Archive pour juillet, 2014

JEAN-PAUL II, PAPE DE LA PAIX

28 juillet, 2014

http://www.revue-projet.com/articles/2004-1-jean-paul-ii-pape-de-la-paix/

JEAN-PAUL II, PAPE DE LA PAIX

Par Christian Mellon

SOMMAIRE DE L’ARTICLE
Contre la guer­re, mais pas pacifiste–
Le droit international, garant de la paix

Jean-Paul II, pape de la paix : l’expression pourrait étonner. N’est-ce pas plutôt le nom de Jean XXIII qui vient spontanément à l’esprit quand on parle du « pape de la paix », à cause surtout de sa célèbre encyclique Pacem in Terris (1963), dont nous venons de célébrer le quarantième anniversaire ? Et le nom du pape actuel n’est-il pas associé, d’ordinaire, à la défense des droits de l’homme plutôt qu’à celle de la paix ?
Ses enseignements ont mis en évidence, chacun à leur manière, l’étroite connexion de ces deux thématiques. Pour des héritiers de la tradition biblique, le mot « paix » ne signifie jamais la seule absence de guerre. Et Jean-Paul II n’a cessé de développer des thèmes qui constituent tous, à des degrés divers, des fondements ou des conditions de possibilité de la véritable paix : justice, droits de l’homme, pardon, liberté, respect de la dignité humaine, vérité, etc. Quant aux droits de l’homme, il prolonge sur ce point une ouverture que l’on doit à Jean XXIII : s’il a souvent développé ce thème – notamment dans les nombreux discours qu’il a prononcés, dans les années 80, dans des pays où ces droits étaient notoirement violés – et s’il en a exposé les fondements chrétiens (dès sa première encyclique, Redemptor Hominis, 1979), c’est bien à Pacem in Terris que les catholiques se réfèrent comme au premier document « magistériel » reconnaissant sans réticence les droits de l’homme. Dans son message du 1er janvier 2003, le pape actuel redit toute l’importance, y compris pour aujourd’hui, de ce qu’avait écrit son prédécesseur en 1963.
En 1982, au moment où le débat sur les euromissiles divise profondément les esprits, y compris parmi les chrétiens, Jean-Paul II déclare toujours pertinente la position de « tolérance provisoire » accordée en 1965 à la dissuasion nucléaire par le Concile. Mais il garde comme objectif le désarmement nucléaire total, pour le jour où les conditions politiques le rendront possible : « Promettons à nos frères en humanité de travailler sans nous lasser au désarmement et à la condamnation de toutes les armes atomiques » (Discours à Hiroshima, 25 février 1981, Documentation catholique n° 181). Avec la fin de la guerre froide, cet objectif redevient actuel. Il tient devant les évêques du Japon, en 1995 des propos que l’on peut ainsi résumer : les armes nucléaires ne sont plus à domestiquer ou à tolérer provisoirement, mais à supprimer totalement. Ce n’est pas sans son accord que, en octobre 1993, le délégué du Saint-Siège à l’Onu, Mgr Renato Martino (devenu depuis Cardinal et président du conseil pontifical Justice et Paix) déclare devant l’Assemblée générale : « La dissuasion nucléaire constitue un obstacle au désarmement nucléaire authentique. Elle assure une hégémonie inacceptable sur les nations sans armes nucléaires » [1].

CONTRE LA GUERRE, MAIS PAS PACIFISTE
En février-mars 2003, Jean Paul II s’opposait à la décision américaine d’abattre par les armes le régime irakien. Son affirmation ne relèvait pas d’un refus de principe de tout usage des armes, ce qui serait en contradiction avec le catéchisme de l’Eglise catholique, publié sous son pontificat. La guerre n’est jamais une bonne solution, c’est toujours un « échec de l’humanité », « une aventure sans retour »). Pourtant, dans certaines situations dramatiques, il faut agir pour « désarmer un agresseur ». Ainsi au corps diplomatique, le 16 janvier 1993, au moment où fait rage la purification ethnique en Bosnie : « Une fois que toutes les possibilités offertes par les négociations diplomatiques, les processus prévus par les conventions et les organisations internationales, ont été mis en œuvre et que, malgré cela, des populations civiles sont en train de succomber sous les coups d’un injuste agresseur, les Etats n’ont plus le « droit à l’indifférence ». Il semble bien que leur devoir soit de désarmer cet agresseur, si tous les autres moyens se sont avérés inefficaces. Les principes de la souveraineté des États et de la non-ingérence dans leurs affaires internes – qui gardent toute leur valeur – ne sauraient toutefois constituer un paravent derrière lequel on pourrait torturer et assassiner » ( Documentation catholique, n° 2066). Ces formules ne sont pas de circonstance : il les reprendra presque mot pour mot dans son message du 1er janvier 2000.

LE DROIT INTERNATIONAL, GARANT DE LA PAIX
Le respect des droits de l’homme – à commencer par le droit de ne pas être massacré – justifie donc parfois, voire exige le recours à la force militaire. Mais un recours qui doit absolument être encadré par l’éthique et le droit : Jean-Paul II s’inscrit dans la longue tradition des moralistes chrétiens qui ont voulu limiter, en les enserrant dans un ensemble de conditions strictes et précises, ces recours aux armes que l’on ne pouvait délégitimer de manière absolue. C’est sur le non respect de ces critères que se fonde son opposition aux deux guerres d’Irak : celle de 1991, parce qu’elle violait le principe de « proportionnalité » (« le recours à la force pour une cause juste n’est admissible que si celui-ci est proportionnel au résultat que l’on veut obtenir et en soupesant bien les conséquences de l’action militaire »), celle de 2003, parce qu’elle a été décidée unilatéralement, sous un prétexte de « guerre préventive » qui constitue une extension indue de la notion de légitime défense (admise, elle, par l’Eglise. Cf. Gaudium et Spes, 79,4) et au mépris du droit international.
Ce dernier point est sans doute le plus déterminant : Jean-Paul II semble convaincu que l’existence de l’Onu – dont la Charte proscrit la guerre, sauf le cas de légitime défense immédiate – représente une avancée de grande importance vers un monde où les conflits seraient réglés pacifiquement. Sans aller jusqu’à reprendre la formule audacieuse de Jean XXIII, appelant de ses vœux l’avènement d’une « autorité publique de compétence universelle » ( Pacem in terris, 137), Jean-Paul II mise sur les institutions internationales, si imparfaites soient-elles, pour défendre les droits des peuples faibles contre l’aventurisme unilatéral des forts. Ce n’est pas un hasard si, dix mois après la guerre d’Irak, il choisit de consacrer l’essentiel de son message du 1er janvier 2004 à une apologie du droit international et de l’Onu. Un chiffre significatif : en 1978, lorsque Karol Wojtyla accède au pontificat, le Saint-Siège entretient des relations diplomatiques avec 84 Etats; aujourd’hui, avec 172. Voilà un pape qui croit aux vertus de la diplomatie.

1 / Voir C. Mellon, « Ethique de la dissuasion nucléaire : l’Eglise catholique a changé », in Défense nationale, août-septembre 2000, pp 12-19.

 

VIOLENCE, JUSTICE ET PAIX DANS L’ANCIEN TESTAMENT

28 juillet, 2014

http://www.bible-service.net/extranet/current/pages/989.html

VIOLENCE, JUSTICE ET PAIX DANS L’ANCIEN TESTAMENT

Beaucoup de chrétiens se méfient de l’Ancien Testament car le Dieu qu’il nous présente, pensent-ils, est violent, guerrier, parfois cruel…
Beaucoup de chrétiens se méfient de l’Ancien Testament. Le Dieu de l’Ancien Testament, pensent-ils, est violent, guerrier, parfois cruel, alors que le Nouveau Testament nous donnerait à connaître, à travers la vie et le message de Jésus-Christ, un Dieu d’amour, un Dieu doux et miséricordieux, patient et compréhensif. Mon but, dans ces quelques pages, ne sera pas de recenser l’ensemble des passages bibliques, de l’Ancien et du Nouveau Testament, qui mériteraient d’être relus et scrutés en fonction de l’image de Dieu qu’ils paraissent nous proposer. Il ressortirait sans doute d’une telle enquête que le Dieu de l’Ancien Testament est moins monolithique qu’on l’imagine parfois et que le Nouveau Testament recèle, lui aussi, quelques pages dont la violence a de quoi interroger le lecteur. Il s’agira pour moi ici, plus simplement, de tenter de poser quelques jalons historiques et de voir dans quelle mesure les différents langages que nous rencontrons dans l’Ancien Testament sur l’exercice du pouvoir de Dieu — et donc, sur la manifestation de sa violence — ne trouvent pas un éclairage nouveau si on cherche à les situer dans leur contexte historique. La démarche historique permet une prise de distance qui à son tour se révèle libératrice et ouvre la voie, parfois, à une réappropriation théologique du texte.
1. Paix diffuse, violence larvée
La dispute, le conflit, la rivalité, la lutte au corps-à-corps, même les affrontements entre groupes humains, existent depuis qu’il y a des hommes. La guerre, en revanche, n’a été possible qu’à partir du moment où il y a eu des États (même embryonnaires) capables de les organiser et de mettre sur pied des armées. La paix, par conséquent, en tant qu’idéal conceptualisable, présuppose l’expérience de la guerre et, donc, l’État.
La littérature biblique certes ne remonte pas à une époque qui précéderait l’émergence des royaumes d’Israël et de Juda, mais cela ne l’empêche pas de mettre en scène, dans les récits patriarcaux de la Genèse, un univers dont l’État est encore absent, une société purement clanique qui ne connaît pas encore la guerre. Les légendes du cycle de Jacob, par exemple, se souviennent d’un mode d’existence — préétatique ou para-étatique — où les conflits se règlent par la ruse plutôt que par la violence et où les arrangements, souvent extorqués plutôt que consentis, ont le pas sur le droit.
Qu’en est-il de Dieu dans ces récits ? Bien que, pour les concepteurs du canon biblique tel que nous le connaissons, le Dieu de Jacob est le même que le Créateur de l’univers confessé en Gn 1, on devine que dans l’univers des récits patriarcaux, le dieu protecteur du clan n’est encore ni unique ni tout-puissant. En Gn 31,53, ce sont bien deux dieux différents, le dieu de chaque clan, qui garantissent le traité entre Jacob et Laban. Le Dieu de l’Israël jacobien a donc des «collègues» qui sont responsables d’autres groupes ou d’autres nations. C’est, là aussi, ce que nous révèle Dt 32,8-9 dans sa version probablement primitive :
«(8) Quand le Très-Haut (« Elyon) donna les nations en fiefs, quand il partagea les êtres humains, il fixa le territoire des peuples d’après le nombre des fils de El (TM : «fils d’Israël», à l’origine certainement benei El oubenei Elim : El Elyon partage le territoire habité selon le nombre de ses fils, afin que chacun de ces fils de Dieu ait un peuple),
(9) la part de Yhwh, ce fut Jacob, le territoire de son fief, ce fut Israël» (TM : «car la part de Yhwh, c’est son peuple, et Jacob est le patrimoine qui lui revient»).
En même temps, nous voyons, dans le cycle de Jacob, le Dieu du clan être identifié au dieu El vénéré, sous des noms de culte différents, à Béthel (Gn 31,13; 35,7), à Sichem (Gn 33,20) ou à Penuel (Gn 32,31). Les dieux nationaux peuvent donc être perçus à la fois comme des puissances tutélaires rivales (dans la mesure où leurs protégés le sont) et comme des émanations du grand El (qui apparaît à Ugarit comme le père des dieux et le créateur du ciel et de la terre).
Dans cet univers-là, la violence des dieux trouve donc sa limite dans le partage raisonnable de leurs zones d’influence parmi les hommes, tout comme la violence des hommes doit déboucher finalement sur un partage à l’amiable des terres habitables. Même dans le contexte théologique plus classique, celui du Dieu national guerrier, le partage des zones d’influence entre dieux nationaux reste sous-entendu. Lorsque Jephté s’adresse au chef des Ammonites, il lui dit :
«… (23) Et maintenant que Yhwh, Dieu d’Israël, a dépossédé les Amorites devant son peuple Israël, toi, tu voudrais le déposséder ? (24) Ne possèdes-tu pas ce que Kemosh, ton Dieu, te fait posséder ? Et tout ce que Yhwh, notre Dieu, a mis en notre possession, ne le posséderions-nous pas ?» (Jg 11,23-24).Le Dieu tribal ou national peut certes se manifester aussi par des signes accompagnateurs «cosmiques», comme dans le Cantique de Débora (Jg 5,4-5.20-21), mais la paix n’est pas orchestrée par un Dieu suprême : elle résulte plutôt d’un processus d’autorégulation où les forces des groupes divers et de leurs dieux se retrouvent en équilibre.
2. Paix centralisée, violence instrumentalisée
Avec l’avènement de la royauté, de l’État fort, et surtout de l’État impérial, nous découvrons une vision de l’ordre pacifique à la fois beaucoup plus ambitieuse, plus élaborée dans son discours, et surtout plus centralisée, une vision de la paix telle qu’elle est incarnée et défendue par cet État. Tout au long de leur histoire, l’Égypte aussi bien que la Mésopotamie nous en fournissent des attestations nombreuses. Toutes relèvent de ce que l’on peut appeler l’idéologie royale.
En Égypte, le roi, fils de Re et incarnation du dieu Horus, est le garant de la maat, de l’ordre cosmique. Selon cette idéologie, le règne du Pharaon a des effets bénéfiques non seulement pour l’administration de son royaume au sens étroit — exercice de la justice, protection des faibles contre les puissants, tranquillité des villes et des campagnes — mais aussi pour la sécurité extérieure : bédouins asiatiques, envahisseurs libyens ou nubiens, animaux sauvages sont maintenus bien à l’écart des frontières — ainsi que pour la prospérité économique et même le maintien des cycles naturels : crues du Nil, abondance des récoltes, etc. Le conte prophétique de Neferty (une prophétie fictive annonçant en fait le règne d’Amenemhet Ier [env. 1991-1962 av. J.-C.]) nous brosse, par la voie de la négative, un tableau saisissant de cette idéologie.
26) (…) Les cours d’eau de l’Égypte seront à sec (…) (31) (…) Toute bonne chose s’en ira, la terre de misère s’étendra (32) à cause de ces nourritures des Bédouins Asiatiques qui seront à travers la terre. Les ennemis (33) adviendront à l’est; les Asiatiques descendront vers l’Égypte. La forteresse sera trop étroite (…) (34) On grimpera à l’échelle dans la nuit, on pénétrera dans les forteresses, on chassera l’ensommeillé, (35) (…). Les animaux du désert boiront aux rivières (36) de l’Égypte, ils se rafraîchiront à leurs rives car on ne les chassera plus. (…) (43) (…) L’homme sera inerte, se détournant (44) quand l’un tue l’autre. Je te montre le fils comme un ennemi, le frère comme un adversaire, un homme (45) qui tue son père. (… …).
C’est un roi (58) qui surgira pour le sud : Amen, juste-de-voix, est son nom. Il est le fils d’une femme du premier nome du sud (…) (61) (…) Le fils d’un homme (62) fera son renom pour toujours et à jamais. Ceux qui en sont venus au mal et ceux qui ont conçu la révolte, (63) ils auront baissé le ton de leurs paroles en raison de la terreur qu’il inspire. Les Asiatiques tomberont sous ses coups (64), les Libyens tomberont par sa flamme, les ennemis par sa fureur, les révoltés de sa (65) crainte. (…) (68) (…). La maat reviendra à sa place, (69) le mal étant repoussé à l’extérieur. (…)» (cité d’après la traduction de D. Devauchelle, in Prophéties et oracles. II. en Egypte et en Grèce, Suppl. au cah.év. 89, Paris, Le Cerf, 1994, p.10-13).
Des textes finalement assez comparables nous proviennent de la royauté sumérienne (cf. par exemple l’hymne royal de Lipitishtar de Isin (19e s. av. J.-C. dans A. Falkenstein, W. von Soden, Sumerische und Akkadische Hymnen und Gebete, Zurich, Stuttgart, Artemis, 1953, p. 126-130) : le roi Lipitishtar, comme il l’évoque dans son hymne à lui-même, permet à la nature de s’épanouir, au temple de prospérer, à la guerre d’anéantir l’ennemi, à l’administration d’exceller et au droit de s’imposer partout.
En Égypte comme en Mésopotamie, la paix est perçue comme un état étroitement associé à la justice : elle est avec la justice l’expression de l’ordre cosmique dont le Dieu est le créateur et le roi le garant. Mais le propre de l’ordre cosmique, c’est que le cosmos y est compris comme une sorte de capsule d’ordre au sein du chaos infini, comme une zone habitable cernée de toutes parts par les déserts et les océans, donc comme une nacelle protégée (mais par définition fragile) perdue dans les immensités du chaos. (Telle sera également l’image suggérée par Gn 1).
Dans cette perspective, la paix est toujours une paix de forteresse, une paix qui doit se défendre contre tous ses ennemis. En théorie, la prétention à l’extension de cette paix est universelle, mais en fait, chaque puissance sait bien jusqu’où s’étend son pouvoir concret. Telle sera la pax aegyptiaca, la pax assyriaca ou la pax romana, elle se présentera à ses bénéficiaires comme une sorte de cloche ou de parapluie : chacun a intérêt à s’y abriter, car à l’extérieur la guerre est impitoyable et la lutte éternelle.

