Archive pour décembre, 2014
BENOÎT XVI: LE CHRISTOCENTRISME DE SAINT PAUL (2008)
16 décembre, 2014BENOÎT XVI
AUDIENCE GÉNÉRALE
Mercredi 22 octobre 2008
LE CHRISTOCENTRISME DE SAINT PAUL
Chers frères et sœurs,
Dans les catéchèses des semaines dernières nous avons médité sur la « conversion » de saint Paul, fruit de sa rencontre personnelle avec Jésus crucifié et ressuscité, et nous nous sommes interrogés sur ce qu’a été la relation de l’apôtre des nations avec Jésus terrestre. Aujourd’hui je voudrais parler de l’enseignement que saint Paul nous a laissé sur le caractère central du Christ ressuscité dans le mystère du salut, sur sa christologie. En vérité, Jésus Christ ressuscité, « exalté au dessus de tous les noms », est au centre de toutes ses réflexions. Le Christ est pour l’apôtre le critère d’évaluation des événements et des choses, l’objectif de chaque effort qu’il accomplit pour annoncer l’Evangile, la grande passion qui soutient ses pas sur les routes du monde. Et il s’agit d’un Christ vivant, concret: le Christ – dit Paul – « qui m’a aimé et qui s’est livré pour moi » (Ga 2, 20). Cette personne qui m’aime, avec laquelle je peux parler, qui m’écoute et me répond, telle est réellement le principe pour comprendre le monde et pour trouver le chemin dans l’histoire.
Celui qui a lu les écrits de saint Paul sait bien qu’il ne s’est pas soucié de rapporter chacun des faits qui composent la vie de Jésus, même si nous pouvons penser que dans ses catéchèses il a raconté bien davantage sur Jésus pré-pascal que ce qu’il écrit dans les Lettres, qui sont des avertissements dans des situations précises. Son intention pastorale et théologique visait à un tel point à l’édification des communautés naissantes, qu’il concentrait spontanément tout dans l’annonce de Jésus Christ comme « Seigneur » vivant aujourd’hui et présent aujourd’hui parmi les siens. D’où le caractère essentiel de la christologie paulinienne, qui développe les profondeurs du mystère avec un souci constant et précis: annoncer, bien sûr, Jésus vivant, son enseignement, mais annoncer surtout la réalité centrale de sa mort et de sa résurrection, comme sommet de son existence terrestre et racine du développement successif de toute la foi chrétienne, de toute la réalité de l’Eglise. Pour l’apôtre, la résurrection n’est pas un événement isolé, séparé de la mort: le Ressuscité est toujours celui qui, auparavant, a été crucifié. Même ressuscité il porte ses blessures: la passion est présente en Lui et l’on peut dire avec Pascal qu’il est souffrant jusqu’à la fin du monde, tout en étant ressuscité et en vivant avec nous et pour nous. Cette identité du Ressuscité avec le Christ crucifié, Paul l’avait compris lors de la rencontre sur le chemin de Damas: à cet instant-là, lui avait été clairement révélé que le Crucifié est le Ressuscité et que le Ressuscité est le Crucifié, qui dit à Paul: « Pourquoi me persécutes-tu? » (Ac 9, 4). Paul persécute le Christ dans l’Eglise et comprend alors que la croix est une « une malédiction de Dieu » (Dt 21, 23), mais un sacrifice pour notre rédemption.
L’apôtre contemple avec fascination le secret caché du Crucifié-ressuscité et, à travers les souffrances vécues par le Christ dans son humanité (dimension terrestre), il remonte à cette existence éternelle dans laquelle Il ne fait qu’un avec le Père (dimension pré-temporelle): « Mais lorsque les temps furent accomplis – écrit-il -, Dieu a envoyé son Fils; il est né d’une femme, il a été sous la domination de la loi de Moïse pour racheter ceux qui étaient sous la domination de la Loi et pour faire de nous des fils » (Ga 4, 4-5). Ces deux dimensions, la préexistence éternelle auprès du Père et la descente du Seigneur dans l’incarnation, s’annoncent déjà dans l’Ancien Testament, dans la figure de la Sagesse. Nous trouvons dans les Livres sapientiaux de l’Ancien Testament certains textes qui exaltent le rôle de la Sagesse préexistante à la création du monde. C’est dans ce sens que doivent être lus des passages comme celui du Psaume 90: « Avant que naissent les montagnes, que tu enfantes la terre et le monde, de toujours à toujours, toi, tu es Dieu » (v. 2); ou des passages comme celui qui parle de la Sagesse créatrice: « Yahvé m’a créée, prémices de son œuvre, avant ses œuvres les plus anciennes. Dès l’éternité je fus établie, dès le principe, avant l’origine de la terre » (Pr 8, 22-23). L’éloge de la Sagesse, contenu dans le livre homonyme, est également suggestif: « Elle s’étend avec force d’un bout du monde à l’autre et elle gouverne l’univers pour son bien » (Sg 8, 1).
Ces mêmes textes sapientiaux qui parlent de la préexistence éternelle de la Sagesse, parlent également de la descente, de l’abaissement de cette Sagesse, qui s’est créée une tente parmi les hommes. Nous entendons ainsi déjà résonner les paroles de l’évangile de Jean qui parle de la tente de la chair du Seigneur. Elle s’est créé une tente dans l’Ancien Testament: là est indiqué le temple, le culte selon la « Torah »; mais du point de vue du Nouveau Testament nous pouvons dire que celle-ci n’était qu’une préfiguration de la tente bien plus réelle et significative: la tente de la chair du Christ. Et nous voyons déjà dans les Livres de l’Ancien Testament que cet abaissement de la Sagesse, sa descente dans la chair, implique également la possibilité qu’elle soit refusée. Saint Paul, en développant sa christologie, fait précisément référence à cette perspective sapientielle: il reconnaît en Jésus la sagesse éternelle existant depuis toujours, la sagesse qui descend et se crée une tente parmi nous et ainsi il peut décrire le Christ, comme « puissance et sagesse de Dieu », il peut dire que le Christ est devenu pour nous « par lui [Dieu] notre sagesse, pour être notre justice, notre sanctification, notre rédemption » (1 Co 1, 24.30). De même, Paul explique que le Christ, de même que la Sagesse, peut être refusé en particulier par les dominateurs de ce monde (cf. 1 Co 2, 6-9), si bien que dans les desseins de Dieu peut se créer une situation paradoxale, la croix, qui se retournera en chemin de salut pour tout le genre humain.
Un développement ultérieur de ce cycle sapientiel, qui voit la Sagesse s’abaisser pour ensuite être exaltée malgré le refus qu’on peut lui opposer, se trouve dans le célèbre hymne contenu dans la Lettre aux Philippiens (cf. 2, 6-11). Il s’agit de l’un des textes les plus élevés de tout le Nouveau Testament. La plus grande majorité des exégètes s’accordent désormais à considérer que ce passage reproduit une composition antérieure au texte de la Lettre aux Philippiens. Il s’agit d’une donnée très importante, car cela signifie que le judéo-christianisme, avant saint Paul, croyait dans la divinité de Jésus. En d’autres termes, la foi dans la divinité de Jésus n’est pas une invention hellénistique, apparue bien après la vie terrestre de Jésus, une invention qui, oubliant son humanité, l’aurait divinisé; nous voyons en réalité que le premier judéo-christianisme croyait en la divinité de Jésus, et nous pouvons même dire que les Apôtres eux-mêmes, dans les grands moments de la vie de leur Maître, ont compris qu’Il était le Fils de Dieu, comme le dit saint Pierre à Césarée de Philippes: « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16, 16). Mais revenons à l’hymne de la Lettre aux Philippiens. La structure de ce texte peut être articulée en trois strophes, qui illustrent les moments principaux du parcours accompli par le Christ. Sa préexistence est exprimée par les paroles: « lui qui était dans la condition de Dieu, il n’a pas jugé bon de revendiquer son droit d’être traité à l’égal de Dieu » (v. 6); suit alors l’abaissement volontaire du Fils dans la deuxième strophe: « mais au contraire, il se dépouilla lui-même en prenant la condition de serviteur » (v. 7), jusqu’à s’humilier lui-même « en devenant obéissant jusqu’à mourir, et à mourir sur une croix » (v. 8). La troisième strophe de l’hymne annonce la réponse du Père à l’humiliation du Fils: « C’est pourquoi Dieu l’a élevé au-dessus de tout; il lui a conféré le nom qui surpasse tous les noms » (v. 9). Ce qui frappe est le contraste entre l’abaissement radical et la glorification successive dans la gloire de Dieu. Il est évident que cette seconde strophe est en opposition avec la prétention d’Adam qui voulait lui-même se faire Dieu, est en opposition également avec le geste des bâtisseurs de la tour de Babel qui voulaient édifier seuls le pont vers le ciel et devenir eux-mêmes des divinités. Mais cette initiative de l’orgueil s’acheva dans l’autodestruction: ce n’est pas ainsi que l’on arrive au ciel, au bonheur véritable, à Dieu. Le geste du Fils de Dieu est exactement le contraire: non l’orgueil, mais l’humilité, qui est la réalisation de l’amour et l’amour est divin. L’initiative d’abaissement, d’humilité radicale du Christ, à laquelle s’oppose l’orgueil humain, est réellement l’expression de l’amour divin; celle-ci est suivie par cette élévation au ciel vers laquelle Dieu nous attire avec son amour.
Outre la Lettre aux Philippiens, il y a d’autres passages de la littérature paulinienne où les thèmes de la préexistence et de la descente du Fils de Dieu sur la terre sont reliés entre eux. Une réaffirmation de l’assimilation entre Sagesse et Christ, avec toutes les conséquences cosmiques et anthropologiques qui en découlent, se retrouve dans la première Lettre à Timothée: « C’est le Christ manifesté dans la chair, justifié par l’Esprit, apparu aux anges, proclamé chez les païens, accueilli dans le monde par la foi, enlevé au ciel dans la gloire » (3, 16). C’est surtout sur ces prémisses que l’on peut mieux définir la fonction du Christ comme Médiateur unique, avec en toile de fond l’unique Dieu de l’Ancien Testament (cf. 1 Tm 2, 5 en relation avec Is 43, 10-11; 44, 6). C’est le Christ le vrai pont qui nous conduit au ciel, à la communion avec Dieu.
Et enfin quelques mots sur les derniers développements de la christologie de saint Paul dans les Lettres aux Colossiens et aux Ephésiens. Dans la première, le Christ est qualifié de: « Premier né par rapport à toutes les créatures » (1, 15-20). Ce terme de « Premier né » implique que le premier parmi tant de fils, le premier parmi tant de frères et de sœurs est descendu pour nous attirer à lui et faire de nous ses frères et sœurs. Dans la Lettre aux Ephésiens nous trouvons une belle présentation du plan divin du salut, lorsque Paul dit que dans le Christ Dieu voulait récapituler toute chose (cf. Ep 1, 23). Le Christ est la récapitulation de toutes les choses, il résume toutes choses et nous guide vers Dieu. Et ainsi il nous implique dans un mouvement de descente et de montée, en nous invitant à participer à son humilité, c’est-à-dire à son amour envers le prochain, pour participer ainsi également de sa glorification en devenant comme lui fils dans le Fils. Prions le Seigneur afin qu’il nous aide à nous conformer à son humilité, à son amour, pour qu’il nous soit ainsi permis de participer de sa divinisation.
P. CANTALAMESSA – AVENT 2012: 1. LE LIVRE « MANGÉ »
16 décembre, 2014http://www.cantalamessa.org/?p=1876&lang=fr
PREMIÈRE PRÉDICATION DE L’AVENT 2012
1. LE LIVRE « MANGÉ »
P. CANTALAMESSA
Dans ma prédication à la Maison pontificale, j’essaie de me laisser guider, dans le choix des thèmes, par les grâces ou les événements que l’Eglise est en train de vivre à un moment donnée de son histoire. Récemment, nous avons eu l’ouverture de l’Année de la foi, le cinquantième anniversaire du concile Vatican II et le synode pour l’évangélisation et la transmission de la foi chrétienne. J’ai donc pensé centrer ma réflexion de l’Avent sur chacun de ces trois évènements.
