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LE SILENCE EST D’OR – Apocalypse 8:1-6
12 juin, 2014http://oratoiredulouvre.fr/predications/le-silence-est-d-or.php
LE SILENCE EST D’OR
( Apocalypse 8:1-6 )
Culte du dimanche 25 juillet 2010 à l’Oratoire du Louvre prédication du pasteur James Woody
Chers frères et sœurs, que penser d’un prédicateur qui fait silence au lieu de commencer sa prédication ? a-t-il perdu ses feuillets et essaie-t-il de refaire sa prédication de mémoire ? se rend-il compte que ce qu’il a préparé n’est pas ce qu’il faudrait dire auquel cas il se prépare à improviser une autre prédication ? probablement aurez-vous pensé à d’autres solutions… ceci montre l’un des intérêts du silence : offrir un espace de réflexion, permettre à chacun de réfléchir et de donner du sens à ce qui est vécu. Le silence permet les interprétations.
Avant de reprendre cet aspect qui est abordé par le passage de l’Apocalypse que nous avons lu, j’aimerais d’abord faire une remarque préliminaire pour souligner à quel point le silence est ambigu. Le silence peut être extrêmement positif en bien des situations. Je pense notamment à toutes ces situations où le silence vaut mieux que le bavardage et les niaiseries. Je pense à Wittgenstein terminant son Tractatus logico-philosophicus par cette sentence pleine de sagesse « ce dont on ne peut parler, il faut le taire », autrement formulée dans le livre des Proverbes « l’insensé même, quand il se tait, passe pour sage; celui qui ferme ses lèvres est un homme intelligent (17/28) ». Nous retrouvons ce bon principe sous une autre forme dans la sagesse populaire : « mieux vaut se taire et passer pour un imbécile que parler et ne laisser aucun doute à ce sujet ». Un tel silence serait heureux en matière judiciaire de la part de ceux qui ignorent tout et spéculent à bon compte. Il est frappant de constater à quel point les enquêtes judiciaires, dès lors qu’elles concernent des personnalités, connaissent leur lot de rumeurs qui amplifient et déforment la réalité et qui condamnent sans quelconque forme de procès. En 2003, la rumeur disait que c’était le maire et des magistrats de la cour d’appel de Toulouse qu’il aurait fallu condamner pour viol et meurtres. Aujourd’hui, la rumeur et la vindicte populaire voudraient que tout le monde soit coupable dans l’affaire dite Bettencourt. Job avait raison en disant de ses soit disant amis « que n’avez-vous gardé le silence ? vous auriez passé pour avoir de la sagesse (13/5) ».
Pour autant, il est aussi des silences coupables. Il est des moments où il faut prendre la parole pour avertir, dénoncer, alerter. Il est des cas où celui qui se tait est semblable à la sentinelle dont parle le prophète Ezéchiel, qui n’avertit pas le peuple du danger et qui sera donc responsable de son mutisme (33/6-9). Ajoutons que la parole est ce qui fonde l’existence, la parole est ce qui permet de lever les ambiguïtés dès lors qu’elle n’est pas qu’un simple bavardage mais bien un acte de communication. Le silence, seul, confinerait au néant. La communication, la parole, font accéder à la vie, mais elles ont besoin du silence, c’est ce que je vous propose de constater maintenant avec ce que ce passage de l’Apocalypse nous révèle.