Ce qui est assez étonnant, c’est que le petit royaume de Juda — pour le royaume d’Israël, le royaume du nord, nous manquons d’informations — a assumé la même idéologie royale, la même conception de l’ordre cosmique, toutefois en en situant le centre non à Thèbes ou à Assur, mais à Jérusalem. Les Psaumes royaux, notamment les Ps 2 (versets 7-9), 72 et 110 (versets 1. 5s.) ou encore le Ps 76, montrent bien que le roi de Jérusalem revendique, lui aussi, une souveraineté universelle : tous les rois de la terre lui doivent soumission ou allégeance, même si cela devait paraître un peu prétentieux. Comme en Égypte ou en Mésopotamie, on peut observer cependant de grandes variations quant au sort qui est réservé, dans la théorie, à ces rois étrangers. Dans les versions belliqueuses (Merenptah, Lipitishtar, Ps 2,9; 110,5-6; Joël 4,9-21), les rois sont écrasés et anéantis. Dans les versions plus sereines — par exemple, dans les scènes de présentation du tribut de tous les peuples de la terre à Akhénaton — les rois étrangers et leurs nations se soumettent volontairement et dans l’allégresse, et, dans nombre de passages bibliques (cf. par exemple Ps 22,28-30; 68,29-32; 76,9-13; Es 2,2-5; Mi 4,1-5), les rois et leurs nations se prosternent devant le Dieu d’Israël et se rendent en pèlerinage à Jérusalem. Mais toujours la paix se fait-elle au bénéfice du centre : Jérusalem, Assur, Thèbes se considèrent comme le centre du monde.
Une remarque encore : il n’y a pas que les ennemis de l’extérieur, les rois des nations, qui menacent l’ordre cosmique, il y a aussi les animaux sauvages. Ceux-ci restent, dans de nombreux textes, associés aux forces du chaos et sont considérés comme une menace pour la paix des hommes. C’est pourquoi, dans l’idéologie royale, la chasse tout comme la guerre fait partie des obligations et des prérogatives du roi (même si dans les faits, la chasse deviendra très rapidement une opération de prestige plus que de nécessité : en Assyrie, il faudra importer les lions pour que les rois puissent encore se livrer à leur chasse). Mais ce thème — en tout cas sur le plan métaphorique — reste important dans la littérature biblique. Là aussi, les bêtes sauvages sont soit écartées ou supprimées (Ez 34,25), soit — dans une perspective utopique et eschatologique — totalement pacifiées (Es 11,6-9; 65,25). Selon Os 2,20 (passage probablement secondaire), l’établissement du pouvoir de Yhwh sera si total que les animaux sauvages et les ennemis humains ne pourront plus nuire et que les armes de guerre et de chasse seront supprimées en même temps.
Il se pose toutefois, pour l’application au contexte israélite/judéen du concept de la paix cosmique, un problème majeur : ce concept n’a de sens que si le dieu qui le garantit est sinon le Dieu créateur, du moins le souverain du ciel et de la terre. Or, on a aujourd’hui quelques raisons de penser que le dieu national d’Israël, Yhwh, n’a été confessé explicitement comme Créateur du ciel et de la terre qu’à partir du milieu ou de la fin du VIIe siècle av. J.-C., probablement à partir du règne de Josias.
Donc, la présence dans la pensée judéenne d’un concept de paix à la fois universel et centré sur Yhwh et son temple à Jérusalem est une surprise, presque une anomalie : les contemporains et voisins de Juda en tout cas pouvaient y voir un signe de prétention et de démesure. Alors, comment expliquer l’apparition, dans le contexte judéen, d’une théologie et d’une cosmologie réservée normalement aux «grandes puissances» ?
Il faut se rendre compte, d’abord, comment cette vision s’exprime dans les récits de la conquête du pays de Canaan par Israël. En Ex 34,11-13, Yhwh annonce à Moïse qu’il va chasser devant Israël tous les anciens habitants du pays, puis il lui interdit de conclure des alliances avec eux et leur ordonne de renverser leurs autels et autres installations cultuelles. En Dt 20,10-14, Moïse donne aux Israélites les instructions sur la manière dont ils auront à traiter les villes du pays dans lequel ils s’apprêtent à entrer. Celles qui ouvriront leurs portes aux envahisseurs seront simplement astreintes à la corvée et à la servitude. Les villes qui résistent seront assiégées, leurs hommes tués et les femmes et enfants réduits en esclavage. Puis viennent, aux versets 15-18, une clause aggravante : seules les villes éloignées du nouvel habitat d’Israël subiront le sort qui vient d’être décrit. La population des autres villes, c’est-à-dire des villes proches, devra être entièrement exterminée. Enfin, dans le récit de la conquête lui-même, nous trouvons le bilan est tiré en Jos 11,16-20 : «(16) Ainsi Josué prit tout ce pays : la Montagne, tout le Néguev, tout le pays du Goshèn, le Bas-Pays, la Araba, la montagne d’Israël et son bas-pays. (17) Depuis le mont Halaq qui se dresse vers Séïr jusqu’à Baal-Gad dans la vallée du Liban sous le mont Hermon, et il s’empara de tous leurs rois, les frappa et les mit à mort. (18) Pendant de nombreux jours, Josué fit la guerre à tous ces rois. (19) Pas une seule ville ne fit la paix avec les fils d’Israël, à l’exception des Hivvites qui habitent Gabaon; toutes les autres furent prises par les armes. (20) En effet, Yhwh avait décidé d’endurcir leur coeur à engager la guerre avec Israël afin de les vouer à l’interdit en sorte qu’il ne leur soit pas fait grâce et qu’on puisse les exterminer comme l’avait prescrit Yhwh à Moïse.»
Tous ces passages n’appartiennent pas à la même rédaction, mais tous traduisent la même perspective de base. Nous avons là une version extrême du concept centralisé de paix : à l’intérieur, un peuple homogène astreint à une allégeance sans faille à son Dieu, et à l’extérieur, l’éjection, l’esclavage ou la mort de tous les autres !
L’école théologique et littéraire à laquelle nous devons cet idéal et cette compréhension de l’histoire d’Israël est appelée par l’exégèse historico-critique «l’école deutéronomiste»: «deutéronomiste» parce que c’est dans le livre du Deutéronome que l’on retrouve les principes de base de cette école. On doit à ce cercle une oeuvre historiographique qui comprend les livres allant du Deutéronome au 2e livre des Rois et qui retrace l’histoire d’Israël depuis la veille de l’entrée en Canaan jusqu’à la chute des royaumes d’Israël et de Juda.
Avant de s’interroger sur le contexte historique dans lequel une telle perspective de l’histoire a pu se développer, il faut d’abord insister sur le fait que — d’après les recherches concordantes de ces quatre ou cinq dernières décennies, tant sur le plan archéologique et épigraphique que sur celui de la critique historique des textes bibliques — la présentation des origines d’Israël dans les livres du Deutéronome et de Josué se révèle fictive de A à Z. Le Blitzkrieg de Josué, le bain de sang, le «nettoyage ethnique», tout est inventé ! En réalité, les tribus israélites qui se sont formées dans la partie montagneuse de la Palestine centrale ne doivent nullement leur présence dans le pays à une invasion guerrière, ni même à une infiltration plus diffuse de groupes en provenance de Syrie ou d’Égypte. Pour l’essentiel, même si certains groupuscules ont pu venir s’y adjoindre de l’extérieur, nous sommes en présence, très simplement, d’une population rurale autochtone et composite qui, au début du Fer I (12e/11e s.), développe l’habitat des montagnes, prend conscience de son autonomie et finit par s’organiser politiquement sur le mode clanique et tribal.
Mais si les événements rapportés par ces récits ne sont pas historiques, si donc ces récits ne sont qu’un montage idéologique, cela ne risque-t-il pas d’aggraver plutôt que d’atténuer le jugement sévère que nous serons tentés de porter sur ces textes et sur ceux qui les ont produits ? Comment expliquer une dérive aussi redoutable ?
Le contexte historique dont il faut prendre conscience, le voici : Le système de petits États syro-palestiniens dont faisaient partie Israël et Juda et au sein duquel les dieux et leurs peuples se considéraient comme des frères (même si cela ne les empêchaient pas de se livrer des guerres incessantes), ce système fut sérieusement ébranlé — et même aboli — lorsque surgit, dans la deuxième moitié du VIIIe siècle, l’impérialisme assyrien. Ces petits États, qui avaient nourri l’illusion de leur indépendance alors qu’ils restaient, nominalement, dans la zone d’influence égyptienne, furent soudainement et brutalement transformés en royaumes vassaux des Assyriens, voire en provinces assyriennes. Le roi d’Assyrie se considérait comme le vicaire terrestre du dieu Assur, et il se sentait appelé à transformer les habitants du monde entier en «sujets de la Cité du dieu Assur». L’impérialisme assyrien s’approchait des États et des cités du Proche-Orient avec exactement les mêmes revendications que celles que nous trouvons dans les lois de la guerre de Dt 20 : «la capitulation ou la mort !» La terre entière devait être soumise au dieu Assur.
Le langage, les mises en scène et l’idéologie de la littérature deutéronomiste de l’Ancien Testament ne sont donc qu’une adaptation à Yhwh, une assimilation israélite du mode de penser assyrien. Pour s’opposer au militarisme totalitaire et brutal de l’Assyrie, les deutéronomistes acceptent de militariser et de brutaliser leurs propres tradition religieuses, (… un peu comme la théologie barthienne, pour s’opposer au totalitarisme nazi se fait l’avocat, dans l’interprétation de son propre patrimoine traditionnel, d’un transcendantalisme autoritaire). On peut aujourd’hui reconstruire avec un certain degré de probabilité les phases historiques de ce mouvement de pensée. Les «deutéronomistes», auteurs du Deutéronome, se situent d’abord dans la lignée du prophétisme du VIIIe siècle (qui était un mouvement d’opposition et d’exclusivisme religieux, cf. surtout Amos et Osée) : ils représentent un courant anti-assyrien, et ce sont eux qui vont instaurer le modèle de «l’alliance», c’est-à-dire du traité de vassalité imposé par les Assyriens, à la religion d’Israël. Le vrai suzerain d’Israël, martèleront-ils, n’est pas Assur mais Yhwh. La seule allégeance légitime pour Israël ne va pas au conquérant assyrien mais à Yhwh, le Dieu d’Israël.
Un peu plus tard, lorsque sous le règne de Josias (640-609), l’empire assyrien commence à s’affaiblir avant de s’effondrer complètement, le mouvement deutéronomiste sort de l’underground, entre à la cour et devient la doctrine officielle. La fameuse réforme de Josias en 622, qui centralise le culte à Jérusalem et qui officialise le Deutéronome, en est la manifestation visible. Dans ce contexte, on écrit l’histoire des origines d’Israël. On fait de l’exode et de l’alliance avec Yhwh par la médiation de Moïse l’événement clef de cette histoire et on représente l’entrée d’Israël en Canaan à la lumière des invasions assyriennes : un rouleau compresseur qui fait table rase. Josué n’est rien d’autre qu’une projection dans le passé de Josias lui-même, qui s’efforce d’ailleurs (mais avec moins de succès que son modèle) de reprendre les territoires de l’ancien royaume d’Israël.
Cette perspective triomphaliste, curieusement, se maintient, et même se radicalise encore, lorsqu’à nouveau la constellation internationale change du tout au tout. Josias a profité du vide passager créé par l’effondrement de l’Assyrie, mais il est capturé par les Égyptiens en 609 et mis à mort. Bientôt, les Néobabyloniens ont pris le relais des Assyriens, et c’est Nébukadnezzar qui en, 597, puis en 587, assiège puis détruit Jérusalem, entraînant l’élite judéenne dans ce qu’on appelle l’exil à Babylone. Les deutéronomistes, cette fois, accentuent la perspective du jugement : Si Israël et Juda ont sombré, cela n’est pas dû à une quelconque faiblesse de leur Dieu — au contraire, le livre de Josué sert maintenant à démontrer que le pays a été donné à Israël dans toute son extension, vidé de ses anciens habitants, quasi «clefs-en-mains», et que c’est Israël qui n’a pas été à la hauteur de sa tâche, se laissant toujours à nouveau gagner par l’infidélité à Yhwh. La chute des royaumes d’Israël et de Juda est donc vue comme un juste châtiment infligé par Yhwh à son peuple. Reste en suspens la seule question de savoir si ce châtiment est définitif — s’il représente en quelque sorte le dernier mot de l’histoire — ou non.
L’historiographie deutéronomiste proprement dite s’arrête en 562 (cf. 2 R 25,27-30), mais les héritiers de cette tradition littéraire et de cette forme de pensée vont gérer leur patrimoine jusqu’à la fin de la période biblique, et à certains égards, me semble-t-il, jusqu’à nos jours, tant dans le christianisme que dans le judaïsme. Au moment où se constituera, à l’époque perse, la Tora canonique du judaïsme naissant, ils veilleront à ce que leur tradition occupe, dans le nouvel ensemble une place de choix.