Je commence par l’Année de la foi. Pour ne pas me perdre dans un thème aussi vaste que la foi, je me concentre sur un point de la lettre « Porta fidei » du Saint-Père Benoit XVI, à l’endroit précis où il exhorte chaleureusement à faire du Catéchisme de l’Eglise Catholique, dont on fête cette année le vingtième anniversaire de publication, un outil de prédilection pour vivre fructueusement la grâce de cette année. Voici les mots du pape :
« L’Année de la foi devra exprimer un engagement général pour la redécouverte et l’étude des contenus fondamentaux de la foi qui trouvent dans le Catéchisme de l’Eglise Catholique leur synthèse systématique et organique. Ici, en effet, émerge la richesse d’enseignement que l’Église a accueillie, gardée et offerte au cours de ses deux mille ans d’histoire. De l’Écriture sainte aux Pères de l’Église, des maîtres de théologie aux saints qui ont traversé les siècles, le Catéchisme offre une mémoire permanente des nombreuses façons dans lesquelles l’Église a médité sur la foi et produit un progrès dans la doctrine pour donner certitude aux croyants dans leur vie de foi »[1].
Je ne parlerai certes pas du contenu du Catéchisme de l’Eglise Catholique, de ses répartitions, des critères informatifs ; ce serait comme vouloir expliquer la Divine Comédie à Dante Alighieri. Je voudrais plutôt m’efforcer de montrer comment on peut transformer ce livre, muet comme un précieux instrument musical posé sur du velours, en un instrument qui joue et secoue les cœurs. La Passion selon Matthieu de Bach est restée pendant près d’un siècle à l’état de partition écrite, conservée au fond d’archives musicales, jusqu’au moment où Félix Mendelssohn l’a fait connaître par une exécution magistrale à Berlin en 1829 ; depuis ce jour-là tout le monde connait les mélodies et les chœurs sublimes que ces pages renfermaient.
C’est un peu ce qui arrive avec chaque livre qui parle de la foi, y compris le Catéchisme de l’Eglise Catholique: on doit passer de la partition à l’exécution, d’une page muette à quelque chose de vivant qui touche le cœur. L’image d’Ézéchiel tenant un rouleau dans sa main tendue nous aide à comprendre ce qui est demandé pour que cela ait lieu :
« Alors je vis une main tendue vers moi : elle tenait un livre en forme de rouleau; et le déroula devant moi ; ce rouleau était écrit au-dedans et au-dehors, il contenait des chants de deuil, des plaintes et des lamentations. Le Seigneur me dit : « Fils d’homme, mange ce qui est devant toi, mange ce rouleau, et va parler à la maison d’Israël. ». J’ouvris la bouche, il me fit manger le rouleau, et il me dit : « Fils d’homme, remplis ton ventre, rassasie tes entrailles avec ce rouleau que je te donne ». Je le mangeai donc, et dans ma bouche il fut doux comme du miel » (Ez 2,9-3,3).
Le pape est la main qui tend, encore une fois, à l’Eglise, le Catéchisme de l’Eglise Catholique, disant à chaque catholique: « Prends ce livre, mange-le, remplis ton ventre de lui». Que veut dire « manger » un livre ? Pas seulement l’étudier, l’analyser, le mémoriser, mais en faire la chair de sa propre chair et le sang de son propre sang, « l’assimiler », comme on le fait matériellement avec la nourriture que nous mangeons. Passer de la foi étudiée ou proclamée à la foi vécue.
C’est quelque chose qu’on ne peut pas faire avec le livre tout entier, vu son volume, et avec chaque chose qu’on y lit. Impossible donc de le faire de manière analytique, mais seulement synthétique. Je m’explique. Il nous faut saisir le principe qui informe et unifie le tout, en somme le cœur battant du Catéchisme de l’Eglise Catholique. Et quel est ce cœur ? Pas un dogme, ni une vérité, une doctrine ou un principe éthique. C’est une personne: Jésus Christ! « Page après page – écrit le Saint-Père à propos du Catéchisme de l’Eglise Catholique, dans cette même lettre apostolique – on découvre que tout ce qui est présenté n’est pas une théorie, mais la rencontre avec une Personne qui vit dans l’Église ».
Si les Ecritures, comme Jésus lui-même l’affirme, parlent de lui (cf. Jn 5, 39), si elles sont pleines du Christ et se résument toutes en lui, comment pourrait-il en être autrement pour le Catéchisme de l’Eglise Catholique qui n’est qu’une exposition systématique, élaborée par la Tradition, sous la conduite du Magistère, de ces même Ecritures ?
Dans la première partie, consacrée à la foi, le Catéchisme de l’Eglise Catholique renvoie au grand principe de saint Thomas d’Aquin selon lequel « l’acte de foi du croyant ne s’arrête pas à l’énoncé, mais va à la réalité » (« Fides non terminatur ad enunciabile sed ad rem »)[2]. Maintenant, quelle est la réalité, la « chose » ultime de la foi ? Dieu, assurément! Mais pas un Dieu quelconque imaginé selon les goûts et le bon plaisir de chacun, mais le Dieu qui s’est révélé en Jésus Christ, qui « s’identifie » à lui jusqu’à dire : « Qui me voit, voit le Père » et « Dieu, personne ne l’a jamais vu ; le Fils unique, qui est dans le sein du Père, c’est lui qui a conduit à le connaître » (Jn 1,18).
Quand nous disons foi « en Jésus Christ » nous ne détachons pas le Nouveau de l’Ancien Testament, nous ne faisons pas commencer la vraie foi à partir de la venue du Christ sur terre. S’il en était ainsi, nous exclurions du nombre des croyants Abraham que nous appelons « notre père dans la foi » (cf. Rm 4,16). En identifiant son Père au « Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob » (Mt 22, 32) et au Dieu « de la loi et des prophètes » (Mt 22, 40), Jésus proclame l’authenticité de la foi juive, il montre son caractère prophétique, affirmant que c’est de lui qu’ils parlaient (cf. Lc 24, 27. 44; Jn 5, 46). C’est ce qui fait la différence, aux yeux des chrétiens, entre la foi juive et toutes les autres religions et qui justifie le statut spécial dont bénéficie, depuis le concile Vatican II, le dialogue avec les juifs par rapport à celui avec les autres religions.
2. Kérygme et didachè
Au début de l’Eglise, il y avait une distinction claire entre le kérygme et la didaché. Dans le kérygme, que Paul appelle aussi « l’Evangile », il était question de l’action de Dieu en Jésus Christ, du mystère pascal de la mort et de la résurrection, qui se traduisaient par de courtes formules de foi, comme celle que suggèrent les propos de Pierre le jour de la Pentecôte: « Vous l’avez fait mourir en le faisant clouer à la croix, Dieu l’a ressuscité et a fait de lui le Seigneur » (cf. Ac 2, 23-36), ou alors: « Si tu affirmes de ta bouche que Jésus est Seigneur et tu crois dans ton cœur que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, alors tu seras sauvé » (Rm 10, 9).
La didaché indiquait, par contre, l’enseignement donné à ceux qui avaient accepté la foi, le développement, la formation complète du croyant. On était convaincu (St. Paul surtout) que la foi, en tant que telle, ne surgit qu’en présence du kérygme. Celui-ci qui n’était pas un résumé de la foi ou une partie d’elle, mais la semence d’où sortait tout le reste. Les quatre évangiles aussi ont été écrits après, précisément pour expliquer le kérygme.
Il en était de même pour le noyau le plus ancien du Credo, qui n’avait pour objet que la personne de Jésus-Christ, montré sous ses deux natures humaine et divine. Nous en avons un exemple dans la Lettre aux Romains, où on parle du Christ « né de la race de David selon la chair, établi dans sa puissance de Fils de Dieu par sa résurrection d’entre les morts, selon l’Esprit qui sanctifie » (Rm 1, 3-4). Très vite, ce noyau des origines, ou credo christologique, a été englobé dans un contexte plus large, en tant que deuxième article du Symbole de la foi, donnant ainsi naissance, aussi pour des exigences liées au baptême, aux Symboles trinitaires que nous connaissons aujourd’hui.
Ce processus fait partie de ce que Newman appelle « le développement de la doctrine chrétienne » ; il est un enrichissement et non un éloignement de la foi des origines. Et c’est à nous aujourd’hui – d’abord aux évêques, aux prédicateurs, aux catéchistes – de faire ressortir le caractère « à part » du kérygme comme étant le moment germinatif de la foi. Dans une œuvre lyrique, pour reprendre l’image musicale, il y a le « récitatif » et le « chanté », et dans le chanté il y a les « aigus » qui secouent l’auditoire et provoquent des émotions fortes, parfois même des frissons. Nous savons maintenant quel est l’aigu de chaque catéchèse.
Notre situation est à nouveau la même que celle du temps apôtres. Ces derniers avaient devant eux un monde préchrétien à évangéliser ; nous, on a devant nous, au moins pour certains côtés et dans certains milieux, un monde postchrétien à évangéliser de nouveau. Nous devons revenir à leur méthode, ramener au jour « le glaive de l’Esprit » qui est l’annonce, en Esprit et puissance, du Christ livré pour nos fautes et ressuscité pour notre justification (cf. Rm 4,25).
Mais le kérygme n’est pas seulement l’annonce de faits ou de vérités de foi bien précis : c’est aussi un certain climat spirituel que l’on peut créer, quoi qu’on est en train de dire, un horizon qui est derrière tout. C’est à l’annonceur, par sa foi, de permettre à l’Esprit Saint de créer cette atmosphère.
Quel est alors le sens du Catéchisme de l’Eglise Catholique ? Le même que, dans l’Eglise apostolique, celui de la didachè: former la foi, lui donner du contenu, montrer ses exigences éthiques et concrètes, amener la foi à être « agissante par la charité » (cf. Gal 5,6). Un paragraphe du Catéchisme met bien cela en évidence. Après avoir rappelé le principe thomiste selon lequel « la foi ne s’arrête pas aux formulations mais aux réalités », celui-ci ajoute :
« Cependant, ces réalités, nous les approchons à l’aide des formulations de la foi. Celles-ci permettent d’exprimer et de transmettre la foi, de la célébrer en communauté, de l’assimiler et d’en vivre de plus en plus »[3].
De là l’importance de l’adjectif « catholique » dans le titre du livre. La force de certaines Eglises non catholiques est de tout miser sur le moment initial, quand on découvre la foi, on adhère au kérygme et on accepte Jésus comme Seigneur -, ce qu’on appelle « renaissance », ou « seconde conversion ». Tout cela peut devenir une limite si l’on s’y arrête et si tout continue à tourner autour de ce point de départ.
Nous, catholiques, nous avons à apprendre quelque chose de ces Eglises, mais nous avons aussi beaucoup à donner. Dans l’Église catholique, tout ceci est le début, et non pas la fin de la vie chrétienne. Après cette décision, s’ouvre un chemin de croissance et de progrès dans la vie spirituelle. Et l’Eglise catholique, par sa richesse sacramentelle, par le magistère et l’exemple de tant de saints, se trouve dans une situation privilégiée pour conduire les croyants à la perfection de la vie chrétienne. Dans sa lettre « Porta fidei », le pape écrit ceci:
« De la Sainte Ecriture aux Pères de l’Église, des Maîtres de théologie aux Saints qui ont traversé les siècles, le Catéchisme offre une mémoire permanente des nombreuses façons dans lesquelles l’Eglise a médité sur la foi et produit un progrès dans la doctrine pour donner certitude aux croyants dans leur vie de foi ».
3. L’onction de la foi
J’ai dit du kérygme qu’il est le « aigu » de la catéchèse. Mais pour produire cet aigu, il ne suffit pas de hausser la voix d’un ton, il faut autre chose. « Nul ne peut dire : ‘Jésus est le Seigneur!’ [C’est l’aigu par excellence!] sans l’action de l’Esprit Saint » (1 Co 12,3). Ce que St. Jean dit, dans sa Première Lettre, à propos de l’onction nous est particulièrement utile à cet égard. Il écrit:
« Quant à vous, celui qui est saint vous a consacrés par l’onction, et ainsi vous avez tous la connaissance, […] l’onction par laquelle il vous a consacrés demeure en vous, et vous n’avez pas besoin qu’on vous instruise. Vous êtes instruits de tout par cette onction, qui est vérité et non pas mensonge : suivant ce qu’elle vous a enseigné, vous demeurez en lui » (1 Jn 2, 20.27).
