Archive pour le 7 août, 2014
DOMINIQUE DE GUZMAN – 6 AOÛT
7 août, 2014http://www.prouilhe.com/dominique.htm
DOMINIQUE DE GUZMAN – 6 AOÛT
Dominique de Guzman est né à Caleruega, non loin de Silos, en Castille, en 1170.
Étudiant à Palencia, il se passionne pour l’Écriture Sainte, non seulement étudiée et méditée, mais mise en œuvre comme lors de cet hiver de famine où il vendit ses livres, ne pouvant plus « étudier sur des peaux mortes quand des hommes meurent de faim. »
En 1199, il rejoint la communauté de chanoines réguliers de la cathédrale d’Osma où, pendant six ans, il s’initie à la vie spirituelle et à la vie commune, sous la règle de saint Augustin en méditant les Conférences de Cassien. C’est là qu’il acquiert une grâce particulière de prière pour les pécheurs et les affligés ; là aussi que s’éveille en lui la passion de la Lumière et de la Vérité, pour lui, pour tous les hommes.
En 1201, il est sous-prieur de ce chapitre et collaborateur du nouvel évêque Diego d’Azevedo. À ce titre, il l’accompagne dans une ambassade dont le roi de Castille, Alphonse IX l’a chargé : ramener la fille du roi du Danemark pour son fils.
Deux expéditions s’avèrent nécessaires (1203-1204 et 1205-1206) au cours desquelles les voyageurs se trouvent confrontés à l’hérésie albigeoise en Languedoc. À Toulouse, Dominique passe la nuit à dialoguer avec son hôte cathare qui, au petit matin, confesse la foi catholique. Dès lors, le projet d’instruire le peuple de la vraie foi se forme dans son esprit.
Pour venir en aide à ceux qui méconnaissent le Christ, Diego demande au pape Innocent III à être déchargé de l’évêché d’Osma. Devant l’échec des cisterciens mandatés contre les hérétiques, le pape accepte en décembre 1206. Diego et Dominique partent alors, accompagnés de quelques légats cisterciens, à la manière des apôtres « deux par deux, à pied, sans bourse ni besace ».
Saint Dominique en Languedoc :
Juin1206, Diego et Dominique arrivent à Carcassonne, puis à Montréal, Fanjeaux, passant près de l’antique sanctuaire de Notre-Dame de Prouilhe.
Au cœur de la Sainte Prédication de Prouilhe, il a rassemblé, à la fin de l’année 1206, quelques femmes, presque toutes issues du catharisme ou de la noblesse de Fanjeaux. Il leur a confié la mission de soutenir par leur prière sa prédication et celle de ses compagnons.
En mars 1207 a lieu à Montréal la plus célèbre des disputes théologiques avec les Cathares auxquelles Dominique participe, selon la méthode de l’époque. Le thème est divisé en questions que prépare chaque protagoniste. Les discussions et conclusions se tiennent en public pour convaincre publiquement et solennellement les cathares d’hérésie. Les débats durent quinze jours. Dans chaque camp, des arbitres transcrivent les points de vue et rendent sentence.
La dispute de Montréal constitue un tournant pour les prédicateurs. À partir de ce moment, les missionnaires catholiques changent de méthode : après avoir d’abord évangélisé dans l’itinérance, chaque prédicateur reçoit en partage un « diète » (portion de territoire à évangéliser) dont il a la charge. Dominique s’établit alors à Prouilhe.
À Fanjeaux, dont il devient curé en 1214, Dominique conserve un pied-à-terre. On peut encore y voir la « maison de saint Dominique » dans le « Borget sant Doumenge », l’église paroissiale (bien que rebâtie vers 1280), le couvent des frères avec la chapelle du miracle, sans oublier le promontoire du « Seignadou ».
Sur le chemin qui mène de Prouilhe à Fanjeaux, la « croix du Sicaire » commémore la force de la foi de Dominique, prêt à mourir pour le Christ.
Trois monuments entre Carcassonne et Montréal attestent le souvenir de ses passages : la stèle du miracle des épis, celle du prodige de l’orage et la fontaine où il venait se désaltérer.
Plusieurs détails historiques permettent d’imaginer Dominique prêchant de village en village. Il est en route dès le matin, accompagné d’un frère. Le bâton à la main, il garde toujours avec lui l’évangile de saint Matthieu et les épîtres de saint Paul. Il porte une tunique grossière et rapiécée, en laine non teinte et marche souvent pieds nus. Il mendie son pain en arrivant dans un village. Quand il se met à prêcher, « il trouvait, dit un témoin, des accents si bouleversants que très souvent il s’émouvait lui-même jusqu’aux larmes et faisait pleurer ses auditeurs ».
Les débuts de l’Ordre et la mort de saint Dominique.