3. Paix universelle, violence conjurée
Heureusement, dirais-je — enfin, c’est là mon sentiment personnel — le courant deutéronomiste n’est pas le seul à se faire entendre dans la tradition biblique sur les origines d’Israël. Une autre voix, capitale et qui, en façonnant un certain nombre de récits-clef de la Tora, notamment dans le livre de la Genèse, va contribuer à l’universalisation du canon biblique, est la voix de l’auteur dit «sacerdotal» (désigné «P» par les biblistes) et de son école. Nous lui devons en particulier le récit de la création du monde en Gn 1, une des versions du récit du Déluge en Gn 6-9, le récit de l’alliance avec Abraham en Gn 17 ainsi que le baes de cette grande législation sacerdotale (*Ex 25 à Nb 10), qui place au centre la fondation du Tabernacle et qui conçoit la pratique rituelle comme une sorte de sacrement permettant à l’homme pécheur — le juif mais à travers lui, l’humanité entière — de subsister devant le Dieu très-saint.
L’école sacerdotale doit avoir elle aussi des antécédents qui remontent à l’époque préexilique, mais pour l’essentiel elle s’épanouit à partir de l’exil. L’auteur des textes de la Genèse est certainement une personnalité de la fin de l’exil. Cette période coïncide avec l’émergence de l’empire perse, période qui inaugure ce que l’on serait tenté d’appeler une ère de modernité. Cyrus entre à Babylone en 539, salué presque en libérateur (y compris par le Deutéroésaïe). Les Perses n’ont pas eu à conquérir leur empire: ils en ont hérité. Aussi leur attitude à l’égard des peuples de cet empire va-t-elle être à l’opposé de celle des Assyriens. Alors que les Assyriens tentaient par tous les moyens — par exemple, par des déportations massives — de dissoudre, d’assimiler, d’égaliser ou d’homogénéiser les peuples conquis et de les soumettre tous à Assur, les Perses, au contraire, ont vu leur intérêt dans la tolérance des particularités et des diversités. Leur dieu suprême, Ahuramazda, s’accommodait fort bien de la pluralité des cultures et des religions. Comme l’a montré H.-P. Frei en 1984, ils ont même favorisé, dans les diverses parties de leur empire, la fixation et la canonisation des lois et des traditions, en invitant les autorités locales à leur fournir une «version officielle» (Cf. P. Frei, K. Koch, Reichsidee und Reichsorganisation im Perserreich. Zweite, bearbeitete und stark erweiterte Auflage, OBO 55, Fribourg et Göttingen, Universitätsverlag, 1996, 1re édition: 1984). Ainsi en Lydie, en Égypte et … en Israël. On peut penser, en effet, que l’édition de la Tora, la rédaction normative du Pentateuque, n’est pas due simplement, comme on l’a pensé depuis deux cents ans, à une succession arbitraire de rédactions maladroites, mais qu’elle est le résultat d’une négociation intense entre les différents courants juifs, les partis présents étant fermement invités par les Perses à se mettre d’accord et à leur fournir une «copie» unique. L’AT lui-même en garde le souvenir, puisqu’il nous apprend que le grand «rédacteur» de la Tora, le juif Esdras, était un fonctionnaire perse, délégué à cette fin à Jérusalem (Esd 7; Ne 8). Il est évident que la tolérance des Perses avait des limites: ce qui aurait risqué de déstabiliser l’empire ou la coexistence de ses ethnies n’aurait pas passé la censure (encore que la sagesse politique perse pût aussi avoir consisté à intégrer la voix de l’opposition plutôt que de la supprimer), mais tout ce qui était particularisme, coutume ancestrale, loi religieuse était systématiquement favorisé. Depuis une dizaine d’années, on a donc appris à lire la Tora comme un formidable «match» entre deux grands courants opposés, le courant deutéronomiste et le courant sacerdotal.
L’auteur sacerdotal est un homme de l’empire perse. Il est aux antipodes du courant deutéronomiste, et il va introduire une vision de Dieu, d’Israël et de l’humanité qui se défera de toute agressivité guerrière et qui optera pour ce qui apparaît comme une sorte de pacifisme réaliste. Cette perspective, dont on n’a, me semble-t-il, pas encore mesuré l’originalité et la radicalité, j’aimerais ici et pour conclure en esquisser quelques éléments :
Dans l’histoire sacerdotale, qui va de la création de l’univers (Gn 1) à la mort de Moïse (Dt 34), aucune guerre n’est rapportée. Il n’est pas dit comment les Israélites entrent dans le pays. Apparemment, la terre de Canaan est restée vide jusqu’à l’arrivée des Israélites, et ce pays leur échoit sans guerre. Mais les Israélites ne sont pas les seuls habitants du pays. Car l’auteur sacerdotal renoue aussi avec la pensée généalogique de la période tribale. Pour cet auteur, deux ancêtres sont importants : Noé (Gn 9-10), qui est l’ancêtre de toute l’humanité, et Abraham (Gn 17) qui est l’ancêtre non seulement des Juifs mais aussi de tous les peuples voisins de Palestine et du Levant (notamment les Édomites et les Ismaélites), et c’est avec ces deux ancêtres, et avec eux seuls, que Dieu conclut une alliance. Israël partage avec tous les descendants d’Abraham la promesse du pays de Canaan. La particularité d’Israël n’est pas niée, mais elle est vue dans une perspective qu’on pourrait appeler sacerdotale : Israël est le gardien du Temple, il est le prêtre de l’humanité. Mais pour le reste, la perspective est résolument internationaliste et interethnique.
Si l’auteur sacerdotal exclut la guerre de ses récits, il propose toutefois une réflexion très subtile sur la violence, et donc sur la guerre, et donc sur la paix et la justice. En effet, le monde, dont il raconte la création en Gn 1, est un monde «bon» et même «très bon» (Gn 1,31). Les habitants de la terre, c’est-à-dire les animaux terrestres et les hommes, se partagent le même habitat mais n’entrent pas en conflit, car leur nourriture n’est pas la même : graines et fruits pour les hommes, herbes et verdure pour les animaux. Ni les hommes ni les animaux ne sont carnivores. C’est donc la paix et non la violence qui a été inscrite dans l’ordre de la création. Évidemment, il n’a pas échappé à notre auteur que cette vision idéale des choses était démentie par la réalité empirique. Mais il n’y a pas chez lui un récit de la «chute». Simplement, il constate, au début de l’histoire du déluge, que «toute chaire est corrompue et que la terre s’est remplie de violence» (Gn 6,11s.). C’est donc la violence qui est le mal par excellence. Mais qui en est responsable ? «Toute chair», c’est-à-dire les hommes et les animaux dans leur ensemble. Le problème n’est donc pas celui d’une culpabilité individuelle de tel ou tel individu ou groupe, d’humains ou d’animaux. On pourrait dire que le problème est structurel, et cela nous fait rejoindre la manière dont le problème est abordé dans certains mythes mésopotamiens. Dans l’épopée d’Atrahasis par exemple, c’est parce que les hommes, devenus prolifiques, font trop de bruit et l’empêchent de dormir que le dieu Enlil décide de les affamer, de les faire mourir de maladie et, finalement, de les noyer sous les eaux du Déluge. Derrière le «bruit» comme derrière la «violence» se profile le spectre de la surpopulation humaine et animale : il y a trop d’hommes, il y a trop d’animaux, ils font trop de bruit, et ils sont trop violents. Et c’est cette surpopulation, devenue «ingérable», qui précipite la catastrophe. Il faut faire table rase, recommencer à zéro. Mais la catastrophe ne résout rien.
«Faire la guerre pour mettre fin à toutes les guerres», c’est la tentation de toujours, et c’est la logique qui conduit au Déluge. Le Déluge survient, mais il n’arrange rien. Selon l’un de nos deux narrateurs (probablement un glossateur de P), Dieu dit : «Je ne recommencerai plus à maudire le sol à cause de l’homme, car le produit du coeur de l’homme est le mal, dès sa jeunesse. Plus jamais je ne frapperai tous les vivants comme je l’ai fait!» (Gn 8,21). La motivation pour ne plus envoyer de Déluge est exactement la même que celle qui avait justifié son déclenchement (6,5). Dieu a compris que les hommes d’après le Déluge ne sont pas meilleurs que les hommes d’avant. Et si le Déluge est désormais écarté, c’est parce que sa valeur pédagogique s’est révélée nulle. Il y a, en revanche, une certaine pédagogie de Dieu : Dieu fait l’expérience de ce qui «marche» et de ce qui ne «marche» pas dans le traitement des hommes.
Dès le moment où les solutions radicales ont échoué, on comprend mieux les enjeux du récit de la «reconstruction» postdiluvienne, telle qu’elle est envisagée par le narrateur sacerdotal. Dans ce récit, en Gn 9,1-17, Dieu établit une alliance avec Noé, et on ne s’étonnera pas que celle-ci tourne entièrement autour de la question de la violence et de son endiguement. La violence, non seulement entre hommes, mais aussi entre humains et animaux, ne peut plus être ni ignorée ni définitivement extirpée, et c’est pourquoi il s’agit maintenant de mettre en place des garde-fous afin que la vie des hommes et des animaux ne soit pas engloutie par la violence qu’elle ne cesse d’engendrer. La prolifération et la fécondité des hommes est maintenue (9,1), mais celui qui verse le sang en sera tenu pour responsable : «De votre sang, qui est votre propre vie, je demanderai des comptes à toute bête et j’en demanderai compte à l’homme : à chacun je demanderai compte de la vie de son frère.» (9,5). Et afin de bien montrer que les solutions radicales («venger sept fois», «exterminer et recommencer») sont désormais bannies, Dieu lui-même va donner l’exemple. L’arc-en-ciel, qui en est le signe visible, doit rappeler – aux hommes comme à Dieu lui-même – que Dieu a suspendu son arc dans les nuages (Gn 9,13-16), c’est-à-dire que l’arc – qui est l’arme de guerre, de chasse et d’extermination par excellence – a été rangé au râtelier. Dieu lui-même proclame qu’il ne contribuera plus au cycle de la violence. Et que cela se sache !
Pacifisme réaliste, avons-nous dit à propos de cet auteur. Dans les récits sacerdotaux du début de la Genèse, la réflexion sur les origines de la violence est, on le voit, étroitement associée à la réflexion sur les origines de l’humanité. Ce narrateur — mais cela peut être dit aussi des autres voix qui s’expriment en Gn 1-11 — savent fort bien que si l’avenir de l’humanité est menacé, c’est avant tout par la violence. Pourtant leurs récits ne suggèrent ni l’angélisme ni l’indignation automatique. La violence, pour eux, a bien quelque chose d’endémique. La condition humaine est telle que la violence est toujours là, un peu comme la bête tapie derrière la porte de Caïn, prête à bondir. Mais l’homme n’est pas pour autant dégagé de sa responsabilité vis-à-vis d’elle. C’est à l’homme qu’il appartient de dominer la violence, c’est-à-dire de l’apprivoiser, de l’endiguer, de la domestiquer comme on le ferait d’une bête sauvage : d’imaginer donc des structures dans lesquelles cette violence pourrait se faire moins menaçante ou de concevoir des stratégies qui pourraient la rendre moins dévorante.
Nous voici arrivés au terme d’un périple qui, en nous conduisant de l’Israël clanique et tribal au judaïsme naissant de l’empire perse, en passant par le royaume de Josias repensé à la lumière de la confrontation avec l’Assyrie, nous a permis de repérer trois conceptions différentes de la puissance et de la violence du Dieu d’Israël.
Le premier modèle, à la fois archaïque et moderne, part d’un monde pluripolaire et d’une humanité où les peuples sont à la fois collègues et rivaux et où leurs dieux eux-mêmes doivent coexister à l’intérieur d’un ordre cosmique diffus et se partager leurs zones d’influence. Ce qui compte là, c’est le bon sens mais aussi l’astuce, la décence mais aussi une certaine débrouillardise.
Le deuxième modèle nous introduit à une conception centralisée du monde et de l’ordre cosmique. La paix y est commandée et imposée par un pouvoir central, que ce soit par la persuasion ou par la force. A l’extérieur de cet ordre, il n’est point de salut. Ce modèle peut trouver des expressions sereines (souvent utopistes ou eschatologiques) ou alors, extrêmement agressives.
Le troisième modèle transcende les deux modèles précédents tout en valorisant certains de leurs aspects. En redécouvrant d’une part les vertus du système généalogique, en maintenant d’autre part le postulat d’un Dieu créateur unique, il propose une vision étonnamment universaliste et pacifique de la paix et de la justice. La violence est perçue comme un ferment de destruction extrêmement dangereux : Dieu et les hommes s’allient pour l’endiguer et pour conjurer la menace qu’elle représente pour l’un et les autres.

