Icône de la Sainte Communion – «Recevez le Corps du Christ; goûter à la fontaine de l’immortalité ».
18 septembre, 2014
Icon of Holy Communion – « Receive ye the Body of Christ; taste the Fountain of Immortality ».
Icon of Holy Communion – « Receive ye the Body of Christ; taste the Fountain of Immortality ».
http://www.esprit-et-vie.com/article.php3?id_article=232
JOSEPH RATZINGER
LA FILLE DE SION. CONSIDÉRATIONS SUR LA FOI MARIALE DE L’ÉGLISE
P. FRANCIS DE CHAIGNON
Traduction, présentation et annotations par Sophie BINGELLI, Paris, Éd. Parole et Silence, coll. « Cahiers de l’École Cathédrale », n° 55, 2002.
Esprit & Vie n°72 / décembre 2002 – 2e quinzaine, p. 13-14.
Ce récent Cahier de l’École Cathédrale est la traduction de trois conférences de théologie mariale données en 1975 par Joseph RATZINGER, peu avant sa nomination comme archevêque de Munich (le texte allemand en avait été publié deux ans plus tard puis réédité en 1990).
L’auteur évalue, tout d’abord, la situation de la mariologie dans la théologie catholique et propose comme piste de réflexion de rechercher « dans l’Ancien Testament les éléments par lesquels le Nouveau Testament interprète théologiquement la figure de Marie ». Il s’agit de trois motifs vétérotestamentaires qui dessinent une théologie de la femme : la figure d’Ève, les figures de mères (fécondes ou stériles), les figures de femmes salvatrices (telles Déborah, Judith, Esther). À travers ces motifs s’élabore, en fait, une théologie du peuple que ces femmes incarnent et donc une théologie de l’Alliance ; nous accédons de la sorte à la révélation de Dieu lui-même. Dans les textes plus tardifs apparaît la figure de la sagesse, présentée comme créature de Dieu et pure réponse à son action. Or, cette figure de la sagesse demande à être réinterprétée, non seulement, de façon christologique mais également de façon mariale. La sagesse trouve son accomplissement à la fois dans le Christ, Verbe incarné, et dans l’accueil fécond de cette Parole en Marie.
Il est ainsi clairement montré que « la figure de la femme est indispensable à la cohérence de la foi biblique » (p. 43). Or, un tel principe trouve sa réalisation personnelle en Marie. Sans elle, sans le caractère marial de la foi, la création est niée, la grâce ne respecte pas la liberté humaine, le Dieu de l’Alliance est méconnu.
Le deuxième chapitre s’intéresse alors à la foi mariale de l’Église. Certes, les dogmes mariaux ne peuvent être déduits de textes isolés du Nouveau Testament. Mais ce que le premier chapitre a établi nous permet de comprendre que ces dogmes expriment l’unité de l’Ancien et du Nouveau Testament, grâce au recours à l’exégèse typologique. Sans cela, nous l’avons vu, on dissocie l’unité de l’Écriture et l’on compromet la vérité de la création et de la grâce. Nous pouvons donc voir dans la mariologie un critère d’équilibre de la théologie.
L’auteur vérifie cela sur chacun des trois dogmes mariaux fondamentaux : la maternité virginale, la conception immaculée, l’Assomption. Concernant le premier dogme, il convient de rappeler que, d’une part, l’incarnation de Dieu en Jésus-Christ a nécessairement une signification mariologique et que, d’autre part, la maternité divine de Marie a nécessairement une signification christologique (on sera attentif ici à la note 26, p. 94, qui constitue une retractatio de la position tenue par l’auteur dans Foi chrétienne hier et aujourd’hui, paru en 1969, et qui ne soulignait pas avec assez de précision la correspondance profonde entre la conception virginale et l’affirmation que la personne du Christ est celle du Fils de Dieu, de sorte que Jésus n’a que Dieu pour Père). Cette réflexion sur une vérité très contestée saisit le lien entre le biologique et le spirituel, par-delà nos tentations de les dissocier. D’ailleurs, note l’auteur, le nœud du refus de la conception virginale n’est pas, en dernier ressort, celui de l’historicité des récits évangéliques mais un présupposé implicite, une vision du monde et de Dieu qui interdit à ce dernier, au nom de notre raison scientifique, d’intervenir dans le monde. Mais c’est là régresser à une philosophie païenne…
La conception immaculée, quant à elle, éclaire la compréhension catholique de la grâce. Il n’y a pas opposition entre la Parole de Dieu et l’homme, ni irruption purement verticale, il y a un dialogue, une réponse et une correspondance. À la question du fondement scripturaire d’une telle affirmation dogmatique, il faut à nouveau répondre par le recours à la typologie. Or, ce type n’est pas abstrait mais se réalise dans une personne, celle de Marie. On lira avec soin les pages pénétrantes (spécialement p. 75-77) qui relient la question de l’immaculée conception à celle du péché originel, lui aussi intelligible uniquement grâce au recours à la typologie, à la suite de saint Paul. Dans un cas comme dans l’autre, on n’accède au fait que par la typologie qui unit Ancien et Nouveau Testament.