L’Esprit Saint est l’auteur de cette onction, comme le suggère le fait qu’ailleurs la fonction d’« enseigner chaque chose » est attribuée au Paraclet comme « Esprit de vérité » (Jn 14, 26). Il s’agit, comme l’écrivent plusieurs Pères, d’une « onction de la foi » : « L’onction qui vient du Saint, écrit Clément d’Alexandrie, se réalise dans la foi ». « L’onction est la foi en Jésus-Christ », dit un autre auteur de la même école[4].
Dans son commentaire, Augustin pose à ce propos une question à l’évangéliste. Pourquoi, dit-il, as-tu écrit ta lettre, si ceux à qui tu t’adresses ont reçu l’onction qui enseigne toute chose et n’ont pas besoin qu’on les instruise? A quoi bon parler et instruire les fidèles ? Et voici sa réponse, fondée sur le thème du Maître intérieur :
« Le son de nos paroles frappe vos oreilles, mais le vrai Maître est au-dedans. […] J’ai parlé à tous; mais ceux à qui cette onction ne parle pas au-dedans, ceux que l’Esprit Saint n’instruit pas au-dedans, s’en vont sans avoir rien appris […]. Il est donc à l’intérieur, le Maître qui enseigne ; c’est le Christ qui enseigne ; c’est son inspiration qui enseigne »[5].
Une instruction de l’extérieur est donc nécessaire, il faut des maîtres; mais leurs voix ne pénètreront les cœurs que si l’instruction intérieure de l’Esprit Saint vient s’ajouter à elles. « Quant à nous, nous sommes les témoins de tout cela, avec l’Esprit Saint, que Dieu a donné à ceux qui lui obéissent. » (Ac 5, 32). Par ces paroles, prononcées devant le sanhédrin, l’apôtre Pierre affirme la nécessité d’un témoignage intérieur de l’Esprit, mais indique aussi quelle est la condition pour le recevoir : la disponibilité à obéir, à se soumettre à la Parole.
C’est l’onction de l’Esprit qui fait passer des énoncés de la foi à leur réalité. C’est un thème cher à St. Jean que celui d’un « croire » qui est aussi « connaître »: « Nous avons connu l’amour que Dieu a pour nous et nous y avons cru » (1 Jn 4,16). « Nous, nous croyons, et nous avons reconnu que tu es le Saint de Dieu » (Jn 6, 69). « Connaître », dans ce cas, comme pour l’ensemble des Ecritures en général, n’a pas le sens que nous lui donnons aujourd’hui, c’est-à-dire avoir l’idée ou le concept d’une chose. Cela signifie faire une expérience, entrer en relation avec la chose ou avec la personne. L’affirmation de la Vierge: « Je ne connais pas d’homme », ne voulait certes pas dire j’ignore ce qu’est un homme…
Un exemple évident d’onction de la foi est le « Mémorial » de Blaise Pascal, cette expérience faite par lui dans la nuit du 23 novembre 1654, fixée par de courtes exclamations, qu’on a retrouvé après sa mort, à l’intérieur de sa veste:
« Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob, non des philosophes et des savants. Certitude. Certitude. Sentiment. Joie. Paix. Dieu de Jésus Christ […]. Il ne se trouve que par les voies enseignées dans l’Evangile. […] Joie, joie. Joie, larmes de joie. […] Ceci est la vie éternelle, qu’ils te connaissent toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ »[6].
En général on expérimente une onction de foi quand sur une Parole de Dieu ou une affirmation de foi, tombe la lumière de l’Esprit Saint, un moment qui s’accompagne aussi d’habitude d’une forte émotion. Une fois, à l’occasion de la fête du Christ Roi, j’écoutais dans la première lecture de la Messe la prophétie de Daniel sur le Fils de l’homme:
« Je regardais, au cours des visions de la nuit, et je voyais venir, avec les nuées du ciel, comme un Fils d’homme ; il parvint jusqu’au Vieillard, et on le fit avancer devant lui; Et il lui fut donné domination, gloire et royauté ; tous les peuples, toutes les nations et toutes les langues le servirent. Sa domination est une domination éternelle, qui ne passera pas, et sa royauté, une royauté qui ne sera pas détruite » (Dn 7,13-14).
Le Nouveau Testament, on le sait, a vu se réaliser la prophétie de Daniel en Jésus; lui-même devant le sanhédrin l’a fait sienne (cf. Mt 26, 64); une phrase de la prophétie est entrée dans le Credo : « et son règne n’aura pas de fin » (« cuius regnum non erit finis »). Je connaissais tout cela, pour l’avoir étudié, mais là c’était autre chose. C’était comme si la scène se déroulait sous mes yeux. Oui, ce fils de l’homme qui avançait était Jésus en personne. Tous les doutes et toutes les explications alternatives des savants, que je connaissais bien aussi, me semblaient, à ce moment-là, de simples prétextes pour ne pas croire. Je vivais, sans le savoir, une onction de la foi.
Une autre fois (je crois avoir déjà mentionnée cette expérience autrefois, mais elle aide a comprendre l’idée), j’étais en train d’assister à la messe de minuit de Jean-Paul II à Saint-Pierre. Le moment arriva de chanter la Calende, c’est-à-dire la proclamation solennelle de la naissance du Sauveur, présente dans l’ancien Martyrologe et réintroduite dans la liturgie de Noël après Vatican II:
« Beaucoup de siècles après la création du monde …
Treize siècles après la sortie d’Egypte …
A la cent quatre-vingt-quinzième Olympiade,
En l’an 752 de la fondation de Rome …
Dans la quarante-deuxième année de l’empire de César Auguste,
Jésus-Christ, Dieu éternel et Fils du Père éternel, ayant été conçu du Saint Esprit, et neuf mois s’étant écoulés depuis sa conception, est né à Bethléem de Juda, fait homme de la Vierge Marie ».
A ces dernières paroles, une soudaine clarté se fit en moi et je disait à moi-même: « C’est vrai! Tout ce que l’on chante est vrai! Ce ne sont pas que des mots. L’éternel est donc entré dans le temps. Le dernier événement de la série a fait éclater la série; il a créé un « avant » et un « après » irréversibles; le temps qui, avant, se calculait en fonction des divers évènements (telle olympiade, règne d’untel), se calcule maintenant par rapport à un seul événement : avant lui, et après lui. Une émotion subite s’empara de ma personne, et tout ce que j’arrivais à dire c’était: « Merci, très sainte Trinité, et merci aussi à toi, sainte Mère de Dieu ! »
L’onction de l’Esprit Saint produit un autre effet, pour ainsi dire, « collatéral » chez l’annonciateur: elle lui fait éprouver la joie de proclamer Jésus et son Evangile. Elle transforme l’obligation et le devoir de l’évangélisation en un honneur et un motif de fierté. C’est la joie que connaît bien le messager qui porte à une ville assiégée l’annonce que son siège a été levé, ou le héraut qui dans l’Antiquité arrivait à la ville pour annoncer qu’une victoire décisive avait été remporter par son armée. L’« heureuse nouvelle », procure d’abord du bonheur à celui qui la porte avant même de la procurer à celui qui la reçoit.
La vision d’Ézéchiel et du rouleau mangé s’est réalisée une fois dans l’histoire au sens littéral aussi et non seulement métaphorique. C’est au moment où le rouleau de la parole de Dieu s’est concentré en une seule Parole, le Verbe. Le Père l’a offert à Marie ; Marie l’a accueilli, en a rempli aussi physiquement ses entrailles, puis elle l’a donné au monde. Marie est le modèle de tout évangélisateur, de tout catéchiste. Elle nous enseigne à nous remplir de Jésus pour le donner aux autres. Marie a conçu Jésus « du Saint Esprit » et il doit en être ainsi de chaque annonciateur.
Le Saint-Père conclut sa lettre pour l’Année de la foi par un renvoi à la Vierge : « Confions à la Mère de Dieu, proclamée « bienheureuse parce qu’elle a cru » (Lc 1, 45), ce temps de grâce »[7]. Demandons-lui de nous obtenir la grâce de faire l’expérience, en cette année, de tant de moments d’onction de foi : « Virgo fidelis, ora pro nobis », Vierge croyante, prie pour nous.
(Prochaine prédication de l’Avent, vendredi prochain, 14 décembre 2012)
Traduction d’Isabelle Cousturié
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Notes:
[1] Benoît XVI, Lettre apostolique « Porta fidei », n.11
[2] Saint Thomas d’Aquin, Summa theologiae, II-II, 1, 2, ad 2; cit. in CEC, n.170.
[3] CEC, n. 170
[4] Clément d’Alexandrie, Adumbrationes in 1 Johannis (PG 9, 737B); Homélies pascales (SCh 36, p.40): textes cités par I. de la Potterie, L’onction du chrétien par la foi, dans Biblica 40, 1959, 12-69.
[5] Saint Augustin, Commentaire de la Première Epître de saint Jean 3,13 (PL 35, 2004 s).
[6] B. Pascal, Mémorial, éd. Brunschvicg.
[7] « Porta fidei », n. 15.
La crèche de Noël
15 décembre, 2014TRÊVE DE NOËL DANS LES TRANCHÉS – GUERRE DE 14-18
15 décembre, 2014http://vincent.detarle.perso.sfr.fr/catho/guerre_14_18.html
TRÊVE DE NOËL DANS LES TRANCHÉS – GUERRE DE 14-18
La Trêve de Noël est un terme utilisé pour décrire plusieurs et brefs cessez-le-feu non officiels qui ont eu lieu pendant le temps de Noël et le Réveillon de Noël entre les troupes allemandes, britanniques et françaises dans les tranchées lors de la Première Guerre mondiale, en particulier celles entre les troupes britanniques et allemandes stationnées le long du front de l’Ouest en 1914, et dans une moindre mesure en 1915. En 1915, il y eut une trêve de Noël similaire entre les troupes allemandes et françaises. En 1915 et 1916, une trêve eut aussi lieu à Pâques sur le front de l’Est.
Contexte historique :
La Première Guerre mondiale implique la plupart des grandes puissances, la Triple-Entente contre les Empires centraux. Le 3 août 1914, le Royaume-Uni déclare la guerre à l’Allemagne suite à l’ultimatum contre la Belgique, pays dont elle garantit la neutralité.
Les troupes allemandes avancent jusqu’à 70 km de Paris en passant par le territoire belge et l’ouest de la France. Du 6 au 12 septembre 1914, lors de la première bataille de la Marne, les Français et les Britanniques réussissent à forcer une retraite allemande en exploitant une lacune entre la 1re et la 2e armée, mettant fin à l’avance allemande en France.
L’armée allemande retraite au nord de la rivière Aisne et se fortifie, instituant les débuts d’un front statique à l’Ouest qui durera trois ans. Suite à cet échec, les forces en opposition tenteront de se déborder dans une course vers la mer, et étendront rapidement des réseaux de tranchées de la mer du Nord à la frontière suisse.
La trêve
Les soldats du front occidental étaient épuisés et choqués par l’étendue des pertes humaines qu’ils avaient subies depuis le mois d’août. Au petit matin du 25 décembre, les Français et les Britanniques qui tenaient les tranchées autour de la ville belge d’Ypres entendirent des chants de Noël (Stille Nacht) venir des positions ennemies, puis découvrirent que des arbres de Noël étaient placés le long des tranchées allemandes. Lentement, des colonnes de soldats allemands sortirent de leurs tranchées et avancèrent jusqu’au milieu du no man’s land, où ils appelèrent les Britanniques à venir les rejoindre.
Les deux camps se rencontrèrent au milieu d’un paysage dévasté par les obus, échangèrent des cadeaux, discutèrent et jouèrent au football le lendemain matin. Un chanteur d’opéra, le ténor Walter Kirchhoff, à ce moment officier d’ordonnance, chanta pour les militaires un chant de Noël. Les soldats français ont applaudi jusqu’à ce qu’il revienne chanter.