Albert de Pury, FPF / SBEV, Bulletin Information Biblique n° 52 (juin 1999) p. 15.

EL GRECO, JACQUES LE MAJEUR

25 juillet, 2014

EL GRECO, JACQUES LE MAJEUR dans images sacrée

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BENOÎT XVI: JACQUES LE MAJEUR

25 juillet, 2014

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BENOÎT XVI

AUDIENCE GÉNÉRALE

Mercredi 21 juin 2006

JACQUES LE MAJEUR

Chers frères et soeurs,

En poursuivant la série de portraits des Apôtres choisis directement par Jésus au cours de sa vie terrestre, nous avons parlé de saint Pierre, de son frère André. Aujourd’hui, nous rencontrons la figure de Jacques. Les listes bibliques des Douze mentionnent deux personnes portant ce nom: Jacques fils de Zébédée et Jacques fils d’Alphée (cf. Mc 3, 17.18; Mt 10, 2-3), que l’on distingue communément par les appellations de Jacques le Majeur et Jacques le Mineur. Ces désignations n’entendent bien sûr pas mesurer leur sainteté, mais seulement prendre acte de l’importance différente qu’ils reçoivent dans les écrits du Nouveau Testament et, en particulier, dans le cadre de la vie terrestre de Jésus. Aujourd’hui, nous consacrons notre attention au premier de ces deux personnages homonymes.
Le nom de Jacques est la traduction de Iákobos, forme grécisée du nom du célèbre Patriarche Jacob. L’apôtre ainsi appelé est le frère de Jean et, dans les listes susmentionnées, il occupe la deuxième place immédiatement après Pierre, comme dans Marc (3, 17), ou la troisième place après Pierre et André dans les Evangiles de Matthieu (10, 2) et de Luc (6, 14), alors que dans les Actes, il vient après Pierre et Jean (1, 13). Ce Jacques appartient, avec Pierre et Jean, au groupe des trois disciples préférés qui ont été admis par Jésus à des moments importants de sa vie.
Comme il fait très chaud, je voudrais abréger et ne mentionner ici que deux de ces occasions. Il a pu participer, avec Pierre et Jean, au moment de l’agonie de Jésus dans le jardin du Gethsémani, et à l’événement de la Transfiguration de Jésus. Il s’agit donc de situations très différentes l’une de l’autre: dans un cas, Jacques avec les deux Apôtres fait l’expérience de la gloire du Seigneur. Il le voit en conversation avec Moïse et Elie, il voit transparaître la splendeur divine en Jésus; dans l’autre, il se trouve face à la souffrance et à l’humiliation, il voit de ses propres yeux comment le Fils de Dieu s’humilie, en obéissant jusqu’à la mort. La deuxième expérience constitua certainement pour lui l’occasion d’une maturation dans la foi, pour corriger l’interprétation unilatérale, triomphaliste de la première: il dut entrevoir que le Messie, attendu par le peuple juif comme un triomphateur, n’était en réalité pas seulement entouré d’honneur et de gloire, mais également de souffrances et de faiblesse. La gloire du Christ se réalise précisément dans la Croix, dans la participation à nos souffrances.
Cette maturation de la foi fut menée à bien par l’Esprit Saint lors de la Pentecôte, si bien que Jacques, lorsque vint le moment du témoignage suprême, ne recula pas. Au début des années 40 du I siècle, le roi Hérode Agrippa, neveu d’Hérode le Grand, comme nous l’apprend Luc, « se mit à maltraiter certains membres de l’Eglise. Il supprima Jacques, frère de Jean, en le faisant décapiter » (Ac 12, 1-2). La concision de la nouvelle, privée de tout détail narratif, révèle, d’une part, combien il était normal pour les chrétiens de témoigner du Seigneur par leur propre vie et, de l’autre, à quel point Jacques possédait une position importante dans l’Eglise de Jérusalem, également en raison du rôle joué au cours de l’existence terrestre de Jésus. Une tradition successive, remontant au moins à Isidore de Séville, raconte un séjour qu’il aurait fait en Espagne, pour évangéliser cette importante région de l’empire romain. Selon une autre tradition, ce serait en revanche son corps qui aurait été transporté en Espagne, dans la ville de Saint-Jacques-de-Compostelle. Comme nous le savons tous, ce lieu devint l’objet d’une grande vénération et il est encore actuellement le but de nombreux pèlerinages, non seulement en Europe, mais du monde entier. C’est ainsi que s’explique la représentation iconographique de saint Jacques tenant à la main le bâton de pèlerin et le rouleau de l’Evangile, caractéristiques de l’apôtre itinérant et consacré à l’annonce de la « bonne nouvelle », caractéristiques du pèlerinage de la vie chrétienne.
Nous pouvons donc apprendre beaucoup de choses de saint Jacques: la promptitude à accueillir l’appel du Seigneur, même lorsqu’il nous demande de laisser la « barque » de nos certitudes humaines, l’enthousiasme à le suivre sur les routes qu’Il nous indique au-delà de toute présomption illusoire qui est la nôtre, la disponibilité à témoigner de lui avec courage, si nécessaire jusqu’au sacrifice suprême de la vie. Ainsi, Jacques le Majeur se présente à nous comme un exemple éloquent de généreuse adhésion au Christ. Lui, qui avait demandé au début, par l’intermédiaire de sa mère, à s’asseoir avec son frère à côté du Maître dans son Royaume, fut précisément le premier à boire le calice de la passion, à partager le martyre avec les Apôtres.
Et à la fin, en résumant tout, nous pouvons dire que le chemin non seulement extérieur, mais surtout intérieur, du mont de la Transfiguration au mont de l’agonie, symbolise tout le pèlerinage de la vie chrétienne, entre les persécutions du monde et les consolations de Dieu, comme le dit le Concile Vatican II. En suivant Jésus comme saint Jacques, nous savons que, même dans les difficultés, nous marchons sur la bonne voie. 

