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PAR SAINT AUGUSTIN PSAUME 4: LE VRAI BONHEUR
30 juin, 2014http://docteurangelique.free.fr/livresformatweb/complements/psaumessaintaugustin.htm#_Toc71884705
PAR SAINT AUGUSTIN
PSAUME 4: LE VRAI BONHEUR
Le Prophète nous montre dans ce cantique l’âme qui s’élève au-dessus des biens terrestres et périssables pour trouver en Dieu le repos et le bonheur.
POUR LA FIN, PSAUME CANTIQUE DE DAVID (Ps. IV, 1).
1. « Le Christ est la fin de la loi pour justifier tous ceux qui croiront en lui (Rom. X, 4) »; mais cette fin a le sens de perfectionnement et non de destruction. On peut se demander si tout cantique est un psaume, ou plutôt si tout psaume ne serait pas un cantique; s’il y a des cantiques auxquels ne conviendrait pas le nom de psaume, et des psaumes que l’on ne pourrait appeler cantiques. Mais il est bon de voir dans les Ecritures, si le titre de cantique n’indiquerait pas la joie; et le nom de psaumes indiquerait des chants exécutés sur le psaltérion, dont se servit David, au rapport de l’histoire (I Par. XIII, 8), pour figurer un grand mystère, que nous n’approfondirons pas ici; cela exige de longues recherches, et une longue discussion. Ecoutons aujourd’hui la parole de l’Homme-Dieu, après sa résurrection, ou du disciple de l’Eglise qui croit et qui espère en lui.
2. « Quand je priais, le Dieu de ma justice m’a exaucé (Ps. IV, 2) ». Ma prière, dit-il, a été exaucée par Dieu, auteur de ma justice. « Dans les tribulations, vous avez dilaté mon cœur (Ibid.), vous m’avez fait passer des étreintes de la douleur aux dilatations de la joie; car la tribulation et l’étreinte sont le partage de l’âme, chez tout homme qui fait le mal (Rom. II, 9) ». Mais celui qui dit: « Nous nous réjouissons dans les afflictions, sachant que l’affliction produit la patience »; jusqu’à ces paroles: « Parce que l’amour de Dieu est répandu dans nos coeurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné (Rom. V, 3-5) »: celui-là n’endure point les étreintes du coeur, quoi que fassent pour les lui causer ses persécuteurs du dehors. Le verbe est à la troisième personne, quand le Prophète s’écrie: « Dieu m’a exaucé », et à la seconde, quand il dit: « Vous avez dilaté mon coeur »; si ce changement n’a point pour but la variété ou l’agrément du discours, on peut s’étonner qu’il ait voulu d’abord proclamer devant les hommes qu’il a été exaucé, puis interpeller son bienfaiteur. Sans doute qu’après avoir dit qu’il a été exaucé dans la dilatation de son coeur, il a préféré s’entretenir avec Dieu, afin de nous montrer par là que dans cette dilatation du coeur, Dieu lui-même se répand dans notre âme qui s’entretient avec lui intérieurement. Ceci s’applique très-bien au fidèle qui croit en Jésus-Christ, et en reçoit la lumière; mais je ne vois point comment nous pourrions l’entendre de Notre Seigneur, puisque la divine sagesse unie à son humanité, ne l’a point abandonné un instant. Toutefois, de même que dans la prière il faisait ressortir notre faiblesse plutôt que la sienne; de même aussi, dans cette dilatation du coeur, Notre Seigneur peut parler au nom des fidèles, dont il s’attribue le rôle quand il dit: « J’ai eu faim, et vous ne m’avez pas nourri; j’ai eu soif, et vous ne m’avez point donné à boire (Matt. XXV, 35), et le reste.
De même encore Notre Seigneur peut dire: « Vous avez dilaté mon coeur», en parlant au
nom de quelque humble fidèle, qui s’entretient avec Dieu dont il ressent en son âme l’amour répandu par l’Esprit-Saint qui a été donné. « Ayez pitié de moi, écoutez mes supplications (Ps. IV, 2) ». Pourquoi cette nouvelle prière, lorsque déjà il s’est dit exaucé et dilaté? Serait-ce à cause de nous dont il est dit: « Si nous espérons ce que nous ne voyons pas encore, nous l’attendons par la patience (Rom. VIII, 25)? » ou bien demanderait-il à Dieu de perfectionner ce qui est commencé chez celui qui a cru?
3. « Enfants des hommes, jusques à quand vos coeurs seront-ils appesantis (Ps. IV, 3)?» Du moins, si vos égarements ont duré jusqu’à l’avènement du Fils de Dieu, pourquoi prolonger au delà cette torpeur de vos âmes? Quand cesserez-vous de vous tromper, sinon en présence de la vérité? « A quoi bon vous éprendre des vanités, et rechercher le mensonge (Ibid.)? » Pourquoi demander à des choses sans prix, un bonheur que peut seule vous donner la vérité, qui donne à tout le reste la consistance? « Car vanité des vanités, tout est vanité. Qu’a de plus l’homme de tout le labeur dans lequel il se consume sous le soleil (Eccl. I, 2,4)?» Pourquoi vous laisser absorber par l’amour des biens périssables? Pourquoi rechercher comme excellents des biens sans valeur? C’est là une vanité, un mensonge; car vous prétendez donner la durée auprès de vous à ce qui doit passer comme une ombre.
4. « Et sachez que le Seigneur a glorifié son saint (Ps. IV, 4) ». Quel saint, sinon celui qu’il a ressuscité d’entre les morts, et qu’il a fait asseoir à sa droite dans les cieux? Le Prophète excite ici les hommes à se détacher du monde pour s’attacher à Dieu. Si cette liaison « et sachez »paraît étrange, il est facile de remarquer dans les Ecritures, que cette manière de parler est familière à la langue des Prophètes. Vous les voyez souvent commencer ainsi: « Et le Seigneur lui dit, et la parole du Seigneur se fit entendre à lui (Ezéch., I, 3) ». Cette liaison que ne précède aucune pensée, et qui ne peut y rattacher la pensée suivante, nous montrerait la transition merveilleuse entre l’émission de la vérité par la bouche du Prophète, et la vision qui a lieu dans son âme. Ici néanmoins, on pourrait dire que la première pensée: « Pourquoi aimer la vanité et rechercher le mensonge? » signifie: gardez-vous d’aimer la vanité, et de courir après le mensonge; après viendrait fort bien cette parole: « Et sachez que le Seigneur a glorifié son Saint ». Mais un Diapsalma, qui sépare ces deux versets, nous empêche de les rattacher l’un à l’autre. On peut, avec les uns, prendre ce Diapsalma, pour un mot hébreu qui signifie: Ainsi soit-il! ou avec d’autres, pour un mot grec désignant un intervalle dans la psalmodie; en sorte qu’on appellerait Psalma le chant qui s’exécute, Diapsalma un silence dans le chant, et que Sympsalma, indiquant l’union des voix, pour exécuter une symphonie, Diapsalma en marquerait la désunion, un repos, une discontinuation. Quel que soit le sens que l’on adopte, il en résulte du moins cette probabilité, qu’après un Diapsalma le sens est interrompu et ne se rattache point à ce qui précède.