Le silence permet de se nourrir de la Parole
Le silence, nous l’avons expérimenté il y a quelques instants, ouvre un espace de réflexion, d’interprétation. Un silence d’une demi-heure accompagne l’ouverture complète du livre qui était jusque là fermé. Le livre est maintenant ouvert et il ne s’agit pas d’en faire un simple objet de décoration. Le silence indique qu’il s’agit maintenant de faire quelque chose de ce texte, de ces mots qu’il contient. Le silence indique que c’est le texte qui prend la parole et qui va nous offrir ce qu’il contient. Le silence indique que celui qui est face au texte est en position d’accueil, qu’il est prêt à se nourrir de ce que le texte va lui proposer. Le silence indique qu’il ne s’agit pas d’imposer au texte ce qu’on aimerait qu’il nous dise mais que nous prenons ce texte suffisamment au sérieux pour lui laisser le soin de nous parler. Le silence, c’est le temps de l’apprentissage. C’est le temps de l’enfant (étymologiquement l’enfant est celui qui ne parle pas) qui sait qu’il ne sait pas tout, qu’il doit apprendre des autres. Le silence c’est la possibilité de se mettre à l’écoute du texte pour le méditer et pour y entendre quelque chose d’important pour nous.
Le silence est mis en rapport avec un texte qui s’offre à notre lecture et à notre interprétation. C’est un point important à relever parce qu’il nous éclaire sur ce que signifie la méditation dans une perspective chrétienne. Ici il n’est pas question de se centrer sur soi ; il n’est pas question de se concentrer sur sa respiration ; il n’est pas question de se fixer sur un mot ou une phrase qu’il faudrait répéter mentalement, fût-ce l’expression « Maranatha » qui apparaît à la fin du livre de l’Apocalypse. Ici, le recentrement est affaire de décentrement. Ce n’est pas au fond de soi que l’on va trouver un bout de vérité mais hors de soi. La méditation chrétienne consiste moins dans l’écoute de soi que dans l’écoute de cette parole qui nous est extérieure notamment contenue dans ce livre qui, en grec, se nomme la bible.
Si la méditation qui consiste à se concentrer sur sa respiration pour se recentrer sur l’instant présent, pour améliorer sa présence au monde, pour diminuer le stress, a tout son intérêt, ce que nous pouvons vivre dans la piété chrétienne est d’un autre ordre : il ne s’agit pas seulement d’atteindre une phase d’harmonie avec soi ou avec notre environnement, il s’agit d’accéder à une meilleure compréhension de notre identité, de notre vocation dans ce monde en approfondissant notre connaissance de Dieu ; et cela passe par l’appropriation personnelle de la parole de Dieu qui est hors de nous. De ce point de vue, le culte tel qu’il est vécu par les Quakers est exemplaire : les quakers se réunissent et, silencieusement, lisent la Bible et toutes sortes d’ouvrages qu’ils ont rassemblés. A l’occasion quelqu’un peut lire une phrase à haute voix pour en faire profiter le groupe mais l’essentiel consiste dans la méditation des textes.
C’est cette méditation des mots qui peut donner sens à notre vie. Cette attitude pose que la vérité n’est pas en nous, qu’il ne s’agit pas de retrouver ce que Dieu aurait déposé au fond de notre être, mais de nous ouvrir à son enseignement. Contrairement à ce que proposait Thérèse d’Avila « Ce qui importe avant tout, c’est d’entrer en nous-mêmes pour y rester seul à seul avec Dieu » (Le chemin de la perfection), il s’agit plutôt de sortir de nous-mêmes à la manière d’Abraham auquel Dieu recommande de partir s’il veut se trouver. Aller vers soi, c’est se frotter au monde, à l’univers. Selon l’explication de Jésus, c’est du cœur de l’homme que sortent les pensées mauvaises (Mc 7/21) ; évangéliser nos pensées mauvaises, emprunter un chemin de justice, c’est partir à la rencontre de cette parole qui nous est extérieure voire carrément étrangère, une parole qui nous interpelle et nous permet de mieux nous connaître et de mieux comprendre le monde qui nous entoure. Le silence est alors nécessaire pour que nous parasitions le moins possible cette parole-là, que nous la salissions le moins possible avec tout ce qui nous souille intérieurement.