17E DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE – HOMÉLIE

25 juillet, 2014

http://www.homelies.fr/homelie,,3906.html

17E DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE

DIMANCHE 27 JUILLET 2014

FAMILLE DE SAINT JOSEPH JUILLET 2014

HOMÉLIE – MESSE

« Un trésor » : voilà bien une parole magique qui retient spontanément notre attention ! Les interlocuteurs de Jésus ne faisaient pas exception : bon nombre de contes orientaux sont structurés autour de la recherche d’un trésor fabuleux. Souvenons-nous de la caverne d’Ali Baba qui nous a tous fait rêver !
Pas besoin de longs discours : quelques paroles suffisent pour solliciter notre imaginaire. Aussi Jésus se contente-t-il de nous donner la trame du scénario : au cours de son travail, un ouvrier agricole découvre un « trésor caché ». On imagine sans peine sa joie et son excitation ; mais notre homme n’en perd pas pour autant le nord. Légalement il a droit à la moitié du butin, l’autre moitié revenant au propriétaire du champ. Pour éviter de devoir partager sa découverte, notre héros préfère vendre tous ses biens et acquérir le champ, afin de faire main basse sur la totalité du magot.
Spontanément nous nous imaginons un coffre rempli de pierres précieuses, dont la vente nous permettrait de couler des jours heureux, libres de tous soucis matériels. Mais le récit garde-t-il vraiment pour nous cette même saveur lorsque nous identifions ce fameux trésor avec le « Royaume des cieux » ? Jésus ne nous demande-t-il pas dans un autre passage, de choisir entre Dieu et l’argent ? La caverne d’Ali Baba n’est-elle pas dénoncée dans l’Evangile comme l’antre du diable ? Du coup, ce Dieu qui ne veut pas que nous nous enrichissions, n’a-t-il pas pris dans notre imaginaire l’apparence d’un épouvantail nous interdisant l’accès au bonheur ?
Peut-être découvrons-nous, en écoutant nos réactions intérieures face à cette parabole, que nous portons en nous l’image d’un Dieu jaloux de notre bien-être. Certes nous lui obéissons parce qu’il est plus puissant qu’Ali Baba, mais le cœur n’y est pas, et nous « louchons » vers la caverne au trésor…
Il est bon de prendre conscience de ces ambiguïtés, afin de laisser l’Esprit nous purifier de nos conceptions idolâtriques et nous relancer dans notre quête du vrai Dieu. Le « Royaume des cieux » est bel et bien un « trésor », et même un trésor infiniment plus précieux que toutes « les perles de grande valeur » du monde, puisqu’il nous donne accès au mystère de Dieu lui-même, la source de tout bien. Mais pour acquérir ce trésor ineffable, nous devons consentir à renoncer à ce que nous croyons savoir sur le mystère divin. Seul celui qui « vend tout ce qu’il a », c’est-à-dire qui se débarrasse de toutes ses précompréhensions sur Dieu, peut se disposer à accueillir l’héritage promis à ceux qui, par la foi en la Parole du Fils, s’ouvrent à la Révélation du Père.
Remarquons bien que notre héros n’achète pas le trésor, et pour cause : il est par définition hors de prix. Mais il acquiert le champ dans lequel il est enfoui. Ne serions-nous pas cet agriculteur qui travaille la glaise de sa vie comme un ouvrier, tant qu’il n’a pas découvert qu’il ne tient qu’à lui de devenir fils et donc propriétaire ? Pour opérer cette prise de conscience, il suffit que nous renoncions à vouloir obtenir le salut par nos propres efforts, pour nous mettre à l’écoute de la Parole que le Père nous adresse en son Fils unique Jésus-Christ. Nous découvrirons alors que le don de Dieu nous précède, car « il nous a choisis dans le Christ dès avant la création du monde, pour que nous soyons, dans l’amour, saints et irréprochables sous son regard » (Ep 1, 4). Et « ceux qu’il connaissait par avance, il les a aussi destinés à être l’image de son Fils, pour faire de ce Fils l’aîné d’une multitude de frères » (2nd lect.), afin de leur donner part à sa gloire (Ibid.).
Le choix n’est pas entre les richesses de la caverne d’Ali Baba et la misère d’une religiosité sans âme ; mais entre les biens éphémères de ce monde qui passe, et la participation à la gloire de Dieu, dans le Royaume qui ne passera pas. Celui qui a découvert le véritable enjeu de cette vie, s’en va tout joyeux vendre tout ce qu’il possède pour acquérir ce champ précieux et en extraire son trésor spirituel. Se joignant au Psalmiste il peut alors chanter : « Mon partage, Seigneur, c’est d’observer tes paroles. Mon bonheur, c’est la loi de ta bouche, plus qu’un monceau d’or ou d’argent ! » (Ps 118).
Telle est la véritable sagesse, celle qui ne s’arrête pas aux choses qui nous entourent, mais discerne la présence cachée de celui qui nous fait signe à travers elles. Nous découvrons ainsi que la liberté ne consiste pas à user – voire abuser – de ce monde selon notre bon plaisir, mais à pouvoir nous servir des dons de Dieu pour devenir ses collaborateurs, et gouverner avec lui la création qu’il nous a confiée. C’est ce que l’Esprit avait fait comprendre au jeune Salomon, lui inspirant de demander « non pas de longs jours, ni la richesse, ni la mort de ses ennemis, mais le discernement, l’art d’être attentif et de gouverner » (1ère lect.) sa vie selon le dessein de Dieu.

« Avez-vous compris tout cela ? » demande Jésus tout en jetant un regard circulaire insistant sur ceux qui l’entourent. Devant leur réponse affirmative le Seigneur conclut par une parole quelque peu énigmatique. Quel est donc ce scribe devenu disciple du Royaume, sinon celui qui a « compris » l’enseignement des paraboles et a tout vendu pour suivre Jésus, afin d’entrer avec lui dans le Royaume ? De serviteur d’un patrimoine terrestre qui ne lui appartenait pas, il est devenu comme « un maître de maison » qui dispose du trésor qu’elle contient. Car les quelques biens de ce monde que nous avons mis tant de mal à rassembler, nous serons en tout cas retirés au moment du grand passage, qui mettra en lumière la vanité de notre soif de posséder ; alors que dès à présent nous est offert l’accès à un Royaume si vaste, que nous n’aurons pas assez de l’éternité pour en faire le tour ! Vraiment : que pourrions-nous imaginer de plus précieux que la foi qui fait de nous les héritiers du Dieu vivant ?

« Loué sois-tu Père, toi qui nous appelles jour après jour à nous laisser réconcilier avec toi par ton Fils en qui nous sommes justifiés, afin de pouvoir nous donner part à ta gloire. Mais ce mystère de grâce n’est accessible que dans la foi, c’est-à-dire dans l’accueil inconditionnel de la Révélation de ton dessein d’amour. Donne-nous de nous tenir devant ta Parole comme une page blanche sur laquelle l’Esprit écrit en lettres de feu le mystère de notre filiation divine. Qu’à travers ombres et lumières nous puissions grandir vers la vraie connaissance, celle qui nous identifie à Jésus-Christ Notre-Seigneur, en qui nous sommes tes enfants. »

Père Joseph-Marie

Saint Charbel

24 juillet, 2014

Saint Charbel dans images sacrée sm1
http://nahasandco.com/charbel-V2/charbel_v2.html