5. « Le Seigneur m’exaucera quand je crierai vers lui (Ps. IV, 4) ». Cette parole me paraît une exhortation à demander le secours de Dieu, dans toute la force de notre coeur, ou plutôt avec un gémissement intérieur et sans bruit. Comme c’est un devoir de remercier Dieu du don de la lumière en cette vie, c’en est un aussi, de lui demander le repos après la mort. Que nous mettions ces paroles dans la bouche du prédicateur fidèle, ou de notre Seigneur, elles signifient: « Le Seigneur vous exaucera quand vous l’invoquerez ».
6. « Mettez-vous en colère, mais ne péchez point (Ps. IV, 5) ». On pouvait se demander: Qui est digne d’être exaucé, ou comment ne serait-il pas inutile pour le pécheur de s’adresser à Dieu? Le Prophète répond donc: « Entrez en colère, mais ne péchez point ». Réponse qui peut s’entendre en deux manières; ou bien: « Même dans votre colère, ne péchez point », c’est-à-dire, quand s’élèverait en vous ce mouvement de l’âme que, par un châtiment du péché, nous ne pouvons dominer, que du moins il soit désavoué par cette raison, par cette âme que Dieu a régénérée intérieurement, afin que du moins nous fussions soumis à la loi de Dieu par l’esprit, si par la chair nous obéissons encore à la loi du péché (Rom. VII, 25). Ou bien: Faites pénitence, entrez en colère contre vous-mêmes, à cause de vos désordres passés, et ne péchez plus à l’avenir. « Ce que vous dites, dans vos cœurs », suppléez: « dites-le », de manière que la pensée complète soit celle-ci: Dites bien de coeur ce que vous dites, et ne soyez pas un peuple dont il est écrit: « Ce peuple m’honore des lèvres, et les coeurs sont loin de moi (Isa. XXIX, 13). Soyez contrits dans le secret de vos demeures (Ps. IV, 5)». Le Prophète avait dit dans le même sens: « Dans vos cœurs », c’est-à-dire dans ces endroits secrets où le Seigneur nous avertit de prier après en avoir fermé les portes (Matt. VI, 6). Ce conseil: « Soyez contrits », ou bien recommande cette douleur de la pénitence qui porte l’âme à s’affliger, à se châtier elle-même, pour échapper à cette sentence de Dieu qui la condamnerait aux tourments, ou bien c’est un stimulant qui nous tient dans l’éveil, afin que nous jouissions de la lumière du Christ. Au lieu de: « Repentez-vous », d’autres préfèrent: « Ouvrez-vous », à cause de cette expression du psautier grec: katanugete, qui a rapport à cette dilatation du coeur nécessaire à la diffusion de la charité par l’Esprit-Saint.
7. « Offrez un sacrifice de justice, et espérez au Seigneur (Ps. IV, 6) ». Le Psalmiste a dit ailleurs: « Le sacrifice agréable à Dieu est un cœur contrit (Id. L, 19) ». Alors un sacrifice de justice peut bien s’entendre de celui qu’offre une âme pénitente. Quoi de plus juste que de s’irriter plutôt contre ses propres fautes que contre celles des autres, et de s’immoler à Dieu en se châtiant? Ou bien, par sacrifice de justice faudrait-il entendre les bonnes oeuvres faites après la pénitence? Car le « Diapsalma» placé ici pourrait fort bien nous indiquer la transition de la vie passée à une vie nouvelle; en sorte que le vieil homme étant détruit ou du moins affaibli par la pénitence, l’homme devenu nouveau par la régénération, offre à Dieu un sacrifice de justice, quand l’âme purifiée s’offre et s’immole sur l’autel de la foi, pour être consumée par le feu divin ou par le Saint-Esprit. En sorte que: « Offrez un sacrifice de justice et espérez dans le Seigneur », reviendrait à dire: Vivez saintement, attendez le don de l’Esprit-Saint, afin que vous soyez éclairés par cette vérité à laquelle vous avez cru.
8. Néanmoins « espérez dans le Seigneur » est encore obscur. Qu’espérons-nous, sinon des biens? Mais chacun veut obtenir de Dieu le bien qu’il préfère, et l’on trouve rarement un homme pour aimer les biens invisibles, ces biens de l’homme intérieur, seuls dignes de notre attachement, puisqu’on ne doit user des autres que par nécessité, et non pour y mettre sa joie. Aussi le Prophète, après avoir dit: « Espérez dans le Seigneur », ajoute avec beaucoup de raison: « Beaucoup disent: Qui nous montre des biens (Ps. IV, 6)?» discours et question que nous trouvons journellement dans la bouche des insensés et des méchants qui veulent jouir ici-bas d’une paix, d’une tranquillité que la malignité des hommes les empêche d’y trouver. Dans leur aveuglement, ils osent accuser l’ordre providentiel, et se roulant dans leurs propres forfaits, ils pensent que les temps actuels sont pires que ceux d’autrefois. Ou bien aux promesses que Dieu nous fait de la vie future, ils opposent le doute et le désespoir, et nous répètent sans cesse Qui sait si tout cela est vrai, ou qui est revenu d’entre les morts pour nous en parler? Le Prophète expose donc admirablement et en peu de mots, mais seulement aux yeux de la foi, les biens que nous devons chercher. Quant à ceux qui demandent: « Qui nous montrera la félicité? » il répond: « La lumière de votre face est empreinte sur nous, ô Dieu (Ibid. 7) ». Cette lumière qui brille à l’esprit et non aux yeux, est tout le bien réel de l’homme. Selon le Prophète, « nous en portons l’empreinte », comme le denier porte l’image du prince. Car l’homme à sa création reflétait l’image et la ressemblance de Dieu (Gen. I, 26), image que défigura le péché: le bien véritable et solide pour lui est donc d’être marqué de nouveau par la régénération. Tel est, je crois, le sens que de sages interprètes ont donné à ce que dit le Sauveur, en voyant la monnaie de César: « Rendez à César ce qui est de César, et à Dieu ce qui est de Dieu (Matt. XXII, 21) », comme s’il eût dit: Il en est de Dieu comme de César, qui exige que son image soit empreinte sur la monnaie; si vous rendez cette monnaie au prince, rendez à Dieu votre âme marquée à la lumière de sa face. « Vous avez mis la joie dans mon coeur ». Ce n’est donc point à l’extérieur que doivent chercher la joie, ces hommes lents de coeur, aimant la joie et recherchant le mensonge, mais à l’intérieur, où Dieu a gravé le signe de sa lumière. Car l’Apôtre l’a dit: « Le Christ habite chez l’homme (133) intérieur (Ephés. III, 17)», auquel il appartient de voir cette vérité dont le Sauveur a dit: « La vérité, c’est moi (Jean, XIV, 6) ». Il parlait par la bouche de saint Paul, qui disait: « Voulez-vous éprouver le pouvoir de Jésus-Christ qui parle en moi (II Cor. XIII, 3)?» et son langage n’était point extérieur, mais dans l’intimité du coeur, dans ce lieu secret où nous devons prier (Matt. VI, 6).
