Archive pour le 10 juillet, 2014
LA RÈGLE DE SAINT BENOÎT
10 juillet, 2014http://abbaye-fleury.com/la-reacutegle.html
LA RÈGLE DE SAINT BENOÎT
(Sur le site tout au long de la Règle de saint Benoît)
PROLOGUE
Écoute, ô mon fils, ces préceptes de ton maître et tends l’oreille de ton cœur. Cette instruction de ton père qui t’aime, reçois-la cordialement et mets-la en pratique effectivement. Ainsi tu reviendras par le labeur de l’obéissance, à celui dont tu t’étais éloigné par la lâcheté de la désobéissance. A toi donc, quel que tu sois, s’adresse à présent mon discours, à toi qui, abandonnant tes propres volontés pour servir le Seigneur Christ, le roi véritable, prends les armes très puissantes et glorieuses de l’obéissance.
Avant tout, quand tu commences à faire quelque bien, demande-lui très instamment, dans la prière, de le conduire à sa perfection, afin que celui qui a daigné nous mettre au nombre de ses fils, n’ait jamais à se fâcher de nos mauvaises actions. En tout temps, en effet, il nous faut lui obéir au moyen des biens qu’il met en nous, de sorte que non seulement, tel un père irrité, il ne vienne jamais à déshériter ses fils, mais aussi que, tel un maître redoutable, courroucé de nos méfaits, il ne nous livre pas au châtiment perpétuel, comme des serviteurs détestables qui n’auraient pas voulu le suivre jusqu’à la gloire
Levons-nous donc enfin, puisque l’Écriture nous éveille en disant : » L’heure est venue de nous lever du sommeil « , et les yeux ouverts à la lumière de Dieu, écoutons d’une oreille attentive d’une oreille attentive ce que la voix divine nous montre par ses appels quotidiens : » Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, n’endurcissez pas vos cœurs » ; et encore : » Qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende ce que l’Esprit dit aux Églises. » Et que dit-il ? » Venez, mes fils, écoutez-moi, je vous enseignerai la crainte du Seigneur. Courez, pendant que vous avez la lumière de la vie, de peur que les ténèbres de la mort ne vous enveloppent. »
Et se cherchant un ouvrier dans la foule du peuple à laquelle il lance cet appel, le Seigneur dit de nouveau : » Quel est l’homme qui désire la vie et désire voir des jours heureux ? » Si, en entendant cela, tu réponds : » Me voici ! « , Dieu te dit : » Si tu veux avoir la vie véritable et perpétuelle, interdis le mal à ta langue et que tes lèvres ne prononcent point la tromperie. Évite le mal et fais le bien, cherche la paix et poursuis-la. Et quand vous aurez fait cela, j’aurai les yeux sur vous et je prêterai l’oreille à vos prières, et avant que vous m’invoquiez, je dirai : me voici ! » Quoi de plus doux que cette voix du Seigneur qui nous invite, frères bien-aimés ? Voici que, dans sa bonté, le Seigneur nous montre le chemin de la vie.
Ceignant donc nos reins de la foi et de l’accomplissement des bonnes actions, avançons sur ses voies, sous la conduite de l’évangile, afin de mériter de voir celui qui nous a appelés à son royaume.
Si nous voulons habiter dans la demeure de ce royaume, on ne saurait y parvenir, à moins d’y courir par de bonnes actions. Mais interrogeons le Seigneur avec le prophète, en lui disant : » Seigneur, qui habitera dans ta demeure, et qui reposera sur ta montagne sainte ? » Cette question posée, frères, écoutons le Seigneur nous répondre et nous montrer le chemin de cette demeure, en disant : » C’est celui qui marche sans se souiller et accomplit ce qui est juste ; qui dit la vérité dans son cœur, qui n’a pas commis de tromperie par sa langue ; qui n’a pas fait de mal à son prochain, qui n’a pas laissé l’injure atteindre son prochain ; qui, lorsque le malin, le diable, lui suggérait quelque chose, l’a repoussé loin des regards de son cœur, lui et sa suggestion, l’a réduit à néant et, s’emparant de ses rejetons – les pensées qu’il lui inspirait -, les a écrasés contre le Christ. Ce sont ceux-là qui, craignant le Seigneur, ne s’enorgueillissent pas de leur bonne observance, mais qui, estimant que ce qui est bon en eux ne peut être leur propre œuvre, mais celle du Seigneur, magnifient le Seigneur qui opère en eux, en disant avec le prophète : » Non pas à nous, Seigneur, non pas à nous, mais à ton nom rends gloire ! « , de même que l’apôtre Paul, lui non plus, ne s’attribuait rien de sa prédication et disait : » C’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis. » Et il dit encore : » Celui qui se glorifie, qu’il se glorifie dans le Seigneur. «