La dogmatisation de l’Assomption, enfin, est à comprendre comme l’acte le plus haut de vénération de Marie reflétant à nouveau l’unité des Testaments et la réalisation personnelle en Marie de ce que l’Église attend pour elle-même : la victoire définitive sur la mort, la participation de tous et de chacun non seulement à la Résurrection mais aussi à l’Ascension du Christ.
On l’aura compris, ces pages lumineuses sont d’une réelle pénétration théologique. Si elles demandent au lecteur d’être un tant soit peu familiarisé avec les grands thèmes de la théologie mariale, elles ne sont pas excessivement ardues. On regrettera seulement que la traduction soit souvent trop proche du texte allemand, d’où des obscurités qu’une réécriture aurait dû dissiper. Notons l’originalité de l’introduction qui met en perspective les propos de Joseph RATZINGER et l’anthropologie d’Edith STEIN. La troisième annexe, qui est le texte de la « Déclaration christologique commune entre l’Église catholique et l’Église assyrienne de l’Orient », datée du 11 novembre 1994, pourra surprendre. Elle n’est accompagnée d’aucun commentaire.
http://cahierslibres.fr/2014/04/resurrection-jesus-etait-necessaire-notre-salut/
LA RÉSURRECTION DE JÉSUS ÉTAIT-ELLE NÉCESSAIRE À NOTRE SALUT?
AUTHOR JM Castaing DATE 22 avril 2014
En quoi sommes-nous concernés par la résurrection du Christ ?
Si la Croix nous sauve, pourquoi la résurrection est-elle nécessaire à notre salut? A Pâques, nous nous réjouissons du sort final du Crucifié, soit. Mais en quoi sa levée d’entre les morts affecte-t-elle nos destinées? Jésus a-t-il fourni des indications à ce sujet? Sa prédication fait-elle explicitement mention du lien de cause à effet entre sa résurrection et notre rédemption? Certes, devant ses disciples, il a prédit sa mort et sa résurrection avant qu’elles ne surviennent. Mais quel lien établir entre sa victoire sur la mort et son enseignement au sujet de son Royaume? Les évangiles sont-il si clairs que cela sur la liaison nécessaire entre sa victoire sur la mort et son message concentré sur l’amour?
Interrogations d’ autant plus cruciales que pour beaucoup de chrétiens, le message de l’Evangile ne perdrait rien de sa force ni de son actualité si on lui retirait l’annonce de la résurrection de Jésus. Que leur répondre? Comment concilier cette minoration de l’événement de la résurrection avec son intégration dans le Credo de l’Eglise? Comment dire aujourd’hui, avec des mots compréhensibles par tous, la dimension de révélation et de rédemption de la Résurrection? Est-elle un mythe? Ou bien un événement facultatif, appelé à le céder en importance à l’enseignement de Jésus? Sinon, comment s’intègre-t-elle à son message d’amour? Est-ce vital d’y croire? Autant de questions sur lesquelles les fêtes pascales ne peuvent faire l’impasse.
Un Royaume sans résurrection de Jésus est-il possible ?
Jésus, en tant que personnage historique, a prêché le Royaume. L’Eglise, née de sa résurrection d’entre les morts, prêche, de son côté, la mort et la Résurrection de son fondateur. Comment expliquer cette différence ? Le Royaume annoncé par le rabbi galiléen a-t-il partie liée avec sa Pâque vécue à Jérusalem, que nous célébrons ces jours-ci ? Jésus a-t-il compris sa propre résurrection comme une donnée essentielle du Royaume dont il était le héraut ? Ou bien existe-t-il un « plus » dans le kérygme de l’Eglise, c’est à dire dans la proclamation de l’événement pascal, du Christ ressuscité, par rapport à la prédication du Jésus historique?
