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« MÉDITANT JOUR ET NUIT LA LOI DU SEIGNEUR ET VEILLANT DANS LA PRIÈRE » – proposés par Jean Lévêque
18 novembre, 2014http://j.leveque-ocd.pagesperso-orange.fr/index.htm
« MÉDITANT JOUR ET NUIT LA LOI DU SEIGNEUR ET VEILLANT DANS LA PRIÈRE »
proposés par Jean Lévêque, carme, de la Province de Paris
Dieu, dans sa bonté, a voulu se faire connaître par la Parole, d’abord dite puis écrite. Ce n’est pas nous qui avons commencé le dialogue, c’est Dieu ; car il est source de tout, de toute vie, de toute connaissance, de tout amour, de toute réciprocité dans le don.
On dit souvent : Dieu est silence ; et c’est profondément vrai, mais ce n’est qu’un aspect du mystère de Dieu. On pourrait aussi bien dire : Dieu est expression, puisqu’il est écrit en saint Jean: «Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était Dieu ». Avant même d’être parole pour nous, le Verbe est Parole de Dieu au sein de la Trinité. Dieu est Source, Parole et Esprit. Dieu-le-Verbe est expression du Père; Dieu le Père s’exprime éternellement dans son Verbe, dans son Fils le Verbe ; et le Père aime, dans l’Esprit-Saint, le Verbe-Fils qui exprime toute sa richesse, qui est « le resplendissement de sa gloire et l’effigie de sa substance » (Hb 1).
Un jour – ce fut le premier jour du temps, le premier jour du monde – Dieu décida, par un amour sans mesure, de se dire en dehors de lui-même. Et Dieu créa. Et chaque être nouveau que Dieu créait disait, à sa pauvre manière, quelque chose de la beauté, de la grandeur et de la sagesse de Dieu. Parce que tout fut créé sur le modèle du Verbe, toute créature participe un peu de ce Verbe qui, lui, exprime parfaitement le Père. Tout ce qu’a fait le Père, il l’a fait dans le Verbe, par le Verbe et d’après le Verbe ; et c’est pourquoi chaque être créé peut « balbutier un je ne sais quoi » de la richesse du Père. Le Fils est l’expression parfaite et infinie du Père ; chaque créature est une expression timide et lointaine de ce même Père, origine de toute beauté et de toute vie. Comme il est dit dans le Prologue de Jean : « Le Verbe était au commencement avec Dieu. Tout vint à l’existence par lui, et sans lui rien ne vint à l’existence »; ce que saint Paul déclare en termes équi-valents : « Le Christ est l’Image du Dieu invisible, le premier-né de toute créature, car c’est en lui qu’ont été créées toutes choses … Il est avant toutes choses et tout subsiste en lui » (Col 1, 15ss).
Avant que l’homme n’apparût sur la terre, Dieu avait donc laissé déjà dans le cosmos des traces de lui-même, de sa tendresse et de sa gloire ; mais si pâles, et surtout si muettes ! Or Dieu voulait, par pur amour, des images vivantes de luimême, des libertés qui puissent lui répondre, le connaître et l’aimer. Il n’avait pas besoin de ces reflets, puisque en Dieu, de toute éternité, le Verbe était Image totale et achevée ; et pourtant Dieu a créé les hommes, les icônes vivantes que nous sommes. Il nous a créés à son image et à sa ressemblance, c’est-à-dire d’après le Verbe-Image, sur le « patron » du Verbe, à la ressemblance de son Fils. « Il nous a d’avance destinés à reproduire l’image de son Fils bien-aimé ».
Alors commença le dialogue de Dieu avec les hommes, de Dieu-Trinité avec les hommes créés à son image. Dieu le Père parlait aux hommes par son Fils le Verbe, de deux manières : d’abord intérieurement, car « le Verbe de Dieu nous est plus intime que l’intime de nous-mêmes » (saint Augustin) ; et puis « de l’exté-rieur », par les mille traces de lui-même qu’il avait laissées dans le monde. C’est pourquoi saint Paul peut écrire « Ce que Dieu a d’invisible, depuis la création du monde, se laisse voir à l’intelligence à travers ses œuvres » (Rm 1, 20).