De là aussi cette parole du Seigneur dans l’Évangile : » Celui qui écoute ce que je viens de dire et le met en pratique, je le comparerai à un homme sage qui a bâti sa maison sur le pierre. Les eaux sont venues, les vents ont soufflé et ont heurté cette maison, et elle n’est pas tombée parce qu’elle était fondée sur la pierre. «
Achevant ainsi son discours, le Seigneur attend que nous répondions chaque jour par des actes aux saints enseignements qu’il vient de nous donner. Voilà pourquoi les jours de cette vie nous sont accordés comme un sursis en vue de l’amendement de notre mauvaise conduite, selon le mot de l’Apôtre : » Ne sais-tu pas que la patience de Dieu te conduit à la pénitence ? » Car le Seigneur dit dans sa bonté : » Je ne veux pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive. «
Nous avons donc interrogé le Seigneur, frères, au sujet de celui qui habitera dans sa demeure, et nous avons entendu le précepte donné pour y habiter, mais pourvu que nous remplissions les devoirs incombant à l’habitant. Il nous faut donc tenir nos cœurs et nos corps prêts à servir sous la sainte obéissance due aux préceptes. Et pour ce que la nature en nous trouve impossible, prions le Seigneur d’ordonner au secours de sa grâce de nous l’accorder. Et si, fuyant les châtiments de la géhenne, nous voulons parvenir à la vie perpétuelle, tandis qu’il en est encore temps et que nous sommes en ce corps et qu’il reste le temps d’exécuter tout cela à la lumière de cette vie, il nous faut à présent courir et accomplir ce qui nous profitera pour toujours.
Il nous faut donc instituer une école pour le service du Seigneur. En l’organisant, nous espérons n’instituer rien de dur, rien de pesant. Si toutefois une raison d’équité commandait d’y introduire quelque chose d’un peu strict en vue d’amender les vices et de conserver la charité, ne te laisse pas aussitôt troubler par la crainte et ne t’enfuis pas loin de la voie du salut, qui ne peut être qu’étroite au début. Mais en avançant dans la vie religieuse et la foi, » le cœur se dilate et l’on court sur la voie des commandements » de Dieu avec une douceur d’amour inexprimable. Ainsi, n’abandonnant jamais ce maître, persévérant au monastère dans son enseignement jusqu’à la mort, nous partagerons les souffrances du Christ par la patience, afin de mériter de prendre place en son royaume. Amen
BENOÎT XVI : SAINT BENOÎT DE NURSIE – 11 JUILLET
10 juillet, 2014BENOÎT XVI
AUDIENCE GÉNÉRALE
Mercredi 9 avril 2008
SAINT BENOÎT DE NURSIE – 11 JUILLET
Chers frères et sœurs,
Je voudrais parler aujourd’hui de saint Benoît, fondateur du monachisme occidental, et aussi Patron de mon pontificat. Je commence par une parole de saint Grégoire le Grand, qui écrit à propos de saint Benoît: « L’homme de Dieu qui brilla sur cette terre par de si nombreux miracles, ne brilla pas moins par l’éloquence avec laquelle il sut exposer sa doctrine » (Dial. II, 36). Telles sont les paroles que ce grand Pape écrivit en l’an 592; le saint moine était mort à peine 50 ans auparavant et il était encore vivant dans la mémoire des personnes et en particulier dans le florissant Ordre religieux qu’il avait fondé. Saint Benoît de Nursie, par sa vie et par son œuvre, a exercé une influence fondamentale sur le développement de la civilisation et de la culture européenne. La source la plus importante à propos de la vie de ce saint est le deuxième livre des Dialogues de saint Grégoire le Grand. Il ne s’agit pas d’une biographie au sens classique. Selon les idées de son temps, il voulut illustrer à travers l’exemple d’un homme concret – précisément saint Benoît – l’ascension au sommet de la contemplation, qui peut être réalisée par celui qui s’abandonne à Dieu. Il nous donne donc un modèle de la vie humaine comme ascension vers le sommet de la perfection. Saint Grégoire le Grand raconte également dans ce livre des Dialogues de nombreux miracles accomplis par le saint, et ici aussi il ne veut pas raconter simplement quelque chose d’étrange, mais démontrer comment Dieu, en admonestant, en aidant et aussi en punissant, intervient dans les situations concrètes de la vie de l’homme. Il veut démontrer que Dieu n’est pas une hypothèse lointaine placée à l’origine du monde, mais qu’il est présent dans la vie de l’homme, de tout homme.
