Archive pour le 22 novembre, 2014
LE 22 NOVEMBRE : SAINTE CÉCILE – VIERGE ET MARTYRE
22 novembre, 2014http://www.introibo.fr/22-11-Ste-Cecile-vierge-et-martyre#inter3
LE 22 NOVEMBRE : SAINTE CÉCILE – VIERGE ET MARTYRE
(sur le site beaucoup de nouvelles)
Cécile unit dans ses veines au sang des rois celui des héros qui firent la Ville éternelle. Au moment où retentit dans le monde la trompette évangélique, plus d’une famille de l’ancien patriciat ne se survivait plus dans une descendance directe. Mais les adoptions et les alliances qui, sous la République, avaient serré les liens des grandes familles en les rattachant toutes aux plus illustres d’entre elles, formaient de la gloire de chacune un fonds commun qui, jusque dans les siècles de la décadence républicaine, se transmettait intact et constituait l’apanage des survivants de l’aristocratie.
Or il est aujourd’hui démontré, par l’irréfragable témoignage des monuments, que le christianisme dès l’abord s’assimila cette gloire, en faisant siens ses héritiers ; que les premières assises de la Rome des Pontifes, merveilleux dessein de la Providence ! furent ces derniers représentants de la République, conservés tout exprès pour donner aux deux phases de l’histoire romaine l’unité puissante qui est le cachet des œuvres divines. Rapprochés autrefois par un même patriotisme, les Cornelii, les Aemilii, comme eux héritiers des Fabii, les Cœcilii, les Valerii,les Sergii, les Furii, les Claudii, Pomponii, Plautii, Acilii, premiers-nés de l’Église des gentils, virent se resserrer encore au sein du christianisme les liens formés sous la République, et constituèrent, dès le premier et le second siècle de la prédication évangélique, l’indissoluble et noble réseau de la nouvelle société romaine. Puis sur ce tronc vigoureux toujours de la vieille aristocratie vinrent se greffer dans les mêmes siècles, et sous l’influence de la religion que Pierre et Paul avaient prêchée, les membres les plus méritants des nouvelles familles impériales ou consulaires, dignes par leurs vertus vraiment romaines au sein de la dépravation générale, d’être appelés à renforcer les rangs trop éclaircis des fondateurs 4e Rome, et à combler sans brusque transition les vides faits par le temps dans les familles du vrai patriciat. Ainsi Rome poursuivait elle ses destinées ; ainsi l’édification de la Ville éternelle allait s’achevant par ces mêmes hommes qui l’avaient autrefois, dans leur sang et leur génie, constituée forte et puissante sur les sept collines.
Représentante légitime de cette aristocratie sans pareille au monde, Cécile, la plus belle des fleurs de la vieille tige, en fut aussi comme la dernière. Le deuxième siècle de l’ère chrétienne était sur son déclin ; le troisième qui, des mains de l’africain Septime Sévère, allait voir l’empire passer successivement aux Orientaux et aux barbares des rives du Danube, devait être, on le conçoit, peu favorable à la conservation des vieux restes de la noblesse d’antan ; et l’on peut dire que c’en est fait alors de la vraie société romaine, parce qu’alors, sauf de rares et individuelles exceptions, il ne reste plus de romain que le nom, vaine parure d’affranchis et d’hommes nouveaux qui, sous des princes dignes d’eux, exploitent le monde au gré de leurs vices.
Cécile est donc bien apparue à son heure, personnifiant avec une incomparable dignité la société qui va disparaître, son œuvre accomplie. Dans sa force et dans sa beauté, royalement ornée de la pourpre du martyre, c’est l’antique Rome s’élevant aux cieux glorieuse et fière, en face des césars parvenus dont la médiocrité jalouse achève par son immolation, sans en avoir conscience, l’exécution du plan divin. Ce sang des rois et des héros qui s’épanche à flots de sa triple blessure, est la libation du vieux patriciat au Christ vainqueur, à la Trinité dominatrice des nations ; c’est la consécration suprême qui nous révèle dans son étendue la vocation sublime des fortes races appelées à fonder Rome éternelle.