Ce genre de trêve fut courant là où les troupes britanniques et allemandes se faisaient face, et la « fraternisation » (il s’agit plus d’une trêve de fait qu’une fraternisation volontaire6) se poursuivit encore par endroits (notamment on prévient l’autre camp de se protéger des bombardements d’artillerie ou on pratique des trêves pour pouvoir enterrer ses morts) pendant une semaine jusqu’à ce que les autorités militaires y mettent un frein.
Il n’y eut cependant pas de trêve dans les secteurs où seuls des Français et des Allemands s’affrontaient.
La trêve s’est déroulée à Frelinghien (principalement) où une plaque commémorative est érigée lors d’une cérémonie le 11 novembre 2008.
Malgré la destruction des photos prises lors de cet événement, certaines arrivèrent à Londres et firent la une de nombreux journaux, dont celle du Daily Mirror, portant le titre An historic group: British and German soldiers photographed together le 8 janvier 1915. Aucun média allemand ou français ne relate cette trêve.
L’État-major fait donner l’artillerie pour disperser les groupes fraternisant les jours suivants et fait déplacer les Unités « contaminées » sur les zones de combat les plus dures.
Sur le front de l’Est, les conséquences sont plus graves : la répression des fraternisations du côté russe entraîne des mutineries et concourt à la décomposition du front russe. Lors de l’insurrection de Petrograd en 1917, les soldats fraternisent avec les ouvriers, ce qui va dans le sens de la bolchevisation de l’armée.
(Texte extrait de Wikipedia)
Et j’entendis cette phrase : « À partir du 10 septembre (1914), le vent va tourner… Dieu va sauver la France
Madame Fraya (http://fr.wikipedia.org/)
Valentine Dencausse (21 mai 1871 – février 1954), connue sous le pseudonyme de Madame Fraya, est une voyante française de la fin du XIXe et du début du XXe siècle.
Elle s’acquit un grand renom au début de la Belle Époque en annonçant que l’Allemagne déclencherait une guerre mondiale qu’elle finirait par perdre, l’empereur Guillaume II finissant ses jours en exil. Cette annonce préfigurait la Première Guerre mondiale où l’Allemagne fut effectivement vaincue.
C’est lors de ce conflit que Madame Fraya fut convoquée au ministère de la guerre. Devant Aristide Briand, Albert Sarraut et Théophile Delcassé, elle annonça que les Allemands qui se trouvaient à moins de 100 kilomètres de Paris n’investiraient pas la capitale, car ils seraient repoussés in extremis au-delà de l’Aisne. La première armée allemande occupait Compiègne, Senlis et Creil étaient en flammes, tandis que des milliers de Parisiens affolés fuyaient la capitale pour Bordeaux.
À partir du 5 septembre 1914, suite aux réquisitions de taxis dans Paris (les fameux taxis de la Marne), les batailles qui firent rage donnèrent raison à la devineresse. Contre toute attente, l’armée allemande fut repoussée de cent kilomètres en six jours, ce qui mettait effectivement fin à son plan d’invasion rapide.
Interrogée par Alexandre Millerand, alors ministre de la guerre, quant aux raisons de son optimisme naturel, madame Fraya avait également déclaré « Sur un rêve que j’ai eu la nuit dernière, j’ai vu les Allemands reculer. Une date, en gros plan, s’imposait à moi. Le 10 septembre. Et j’entendis cette phrase : « À partir du 10 septembre, le vent va tourner… Dieu va sauver la France. »
Cette vision ne manqua pas de surprendre, mais elle s’avéra parfaitement exacte. Les généraux Joffre et Galliéni obligèrent la première armée allemande placée sous le commandement du général von Kluck à battre en retraite. Les troupes de Franchet d’Espérey en firent autant avec la IIe armée allemande. Enfin, et au prix de nombreuses pertes, le général Joffre parvint également à obliger la IIIe armée allemande à se retrancher au-delà des limites prévues.
Au début de l’année 1914, elle annonça au Prince Félix Youssoupoff, membre de la haute aristocratie russe, cousin par alliance du tsar Nicolas II, « qu’il assassinerait quelqu’un de ses mains et qu’il aurait l’impression de faire une bonne action. » Le 16 décembre 1916 à Moscou, Youssoupov tua de ses mains Raspoutine, le conseiller occulte de Nicolas II après l’avoir attiré dans les sous-sols de son hôtel particulier. Bien des années plus tard, Youssoupov, alors en exil à Paris, confirma la réalité de la prédiction.
Chiromancienne renommée, Madame Fraya a lu dans les mains de toutes les célébrités de la Belle Époque, de Sarah Bernhardt, à Jean Jaurès. Elle prédit à Marcel Proust une réussite éclatante à une époque où il en était réduit à publier ses manuscrits à compte d’auteur.
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(…) La veille de sa mort, un père jésuite vint la confesser. Elle lui confia qu’elle ne s’accusait que d’une chose : de lire l’avenir dans les mains. Le père jésuite lui répondit : « Ce n’est pas un péché. Dans les livres saints, il est écrit : que celui qui a le don de prophétie prophétise. »
La Vierge de la Marne
La bataille de la Marne, 5-8 septembre 1914
(Texte trouvé sur internet)
Après l’échec du plan Joffre en Lorraine, l’échec de la bataille des frontières, l’invasion et la retraite, l’armée française recule, mais quel facteur pourrait la sauver du désastre ?
La 1e Armée von Klück, chargée d’investir Paris, délaisse la ville pour participer à la curée des armées adverses. Le demi-tour des Français le 6 septembre, brusque, inattendu, frappe de stupeur les Allemands. Il faut se battre, or les homme sont sous-alimentés, épuisés, les pieds meurtris. Le trou entre les 1e et 2e Armées atteint 30 kilomètres, il faut ressouder les armées allemandes sur l’Aisne, le 9 l’ordre de repli général est donné. La vérité historique est simple, von Klück trop sûr de son armée a pris l’initiative de la poursuite de forces qu’il estimait en déroute.
Extraits de http://www.missionet.fr/y_sacre_coeur_suite.htm
Mais laissons Dominique D. être notre guide…
La Vierge de la Marne – (Portemont, le 16 octobre 2008)
Un silence d’une intensité égale à celle des bombardements sur Verdun lors de la Grande Guerre couvre un événement dont pourtant l’on aurait pensé qu’il susciterait, dès qu’avéré, mieux que de la curiosité, de la reconnaissance. Or ni curiosité ni reconnaissance : un oubli presque absolu, la dalle scellée d’un tombeau.
Quelle page de l’histoire voudrais-je ici revisiter ? Car il s’agit de notre histoire, même si elle passe par une intervention surnaturelle : il s’agit de la victoire remportée lors de la première bataille de la Marne en septembre 1914. Obstinément, on se refuse à reconnaître une intervention historique qui eut une importance décisive, sans pour autant dévaloriser l’efficacité de l’Armée française.
Quels furent les faits ? Ils se déroulent du 5 au 8 septembre. Comment les connaissons-nous ? Par des témoignages convergents qui émanent des deux côtés du front d’alors.
Il n’est pas question pour moi, en cette simple note, de faire le relevé de tous ces témoignages : simplement indiquer que quelque chose d’important a eu lieu qui a modifié d’une façon claire l’évolution de la bataille de ces jours-là et accentué la formation d’une brèche entre les Ie et IIe Armées allemandes ; elle est attribuée à l’Armée anglaise commandée par le général French et à une erreur stratégique de l’État major allemand, sans oublier l’action de commando d’une division de la cavalerie française sur la rive occupée de l’Ourcq, mais le sentiment général fut alors un immense étonnement si bien que l’on parlât même de miracle du côté français… La brèche en question menaçait de devenir béante : elle motiva donc le retrait allemand vers le Nord, soustrayant ainsi la capitale française à la menace directe que faisait peser sur elle la première de ces armées ennemies (1).
Je n’ai pas encore pu retrouver le numéro du Monde et la Vie de février 1965 où fut publiée une lettre intitulée : « Le miracle de la Marne, miracle de la Sainte Vierge ». Mais il m’est possible d’en citer certains passages :
« Je voudrais vous parler d’une rumeur qui parcourut le front et les tranchées en 1915 et 1916 relative à la bataille de la Marne. Cette rumeur faisait allusion à des apparitions de la Sainte Vierge au moment du 8 septembre qui aurait joué un rôle décisif dans ce retournement de la situation difficilement explicable, humainement parlant, à cause de l’état de délabrement moral et physique des combattants. Je peux en parler en connaissance de cause, ayant participé à la retraite depuis la Belgique jusqu’aux abords de Paris. Les comptes-rendus des journaux parus fin août et commencement de septembre derniers (2) faisaient allusion au « Miracle de la Marne », en se contentant d’exalter le sursaut des combattants de 1914 qui, le 8 septembre, avait refoulé l’envahisseur.
» Pour quelqu’un qui a pris part à ces événements, ce sursaut est impensable et aurait pu tout juste permettre un coup d’arrêt de 24 ou 48 heures.
» Le document que je joins à cette lettre et qui est entièrement tombé dans l’oubli, éclaire ces événements d’un jour nouveau et donne l’explication de ce mystère du retournement complet de la situation le 8 septembre 1914 (3).
» C’est une coupure du journal de l’époque, Le Courrier de la Manche, numéro du 8 janvier 1917, qui relate ce qu’auraient dit des Allemands faits prisonniers après les combats du 5 au 8 septembre 1914. » (…)
Voici un témoignage précis, de Madame Tripet-Nizery, veuve du Capitaine Tripet, mort au combat le 4 septembre 1916 : elle déclara qu’étant infirmière dans l’ambulance de l’École Polytechnique, de fin 1914 à juin 1916, elle y reçut un blessé qui avait participé à la bataille de la Marne du côté français ; il lui confia : « Quand nous avons eu l’ordre de repartir en avant, une femme en blanc, devant la tranchée, nous entraînait ».
Le Courrier, journal de Saint-Lô, publia le 8 janvier 1917 une lettre datée quant à elle du 3 janvier 1915.
« Un prêtre allemand, blessé et fait prisonnier à la bataille de la Marne, est mort dans une ambulance française où se trouvaient des religieuses. Il leur a dit : « Comme soldat, je devrais garder le silence ; comme prêtre, je crois devoir dire ce que j’ai vu. Pendant la bataille, nous étions surpris d’être refoulés car nous étions légion comparés aux Français, et nous comptions bien arriver à Paris.
» Mais nous vîmes la Sainte Vierge toute habillée de blanc, avec une ceinture bleue, inclinée vers Paris… Elle nous tournait le dos et, de la main droite, semblait nous repousser. »
Deux officiers allemands, prisonniers et blessés, témoignèrent comme l’avait fait le prêtre mort le 3 janvier 1915. Que dit l’un d’entre eux ? Ceci :
« Si j’étais sur le front, je serais fusillé, car défense a été faite de raconter, sous peine de mort ce que je vais vous dire : vous avez été étonnés de notre recul si subit quand nous sommes arrivés aux portes de Paris. Nous n’avons pas pu aller plus loin, une Vierge se tenait devant nous, les bras étendus, nous poussant chaque fois que nous avions l’ordre d’avancer. Pendant plusieurs jours nous ne savions pas si c’était une de vos saintes nationales, Geneviève ou Jeanne d’Arc. Après, nous avons compris que c’était la Sainte Vierge qui nous clouait sur place.
Le 8 septembre, Elle nous repoussa avec tant de force, que tous, comme un seul homme, nous nous sommes enfuis. Ce que je vous dis, vous l’entendrez sans doute redire plus tard, car nous sommes peut-être 100.000 hommes qui l’avons vue. » (5)
Des prêtres, des religieuses… Est-ce que l’on va se mettre à croire en des racontars de bigots quand on écrit l’histoire ? Voici pourtant un autre témoignage : il provient de deux officiers allemands blessés. Une bénévole infirmière les accompagne dans l’ambulance de la Croix Rouge française et jusqu’à la salle de l’hôpital où ils allaient être soignés. Entrés là, ils aperçoivent une statue de la Vierge de Lourdes et l’un d’eux s’écrit : « Die Frau von der Marne ! » (Oh ! La Vierge de la Marne !) . Son compagnon lui désigna l’infirmière afin qu’il se taise car elle les écoutait. Elle tenta, mais vainement, de les faire parler alors qu’elle leur prodiguait ses soins.