À partir des leçons intimes du Verbe de Dieu et à partir des merveilles de la création et de la Providence, les hommes pouvaient et devaient se retourner vers le Père, contempler son œuvre, la lui rendre, la lui offrir, et s’offrir eux-mêmes à Dieu pour accomplir sa volonté. Mais pour aider les humains dans leur cheminement, pour éclairer leur histoire et y tracer son dessein, pour faire échec à toutes les forces d’illusion et d’inertie, pour dévoiler à la fois le péché et le pardon, Dieu voulut non seulement être perçu, mais se faire entendre. C’est pourquoi il parla aux hommes dans le langage des hommes ; Dieu se dit, se révéla à nous de manière que cette révélation soutînt l’homme tout au long de l’histoire et qu’elle restât comme un pain inépuisable, au service de l’humanité. Ce premier dévoilement de Dieu par Dieu en contrepoint de l’ancienne Alliance fut encore l’œuvre indivise de la Trinité. C’est encore le Verbe qui révélait le Père, non plus seulement par son action intime et insaisissable au cœur de chaque homme, non plus seulement par « les mille grâces qu’il avait répandues en hâte » dans la création matérielle, mais par le moyen d’une parole humaine, prononcée au nom du Verbe de Dieu par des hommes remplis de l’Esprit.
Le Verbe de Dieu utilisant le verbe des hommes : il semblerait que Dieu-Trinité soit allé pour nous jusqu’aux limites du possible ! Mais Dieu n’a jamais mis de bornes à son amour,et Il nous réservait une autre merveille : en s’incarnant, en prenant notre chair et notre condition de servitude, le Verbe de Dieu, grâce à Marie, vint exprimer lui-même le Père parmi les hommes. C’est désormais le Verbe incarné qui parle aux hommes du Père des lumières.
Ainsi le Verbe Incarné, Fils de Dieu devenu fils de Marie, prolonge dans le temps des hommes et au milieu des hommes ce qui constitue son œuvre éternelle : exprimer la puissance et l’amour de Dieu le Père. Verbe éternel, Verbe incarné, c’est toujours la même personne du Fils de Dieu, accomplissant le même acte : exprimer Dieu, quoique de deux manières différentes, hors du temps et dans l’histoire : « Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité, dira Jésus (Jn 18, 37). Quiconque est de la vérité écoute ma voix ». « Celui que Dieu a envoyé prononce les paroles de Dieu, et il donne l’Esprit sans mesure » (Jn 3, 34). « Tout ce que j’ai appris de mon Père, je vous l’ai fait connaître » (15,15); « les paroles que tu m’as données, Père, je les leur ai données, et ils ont vraiment admis que je suis sorti de toi » (17,8). « Ma parole n’est pas mienne; c’est la parole de celui qui m’a envoyé » (14, 26).
On voit quelle densité et quelle urgence nouvelles a prises la révélation avec la venue du Fils de Dieu sur la terre et l’envoi de l’Esprit de vérité. Avant Jésus les hommes n’entendaient que la révélation ; avec Jésus, ils ont entendu le Révélateur. Avant l’Incarnation, le Verbe révélait le Père par l’intermédiaire de nombreuses personnes humaines, tous les inspirés de l’ancienne Alliance ; une fois incarné, le Verbe de Dieu fait entendre une voix humaine qui était la sienne : « Nous avons entendu, nous avons vu de nos yeux, nous avons contemplé, nos mains ont touché le Verbe de vie ; car la vie s’est manifestée, nous l’avons vue, nous en rendons témoignage, et nous vous annonçons cette Vie éternelle qui était auprès du Père et qui nous est apparue » (Jn 1,1).
Mystère de l’amour de Dieu, de sa condescendance pour les hommes ; mystère d’un Dieu qui est tellement venu au-devant des hommes qu’il s’est fait homme pour marcher devant eux. Mystère de l’Homme-Dieu, Parole éternelle du Père, qui nous parle du Père avec nos mots humains. Mystère de la révélation qui utilisa la voix des hommes avant de faire retentir la voix de l’Homme-Dieu. Mystère de ce Fils unique, de ce Fils éternel qui vient nous « raconter » dans le temps le Père que personne n’a jamais vu. Mystérieuse continuité du dessein d’amour de Dieu : « après avoir, à maintes reprises et sous maintes formes, parlé jadis à nos pères par les prophètes, Dieu, en ces jours qui sont les derniers (qui inaugurent l’âge définitif) nous a parlé par le Fils, qu’il a établi héritier de toutes choses, par qui aussi il a fait les siècles » (Hb 1,1-2).
C’est cette révélation que nous avons à accueillir par la foi, comme le rappelle le Concile en insistant sur le rôle du Saint-Esprit dans la prière des croyants :
« À Dieu qui révèle est due l’obéissance de la foi (Rm 16, 26), par laquelle l’homme s’en remet tout entier et librement à Dieu dans un complet hommage d’intelligence et de volonté à Dieu qui révèle et dans un assentiment volontaire à la Révélation qu’il fait. Pour exister, cette foi requiert la grâce prévenante et aidante de Dieu, ainsi que les secours intérieurs du Saint-Esprit qui touche le cœur de l’homme et le tourne vers Dieu, ouvre les yeux de l’esprit et donne à tous la douceur de consentir et de croire à la vérité ». (Dei Verbum, 5).