Dominique restera pendant près de dix ans en Lauragais. Bien souvent il prêche seul. Diego est mort en 1207. L’année suivante débute la croisade contre les Albigeois et les cisterciens de la première heure sont repartis dans leurs abbayes. Dominique refuse de convaincre autrement que par la force de la Parole…
Ce n’est qu’en avril 1215 que deux compagnons décident de s’adjoindre à lui en se liant par la profession religieuse. La petite communauté naissante s’installe à Toulouse dans la maison de l’un d’entre eux : Pierre Seilhan, avec l’assentiment de l’évêque Foulques. En janvier 1217, la nouvelle fondation est approuvée par le pape Honorius III qui confirme le nom et la mission des Prêcheurs : Dominique et ses compagnons sont désormais « frères de l’Ordre des Prêcheurs ». Le 15 août de cette même année, Dominique réunit les frères à Prouilhe : dans un geste prophétique, il les envoie deux par deux à travers l’Europe. Passant outre les craintes du petit groupe encore peu affermi, il déclare avec assurance : « Je sais ce que je fais ! Le bon grain porte du fruit quand on le dissémine et pourrit s’il demeure en tas ». De Bologne à l’Espagne, de l’Espagne à Bologne, à pied, prêchant le jour, priant la nuit, encourageant les frères et les sœurs, Dominique épuise ses forces au service de l’Evangile et des communautés qui se multiplient.
En 1220, il rédige les Constitutions qui règleront désormais l’organisation de la vie des frères. Leur mode de vie sera celui des pauvres pour le Christ : « ne parlant que de Dieu ou avec Dieu », ils iront sur les routes, mendiant leur pain, annonçant la Bonne Nouvelle de l’Evangile.
Lui-même rêve de partir encore plus loin, jusque vers les Cumans, ces païens de l’est de l’Europe dont il avait découvert l’existence lors de ses voyages vers le Danemark. Ce rêve, ce sont ses frères qui le réaliseront…
A Rome, au début de l’année 1221, il fonde le monastère de Saint-Sixte pour lequel il fait venir huit moniales de Prouilhe. Après le Chapitre de 1221, au début de l’été, il tombe malade. Il meurt le 6 août, entouré de ses frères, au couvent de Bologne où on l’a transporté. Et c’est là, sous les pieds de ses frères, qu’il est enseveli, selon sa demande.
Le Cardinal Hugolin, futur pape Grégoire IX, célèbre lui-même la sépulture. C’est lui encore qui le canonisera en 1237.
« Dieu lui avait donné une grâce spéciale envers les pécheurs, les pauvres, les affligés : il en portait les malheurs dans le sanctuaire intime de sa compassion. Une de ses demandes fréquentes et singulières à Dieu était qu’il lui donnât une charité véritable et efficace pour le salut de tous les hommes. »
Libellus 12, 13, Jourdain de Sax
LA LITURGIE COMME LIEU D’INTERPRÉTATION DE L’ÉCRITURE SAINTE
7 août, 2014http://www.revuedesbernardins.com/spip.php?article245&lang=fr
LA LITURGIE COMME LIEU D’INTERPRÉTATION DE L’ÉCRITURE SAINTE
Olivier de CAGNY
La proclamation dans la liturgie de « la partie la plus importante (praestantior pars) des Saintes Écritures [1] » fut sans doute l’une des principales nouveautés qu’apporta la réforme liturgique issue du Concile Vatican II. Ce faisant, l’Église ouvrait largement le trésor de l’Écriture, non seulement par la quantité des textes ainsi proclamés, mais surtout par une démultiplication des lignes interprétatives rendues ainsi possibles. Les correspondances entre l’Ancien et le Nouveau Testament notamment, élargissaient le spectre des interprétations offert aux acteurs de la liturgie.
En un certain sens, l’herméneutique de la foi sur la base des Saintes Écritures, doit toujours avoir comme point de référence la liturgie, où la Parole de Dieu est célébrée comme une parole actuelle et vivante : « Ainsi, dans la liturgie, l’Église suit-elle fidèlement la manière de lire et d’interpréter l’Écriture qui fut celle du Christ, lui qui, depuis l’“aujourd’hui” de sa venue, exhorte à scruter attentivement toutes les Écritures [2]. »
La liturgie est sans doute le lieu où l’interprétation de l’Écriture atteint vraiment sa finalité. Faire ce que Dieu dit a toujours été comme une clause tacite attachée à la proclamation de sa Parole, avant même sa mise par écrit [3]. La conversion du lecteur de l’Écriture et de l’auditeur de la Parole, dès lors qu’ils acceptent de répondre à la Parole qu’ils entendent, est déjà en oeuvre dans l’assemblée chrétienne qui écoute, puisque cette assemblée est le Corps du Verbe fait chair, qui répond en célébrant l’offrande sacrificielle du Fils, l’action de grâce eucharistique où tout est dit et accompli pour rendre gloire au Père. Dans la liturgie, l’Écriture « prend corps », et l’explication y « fait corps » avec la proclamation comme devant la Porte des eaux avec le scribe Esdras [4], tout autant que sur la route d’Emmaüs [5]. Dans la liturgie chrétienne [6]., l’interprétation fait partie de l’acte de proclamation et d’annonce.