LE 24 JUILLET, FÊTE LITURGIQUE DE SAINT CHARBEL – LE SAINT « PADRE PIO » DES LIBANAIS

24 juillet, 2014

http://www.zenit.org/fr/articles/le-saint-padre-pio-des-libanais

LE SAINT « PADRE PIO » DES LIBANAIS

LE 24 JUILLET, FÊTE LITURGIQUE DE SAINT CHARBEL

Rome, 24 juillet 2013 (Zenit.org) Renzo Allegri

« S’il était vivant aujourd’hui, il catalyserait l’attention des médias et la Nasa se mettrait à l’analyser. On le passerait au scanner comme les momies égyptiennes et son ADN susciterait le plus haut intérêt. On dépenserait des kgs de paroles sur le mystère qui l’entoure et même les meilleurs détectives engagés à découvrir les secrets de son être seraient obligés de jeter l’éponge.»
C’est en ces termes que Patrizia Cattaneo, écrivain et journaliste parle du moine libanais, Charbel Makhlouf (1828-1898), membre de l’Eglise maronite, mort il y a plus d’un siècle, proclamé saint par Paul VI en 1977, et dont c’est la fête liturgique ce 24 juillet.
« L’existence de saint Charbel sur terre est constellée de faits et phénomènes inexplicables, de phénomènes extraordinaires qui se sont manifestés et se manifestent encore autour de sa tombe », ajoute Patrizia Cattaneo. « Et on dirait que saint Charbel, durant cette période historique, très douloureuse pour le Moyen Orient, troublée par les guerres, attentats, haines, a intensifié son activité thaumaturgique, comme s’il avait voulu attirer l’attention des gens sur les valeurs spirituelles, sur les réalités surnaturelles que les événements des guerres auraient voulu effacer ».
Patrizia Cattaneoa a écrit divers ouvrages sur saint Charbel. Elle a aussi fondé une association culturelle liée à son nom, dont l’objectif est de « promouvoir tout ce qui touche au saint libanais ».
Brièvement, qui est saint Charbel?
Patrizia Cattaneoa – C’est un grand saint libanais, membre de l’église catholique maronite. Il a vécu dans le plus grand secret et n’a rien laissé d’écrit, ni lettres, ni réflexions et encore moins de journal spirituel, qui nous permette de lever le moindre voile sur ses relations intimes avec Dieu. Mais les « signes » de sa grandeur spirituelle abondent. Sa « biographie céleste » est en perpétuel croissance. Le saint vit et œuvre activement en Dieu. On peut dire que, mort, il vit et parle à travers tant de miracles, et qu’il le fait surtout aujourd’hui, à notre époque.
Que sait-on de la famille de saint Charbel et de son existence avant son entrée au monastère ?
Il est le fils cadet de cinq enfants nés d’Antoun Makhlouf et Brigitta Al-Chidiac. Il est né le 8 mai 1828, sous le nom de Youssef, dans un village du Liban, Bqaakafra, qui se trouve à 1800 mètres au-dessus de la « Sainte Vallée », appelée ainsi en raison de toutes les implantations monastiques qui la peuplent et sont les plus anciennes de la région. De nombreux ermites vivaient dans ses grottes et l’esprit ascétique qui s’en dégageait imprégnait toute la vallée.
Les parents de Youssef étaient très pieux, en particulier sa mère. Son père travaillait la terre et élevait des bêtes. En 1831, l’armée ottomane réquisitionna son âne, pour transporter les récoltes de l’émir jusqu’au port de Byblos. Une fièvre pernicieuse l’emporta sur le chemin du retour et Youssef n’avait que trois ans lorsqu’il devint orphelin de son père.
Deux ans plus tard, sa mère se remaria avec un petit propriétaire terrien qui devint prêtre sous le nom religieux d’Abdel Ahad. Chez les maronites, à l’instar d’autres communautés de rite oriental, les hommes mariés peuvent eux aussi devenir prêtres et exercer leur ministère. Abdel Ahad devint le curé de Bqaakafra, et était aussi de maître d’école du village. Youssef devint un élève de son « beau-père » prêtre, qui était une personne très cultivée et très pieuse et fut son plus grand guide spirituel.
Quand Youssef décida-t-il de quitter le monde pour se consacrer à la vie d’ermite ?
A 23 ans. Tout jeune enfant déjà, sa nature le portait à la contemplation et à la solitude. Il se confessait et communiait souvent. Il priait continuellement et avait toujours avec lui son livre de prières. Sa tâche quotidienne était de conduire la vache au pré, mais il aimait se tenir à l’écart de ses camarades qui faisaient paître leur troupeaux comme lui, pour consacrer son temps à la prière. Ses camarades l’appelaient « le saint ». Il disait à sa vache : « Attends que j’ai fini de prier, car je ne peux pas te parler et parler avec Dieu en même temps, Il a la priorité ! ». Deux oncles maternels, ermites dans la Sainte vallée, favorisèrent chez lui cette vocation. Mais sa mère, par grande affection peut-être, entravait cette inclination qu’il avait. Ainsi, une nuit, à l’âge de 23 ans, Youssef suivit ce que lui disait son cœur et quitta la maison familiale pour entrer au couvent de Maifouq comme novice. Sa mère le chercha et le supplia de rentrer à la maison mais le jeune homme fut inébranlable.
Quelles furent les grandes étapes de sa vie au monastère ?
Après s’être enfui de chez lui, Youssef affronta l’année de son noviciat, « une année d’essai », et pour sa nouvelle vie religieuse prit le nom de Charbel, en l’honneur d’un martyr d’Antioche, mort en 121 et vénéré par l’Eglise orientale. Charbel, en syriaque, signifie « histoire de Dieu ».
Au monastère de Maifouq, Fra Charbel apprit les règles de la vie religieuse. Son obéissance exemplaire le distinguait des autres novices. Mais ce monastère ne correspondait pas à ses attentes de solitude et de silence. Il demanda alors à ses supérieurs d’être transféré dans un monastère plus isolé et fut envoyé au couvent Saint-Maron d’Annaya, de l’Ordre libanais maronite.
En 1853, après ses vœux solennels, Charbel fut envoyé à l’institut théologique de Kfifane, pour se préparer au sacerdoce. Là, pendant cinq ans, il fut l’élève d’un grand théologien, Nimatullah Al-Hardini, qui fut aussi un grand saint, élevé à la gloire des autels en 2004. Ce personnage extraordinaire, qui avait une culture théologique démesurée, transmit au jeune homme non seulement son amour profond pour la théologie, mais surtout son amour de Dieu et pour la vie ascétique.
A la fin de ses études et après son ordination sacerdotale en 1859, Charbel rentra au monastère d’Annaya, où il passa seize années d’une vie monastique exemplaire, se gagnant une réputation de saint grâce à ses excellentes vertus et son obéissance légendaire « plus angélique qu’humaine ». En 1875 il obtint l’autorisation de retirer à l’ermitage des Saints Pierre et Paul, juste à côté du monastère d’Annaya, où il passa les années les plus intenses de sa communion avec Dieu et mourut le 24 décembre 1898.
Dans les différentes biographies de ce saint, on parle le beaucoup de phénomènes charismatiques, de prodiges, de miracles…
Les prodiges commencèrent quand le saint était moine à Annaya. Un de ses confrères déclara: « Tout ce qu’on lit dans les biographies des saints est inférieur à ce que, de mes yeux, j’ai vu accomplir par le père Charbel ». Les gens de toute confession religieuse couraient lui demander de bénir les champs, les maisons, leur bétail, les malades et les prodiges pleuvaient, abondamment. Le saint connaissait les faits à distance et il avait le don de scruter les consciences. Son supérieur un jour lui ordonna de bénir le garde-manger où les provisions étaient maigres, et les jarres se remplirent aussitôt de blé et d’huile. Durant les fréquentes invasions de criquets, cause de famine et de mort, seuls les champs bénis par le saint échappaient aux ravages. Sa bénédiction conjura la mort d’élevages entiers de vers à soie qui étaient pour le couvent et la population leur ressource première. Il faudrait des pages et des pages pour énumérer tous les prodiges attribués à saint Charbel quand il était encore en vie.
Quelles étaient les vertus les plus caractéristiques de saint Charbel ?
Difficile de choisir. Son engagement dans l’ascèse était total et continu. Il s’infligeait tout le temps des mortifications, comme le jeûne permanent, les veillées incessantes, le travail durant la maladie, le refus de médicaments. Il se nourrissait et dormait très peu, mais travaillait vaillamment dans les champs comme un condamné aux travaux forcés. Il ne parlait que si on le lui ordonnait et ou par nécessité, à voix basse, sans regarder son interlocuteur, tenait toujours son capuchon sur les yeux et les yeux baissés. Il sortait du monastère seulement quand son supérieur lui ordonnait de rendre visite aux malades ou de célébrer des baptêmes et des funérailles. Quand le supérieur était absent, il obéissait à quiconque lui donnait un ordre. Même un indigent n’aurait jamais accepté sa nourriture, son lit et ses vêtements. Mais sa pauvreté la plus grande était de masquer sa richesse spirituelle. La messe constituait le cœur de sa journée, il s’y préparait longtemps et très soigneusement. Il priait tout le temps et restait à genoux pendant des heures au pied du tabernacle. Un jour, un éclair frappa l’ermite, incendia la nappe de l’autel et brula l’ourlet de son habit, mais le saint était si absorbé dans sa prière qu’il ne s’aperçut de rien.
Que se passa-t-il après sa mort ?
Il expira la veille de Noël en 1898. On l’enterra le lendemain dans la fosse commune du monastère. Pendant quelques mois une lumière brillante et mystérieuse, visible dans toute la vallée, sortit chaque nuit de sa tombe. Il n’y avait pas encore le courant électrique dans ces endroits-là et le spectacle était impressionnant. La réputation de sainteté de Charbel attirait beaucoup de gens, ainsi, quelques mois après la sépulture ils décidèrent de transférer le corps à l’intérieur du couvent.
En ouvrant le sépulcre, ils découvrirent que ce corps était encore intact et flexible, comme celui d’une personne en train de dormir. Un liquide visqueux sortait de ses pores, semblable au plasma qui sort des plaies d’une personne vivante, et l’on découvrit que ce liquide avait d’extraordinaires propriétés thaumaturgiques. Ce phénomène, absolument inexplicable dura 79 ans, autrement dit jusqu’en 1977, l’année de sa canonisation. « Je n’ai jamais vu ni rien lu sur un tel cas dans aucun livre de médecine », déclara le docteur Georges Chokrallah, qui fut un témoin au procès de béatification de Charbel. « Poussé par la curiosité scientifique, j’ai cherché à découvrir le secret de ce corps et de ce liquide. Après les avoir examinés pendant environ 17 ans, deux ou trois fois par an, mon opinion personnelle, basée sur l’étude et l’expérience, c’est qu’ils étaient imbibés d’une force surnaturelle mystérieuse ».
Pourquoi dit-on que 1950 fut « l’année de Charbel » ?
Parce que cette année-là, les phénomènes surnaturels relatifs au père Charbel connurent une véritable explosion. Pour l’Eglise, 1950 était une Année Sainte. Et il fut décidé à cette occasion d’exposer la dépouille de l’ermite à la vénération des fidèles. La tombe fut ouverte en présence d’un comité officiel. A partir de ce moment-là, les miracles se multiplièrent démesurément et en quelques mois le couvent en enregistra plus de deux milles.
Cette année-là un prêtre, arrivé en pèlerinage à Annaya, fit une photo de groupe devant l’ermite. Quand il développa le négatif, il s’aperçut que sur cette photo il y avait une personne qui n’était pas là au moment de la prise: c’était l’image du saint, comme l’identifia quelqu’un qui l’avait connu. Une image précieuse car le père Charbel n’avait jamais été photographié par quiconque quand il était en vie. Et de cette image « miraculeuse » on a fait son portrait officiel aujourd’hui connu.
Vous avez connu des personnes qui ont été « miraculées » par saint Charbel ?
Plusieurs. Un des cas les plus déconcertants est celui d’une libanaise qui a maintenant 74 ans : Nohad Al-Chami. Une femme illettrée mais dont la foi était riche. Le 9 janvier 1993, elle eut une attaque cérébrale. Une double occlusion de la carotide lui entraina une paralysie de la partie gauche du corps. Elle resta neuf jours en thérapie intensive à l’hôpital de Byblos, et tout le monde était inquiet parce qu’elle ne réagissait pas aux soins. Une intervention chirurgicale avait un moment été exclue car considérée trop risquée. En attendant elle fut renvoyée chez elle. Elle avait de graves difficultés à parler, à bouger et ne pouvait se nourrir qu’à la paille. Ses enfants commencèrent à prier saint Charbel. Ils frictionnèrent le cou de leur mère avec une mixture de terre et d’huile bénite provenant de la tombe du saint.
Le 22 janvier au soir, Nohad rêva de deux moines enveloppés dans une grande lumière qui s’approchaient de son lit. L’un des deux dit : « Je suis saint Charbel et je suis ici pour t’opérer ». Nohad eut peur, mais le saint avait déjà commencé l’intervention. Tandis que ses doigts incisaient sa gorge, la femme sentit une douleur lancinante. Enfin saint Maron, l’autre moine, arrangea l’oreiller derrière son dos et l’aida à s’asseoir sur son lit, puis il lui tendit un verre d’eau, l’invitant à boire sans la paille. Nohad hésitait mais saint Marron lui dit: « Nous t’avons opérée. Maintenant tu peux te lever, boire et marcher ». La femme se réveilla en sursaut et se retrouva assise sur son lit, comme dans le rêve.
Elle se leva toute seule sans difficulté et se dirigea vers la salle de bain. En se regardant dans la glace elle vit deux coupures de douze centimètres de chaque côté du cou, fermées par des points de suture, d’où sortait encore le fil chirurgical. Sa gorge et ses vêtements étaient tout tachés de sang. Elle alla tout de suite réveiller son mari qui sauta du lit affolé. Les difficultés de langage aussi avaient disparu, ainsi Nohad put raconter ce qui s’était passé en parlant normalement. Le matin, accompagnée par son mari, elle se rendit au monastère d’Annaya pour remercier saint Charbel et rapporter les faits au supérieur. Les médecins ensuite certifièrent sa guérison inexplicable.
La nouvelle du miracle se répandit comme un éclair, et les gens commencèrent à affluer chez elle. Craignant pour sa santé, le médecin et le curé lui conseillèrent d’aller s’installer momentanément chez son fils, mais saint Charbel lui apparut en songe et la prévint : « Je t’ai laissé les cicatrices pour le bon vouloir de Dieu, pour que tout le monde puisse les voir, surtout ceux qui se sont éloignés de Dieu et de l’Eglise, afin qu’ils retrouvent la foi. Je te demande de te rendre à l’ermitage tous les 22 du mois, date anniversaire de ta guérison, pour participer à la messe. Là je suis toujours présent ». Depuis, le 22 du mois, Nohad se rendit avec son mari à l’ermitage d’Annaya, pour participer aux fonctions liturgiques. Les gens peuvent voir sur son cou les cicatrices rougies et sanguinolentes. Les pèlerins qui participent à l’événement se comptent par milliers, ils sont de toutes confessions et viennent de tous les coins du Liban et du monde, nombreuses sont aussi les conversions après ce témoignage.
Ce fait, qui est le plus éclatant, a été étudié par divers médecins. En 2002 une échographie à la carotide révéla que Nohad avait subi une véritable intervention chirurgicale bilatérale, que ses artères sont en bon état et que l’ictus n’a pas endommagé le cerveau.

Traduction d’Océane Le Gall

IS 40, 1-11 : LA CONSOLATION D’ISRAËL

24 juillet, 2014

http://www.cenaclesauges.ch/diary9/39Is40.htm

IS 40, 1-11 : LA CONSOLATION D’ISRAËL

1. CONSOLEZ, CONSOLEZ mon peuple, dit votre Dieu.
2. Parlez au cœur de Jérusalem et criez-lui
que son temps de service est accompli, que sa faute est payée,
qu’elle a reçu de la main du Seigneur le double pour tous ses péchés.

3. Une voix crie :
« Dans le désert, préparez le chemin du Seigneur,
dans la steppe, aplanissez une route pour notre Dieu.
4. Que toute vallée soit comblée, toutes montages et collines abaissées,
que les lieux accidentés se changent en plaine,
et les escarpements en large vallée ;
5. alors la gloire du Seigneur se révélera, et toute chair d’un coup la verra,
car la bouche du Seigneur a parlé. »

6. Une voix dit : « Crie », et je dis : « Que crierai-je ? »
- « Toute chair est comme l’herbe,
sa consistance est comme la fleur des champs.
7. L’herbe se dessèche, la fleur des champs se fane,
quand le souffle du Seigneur passe sur elles.
Oui, le peuple c’est de l’herbe.
8. L’herbe se dessèche, la fleur se fane,
mais la Parole de notre Dieu demeure éternellement. »

9. Monte sur une haute montagne, toi qui apportes la BONNE NOUVELLE à Sion ;
élève et force la voix, toi qui apportes la BONNE NOUVELLE à Jérusalem ;
élève la voix, ne crains pas, dis aux villes de Juda :
« Voici votre Dieu,
10. voici le Seigneur Dieu qui vient avec puissance,
et son bras assure sa souveraineté ;
voici qu’il porte avec lui sa récompense, et son salaire devant lui.
11. Tel un BERGER il fait paître son troupeau,
de son bras il rassemble les agneaux, il les porte sur son sein,
il conduit doucement les brebis qui allaitent. »