Les prolongements théologiques et spirituels de cette doctrine de la révélation sont d’une importance toute particulière dans la vie de prière, spécialement pour ceux et celles dont l’oraison, chaque jour, se nourrit de la parole de Dieu.
1° Par le Verbe révélateur du Père, nous entrons dans le mystère de la Trinité ou, en d’autres termes, l’accueil de la parole de Dieu, sous la mouvance de l’Esprit de Vérité, nous introduit dans l’intimité du Verbe incarné révélateur, et donc dans l’intimité de Dieu -Trinité. Se mettre à l’écoute de la révélation, humblement, filialement, c’est répondre au désir et à la volonté de Dieu qui, depuis le commencement de l’histoire humaine, se révèle à nous par son Verbe. Se pencher avec respect et amour sur le message de Dieu, ce n’est pas chose facultative, et à plusieurs reprises durant la vie terrestre de Jésus , Dieu le Père a souligné le devoir que nous avons de nous mettre à l’école du Verbe incarné : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis toutes mes complaisances : écoutez-le ! »
2° On voit également qu’il est impossible de pénétrer dans la révélation si ce n’est à la suite du Révélateur. « La profonde vérité que la Révélation manifeste sur Dieu et sur le salut de l’homme resplendit pour nous dans le Christ, qui est à la fois le médiateur et la plénitude de toute la Révélation » (Dei Verbum, 1). C’est le Christ, notre Seigneur qui, par son Esprit, nous ouvre les Écritures. C’est même l’une des toutes premières grâces que Jésus ait faites à ses disciples après sa résurrection. Cheminant avec les disciples d’Emmaüs, il leur disait : « Esprits sans intelligence, lents à croire ce qu’ont annoncé les prophètes ! Ne fallait-il pas que le Christ endurât ces souffrances pour entrer dans la gloire ? Et, commençant par Moïse et parcourant tous les prophètes, il leur interpréta dans toutes les Écritures ce qui le concernait ». À la fraction du pain, ils le reconnurent, mais il avait disparu de devant eux … C’est notre lot à tous, maintenant que le Christ Jésus est glorieux auprès du Père, maintenant que « notre vie est cachée en Dieu avec le Christ ». Mais qui n’a pas fait tant soit peu l’expérience des disciples d’Emmaüs ? Qui n’a jamais dit, après une période de ferveur : « mon cœur n’était-il pas tout brûlant au-dedans de moi, quand il me parlait en chemin et qu’il m’expliquait les Écritures ? » (Lc 24, 32). Où irions-nous chercher cette conversation, ce dialogue d’amitié avec le Seigneur, dont parle sainte Thérèse d’Avila, sinon justement dans l’Écriture qui nous conserve les paroles du Seigneur ? Quelles paroles attendons-nous encore, puisque Dieu nous a tout dit par son Fils ? Comment pourrions-nous vouloir que le Sauveur nous « parle en chemin », si nous ne prenons pas le chemin qu’il a pris, lui, pour nous parler ? « Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, disait Jésus, il vous conduira vers la vérité tout entière ». Comment cela se réalisera-t-il ? – par un retour constant à l’enseignement de Jésus : « ..:il ne parlera pas de lui-même… c’est de mon bien qu’il prendra pour vous en faire part. Le Paraclet, l’Esprit-Saint que le Père enverra en mon nom, vous enseignera tout et vous rappellera tout ce que je vous ait dit » (Jn 16, 13).
3° L’Écriture Sainte, lue dans la lumière du Verbe incarné illuminateur et sous la conduite de l’Esprit d’amour, amorce notre dialogue avec la Trinité. Elle est même une route privilégiée qui mène à ce dialogue. Préparant et prolongeant l’action des sacrements, elle assure la disponibilité du cœur chrétien aux appels de l’Esprit et le rend sans cesse plus consonant au message des Béatitudes. Les sacrements étendent jusqu’à nous les gestes sauveurs du Christ; l’Écriture nous redit chaque jour sa pensée et nous présente, à toute heure et à tout âge de la vie, des exemples de dialogue entre l’homme et son Dieu. Nous en trouvons non seulement dans les Psaumes, mais dans les livres sapientiaux et chez certains prophètes, dans les livres historiques depuis Abraham jusqu’aux Maccabées. Il nous est donné ainsi de rejoindre, dans l’Ancien Testament et plus encore dans le Nouveau, l’expérience spirituelle, explicite ou implicite, de beaucoup d’hommes de foi, qui ont connu devant Dieu tous nos enthousiasmes et toutes nos craintes, tous nos espoirs et parfois nos angoisses. Dieu, en nous gardant dans la révélation un écho de toutes ces grandes voix, nous souffle aujourd’hui les mots de notre prière et climatise l’espace de notre adoration.