Pour répondre à ces questions, il est important de préciser au préalable que nous n’avons accès au Jésus historique que grâce à la médiation de l’Eglise. Celle-ci naît à cause de la Résurrection. Si Jésus n’était pas sorti vainqueur du séjour des morts, il n’existerait pas de communauté se réclamant de lui – ou bien elle n’aurait pas duré bien longtemps. Ainsi l’Eglise, avant de prêcher comme l’avait fait le prophète itinérant de Nazareth, avant de reprendre son enseignement, a d’abord annoncé au monde que le Crucifié était ressuscité. Il y allait de l’attestation de son acte de naissance.
Ceci étant établi, existe-t-il un rapport entre le Royaume prêché par Jésus durant sa vie terrestre et le mystère pascal ? La prédication du Jésus terrestre, telle que les évangiles la transmettent, la proclamation du Royaume, est-elle l’annonce, plus implicite qu’explicite, de la Résurrection? Comment la vie et les paroles du Galiléen constituent-t-elles une prophétie de ce qui lui arrivera à Jérusalem au terme de son existence ?
L’Eglise n’a compris Jésus que rétrospectivement
En écrivant le récit de l’existence du Nazaréen à la lumière de sa Pâque, l’Eglise a compris que sa vie tout entière était une parabole de la Résurrection qui allait le toucher. Un exemple: quand les écrivains inspirés relatent tel miracle de Jésus, telle guérison opérée par ses soins (recouvrement de la vue par un aveugle, guérison d’un boiteux, d’un lépreux), c’est un signe de la Résurrection qu’ils donnent à voir aux destinataires de leurs écrits. Un malade alité se relève: le verbe décrivant le rétablissement en lui de la station debout sera le même que celui par lequel les évangiles rendent compte de la levée de Jésus d’entre les morts. Aussi la proclamation « en actes » du Royaume par le Jésus historique est-elle déjà, à ce niveau, proclamation de la Résurrection.
Cette interprétation des actions de Jésus n’est pas l’effet d’une relecture tendancieuse de la part de l’Eglise. Les disciples ne connaissaient pas en effet, durant leur compagnonnage avec le rabbi galiléen, la notion de résurrection individuelle. Ils ne la découvriront qu’à la faveur de celle de Jésus. En effet, au premier siècle, la croyance en la résurrection ne concernait que le peuple pris en son intégralité, non les individualités prises séparément. La résurrection collective était reportée à la fin des temps pour les courants du judaïsme qui la confessaient. Or voici que celle de Jésus arrive en plein milieu de l’histoire!
Aussi, si les disciples ont compris les guérisons de Jésus comme des signes de sa propre résurrection, ce n’est qu’a posteriori, après qu’il se fût levé d’entre les morts. Cependant cela ne signifie pas qu’ils aient forcé leur interprétation des miracles opérés par Jésus, qu’ils aient « tordu » les faits afin de leur faire dire leur propre version des événements. C’est le processus inverse qui a présidé à la rédaction des évangiles. La Résurrection de Jésus a décidé de l’interprétation de sa vie publique.
Le désir des fidèles, que les récits évangélistes représentent toujours dans l’erreur et le malentendu durant le séjour terrestre du Christ, tout concentré qu’il était sur l’établissement d’un royaume messianique terrestre, n’est pour rien dans cette juste interprétation. Seul l’Esprit Saint descendu sur eux leur dessillera les yeux au sujet de la signification des actes posés par Jésus, et plus globalement de sa vie et de sa mort. Ce que Jésus est devenu (le Ressuscité) a ouvert les yeux aux disciples sur ses intentions véritables: nous ressusciter en Eglise. nous ressusciter comme enfants de Dieu.
Lorsque Jésus guérit un malade, ce n’est pas l’écrivain, avec son génie religieux propre, qui nous donne la signification de ce miracle, c’est la Résurrection qui nous en livre la clef d’interprétation. Les miracles de Jésus l’ont prophétisée. Ainsi, si le miracle est guérison pour nous, la Résurrection l’est-elle pareillement. Elle nous concerne très directement! La Croix n’est pas seule à nous sauver. L’établissement du Royaume passe bien par la Résurrection. Celle-ci n’est pas une case facultative dans le jeu de l’oie du chrétien.
« Passer de la mort à la vie »: un slogan aussi pompeux que vide ?
