PREMIERE LECTURE – JÉRÉMIE 20, 7 – 9 – MARIE NOËLLE THABUT, 31 AOÛT

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COMMENTAIRES DE MARIE NOËLLE THABUT, 31 AOÛT

PREMIERE LECTURE – JÉRÉMIE 20, 7 – 9

7 SEIGNEUR, tu as voulu me séduire, et je me suis laissé séduire ;
tu m’as fait subir ta puissance,
et tu l’as emporté.
A longueur de journée je suis en butte à la raillerie,
tout le monde se moque de moi.
8 Chaque fois que j’ai à dire la Parole,
je dois crier,
je dois proclamer :
« Violence et pillage ! »
A longueur de journée, la parole du SEIGNEUR
attire sur moi l’injure et la moquerie.
9 Je me disais : « Je ne penserai plus à lui,
je ne parlerai plus en son nom. »
Mais il y avait en moi comme un feu dévorant,
au plus profond de mon être.
Je m’épuisais à le maîtriser,
sans y réussir.

Jérémie nous décrit ici l’expérience spirituelle de persécution et de déchirement intérieur qu’il a vécue toute sa vie ; et il n’est pas le seul ; de nombreux autres prophètes et, plus tard, Jésus lui-même, ont affronté de telles situations 1.
Revenons à Jérémie, je vous rappelle le contexte de sa prédication : il a exercé son ministère pendant les quarante années qui ont précédé le désastre de Jérusalem en 587 av.J.C. et la déportation à Babylone. Quarante années de décadence spirituelle, et son ministère, précisément, consistait à prédire la catastrophe : pas pour le plaisir de jouer les oiseaux de mauvais augure, évidemment, mais au contraire dans l’espoir d’obtenir in extremis la conversion du roi et du peuple.
Il ne néglige rien pour alerter ses contemporains, s’il est encore temps ; mais eux-mêmes ne négligent rien non plus pour faire taire cet empêcheur de danser en rond. C’est dans ce contexte très polémique et donc très angoissant pour lui que sont nées ces confidences dont nous venons de lire un extrait, ce que nous appelons ses « confessions » ; malheureusement, le mot « jérémiades », qui vient de là, bien sûr, est devenu péjoratif, ce qui est tout à fait injuste ; car les confessions de Jérémie sont magnifiques, pleines de douleur, c’est vrai, mais plus encore pleines de foi et de passion pour la cause de son Dieu.
Dans le texte d’aujourd’hui, par exemple, il nous livre le débat intérieur qui se joue au plus profond de lui : écartelé entre l’appel de Dieu qui le pousse à parler, et la sagesse humaine qui le pousse à se taire : « Je me disais : Je ne penserai plus à lui, je ne parlerai plus en son nom. Mais il y avait en moi comme un feu dévorant, au plus profond de mon être. Je m’épuisais à le maîtriser, sans y réussir. » Mais abandonner la partie serait abandonner ses concitoyens à leur triste sort et tromper la confiance de Dieu.
On voit bien pourquoi ce texte nous est proposé ce dimanche où nous entendrons l’évangile de la confession de Pierre à Césarée. Quand Jésus avait demandé à ses disciples « Pour vous, qui suis-je ? » Pierre avait su répondre que Jésus était bien le Messie attendu ; mais aussitôt, Jésus avait dévoilé à ses disciples le sort qui l’attendait : la Passion, la croix, la mort, la résurrection ; je vous rappelle ce passage de l’évangile de saint Matthieu : « Pierre avait dit à Jésus : Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant. A partir de ce moment, Jésus le Christ commença à montrer à ses disciples qu’il lui fallait partir pour Jérusalem, souffrir beaucoup de la part des anciens, des chefs des prêtres et des scribes, être tué, et le troisième jour ressusciter. » Pierre, évidemment, s’était récrié : « Dieu t’en garde, Seigneur ! Cela ne t’arrivera pas. » Mais Jésus l’avait traité de Satan et avait prévenu ses disciples qu’ils ne seraient pas mieux traités que leur maître : « Si quelqu’un veut marcher derrière moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais celui qui perdra sa vie à cause de moi la gardera. »
