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UN DIEU VULNÉRABLE
5 novembre, 2014http://www.devenirunenchrist.net/articles/articlesasso/fragilitedossier/dieuvulnerable.html
UN DIEU VULNÉRABLE
Suis-je capable d’accueillir avec le Christ un Dieu qui se fait lui-même fragilité, qui doute, semble reculer devant sa Passion (cf. Matthieu 26, 39 ; Marc 14, 36 ; Luc 22, 42) et meurt sur une croix ? « En s’incarnant, en prenant la condition d’esclave jusqu’à la mort et la mort sur la croix, dans ce mouvement de kénose1 qu’évoque l’apôtre Paul dans l’hymne aux Philippiens, Dieu se cache dans la faiblesse d’un corps livré. Ce n’est pas une nouvelle identité de Dieu, c’est la révélation de ce qu’elle a toujours été dès l’origine : la puissance d’amour, créatrice de vie2 . »
À travers cette figure d’un Christ fragile, quelque chose nous est dit de la fragilité de son Père : « Le Christ, dans sa souffrance, nous a révélé Dieu comme celui qui se laisse toucher, qui n’est pas indifférent », déclare Bernard Ugeux (p. 70). N’est-ce pas tout le message de la vie terrestre de Jésus ? « Le Christ s’est laissé toucher par la souffrance du monde. Il a partagé notre souffrance et a déclaré : “Qui me voit, voit le Père” (Jean 14, 9). Donc, quand Jésus pleure sur Jérusalem, le Père pleure sur Jérusalem. La souffrance du Christ sur la croix, loin d’atténuer le scandale de l’impassibilité du Père, semblerait plutôt l’accroître » (idem, p. 67).
C’est cette même figure d’un Dieu fragile qui avait été révélée à Élie : « Et voilà que Dieu passa. Il y eut un grand ouragan, si fort qu’il fendait le montagnes et brisait les rochers, en avant de Dieu, mais Dieu n’était pas dans l’ouragan ; et après l’ouragan un tremblement de terre, mais Dieu n’était pas dans le tremblement de terre ; et après le tremblement de terre un feu, mais Dieu n’était pas dans le feu ; et après le feu, le bruit d’une brise légère. Dès qu’Élie l’entendit, il se voila le visage avec son manteau, il sortit et se tint à l’entrée de la grotte » (1 Rois 19, 11-13).
On peut même parfois être décontenancé par une telle vision de Dieu. C’est de dont témoigne Bernard Ugeux dans une interview donnée au journal La Vie : « J’ai dû aussi accepter l’impuissance de Dieu. Ce Dieu par qui l’homme qui souffre se sent si souvent abandonné, ou bien puni injustement. Ce Dieu dont on demande pourquoi il ne fait rien, s’il est Dieu. Dans le cadre de mon travail de prêtre, cette révolte systématique des victimes, souvent teintée de culpabilité, m’a énormément perturbé. C’est au moment où on est le plus fragile, et où on a le plus besoin de Dieu, qu’on s’en méfie en lui imputant tous nos maux !
C’est pourquoi la fragilité humaine nous contraint à un travail crucial de déminage des images : Dieu n’est pas tout-puissant, on lui prête un pouvoir dont il n’a jamais voulu ! Il ne peut pas manipuler les choses, il ne sait que s’offrir. Or se laisser aimer, se recevoir d’un autre, c’est ce qu’il y a de plus difficile au monde – nous sommes hautement responsables de l’amour que nous donnons aux autres, mais jamais de la façon dont ils le reçoivent, en vivent et s’en réjouissent, ou pas. Si pourtant nous nous laissons aimer par Dieu, il peut faire des choses extraordinaires. Mais cela requiert notre collaboration et notre consentement. “Quand je suis faible, c’est alors que je suis fort”, dit saint Paul, parce qu’alors je donne au Seigneur l’espace pour qu’il puisse agir. Accepter le trésor d’être aimé, c’est là qu’est le salut, bien plus que dans la guérison » (11 décembre 2008, p. 44-45).