9. Mais les hommes, en grand nombre, épris des biens temporels, incapables de voir dans leurs coeurs les biens réels et solides, n’ont su que demander: « Qui nous montrera les biens? » C’est donc avec justesse qu’on peut leur appliquer le verset suivant « Ils se sont multipliés à la récolte de leur froment, de leur vin et de leur huile (Ps. IV, 8) ». Et s’il est dit « leur froment », ce n’est pas sans raison; car il y a aussi un froment de Dieu, « qui est le pain vivant descendu du ciel (Jean, VI, 51) ». Il y a un vin de Dieu, puisqu’ils « seront enivrés dans l’abondance de sa maison (Ps. XXXV, 9) ». Il y a aussi une huile de Dieu, dont il est dit « Votre huile a parfumé ma tête (Ibid. XXII, 5) ». Ces hommes nombreux, qui disent: « Qui nous montrera les biens? » et ne voient pas le royaume de Dieu qui est en eux-mêmes (Luc, XVII, 22), « se sont donc multipliés par la récolte de leur froment, de leur vin et de leur huile». Se multiplier, en effet, ne se dit pas toujours de l’abondance, mais quelquefois de la pénurie, alors qu’une âme enflammée pour les voluptés temporelles d’un désir insatiable, devient la proie de pensées inquiètes qui la partagent, et l’empêchent de comprendre le vrai bien qui est simple. C’est d’une âme en cet état qu’il est dit: « Le corps qui se corrompt appesantit l’âme, et cette habitation terrestre accable l’esprit d’une foule de pensées (Sag. IX, 15) ». Partagée par cette foule innombrable de fantômes que lui causent les biens terrestres, s’approchant d’elle sans relâche pour s’en éloigner, ou la récolte de son froment, de son vin et de son huile, elle est loin d’accomplir ce précepte: « Aimez Dieu dans sa bonté, et recherchez-le dans la simplicité de l’âme (Id. I, 1)». Cette simplicité est incompatible avec ses occupations multiples. Mais, à l’encontre de ces hommes nombreux qui se jettent sur l’appât des biens temporels, et qui disent: « Qui nous montrera les biens » que l’on ne voit point des yeux, mais qu’il faut chercher dans la simplicité du coeur? l’homme fidèle dit avec transport: « C’est en paix que je m’endormirai dans le Seigneur et que je prendrai mon repos (Ps. IV, 9)». Il a droit d’espérer en effet que son coeur deviendra étranger aux choses périssables, qu’il oubliera les misères de ce monde, ce que le Prophète appelle justement un sommeil et un repos, et ce qui est la figure de cette paix que nul trouble n’interrompt. Mais un tel bien n’est point de cette vie, nous devons l’attendre seulement après la mort, comme nous l’enseignent encore les paroles du Prophète qui sont au futur, car il n’est pas dit: J’ai pris mon sommeil, mon repos; non plus que: Je m’endors, je me repose; mais bien: « Je dormirai, je prendrai mon repos. Alors ce corps corruptible sera revêtu d’incorruptibilité, ce corps mortel sera revêtu d’immortalité, et la mort elle-même sera absorbée dans la victoire (I Cor. XV, 54) ». De là ce mot de l’Apôtre: « Si nous espérons ce que nous ne voyons pas encore, nous l’attendons par la patience (Rom. VIII, 25).
10. Aussi le Prophète a-t-il eu raison d’ajouter: « Parce que c’est vous, Seigneur, qui m’avez singulièrement affermi, d’une manière unique, dans l’espérance (Ps. IX, 10) ». Il ne dit point ici: qui m’affermirez, mais bien: « Qui m’avez affermi ». Celui-là donc qui a conçu une telle espérance jouira certainement de ce qu’il espère. L’adverbe « singulièrement», est plein de sens, car on peut l’opposer à cette foule qui se multiplie, par la récolte de son froment, de son vin et de son huile, e-t qui s’écrie: « Qui nous montrera les biens? »Cette multitude périra, mais l’unité subsistera dans les saints, dont il est dit dans les Actes des Apôtres: « La multitude de ceux qui « croyaient n’avait qu’un coeur et qu’une âme (Act. IX, 32) ». Il nous faut donc embrasser la singularité, la simplicité, c’est-à-dire nous soustraire à cette foule sans nombre de choses terrestres qui naissent pour mourir bientôt, et nous attacher à ce qui est un et éternel, si nous voulons adhérer au seul Dieu, notre Seigneur.
LE CARDINAL LUSTIGER MÉDITE LE MAGNIFICAT
30 juin, 2014http://www.paris.catholique.fr/311-20-Le-cardinal-Lustiger-medite.html
LE CARDINAL LUSTIGER MÉDITE LE MAGNIFICAT
La liturgie du 15 août, pour l’Assomption de la Vierge Marie, nous donne d’entendre l’évangile de la Visitation. A cette occasion, Mgr Lustiger propose aux lecteurs de Paris Notre-Dame une méditation sur le Magnificat de la Vierge Marie. Une bonne manière d’entrer dans ce mystère et surtout dans ce que Dieu nous demande aujourd’hui.
[| »Mon âme exalte le Seigneur ;
Exulte mon esprit en Dieu mon Sauveur.
Il s’est penché sur son humble servante ;
désormais tous les âges me diront bienheureuse.
Le Puissant fit pour moi des merveilles : saint est son Nom ». (Lc 1, 46-55)|]
D’abord, nous aurions tort de comprendre ces mots qui nous sont si familiers comme une sorte d’improvisation où la Vierge Marie ferait des confidences sur son état d’esprit. Si vous regardez attentivement votre bible, vous voyez dans la marge une colonne entière de références de citations de l’Ancien Testament. Le langage du Magnificat est totalement biblique. Si vous en aviez le temps, il vaudrait la peine de relire dans la bible ces différents passages et de découvrir pourquoi la Vierge Marie a retenu ces mots qui ne sont pas d’elle mais qui ont nourri sa prière. C’est elle qui parle d’une manière très personnelle et pourtant c’est la Parole de Dieu qui est sa parole. Nous sommes à l’opposé de l’entreprise poétique quand nous cherchons à dire les choses et à traduire nos sentiments avec une expression neuve et originale. Marie représente le destin le plus singulier dans toute l’histoire de l’humanité, au centre de l’ouvre du salut. Or son langage est celui que Dieu lui-même a mis sur ses lèvres au jour unique de la Visitation et qu’il ne cesse de mettre sur les lèvres des croyants. Le « je » du Magnificat est celui de Marie. Et par le « je » de Marie, c’est toute l’histoire d’Israël qui nous est rappelée. Le « je » de Marie c’est le « je » de tous les croyants qui l’ont précédée. Mais, le « je » de Marie, c’est aussi le nôtre. Par sa bouche, c’est l’Eglise entière qui parle, l’Eglise concrète constituée « d’âge en âge », de « génération en génération » par ces hommes et ces femmes qui se sont succédés dans l’histoire et dont nous faisons partie. Qui a chanté ce chant ? Marie, une fois ou plusieurs fois, nous n’en savons rien. Mais combien plus, des milliards de fois plus, les générations successives de chrétiens qui ont pris ces mots, en ont reçu une lumière et ont trouvé le sens de leur vie dans ce mystère donné à chacun de nous en Marie. Le Magnificat, loin d’être une projection sur Marie toute seule, nous prend, avec Marie, dans le faisceau lumineux de l’histoire du salut et nous fait entrer dans notre vocation, alors même que nous rendons grâce à Dieu pour l’appel qu’elle a reçu et la grâce qui lui est faite, à elle, pour nous. Enfin, lorsque Marie prononce ces paroles, elle porte Jésus en son sein. Le récit de la Visitation est cet extraordinaire dialogue sans paroles des deux enfants dans le sein de leur mère, enfants-prophètes qui tressaillent de joie l’un à l’égard de l’autre. Les merveilles que chante Marie, elles lui sont d’abord données, en sa chair et son cour. Le Magnificat propose à notre méditation et à notre adoration le plus extrême réalisme de l’Incarnation dans sa condition la plus secrète et la plus fragile. Il nous place devant la réalité charnelle, humaine du Verbe de Dieu fait homme : Dieu lui-même veut se rendre présent parmi nous en celle qui, en ce moment précis de l’histoire du salut, est « la Demeure de Dieu parmi les hommes » (Ap 21,3), figure de l’Eglise. Le « je » de Marie, c’est à la fois elle, Marie ; c’est la Parole de Dieu, l’histoire d’Israël, toute l’Eglise. Les merveilles que Dieu fait pour elle sont les merveilles qu’il fait pour nous et pour toute l’humanité appelée à la sainteté. Et ce « je » de Marie est totalement centré sur Dieu. Le sujet du verbe, c’est le Seigneur (« il fit, il s’est penché. Saint est son Nom »).