Chaque orant a ses préférences en ce qui concerne l’Écriture ; et c’est normal. Saint Paul ne parlait-il pas de la « sagesse multiforme » de Dieu ? et Jésus des « nombreuses demeures » de la maison du Père ? Tel chrétien priera des mois sur les Psaumes, tel autre reviendra presque toujours aux Évangiles ; sœur Elisabeth de la Trinité ne quittait guère saint Paul. L’important est que notre méditation des textes fructifie en charité fraternelle, en joie communautaire, en allégresse dans le service de l’Évangile.
4° L’amour de l’Écriture est une grâce à demander. Une grâce globale qui en contient beaucoup d’autres : grâce d’honnêteté et de courage face à cette parole parfois difficile à rejoindre, souvent ingrate à étudier; grâce d’ouverture, car Dieu souvent nous dépayse ; grâce de patience et de calme devant les difficultés de détail dont fourmillent les livres saints ; grâce de simplicité, d’humilité du cœur, pour découvrir les grandes leçons de Dieu sous les pauvres habits du langage des hommes; grâce de fraîcheur d’âme, qui nous fera aimer les symboles de l’Écriture et nous réjouir de sa profusion d’images. C’est une véritable enfance spirituelle que Dieu le Père attend de nous. À certains jours, en ouvrant notre Bible, nous sommes parfois tentés de demander des comptes à Dieu, lui reprochant presque de s’être mal expliqué. Pour un peu nous refermerions le livre de la Parole, déçus et agacés, sans nous douter peut-être que Dieu nous y attendait et que, si nous n’avions pas « endurci notre cœur comme au désert », nous aurions « entendu sa voix » . Il ne faut pas que des siècles et des siècles de pédagogie divine deviennent tout à coup caducs, comme si Dieu-Trinité avait perdu son temps en parlant pour nous notre langage !
5° Pour comprendre l’usage que l’Église fait de la Parole de Dieu dans sa liturgie et que nous sommes amenés à en faire nous aussi, dans notre prière personnelle, il faut nous souvenir qu’au sein de l’Église la Parole remplit deux fonctions. Elle est d’abord source de la foi. C’est dans l’Écriture en effet que nous allons chercher ce que nous devons croire et affirmer de Dieu, de l’homme, et des relations de Dieu avec les hommes ; et là une certaine rigueur est nécessaire dans la lecture. Mais, parce qu’elle est source et norme de la foi, l’Écriture tend à devenir de plus en plus le langage spontané du croyant. Le chrétien alors, à l’intérieur de la foi de l’Église, ne cherche plus tant à se dire ce qu’il doit croire qu’à redire à Dieu qu’il croit, qu’il espère et qu’il aime, ou à redire aux hommes ce qu’il croit, ce qu’il espère et ce qu’il aime. Ou, si l’on veut, dans l’acte même de sa foi, le chrétien se sert, pour parler à Dieu, des mots que Dieu lui-même lui a donnés. La Parole est alors le langage d’amour, le langage privilégié, convenu entre Dieu et l’homme, le langage dont l’homme habille sa foi et son espérance. C’est le langage du Christ époux à l’Église son épouse, et de l’Église épouse au Christ son Seigneur, un langage où très peu de mots, parfois, sont nécessaires, parce qu’ils sont chargés d’amour et de confiance, un langage dont les deux époux disposent, et donc un langage que l’Épouse aura le droit de transposer, au gré de son amour d’aujourd’hui, pour dire au Christ ses joies et ses souffrances avec les mots d’autrefois, lourds d’une longue fidélité.
6° On ne soulignera jamais assez le rôle primordial que Marie peut jouer dans notre découverte et notre approfondissement de l’Écriture. C’est par elle que le Verbe s’est incarné dans notre humanité et que le Révélateur s’est manifesté à nous sous les traits du Fils de l’Homme, de l’Agneau de Dieu, du Serviteur souffrant. Ne pourrait-elle nous aider puissamment à accueillir au cœur de notre vie non seulement la grâce et le pardon de son Fils, mais aussi la richesse et la force de cette Parole écrite que le Christ a remplie de son Esprit-Saint ? Dès qu’il s’agit, dans la vie spirituelle, d’accueil et de transformation évangélique, Marie est là, virginale et maternelle, pour nous ouvrir au dessein de Dieu et hâter en nous le travail de l’Esprit. Celui qui se tient constamment près de Marie se trouve constamment sous l’ombre de l’Esprit-Saint. Partout où Marie est présente, l’Esprit est à l’œuvre, le Christ grandit, et la volonté du Père s’accomplit sur la terre comme au ciel.