Mais qu’on ne croie pas que la fête de ce jour limite son objet à exciter en nous une admiration théorique et stérile [2]. L’Église reconnaît et honore dans sainte Cécile trois caractères dont la réunion la distingue souverainement au sein de cette admirable famille des Bienheureux qui resplendit au ciel, et en fait descendre les grâces et les exemples. Ces trois caractères sont : la virginité, le zèle apostolique, le courage surhumain qui lui a fait braver la mort et les supplices ; triple enseignement que nous apporte cette seule histoire chrétienne.
Dans ce siècle aveuglément asservi au culte du sensualisme, n’est-il pas temps de protester par les fortes leçons de notre foi contre un entraînement auquel échappent à peine les enfants de la promesse ? Depuis la chute de l’empire romain, vit-on jamais les mœurs, et avec elles la famille et la société, aussi gravement menacées ? La littérature, les arts, le luxe n’ont d’autre but, depuis longues années, que de proposer la jouissance physique comme l’unique terme de la destinée de l’homme ; et la société compte déjà un nombre immense de ses membres qui ne vivent plus que par les sens. Mais aussi malheur au jour où, pour être sauvée, elle croirait pouvoir compter sur leur énergie ! L’empire romain essaya aussi, et à plusieurs reprises, de soulever le fardeau de l’invasion ; il retomba sur lui-même et ne se releva plus.
Oui ; la famille elle-même, la famille surtout est menacée. Contre la reconnaissance légale, disons mieux, l’encouragement du divorce, il est temps qu’elle songe à sa défense. Elle n’y arrivera que par un seul moyen : en se réformant elle-même, en se régénérant d’après la loi de Dieu, en redevenant sérieuse et chrétienne. Que le mariage soit en honneur, avec toutes les chastes conséquences qu’il entraîne ; qu’il cesse d’être un jeu, ou une spéculation ; que la paternité et la maternité ne soient plus un calcul, mais un devoir sévère ; bientôt, par la famille, la cité et la nation auront repris leur dignité et leur vigueur.
Mais le mariage ne remontera à cette élévation qu’autant que les hommes apprécieront l’élément supérieur sans lequel la nature humaine n’est tout entière qu’une ignoble ruine ; cet élément céleste est la continence. Sans doute, tous ne sont pas appelés à l’embrasser dans sa notion absolue ; mais tous lui doivent hommage, sous peine d’être livrés au sens réprouvé, comme parle l’Apôtre [3].
C’est la continence qui révèle à l’homme le secret de sa dignité, qui trempe son âme pour tous les genres de dévouement, qui assainit son cœur, et relève son être tout entier. Elle est le point culminant delà beauté morale dans l’individu, et en même temps le grand ressort de la société humaine. Pour en avoir éteint le sentiment, l’ancien monde s’en allait en dissolution ; lorsque le fils de la Vierge parut sur la terre, il renouvela et sanctionna ce principe sauveur, et les destinées de la race humaine prirent un nouvel essor.
Les enfants de l’Église, s’ils méritent ce nom, goûtent cette doctrine, et elle n’a rien qui les étonne. Les oracles du Sauveur et de ses Apôtres leur ont tout révélé, et les annales de la foi qu’ils professent leur montrent en action, à chaque page, cette vertu féconde à laquelle tous les degrés de la vie chrétienne doivent participer, chacun dans sa mesure. Sainte Cécile n’offre à leur admiration qu’un exemple de plus. Mais la leçon est éclatante, et tous les siècles chrétiens l’ont célébrée. Que de vertus Cécile a inspirées, que de courages elle a soutenus, que de faiblesses son souvenir a prévenues ou réparées ! Car telle est la puissance de moralisation que le Seigneur a placée dans ses saints, qu’ils n’influent pas seulement par l’imitation directe de leurs héroïques vertus, mais aussi par les inductions que chaque fidèle est à même d’en tirer pour sa situation particulière.