« Son amour s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent ». L’idée que nous nous faisons de l’amour dans la culture contemporaine est floue, parfois dévalorisée et réduite à la réalité physique, et souvent marquée par la fragilité, l’inconsistance ou la seule affectivité. Lorsque nous entendons Marie employer ce mot, nous pouvons mettre dessous les synonymes suggérés par les diverses traductions. Son amour, c’est-à-dire sa miséricorde, sa bienveillance, sa tendresse, sa fidélité. « Sur ceux qui le craignent ». Dans la bible, l’expression « les craignant-Dieu » ne recouvre d’aucune façon une crainte d’esclave ou une notion de servitude. Ce n’est ni la peur du gendarme, ni celle du knout, ni celle du surveillant, ni celle du tyran ! La crainte de Dieu, « commencement de la sagesse » dit le livre de La Sagesse, exprime ce qu’un être humain, découvrant Dieu, saisit dans ce vis-à-vis : Dieu est plus grand que lui. La crainte de Dieu (le mot est trompeur en français) n’est pas faite de peur, mais d’un infini et confondant respect devant un amour si grand que nous nous en jugeons indignes et dont cependant nous voulons faire la règle de notre vie. La crainte de Dieu est empreinte non seulement de déférence respectueuse, mais surtout du sentiment de notre propre indignité et de la nécessité pour nous de donner toute notre vie à Dieu, en découvrant ainsi la réalité de Dieu. C’est l’éblouissement de l’amour véritable. Car l’amour véritable n’est pas un amour où on est seul à aimer et dont on se grise de façon narcissique, tel le jeune et beau Narcisse – qui se contemple dans le miroir de l’eau et finit par se noyer dans sa propre image ! « L’amour qui s’étend d’âge en âge » est l’amour du Tout Autre qui se fait tout proche. La crainte de Dieu est l’amour véritable par lequel le vis-à-vis de Dieu et de sa créature est donné comme une grâce. Cette découverte fondamentale d’une telle relation à Dieu est peut-être un des aspects de la grâce du Renouveau [charismatique NDLR], offerte à notre siècle. Siècle souvent de grande sécheresse spirituelle et de profond oubli de la réalité divine, car l’idée chrétienne – la Révélation que le Christ a faite du mystère de Dieu-Amour – s’est effacée devant la puissance grandissante de l’homme. Plus qu’une découverte de l’affectivité ou de la sensibilité, le Renouveau a été, par le don de l’Esprit, la re-découverte, l’irruption de Dieu lui-même en notre siècle qui s’était séparé de Dieu en s’enfermant dans sa propre suffisance. Le Renouveau n’est pas un renouveau fabriqué par l’homme, mais c’est le Renouveau que Dieu opère dans les hommes en les changeant, en se manifestant « à nouveau » à eux, en ouvrant la porte qu’ils ont fermée sur eux-mêmes pour empêcher Dieu. « Son amour s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent ». C’est la découverte de Dieu et que Dieu nous aime. Et parce qu’il nous aime, nous pouvons, pauvrement, l’aimer. Notre amour n’est que la réponse à son amour ; il est toujours insuffisant, toujours en deçà ; mais il est notre joie.
[|
« Déployant la force de son bras,
il disperse les superbes ;
il renverse les puissants de leur trône,
il élève les humbles ».|]
Toutes ces expressions se trouvent dans l’Ecriture. Souvent on s’étonne du petit air révolutionnaire que prend le Magnificat et on l’a parfois interprété comme un chant subversif, la Carmagnole version évangélique ! Quels sont ces humbles que Dieu élève ? Et s’agirait-il d’une subversion systématique de l’ordre établi ? En vérité, cette phrase nous pose, aujourd’hui plus que jamais, la question de l’ensemble du projet humain. Quel monde l’homme se construit-il pour lui-même ? Quels sont ces puissants, les superbes, les orgueilleux ? Pour répondre je prendrai comme guide cette parole de Jésus : « Là où est ton trésor, là est ton cour » (Mt 6, 21). Quel est le trésor dans lequel l’homme investit son cour, c’est-à-dire sa liberté ? Le mot « cour » dans la bible dépasse largement les sentiments pour signifier l’intelligence, la capacité de choix, tout ce qui constitue un destin humain. Bref, c’est le choix que l’homme fait de ce à quoi il va consacrer non seulement son temps, son énergie, mais lui-même. Il va s’y donner au point d’être pris entièrement. On en a des exemples multiples à l’échelle de toute une civilisation ou à l’échelle des destins personnels. Prenez un sportif de compétition : l’entraînement est tel qu’il ne fait plus que cela, il est son sport ; c’est la condition de sa réussite. Le tout est de savoir ce qu’on fait de sa vie. Chacun de nous est bien obligé de répondre lorsqu’il se pose lui-même un certain nombre de questions ou lorsque le Seigneur lui en pose ! Rappelez-vous la parabole de Jésus (Lc 12, 16-21) : un homme riche avait accumulé des richesses ; il s’était dit : « Je vais démolir mes greniers pour en construire de plus grands ; j’y rassemblerai tout mon blé et mes biens. Et je me dirai : Repose-toi, fais bombance ! » – « Insensé, cette nuit même on te redemandera ta vie et ce que tu as accumulé, qui l’aura ? » Jésus le dit encore d’une autre manière : « Que sert à l’homme de gagner l’univers s’il vient à perdre son âme ? » (Lc 9, 25) ou « Que donnera l’homme qui ait valeur de sa vie, en échange de son âme ? » (Mt 16, 26). Réponse : rien ; elle n’a pas de prix. Prenez une