Cette perspective du « biographe » s’explique également à la lumière du contexte général de son époque: entre le V et le VI siècle, le monde était bouleversé par une terrible crise des valeurs et des institutions, causée par la chute de l’Empire romain, par l’invasion des nouveaux peuples et par la décadence des mœurs. En présentant saint Benoît comme un « astre lumineux », Grégoire voulait indiquer dans cette situation terrible, précisément ici dans cette ville de Rome, l’issue de la « nuit obscure de l’histoire » (Jean-Paul II, Insegnamenti, II/1, 1979, p. 1158). De fait, l’œuvre du saint et, en particulier, sa Règle se révélèrent détentrices d’un authentique ferment spirituel qui transforma le visage de l’Europe au cours des siècles, bien au-delà des frontières de sa patrie et de son temps, suscitant après la chute de l’unité politique créée par l’empire romain une nouvelle unité spirituelle et culturelle, celle de la foi chrétienne partagée par les peuples du continent. C’est précisément ainsi qu’est née la réalité que nous appelons « Europe ».
La naissance de saint Benoît se situe autour de l’an 480. Il provenait, comme le dit saint Grégoire, « ex provincia Nursiae » – de la région de la Nursie. Ses parents, qui étaient aisés, l’envoyèrent suivre des études à Rome pour sa formation. Il ne s’arrêta cependant pas longtemps dans la Ville éternelle. Comme explication, pleinement crédible, Grégoire mentionne le fait que le jeune Benoît était écoeuré par le style de vie d’un grand nombre de ses compagnons d’étude, qui vivaient de manière dissolue, et qu’il ne voulait pas tomber dans les mêmes erreurs. Il voulait ne plaire qu’à Dieu seul; « soli Deo placere desiderans » (II Dial. Prol. 1). Ainsi, avant même la conclusion de ses études, Benoît quitta Rome et se retira dans la solitude des montagnes à l’est de Rome. Après un premier séjour dans le village d’Effide (aujourd’hui Affile), où il s’associa pendant un certain temps à une « communauté religieuse » de moines, il devint ermite dans la proche Subiaco. Il vécut là pendant trois ans complètement seul dans une grotte qui, depuis le Haut Moyen-âge, constitue le « coeur » d’un monastère bénédictin appelé « Sacro Speco ». La période à Subiaco, une période de solitude avec Dieu, fut un temps de maturation pour Benoît. Il dut supporter et surmonter en ce lieu les trois tentations fondamentales de chaque être humain: la tentation de l’affirmation personnelle et du désir de se placer lui-même au centre, la tentation de la sensualité et, enfin, la tentation de la colère et de la vengeance. Benoît était en effet convaincu que ce n’était qu’après avoir vaincu ces tentations qu’il aurait pu adresser aux autres une parole pouvant être utile à leur situation de besoin. Et ainsi, son âme désormais pacifiée était en mesure de contrôler pleinement les pulsions du « moi » pour être un créateur de paix autour de lui. Ce n’est qu’alors qu’il décida de fonder ses premiers monastères dans la vallée de l’Anio, près de Subiaco.
En l’an 529, Benoît quitta Subiaco pour s’installer à Montecassino. Certains ont expliqué ce déplacement comme une fuite face aux intrigues d’un ecclésiastique local envieux. Mais cette tentative d’explication s’est révélée peu convaincante, car la mort soudaine de ce dernier n’incita pas Benoît à revenir (II Dial. 8). En réalité, cette décision s’imposa à lui car il était entré dans une nouvelle phase de sa maturation intérieure et de son expérience monastique. Selon Grégoire le Grand, l’exode de la lointaine vallée de l’Anio vers le Mont Cassio – une hauteur qui, dominant la vaste plaine environnante, est visible de loin – revêt un caractère symbolique: la vie monastique cachée a sa raison d’être, mais un monastère possède également une finalité publique dans la vie de l’Eglise et de la société, il doit donner de la visibilité à la foi comme force de vie. De fait, lorsque Benoît conclut sa vie terrestre le 21 mars 547, il laissa avec sa Règle et avec la famille bénédictine qu’il avait fondée un patrimoine qui a porté des fruits dans le monde entier jusqu’à aujourd’hui.
