ABBÉ G. CHARDON « MÉMOIRES D’UN ANGE GARDIEN » (1868)

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ABBÉ G. CHARDON « MÉMOIRES D’UN ANGE GARDIEN »

CLERMONT-FERRAND, LIBRAIRIE CATHOLIQUE, .

CHAPITRE L : LA CORBEILLE

Quand, matin et soir, les membres de la famille étaient à genoux, ne formant qu’une âme et qu’un cœur, pour prier Dieu, nous étions, nous aussi, prosternés en adoration (1).
Nous unissions nos accents à ce beau mélange de voix graves et enfantines. Aucun ne manquait à la pieuse couronne. L’ange même de celui qui dormait dans son berceau se joignait à nous et priait pour son petit frère (2).
Les démons cherchaient à troubler le saint exercice. Ils venaient se poser sur la tête, sur la bouche, sur les yeux de nos amis. C’était alors, ou la fatigue, ou le sommeil, ou le dégoût, ou de folles imaginations qui arrêtaient l’action du cœur. Nous chassions les tentateurs et la ferveur reparaissait (3).
Nous recueillions avec un grand soin les prières. Elles étaient pour nous comme des fleurs qui naissaient dans l’âme et s’épanouissaient au dehors par la parole. Nous en formions une corbeille.
Celles qui n’avaient été effeuillées par aucune distraction, ni souillées par aucun sentiment profane, celles qui étaient fraîches et pures, intactes et complètes, obtenaient la place d’honneur.
Pour relever l’éclat de ces fleurs cueillies dans les vallées de l’exil, nous en empruntions de plus riches aux jardins de la patrie. Les fleurs du ciel venaient se marier aux fleurs de la terre et leur communiquaient leurs émanations et leurs beautés (4).
Comblés des biens de la gloire, nous n’avions rien à demander pour nous. Avec quelle joie nous demandions pour ceux qui nous étaient chers ! Nous éprouvions un égal besoin de louer en notre nom et de prier au nom de nos frères. Leurs infirmités, leurs douleurs, leurs périls devenaient notre partage. Par un échange touchant, l’amour nous donnait leurs misères et leur conférait nos privilèges.
Embellie par notre ferveur et soutenue par nos mains, la corbeille était acceptée, comme venant de nos amis, et leur obtenait les faveurs qu’ils désiraient (5).
Quand, trois fois le jour et plus souvent, ils se tournaient vers Marie et la saluaient par les paroles de Gabriel, à nous de recueillir les pieux Ave et de les offrir.
Marie s’inclinait avec l’expression d’un tendre amour. Elle retrouvait pour cette ambassade venue de la terre le sourire qu’elle eut jadis pour celle du ciel. Elle accueillait l’humble enfant, comme elle accueillit le glorieux archange. Son émotion était celle qu’elle éprouva au jour où il lui fut annoncé qu’elle allait être la mère de son Dieu.

1. Saint Nil, De la prière. – Louis de Blois, Appendice de la Vie ascétique.
2. Saint Bernard, Méditations, chap. VI.
3. Saint Thomas de Villeneuve, Sur les Anges. – Vie de saint Macaire d’Egypte, Boll.
4. Saint Jean Climaque, Echelle du ciel.
5. Saint Thomas de Villeneuve, Sur les Anges. – Vies de sainte Dorothée, de saint Arrigius, de saint Annowaredh, Boll.

Chapitre LXIX : Les Anges supérieurs
Notre ministère d’anges gardiens n’avait point suspendu nos relations avec nos frères du ciel. Il les avaient rendues, au contraire, plus fréquentes. Nous devions recourir à leur médiation non plus pour nous seuls, mais encore pour les âmes que nous conduisions (1).
Dans cette vaste hiérarchie que Dieu forma parmi les esprits, la grâce est transmise des plus élevés aux inférieurs. Le Rédempteur en est le principe. Elle coule de son cœur au cœur de Marie, descend par les séraphins, les chérubins, les Trônes, les Dominations, les Vertus, les Puissances, les Principautés, les Archanges, les Anges, et arrive jusqu’à l’homme (2).
Tout se lie dans cette sublime intendance ; et c’est de la sorte que nous formons la vivante Providence de Dieu.
Les hommes considèrent avec admiration la source d’où émane la grâce et en voient jaillir la beauté, la vie, le salut. Mais songent-ils au brillant canal par lequel arrivent ces eaux fécondes ?
Quel ravissement pour le père de famille, le jour où il aperçut cette immense chaîne dont le premier anneau était au cœur de Dieu et le dernier dans la main que lui tendait son bon ange (3) !
Sans ces relations de la terre et du ciel, que deviendraient les hommes ?
Pour s’emparer des âmes qu’il assiège, le démon n’aurait pas besoin de violents assauts. La stérilité et la famine les lui auraient bientôt livrées.
Bannir les anges du monde inférieur serait le dépouiller de sa gloire et de ses ornements. Au lieu de resplendir de lumière et de vie, il n’aurait en partage que les ténèbres et la mort. Les hommes cesseraient les magnifiques ascensions auxquelles président les purs esprits, et ne songeraient qu’à s’ensevelir dans les profondeurs de la matière (4).
Sans les anges, le monde inférieur n’aurait ni poésie, ni grandeur, et nulle part on ne pourrait y saluer l’espérance. Il le sait bien celui qui sème partout le rationalisme flétrissant que respirent un si grand nombre d’âmes. Il ne détruit point les réalités spirituelles et surnaturelles, mais il en dérobe la vue et empêche les cœurs de s’y élever.

1. Saint Denis, De la Hiérarchie céleste, ch. III et V. – Saint Thomas, Des Anges, quest. 107 et 111.
2. Nicétas Choniate, Trésor de la vraie foi, livre 2, ch. LX.
3. Saint Hilaire, Comm. Sur le Ps. 118.
4. Saint Clément d’Alexandrie, Stromates, 4. – Saint Ambroise, Comm. sur saint Luc.

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