Le silence permet d’entendre les prières des saints
Le silence nous permet d’atténuer les parasites, il nous permet de nous mettre à l’écoute d’un autre que nous et de ne pas prendre nos paroles et nos pensées très humaines des paroles très divines. Le silence nous permet de nous mettre aussi à l’écoute des autres. Ce silence apocalyptique permet de se mettre à l’écoute des prières des saints. Les textes bibliques établissent un lien solide entre la présence de Dieu et le silence (Ha 2/20 ; Za 2/13) et, ici, nous constatons que le silence est effectivement lié à la présence Dieu. Selon l’imagerie traditionnelle, l’encens qui monte figure les prières qui rejoignent Dieu (Ps 141/2). L’ambiance est très liturgique. Il y a d’une part les anges et, d’autre part, les saints, le tout dans un silence quasi religieux.
C’est assez paradoxal, pour un ange, de faire silence. Dans la mesure où il est messager, un ange est plutôt du côté de ceux qui parlent pour transmettre le message. Là, ils observent le silence et, pourtant, ce n’est pas Dieu qui parle. Autre élément surprenant, nous sommes en plein culte et il y a une pluralité de prières. Il n’y a pas un officiant qui exprimerait la prière de la communauté mais une multitude de prières qui, toutes, s’élèvent dans le silence angélique. C’est au moment où il est question de ce livre fermé puis ouvert que les « saints » apparaissent dans l’Apocalypse. C’est ce livre qui provoque la prière de ces saints dont il n’est pas dit précisément qui ils sont. Certains envisagent que ce sont les fidèles, ceux qui n’ont pas renié le Christ en dépit des persécutions qui s’abattent sur les chrétiens à l’époque. Le fait que les saints apparaissent avec le livre m’invite plutôt à penser qu’il s’agit de ceux qui ont découvert la parole contenue dans ce livre : c’est le peuple suscité par la méditation du livre. C’est la communauté de ceux qui ont découvert une parole pour aujourd’hui, ce qui les fait réagir. Les saints dont il est question, ce ne sont pas nécessairement les bons croyants, le cœur du cœur de l’Eglise, mais ceux qui ont été touché par ce qu’ils ont compris et qui, justement, considèrent qu’il faut briser le silence. Dans un contexte où il y a beaucoup de choses qui clochent, ces « saints » sont ceux qui ont pris conscience de ce qui ne va pas et qui font monter vers Dieu l’expression de leur cri, de leur indignation, de leur lamentation, de leur supplique. Ce sont ceux qui prennent conscience, par la méditation de cette parole extérieure qui est capable de leur ouvrir les yeux, qu’il n’est pas vivable d’être ainsi soumis à des puissances néfastes que représentera un peu plus loin la fameuse bête. Ce sont ceux qui ouvrent les yeux sur la réalité révélée par cette parole et qui se redressent pour mettre un terme à leur aliénation.
Et les anges font silence, non pas pour que Dieu entende (comme si Dieu ne pouvait pas passer outre le vacarme ambiant) : les anges font silence pour entendre ce que le monde exprime soudainement. Nous pouvons voir là l’attitude de l’Eglise qui se met à l’écoute du monde qui prend conscience de situations anormales, de situations qui demandent des changements. L’Eglise fait silence au lieu d’imposer des recettes miracles, des réponses toutes faites. L’Eglise – la communauté des messagers que nous sommes, l’armée des anges que nous formons – l’Eglise, donc, fait silence pour entendre ce que le monde exprime. C’est le silence de l’humilité. C’est le silence de ceux qui savent qu’ils n’ont pas la science infuse. C’est le silence de ceux qui sont véritablement au service de l’humanité et qui prennent au sérieux ce que les uns et les autres disent. C’est le silence qui permet de comprendre l’autre et de le rejoindre dans ses préoccupations au lieu de l’obliger à se taire et à écouter pieusement ce qu’il faut croire et penser. C’est le silence de ceux qui essaient de comprendre ce que veulent dire les protestations, les revendications. C’est le silence de ceux qui s’efforcent de comprendre ce que les gémissements traduisent de plus profond.