Si la Résurrection de Jésus est si importante pour nous, si elle ne représente pas une croyance superfétatoire, c’est que notre résurrection comme enfants de Dieu s’appuie sur ce que Jésus est depuis toujours, et que sa relève d’entre les morts a consacré tout en le portant à notre connaissance: le Fils éternel du Père. Ainsi se rejoignent l’enseignement de Jésus et sa victoire sur la mort. Ne nous a-t-il pas appris à prier Dieu comme « Notre Père »? Jésus veut faire de nous des fils du Père, ce qu’il est lui-même. A cette fin, nous devons passer de la mort à la vie, de l’égoïsme à l’amour, c’est à dire, en langage chrétien, ressusciter.
Mais, dira-t-on, Jésus n’a pas eu, quant à lui, à passer de l’égoïsme à la charité. Que signifie alors, pour nous, ce mouvement de la mort à la vie? Ce passage est-il la voie obligée pour devenir enfant de Dieu? Quant à Jésus, était-il dans la nécessité de le franchir lui aussi? Pourquoi? Tout simplement parce que le Christ a pris sur lui notre condition afin de la faire entrer dans la vie divine. Sur le Calvaire, le Christ a porté le « vieil homme » pour le transformer en lui-même, en mettant l’amour et le pardon là nous mettions la haine et la rancune. Aussi est-ce notre condition humaine qui ressuscite trois jours plus tard, c’est à dire nous tous – à condition de l’accepter dans la foi. Comme premier de cordée, le Christ a élagué le chemin (de la mort à la vie) en l’empruntant le premier. Non pour son propre plaisir, mais afin de faire traverser la nature humaine (que le Fils éternel a assumée) la mort en direction de la vie divine, en la faisant mourir à l’égoïsme et au ressentiment.
En nous enseignant l’amour des ennemis, en le mettant lui-même en pratique, Jésus nous montre par quelle voie nous passons de la mort à la vie: en faisant de nos existences une Pâque continuelle, c’est à dire des passages (« Pâque » signifiant « passage ») du repliement sur soi à l’amour. A cette fin nous devons passer par des transformations, intérieures et spirituelles au début, et qui affecteront ensuite nos comportements. Telle est la raison pour laquelle la fête que nous célébrons à Pâques est en lien profond, intrinsèque, avec l’ enseignement du Maître des Béatitudes. Cette voie est coûteuse. Coûteuse en effet est la voie qui conduit au pardon, à l’acceptation de l’autre, à l’amour oblatif, désintéressé. Celui qui soutiendrait le contraire ne connaîtrait pas grand chose au coeur humain.
Difficile passage pour nous. Coûteux passage également pour Jésus. Il a lié son destin au nôtre, parce qu’il désirait que son enseignement ne fût pas séparé de son existence. Le Christ n’est pas seulement Maître: il est aussi Sauveur. Durant la Passion, Jésus vit les Béatitudes qu’il a apprises à ses disciples. Comme celui qui ressuscite n’est pas un autre que celui qui a été crucifié, ce sont les Béatitudes incarnées qui entrent dans le monde de Dieu à la Résurrection. Celle-ci consacre la victoire de l’enseignement du rabbi galiléen.
Ainsi la Résurrection n’est pas un luxe mythique rajouté à la pure « essence » du christianisme. Elle est au coeur de son message, car elle nous nous dit que les paroles du Christ, sa doctrine, touchent nos existences de la manière la plus charnelle possible, en leur profondeur viscérale. En vivant la doctrine de Jésus, nous passons du repliement sur nous-mêmes au service des autres. Et ce passage représente une véritable résurrection, qui affecte toutes les composantes de notre personnalité. Le christianisme n’est pas une simple « idée », ni une école de « savoir vivre ». Il transforme nos êtres, de même que la Résurrection a fait passer Jésus à un état nouveau, sans changer son identité.
Accueillir dans la foi la Résurrection, c’est reconnaître que la mort à soi-même, à ses petits intérêts, le choix pleinement conscient du service de nos frères et soeurs, débouche sur la Vie en plénitude. C’était là le coeur de l’enseignement du prophète de Nazareth: « Qui aime sa vie la perdra, mais qui la haïra en ce monde la conservera en vie éternelle » (Jn 12,25) – et cette vie éternelle, elle déjà présente aujourd’hui. A ce niveau également la Résurrection est en parfaite continuité avec la prédication du Royaume où le plus grand se fait le serviteur de tous. C’est bien ce qui arrive la dimanche de Pâques. Le plus grand, Jésus, de sa condition glorieuse, va se faire le serviteur de ses frères en humanité durant toute l’histoire de l’humanité.
