avons pas eu comme élèves, comme amis, comme interlocuteurs; parce que vous ne nous avez pas connus».
L’allocution de Paul VI survenait un an après la rédaction de la constitution concilaire sur la sainte liturgie Sacrosanctum Concilium, qui abordait la question de l’art sacré dans le chapitre VII. Ce document, qui proclame la totale liberté de l’art dans l’Église, recommande en même temps que l’on privilégie la «noble beauté» par rapport à une «simple somptuosité», fixe une série de règles et de recommandations adressées aux artistes dans leur fonction de créateurs d’œuvres sacrées, et aux évêques et aux prêtres dans leur tâche de contrôle et de vigilance.
Les vœux pour un renouvellement du dialogue formulés dans l’homélie de Paul VI seront accueillis en 1965 dans la constitution Gaudium et spes qui exhorte qu’on s’engage «afin que les artistes se sentent compris par l’Église dans leur activité et, jouissant d’une liberté ordonnée, établissent des rapports plus faciles avec la communauté chrétienne».
Il y a trente-cinq ans, en juin 1973, Paul VI fit un autre geste d’ouverture envers le monde de l’art en inaugurant dans les Musées du Vatican la Collection d’Art Religieux Moderne, qui commença par accueillir des compositions picturales et scupturales d’artistes italiens et internationaux, et qui a continué à s’enrichir avec l’acquisition, depuis les années Quatre-vingt, d’environ quatre cents autres pièces.
Dans l’Église post-conciliaire, on a vu émerger des orientations et des tendances qui manifestent des visions et des exigences différentes par rapport à la fonction et à la valeur des œuvres d’art sacré. La présence de plus en plus envahissante des images dans la vie quotidienne des individus – à travers la télévision, le cinéma et surtout, la publicité – a donné lieu à différentes réactions, par exemple la prédilection nostalgique pour l’imagerie saint-sulpicienne du dix-neuvième siècle (qui tend à multiplier des images dévotionnelles à travers des schémas figuratifs stéréotypés) ou, d’un autre côté, un fort rappel à une forme de culte dépourvu d’images figurées, à un silence figuratif qui serait, selon les rares partisans de ce courant, un témoignage efficace d’un christianisme attentif aux valeurs de la personne. À côté de ces orientations “passéistes” (la grande diffusion en Occident des icônes de l’Église russe ou grecque – qui est d’ailleurs accueillie sans enthousiasme dans certains milieux orthodoxes – doit elle-même être comprise, selon certains observateurs, comme une orientation nostalgique) il existe, à l’inverse, des tendances qui encouragent l’usage de tout instrument plus moderne de communication visuelle pour trandmettre le message chrétien.
Enfin il existe une large propension à ne commencer ni par une dialectique exacerbée entre le présent et le passé ni par une attitude d’opposition au monde contemporain déchristianisé. Dans les milieux qui ressentent cette urgence, on souhaite une rencontre profitable entre les communautés chrétiennes locales et les artistes les plus représentatifs de leurs cultures figuratives respectives et l’on soutient la mise en valeur de rapports avec des sculpteurs et des peintres qui seraient peut-être peu connus, mais qui partagent histoire et tradition avec les Églises locales.