civilisation maintenant. Que sommes-nous en train de construire ? La mondialisation dont on parle tant, sur quoi repose-t-elle ? Sur le calcul financier et économique. L’univers social dans lequel nous vivons, univers de l’image, de la représentation, des apparences, sur quoi repose-t-il ? Quel univers construisons-nous ? Vers quelles fascinations notre civilisation conduit-elle ? D’abord, la fascination du pouvoir jusqu’à la violence la plus extrême ; et le pouvoir engendre la guerre. Nous le voyons dans les Balkans, dans le Caucase, en Afrique – au Burundi, au Rwanda : l’épreuve de ces peuples est terrible ; l’héroïsme des chrétiens qui résistent à cette idole de la violence remplit d’admiration et force le respect. Donc, la volonté de puissance, l’amour de l’argent, la possession des biens, l’ambition de maîtriser la vie. Mais au prix de combien de meurtres ? Combien de gens sacrifiés et de victimes de toute espèce ? Et encore, l’érotisation d’une société, souvent pour des raisons bassement mercantiles. Bref, on n’en finirait pas d’énumérer les traits d’un paganisme moderne, idolâtrique. Il a pour caractéristique première que l’homme s’investit dans les objets de son désir et en devient prisonnier. Et ce faisant, il entend déployer sa propre suffisance, mais il arrive à la négation de lui-même. C’est l’image de Babel. Alors, quel monde voulons-nous construire ? Ce monde suffit-il à combler le cour de l’homme ? A cette question fondamentale dont nous sommes les témoins, Marie déjà dans son Magnificat répondait par une phrase jugée subversive, nous montrant par toute sa vie le chemin. Pour nous, êtres humains « créés à l’image et à la ressemblance de Dieu », la seule réalité qui soit à notre mesure dépasse radicalement l’homme. Nous sommes faits pour Dieu. Non pas comme des esclaves seraient faits pour leur maître ou des outils pour ceux qui les manient. Nous sommes faits pour Dieu comme l’aimé pour celui qui l’aime ; et celui qui aime trouve sa joie dans celui dont il tient la vie. Nous sommes faits pour Dieu. Seul, lui, notre Créateur, notre Père, notre Rédempteur est le terme que nous pouvons proposer à l’ambition humaine. Car seul il correspond à notre désir le plus profond et il nous rend libres à l’égard de tout. Comme l’a écrit saint Augustin : « Tu nous as faits pour toi, Seigneur, et notre cour est sans repos tant qu’il ne repose en toi » (en latin : « Fecisti nos ad te, Domine ; et inquietum est cor nostrum donec requiescat in te »). Ce qu’il faut compléter par « Ama et fac quod vis » : « Aime et fais ce que tu veux ». Les humbles sont précisément ceux qui ne veulent pas se prendre eux-mêmes pour leur propre fin, mais qui acceptent de tout recevoir – et de se recevoir – de la main de Dieu. Sinon, toutes choses deviennent périlleuses lorsque l’homme en fait le but exclusif de son existence ; elles se retournent tôt ou tard contre lui. Ainsi en va-t-il du mauvais usage des techniques et du savoir-humain (le courant écologique, pour sa part, le met en évidence) avec leur lot de conséquences néfastes sur l’alimentation, la nature, l’urbanisme, etc. Comme si l’homme abusait de ce qu’il se proposait comme objectif ; comme si, à un moment donné, il ne parvenait plus à maîtriser, dans un juste équilibre, les réalités auxquelles il se consacre ; comme s’il allait toujours au-delà de la limite, au prix d’une destruction de soi-même ; comme s’il était incapable non pas de mesurer exactement son effort, mais de garder la bonne cible. Il croyait trouver une porte, un chemin de liberté et il se heurte à un mur. Il croyait vivre et il se tue. Il croyait construire une société conviviale et il déclenche la haine. Il croyait produire des richesses et il fait des pauvres. Il croyait aimer la vie et il la limite jusqu’à la détruire. Il croyait en la puissance de sa raison et de son intelligence et il tombe dans le mensonge. Il y a une perversion des meilleures choses parce qu’on ne s’en sert pas de la bonne façon ; comme celui qui voudrait se saisir d’un couteau en le prenant par la lame, il se blesserait lui-même. Rien de tout cela n’est Dieu. L’homme se construit des dieux avec des choses qui ne sont pas dignes de lui. Seul Dieu est digne de l’homme parce que c’est Dieu qui nous a faits, je le répète, à son image et à sa ressemblance. Cette humilité de la Vierge Marie qui reconnaît le don de Dieu lui permet de recevoir aussi en ce don toutes les réalités que l’homme, par ailleurs, veut s’approprier. Le monde nous est donné par Dieu, encore faut-il ne pas oublier Celui qui nous le donne. Nous sommes faits pour l’adorer et, recevant toutes choses de sa main, nous en servir pour notre bien et le bien de nos frères. A partir du moment où nous oublions le Donateur, le don lui-même est perdu. Jésus le dit dans une formule paradoxale : « A celui qui a il sera donné ; à celui qui n’a pas, même ce qu’il a lui sera retiré » (Mt 13, 12). En perdant le Donateur, nous perdons la réalité humaine, historique, dans laquelle l’homme grandit. Cette strophe du Magnificat nous montre en peu de mots le but de l’existence humaine, ce pour quoi nous sommes faits, où est le vrai bonheur. En même temps, elle trace le chemin d’une civilisation où la vie de l’homme trouve sa dimension véritable dans l’accueil de l’amour qui vient de Dieu, qui est Dieu.