La Résurrection, événement de salut
Si la Résurrection apporte un plus par rapport à la simple prédication du Royaume, c’est qu’elle n’a pas simple valeur de légitimation de ce que le rabbi de Nazareth avait prêché. Elle est également événement de salut en elle-même. Par elle la nature humaine est exaltée à la droite de Dieu, en Dieu. La rédemption-divinisation est acquise par le « premier né d’entre les morts ». Non qu’il dût être sauvé lui-même. Mais comme il devait nous préparer une place auprès de son Père, et nous la préparer en tant qu’homme, son geste impliquait ses épousailles avec notre condition, et donc son engloutissement dans la mort. Le Christ est sauvé de la mort, non du péché.
A la droite de Dieu, le Christ nous rejoint tous. Par sa Résurrection il se rend contemporain de tous les instants de la durée de l’histoire. Le mouvement pascal par lequel il est passé de ce monde à Dieu, que les chrétiens célèbrent dans l’Eucharistie, accompagne les hommes durant leur pèlerinage terrestre. Cette contemporanéité du Christ, en sa Pâque, à tous les hommes de l’histoire, est la condition de son agir sacramentel. C’est ainsi que la Résurrection apporte un plus par rapport à la prédication du rabbi itinérant de la Palestine du premier siècle. Sans Résurrection, la prédication ecclésiale ne dépasse pas le moralisme, ou bien la simple prise de conscience par l’humanité de son « mythe vrai », de son essence idéale qu’il faudrait dépoussiérer de ses « représentations religieuses mythiques ».
La Résurrection fait de Jésus notre contemporain
Enfin, tant du point de vue gnoséologique (relativement à la connaissance) que sotériologique (relativement au salut), la Révélation et la Rédemption n’arrivent pas simplement par le Jésus historique, ou celui que l’Eglise prêche comme ayant été homme parmi les hommes. Révélation et Rédemption sont consécutives à la Résurrection, ainsi qu’au don subséquent de l’Esprit Saint. Dans l’Esprit nous rejoignons en effet Jésus directement, sans nous arrêter à la médiation de l’histoire qui risque toujours de le statufier, ou bien de le momifier, ou encore d’en faire le lieu de nos projections idéologiques, un « Jésus à nous ». Dans l’Esprit, au contraire, Jésus se rend notre contemporain, au lieu de rester un personnage du passé, disparu à jamais, qui nous aurait laissé pour seul héritage un bel exemple et de belles maximes.
L’Evangile, qui est le Christ, n’est pas un recueil de belles formules seulement, mais une dynamique de liberté (2 Co 3,4-18). La religion chrétienne est religion de la Parole, non du Livre. De plus l’histoire, délestée de la Résurrection, réduit notre foi en la foi de Jésus, quand, dans l’Esprit, elle est foi en Jésus. L’histoire, laissée à elle-même, nous propose un simple exemple, voire l’ imitation séculière d’un modèle, tandis que l’Esprit nous met en relation avec une personne. Quel écart entre un modèle et une personne vivante! Pour toutes ces raisons, la Résurrection ajoute un grand « plus » à la prédication et à la vie du Jésus terrestre, même si cette dernière en est la prophétie.
Révélation de la miséricorde divine
Enfin la Résurrection est préfigurée d’une autre manière par l’histoire de Jésus de Nazareth. Les actes et les paroles de Jésus, durant son ministère public, en privilégiant la miséricorde sur le sacrifice, Dieu sur le succès, la vie sur la fixité de la lettre, nous avertissent que l’ accès à Dieu, dont la Résurrection représente la plus parfaite réalisation, passe souvent par la traversée de l’échec, par l’accueil de sa miséricorde – comme le Christ souffrant de la croix l’a expérimenté en sa chair – par l’abandon confiant et filial au milieu des situations de mort, d’échecs, de souffrance.
C’est ainsi que le parcours terrestre du Nazaréen est une parabole de la Résurrection. Il n’est pas jusqu’à sanativité qui ne la prophétise. En effet, « conçu de l’Esprit Saint », Jésus, même s’il assume charnellement la généalogie humaine, n’en marque pas moins une césure dans la chaîne biologique. Sa naissance terrestre est déjà nouvelle création. La généalogie de l’évangile selon Saint Matthieu présente sa conception virginale comme une nouvelle genèse, une nouveau commencement de l’humanité.