Maurice Zundel professait de même : « Si je pouvais résumer toute ma foi elle est vraiment là… je crois à la fragilité de Dieu parce que, s’il n’y a rien de plus fort que l’amour, il n’y a rien de plus fragile. Dieu est fragile, c’est la donnée la plus émouvante, la plus bouleversante, la plus neuve et la plus essentielle de l’Évangile. Un Dieu fragile remis entre nos mains 3… »
Pour poursuivre notre méditation, on peut relire à cette lumière l’épisode du fils prodigue (Luc 15, 11-32) qui nous révèle l’image d’un Dieu vulnérable : « “Comme il était encore loin, son Père l’aperçut…” (Luc 15, 20). Une nouvelle fois, revenons à ce magnifique personnage qu’est le père de l’enfant prodigue. Le Christ vulnérable nous montre la vulnérabilité du Père. Cœur du Père qui t’attend avec une infinie patience, qui t’espère plus que tout, totalement désarmé. Cœur du Père qui ne peut te forcer à l’aimer sans se renier. Vulnérabilité absolue de Père qui “s’use les yeux” à guetter ta venue4 » (Denis Trinez, p. 85).
1 La kénose est une notion de théologie chrétienne exprimée par un mot grec provenant de l’Épître aux Philippiens : « (Le Christ), étant dans la forme de Dieu, n’a pas usé de son droit d’être traité comme un Dieu, mais il s’est dépouillé (ekenôsen) prenant la forme d’esclave. Devenant semblable aux hommes et reconnu comme un homme, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, à la mort sur une croix » (Philippiens 2, 6-7). La kénose désigne le mouvement d’abaissement par lequel Jésus s’est dépouillé de ses attributs divins pour rejoindre notre humanité jusqu’à vivre l’obéissance totale et la mort sur la croix.
2 P. Dominique Cupillard, « La faiblesse de Dieu », Christus 178, 1998, p. 149 (cité par Denis Trinez, p. 83-84).
3 Maurice Zundel, Un autre regard sur l’homme, Le Sarment-Fayard, Paris, 196, p. 125 (cité par Denis Trinez, p. 88)
4 Paul Baudiquey, Pleins signes, Cerf, Paris, 1986, p. 116.
MAIS CE TRÉSOR, NOUS LE PORTONS DANS DES VASES D’ARGILE. » (2 CO 4, 7)
5 novembre, 2014http://paroledevie.free.fr/adultes/index.php?date0=0301
MAIS CE TRÉSOR, NOUS LE PORTONS DANS DES VASES D’ARGILE. » (2 CO 4, 7)
Quelques textes
pour approfondir la parole de vie
Le commentaire de Chiara Lubich:
Impressionnés par les prédicateurs de leur époque, les chrétiens de Corinthe avaient tendance à leur comparer l’apôtre Paul, un homme simple, fragile et physiquement éprouvé, qui renonçait aux grandes phrases suggérées par la sagesse humaine1. C’est pourtant à lui que, sur la route de Damas, Jésus s’était pleinement révélé, en l’invitant à faire connaître sa lumière à tous les hommes2. Paul était bien le premier à se rendre compte de l’écart entre la grandeur de sa mission et la faiblesse de sa propre personne : un trésor placé dans un pauvre vase de terre cuite.
Bien souvent, nous faisons le même constat : notre pauvreté, notre insuffisance, notre impuissance devant des situations qui nous dépassent. Nous percevons notre tendance au mal, et la difficulté à y résister à cause de la faiblesse de notre volonté. Comme Paul, nous nous sentons des vases d’argile.
Et ces faiblesses, ces fragilités, nous les décelons chez les personnes qui nous entourent, en famille, dans la communauté ou le groupe dont nous faisons partie. Tout particulièrement pendant ce mois où l’on célèbre la semaine de prière pour l’unité des chrétiens, nous ressentons douloureusement le fait que, malgré le trésor que Dieu nous a donné, nous n’avons pas réussi à vivre en unité.