Mais le silence ne dure qu’une demi-heure. Le silence n’est pas une fin en soi, ce n’est pas le but d’une vie, ce ne saurait être le sommet d’une vie spirituelle. Le silence est le temps nécessaire à l’interprétation des signes, le temps nécessaire à la compréhension, mais ce n’est qu’un temps de préparation. Les anges se saisissent de leurs trompettes. Ils ne vont pas rester muets. C’est maintenant le temps de l’action !
Amen.
ELIE, LE PROPHÈTE SOLITAIRE
12 juin, 2014
http://www.promesses.org/arts/118p2-7f.html
ELIE, LE PROPHÈTE SOLITAIRE
(1Rois, première lecture de ces jours)
Daniel Arnold
Le prophète Elie a exercé son ministère prophétique sous le règne de deux rois d’Israël, Achab et Ahazia, entre 873 et 852 av. J.-C.. Cette période était marquée par une grande infidélité envers l’Eternel. Achab, à la suite de son mariage avec la fille du roi des Sidoniens, avait établi officiellement le culte de Baal dans le royaume du nord et l’auteur de 1-2 Rois nous dit que ce roi fit plus encore que tous les rois d’Israël qui avaient été avant lui, pour irriter l’Eternel, le Dieu d’Israël (I Rois 16:33). Quant à Jézabel, sa femme, elle s’efforçait d’éliminer tous les prophètes de l’Eternel. Dans un tel contexte, le ministère d’un prophète devenait extrêmement difficile. Pourchassé par le pouvoir politique rebelle au message divin, Elie a dû sans cesse fuir et vivre en exil. Ainsi, son ministère est marqué par une grande solitude. Cependant, il serait faux de croire que l’isolement d’Elie tient seulement aux circonstances. Son ministère particulier, sa place dans le plan rédempteur divin, même certains aspects littéraires des textes, tout souligne le destin solitaire d’Elie.
Seul du début à la fin Dès les premières paroles de jugement prononcées contre Achab, Dieu conseille à Elie de s’éloigner du monarque et d’aller se réfugier à l’est du pays, de l’autre côté du Jourdain (région administrative plus éloignée de la capitale), pour vivre dans le torrent de Kerith où ses seuls compagnons sont des corbeaux qui viennent lui apporter sa subsistance quotidienne matin et soir (1 Rois 17.1-6). Quand l’eau du torrent tarit, Dieu le dirige à l’étranger, au nord d’Israël. Pour la première et la seule fois de son ministère, Elie peut séjourner avec des êtres humains, mais sa famille d’accueil est limitée à deux personnes: une veuve et son fils. La femme semble elle-même isolée de la société puisque, sans ressources, elle ne peut compter sur l’aide de personne. Par la suite, l’intervention divine, rendant farine et huile inépuisables, permet aux trois personnes de vivre en autarcie (1 Rois 17.13-16). Après trois ans de sécheresse et de fuite, Abdias, le serviteur d’Achab, reconnaît le caractère insaisissable d’Elie: Lorsque je t’aurai quitté, l’ esprit de l’Eternel te transportera je ne sais où (1 Rois 18:12). Sur le mont Carmel, quand Elie se présente enfin en public, ce n’est que pour souligner son isolement: Elie dit au peuple: Je suis resté seul des prophètes de l’Eternel, et il y a quatre cent cinquante prophètes de Baal (1 Rois 18:22). Tout de suite après la confrontation victorieuse contre les faux prophètes, Elie se retire au sommet du Carmel pour prier l’Eternel d’envoyer la pluie. Un seul homme est autorisé à l’accompagner, son serviteur, non pour être associé à l’intercession, mais pour servir d’observateur. A sept reprises, Elie le renvoie loin de lui et lui demande de regagner son poste. Comme pour mieux souligner le thème de la solitude, le dialogue se limite aux expressions les plus réduites: le serviteur adresse seulement deux mots à Elie pour lui dire que rien n’a changé dans le ciel (littéralement il dit: non rien) et Elie lui répond par un seul