« Livre de la Genèse de Jésus-Christ, fils de David, fils d’Abraham » (Mt 1,1).
La même expression revient lorsque l’ange explique à Joseph la naissance virginale de Jésus, sa conception par l’Esprit Saint: « Voici comment eut lieu la Genèse de Jésus-Christ » (1,18). Ces deux expression de Matthieu font signe en direction de la première Création, celle d’Adam, avec ce verset de la Genèse: « Voici le livre de la Genèse d’Adam » (Gn 5,1). « Il en résulte que Matthieu établit un parallélisme entre la création d’Adam et l’Incarnation du Verbe. L’accent est d’abord mis sur l’événement de l’Incarnation. Celle-ci est la création d’une humanité nouvelle, une reprise de la première création. ((J Daniélou, Les Evangiles de l’Enfance, Seuil, 1967, p 12)) »
Or cette nouvelle naissance pointe bien sûr en direction de la nouvelle Création inaugurée par la Résurrection. L’existence de Jésus est finalisée par la Création nouvelle de Pâques. Celle-ci est la cause finale de celle-là. Privée de la perspective de sa lutte victorieuse contre le mal, le mensonge et la mort, la vie de Jésus devient une promesse non tenue, une série de voeux pieux, ou bien sombre dans l’insignifiance en scellant le triomphe universel de la mort, donnant raison à Staline: « A la fin, c’est toujours la mort qui gagne ».
Parler du salut universel apporté par la levée de Jésus d’entre les morts, suscite automatiquement une autre question: comment la Résurrection peut-elle informer l’histoire qui s’est déroulée avant elle? Autrement dit, comment peut-elle sauver la totalité de l’histoire humaine? C’est qu’il existe une solidarité inter-générationnelle qui ne se fait pas uniquement d’arrière en avant. L’honneur des fils rejaillit sur leurs parents, c’est bien connu. Il en va de même avec le Christ.
Cette répercussion de la Résurrection est toutefois qualitativement autre que celles des réalités humaines ordinaires, du fait de l’union hypostatique (l’union de la nature humaine et de la nature divine en la personne de Jésus Christ) et de la qualité, sans mesure avec le nôtre, de l’Amour vécu par Jésus et couronné par sa Pâque. Le Christ est solidaire de toutes les générations de l’histoire, que son Incarnation a assumées. Aussi bien représente-t-il lui-même le fruit de toute l’histoire humaine qui l’a préparé, même inconsciemment. En toute logique la Résurrection rejaillit rétrospectivement sur toute l’histoire d’avant. Miséricorde peut ainsi être faite à l’ensemble des générations humaines.
Avec la Résurrection, l’impossible, c’est maintenant !
Le Christ continue d’éclairer beaucoup d’hommes qui ne croient pas en sa résurrection. Nous ne nous en plaindrons pas. Cependant assimiler son enseignement en intégralité, sans prendre en compte la perspective de la résurrection, le galvaude très sérieusement. Sans elle, le disciple ne pourra plus compter que sur ses propres forces pour tenter d’ « appliquer » le message du rabbi juif. Surtout il restera dans le doute de savoir si le mal et la mort peuvent être définitivement surmontés.
Il n’est pas inutile pour les chrétiens de rappeler à leurs frères, à temps et à contretemps, que la Résurrection est la suite logique de l’enseignement de Jésus. Sans elle, notre foi n’est plus qu’un message, ou une morale. Le dimanche de Pâques, ils pourraient ainsi témoigner, face à leur incrédulité: « Rien n’est impossible à Dieu! Vous n’avez pas besoin d’attendre la fin du monde pour réaliser, mettre en pratique le sublime commandement d’amour du Maître! Vous êtes ressuscités avec le frère aîné. Aussi ses paraboles sublimes ne sont-elles pas hors de portée! Oui, la Résurrection apporte un plus par rapport à la simple prédication du Jésus historique, même si le contenu de celle-ci restera inchangée jusqu’à la fin du monde! Ce « plus », c’est la possibilité de la réalisation de son enseignement! Dès aujourd’hui. Dés aujourd’hui le Ressuscité nous livre son Esprit. Les Béatitudes, c’est maintenant! »
Jean-Michel Castaing