L’ASSOMPTION DU CORPS ET DE LA VIERGE MARIE – PÈRE MATTA EL MASKINE

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L’ASSOMPTION DU CORPS ET DE LA VIERGE MARIE

PÈRE MATTA EL MASKINE

Chapitre XVII de la Communion d’Amour

Ce jour 1 nous permet d’honorer le corps de la Vierge. L’assomption de son corps manifeste combien le ciel l’honore au plus haut point. Et la doctrine orthodoxe en ce qui concerne les honneurs rendus au corps des saints n’est pas une invention gratuite. Après le long entretien avec Dieu, au cours duquel Moïse avait reçu les commandements et toute la Loi, son visage rayonnait d’une telle lumière que les Israélites ne pouvaient le regarder en face. La lumière que reflétait son visage était une lumière divine, celle qui manifeste la présence de Dieu. Dieu était ainsi rendu visible sur le visage de Moïse, et c’est pourquoi le peuple pécheur ne pouvait regarder son visage, car le péché et Dieu ne peuvent se rencontrer face à face. Aussi Moïse portait-il un voile, voile dans lequel saint Paul voit un symbole de l’aveuglement spirituel du peuple2 .
Et saint Paul poursuit : Si le ministère de la Loi – qui conduit à la condamnation et à la mort – se traduisait par une telle gloire, visible aux yeux de chair, par un tel resplendissement du visage, combien le ministère de justice ne l’emporte t-il pas en gloire?
Nous appuyant sur cela, nous pouvons dire à propos de la Vierge, de son corps et de son visage :
Si le visage de Moïse, alors qu’il· avait reçu de simples paroles écrites par le doigt de Dieu, rayonnait pour manifester la gloire qu’avait revêtu son corps, combien plus grande la gloire qui a revêtu le corps de la Vierge alors qu’elle a reçu en son sein la Parole même de Dieu, la personne du Fils de Dieu, prenant chair de sa chair après la préparation opérée par l’Esprit Saint et alors que la puissance du Très-Haut la prenait entièrement sous son ombre, intérieurement et extérieurement. Quelle gloire a alors envahi le corps de la Vierge ! Ou, pour reprendre les paroles de l’apôtre Paul, si le ministère de condamnation, ministère reçu par Moïse avec la Loi, lui a conféré une gloire qui a rempli son corps humain d’une lumière divine, combien plus le ministère de justice confié à la Vierge par la descente de la Lumière véritable en son sein et son incarnation à partir de son corps !
Nous savons tous comment Dieu a mis fin à la vie de Moïse et l’a lui-même enterré sur le mont Nebo, loin de la vue de son peuple, de peur qu’ils ne s’égarent et n’en viennent à adorer son corps qui, semble-t-il, continuait à rayonner même après sa mort. C’est pourquoi le livre du Deutéronome dit de lui: personne ne connait l’emplacement de son tombeau jusqu’à ce jour3 .
D’autre part, l’Épître de Jude fait spécialement mention du corps de Moïse. Alors que l’archange Michel, luttant contre le diable, lui disputait le corps de Moïse, il lui dit : « Que le Seigneur te châtie ! »4 . On peut donc supposer que l’archange Michel avait été chargé de garder le corps ou de l’enlever au ciel et que, tandis que le diable essayait de le remettre à terre ou d’en révéler l’emplacement pour égarer le peuple, au cours de la lutte qui les opposait, l’archange invoqua l’aide du Seigneur, comme chef des armées célestes.
Si donc Dieu s’est personnellement chargé de l’ensevelissement de Moïse et a assigné à l’archange Michel la tâche de garder le corps – ou peut-être, selon la tradition juive, de l’enlever au ciel -, et cela parce que le corps de Moïse reflétait la lumière et la gloire de Dieu depuis qu’il s’était tenu en présence de Dieu pendant quarante jours et avait reçu les tables de la Loi, on ne peut dire que la coutume orthodoxe d’honorer les corps ne repose sur rien.