Dans tout le deuxième livre des Dialogues, Grégoire nous montre la façon dont la vie de saint Benoît était plongée dans une atmosphère de prière, fondement central de son existence. Sans prière l’expérience de Dieu n’existe pas. Mais la spiritualité de Benoît n’était pas une intériorité en dehors de la réalité. Dans la tourmente et la confusion de son temps, il vivait sous le regard de Dieu et ne perdit ainsi jamais de vue les devoirs de la vie quotidienne et l’homme avec ses besoins concrets. En voyant Dieu, il comprit la réalité de l’homme et sa mission. Dans sa Règle, il qualifie la vie monastique d’ »école du service du Seigneur » (Prol. 45) et il demande à ses moines de « ne rien placer avant l’Œuvre de Dieu [c'est-à-dire l'Office divin ou la Liturgie des Heures] » (43, 3). Il souligne cependant que la prière est en premier lieu un acte d’écoute (Prol. 9-11), qui doit ensuite se traduire par l’action concrète. « Le Seigneur attend que nous répondions chaque jour par les faits à ses saints enseignements », affirme-t-il (Prol. 35). Ainsi, la vie du moine devient une symbiose féconde entre action et contemplation « afin que Dieu soit glorifié en tout » (57, 9). En opposition avec une réalisation personnelle facile et égocentrique, aujourd’hui souvent exaltée, l’engagement premier et incontournable du disciple de saint Benoît est la recherche sincère de Dieu (58, 7) sur la voie tracée par le Christ humble et obéissant (5, 13), ne devant rien placer avant l’amour pour celui-ci (4, 21; 72, 11) et c’est précisément ainsi, au service de l’autre, qu’il devient un homme du service et de la paix. Dans l’exercice de l’obéissance mise en acte avec une foi animée par l’amour (5, 2), le moine conquiert l’humilité (5, 1), à laquelle la Règle consacre un chapitre entier (7). De cette manière, l’homme devient toujours plus conforme au Christ et atteint la véritable réalisation personnelle comme créature à l’image et à la ressemblance de Dieu.
A l’obéissance du disciple doit correspondre la sagesse de l’Abbé, qui dans le monastère remplit « les fonctions du Christ » (2, 2; 63, 13). Sa figure, définie en particulier dans le deuxième chapitre de la Règle, avec ses qualités de beauté spirituelle et d’engagement exigeant, peut-être considérée comme un autoportrait de Benoît, car – comme l’écrit Grégoire le Grand – « le saint ne put en aucune manière enseigner différemment de la façon dont il vécut » (Dial. II, 36). L’Abbé doit être à la fois un père tendre et également un maître sévère (2, 24), un véritable éducateur. Inflexible contre les vices, il est cependant appelé à imiter en particulier la tendresse du Bon Pasteur (27, 8), à « aider plutôt qu’à dominer » (64, 8), à « accentuer davantage à travers les faits qu’à travers les paroles tout ce qui est bon et saint » et à « illustrer les commandements divins par son exemple » (2, 12). Pour être en mesure de décider de manière responsable, l’Abbé doit aussi être un personne qui écoute « le conseil de ses frères » (3, 2), car « souvent Dieu révèle au plus jeune la solution la meilleure » (3, 3). Cette disposition rend étonnamment moderne une Règle écrite il y a presque quinze siècles! Un homme de responsabilité publique, même à une petite échelle, doit toujours être également un homme qui sait écouter et qui sait apprendre de ce qu’il écoute.
Benoît qualifie la Règle de « Règle minimale tracée uniquement pour le début » (73, 8); en réalité, celle-ci offre cependant des indications utiles non seulement aux moines, mais également à tous ceux qui cherchent un guide sur leur chemin vers Dieu. En raison de sa mesure, de son humanité et de son sobre discernement entre ce qui est essentiel et secondaire dans la vie spirituelle, elle a pu conserver sa force illuminatrice jusqu’à aujourd’hui. Paul VI, en proclamant saint Benoît Patron de l’Europe le 24 octobre 1964, voulut reconnaître l’œuvre merveilleuse accomplie par le saint à travers la Règle pour la formation de la civilisation et de la culture européenne. Aujourd’hui, l’Europe – à peine sortie d’un siècle profondément blessé par deux guerres mondiales et après l’effondrement des grandes idéologies qui se sont révélées de tragiques utopies – est à la recherche de sa propre identité. Pour créer une unité nouvelle et durable, les instruments politiques, économiques et juridiques sont assurément importants, mais il faut également susciter un renouveau éthique et spirituel qui puise aux racines chrétiennes du continent, autrement on ne peut pas reconstruire l’Europe. Sans cette sève vitale, l’homme reste exposé au danger de succomber à l’antique tentation de vouloir se racheter tout seul – une utopie qui, de différentes manières, a causé dans l’Europe du XX siècle, comme l’a remarqué le Pape Jean-Paul II, « un recul sans précédent dans l’histoire tourmentée de l’humanité » (Insegnamenti, XIII/1, 1990, p. 58). En recherchant le vrai progrès, nous écoutons encore aujourd’hui la Règle de saint Benoît comme une lumière pour notre chemin. Le grand moine demeure un véritable maître à l’école de qui nous pouvons apprendre l’art de vivre le véritable humanisme.