« Mais ce trésor, nous le portons dans des vases d’argile. »
À regarder les vases d’argile que nous sommes, nous pourrions perdre courage. Mais ce qui a de la valeur – et sur quoi nous voulons porter toute notre attention – c’est le trésor que nous portons en nous ! Paul, lui, savait que son vase d’argile était habité par la lumière du Christ3, ce qui lui donnait l’audace de tout oser pour la diffusion de son Royaume. Comme chrétiens, nous portons, nous aussi un trésor infini : la sainte Trinité. En regardant en nous, nous pouvons découvrir une immensité, un soleil divin au fond de nous. Autour de nous, au-delà du « vase d’argile » qui nous saute aux yeux chez les autres, découvrons aussi le trésor qui est en eux. Allons ainsi au-delà de l’apparence. La lumière de la Trinité qui habite en nous, rappelle Jean Paul II, « doit être aussi perçue sur le visage des frères qui sont à nos côtés »4.
« Mais ce trésor, nous le portons dans des vases d’argile. »
Cette Parole de Vie nous est adressée. À nous tous. « Les chrétiens doivent faire connaître ensemble ce trésor qui resplendit glorieux dans le visage du Ressuscité. »5 Mais il nous faut entrer en communion avec lui pour prendre conscience de la richesse que nous possédons. Oui, nous pouvons apprendre à vivre avec la sainte Trinité, jusqu’à nous perdre en elle. Oui, nous pouvons établir un rapport personnel avec chacune des trois Personnes divines, le Père, le Fils et l’Esprit Saint, afin que ce soit Dieu lui-même qui vive et agisse en nous.
Le Père est en nous, présent dans notre vase d’argile. Nous pouvons nous décharger sur lui de tous nos soucis comme nous le suggère l’apôtre Pierre6. À un père on se confie en pleine confiance. Un père est un soutien, une certitude pour son fils qui, comme un enfant, se jette avec insouciance dans ses bras.
Le Fils est lui aussi au fond de nous. Le Verbe incarné, Jésus, vit en nous. Nous l’aimons partout où il est présent : dans l’Eucharistie, dans la Parole, quand nous sommes unis en Son nom, dans le pauvre, dans l’autorité qui le représente… au plus profond de notre cœur. Nous pouvons même apprendre à l’aimer dans nos limites, nos faiblesses, nos échecs, parce qu’il a assumé notre faiblesse et notre fragilité, sans être lui-même pécheur. Jésus, Verbe incarné, qui a tout partagé avec nous, peut nous soutenir dans toutes les épreuves de la vie, en nous suggérant comment les dépasser, afin de nous redonner lumière, force et paix. Et à l’Esprit Saint, nous nous confions avec assurance, comme à un autre nous-mêmes. Il nous répond toujours quand nous l’invoquons et nous suggère des paroles de sagesse. Il nous réconforte, nous soutient, nous aime comme un véritable ami, en nous donnant la lumière.
Que voulons-nous de plus ? Un seul Amour a pris place dans notre cœur : c’est notre trésor. Le vase d’argile, chez nous comme chez les autres, ne nous découragera plus. Il nous rappellera simplement que la lumière et la vie que Dieu veut dégager en nous et autour de nous n’est pas tant le fruit de nos capacités humaines que l’effet de sa présence à l’œuvre en nous, si on sait la reconnaître et l’aimer.
Alors, comme Paul, nous pourrons nous aussi tout oser pour le Royaume de Dieu, et tendre plus fortement à une communion pleine et visible entre les chrétiens, afin de pouvoir répéter comme lui : « Mais ce trésor, nous le portons dans des vases d’argile, pour que cette incomparable puissance soit de Dieu et non de nous » (2 Co 4, 7).