Combien plus encore Dieu et le Christ lui-même ont-ils pris soin du corps de la Vierge, après sa mort. Ce corps avait connu l’habitation permanente de l’Esprit Saint, la plénitude de la grâce; la puissance du Très-Haut l’avait pris sous son ombre et la Parole de Dieu avait résidé pendant neuf mois dans ses entrailles ! Assurément, aucun texte ne nous dit que le corps de la Vierge rayonnait de la lumière céleste, mais nous savons que c’est l’effet de la  » kénose » 5 que le Christ a choisie et qui a voilé la gloire de sa divinité. Pendant sa vie terrestre, le corps du Christ lui-même n’a pas rayonné cette lumière, sinon – pour peu de temps – au jour de la Transfiguration. Et pourtant, il était la Lumière véritable 6 , la Lumière du monde 7 , qui rayonne éternellement et pour tous,
Il est donc évident que le dessein de Dieu impliquait que la gloire du Christ soit voilée, et donc aussi celle de la Vierge, de peur que la foi au Christ ne se dévoie, que l’humiliation de la croix ne soit éclipsée et que la vénération de la Vierge ne devienne un culte, une apothéose qui ne conviennent qu’à Dieu.
Comme la mort de Moïse, celle de la Vierge devait être discrète. D’autant plus que, lorsqu’elle est survenue, l’Évangile s’était répandu et on proclamait déjà que le Christ était le Fils de Dieu, Dieu en toute vérité, né de la Vierge Marie. C’est pour cette raison que ni les évangiles, ni les épîtres ne mentionnent la dormition de la Vierge et que – pendant les trois premiers siècles – l’assomption de son corps n’a été connue que par une tradition secrète. Il ne fallait pas qu’elle retienne exagérément l’attention et que le culte dû à Dieu s’en trouve dévoyé.
Il a fallu que Dieu lui-même se charge de l’ensevelissement du corps de Moïse, parce qu’il rayonnait de la lumière divine, et c’est l’archange Michel qui en a reçu la garde. Nous ne devons donc pas nous étonner d’entendre la tradition dire que le Christ lui-même est venu, à la mort de la Vierge, recevoir son âme sainte et l’enlever au ciel. Quant à son corps, il a sans aucun doute été confié à la garde de l’archange Michel jusqu’à ce qu’il soit enlevé au ciel au temps fixé. Ainsi le corps de la Vierge, objet de l’attention du Père céleste depuis le moment de l’annonciation et réceptacle de la conception divine, n’a pas cessé d’être honoré jusqu’au moment où Dieu l’a enlevé tandis qu’il était entouré d’honneurs par les anges.
Notre vénération de l’assomption du corps de la Vierge fait partie intégrante de notre foi dans les réalités eschatologiques – celles qui ont trait à la vie qui vient. On sait bien que la résurrection des corps est le propre de l’œuvre du Christ dans le monde à venir. Et si l’assomption de la Vierge n’est pas, à strictement parler, un acte de résurrection, c’est un état de transfiguration où le corps a été transporté par les puissances angéliques, comme préparation d’une résurrection ultérieure, que celle-ci soit déjà accomplie maintenant ou reste à accomplir.
Le Nouveau Testament offre de nombreux exemples de transfigurations. C’est dans sa propre personne que le Christ a inauguré cette action eschatologique, dans la chair qu’il a prise de nous, sur la montagne de la Transfiguration, avec Pierre, Jean et Jacques, rendant son corps plus brillant que le soleil, prémices et prototype de ce que sera le nôtre lorsque sa rédemption sera complète. Depuis lors, l’humanité – et même la création toute entière – gémissent dans les douleurs de l’enfantement 8 .Et jusqu’à présent, nous attendons notre adoption en tant que fils, la rédemption de notre corps 9 . Toute la création, et non seulement nos corps, est appelée à être transfigurée. Les vêtements du Christ devenus étincelants10 , plus blancs que neige, indiquent clairement que le Christ est la Lumière du monde et de la création et que toutes les créatures recevront leur nouvelle forme du Christ qui vient.