mot: retourne (1 Rois 18.41-44). Quand il faut accompagner Achab à Jizreél (sans doute pour encourager ou contrôle des réformes du roi), Elie refuse de monter sur le char d’Achab et préfère courir devant le roi du Carmel à Jizreél (20 à 40 kilomètres) sous une pluie torrentielle. Puisque le roi n’a pas encore manifesté de repentir, le prophète évite tout signe de rapprochement avec lui (1 Rois 18.44-46). Le séjour dans la cité d’Achab est des plus courts (moins de vingt-quatre heures). Devant les menaces de la reine Jézabel, Elie doit fuir, une fois de plus, pour sauver sa vie ( 1 Rois 19.1-3). Découragé par la passivité d’Achab à mener des réformes et l’inefficacité de l’ouvre du Carmel, Elie se retire à l’extrémité sud du pays, dans le désert. Son unique compagnon de voyage est renvoyé et Elie, déprimé et plus seul que jamais, demande la mort. L’ange de l’Eternel fait deux courtes apparitions pour nourrir le prophète et lui indiquer la suite des opérations (1 Rois 19.5-8). La nourriture divine rappelle la farine et l’huile de la veuve, non dans son caractère inépuisable, mais par les forces illimitées données au prophète le rendant à nouveau autonome et indépendant de toute aide humaine. Seul sur le mont Horeb ( appelé aussi mont Sinaï), Elie rencontre Dieu un peu comme Moïse l’avait fait quelque six cents ans plus tôt. Le grand législateur s’était aussi trouvé tout seul pour un face à face avec l’Eternel (le peuple était resté en bas de la montagne et n’osait même pas s’en approcher sous peine de mort: Ex 19.12). Elie exprime, à deux reprises, son désespoir et sa solitude: Les enfants d’Israël ont tué par l’épée tes prophètes; je suis resté, moi seul, et ils cherchent à m’ôter la vie (I Rois 19:10, 14). Bien que Dieu encourage le prophète en lui annonçant la mission de trois hommes qui poursuivront son ministère de jugement, il faut noter que deux d’entre eux seront des rois et non des compagnons (l’un étant non seulement étranger, mais encore monarque d’un pays en guerre contre Israël). Quant à Elisée, il est présenté comme successeur d’Elie plutôt que compagnon (1 Rois 19.16). De plus dès l’onction reçue, Elisée demande l’autorisation de se retirer pour rejoindre une dernière fois sa famille, laissant Elie seul une fois de plus (1 Rois 19.20). Elie est absent des deux chapitres qui concernent des conflits militaires avec les Syriens (1 Rois 20; 22) comme pour mieux souligner que le prophète de la solitude ne pouvait s’engager avec le peuple et l’armée. En lieu et place, interviennent des prophètes anonymes (1 Rois 20) et Michée, fils de Yimla (1 Rois 22.8; à ne pas confondre avec Michée de Morécheth contemporain d’Ezéchias et auteur du livre canonique). Lorsue Josaphat, roi de Juda, désire consulter l’Eternel avant de partir en campagne militaire, Achab semble avoir oublié jusqu’à l’existence d’Elie, puisqu’il répond que le seul prophète disponible est Michée (1 Rois 22.8). Avant son ascension au ciel, Elie fait encore deux courtes apparitions pour annoncer une parole de jugement à Achab (1 Rois 21.17-29), puis, après la mort de ce dernier, à Joram, son fils et successeur (2 Rois 1.3-4). Dans les deux cas, le contact avec le roi et les hommes est limité au minimum. Achab est rencontré à l’improviste, en privé, dans le champ de Naboth. Quant à Joram, il ne voit même pas le prophète, mais reçoit une simple parole de condamnation par l’intermédiaire de ses serviteurs. Elie les rencontre à l’extérieur de la ville (ils sont en chemin pour consulter le dieu d’Ekron) sans même se donner la peine de s’identifier et ce n’est que grâce à ses habits (et peut-être aussi à la nature du message) que le roi peut reconnaître l’auteur de la déclaration (2 