Le second caractère que présente à étudier la vie de sainte Cécile est cette ardeur de zèle dont elle est demeurée l’un des plus admirables modèles, et nous ne doutons pas que sous ce rapport encore la leçon ne soit de nature à produire d’utiles impressions. L’insensibilité au mal dont nous n’avons pas à répondre personnellement, dont les résultats ne sont pas en voie de nous atteindre, est un des traits de l’époque ; on convient que tout s’en va, on assiste à la décomposition universelle, et l’on ne songe pas à tendre la main à son voisin pour l’arracher au naufrage. Où en serions-nous aujourd’hui, si le cœur des premiers chrétiens eût été aussi glacé que le nôtre ; s’il n’eût été pris de cette immense pitié, de cet inépuisable amour qui leur défendit de désespérer du monde, au sein duquel Dieu les avait déposés pour être le sel de la terre [4] ? Chacun alors se sentait comptable sans mesure du don qu’il avait reçu. Fût-il libre ou esclave, connu ou inconnu, tout homme était l’objet d’un dévouement sans bornes pour ces cœurs que la charité du Christ remplissait. Qu’on lise les Actes des Apôtres et leurs Épîtres, on apprendra sur quelle immense échelle fonctionnait l’apostolat dans ces premiers jours ; et l’ardeur de ce zèle fut longtemps sans se refroidir. Aussi les païens disaient : « Voyez comme ils s’aiment ! » Et comment ne se fussent-ils pas aimés ? Dans l’ordre de la foi, ils étaient fils les uns des autres.
Quelle tendresse maternelle Cécile ressentait pour les âmes de ses frères, par cela seul qu’elle était chrétienne ! A la suite de son nom, nous pourrions en enregistrer mille autres qui attestent que la conquête du monde par le christianisme et sa délivrance du joug des dépravations païennes, ne sont dues qu’à ces actes de dévouement opérés sur mille points à la fois, et produisant enfin le renouvellement universel. Imitons du moins en quelque chose ces exemples auxquels nous devons tout. Perdons moins de temps et d’éloquence à gémir sur des maux trop réels. Que chacun se mette à l’œuvre, et qu’il gagne un de ses frères-bientôt le nombre des fidèles aura dépassé celui des incroyants. Sans doute, ce zèle n’est pas éteint, il opère dans plusieurs, et ses fruits réjouissent et consolent l’Église ; mais pourquoi faut-il qu’il sommeille si profondément dans un si grand nombre de cœurs que Dieu lui avait préparés !
La cause en est, hélas ! à la froideur générale, produit de la mollesse des mœurs, et qui donnerait à elle seule le type de l’époque, s’il ne fallait encore y joindre un autre sentiment qui procède de la même source, et suffirait, s’il était de longue durée, à rendre incurable l’abaissement d’une nation. Ce sentiment est la peur, et l’on peut dire qu’il s’étend aujourd’hui aussi loin qu’il est possible. Peur de perdre ses biens ou ses places ; peur de perdre son luxe ou ses aises ; peur enfin de perdre la vie. Il n’est pas besoin de dire que rien n’est plus énervant, et partant plus dangereux pour ce monde, que cette humiliante préoccupation ; mais avant tout, il faut convenir qu’elle n’a rien de chrétien. Aurions-nous oublié que nous ne sommes que voyageurs sur cette terre, et l’espérance des biens futurs serait-elle donc éteinte dans nos cœurs ? Cécile nous apprendra comment on se défait du sentiment de la peur. Au temps où elle vécut, la vie était moins sûre qu’aujourd’hui. Alors on pouvait bien avoir quelque raison de craindre ; cependant on était ferme, et les puissants tremblèrent souvent à la voix de leur victime.
Dieu sait ce qu’il nous réserve ; mais si bientôt la peur ne faisait place à un sentiment plus digne de l’homme et du chrétien, la crise politique ne tarderait pas à dévorer toutes les existences particulières. Quoi qu’il arrive, l’heure est venue de rapprendre notre histoire. La leçon ne sera pas perdue, si nous arrivons à comprendre ceci : avec la peur, les premiers chrétiens nous eussent trahis, car la Parole de vie ne fût pas arrivée jusqu’à nous ; avec la peur, nous trahirions les générations à venir qui attendent de nous la transmission du dépôt que nous avons reçu de nos pères (1).