Cette explication ne se limite pas à l’homélie, ni même à la prédication : « L’Église a toujours été consciente que durant l’action liturgique, la Parole de Dieu est accompagnée par l’action intime de l’Esprit Saint qui la rend efficace dans les coeurs des fidèles [7]. » L’interprétation se trouve aussi dans la manière dont la Tradition dispose les textes scripturaires parmi les textes liturgiques euxmêmes. Voyons quelques exemples de cas où la liturgie interprète ainsi l’Écriture.
Il n’est pas anodin par exemple de trouver, dans les antiennes des psaumes, des interprétations christologiques de ces derniers. Quand le psaume 2 est chanté dans l’office des lectures du Vendredi saint, l’antienne n’hésite pas à y lire la passion de Jésus : « Peuples et nations se sont ligués contre ton serviteur Jésus, ton messie. » Le psaume 21 est facilement mis sur les lèvres du Christ, quand l’antienne qui lui correspond chante : « Ils me percent les mains, ils me percent les pieds, je peux compter tous mes os. » Le samedi saint, l’antienne suivante : « En toute paix, je me couche et je m’endors, car tu me fais vivre, Seigneur, dans ta seule confiance » fait évidemment écho au verset 9 du psaume 4 : « Dans la paix moi aussi, je me couche et je dors, car tu me donnes d’habiter, Seigneur, seul, dans la confiance. » En la fête de l’Ascension, l’antienne du psaume 67 reconnaît en « celui qui chevauche au plus haut des cieux » (v. 34) le Fils de Dieu vainqueur, qui « gravit les hauteurs et emmène les captifs » (antienne). On pourrait multiplier les exemples à l’envi.
Le rapport de l’Ancien au Nouveau Testament est aussi amplement développé dans les cycles des lectures dominicales. Malgré ce que certains regrettent comme des lacunes ou des maladresses, une interprétation d’une grande richesse s’y déploie, permettant au fidèle de saisir la notion d’accomplissement présente dans toute l’Écriture sainte. L’ordre des quatre lectures traduit aussi une ligne d’interprétation : le psaume répond à la lecture de l’Ancien Testament, et la lecture du Nouveau Testament précède l’Évangile, comme pour indiquer que les deux Testaments convergent vers la figure du Messie crucifié et ressuscité.
Notons également la place donnée aux paroles de l’Écriture dans les textes euchologiques (corpus des prières et autres textes liturgiques) eux-mêmes. Dans la prière d’ordination de l’évêque par exemple, la liturgie n’hésite pas à voir une continuité entre les sacerdoces de l’Ancien et du Nouveau Testament : « Dieu et Père de Jésus Christ notre Seigneur, (…) dès l’origine, tu as destiné le peuple issu d’Abraham à devenir un peuple saint ; tu as institué des chefs et des prêtres et toujours pourvu au service de ton sanctuaire, car, dès la création du monde, tu veux trouver ta gloire dans les hommes que tu choisis. Et maintenant, Seigneur, répands sur celui que tu as choisi la force qui vient de toi, l’Esprit souverain que tu as donné à ton Fils bien-aimé, Jésus Christ, l’Esprit qu’il a lui-même communiqué aux saints Apôtres qui établirent l’Église en chaque lieu comme ton sanctuaire, à la louange incessante et à la gloire de ton Nom [8]. » La prière d’ordination des prêtres développe encore davantage cet usage de la notion d’accomplissement : « Pour former le peuple sacerdotal, tu suscites en lui, par la force de l’Esprit Saint, et selon les divers ordres, les ministres de Jésus, le Christ, ton fils bien-aimé. Déjà, dans la première Alliance, des fonctions sacrées préparaient les ministères à venir. Tu avais mis à la tête du peuple Moïse et Aaron, chargés de le conduire et de le sanctifier. Tu avais aussi choisi des hommes, d’un autre ordre et d’un autre rang, pour les seconder dans leur tâche. C’est ainsi que, pendant la marche au désert, tu as communiqué l’esprit donné à Moïse aux soixantedix hommes pleins de sagesse qui devaient l’aider à gouverner ton peuple. C’est ainsi que tu as étendu aux fils d’Aaron la consécration que leur père avait reçue, pour que les prêtres selon la Loi soient chargés d’offrir des sacrifices qui étaient l’ébauche des biens à venir. Mais, en ces temps qui sont les derniers, Père très saint, tu as envoyé dans le monde ton fils Jésus, l’Apôtre et le Grand Prêtre que notre foi confesse. Par l’Esprit Saint, il s’est offert lui-même à toi comme victime sans tache ; il a fait participer à sa mission ses apôtres consacrés dans la vérité, et tu leur as donné des compagnons pour que l’oeuvre du salut soit annoncée et accomplie dans le monde entier. Aujourd’hui encore, Seigneur, viens en aide à notre faiblesse : accorde-nous le coopérateur dont nous avons besoin pour exercer le sacerdoce apostolique [9]… »