LE MAÎTRE JÉSUS
18 novembre, 2014http://livres-mystiques.com/partieTEXTES/Huan/lemaitre.html
LE MAÎTRE JÉSUS
« Magister vester unus est, Christus ». (Matth. ; XXIII, 11).
N’est-il pas remarquable qu’aux origines mêmes de l’Église, les Apôtres durent mettre les premiers chrétiens en garde contre des doctrines qui tendaient déjà à pervertir l’enseignement du Christ et à opposer à la révélation du Maître de Nazareth une
prétendue tradition, dont la source et les principes demeuraient occultes ? « Prenez garde, écrit Saint Paul aux Colossiens, que personne ne vous séduise par la philosophie et une vaine tromperie, selon la tradition des hommes, selon les rudiments du monde
et non selon le Christ. » (Coloss. II. 8). A son fidèle Timothée, il recommande surtout de « garder le dépôt, évitant les nouveautés profanes de langage et les controverses d’une science qui ne mérite pas ce nom. C’est pour en avoir fait profession, que quelques-uns ont erré dans la foi. » (I Tim., VI, 20-21).
L’Apôtre Jean adresse à ses frères dans le Christ les mêmes avertissements : « quiconque s’éloigne et ne demeure pas dans la doctrine du Christ, n’a point Dieu, celui qui demeure dans cette doctrine a le Père et le Fils. Si quelqu’un vient à vous et n’apporte pas cette doctrine, ne le recevez dans votre maison. » (II. Jean, 9-10). Jésus n’avait-il pas déjà dit aux juifs qui l’entouraient : « vous n’avez qu’un Maître, le Christ » ? (Matth., XXIII, 11). « L’onction que vous avez reçue de Lui, conclut l’apôtre Jean, demeure en vous et vous n’avez pas besoin que personne vous enseigne ; mais, comme son onction vous enseigne sur toutes choses, cet enseignement est véritable et n’est point un mensonge ; et, selon qu’elle vous a enseignés, demeurez en Lui. » (I. Jean, II, 27).
Puisque nous autres, Chrétiens d’Occident, nous n’avons pas d’autre Maître que Jésus, qui est le Christ, essayons en quelques pages de fixer les principaux traits de son enseignement.
A la première tentation du démon dans le désert, Jésus, conduit par l’Esprit, oppose cette phrase de l’Écriture : «L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. » (Matth. IV, 4 ; Deut., VIII, 3). C’est cette parole de Dieu que Jésus déclare être venu apporter aux hommes sur la terre, afin qu’ils ne périssent point, mais qu’ils aient la vie éternelle. Sans doute, ils ont Moïse et les Prophètes ; mais « la Loi et les Prophètes vont jusqu’à Jean-le-Baptiste ; depuis Jean, le Royaume de Dieu est annoncé. » (Luc., XVI, 16). Jésus est envoyé par le Père pour annoncer le Royaume, de sorte que, « si la Loi a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont. venus par Jésus-Christ ». (Jean, I. 17). Il est « la Voie, la Vérité, la Vie » (Jean, XIV, 6) et « quiconque n’amasse pas avec lui dissipe. » (Luc., XI 23).
Est-ce à dire que la Loi et les Prophètes sont désormais périmés ? « Ne pensez pas, dit Jésus, que je sois venu abolir la Loi et les Prophètes ; je ne suis pas venu les abolir, mais les accomplir. » (Matth., V, 17). Il est Celui qui a été annoncé par les Prophètes et qui doit parfaire l’Oeuvre du grand Législateur. Ne suffit-il pas de scruter les Écritures pour reconnaître en lui la figure du juste souffrant, qui doit racheter les péchés de son peuple ? Aux deux disciples qui l’accompagnent sur le chemin d’Emmaüs il expliquera, « en commençant par Moïse et parcourant tous les Prophètes », tout ce qui, dans les Écritures, le concernait (Luc., XXIV, 27). Aussi aux Pharisiens qui lui reprochent de tromper le peuple, il réplique : « ne pensez pas que ce soit moi qui vous accuserait devant le Père ; votre accusateur, c’est Moïse en qui vous avez mis votre espérance. Car, si vous croyiez Moïse, vous me croiriez aussi, parce qu’il a parlé de moi. Mais, si vous ne croyez pas à ses écrits, comment croiriez-vous a mes paroles ? » (Jean, V, 45-47). « Vous scrutez les Écritures, leur dit-il encore, parce que vous pensez trouver en elles la vie éternelle ; or ce sont elles qui rendent témoignage de moi. » (Jean, V, 39).