[| »Il comble de biens les affamés
il renvoie les riches
les mains vides ».|]
De quelle faim s’agit-il ? De la faim la plus fondamentale comme le suggère la béatitude de Jésus en saint Matthieu (5, 6) : « Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, ils seront rassasiés ». De quelle justice s’agit-il ? Non seulement de la justice entre tous les hommes, l’équité dans la distribution des biens ou la considération des personnes ; mais de la justice divine : la sainteté même de Dieu qui est la perfection de la vie humaine. La faim qui apparaît en notre siècle est finalement, quoi qu’on en dise, la faim de la vie avec Dieu. Dans le verset précédent, nous avons vu comment la Vierge Marie nous met sur le chemin de la construction d’une société humaine digne de ce nom, avec le combat constant que cela implique de par le choix de nos libertés. Ici, elle nous montre et veut nous faire découvrir l’appétit insatiable de l’homme pour celui qui l’a créé. Ces dernières décennies, nous avons vu une résurgence, une remontée à la conscience commune de l’Occident des recherches de type dit « spirituel ». Alors que notre siècle, avait parié sur une destruction de la religion avec « la mort de Dieu », sur une raison ou une science triomphante qui aurait remplacé toutes les autres sources de comportement. Aujourd’hui, à nouveaux frais, on s’aperçoit avec le foisonnement du « spirituel » que la dimension religieuse fait partie de la condition humaine, que l’homme est un animal à fabriquer du divin ou, plutôt, à diviniser toutes choses. Sous couvert soit de bouddhisme ou de religion orientale, soit de technique psychologique ou de méthode de méditation, beaucoup de nos contemporains se sont engagés sans trop savoir où ils allaient ni pourquoi, si ce n’est en raison de cette recherche intérieure qui les habite. Ils se sont trompés, ceux qui prédisaient que tout cela appartenait à un âge révolu de l’humanité. Au contraire, dans le vide et la sécheresse actuels, l’instinct religieux réapparaît, foisonnant jusqu’à se fabriquer de nouveaux dieux. On a été étonné de la crédulité de certains contemporains face à des inventions fantasmatiques qui comblent leur soif ou leur faim par une nourriture creuse, telle une drogue, qui endort cette faim. Dans certains pays, en particulier de l’Est qui, pendant un demi-siècle, parfois presque un siècle, ont été sous la dure loi d’un athéisme d’Etat et de la persécution de la religion, des peuples entiers ont été dépossédés de leur mémoire et de leurs traditions chrétiennes, comme culture. En raison de cette déculturation de la foi chrétienne, ils sont dans un état de désert inouï. Et on s’aperçoit que dans ce désert calciné les gens se jettent sur n’importe quel substitut et peuvent prendre « des vessies pour des lanternes ». Le Curé d’Ars disait plus cruellement : « Laissez un village sans prêtre, bientôt ils adoreront les bêtes ». Sur de grandes étendues de l’humanité le déracinement de la mémoire chrétienne, au sens de la présence de l’Evangile, peut engendrer une fausse expérience spirituelle qui asservit plus lourdement encore. Il y a là un enjeu capital pour notre mission en ce siècle. En effet, la raison humaine n’est pas suffisante pour fournir un outil critique permettant de discerner entre les idoles qui aliènent, les mensonges qui falsifient comme une drogue le désir de Dieu ou de vie mystique et la rencontre véritable de Dieu. La législation actuelle sur les sectes, telle qu’on la voit s’élaborer pour les pays européens en est la preuve. Vous savez les débats qui existent entre les Etats-Unis et l’Europe à ce sujet ; et, sur ce point, nous ne sommes probablement qu’au début d’une période difficile. Comment distinguer la vraie mystique de la fausse mystique ? Comment reconnaître le véritable chemin qui conduit à découvrir le mystère de Dieu et avancer dans cette direction, au lieu de s’engager dans une impasse pour se repaître d’expériences illusoires qui asservissent l’homme ou le laissent sur sa faim ? Nous savons, nous, que seul Dieu, Vivant et Vrai, est capable de nous désapprendre des idoles et des fausses visions que l’homme se donne à lui-même. Voilà des millénaires que le Seigneur a commencé à faire comprendre la différence entre le vrai prophète et le faux prophète, entre le Dieu vivant et les dieux morts. Voilà des millénaires qu’un croyant a eu l’audace de regarder le sphinx dans le blanc des yeux en lui faisant les cornes et de lui dire avec le psalmiste : « Il a des yeux et il ne voit pas, il a des oreilles et il n’entend pas. Que ceux qui les ont faits leur deviennent semblables » (Ps 115, 5). Il fallait avoir de l’audace et le courage de la foi pour braver ainsi la fascination de ces idoles majestueuses ! Les idoles de notre temps le sont moins et sont moins esthétiquement accomplies que le Sphinx d’Egypte ; mais leur fascination ne s’en exerce pas moins. Alors, le témoignage d’une vie spirituelle forte qui ouvre un vrai chemin de liberté intérieure ; qui humanise en plénitude en nous libérant de nous-mêmes tout en nous donnant le goût de Dieu, l’expérience véritable de la prière qui n’est pas superstitieuse mais nous fait grandir et entrer dans le mystère de Dieu en nous identifiant au Christ (la prière chrétienne n’est rien d’autre que de suivre le Christ), sont le seul chemin pour aider notre monde à trouver sa liberté et la voie qui le mènera à la vérité. Nous sommes responsables en notre temps d’une plus grande exigence spirituelle chrétienne. Précisément parce qu’il existe un foisonnement de revendications ou de demandes spirituelles. Il y a un siècle, dans une atmosphère de rationalisme desséché, on pouvait se dire : toute reconnaissance de la force du religieux est un peu un réconfort pour le croyant. Aujourd’hui, la crédulité est générale et les gens risquent de prendre n’importe quoi pour argent comptant, fût-ce les superstitions les plus grossières ; regardez la place que les horoscopes occupent dans l’univers médiatique ! Pensez à l’imaginaire de la science-fiction. Beaucoup de jeunes, parmi les moins armés et les moins éduqués à l’esprit critique, le prennent pour un intermédiaire presque réel. On est très loin des contes de fées d’autrefois avec toute l’extension de l’image virtuelle ! Il y a là une fascination et une perversion de la liberté humaine. Certes, le travail de la raison consiste à dire : ne prenez pas des vessies pour des lanternes, car, pour parler comme le psalmiste : « Ils ont des yeux et ils ne voient pas. ». Mais la vraie réponse au problème actuel est de montrer où est la Vie. Et comment montre-t-on où est la Vie ? En vivant. Comment montre-t-on où est Dieu ? En priant. Comment l’amour de Dieu se fait-il découvrir ? En rendant témoignage de l’amour qu’il nous porte et en commençant à l’aimer ; en entrant dans cette grâce qui nous est faite d’être « rassasiés de son amour ». Car « Il comble de bien les affamés » chante Marie. La faim de l’homme est rassasiée. Tandis que Jésus promettra à ses disciples : « Celui qui vient à moi n’aura plus jamais faim ; celui qui croit en moi n’aura plus jamais soif. Celui qui mangera de ce Pain que je lui donnerai vivra pour l’éternité ; il aura en lui la vie éternelle » (Jn 6, 35. 58). Cette nourriture divine est Dieu lui-même. Nous devons à nos frères contemporains ce témoignage qui seul peut les libérer.