Rois 1.7-8). Quand Joram veut arrêter Elie, celui-ci peut, pour une fois, être trouvé (à trois reprises même: 2 Rois 1.9-15). Cependant, le prophète reste plus inabordable que jamais. Les deux premiers groupes de soldats ne peuvent s’approcher qu’à portée de voix, puis devant leurs intentions meurtrières (c’est la seule manière de comprendre les paroles de malédiction prononcées par le prophète acculé vraisemblablement à la légitime défense ), ils sont tués. Le troisième groupe échappe au jugement, car son chef aborde le prophète avec crainte et respect. Encouragé par l’Eternel, Elie accepte, alors, d’accompagner ce responsable, mais le voyage en commun est conté en quelques mots comme pour mieux souligner la brièveté du contact (Elie se leva et descendit avec lui vers le roi). Arrivé sur place, Elie se contente de répéter simplement son message de condamnation. Dans le dernier récit, quand Elie va être enlevé au ciel, le prophète exprime immédiatement son désir d’être laissé seul (2 Rois 2.1-6). A trois reprises, il renvoie Elisée loin de lui, mais à trois reprises ce dernier reste attaché à son maître. Les fils des prophètes de Béthel et de Jéricho, bien que connaissant le départ imminent d’Elie, ne lui adressent aucune parole. Par contre, ils dialoguent avec Elisée au sujet d’Elie. Après l’ascension de ce dernier, ces mêmes hommes cherchent en vain son corps. Ainsi Elie, mal connu dans ses origines (l’auteur n’a jamais indiqué le nom de son père), insaisissable pendant son ministère, disparaît sans laisser la moindre trace. Finalement, à la vie solitaire d’Elie, s’ajoute la vie insolite du prophète. Elie n’est pas seulement un homme isolé de ses contemporains, mais aussi un être hors du commun. La résurrection du fils de la veuve (1 Rois 17.21-22) n’est répétée qu’une fois sous l’ancienne alliance (résurrection du fils de la Sunamite par Elisée: 2 Rois 4.34-35). Le châtiment divin frappant par le feu céleste les ennemis du prophète (2 Rois 1.10,12) est exceptionnel, voire unique; seuls la terre qui avale les ennemis de Moïse (Nomb 16.28-32) ou les ours qui déchirent les adolescents méprisant Elisée (2 Rois 2.24) s’en rapprochent. La démonstration publique du mont Carmel soulignant la puissance de l’Eternel et l’incompétence totale de l’idole Baal est incomparable. Finalement, l’expérience de l’ascension n’est partagée que par un autre homme dont on ne sait pratiquement rien (Hénoc: Gen 5.24). Elie est vraiment un homme à part qui a vécu en marge de la société.
Une influence considérable Paradoxalement à l’isolement d:Elie, le prophète a marqué profondément l’histoire des hommes. Peu d’individus ont eu un tel impact. L’auteur des Rois consacre une section importante à son ministère (un huitième de 1-2 Rois) et trois livres du Nouveau Testament le mentionnent en rapport avec l’aide accordée à une étrangère (Luc 4.25-26), la persévérance dans la prière (Jac 5.17) et la solitude du prophète (Rom 11.2- 4). Bien qu’étant unique en son genre, Elie laisse un exemple valable pour tous les hommes, car il était un homme de la même nature que nous (Jac 5.17). Sa ténacité dans l’intercession doit servir d’exemple à tous les fidèles. Même son départ unique de ce monde n’est sans doute qu’un avant goût de l’enlèvement de l’Eglise (1 Thes 4.13-17). Mais c’est surtout l’annonce de son retour (prophétisé par Mal 3.23 ou 4.5) qui a marqué le plus les hommes, alimentant les conversations des foules et nourrissant l’espoir des âmes pieuses. Ainsi, à l’époque néo-testamentaire, malgré les siècles écoulés, l’attente restait vive. Jésus a été pris (à tort Jean 1.21) pour Elie (Marc 6.15; 8.28) et lors de la crucifixion, le retour d’Elie est même évoqué par des moqueurs (Marc 15.35-36). Même après la rédaction du Nouveau Testament, le retour d’Elie stimule encore des débats théologiques. Jean-Baptiste a-t-il accompli la prophétie de Malachie ? Partiellement (c.