Ce récit en recoupe un autre, écrit par une religieuse qui soigne les blessés à Issy-les-Moulineaux.
Que rapporte-t-elle ? Ceci :
« C’était après la bataille de la Marne. Parmi les blessés soignés à l’ambulance d’Issy, se trouvait un Allemand très grièvement atteint et jugé perdu. Grâce aux soins qui lui furent prodigués, il vécut encore plus d’un mois. Il était catholique et témoignait de grands sentiments de foi. Les infirmiers étaient tous prêtres. Il reçut les secours de la religion et ne savait comment témoigner sa gratitude. Il disait souvent : « Je voudrais faire quelque chose pour vous remercier ». Enfin, le jour où il reçut l’extrême-onction, il dit aux infirmiers :
» Vous m’avez soigné avec beaucoup de charité, je veux faire quelque chose pour vous en vous racontant ce qui n’est pas à notre avantage mais qui vous fera plaisir. Je payerai ainsi un peu ma dette. Si j’étais sur le front, je serais fusillé car défense a été faite d’en parler. » Il parla de cette visite de la Vierge qui épouvanta les soldats allemands et provoqua leur fuite.
Dans une autre ambulance fut noté un témoignage semblable : un soldat allemand se mourait. Il avait été frappé par le dévouement parfait de la religieuse française qui le soignait. Il lui dit donc :
« Ma sœur, c’est fini, bientôt je serai mort. Je voudrais vous remercier de m’avoir si bien soigné, moi un ennemi. Alors je vais vous dire une chose qui vous fera grand plaisir. En ce moment, nous avançons beaucoup en France mais, malgré tout, à la fin c’est votre pays qui gagnera.
Comment le savez-vous ?
À la bataille de la Marne, nous avons vu la Sainte Vierge nous repousser. Elle vous protège contre nous. Les officiers nous ont défendu, sous peine de mort, de parler de cette vision. Mais maintenant je suis fini. Quand je serai mort vous pourrez raconter la chose, pourvu que vous ne me nommiez pas » Il devait craindre des représailles contre sa famille.
« Pendant plusieurs jours, toute notre division a vu devant elle, dans le ciel, une Dame blanche avec une ceinture bleue flottant et un voile blanc. Elle nous tournait le dos et nous effrayait beaucoup. Le 5 septembre 1914, nous avons reçu l’ordre d’avancer et nous avons essayé de le faire (7) : mais la Dame a paru tellement éblouissante et nous repoussait de ses deux mains de façon si terrifiante que nous nous sommes tous enfuis. »
À Liège, juste après l’armistice, un soldat se confia à son hôtesse qui s’empressa de noter ses propos :
« Oh ! dès le commencement de la guerre je savais bien qu’à la fin nous serions battus. Je peux bien vous dire ça car je sais bien que vous ne le répèterez pas à nos officiers. » L’ancienne interdiction tenait donc toujours.
Il ajouta : « À la première bataille de la Marne, nous avions devant nous, dans le ciel, une Dame blanche qui nous tournait le dos et nous repoussait de ses deux mains. Malgré nous, nous étions pris de panique, nous ne pouvions plus avancer. Trois de nos divisions au moins ont vu cette apparition. C’était sûrement la Sainte Vierge !
À un moment, Elle nous a tellement épouvantés que nous nous sommes tous enfuis, les officiers comme les autres. Seulement, le lendemain ils ont défendu d’en parler sous peine de mort : si toute l’armée l’avait su, elle aurait été démoralisée. Pour nous, nous n’avions plus le cœur à nous battre puisque Dieu était contre nous. C’était sûr qu’on allait à la mort pour rien mais il fallait bien marcher quand même. Nous ne pouvions pas faire autrement. C’est dur la guerre ! »
Mais en France, que disait-on ? Le silence fut-il la seule réponse officielle ? Certes, l’Église de France fut attentive, du moins au début. Des évêques tels Mgr Gibier et Mgr Tissier, parmi d’autres, évoquèrent en chaire le « miracle de la Marne », mais avec réserve puisque l’interdiction de parler de l’événe-ment faite aux soldats allemands, sous peine du pire, empêchait toute enquête qui aurait permis d’établir un dossier précis. Leurs auditeurs cependant étaient enthousiastes et assurés de l’exac-titude des faits. Après, une fois l’horreur passée, sans doute a-t-on pensé à autre chose… Quant à l’État français, il se tut naturellement, de même l’Armée française, ce qui étonne, et les historiens qui ont étudié cette campagne, ce qui surprend.
Que faire aujourd’hui ? Il faut susciter les derniers témoignages encore possibles (8), faire des recherches dans les archives, établir promptement le dossier et dire aux Français comme aux Allemands ce qui s’est réellement passé ces jours-là. Ne serait-ce que pour remercier Celle qui s’est ainsi dévouée en notre faveur : juste assez pour empêcher l’écroulement de la France sans que soit atteinte la liberté des hommes.
(1) – Il est vrai que le général Foch, une fois ses ordres donnés, s’était retiré sous sa tente pour s’y mettre en prière…
(2) – Donc en 1964.
(3) – Le 8 septembre est fêté la Nativité de la Vierge Marie.
(4) – Lire à ce sujet mes deux ouvrages : Le Linceul du ressuscité aux éditions du Sarment (Paris 2004) et Le Linceul en question ?, aux éditions Andas (Troyes 2007).
(5) – Extraits du Courrier de la Manche, du dimanche 14 janvier 1917 à propos du retournement incompréhensible de la bataille de la Marne (5-8 septembre 1914).
(7) – Il s’agit de la bataille de l’Ourcq, qui dura du 5 au 8 septembre.
(8) – Hélas, il ne reste plus que quatre ou cinq survivants, qui n’ont sans doute pas connu la première bataille de la Marne.
BENOÎT XVI: «FAISONS ATTENTION LES UNS AUX AUTRES POUR NOUS STIMULER DANS LA CHARITÉ ET LES ŒUVRES BONNES» (HE 10, 24)
15 décembre, 2014MESSAGE DE SA SAINTETÉ BENOÎT XVI POUR LE CARÊME 2012
«FAISONS ATTENTION LES UNS AUX AUTRES POUR NOUS STIMULER DANS LA CHARITÉ ET LES ŒUVRES BONNES» (HE 10, 24)
Frères et sœurs,
Le Carême nous offre encore une fois l’opportunité de réfléchir sur ce qui est au cœur de la vie chrétienne : la charité. En effet, c’est un temps favorable pour renouveler, à l’aide de la Parole de Dieu et des Sacrements, notre itinéraire de foi, aussi bien personnel que communautaire. C’est un cheminement marqué par la prière et le partage, par le silence et le jeûne, dans l’attente de vivre la joie pascale.
Cette année, je désire proposer quelques réflexions à la lumière d’un bref texte biblique tiré de la Lettre aux Hébreux : « Faisons attention les uns aux autres pour nous stimuler dans la charité et les œuvres bonnes » (10, 24). Cette phrase fait partie d’une péricope dans laquelle l’écrivain sacré exhorte à faire confiance à Jésus Christ comme Grand prêtre qui nous a obtenu le pardon et l’accès à Dieu. Le fruit de notre accueil du Christ est une vie selon les trois vertus théologales : il s’agit de nous approcher du Seigneur « avec un cœur sincère et dans la plénitude de la foi » (v. 22), de garder indéfectible « la confession de l’espérance » (v. 23) en faisant constamment attention à exercer avec nos frères « la charité et les œuvres bonnes » (v. 24). Pour étayer cette conduite évangélique – est-il également affirmé -, il est important de participer aux rencontres liturgiques et de prière de la communauté, en tenant compte du but eschatologique : la pleine communion en Dieu (v. 25). Je m’arrête sur le verset 24 qui, en quelques mots, offre un enseignement précieux et toujours actuel sur trois aspects de la vie chrétienne: l’attention à l’autre, la réciprocité et la sainteté personnelle.
1. « Faisons attention » : la responsabilité envers le frère.
Le premier élément est l’invitation à « faire attention » : le verbe grec utilisé est katanoein, qui signifie bien observer, être attentifs, regarder en étant conscient, se rendre compte d’une réalité. Nous le trouvons dans l’Évangile, lorsque Jésus invite les disciples à « observer » les oiseaux du ciel qui, bien qu’ils ne s’inquiètent pas, sont l’objet de l’empressement et de l’attention de la Providence divine (cf. Lc 12, 24), et à « se rendre compte » de la poutre qui se trouve dans leur œil avant de regarder la paille dans l’œil de leur frère (cf. Lc 6, 41). Nous trouvons aussi cet élément dans un autre passage de la même Lettre aux Hébreux, comme invitation à « prêter attention à Jésus » (3, 1), l’apôtre et le grand prêtre de notre foi. Ensuite, le verbe qui ouvre notre exhortation invite à fixer le regard sur l’autre, tout d’abord sur Jésus, et à être attentifs les uns envers les autres, à ne pas se montrer étrangers, indifférents au destin des frères. Souvent, au contraire, l’attitude inverse prédomine : l’indifférence, le désintérêt qui naissent de l’égoïsme dissimulé derrière une apparence de respect pour la « sphère privée ». Aujourd’hui aussi, la voix du Seigneur résonne avec force, appelant chacun de nous à prendre soin de l’autre. Aujourd’hui aussi, Dieu nous demande d’être les « gardiens » de nos frères (cf. Gn 4, 9), d’instaurer des relations caractérisées par un empressement réciproque, par une attention au bien de l’autre et à tout son bien. Le grand commandement de l’amour du prochain exige et sollicite d’être conscients d’avoir une responsabilité envers celui qui, comme moi, est une créature et un enfant de Dieu : le fait d’être frères en humanité et, dans bien des cas, aussi dans la foi, doit nous amener à voir dans l’autre un véritable alter ego, aimé infiniment par le Seigneur. Si nous cultivons ce regard de fraternité, la solidarité, la justice ainsi que la miséricorde et la compassion jailliront naturellement de notre cœur. Le Serviteur de Dieu Paul VI affirmait qu’aujourd’hui le monde souffre surtout d’un manque de fraternité : « Le monde est malade. Son mal réside moins dans la stérilisation des ressources ou dans leur accaparement par quelques-uns, que dans le manque de fraternité entre les hommes et entre les peuples » (Lett. enc. Populorum progressio [26 mars 1967], n. 66).
L’attention à l’autre comporte que l’on désire pour lui ou pour elle le bien, sous tous ses aspects : physique, moral et spirituel. La culture contemporaine semble avoir perdu le sens du bien et du mal, tandis qu’il est nécessaire de répéter avec force que le bien existe et triomphe, parce que Dieu est « le bon, le bienfaisant » (Ps 119, 68). Le bien est ce qui suscite, protège et promeut la vie, la fraternité et la communion. La responsabilité envers le prochain signifie alors vouloir et faire le bien de l’autre, désirant qu’il s’ouvre lui aussi à la logique du bien ; s’intéresser au frère veut dire ouvrir les yeux sur ses nécessités. L’Écriture Sainte met en garde contre le danger d’avoir le cœur endurci par une sorte d’« anesthésie spirituelle » qui rend aveugles aux souffrances des autres. L’évangéliste Luc rapporte deux paraboles de Jésus dans lesquelles sont indiqués deux exemples de cette situation qui peut se créer dans le cœur de l’homme. Dans celle du bon Samaritain, le prêtre et le lévite « passent outre », avec indifférence, devant l’homme dépouillé et roué de coups par les brigands (cf. Lc 10, 30-32), et dans la parabole du mauvais riche, cet homme repu de biens ne s’aperçoit pas de la condition du pauvre Lazare qui meurt de faim devant sa porte (cf. Lc 16, 19). Dans les deux cas, nous avons à faire au contraire du « prêter attention », du regarder avec amour et compassion. Qu’est-ce qui empêche ce regard humain et affectueux envers le frère ? Ce sont souvent la richesse matérielle et la satiété, mais c’est aussi le fait de faire passer avant tout nos intérêts et nos préoccupations personnels. Jamais, nous ne devons nous montrer incapables de « faire preuve de miséricorde » à l’égard de celui qui souffre ; jamais notre cœur ne doit être pris par nos propres intérêts et par nos problèmes au point d’être sourds au cri du pauvre. À l’inverse, c’est l’humilité de cœur et l’expérience personnelle de la souffrance qui peuvent se révéler source d’un éveil intérieur à la compassion et à l’empathie : « Le juste connaît la cause des faibles, le méchant n’a pas l’intelligence de la connaître » (Pr 29, 7). Nous comprenons ainsi la béatitude de « ceux qui sont affligés » (Mt 5, 4), c’est-à-dire de ceux qui sont en mesure de sortir d’eux-mêmes pour se laisser apitoyer par la souffrance des autres. Rencontrer l’autre et ouvrir son cœur à ce dont il a besoin sont une occasion de salut et de béatitude.