[| »Il relève Israël, son serviteur
il se souvient de son amour,
de la promesse faite à nos pères
en faveur d’Abraham
et de sa race à jamais ».|]
« Israël, son serviteur ». Déjà lorsque Marie répond à l’Ange de l’Annonciation qu’elle est « la servante du Seigneur », « son humble servante » dans le Magnificat, ce mot éveille immédiatement en résonance le « Serviteur » tel qu’Isaïe le décrit, à la fois Israël, un peuple, et le Messie, « le » Serviteur souffrant dont il est écrit : « C’était nos souffrances qu’il portait, nos péchés dont il était accablé. Nous le croyions châtié, humilié, mais il nous apportait la rédemption, la libération et la guérison » (cf. Is 53, 4-5). C’est Jésus, Fils de Dieu, fils d’Abraham, fils de David, qui a pris chair dans le sein de la Vierge Marie ; c’est Jésus dans sa réalité historique et singulière qui est l’objet de l’action de grâce de Marie. Mais, en même temps, elle nous met sur la voie de notre propre Magnificat. Car, dire « qu’il relève Israël son serviteur, qu’il se souvient de son amour, de la promesse faite à nos pères », c’est évoquer la résurrection du Seigneur, avant même que Marie ne puisse le savoir ou le pressentir. Le « relevé d’entre les morts » est le secret ultime que le Christ confiera à ses apôtres, lors de la purification du Temple : « Détruisez ce Temple, en trois jours je le relèverai » (Jn 2, 19 sq). Saint Jean ajoute : « Lorsque Jésus se releva d’entre les morts, ses disciples se souvinrent qu’il avait parlé ainsi et ils crurent à l’Ecriture ainsi qu’à la parole qu’il avait dite ». Nous aussi, le Christ ressuscité nous charge d’en « être les témoins » (cf. Lc 24, 48). Avec Marie, il nous invite à participer à cet acte de rédemption. Dans la situation présente du monde où nous vivons, nous savons que nous sommes les bénéficiaires d’une grâce incommensurable : avoir part à cette promesse faite aux pères, être entré dans cette alliance pour laquelle Dieu a disposé de son peuple et singulièrement de la Vierge Marie. N’a-t-il pas voulu que « depuis la fondation du monde nous soyons les uns et les autres appelés et choisis pour rendre témoignage à son amour » ? (cf. Ep 1, 4). Toute l’histoire du salut est ainsi évoquée ; non pas seulement comme un spectacle devant nos yeux, mais comme un acte dans lequel nous sommes impliqués : la rédemption du monde ici et maintenant, l’ouvre de Dieu en train de s’accomplir en son Fils Jésus. Car l’unique Sauveur des hommes, c’est le Christ Jésus. Car l’unique Sauveur des hommes, c’est le Christ Jésus. Il est « la Voie, la Vérité, la Vie » (Jn 14, 6). Il n’est pas une forme possible de l’idéal humain. Il n’est pas une expression supérieure de l’homme transfiguré. Il est celui que la Vierge Marie porte dans son sein et qui, Verbe de Dieu fait homme, au jour de la Visitation fait bondir de joie Jean Baptiste dans le sein de sa mère (Lc 1, 41). Il est celui qui est mort, crucifié à Jérusalem, et qui est ressuscité au jour de Pâques. Ses apôtres l’ont vu ; Thomas a touché ses plaies. Il est celui dont le corps livré pour la multitude est la source de Vie qui repose sur nos lèvres et habite notre cour. Il est celui qui nous a donné son Esprit saint. Et nous, nous sommes chrétiens, non seulement en raison des déterminations de l’histoire, des cultures et des civilisations. Nous ne sommes pas chrétiens seulement comme en Asie d’autres sont bouddhistes ou comme ailleurs d’autres sont musulmans. Certes, c’est une ouvre de grâce qui passe par ces conditions de la naissance. Mais Dieu nous a choisis et appelés pour que le mystère de la rédemption s’accomplisse et se déploie dans le temps de l’histoire. La grâce qui vous est donnée d’être disponibles à l’appel du Christ, de rendre témoignage à son amour, en un mot, la mission, n’est donc pas une spécialité parmi d’autres, un choix parmi d’autres offerts à l’Eglise comme certains auront une activité de caractère social, d’autres s’occuperont de loisir, d’éducation, d’autres auront une plus grande sensibilité à tel aspect du christianisme, chacun dans ce grand magasin ecclésial étant attiré par l’article de son choix, faisant de la mission une option toute facultative ! Non ! Car c’est la volonté de Dieu que son serviteur soit dans le monde celui par qui la vie est donnée. Volonté de Dieu que la Vierge Marie accueille et reçoit : « Qu’il me soit fait selon ta Parole », rejoignant d’avance ce que Jésus dira à Gethsémani : « Non pas ma volonté, Père, mais la tienne » (Lc 22, 42), « Non pas ce que je veux, mais ce que tu veux » (Mc 14, 36). Ce consentement à la volonté de Dieu est un enfantement de la liberté humaine par ce mystère d’amour qu’est le mystère de la Croix. Et nous y sommes associés. Pourquoi ? Comment ? Non seulement par le don de notre vie et l’offrande de nous-mêmes, unis au Christ, grâce à l’Esprit qui nous habite et nous rend semblables au Fils ; mais aussi en annonçant ce mystère pour que d’autres naissent à la vie, comme Dieu le veut. Ceux à qui nous annonçons cette Parole et qui l’accueillent, Dieu les a destinés à poursuivre, à leur tour, son ouvre de salut à travers les siècles, les cultures et les nations jusqu’à ce que le Jour du Seigneur soit accompli, avec le Jugement ultime de toutes choses. Il nous échappe et nous n’avons pas à nous en tourmenter. « Ne jugez pas, dit le Seigneur, et Dieu ne vous jugera pas » (Mt 7, 1) ; le Jugement ne vous appartient pas ; c’est Dieu lui-même qui juge et lui seul. « Lorsque Dieu essuiera toute larme de nos yeux » (Ap 7, 17), que « toutes les nations seront rassemblées devant le trône du Fils de l’Homme » (Mt 25, 32), lorsque nous verrons enfin la vérité de toutes les vies humaines, l’histoire de l’humanité nous apparaîtra sous un jour dont nous ne savons rien actuellement, si ce n’est que Dieu est miséricordieux et veut que tous les hommes soient sauvés. Mais il veut aussi que l’homme, dans sa liberté, respecte l’amour pour lequel il est fait, la vérité dont il a faim et dont il doit se rassasier, la beauté de la vie que Dieu en son Fils Jésus est venu lui « donner en abondance » (Jn 10, 10). Disciples de Jésus, nous sommes appelés à être le Christ présent en ce monde et dans l’histoire. Puisque Dieu vous a choisis, personne ne vous remplacera. Là où vous êtes, vous êtes les yeux du Christ, vous êtes les mains du Christ, vous êtes les pieds du Christ, vous êtes la parole du Christ. Nous n’en sommes pas dignes, ni les uns ni les autres. C’est pourquoi il nous faut sans cesse nous convertir et recevoir cette « miséricorde de Dieu qui s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent ». C’est pourquoi il nous faut sans cesse recourir à l’intercession maternelle de Marie et de l’Eglise qui nous replonge dans ce flux de grâce et nous donne le courage de la foi. Le Christ lui-même est à l’ouvre en tous ceux qui, par la maternité de la Vierge et de l’Eglise, sont enfantés à la vie de Dieu. La fête de l’Assomption de la Vierge Marie n’est que l’anticipation de ce jour ultime auquel nous aurons accès.
En attendant, quelques repères :
La Promesse. « Il se souvient de la promesse faite à nos pères en faveur d’Abraham et de sa descendance à jamais ».
La descendance : tous ceux aussi dont Jésus parle au soir de la dernière Cène : « Je ne prie pas seulement pour eux, dit-il, au Père (pensant à ses disciples présents autour de lui), mais pour tous ceux qui croiront en moi grâce à leur parole, grâce à leur témoignage » (Jn 17, 20).
Les témoins : vous et le Christ en vous qui accomplit l’ouvre du salut.
ENZO BIANCHI POUR LA FÊTE DE PIERRE ET PAUL
27 juin, 2014http://rouen.catholique.fr/spip.php?article1818
ENZO BIANCHI POUR LA FÊTE DE PIERRE ET PAUL
La solennité des saints Pierre et Paul réunit, dans une unique célébration, Pierre, le premier disciple à avoir été appelé selon les récits synoptiques, le premier des douze apôtres, et Paul, qui n’a pas été disciple de Jésus, ni ne fit partie du groupe des Douze, mais que l’Église appelle « l’Apôtre » : l’envoyé par excellence, bien que ce titre, que lui-même se donne, ne lui soit jamais reconnu dans les Actes des apôtres. Cette fête, déjà attestée dans le plus ancien calendrier liturgique qui nous soit parvenu, la Depositio marthyrum, du IIIe siècle, met en commun deux apôtres de Jésus morts à Rome en des temps différents, mais l’un et l’autre martyrs, victimes des persécutions contre les chrétiens : deux vies offertes en libation à cause de Jésus et de l’Évangile.