-à.-d. de manière non littérale ), cela est indéniable (Luc 1.17; Mat 11.14; 17.10-12). Faut-il s’en contenter ou attendre un retour en chair et en os avant l’avènement du Messie (cf. Apoc 11.3-6)? Les avis sont partagés. Comme il sied au prophète insaisissable, le mystère risque fort de planer jusqu’aux temps de la fin. Si Elie a laissé une marque que les siècles n’ont pu effacer, ses contemporains ont aussi pu voir directement les fruits de son ministère, non durant sa vie, mais juste après son départ. L’enlèvement d’Elie suit de peu un changement de règne en Israël. Joram succède à son frère Ahazia dont la mort avait été prophétisée par Elie (2 Rois 1.17). Le nouveau monarque se distance rapidement de la politique de son frère et de son père. Il purifie le pays du culte de Baal (2 Rois 3.1) et, sans retourner totalement vers l’Eternel, il réforme néanmoins sensiblement le pays, accueillant notamment les prophètes de l’Eternel. Ainsi, durant son règne et celui de ses successeurs immédiats, les prophètes (et Elisée en particulier) se promènent librement dans le pays. Ils ne doivent plus vivre dans la crainte perpétuelle d’une arrestation (voire d’une exécution) arbitraire. Cette attitude favorable des rois à l’égard des prophètes peut certainement être attribuée au ministère d’exhortation et de jugement exercé par Elie. Bien que tardivement, ce dernier a fini par être écouté. Finalement, la présence d’Elie aux côtés de Moïse sur le mont de la Transfiguration est sans doute la marque la plus claire de son rôle fondamental (Mat 17.3-4). Les deux parties du canon hébreu sont représentées: la loi et les prophètes. Moïse est, bien sûr, le grand législateur qui a posé le fondement de tout le judaïsme, alors qu’Elie représente tous les prophètes. Ce choix d’Elie comme représentant des prophètes peut surprendre au premier abord, car il n’est ni le premier prophète, ni le dernier, ni celui qui a fait le plus de miracles ou formulé les prophéties les plus remarquables. A-t-il été choisi parce qu’il a été enlevé au ciel? Ne serait-ce pas plutôt dans son caractère de prophète solitaire (si intimement lié à sa personne) que se trouve la raison du choix? Un prophète doit représenter Dieu auprès des hommes. Sa fonction première consiste à reprendre et exhorter des pécheurs. Ce ministère, par sa nature même, est souvent impopulaire et la liste des prophètes rejetés par leurs contemporains est longue et inclut des hommes aussi renommés que Jérémie et Ezéchiel. Elie, par son ministère fidèle vécu dans la solitude et dans le rejet de ses contemporains, est le type même du prophète de l’Eternel. Son choix à côté de Moïse pour honorer le Messie marquerait, alors, la récompense divine pour un ministère des plus ingrats. Celui qui cherchera à sauver sa vie la perdra, et celui qui la perdra la retrouvera (Luc 17:33). La vie d’Elie et les paroles du Christ nous exhortent à chercher d’abord l’honneur de Dieu plutôt que celui des hommes. Pour plaire à son Seigneur, le fidèle doit être prêt à tout. Le rejet de la société, la solitude, l’isolement total sont difficiles à vivre. Comme des voyageurs et des étrangers sur terre, parfois victorieux, parfois incompris des plus proches, moqués, fouettés, enchaînés, torturés, isolés, oubliés, rejetés, excommuniés, errants dans leur pays ou dans les déserts (cf. Héb 11.35-38), le fidèle ne cherche pas son bonheur dans cette vie, mais attend la résurrection des morts et le royaume de Dieu pour vivre dans la félicité et le bonheur éternel.