Deux autres exemples parlent d’eux-mêmes : les paroles de la consécration eucharistique et le dialogue qui précède la communion [10].. La liturgie interprète les paroles de Jésus sur le pain et le vin en osant modifier les textes du Nouveau Testament. Non seulement le texte du missel transmet les paroles de la sainte Cène en fondant ensemble les versions des synoptiques et de saint Paul, mais elle adjoint aux paroles de consécration du vin un autre texte, He 13, 20-21, où il est question d’une Alliance « éternelle ». Quant aux paroles du dialogue entre le prêtre et l’assemblée juste avant la communion, elles fusionnent trois textes que ni l’exégèse ancienne ni les travaux plus récents n’avaient encore rassemblés en une unité herméneutique : la béatitude proclamée sur ceux qui participent au festin de l’Agneau (Beati qui ad cenam Agni vocati sunt, Ap 19, 9a), la désignation par Jean-Baptiste de Jésus comme étant cet Agneau qui enlève le péché du monde (Jn 1, 29), et l’aveu du centurion, dont le fils devient l’image de l’âme du chrétien prêt à communier : « Domine non sum dignus ut intres sub tectum meum… » (Mt 8, 8). Ici, la liturgie opère comme un acte de Tradition au service de ce qu’on nomme à juste titre l’analogie, laquelle n’est jamais loin du sens anagogique.
Le chant liturgique est aussi, souvent, un lieu d’interprétation de la Parole de Dieu, avec plus ou moins de bonheur. L’hymnographie antique nous fournit ici de beaux exemples, chez Hilaire et Ambroise notamment, qui puisent largement dans l’Écriture le matériau de leurs hymnes liturgiques. Ainsi, Ambroise n’hésite pas à filer la métaphore à partir d’un mot de l’Écriture : la lumière, l’eau, le coq même, à la fois prophète de la victoire sur la nuit et signe de la conversion de saint Pierre, lui fournissent un matériau suffisant pour faire « circuler son lecteur à travers toute la Bible pour lui faire découvrir le sens spirituel d’un mot, par les divers contextes dans lesquels les auteurs bibliques l’avaient utilisé. On a même pu dire qu’il y “fore des puits” – l’image vient de l’Exode et de son interprétation par Origène –, par où l’intelligence chrétienne accède à l’eau vive de la Parole, saisie en son sens le plus profond [11]. ». L’imagination spirituelle d’Ambroise le porte souvent à la digression dès que le texte biblique lui en offre l’occasion. Jacques Fontaine ose le rapprochement avec un poète contemporain : « Dans cette démarche à la fois sérieuse et ludique, Ambroise peut apparaître parfois comme le digne ancêtre d’un Claudel, commentateur fantasque de l’Écriture [12]. » Mais ici, à notre avis, rien de fantasque : l’exégèse patristique est au service de la prière de l’Église, avec une rigueur et une profondeur théologique et théologale que beaucoup de compositeurs actuels de chants liturgiques pourraient envier.
Ces derniers ont sans doute pâti depuis les années cinquante d’une certaine pauvreté dans la manière d’interpréter l’Écriture. Certains chants liturgiques en français, notamment dans les années 70 et 80, se contentent de mettre bout à bout des morceaux de l’Écriture, sans éprouver toujours le sens plénier caché dans le sens littéral. L’exégèse sous-jacente amalgame des thèmes plus qu’elle ne sert effectivement la réception de la Parole de Dieu. Le travail interprétatif se situe souvent dans un registre sociologique, voire politique, ou encore dans l’ordre de la fête profane. Bien sûr, tous les chants ne méritent pas cette critique. Mais il serait utile de revisiter l’euchologie du missel, des rituels et de la liturgie des heures. Les antiennes d’ouverture et de communion ou les antiennes psalmiques sont un bon exemple de réception de la Parole de Dieu dans la liturgie. La substance de l’Écriture s’y donne à goûter et le sens plénier, analogique et anagogique, s’y déploie heureusement.
La liturgie est le lieu principal d’interprétation de l’Écriture, car celle-ci y est proclamée comme Parole vivante en étant portée par la Tradition qui la livre au coeur et à l’intelligence de ses auditeurs : c’est bien le Christ « qui parle tandis qu’on lit dans l’Église les saintes Écritures [13] ».