« Prêter attention » au frère comporte aussi la sollicitude pour son bien spirituel. Je désire rappeler ici un aspect de la vie chrétienne qui me semble être tombé en désuétude : la correction fraternelle en vue du salut éternel. En général, aujourd’hui, on est très sensible au thème des soins et de la charité à prodiguer pour le bien physique et matériel des autres, mais on ne parle pour ainsi dire pas de notre responsabilité spirituelle envers les frères. Il n’en est pas ainsi dans l’Église des premiers temps, ni dans les communautés vraiment mûres dans leur foi, où on se soucie non seulement de la santé corporelle du frère, mais aussi de celle de son âme en vue de son destin ultime. Dans l’Écriture Sainte, nous lisons : « Reprends le sage, il t’aimera. Donne au sage : il deviendra plus sage encore ; instruis le juste, il accroîtra son acquis » (Pr 9, 8s). Le Christ lui-même nous commande de reprendre le frère qui commet un péché (cf. Mt 18, 15). Le verbe utilisé pour définir la correction fraternelle – elenchein – est le même que celui qui indique la mission prophétique de la dénonciation propre aux chrétiens envers une génération qui s’adonne au mal (cf. Ep 5, 11). La tradition de l’Église a compté parmi les œuvres de miséricorde spirituelle celle d’« admonester les pécheurs ». Il est important de récupérer cette dimension de la charité chrétienne. Il ne faut pas se taire face au mal. Je pense ici à l’attitude de ces chrétiens qui, par respect humain ou par simple commodité, s’adaptent à la mentalité commune au lieu de mettre en garde leurs frères contre des manières de penser et d’agir qui sont contraires à la vérité, et ne suivent pas le chemin du bien. Toutefois le reproche chrétien n’est jamais fait dans un esprit de condamnation ou de récrimination. Il est toujours animée par l’amour et par la miséricorde et il naît de la véritable sollicitude pour le bien du frère. L’apôtre Paul affirme : « Dans le cas où quelqu’un serait pris en faute, vous les spirituels, rétablissez-le en esprit de douceur, te surveillant toi-même, car tu pourrais bien, toi aussi être tenté » (Ga 6, 1). Dans notre monde imprégné d’individualisme, il est nécessaire de redécouvrir l’importance de la correction fraternelle, pour marcher ensemble vers la sainteté. Même « le juste tombe sept fois » (Pr 24, 16) dit l’Écriture, et nous sommes tous faibles et imparfaits (cf.1 Jn 1, 8). Il est donc très utile d’aider et de se laisser aider à jeter un regard vrai sur soi-même pour améliorer sa propre vie et marcher avec plus de rectitude sur la voie du Seigneur. Nous avons toujours besoin d’un regard qui aime et corrige, qui connaît et reconnaît, qui discerne et pardonne (cf. Lc 22, 61), comme Dieu l’a fait et le fait avec chacun de nous.
2. « Les uns aux autres » : le don de la réciprocité.
Cette « garde » des autres contraste avec une mentalité qui, réduisant la vie à sa seule dimension terrestre, ne la considère pas dans une perspective eschatologique et accepte n’importe quel choix moral au nom de la liberté individuelle. Une société comme la société actuelle peut devenir sourde aux souffrances physiques comme aux exigences spirituelles et morales de la vie. Il ne doit pas en être ainsi dans la communauté chrétienne! L’apôtre Paul invite à chercher ce qui « favorise la paix et l’édification mutuelle » (Rm 14, 19), en plaisant « à son prochain pour le bien, en vue d’édifier » (Ibid.15, 2), ne recherchant pas son propre intérêt, « mais celui du plus grand nombre, afin qu’ils soient sauvés » (1 Co 10, 33). Cette correction réciproque et cette exhortation, dans un esprit d’humilité et de charité, doivent faire partie de la vie de la communauté chrétienne.
Les disciples du Seigneur, unis au Christ par l’Eucharistie, vivent dans une communion qui les lie les uns aux autres comme membres d’un seul corps. Cela veut dire que l’autre m’est uni de manière particulière, sa vie, son salut, concernent ma vie et mon salut. Nous abordons ici un élément très profond de la communion : notre existence est liée à celle des autres, dans le bien comme dans le mal ; le péché comme les œuvres d’amour ont aussi une dimension sociale. Dans l’Église, corps mystique du Christ, cette réciprocité se vérifie : la communauté ne cesse de faire pénitence et d’invoquer le pardon des péchés de ses enfants, mais elle se réjouit aussi constamment et exulte pour les témoignages de vertu et de charité qui adviennent en son sein. « Que les membres se témoignent une mutuelle sollicitude » (cf.1 Co 12, 25), affirme saint Paul, afin qu’ils soient un même corps. La charité envers les frères, dont l’aumône – une pratique caractéristique du carême avec la prière et le jeûne – est une expression, s’enracine dans cette appartenance commune. En se souciant concrètement des plus pauvres, le chrétien peut exprimer sa participation à l’unique corps qu’est l’Église. Faire attention aux autres dans la réciprocité c’est aussi reconnaître le bien que le Seigneur accomplit en eux et le remercier avec eux des prodiges de grâce que le Dieu bon et tout-puissant continue de réaliser dans ses enfants. Quand un chrétien perçoit dans l’autre l’action du Saint Esprit, il ne peut que s’en réjouir et rendre gloire au Père céleste (cf. Mt 5, 16).
3. « pour nous stimuler dans la charité et les œuvres bonnes » : marcher ensemble dans la sainteté.
Cette expression de la Lettre aux Hébreux (10, 24), nous pousse à considérer l’appel universel à la sainteté, le cheminement constant dans la vie spirituelle à aspirer aux charismes les plus grands et à une charité toujours plus élevée et plus féconde (cf.1 Co 12, 31-13, 13). L’attention réciproque a pour but de nous encourager mutuellement à un amour effectif toujours plus grand, « comme la lumière de l’aube, dont l’éclat grandit jusqu’au plein jour » (Pr 4, 18), dans l’attente de vivre le jour sans fin en Dieu. Le temps qui nous est accordé durant notre vie est précieux pour découvrir et accomplir les œuvres de bien, dans l’amour de Dieu. De cette manière, l’Église elle-même grandit et se développe pour parvenir à la pleine maturité du Christ (cf. Ep 4, 13). C’est dans cette perspective dynamique de croissance que se situe notre exhortation à nous stimuler réciproquement pour parvenir à la plénitude de l’amour et des œuvres bonnes.
Malheureusement, la tentation de la tiédeur, de l’asphyxie de l’Esprit, du refus d’« exploiter les talents » qui nous sont donnés pour notre bien et celui des autres (cf. Mt 25, 25s) demeure. Nous avons tous reçu des richesses spirituelles ou matérielles utiles à l’accomplissement du plan divin, pour le bien de l’Église et pour notre salut personnel (cf. Lc 12, 21b ; 1 Tm 6, 18). Les maîtres spirituels rappellent que dans la vie de la foi celui qui n’avance pas recule. Chers frères et sœurs, accueillons l’invitation toujours actuelle à tendre au « haut degré de la vie chrétienne » (Jean-Paul II, Lett. ap. Novo millennio ineunte [6 janvier 2001], n.31). En reconnaissant et en proclamant la béatitude et la sainteté de quelques chrétiens exemplaires, la sagesse de l’Église a aussi pour but de susciter le désir d’en imiter les vertus. Saint Paul exhorte : « rivalisez d’estime réciproque » (Rm 12, 10).
Face à un monde qui exige des chrétiens un témoignage renouvelé d’amour et de fidélité au Seigneur, tous sentent l’urgence de tout faire pour rivaliser dans la charité, dans le service et dans les œuvres bonnes (cf. He 6, 10). Ce rappel est particulièrement fort durant le saint temps de préparation à Pâques. Vous souhaitant un saint et fécond Carême, je vous confie à l’intercession de la Bienheureuse Vierge Marie et, de grand cœur, j’accorde à tous la Bénédiction apostolique.
Du Vatican, le 3 novembre 2011.
BENEDICTUS PP. XVI
Saint Lucy by Domenico Beccafumi, 1521, (Pinacoteca Nazionale, Siena)
12 décembre, 201413 DÉCEMBRE – SAINTE LUCIE ET SAINTE ODILE
12 décembre, 2014http://missel.free.fr/Sanctoral/12/13.php
13 DÉCEMBRE – SAINTE LUCIE ET SAINTE ODILE
Sommaire :
Du « choix » entre Sainte Lucie et Sainte Odile
Vie de Ste Lucie
Vie de Sainte Odile
Prières
Du « choix » entre Sainte Lucie et Sainte Odile
Chaque année, le curé qui accorde de l’importance au sanctoral est mis en demeure de choisir entre sainte Lucie et sainte Odile et, quelle que soit celle qu’il choisit de présenter, il s’attire la déception d’une partie de ses paroissiens qui ont de bonnes raisons, familiales ou régionales, de célébrer l’autre.
Il ne manquerait plus que les bretons veuillent fêter leur saint roi Josse qui se fit ermite, ou que les artésiens entendent célébrer leur saint évêque Aubert qui sauva leurs pères de la famine, que les nivernais veuillent rappeler la dédicace de leur cathédrale, que les auvergnats veuillent honorer la sainte recluse Vitalène dont saint Grégoire de Tours raconta la vie, ou que les cadurciens veuillent entendre la messe de leur saint évêque Ursize, voire que les gens d’Ile-de-France se souviennent la sainte moniale de Chelles, Elisabeth-Rose, qui fonda l’abbaye de Rozoy ; heureusement que la fête de sainte Jeanne-Françoise Frémyot de Chantal a été avancée d’un jour et que sont encore bienheureux les autres français montés sur les autels comme Ponce de Balmey, évêque de Belley, et le dominicain Jean Chauveneau que les protestants martyrisèrent.
Pourquoi ne pas célébrer ensemble sainte Lucie et sainte Odile ? En effet, pendant que l’Eglise chemine à travers l’Avent vers le fulgurent avènement du Soleil de Justice, toutes les deux sont, de singulière façon, les témoins de la lumière du Christ qui éclaire les nations, auquel elles ont parfaitement offert leur vie, l’une dans l’éclatant martyre sanglant et l’autre par l’obscure observance monastique. La brune vierge de Syracuse, Lucie, dont le nom est dérivé du latin lux (la lumière), qui préféra s’arracher les yeux pour goûter la lumière céleste plutôt que de jouir de la lumière terrestre annonce la blonde jeune fille d’Alsace, Odile, qui recouvra la vue lorsque, rejetée par ses parents des honneurs du monde, elle reçut, dans le baptême, la lumière de la foi. Si, pour la fête de la sicilienne, on allume des cierges qui annoncent l’approche du solstice et de la naissance du Christ, dans les attributs de l’alsacienne, on place un coq qui annonce le lever du jour et le triomphe de la lumière du Christ sur les ténèbres de la mort. Quand le propre de Syracuse, par l’intercession de sainte Lucie, nous fait demander à Dieu, d’être délivrés de tout aveuglement de l’esprit et du corps pour mériter plus facilement de contempler les biens célestes, le missel de Frissingue, par l’intercession de sainte Odile, supplie la clémence divine, de nous accorder la grâce de la lumière terrestre et la gloire de l’éternelle clarté. Jadis, au temps ténébreux de l’occupation allemande, l’Alsace espérait la lumière libératrice de la prière de sainte Odile qu’elle priait sur sur sa montagne, tandis que la Lorraine se confiait à sainte Lucie dont elle gardait les reliques à Ottange.