Et, parce qu’il est venu parmi les hommes, c’est en lui seulement qu’il faut croire maintenant pour posséder la vie éternelle. Moïse ne vous a pas donné le pain du Ciel, crie-t-il aux juifs. ; c’est mon Père qui vous donne le vrai pain du Ciel. » (Jean, VI, 32). Il est ce vrai pain du Ciel, le « pain de vie » : quiconque mangera de ce pain n’aura plus jamais faim et il ne mourra pas, comme sont morts les juifs qui avaient mangé la manne dans le désert : « travaillez donc, non pour la nourriture qui périt, mais pour celle qui demeure pour la vie éternelle et que le Fils de l’homme vous donnera. Car c’est lui que le Père a marqué d’un sceau ». Ils lui dirent : « Que devons-nous faire pour faire les Oeuvres de Dieu ? » Jésus répondit : « L’Oeuvre que Dieu demande, c’est que vous croyiez en Celui qu’il a envoyé. » (Jean, VI, 27-29).
II Parce que « celui que Dieu a envoyé dit les paroles de Dieu » (Jean, III, 34), son enseignement s’impose avec une autorité qui porte en elle-même sa propre certitude et exige l’assentiment dans la foi et l’humilité : « le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas » (Marc, XII, 31). On comprend l’étonnement de ses contemporains, lorsqu’ils l’entendirent pour la première fois prêcher dans leurs synagogues « quand le Sabbat fut venu, il se mit à enseigner dans la synagogue et beaucoup de ceux qui l’entendaient, admirant sa doctrine, disaient d’où lui viennent toutes ces choses ? Quelle est cette sagesse qui lui a été donnée et d’où vient que de telles merveilles se font par ses mains ? N’est-ce pas le charpentier, le fils de Marie ? » (Marc, VI, 2-3). Car « il les enseignait comme ayant autorité, et non comme leurs scribes et leurs pharisiens. » (Matt., VII, 29).
Ses ennemis, assurément, ne manqueront pas l’occasion qui leur est offerte au Temple, de lui demander ses titres. « Un de ces jours-là, comme Jésus enseignait le peuple dans le Temple et qu’il annonçait la bonne nouvelle, les Princes des prêtres et les Scribes survinrent avec les Anciens et lui dirent : Dites-nous par quelle autorité vous faites ces choses ou qui vous en a donné le droit ? » (Luc., XX, 1). Mais à la question que leur pose à son tour Jésus sur le baptême de Jean ils n’osent pas répondre et se retirent.
A l’égard des juifs qui l’écoutent avec sympathie ou docilité, Jésus est moins réservé et il soulève un des voiles qui cache le mystère de son origine. « On était déjà au milieu de la fête (des Tabernacles), lorsque Jésus monta au Temple et il se mit à enseigner. Les juifs étonnés disaient : « Comment connaît-il les Écritures, lui qui n’a pas fréquenté les écoles ? » Jésus leur répondit : « Ma doctrine n’est pas de moi, mais de Celui qui m’a envoyé. Si quelqu’un veut faire la volonté de Dieu, il connaîtra si ma doctrine est de Dieu ou si je parle de moi-même » (Jean, VII, .14-17). De même qu’il n’est pas venu sur la terre pour accomplir sa volonté, mais celle de son Père, il n’est pas venu pour parler en son nom, mais seulement pour « dire ce que son Père lui a enseigné » (Jean, VII, 28) ; de sorte que celui qui écoute sa parole et croit à celui qui l’a envoyé, est passé de la mort à la vie et n’encourt pas la condamnation. (Jean, V, 24) : quiconque rejette le message de Jésus n’a donc pas Dieu en lui, puisqu’il refuse de croire en Celui que Dieu a envoyé ; et celui-là est déjà jugé.
III L’enseignement du Maître Jésus présente en effet ce caractère particulier de n’être point un enseignement purement spéculatif ou théorique, mais de constituer un jugement : « Celui qui croit en lui n’est pas condamné, mais celui qui ne croit pas est déjà condamné, parce qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu. Et voici la cause de cette condamnation : la lumière est venue dans ce monde et les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière, parce que leurs Oeuvres étaient mauvaises. » (Jean,III, 18-19).