0. INTRODUCTION
· Le livre d’Isaïe est considéré parfois comme le 5ème Évangile. C’est d’ailleurs le livre le plus cité dans le NT (TOB 743). C’est le livre prophétique où les annonces des temps messianiques sont les plus fortes et les plus abondantes.
· On distingue usuellement trois parties dans le livre d’Isaïe :
- 1-39 : écrite avant l’exil à Babylone
- 40-55 : Livre de la consolation d’Israël, écrit pendant l’exil
- 56-66 : écrite après l’exil
1. CONTEXTE HISTORIQUE
- Ch. 40-55 : Le deuxième Isaïe appelé Le livre de la consolation d’Isaïe. La consolation y est en effet le thème principal.
· Le deuxième Isaïe : est 200 ans postérieurs au 1er Isaïe. Jérusalem a été prise et détruite ; le peuple hébreu a été déporté (586) et est captif à Babylone. Trente ans après le début de cet exil, Cyrus devient le roi des Perses. Ses options politiques, ses victoires successives laissent entrevoir qu’une libération pourrait être possible. Il sera en fait l’instrument de Dieu pour la délivrance du peuple.
· Le prophète a prêché en Babylonie entre les premières victoires de Cyrus II, en 550 av. J.-C., qui laissaient présager la ruine de l’empire babylonien, et l’acte de libération en 538 (BJ, p. 1078). Le contexte de ce Livre de la consolation est donc les 12 dernières années d’exil, durant lesquelles l’espérance d’une libération commençait à apparaître. Le prophète annonce que le Seigneur va libérer son peuple.
· L’exil va durer 49 ans, sept semaines d’années (= année de jubilé, année de grâce). Entre les premiers signes d’espoir, en 550, et la libération effective, vers 538, 12 longues années vont s’écouler.
Il faut signaler que la libération a été opérée par Cyrus, un « Messie païen » !
· Contexte des déportations: d’une cruauté inimaginable ; cf. les déportations dans les camps de concentration, durant la dernière guerre mondiale. L’exil était moins rude, mais néanmoins douloureux (éloignement du temple ; cf. Ps 136-137)
2. MESSAGE DU LIVRE DE LA CONSOLATION (BJ 1079)
· La consolation y est évidemment le thème principal. Les images utilisés par le prophète pour décrire la libération et la consolation qui en découle sont extrêmement fortes. Elles vont bien au-delà de la libération opérée par Cyrus (du moins dans les textes qui suivent); elles laissent entrevoir la réalisation définitive du dessein de Dieu, son règne universel de justice et de paix.
- Annonce d’un Nouvel Exode, une nouvelle délivrance
- Annonce d’un complet renouveau, d’une nouvelle création. Thème du Dieu créateur lié à celui du Dieu sauveur.
- Textes eschatologiques : distinction entre deux temps : celui des choses passées et celui des choses à venir, d’un nouvel ordre : un seuil qualitatif.
3. STRUCTURE ET THÈMES PRINCIPAUX
Ces 11 premiers versets du 2ème livre d’Isaïe constituent une sorte de Prologue à plusieurs voix qui crient :
- v. 1-2 : voix d’un MESSAGER aux membres du peuple ; consolation, pardon
- v. 3-5 : voix d’un autre MESSAGER ; annonce d’un Nouvel exode
- v. 6-8 : voix encore d’autres MESSAGER, comme en dialogue : la fragilité la finitude humaine opposée à l’éternité de Dieu
- v. 9-11 : voix d’une MESSAGÈRE de Jérusalem : Puissance et douceur de Dieu, Berger d’Israël
1. « Consolez, consolez ! »
· Ce verbe a donné son titre au 2ème livre d’Isaïe, appelé Livre de la consolation. Le terme reviendra 16 fois dans cette partie d’Isaïe. C’est donc le thème principal du 2ème Isaïe.
· Le temps du verbe hébreu (inaccompli, iqutol) signifie un acte qui commence, dure ou se répète. Il s’agit donc d’une consolation qui commence et qui va durer.
· La consolation exprime ici bien plus que de « bonnes paroles et des manifestations de douceur destinées à faire oublier les misères de la vie. Le Seigneur vient réellement mettre fin à la servitude et à l’exil. Pour le Seigneur, consoler le peuple, c’est déjà proclamer la fin de sa captivité (cf. CE 20, p. 45-46)
· Cette consolation, dans le contexte du 2ème Isaïe signifie même plus que la délivrance du malheur et du mal : elle apporte aussi le reflet de la clarté, de la splendeur, de la gloire de Dieu (Cf. TOB, p. 739). Pour le Seigneur, consoler les membres du peuple, c’est leur communiquer réellement sa splendeur divine.
2. Parler au cœur :
A trois reprises dans la Bible en lien avec le verbe réconforter (Gn 50, 21 ;Rt 2,13). En hébreu, parler au cœur ne s’adresse pas seulement au sentiment, mais aussi à la raison et à la volonté (cf. le cœur dans la culture sémitique)
// Os 2, 16 : « C’est pourquoi je vais la séduire, je la conduirai au désert et je parlerai à son cœur ». Cette parole était adressée au peuple d’Israël infidèle à Dieu, que le prophète Osée compare à une épouse infidèle.
Le désert (cf. v. 3) est le lieu du premier amour, le lieu de l’alliance entre Dieu et son peuple, le lieu considéré comme un idéal perdu. Et il y a toujours eu pour les justes d’Israël l’espoir d’un Nouvel Exode.
· Sa faute est payée… double punition pour tous ses péchés :
// Is 61, 7 « Au lieu de votre honte, vous aurez double part… aussi recevrez-vous un double héritage » : à la double punition correspond le double héritage.
Problème de Dieu qui punit : Est similaire au problème de Dieu qui provoque le malheur. Cf. Is 45, 7 « Je fais le bonheur et je crée le malheur ». Ce problème découle d’une philosophie et d’une théologie qui ne distinguent pas encore les causes premières et les causes secondes (la nature, l’être humain ; ex.) : si Dieu est créateur de tout l’univers, et est à l’origine de tout, si rien n’échappe à son pouvoir, on pensait alors qu’il était la cause directe de toute chose, du bonheur ainsi que de toutes les catastrophes et calamités qui nous arrivent.
Or, Dieu ne veut pas directement tous les malheurs qui se produisent : certes, ils n’échappent pas à son pouvoir ; Dieu les intègre dans sa providence, c’est-à-dire dans un projet ou un plan d’ensemble plus large. Il les accepte indirectement pour respecter la liberté de l’homme et les lois de la nature. Mais il ne les provoque pas directement.
Ce qu’il faut retenir de ce verset c’est qu’il veut exprimer le pardon de Dieu, et la fin de son épreuve.
3-5. Une voix crie : « Dans le désert, préparez le chemin du Seigneur …»
· Des textes babyloniens parlent en termes analogue des voies triomphales préparées pour le dieu ou le roi victorieux.
· « C’est ici la route sur laquelle Yahvé conduira son peuple à travers le désert en nouvel Exode. » (BIBLE DE JÉRUSALEM, p. 1130, note h). Dieu y est aussi le berger de son peuple (v. 11). L’Exode est ici en arrière fond ; il sera explicité plus loin.
· Le terme Exode (exodos) désigne l’action de sortir, le chemin de sortie. Dans le langage biblique, il signifie la sortie du peuple captif en Égypte, et son chemin à travers le désert en vue de la terre promise, avec tous les signes et prodiges accomplis par Dieu.
· Pour Israël, l’Exode est un événement fondamental, fondateur, auquel sans cesse les textes bibliques se réfèrent. L’exode est le prototype et le gage de toutes les délivrances opérées par Dieu envers son peuple
· Or, le prophète dit que le plus merveilleux n’est pas dans le passé, mais il est dans l’avenir. Non seulement il y aura un Nouvel Exode, mais il sera tellement beau que l’on oubliera l’ancien ; les prodiges de la sortie d’Égypte seront éclipsés. (VOCABULAIRE DE THEOLOGIE BIBLIQUE 422 ; 423 ; CAHIER D’EVANGILE 20 p. 41-42)
· Le thème du Nouvel Exode est très important dans le 2ème Isaïe.
- Cahier d’Évangile 20 : « LE DEUXIÈME ISAÏE. Le prophète du nouvel Exode »,
- (Cf. Is 41, 17-20).
- Un texte fondamental : Is 43, 16-21, intitulé dans la Bible de Jérusalem : Les prodiges du Nouvel Exode
Le désert :
Dans la bible, le désert est présenté de deux manières différentes :
· Comme un lieu de malédiction : c’est un lieu aride, infertile, l’eau et la nourriture y sont rares, presque pas de végétation, la vie y est très difficile. C ‘est un lieu de combat et de tentation. C’est en quelque sorte un lieu de chaos et de malédiction (le lieu des démons ; cf. tentations du Christ).
Mais c’est aussi un lieu où on ne vit plus que de l’essentiel (cf. Bédouins : éviter tout geste inutile), où l’on est ramené à l’essentiel ; un lieu qui fait ressortir la futilité des choses auxquelles on accorde parfois tant de prix dans la vie de tous les jours.
Le lieu de la rencontre avec Dieu, lieu de naissance :
Et c’est peut-être pour cela que Dieu a voulu que son peuple naisse au désert. L’événement de l’exode va en fait transformer la symbolique précédente en la positivant : « Si le désert conserve toujours son caractère de lieu désolé, il évoque avant tout une époque de l’histoire sainte : la naissance du peuple de Dieu. » (VOCABULAIRE DE THÉOLOGIE BIBLIQUE, p. 261) C’est le lieu des fiançailles de Dieu avec son peuple, un lieu de solitude, loin des futilités du monde, un lieu de ressourcement, le lieu où Dieu peut parler au cœur de l’homme.
Pourtant, Israël n’est pas appelé à rester au désert, il est appelé à la terre promise. Le désert n’est qu’un lieu transitoire de préparation, de naissance.
· Certains textes du Livre de la consolation présentent les temps messianiques comme la transformation du désert en paradis. Le désert serait ainsi le lieu où doit venir le Messie (cf. VOCABULAIRE DE THÉOLOGIE BIBLIQUE, p. 264 ; Ap 12)
· NT : Dans le NT, cette voix qui crie dans le désert est comprise comme celle de Jean Baptiste (Mt 3, 3). L’Évangile veut ainsi affirmer que c’est Jésus qui entraîne son peuple dans ce Nouvel Exode, Jésus qui est le nouveau Moïse à la tête de ce peuple ; et même plus, Jésus est Dieu lui-même qui guide ce peuple comme un berger son troupeau.
· De fait, dans l’Évangile de Mt, Jésus revit le chemin accompli par Israël, il récapitule l’histoire d’Israël. Temps en Égypte (Mt 1, 14 ; Os 11, 1 : « D’Égypte j’ai appelé mon fils ». Jésus reste au désert pendant 40 jours, comme jadis Israël pendant 40 ans. Il y connaît les 3 tentations auxquelles Israël a succombé, mais que Jésus surmonte victorieusement. Puis il retourne en Galilée, ce pays ruisselant de lait et de miel, qui était la terre promise par Dieu au peuple hébreu.
« Jésus se présente comme celui qui accomplit en sa personne les dons merveilleux de jadis » (VOCABULAIRE DE THÉOLOGIE BIBLIQUE, p. 265), lors de l’Exode : il est la source d’eau vive (Cf. Moïse), le vrai pain du ciel (Cf. manne), la lumière qui conduit l’humanité (cf. nuée lumineuse) ; il est la loi nouvelle, inscrite dans le cœur de l’homme (cf. Mont Sinaï)
· Ap 12 : la femme qui crie dans les douleurs de l’enfantement, et qui s’enfuit au désert pour être protégée ; si cette femme symbolise l’Église, celle-ci est appelée à vivre cachée au désert jusqu’au retour du Christ, qui mettra fin à la puissance de Satan. Et l’Église, c’est chacun de nous…
· On pourrait dire que le désert est comme un passage obligé, pour la naissance à la vie d’enfant de Dieu. Le désert est le lieu de notre Exode.
4. Que toute vallée soit comblée….
· Dans le sens des textes babyloniens, il s’agit réellement d’une préparation du terrain pour le roi victorieux, nécessaire vu l’état des chemins dans le désert. Encore plus nécessaire si c’est pour Dieu lui-même.
· Le NT, en Mt 3, 3, interprétera ces paroles en un sens spirituel , et ce sens nous concerne tous : le chemin d’accès à notre terre est caillouteux, cahoteux, encombré, sinueux, embrouillé…
5. Alors la gloire du Seigneur se révélera…
· Le mot hébreu traduit par gloire signifie originellement le poids. « Ici, Dieu va faire sentir le poids de son intervention en délivrant Israël » (TOB, p. 830 note v)
La gloire, la puissance du Seigneur se révélera comme au temps de l’Exode, par des signes et des prodiges éclatants. « D’un coup » exprime le caractère subit de cette venue.
Les v. 6-8 :
· Ces versets font le contraste entre la fragilité, la finitude humaine, et l’éternité, l’immuabilité de Dieu ; ils affirment la certitude dans la réalisation de la parole de Dieu. Cette partie s’insère d’ailleurs entre deux parties qui soulignent la gloire, la puissance de Dieu.
Is 55, 10-11 : « De même que la pluie et la neige descendent des cieux et n’y retournent pas sans avoir arrosé la terre, sans l’avoir fécondée et l’avoir fait germer… ainsi la parole qui sort de ma bouche… ne revient pas vers moi sans avoir accompli ce que j’ai voulu et réalisé l’objet de sa mission »
· Au fil des années d’exil, le doute s’est insinué dans la réalisation des promesses de Dieu. Au plan psychologique, nous fonctionnons en grande partie par mode de projections. Dieu affirme qu’il est au-delà de tout ce que nous pouvons penser ou imaginer, au-delà de tout ce que nous avons pu expérimenter dans notre vie.
9-11. Annonce la venue de Dieu parmi nous, au milieu de nous :
9. toi qui apportes la bonne nouvelle à Sion : Littéralement : « Messagère de la bonne nouvelle pour Sion » ; traduit dans la bible grecque des Septante : euangélistès, c’est-à-dire évangéliste. L’évangéliste est le messager de la bonne nouvelle. Cf. Is 61, 1 – Lc 4, 17ss
· Les versets 9-11 allient à la fois des termes qui expriment la puissance et l’autorité, et des termes qui expriment la douceur.
En fait, l’image du berger elle-même contient ces deux dimensions : « Le pasteur est à la fois un chef et un compagnon. C’est un homme fort, capable de défendre son troupeau contre les bêtes sauvages. » (VOCABULAIRE DE THÉOLOGIE BIBLIQUE, p. 917) Cf. David : 1 S 17, 34-35 : « Quand ton serviteur faisait paître les brebis de ton père, et que venait un lion ou un ours qui enlevait une brebis du troupeau, je le poursuivais, je le frappais et j’arrachais celle-ci de sa gueule. Et s’il se dressait contre moi, je le saisissais par les poils du menton, et je le frappais à mort. ». Jésus…
Mais c’est aussi un homme doux, délicat, qui prend soin de ses brebis, qui s’adapte à leur situation, à leurs fragilités, à leurs infirmités et maladies : Ez 34, 11-16 : « Voici que j’aurai soin moi-même de mon troupeau et je m’en occuperai… C’est moi qui ferai paître mes brebis et c’est moi qui les ferai reposer, oracle du Seigneur Dieu. Je chercherai celle qui est perdue, je ramènerai celle qui est égarée, je panserai celle qui est blessée, je fortifierai celle qui est malade. »
Le thème du berger est extrêmement fréquent dans la Bible : et c’est normal parce que le peuple hébreu à son origine était un peuple de bergers.
- Abraham, Isaac et Jacob étaient berger et avaient d’immenses troupeaux.
- Moïse était berger, et c’est lorsqu’il gardait les troupeaux de Jéthro que Dieu lui est apparu et lui a confié la mission de faire sortir son peuple d’Egypte.
- David était berger, et Dieu l’a tiré de derrière les parcs à moutons pour être le roi d’Israël.
- Le Seigneur lui-même est le berger de son peuple, qui le conduit avec douceur et justice. Les relations entre Dieu et son peuple sont comme une parabole du bon berger (cf. Ez 34, 11-16)
- Jésus se présentera comme le bon berger qui aime ses brebis (Jn 10). Si les mauvais bergers s’enfuient lorsqu’ils voient venir le loup, Jésus par contre dit qu’il va jusqu’à donner sa vie pour ses brebis. Il est le bon berger qui part à la recherche de sa brebis perdue, qui la porte sur ses épaules et la ramène dans son bercail
(Lc 15, 4-5).
4. SYNTHÈSE, INTERPRÉTATION
· Cet oracle est une parole de consolation, d’espérance pour un peuple depuis 40 ans dans la détresse de l’exil et de la servitude, un peuple qui a de la peine à croire à sa délivrance. C’est une parole qui s’adresse à nous, dans toutes nos détresses, tous nos exils, toutes nos servitudes, nos situations où il ne semble plus y avoir d’issue possible, où Dieu semble nous abandonner, ne pas intervenir.
· C’est une parole dit ce qu’elle va faire, mais aussi qui fait ce qu’elle dit. Une parole qui va s’accomplir avec certitude : « L’herbe sèche, la fleur se fane, mais la parole du Seigneur demeure éternellement ».
· C’est une parole qui annonce la venue du Seigneur et un Nouvel Exode (plus grand que le premier), qui annonce la manifestation de la gloire et de la puissance de Dieu.
· C’est au désert que Dieu viendra pour ce Nouvel exode, et c’est donc au désert qu’il faut l’accueillir.
· Le chemin doit être préparé pour sa venue (dans notre cœur). Une absence ou un manque de préparation n’empêchera pas le Seigneur de venir, mais nous risquons de passer à côté de sa venue (cf. Jésus).
· C’est le Seigneur lui-même qui dirigera ce nouvel exode, comme un berger son troupeau. Il le conduira à la fois avec autorité, force et douceur.
· Ce Berger est pour les chrétiens Jésus Christ, l’Emmanuel, Dieu avec nous, celui qui vient chercher sa brebis perdue, qui la défend contre les bêtes sauvages, et qui la prend sur ses épaules pour la ramener dans son bercail.
· Si le premier Exode faisait sortir d’Égypte pour conduire en terre promise, le Nouvel Exode vise à nous libérer de nos servitudes intérieures, de notre Exode, pour nous donner la liberté des enfants de Dieu, pour nous faire entrer dans le Royaume de Dieu. Exil, Exode en ce monde.
· Pour nous Chrétiens, la gloire de Dieu est apparue sur cette terre la nuit de Noël, lors de la venue du Christ parmi nous. Sa résurrection a été une épiphanie, une manifestation de la gloire divine. Mais nous attendons encore son extension dans notre vie, dans notre histoire. Nous préparons le chemin pour cette extension. Et nous attendons sa pleine manifestation à la fin des temps.
= hâter le jour de sa venue : préparer le chemin du Seigneur.
IS 40, 1-11 : PISTES D’APPROPRIATION
– Quelles sont les situations de ma vie où j’ai le sentiment d’avoir « payé au double », d’avoir trop souffert. Les situations où il me semble qu’il n’y a plus d’issue possible ?
- Quelles sont mes attentes, mes espoirs, mes déceptions peut-être, par rapport à ces situations ?
- Comment résonnent en moi ces paroles de consolation et d’espérance, cette Bonne Nouvelle d’un nouvel Exode (Exodus = sortie) ? Dans quel sens est-ce que je les reçois ?
- En quoi ai-je besoin de préparer le terrain pour la venue (ou le retour) du Seigneur Jésus ? Quels sont les obstacles, peut-être même les impossibilités ?
- Que signifie pour moi accueillir le Seigneur au désert ? Est-ce que les paroles de cette prophétie peuvent m’aider à traverser le désert que je vis peut-être actuellement ? Ai-je des plages de désert à ménager dans ma vie ?
- Méditer sur le thème du Bon Berger, Jésus, l’Emmanuel, qui vient au milieu nous pour chercher sa brebis perdue, blessée ou malade, et me porter sur ses épaules.