Et il avait expliqué pourquoi : les pensées de Dieu ne sont pas celles des hommes, comme disait Isaïe ; un véritable prophète est donc inévitablement dérangeant pour les idées à la mode ; le feu dévorant de la parole de Dieu invitant à la conversion n’est pas fait pour plaire : « A longueur de journée je suis en butte à la raillerie, tout le monde se moque de moi » avoue Jérémie, et il ne cache pas qu’il lui arrive d’avoir peur. Il lui arrive d’entendre les gens parler dans son dos et comploter pour l’éliminer : « J’entends les propos menaçants de la foule » (Jr 20, 10).
Le prophète est d’autant plus dérangeant qu’on n’arrive pas à s’en débarrasser : car s’il est vraiment l’envoyé du Seigneur, celui-ci lui donne la force de continuer malgré toutes les persécutions ; si bien qu’il n’y a pas moyen de le faire taire. On comprend bien pourquoi la persécution est inévitable.
Par exemple, les versets qui précèdent notre lecture d’aujourd’hui nous décrivent un épisode particulièrement difficile de la vie du prophète : Jérémie avait tellement cassé les oreilles de tout le monde dans le Temple avec tous ses reproches que le prêtre Pashehour l’avait fait attacher au pilori la tête en bas, sur la place publique ; le lendemain, quand Pashehour en personne est venu le détacher, pensant que cette rude punition l’avait enfin calmé, Jérémie avait repris de plus belle et s’en était pris carrément à Pashehour lui-même.
Et pourtant, ces confessions de Jérémie, empreintes de douleur, sont en même temps un aveu de la passion dévorante qui le brûle et, finalement, illumine sa vie : « SEIGNEUR, tu as voulu me séduire, et je me suis laissé séduire ; tu m’as fait subir ta puissance, et tu l’as emporté. » Il se plaint, oui, mais il ne donnerait pas sa place à un autre. « Il y avait en moi comme un feu dévorant, au plus profond de mon être. »
Ce feu dévorant fait évidemment penser à la phrase du psaume 68 : « Le zèle de ta maison me dévorera », qui exprime bien la persécution endurée par tous les prophètes ; pour commencer, ce fut le cas du peuple d’Israël lui-même, investi d’une mission prophétique au service des nations. Tout au long de son histoire, il a cherché à rester fidèle à sa mission et cela lui valut par moments de terribles persécutions.
Puis ce fut le cas de tous les prophètes, les uns après les autres, parmi lesquels Jérémie ; et, bien sûr, les premiers chrétiens ont relu la vie de Jésus de la même manière. Comme Jérémie, Jésus a finalement été réduit au silence. Mais rien ne peut faire taire la Parole de Dieu : le Christ est ressuscité ; et désormais nous savons qu’un jour viendra où les hommes écouteront la Parole et y trouveront enfin leur lumière. Qui accepte de perdre sa vie la sauvera, la sienne et celle des autres.
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Note
On lit un texte tout à fait semblable de Jérémie dans la liturgie du douzième dimanche ordinaire de l’année A : Jr 20, 10-13.
Compléments
« Le zèle de ta maison me dévorera » : Saint Jean, lui, a appliqué cette phrase à Jésus ; comme Jérémie, il a prêché à Jérusalem, et comme lui, il a été amené à déplaire ; et comme lui encore, il a risqué sa vie pour continuer à annoncer à temps et à contre-temps la parole qui aurait pu sauver ses contemporains, si seulement ils avaient bien voulu l’écouter. L’épisode que Jean a choisi pour évoquer la parole de ce psaume, c’est ce que l’on appelle la « purification du temple », c’est-à-dire le jour où Jésus a chassé les vendeurs du Temple de Jérusalem. Ce jour-là, d’ailleurs, Jésus citait une phrase de Jérémie : « Cette Maison sur laquelle mon nom a été proclamé, (dit Dieu, traduisez le temple), la prenez-vous pour une caverne de bandits ? » (Jr 7, 11).

 

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