Non point que le Christ soit venu pour juger le monde ; il est venu pour le sauver, et c’est pourquoi il appelle à lui tous les hommes de bonne volonté : « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive. Celui qui croit en moi, de son sein, comme dit l’Écriture, couleront des fleuves d’eau vive. » (Jean, VII, 38). Mais celui qui écoute la parole de Dieu n’est-il pas déjà de Dieu ? Mépriser l’envoyé de Dieu, c’est aussi mépriser celui qui l’a envoyé. «Celui qui croit en moi, dit Jésus, croit, non pas en moi, mais en Celui qui m’a envoyé ; car celui qui me voit, voit celui qui m’a envoyé. je suis venu dans le monde comme une lumière, afin qu’aucun de ceux qui croient en moi ne demeure dans les ténèbres. Si quelqu’un entend ma parole et ne la garde pas, moi, je ne le juge pas ; car je suis venu, non pour juger le Monde, niais pour sauver le monde. Celui qui me méprise et ne reçoit pas ma parole a son juge : c’est la parole même que j’ai annoncée ; elle le jugera au dernier jour, car je n’ai point parlé de moi-même ; mais le Père, qui m’a envoyé m’a prescrit lui-même ce que je dois dire et ce que je dois enseigner. Et je sais que son commandement est la vie éternelle. Les choses donc que je dis, je les dis comme mon Père me les a enseignées » (Jean, XII, 44-50).
Parce que la parole qu’il enseigne n’est pas de lui, mais du Père qui l’a envoyé, les juifs sont sans excuse de rejeter son témoignage. Sommes-nous des aveugles,? » répliquent-ils si vous étiez aveugles, leur répond Jésus, vous n’auriez point de péché mais maintenant vous dites : Nous voyons; votre péché demeure. » (Jean, IX, 41). Mais aussi pour entendre et garder la parole du Maître ne suffit-il pas de l’écouter : « celui qui ne m’aime pas ne gardera ma parole… si quelqu’un m’aime, c’est celui-là qui gardera ma parole » (Jean, XV, 23-24). Qui ne connaît la parabole de la semence ? Des auditeurs, les uns entendent la parole, « mais le démon vient et l’enlève de leur coeur, de peur qu’ils ne croient et ne soient sauvés » ; les autres ont reçu la parole avec joie, « mais ils n’ont point de racine : ils croient pour un temps et ils succombent à l’heure de la tentation. » Ceux-ci, après avoir entendu la parole, « s’en vont et la laissent étouffer par les soucis, les richesses, les plaisirs de la vie, et ils ne portent point de fruits. » Ceux-là, enfin, « ont entendu la parole avec un coeur bon et excellent, ils la gardent et portent du fruit avec persévérance » (Luc., VIII, 9 et suiv. ; cf. Matth.,XIII, 18 et suiv. ; Marc., IV, 10 et suiv.).
Garder la parole c’est donc « porter du fruit » ; et le Maître compare celui qui, ayant entendu la parole, la met en pratique « à un homme sage qui a bâti sa maison sur la pierre. La pluie est tombée, les torrents sont venus, les vents ont soufflé et se sont déchaînés contre cette maison, et elle n’a pas été renversée, car elle était fondée sur la pierre. Mais quiconque entend les paroles que je dis et ne les met pas en pratique, est semblable à un insensé qui a bâti sa maison sur le sable. La pluie est tombée, les torrents sont venus, les vents ont soufflé et ont battu cette maison, et elle a été renversée et grande a été sa ruine. » (Matth., VII, 24-28, cf. Luc., VI, 47-49).
IV Si le sens général de l’enseignement qu’est venu apporter Jésus ne pouvait laisser place à aucune équivoque, puisqu’il s’agissait expressément de fonder sur cet enseignement un mode de vie, une pratique spirituelle qui assurât aux fidèles la possession de la vie éternelle, il n’est pas douteux cependant que le Maître « enseignait par diverses paraboles, selon que les auditeurs étaient capables de l’entendre. » (Marc, IV, 33). Et il semble qu’aux Apôtres seuls il ait été donné de connaître « le mystère du Royaume de Dieu » (Marc, IV, 10). On a conclu qu’il fallait distinguer, dans l’enseignement de Jésus, une partie ésotérique réservée au cercle étroit de ses familiers et une partie exotérique destinée à ceux « qui sont dehors ».
Il y a pourtant contre cette interprétation, des textes de l’Évangile qui paraissent tout à fait formels. Non seulement, dans une circonstance solennelle de sa vie, lorsque le Grand-Prêtre l’interroge sur sa doctrine, Jésus répond : « J’ai parlé ouvertement au monde ; j’ai toujours enseigné dans la synagogue et dans le Temple, où tous les juifs s’assemblent, et je n’ai rien dit en secret. Pourquoi m’interroges-tu ? Demande à ceux qui m’ont entendu, ce que je leur ai dit, ils savent ce que j’ai enseigné. » (Jean, XVII, 20-21). Mais déjà, auparavant, il avait insisté sur le caractère public de son enseignement : « Apporte-t-on la lampe pour la mettre sous le boisseau ou sous le lit ? N’est-ce pas pour la mettre sur le chandelier ? Car il n’y a rien de caché qui ne doit être révélé, rien de secret qui ne doive venir au jour. » (Marc, IV, 21 -22 ; cf Luc, XI, 23).