Maret Michel, Communauté du Cénacle au Pré-de-Sauges

 

SAINTE BRIGITTE DE SUÈDE

23 juillet, 2014

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http://www.rmichelson.com/Artist_Pages/Sanderson/Ruth-Sanderson.html

23 JUILLET: SAINTE BRIGITTE DE SUÈDE (FINSTAD, UPPSALA 1303- ROME, 1373)

23 juillet, 2014

http://www.maria-valtorta.org/ValtortaWeb/Brigitte.htm

23 JUILLET: SAINTE BRIGITTE DE SUÈDE

(FINSTAD, UPPSALA 1303- ROME, 1373)

Birgitta naît dans une famille noble et riche, en Upland, à l’ouest de la Suède, au château de Finstad, non loin d’Uppsala. Elle est fille de Birger Petersson (ou Persson) et sa mère est de souche royale suédoise.
La région d’Uppsala, où elle naît, est un centre important de l’Église de Suède où le Christianisme s’était développé à partir du XIème siècle seulement, à la suite des invasions des Vikings, quand les chefs des grandes familles scandinaves se convertirent.
Âgée d’à peine quinze ans, elle est mariée, par son père, au sénéchal Ulf Gudmarsson issu, comme elle, de la très haute noblesse suédoise.
En vingt-huit ans de vie commune, ils auront huit enfants : quatre garçon et quatre fille, dont la future sainte Catherine de Suède.
La parenté de Sainte Brigitte de Suède et de son mari avec les familles royale et princières explique qu’ils furent appelés à des fonctions importantes à la Cour auprès du roi et de la reine.
En 1335, elle est en effet appelée par le jeune roi Magnus, âgé de vingt ans et qui vent d’épouser Blanche de Dampierre, comme « intendante » de la cour. Ulf, son mari, est quant à lui, nommé conseiller du jeune roi.
En 1341, elle fait, avec son mari Ulf, le pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle. Ce pèlerinage met symboliquement fin à la vie laïque de sainte Brigitte, « la préparant à la nouvelle vie qu’elle inaugure quelques années plus tard lorsque, après la mort de son époux, elle entendit la voix du Christ qui lui confiait une nouvelle mission, la guidant pas à pas par une série de grâces mystiques extraordinaires » [1].
« Toutefois, il ne faut pas oublier que la première partie de sa vie fut celle d’une laïque qui eut le bonheur d’être mariée avec un pieux chrétien dont elle eut huit enfants. En la désignant comme co-patronne de l’Europe, j’entends faire en sorte que la sentant proche d’eux non seulement ceux qui ont reçu la vocation à une vie de consécration spéciale, mais aussi ceux qui sont appelés aux occupations ordinaires de la vie laïque dans le monde et surtout à la haute et exigeante vocation de former une famille chrétienne. Sans se laisser fourvoyer par les conditions de bien-être de son milieu, elle vécut avec son époux Ulf une expérience de couple dans laquelle l’amour conjugal alla de pair avec une prière intense, avec l’étude de l’Écriture Sainte, avec la mortification, avec la charité. Ils fondèrent ensemble un petit hôpital, où ils soignaient fréquemment les malades.
Brigitte avait l’habitude de servir personnellement les pauvres. En même temps, elle fut appréciée pour ses qualités pédagogiques, qu’elle eut l’occasion de mettre en œuvre durant la période où l’on demanda ses services à la cour de Stockholm. C’est dans cette expérience que mûriront les conseils qu’elle donnera en diverses occasions à des princes ou à des souverains pour un bon accomplissement de leurs tâches. Mais les premiers qui en bénéficièrent furent assurément ses enfants, et ce n’est pas par hasard que l’une de ses filles, Catherine, est vénérée comme sainte » [2].
En 1344, Brigitte devient veuve et commence à recevoir du Christ, de la Vierge et des saints, des visions prophétiques et des révélations qu’elle dicta à ses directeurs spirituels. Ces messages, réunis plus tard sous le titre de « Révélations célestes », concernent la Passion du Christ, mais aussi la situation politique et religieuse de son époque, alors très troublée.
C’est dans ce cadre qu’elle fonde, en 1346, l’ordre du Très-Saint Sauveur et pose la première pierre du monastère de Vadstena en Suède où, dès le début, une soixantaine de religieuses se rassemblent.
Sainte Brigitte de Suède souhaitait fonder un monastère double, l’un pour les hommes et l’autre pour les femmes, sous l’autorité unique de l’abbesse assistée d’un prêtre, à la manière de l’Abbaye de Fontevraud en Anjou. Mais ce projet n’est pas accepté par le pape Clément VI.
En 1349, elle part s’établir à Rome en prévision de l’année jubilaire. « Son transfert en Italie constitua une étape décisive pour l’élargissement non seulement géographique et culturel, mais surtout spirituel, de l’esprit et du cœur de Brigitte » [3].
Brigitte n’y rencontre pas le Pape, parti s’exiler en Avignon (France). Une nouvelle révélation lui indique sa mission : ramener le souverain pontife à Rome. Avec des accents rudes, dignes des prophètes de l’Ancien Testament, elle écrit aux Papes successifs pour les rappeler à leur devoir.
En 1367, elle croît aboutir : Urbain V revient à Rome, mais en repart trois ans plus tard.
Beaucoup de lieux d’Italie la virent encore en pèlerinage, désireuse de vénérer les reliques des saints. Elle visita ainsi Milan, Pavie, Assise, Ortone, Bari, Bénévent, Pozzuoli, Naples, Salerne, Amalfi, le Sanctuaire de saint Michel Archange sur le Mont Gargano.
« Le dernier pèlerinage, effectué entre 1371 et 1372, l’amena à traverser la Méditerranée en direction de la Terre Sainte, lui permettant d’embrasser spirituellement, en plus de beaucoup de lieux sacrés de l’Europe catholique, les sources mêmes du christianisme dans les lieux sanctifiés par la vie et par la mort du Rédempteur ».
« …En réalité, plus encore que par ce pieux pèlerinage, c’est par le sens profond du mystère du Christ et de l’Église que Brigitte participa à la construction de la communauté ecclésiale, à une période notablement critique de son histoire. Son union intime au Christ s’accompagna en effet de charismes particuliers de révélation qui firent d’elle un point de référence pour beaucoup de personnes de l’Église de son époque. On sent en Brigitte la force de la prophétie. Son ton semble parfois un écho de celui des anciens grands prophètes. Elle parle avec sûreté à des princes et à des papes, révélant les desseins de Dieu sur les événements de l’histoire.
Elle n’épargne pas les avertissements sévères même en matière de réforme morale du peuple chrétien et du clergé lui-même [4]. Certains aspects de son extraordinaire production mystique [5] suscitèrent en son temps des interrogations bien compréhensibles, à l’égard desquelles s’opéra le discernement de l’Église; celle-ci renvoya à l’unique révélation publique, qui a sa plénitude dans le Christ et son expression normative dans l’Écriture Sainte. Même les expériences des grands saints, en effet, ne sont pas exemptes des limites qui accompagnent toujours la réception par l’homme de la voix de Dieu ».
Enfin, le pape soulignait le rôle de la sainte dans les relations entre Catholiques et Protestants : « Toutefois, il n’est pas douteux qu’en reconnaissant la sainteté de Brigitte, l’Église, sans pour autant se prononcer sur les diverses révélations, a accueilli l’authenticité globale de son expérience intérieure. Brigitte se présente comme un témoin significatif de la place que peut tenir, dans l’Église, le charisme vécu en pleine docilité à l’Esprit de Dieu et en totale conformité aux exigences de la communion ecclésiale. En particulier, les terres scandinaves, patrie de Brigitte, s’étant détachées de la pleine communion avec le siège de Rome au cours de tristes événements du XVIe siècle, la figure de la sainte suédoise reste un précieux « lien » [6].
Sainte Brigitte de Suède meurt à Rome, où elle habitait depuis vingt ans, le 23 juillet 1373 à l’âge de 70 ans, longévité rare au Moyen-âge.
Son cercueil, escorté par son fils Burger et sa fille Catherine, fut ramené dans son pays natal, à l’abbaye de Vadstena qu’elle avait fondée près de trente ans auparavant.

Elle est canonisée dès 1391 par le pape Boniface IX.
Sainte Brigitte de Suède est particulièrement populaire dans les pays scandinaves, l’Allemagne, la Pologne et la Hongrie.
Aujourd’hui encore, 700 ans après leur fondation, les « Brigittines » sont actives à Rome, en Inde et au Mexique.

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