UN DIEU VULNÉRABLE

http://www.devenirunenchrist.net/articles/articlesasso/fragilitedossier/dieuvulnerable.html

UN DIEU VULNÉRABLE

Suis-je capable d’accueillir avec le Christ un Dieu qui se fait lui-même fragilité, qui doute, semble reculer devant sa Passion (cf. Matthieu 26, 39 ; Marc 14, 36 ; Luc 22, 42) et meurt sur une croix ? « En s’incarnant, en prenant la condition d’esclave jusqu’à la mort et la mort sur la croix, dans ce mouvement de kénose1 qu’évoque l’apôtre Paul dans l’hymne aux Philippiens, Dieu se cache dans la faiblesse d’un corps livré. Ce n’est pas une nouvelle identité de Dieu, c’est la révélation de ce qu’elle a toujours été dès l’origine : la puissance d’amour, créatrice de vie2 . »
À travers cette figure d’un Christ fragile, quelque chose nous est dit de la fragilité de son Père : « Le Christ, dans sa souffrance, nous a révélé Dieu comme celui qui se laisse toucher, qui n’est pas indifférent », déclare Bernard Ugeux (p. 70). N’est-ce pas tout le message de la vie terrestre de Jésus ? « Le Christ s’est laissé toucher par la souffrance du monde. Il a partagé notre souffrance et a déclaré : “Qui me voit, voit le Père” (Jean 14, 9). Donc, quand Jésus pleure sur Jérusalem, le Père pleure sur Jérusalem. La souffrance du Christ sur la croix, loin d’atténuer le scandale de l’impassibilité du Père, semblerait plutôt l’accroître » (idem, p. 67).
C’est cette même figure d’un Dieu fragile qui avait été révélée à Élie : « Et voilà que Dieu passa. Il y eut un grand ouragan, si fort qu’il fendait le montagnes et brisait les rochers, en avant de Dieu, mais Dieu n’était pas dans l’ouragan ; et après l’ouragan un tremblement de terre, mais Dieu n’était pas dans le tremblement de terre ; et après le tremblement de terre un feu, mais Dieu n’était pas dans le feu ; et après le feu, le bruit d’une brise légère. Dès qu’Élie l’entendit, il se voila le visage avec son manteau, il sortit et se tint à l’entrée de la grotte » (1 Rois 19, 11-13).
On peut même parfois être décontenancé par une telle vision de Dieu. C’est de dont témoigne Bernard Ugeux dans une interview donnée au journal La Vie : « J’ai dû aussi accepter l’impuissance de Dieu. Ce Dieu par qui l’homme qui souffre se sent si souvent abandonné, ou bien puni injustement. Ce Dieu dont on demande pourquoi il ne fait rien, s’il est Dieu. Dans le cadre de mon travail de prêtre, cette révolte systématique des victimes, souvent teintée de culpabilité, m’a énormément perturbé. C’est au moment où on est le plus fragile, et où on a le plus besoin de Dieu, qu’on s’en méfie en lui imputant tous nos maux !
C’est pourquoi la fragilité humaine nous contraint à un travail crucial de déminage des images : Dieu n’est pas tout-puissant, on lui prête un pouvoir dont il n’a jamais voulu ! Il ne peut pas manipuler les choses, il ne sait que s’offrir. Or se laisser aimer, se recevoir d’un autre, c’est ce qu’il y a de plus difficile au monde – nous sommes hautement responsables de l’amour que nous donnons aux autres, mais jamais de la façon dont ils le reçoivent, en vivent et s’en réjouissent, ou pas. Si pourtant nous nous laissons aimer par Dieu, il peut faire des choses extraordinaires. Mais cela requiert notre collaboration et notre consentement. “Quand je suis faible, c’est alors que je suis fort”, dit saint Paul, parce qu’alors je donne au Seigneur l’espace pour qu’il puisse agir. Accepter le trésor d’être aimé, c’est là qu’est le salut, bien plus que dans la guérison » (11 décembre 2008, p. 44-45).
Maurice Zundel professait de même : « Si je pouvais résumer toute ma foi elle est vraiment là… je crois à la fragilité de Dieu parce que, s’il n’y a rien de plus fort que l’amour, il n’y a rien de plus fragile. Dieu est fragile, c’est la donnée la plus émouvante, la plus bouleversante, la plus neuve et la plus essentielle de l’Évangile. Un Dieu fragile remis entre nos mains 3… »
Pour poursuivre notre méditation, on peut relire à cette lumière l’épisode du fils prodigue (Luc 15, 11-32) qui nous révèle l’image d’un Dieu vulnérable : « “Comme il était encore loin, son Père l’aperçut…” (Luc 15, 20). Une nouvelle fois, revenons à ce magnifique personnage qu’est le père de l’enfant prodigue. Le Christ vulnérable nous montre la vulnérabilité du Père. Cœur du Père qui t’attend avec une infinie patience, qui t’espère plus que tout, totalement désarmé. Cœur du Père qui ne peut te forcer à l’aimer sans se renier. Vulnérabilité absolue de Père qui “s’use les yeux” à guetter ta venue4 » (Denis Trinez, p. 85).

1 La kénose est une notion de théologie chrétienne exprimée par un mot grec provenant de l’Épître aux Philippiens : « (Le Christ), étant dans la forme de Dieu, n’a pas usé de son droit d’être traité comme un Dieu, mais il s’est dépouillé (ekenôsen) prenant la forme d’esclave. Devenant semblable aux hommes et reconnu comme un homme, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, à la mort sur une croix » (Philippiens 2, 6-7). La kénose désigne le mouvement d’abaissement par lequel Jésus s’est dépouillé de ses attributs divins pour rejoindre notre humanité jusqu’à vivre l’obéissance totale et la mort sur la croix.
2 P. Dominique Cupillard, « La faiblesse de Dieu », Christus 178, 1998, p. 149 (cité par Denis Trinez, p. 83-84).
3 Maurice Zundel, Un autre regard sur l’homme, Le Sarment-Fayard, Paris, 196, p. 125 (cité par Denis Trinez, p. 88)
4 Paul Baudiquey, Pleins signes, Cerf, Paris, 1986, p. 116.

Laisser un commentaire