La vénération des corps saints et lumineux est un acte eschatologique, c’est un prolongement dans le temps présent du jour de la Transfiguration, un acte de foi en la réalité de la vie future. Depuis le jour de la Transfiguration, le Christ n’a pas cessé de répandre sa lumière sur les corps et les visages des saints. Le désert de Scété en témoigne et a reçu une part abondante de la lumière céleste.
Sept pères éminents ont témoigné avoir vu saint Macaire le Grand rayonner de lumière dans l’obscurité de sa cellule. À l’heure de sa mort, les pères assis autour de saint Sisoës ont constaté que son visage resplendissait comme le soleil et que cette lumière allait en augmentant alors qu’il rendait le souffle. La lumière finit par devenir aussi éblouissante que l’éclair et la cellule fut remplie d’une odeur d’encens.
On rapporte encore que Dieu a donné un tel honneur à abba Pambo, qu’il était difficile de le regarder en face à cause du rayonnement qui émanait de lui: il paraissait un roi sur son trône.
Les disciples de saint Arsène, entrant à l’improviste dans la cellule où il se trouvait en prière, ont trouvé son corps lumineux, comme de feu.
On a également vu saint Joseph le Grand en prière, les mains levées : ses doigts semblaient dix langues de feu.
Ces exemples de visages et de corps illuminés – et d’autres encore – ne peuvent se comprendre que comme un prolongement de la Transfiguration du Christ à travers la Pentecôte, par la descente de l’Esprit Saint reposant sur les corps sous forme de langues de feu, pour les préparer à la transfiguration et à la résurrection à venir. La vénération des corps des saints, dans l’Orthodoxie, prolonge la joie communiquée à saint Pierre par la lumière qui rayonnait du Christ et qui lui avait fait dire avec foi, encore que de manière irréfléchie: Rabbi, il est bon pour nous d’être ici 11 .
Le Seigneur transfiguré est présent dans ses saints. Sa lumière et son Esprit Saint brillent dans leurs esprits et dans leurs corps. La sanctification se manifeste parfois, au-delà de l’âme et de l’esprit, dans le corps lui-même. Bien que le corps soit encore en ce monde, il n’est déjà plus de ce monde. Il se nourrit à la fois du pain terrestre et du pain céleste, il est illuminé à la fois par la lumière de ce monde et par la lumière céleste. N’est-ce pas la réponse à l’invitation de l’apôtre: Glorifiez donc Dieu dans votre corps 12 ?
En commémorant aujourd’hui l’assomption du corps de la Vierge, nous glorifions bien le Seigneur qui continue à être glorifié chaque jour dans ses saints : Que le nom de notre Seigneur Jésus soit glorifié en vous et vous en lui 13 .

Extrait de « La Communion d’Amour, Abbaye de Bellefontaine, SO 55 – 1992, 302 p. »
Traduction: Jacques Porthault et Père Wadid, St Macaire

Notes:
1. Dans l’Église copte, la fête de l’Assomption du corps de la Vierge Marie se célèbre le 22 août. Les autres Églises orthodoxes fêtent la Dormition de la Mère de Dieu le 15 août (le 28, selon l’ancien calendrier utilisé par les églises de rite slavon)
2. Cf 2 CO 3,7-18. Cité librement dans ce qui suit.
3. DT 34, 6-7 : « Il l’enterra…. ».
4. Jude 9, citant Za 3,2 qui vise une dispute au sujet du grand prêtre Yehoshua.
5. Le mot kénose transcrit du grec traduit l’abaissement, l’anéantissement volontaire. Voir Ph 2,7 : Il se vida de lui-même.
6. Jn 1,9.
7. Jn 8,12.
8. Rm 8,22.
9. Rm 8,23.
10. Mc 9,3.
11. Mc 9,5.
12.1 Co 6,20.
13. 2 Th 1, 12.

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