Prions donc ensemble sainte Lucie et saint Odile qui ne seront pas trop de deux, pour nous aider à bien recevoir le Divin Enfant de Noël. Puisse leur commune intercession nous obtenir davantage de grâces pour les pieux exercices de l’Avent : que leurs prières nous aident mieux voir les vérités que le Seigneur nous a révélées, à mieux observer les commandements qu’il nous a donnés et à mieux goûter les secours qu’il nous a préparés.
Vie de Sainte Lucie
Née en Sicile, d’une noble famille, vers la fin du III° siècle, sainte Lucie de Syracuse, refusa le mariage, se défit de tous ses biens en faveur des pauvres avant que se consacrer toute entière à Dieu. Pendant la persécution de Dioclétien, elle préféra mourir de la main du bourreau que de perdre sa virginité (304). Ayant été insensible au feu du bûcher, elle périt la gorge percée par une épée.
Vie de Sainte Odile
Le plus ancien document sur la vie de sainte Odile est un parchemin du X° siècle où un moine a noté ce que la tradition orale transmettait depuis près de deux cents ans, au Mont Saint Odile qui domine la plaine d’Alsace.
Au temps du roi mérovingien Childeric II, Aldaric, troisième duc d’Alsace, père de sainte Odile, tient sous son empire toute la vallée du Rhin, de Strasbourg à Bâle. Aldaric est un chrétien sincère, mais il s’arrache avec peine aux coutumes barbares, ses réactions sont impulsives et même dangereuses : pas de pardon pour qui l’offense. En 660, alors qu’il attendait avec impatience la naissance de son fils premier-né, lui naquit une petite fille aveugle. Son premier réflexe fut de vouloir la tuer, mais devant les pleurs de sa femme, Béreswinde, il accepta de lui laisser la vie à condition que le bébé disparût aussitôt. Béreswinde, bouleversée, se mit en quête d’une nourrice. Odile fut emmenée à Scherwiller, à une trentaine de kilomètres d’Obernai. Devant le beau linge du bébé et les soins particuliers dont il était entouré, les langues allaient bon train. Bientôt Odile ne fut plus en sécurité chez la nourrice et, à un an, dut reprendre la route pour Baume-les-Dames, près de Besançon, où elle franchit les portes d’un monastère.
Pendant toute son enfance, Odile était entourée du silence et de la paix des moniales qui essayaient de lui faire oublier sa cécité : elle apprit à se diriger seule dans le cloître, à reconnaître les appels de la cloche, à chanter par cœur les offices, faisant la joie de ses mères adoptives.
L’évêque Ehrhardt de Ratisbonne arriva un jour au monastère pour, dit-il, baptiser la petite aveugle. Devant la communauté, Ehrhardt prononça les paroles sacramentelles : « Odilia Je te baptise au Nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. » Odilia veut dire : soleil de Dieu. Au moment où l’eau coula sur son front, Odile ouvrit les paupières… elle voyait ! Après la guérison, l’évêque fit avertir Aldaric qui n’eut aucun geste de repentir. Il avait maintenant quatre fils et une fille, sa fille aînée était oubliée. Odile demeura donc à Palma chez les religieuses qui lui apprirent aussitôt à écrire et à lire dans les livres saints. La souffrance et la cécité l’avaient mûrie : elle faisait preuve d’une force d’âme et d’un détachement extraordinaires. Au fur et à mesure que les mois passaient, Odile sentait grandir en elle le désir de connaître sa famille. Certains voyageurs qui s’arrêtaient au monastère lui avaient déjà parlé de son frère Hugon qu’ils disaient aimable et généreux. Par l’intermédiaire d’un pèlerin, Odile lui fit parvenir une lettre qui émut Hugon au point qu’il osa affronter son père. L’heure du pardon n’avait pas encore sonné, Aldaric ne voulait pas revoir sa fille mais Hugon écrivit cependant à sa sœur de venir au château, pensant que la vue d’Odile ferait tomber la colère de son père. Hélas, à l’arrivée de sa fille aînée la colère d’Aldaric redoubla : il frappa Hugon qui mourut des suites des blessures. Ce fut le dernier accès de colère du terrible barbare qui, désespéré par la mort de son fils préféré, installa sa fille à Honenbourg et assura sa subsistance. Odile eut la patience de vivre ignorée des siens et se contente de ce que lui donnait son père qu’elle n’osait plus affronter. Elle ne vivait que pour les pauvres avec qui elle partageait ses maigres ressources. Peu à peu Aldaric se transforma et offrit à Odile le Honenbourg et toutes ses dépendances à condition qu’elle priât pour lui.
La jeune fille humiliée va devenir la célèbre Abbesse représentée par les statues et les tapisseries. Son cœur profond, son austère vertu, sa grande charité attirèrent plus de cent trente moniales et la plupart des membres de sa famille. Les travaux commencèrent rapidement pour transformer le Honenbourg en un monastère. Odile qui est une âme d’oraison, couvrit de chapelles tout le sommet de la colline dont la première fut dédiée à Notre-Dame, puis une autre à saint Jean-Baptiste qu’Odile vénérait particulièrement depuis son baptême. Un soir, la moniale chargée d’appeler ses compagnes pour l’office fut éblouie par une violente clarté : Odile conversait avec saint Jean-Baptiste. De jour, de nuit, par petits groupes qui se succédaient, les moniales chantaient sans cesse la louange de Dieu. L’Abbesse était la plus ardente à la prière ; elle aimait la mortification, mais elle était sage et prudente pour ses filles.
Peu de temps après la construction du monastère, Aldaric mourut. Avertie par une vision, Odile le sut en Purgatoire et se mit en prière jusqu’à ce que Notre-Seigneur lui apparût pour lui apprendre l’entrée de son père en Paradis. Une chapelle, dite des larmes, se dresse encore aujourd’hui sur la terrasse du couvent ; la tradition assure qu’une pierre creusée par les genoux de la sainte existe encore devant le maître-autel.
Le Honenbourg était le refuge des pauvres, des malheureux, des malchanceux et des pèlerins qui savaient y trouver bon accueil. Un vieillard tomba en montant vers le monastère. Odile le rencontra un moment plus tard et, comme pour le soulager, il fallait de l’eau, Odile implora le secours de Dieu, frappa le rocher et une source jaillit et ne tarira jamais. Mais la preuve était faite que tous ceux qui désiraient du secours ne pouvaient parvenir au sommet de la colline. Un autre monastère fut construit en bas. Aucun des deux couvents ne voulait se passer de la présence d’Odile qui allait donc du cloître du haut à celui du bas. En chemin elle aidait les éclopés et les infirmes. De toutes parts on venait la voir car on savait que ses mains étaient bénies. Parfois lorsqu’elle pansait des blessés ou des lépreux, les plaies se fermaient et les douleurs s’apaisaient. Sa préférence allait aux aveugles en souvenir de son infirmité. Elle présidait tout, elle prévoyait tout et s’intéressait à chacun en particulier.
Mais ses compagnes la voyaient de plus en plus lasse. Sentant la faiblesse la gagner, Odile se rendit à la chapelle Saint-Jean-Baptiste ; une dernière fois elle s’adressa à ses filles puis, à l’heure de l’office elle les envoya à l’église. Quand les moniales revinrent de l’office, Odile les avait quittées. Leur peine était grande d’autant plus que leur mère était partie sans avoir communié. Elles se mirent en prière et Odile revint à elle. Après les avoir réprimandées, l’Abbesse réclama le ciboire, se communia et quitta définitivement la terre, le 13 décembre 720.
Prières
O Seigneur qui avez guéri autrefois la petite Odile, faites maintenant qu’avec son secours, notre esprit demeure ouvert à vos desseins, et que notre âme reste toujours claire et limpide comme une source. Ainsi soit-il.
O sainte Lucie, servante et de Jésus l’amie,
avec tous les bien venus tu es en paradis en sus.
Des apôtres par la prédication tu as en Dieu dilection,
des docteurs par vraie doctrine tu as Jésus qui t’illumine,
des saints évêques et confesseurs tu as les joies et les honneurs
des vierges comme la marguerite en qui Jésus moult se délite.
Par pitié, par miséricorde, par charité que Dieu t’accorde
si te requiert que pour moi prie qui puisse avoir au ciel la vie
au très puissant Dieu, roi de gloire, qui a tous ceux en sa mémoire
qui sainte Lucie veulent servir et veulent leur corps asservir
a faire son plaisant service pour effacer péché et vice.
Veuille ma prière recevoir et de moi telle pitié avoir
que par ta grâce et la prière de sainte Lucie, ton amie chère,
a qui tu as tes dons promis que ses amis soient au ciel mis,
que telle vie puisse maintenir qu’avec elle au ciel venir
me fasse par son doux souvenir
COMMENTAIRES DE MARIE NOËLLE THABUT, 14 DÉCEMBRE: 1 THESSALONICIENS 5, 16-24
12 décembre, 2014COMMENTAIRES DE MARIE NOËLLE THABUT, 14 DÉCEMBRE
DEUXIEME LECTURE – 1 THESSALONICIENS 5, 16-24
Frères,
16 soyez toujours dans la joie,
17 priez sans relâche,
18 rendez grâce en toute circonstance :
c’est ce que Dieu attend de vous
dans le Christ Jésus.
19 N’éteignez pas l’Esprit,
20 ne repoussez pas les prophètes,
21 mais discernez la valeur de toute chose.
Ce qui est bien, gardez-le ;
22 éloignez-vous de tout ce qui porte la trace du mal.
23 Que le Dieu de la paix lui-même vous sanctifie tout entiers,
et qu’il garde parfaits et sans reproche
votre esprit, votre âme et votre corps,
pour la venue de notre Seigneur Jésus Christ.
24 Il est fidèle, le Dieu qui vous appelle :
tout cela, il l’accomplira.
LES YEUX FIXES SUR L’HORIZON
Je prends une comparaison, lorsque nous partons en voyage, c’est le but (la destination finale) du voyage qui nous dicte la route à prendre ; pour Paul, le but du voyage chrétien, c’est l’établissement du Royaume de Dieu à la fin des temps. Et, dans toutes ses lettres, on découvre à quel point le retour du Christ est l’horizon de toutes ses pensées.
C’est ce qui justifie toutes les recommandations qu’il donne ici aux Thessaloniciens. Vivre les yeux fixés sur l’horizon (c’est-à-dire l’établissement du Royaume de Dieu), c’est prier, c’est agir et tout cela dans la joie.
Il ne s’agit pas de n’importe quelle joie bien sûr : il ne s’agit pas d’un optimisme béat, et d’ailleurs, si Saint Paul doit préciser « soyez toujours dans la joie », c’est que les Thessaloniciens avaient parfois du mal à rester joyeux ; ce que l’on comprend bien puisque l’on sait qu’ils connaissaient déjà la persécution ; et que Paul a dû quitter précipitamment Thessalonique, après seulement quelques semaines de présence et de prédication parce que la colonie juive le dénonçait au pouvoir romain comme fauteur de troubles.
Aujourd’hui encore, on a parfois du mal à se réjouir quand on pense à toutes les guerres meurtrières qui endeuillent trop de pays tous les jours, au terrorisme et à la persécution religieuse qui fleurit ici ou là, ou aux problèmes économiques et à la vie misérable de tant d’hommes et de femmes sur la planète.
Et pourtant, aux yeux de Paul, la joie est possible et même recommandée : il s’agit de la joie profonde de l’assemblée croyante ; joie d’accueillir la Bonne Nouvelle de la Parole de Dieu ; joie de lire dans nos vies les signes de l’Esprit ; joie d’une vie fraternelle…
IL EST FIDELE, LE DIEU QUI VOUS APPELLE
Joie de voir naître, lentement peut-être, mais sûrement, le Règne de Dieu. Joie de nous appuyer, non pas sur nos propres forces, mais sur le rocher de la fidélité de Dieu. Vous avez remarqué dans notre texte les derniers mots de Paul : « Il est fidèle, le Dieu qui vous appelle : tout cela il l’accomplira » ; dans cette phrase, je lis au moins trois choses :
Premièrement, Il l’accomplira ; c’est-à-dire que le premier artisan du Royaume de Dieu, c’est Dieu lui-même.