Peut-être serait-il permis de reconnaître ici comme une allusion à des doctrines que les Docteurs de la Loi gardaient jalousement cachées, à ceux qu’ils considéraient comme étant « tout entiers dans le pêche ». Que signifie cette parole énigmatique de Jésus… à Nicodème à propos de la renaissance dans l’eau et l’Esprit Saint : « Tu es docteur en Israël et tu ignores ces choses » (Jean, III, 10). Et cette apostrophe aux mêmes Docteurs de la loi : « Malheur à vous, Docteurs de la Loi, parce que vous avez enlevé la clef de la science ; vous-mêmes n’êtes point entrés, et vous avez empêché ceux qui entraient. » (Luc. XI, 52). Si on allume la lampe et qu’on la met sur le chandelier, c’est afin que ceux qui entrent voient la lumière. « Pendant que je suis dans le monde, s’écrie Jésus, je suis la lumière du monde. » (Jean, IX, 5).
Mais, précisément, il faut « entrer » et non point « rester dehors », et à tous ceux qui frapperont » il est bien dit qu’on « ouvrira ». L’enseignement parabolique n’est donc qu’une méthode pédagogique qui a pour fin d’amener plus facilement les auditeurs à la compréhension de la grande Vérité que le Christ est venu apporter sur la terre pour le salut de tous les hommes. Nul n’est exclu que par sa faute du Royaume de Dieu : il suffit de croire pour être sauvé. C’est de la foi à la divinité de Jésus, et non point de l’adhésion à une doctrine secrète, à laquelle seuls quelques privilégiés auraient été initiés, que dépend notre destinée éternelle. Et la condition de cette foi, c’est justement, non point une pénétration de pensée qui est refusée à la plupart des hommes, mais au contraire une simplicité d’esprit qui veut que « quiconque ne recevra pas le Royaume de Dieu comme un petit enfant n’y entrera pas. » (Marc, X, 15 ; Luc, XVIII, 17).
V Est-ce à dire que le Maître de Nazareth nous ait enseigné toutes choses ? « Tout ce que j’ai entendu de mon Père, dit-il à ses Apôtres, je vous l’ai fait connaître ». (Jean, XV, 15). Il avait les paroles de la vie éternelle et jamais homme n’a parlé comme lui. Mais ce n’est pas en vain qu’à plusieurs reprises il a reproché aux disciples, qu’il avait pourtant choisis lui-même, leur lenteur à comprendre : « n’avez-vous donc encore ni sens ni intelligence ? Votre coeur est-il encore aveugle ? Avez-vous des yeux pour ne pas voir, des oreilles pour ne pas entendre ? Et n’avez-vous point de mémoire ? » (Marc, VIII, 17-18). Au moment même où il va se séparer d’eux, après la Cène, il doit reprendre Philippe pour sa sotte question « il y a longtemps que je suis avec vous, et vous ne m’avez point connu ? Philippe, celui qui me voit a vu aussi le Père. Comment peux-tu dire : montre-nous le Père .? » (Jean XIV, 9).
Il avait encore beaucoup de choses à dire, mais les siens ne pouvaient pas les porter ; et c’est pourquoi il leur annonce, l’envoi de l’Esprit-Saint, qui procède du Père et qui demeurera toujours avec eux : « Quand le consolateur, l’Esprit de vérité sera venu, il vous enseignera toute la vérité. Car il ne parlera pas de lui-même ; mais il dira tout ce qu’il aura entendu et il vous révélera les choses à venir. » (Jean, XVI, 12-13). La mission de l’Esprit-Saint achèvera et consommera la mission du Verbe incarné, quant à l’enseignement de l’humanité en marche vers son salut dans l’Église ; Mais cet Esprit glorifiera le Fils de Dieu, « parce que, dit Jésus, il prendra de ce qui est à moi et il vous l’annoncera. Tout ce que le Père a est à moi, C’est pourquoi j’ai dit qu’il prendra de ce qui est à moi et qu’il vous l’annoncera. » (Jean, XVI, 14-15). L’Esprit-Saint poursuivra son oeuvre dans la lumière du Verbe, et ce sont encore les paroles du Maître que nous entendrons dans l’effusion de l’Esprit.
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Avec Marie, agenouillons-nous, aux pieds du Seigneur pour écouter sa voix, dans le silence et le recueillement de notre âme ; car « une seule chose est nécessaire, et Marie a choisi la bonne part, qui ne lui sera point enlevée. » (Luc., X, 42).
Gabriel HUAN.