La Passio sanctœ Cœciliæ est indiquée par les plus anciens textes [5] au 16 septembre, et elle eut lieu sous Marc-Aurèle et Commode empereurs [6]. La grande fête du 22 novembre, précédée de sa Vigile, était l’une des plus solennelles du Cycle romain ; elle rappelait aux habitants des sept collines la dédicace de l’église élevée sur l’emplacement du palais consacré par le sang de la descendante des Metelli, et légué par Cécile mourante à l’évêque Urbain, représentant du Souverain Pontife Éleuthère. Urbain, confondu plus tard avec le Pape du même nom qui gouverna l’Église de Dieu au temps d’Alexandre Sévère, amena les légendaires à retarder d’un demi-siècle le martyre de la Sainte, comme on le voit encore aujourd’hui dans les leçons historiques du jour.
Selon toute vraisemblance, ce fut en l’année 178 que Cécile rejoignit Valérien au ciel d’où l’Ange du Seigneur était descendu peu de mois auparavant, dans la nuit des noces, apportant aux deux époux les couronnes où s’entrelaçaient les lis et les roses. Ensevelie par Urbain telle que l’avait laissée la mort, elle vit au commencement du siècle suivant la crypte de famille qui l’abritait donnée par les siens à l’Église romaine, et disposée pour la sépulture des Pontifes de cette Église maîtresse et mère. Paschal Ier la retrouvait près de ces tombes augustes au IX° siècle, et la ramenait triomphalement, le VIII mai 822, à sa maison du Transtévère qu’elle ne devait plus quitter désormais.
Le 20 octobre 1599, des travaux nécessités par la restauration de la basilique faisaient de nouveau reparaître Cécile aux yeux émerveillés de la Ville et du monde. Elle était revêtue de sa robe brochée d’or, sur laquelle on distinguait encore les traces glorieuses de son sang virginal ; à ses pieds reposaient les linges teints de la pourpre de son martyre. Étendue sur le côté droit, les bras affaissés en avant du corps, elle semblait dormir profondément. Le cou portait encore les cicatrices des plaies dont le glaive du licteur l’avait sillonné ; la tête, par une inflexion mystérieuse et touchante, était retournée vers le fond du cercueil. Le corps se trouvait dans une complète intégrité, et la pose générale, conservée par un prodige unique, après tant de siècles, dans toute sa grâce et sa modestie, retraçait avec la plus saisissante vérité Cécile rendant le dernier soupir, étendue sur le pavé de la salle du bain. On se croyait reporté au jour où le saint évêque Urbain avait renfermé dans l’arche de cyprès le corps de Cécile, sans altérer en rien l’attitude que l’épouse du Christ avait choisie pour exhaler son âme dans le sein de son Époux. On admirait aussi la discrétion de Paschal qui n’avait point troublé le repos de la vierge, et avait su conserver à la postérité un si grand spectacle [7].
Sfondrate, l’heureux cardinal-titulaire de Sainte-Cécile qui dirigeait les travaux, retrouva en outre dans la chapelle dite du Bain l’hypocauste et les soupiraux du sudatorium où la Sainte passa un jour et une nuit au milieu des vapeurs embrasées. De nouvelles fouilles entreprises récemment, et qui se poursuivent au moment où nous écrivons ces lignes, ont mis à jour d’autres restes de la patricienne demeure, que leur style doit faire reporter aux temps reculés de la République.
Tout l’ensemble des Antiennes et des Répons du 22 novembre (Voir les Matines) est emprunté aux Actes de la Sainte, et il reste le même après treize siècles qu’au temps de saint Grégoire. Nous en détachons quelques parties de nature à compléter le récit qui précède. La vierge nous y est tout d’abord montrée chantant à Dieu dans son cœur, au milieu des profanes accords du festin nuptial : silencieuse mélodie, supérieure à tous les concerts de la terre, qui inspira l’heureuse idée de représenter Cécile avec les attributs de la Reine de l’harmonie, et de l’acclamer comme la patronne du plus séduisant des arts.