Deuxièmement, Il est fidèle : pour des interlocuteurs juifs, c’était leur foi, leur certitude depuis bien longtemps ; parce que leur histoire était justement pleine de l’expérience de cette fidélité de Dieu, quelles que soient les infidélités de son peuple ; mais pour des interlocuteurs non-juifs, c’était une nouvelle extraordinaire que de découvrir que l’histoire tout entière de l’humanité est accompagnée par la fidélité de Dieu ; d’un Dieu qui n’a pas d’autre but que le bonheur du genre humain tout entier. Rappelez-vous ce que Paul écrit dans la lettre à Timothée : « Je recommande avant tout que l’on fasse des demandes, des prières, des supplications, des actions de grâce, pour tous les hommes… Voilà ce qui est beau et agréable aux yeux de Dieu notre Sauveur, qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité. » (1 Tm 2, 1-4).
Si seulement tous nos contemporains étaient conscients que Dieu n’a pas d’autre but que le salut et le bonheur de tous les hommes… Il me semble que la face du monde serait changée !
Troisièmement, Dieu vous appelle : cette expression vient contrebalancer ce que j’ai dit plus haut ; d’une part, il est vrai que Dieu est le premier artisan de la venue du Royaume… Mais il nous appelle à y contribuer.
Par la prière, d’abord : vous l’avez entendu dans la lettre à Timothée, mais aussi dans le début du texte d’aujourd’hui : « Priez sans relâche, rendez grâce en toutes circonstances : c’est ce que Dieu attend de vous ». Par toute notre action, ensuite… parce que prier, ce n’est pas nous débarrasser sur Dieu des tâches qui nous reviennent, c’est puiser dans son Esprit les ressources nécessaires, en force et en imagination, pour accomplir la participation qu’il attend de nous.
N’ETEIGNEZ PAS L’ESPRIT
Et c’est bien pour cela que Paul ajoute « N’éteignez pas l’Esprit » : comme on dirait il ne faut pas éteindre un feu, une flamme qui éclaire la nuit ; ce qui signifie que l’Esprit est une flamme qui brûle déjà en nous et dans le monde. Rappelez-vous cette phrase superbe de la quatrième prière eucharistique : « L’Esprit poursuit son oeuvre dans le monde et achève toute sanctification ».
Paul fait encore deux recommandations : « Ne repoussez pas les prophètes, mais discernez la valeur de toutes choses » ; quand on sait à quel point les Grecs étaient friands de manifestations charismatiques (don des langues, prophéties…) on peut comprendre ce double conseil : d’une part, respectez les dons qui se manifestent parmi vous : si quelqu’un prophétise, c’est-à-dire est le porte-parole de Dieu, acceptez de vous laisser interpeller : ne courez pas le risque de refuser d’écouter Dieu lui-même ; mais sachez discerner ; ne suivez pas n’importe qui aveuglément.
Comment reconnaître ce qui vient de l’Esprit Saint ? C’est bien simple : comme il le dira plus tard, dans la lettre aux Corinthiens, ce qui vient de l’Esprit Saint, c’est ce qui édifie la communauté.
Il me semble qu’ici le critère que nous donne Paul, c’est « choisissez ce qui fait avancer le Royaume ».
Comme le disait Mgr Coffy : « Réintroduire dans nos pensées, nos jugements, nos comportements une référence au Royaume de Dieu qui vient est aujourd’hui une tâche essentielle de l’Eglise, non pas parce que la culture met l’accent sur le futur – raison non négligeable – mais parce que la fidélité à la Révélation l’exige ». (« Eglise, signe de salut au milieu des hommes » ; Conférence des Evêques à Lourdes, 1971).
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Complément
Traditionnellement, ce dimanche s’appelait le dimanche de « Gaudete », ce qui veut dire en latin « réjouissez-vous », et les ornements étaient roses. Ce mot « gaudete » est le premier de cette deuxième lecture, tirée de la première lettre de Saint Paul aux Thessaloniciens
HOMÉLIE 3E DIMANCHE DE L’AVENT -14 DÉCEMBRE 2014
12 décembre, 2014http://www.homelies.fr/homelie,,4046.html
3E DIMANCHE DE L’AVENT -14 DÉCEMBRE 2014
FAMILLE DE SAINT JOSEPH
HOMÉLIE – MESSE
L’antienne d’ouverture donne le ton à toute la liturgie de ce jour : « Soyez dans la joie du Seigneur, soyez toujours dans la joie, le Seigneur est proche ». Cette invitation pressante à la joie, a donné le nom à la Messe de ce troisième dimanche de l’Avent : « Gaudete », c’est-à-dire réjouissez-vous. La couleur liturgique adaptée à cette tonalité eut été le rose, mais cette pratique traditionnelle est tombée quelque peu en désuétude.
Quelle est la cause de cette joie ? « Le Seigneur est proche ». Nous n’attendons pas un Dieu lointain dont la venue serait encore hypothétique, un Messie annoncé pour un temps reculé : non, notre joie est toute entière dans la paisible certitude de la présence au milieu de nous de celui qui est venu dans l’humilité de la crèche, qui viendra dans la gloire au dernier Jour, et qui dans l’entre-deux, continue de venir visiter les siens pour les secourir de sa grâce, les instruire de sa Parole, les fortifier de son Eucharistie.
Cette joie est donc celle de sa présence, cachée certes, mais bien réelle : « le Seigneur est proche ». Ne nous a-t-il pas déjà « enveloppé du manteau de l’innocence et revêtu des vêtements du salut » (1ère lect.) ? Il est donc juste de « tressaillir de joie » dans l’Esprit qui repose sur nous, « parce que le Seigneur nous a consacrés par l’onction » (Ibid.). C’est pourquoi Saint Paul nous exhorte à « être toujours dans la joie, à prier sans relâche, à rendre grâce en toute circonstance » (2nd lect.), dans la fidélité au don reçu : « n’éteignez pas l’Esprit ».
Pourtant la liturgie de ce jour fait aussi apparaître une tension, qui caractérise la condition du chrétien en ce monde. D’un côté il est invité à laisser libre cours à sa joie pour le don du salut que nul ne pourra lui ravir, joie pour la présence au milieu de nous de l’Epoux qui ne cesse de venir réconforter son Epouse tout au long de sa route vers la rencontre définitive ; et en même temps il doit demeurer dans une vigilance de chaque instant, pour ne pas perdre ce don, car il est encore objet d’espérance. En effet, aussi longtemps que nous marchons dans la nuit de ce monde, nous ne percevons pas pleinement la présence du Seigneur à nos côtés, et le risque demeure de nous égarer loin de lui. D’autant plus que notre désir est loin d’être unifié : l’ivraie qui menace en nous la croissance du bon grain, n’est-elle pas d’abord cette dispersions dans les distractions éphémères que nous offre les multiples miroirs aux alouettes de notre culture hédoniste ? Heureusement, pour mener notre barque entre les récifs, le Seigneur nous a laissé une boussole et une carte : l’Esprit Saint et sa Parole ; d’où le précepte de l’Apôtre : « N’éteignez pas l’Esprit, ne repoussez pas les prophètes : mais discernez la valeur de toute chose, gardant ce qui est bien et vous éloignant de tout ce qui porte la trace du mal » (2nd lect.).
Nous ne pourrons pleinement adhérer à la nouveauté du Royaume, qu’en nous détachant de la vétusté de ce monde qui passe. Et cet exode implique un passage au désert, à la suite de Jean-Baptiste. A la question que pose la délégation de prêtres et de lévites : « Qui es-tu ? », nous aurions spontanément répondu en termes de nos origines charnelles : notre nom nous situe à l’intérieur d’une généalogie, nous donne une appartenance ici-bas, la sécurité d’une famille, d’un clan, d’une race, d’une nation. Or nous ne trouvons rien de tel dans la réponse du Précurseur : il nie toute référence au passé ; il ne se reconnaît dans aucun des personnages cités et donc connus. Mais il se définit totalement en fonction de l’à-venir ; plus précisément : en fonction d’un mystérieux personnage dont il est chargé d’annoncer la venue. Certes il le connaît puisqu’il doit le désigner ; et pourtant il ne le connaît pas encore puisqu’il attend un signe d’en-haut qui le fera reconnaître. C’est précisément pour se préparer à ce ministère qu’il s’est retiré au désert, lieu par excellence de la purification du désir. Seul celui qui accepte de quitter ses fausses sécurités et de sortir dans la nuit, peut discerner la « Lumière » et lui « rendre témoignage, afin que tous croient par lui ». Certes Jean appartient encore à la première Alliance : il est le dernier et le plus grand des prophètes puisqu’il doit rendre témoignage au Messie ; mais en même temps, le Précurseur pressent qu’avec la venue de l’Envoyé, un temps se ferme, un autre s’ouvre : le temps de l’attente est clos, celui de l’accomplissement peut commencer. Entre les deux il y a bien sûr continuité : Jésus vient accomplir « les promesses faites à nos pères » ; mais en même temps, cet accomplissement est une telle nouveauté par rapport à l’attente, qu’une rupture s’instaure, et qu’un choix s’impose. C’est à une nouvelle naissance que Notre-Seigneur nous invite : il nous faut renaître « d’eau et d’Esprit » (Jn 3, 5) pour avoir accès à une réalité nouvelle, inouïe : « ce que personne n’avait vu de ses yeux ni entendu de ses oreilles, ce que le cœur de l’homme n’avait pas imaginé, ce qui avait été préparé pour ceux qui aiment Dieu » (1 Co 2, 9). Voilà pourquoi, bien que nous soyons entrés dans le temps de l’accomplissement des promesses, bien que l’Epoux soit déjà là, nous avons cependant encore à nous préparer à sa venue, à nous disposer à accueillir cette nouveauté qui nous arrache au monde ancien et fait de nous des fils et des filles du Royaume : « Ne le savez-vous pas : vous êtes morts avec le Christ, et votre vie reste cachée avec lui en Dieu. Tendez donc vers les réalités d’en haut, et non pas vers celles de la terre. Et quand paraîtra le Christ, votre vie, alors vous aussi, vous paraîtrez avec lui en pleine gloire » (Col 3, 2-4).
Le Seigneur est là, et il ne dépend que de nous de l’accueillir pleinement dans nos vies : à nous d’« aplanir son chemin », de dégager les obstacles à sa venue en « discernant la valeur de toute chose » et en « gardant parfaits et sans reproche notre esprit, notre âme et notre corps » (2nd lect.). Certes nous nous sentons bien démunis devant une telle exigence ; c’est pourquoi l’Apôtre nous rassure : « Il est fidèle le Dieu qui nous appelle : tout cela, il l’accomplira » (Ibid.). Comment dès lors ne pas être dans la joie ? Avec Marie nous pouvons en toute vérité « exalter le Seigneur et exulter en Dieu notre Sauveur, car le Puissant fait pour nous des merveilles ». Jour après jour, patiemment il nous accompagne, nous comblant de sa miséricorde, s’abaissant à nous laver les pieds, alors que « nous ne sommes même pas dignes de défaire la courroie de sa sandale ». Laissons donc au « Dieu de la paix » le souci de notre sanctification intégrale « puisqu’il prend soin de nous » ; quant à nous, hâtons-nous d’obéir à la mission que nous a confiée Notre-Seigneur, afin que « germe la justice et la louange devant toutes les nations : portons la Bonne Nouvelle aux pauvres, guérissons ceux qui ont le cœur brisé, annonçons aux prisonniers la délivrance et aux captifs la liberté, et proclamons une année de bienfaits, accordée par le Seigneur » (1ère lect.) à tout homme qui accepte de se convertir. Car « le Seigneur est tout proche ».
« Tu le vois, Seigneur, ton peuple se prépare à célébrer la naissance de ton Fils ; dirige notre joie vers la joie d’un si grand mystère : pour que nous fêtions notre salut avec un cœur vraiment nouveau. Par Jésus, le Christ, Notre-Seigneur » (Or. ouv.).
Père Joseph-Marie