Les deux apôtres sont ainsi réunis dans la célébration liturgique, après que leurs vies terrestres les ont vus plutôt s’opposer l’un à l’autre : leur communion, parce que vécue dans la parresia, la franchise évangélique, n’a pas toujours été facile, et a même souvent été laborieuse. Le bas-relief en calcaire conservé à Aquilée, tout comme l’iconographie traditionnelle qui représente leur accolade, cherche à exprimer précisément cette communion au prix fort, qui a garanti à chacun des deux de mener à terme son œuvre comme fondement de l’Église de Rome, le lieu où leur course prit fin, le lieu qui les vit l’un et l’autre martyrs à l’époque de Néron, mis à mort pour le même motif.
Pierre est parmi les premiers hommes que Jésus a appelés : un pêcheur de Bethsaïda, sur le lac de Tibériade, un homme qui n’a certainement pas accordé beaucoup de temps à la formation intellectuelle et qui vivait sa foi surtout dans le culte synagogal du sabbat puis, après avoir été appelé par Jésus, à travers l’enseignement de ce maître qui parlait comme personne d’autre avant lui. Homme généreux et impulsif, Pierre suivit Jésus en répondant avec élan à la vocation, mais il restait toutefois inconstant, victime facile de la peur, capable même de lâcheté, au point de méconnaître celui qu’il suivait comme disciple.
Toujours proche de Jésus, il apparaît comme le représentant des autres disciples, parmi lesquels il occupait une position prééminente : on ne pourrait pas parler de la vie de Jésus sans mentionner Pierre, qui osa, le premier, confesser avec audace que Jésus est le Messie (voir Mt 16,16). Quand les disciples, tout comme une grande partie de la foule, se demandaient si Jésus était un prophète ou s’il était même « le » prophète des temps derniers, s’il était le Messie, l’Oint du Seigneur, ce fut Pierre, sollicité par Jésus, qui confessa la foi : les quatre évangiles rapportent chacun différemment les mots utilisés, mais ils attestent tous la priorité de Pierre à reconnaître la vraie identité de Jésus. Toutefois Pierre fit cette confession non pas comme « porte-parole » des Douze, mais animé par une force intérieure, par une révélation qui ne pouvait lui venir que de Dieu. Croire que Jésus est le Messie, le Fils de Dieu, n’était pas possible en ne faisant qu’analyser et interpréter l’accomplissement éventuel des Écritures : c’est Dieu lui-même, le Père qui est dans les cieux, qui révéla à Pierre l’identité de Jésus (voir Mt 16,17). Ainsi Jésus a-t-il reconnu dans son disciple Simon une « roche », Céphas, une pierre, sur la foi duquel la communauté, l’Église pouvait trouver son fondement.
Pierre, que Jésus appelle le « bienheureux », qu’il déclare roche solide capable de confirmer la foi de ses frères, ne sera pas exempt d’erreurs, de chutes, d’infidélités à son Seigneur. Immédiatement après la confession de foi que l’on vient de rappeler, il manifestera sa manière trop mondaine de comprendre le chemin de passion de Jésus, à tel point que ce dernier l’appellera « Satan » (Mt 16,23). Puis, à la fin de la vie terrestre de Jésus, Pierre déclarera bien trois fois qu’il ne l’a jamais rencontré : la peur et la volonté de se sauver soi-même le conduiront à déclarer avec force « ne pas connaître » (Mt 26,70.72.74) ce Jésus dont il avait reçu la connaissance par Dieu même ! Jésus, qui l’avait assuré de sa prière pour que sa foi ne défaille pas, après la Résurrection, le reconfirmera à sa place, en lui demandant toutefois, lui aussi par trois fois, de lui attester son amour : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? » (Jn 21,15.16.17.) Touché au vif par cette question, Pierre deviendra l’apôtre de Jésus, le pasteur de ses premières brebis à Jérusalem, puis parmi les communautés judaïques en Palestine, à Antioche ensuite et enfin à Rome, où il déposera la vie à son tour, à l’exemple de son Maître et Seigneur. Et à Rome, Pierre retrouvera aussi Paul : nous ne savons pas si cela se fit dans le quotidien du témoignage chrétien, mais dans tous les cas à travers le signe éloquent du martyre.
Paul, « l’autre », l’apôtre différent, a été placé à côté de Pierre dans son altérité, comme pour garantir dès les premiers pas que l’Église chrétienne est toujours plurielle et qu’elle se nourrit de diversité. Juif de la diaspora, originaire de Tarse, la capitale de la Cilicie, monté à Jérusalem pour devenir scribe et rabbi dans le sillage de Gamaliel, l’un des maîtres les plus fameux de la tradition rabbinique, Paul était un pharisien, expert zélé de la loi de Moïse, qui n’a connu ni Jésus ni ses premiers disciples, mais qui se distingua par son opposition et sa persécution envers le mouvement chrétien naissant. Paul se définit comme un « avorton » (1 Co 15, 8) par rapport aux autres apôtres qui avaient vu le Seigneur Jésus ressuscité, mais il demandait à être reconnu comme envoyé, serviteur, apôtre de Jésus Christ au même titre qu’eux, parce qu’il avait mis sa vie au service de l’Évangile, il s’était fait l’imitateur du Christ jusque dans ses souffrances, il s’était dépensé en voyages apostoliques dans toute la Méditerranée orientale, il était habité par une sollicitude pour toutes les Églises de Dieu. Sa passion, son intelligence, son engagement à annoncer le Seigneur Jésus transparaissent dans toutes ses lettres et les Actes des apôtres en donnent également un témoignage sincère. C’est lui « l’apôtre des gentils », comme il se définit lui-même, alors que Pierre est « l’apôtre des circoncis » (Ga 2,8).
Pierre et Paul, l’un et l’autre disciples et apôtres du Christ, et pourtant si différents : Pierre, un pauvre pêcheur, Paul, un intellectuel rigoureux ; Pierre, un Juif palestinien venu d’un obscur village, Paul, un Juif de la diaspora et citoyen romain ; Pierre, lent à comprendre et à œuvrer en conséquence, Paul, consumé par l’urgence eschatologique… Voilà deux apôtres qui ont eu des styles différents, qui ont servi le Seigneur selon des modalités très diverses, qui ont vécu l’Église de manière parfois dialectique pour ne pas dire opposée, mais l’un et l’autre ont cherché à suivre le Seigneur et sa volonté, et ensemble, grâce à leur diversité précisément, ils ont su donner un visage à la mission chrétienne et un fondement à l’Église de Rome, qui préside dans la charité. Il est juste alors de célébrer leur mémoire ensemble, car c’est la mémoire de l’unité dans la diversité, de deux vies offertes par amour pour le même Seigneur, d’une charité vécue dans l’attente du retour du Christ.
Source : Enzo Bianchi : « Donner sens au temps, Les grandes fêtes chrétiennes », p. 127-132 Éditions Bayard, 2004.
HOMÉLIE SAINTS PIERRE ET PAUL
27 juin, 2014http://www.homelies.fr/homelie,,3878.html
SAINTS PIERRE ET PAUL
DIMANCHE 29 JUIN 2014
FAMILLE DE SAINT JOSEPH JUIN 2014
HOMÉLIE – MESSE
Selon l’antique tradition, nous célébrons ensemble les deux Apôtres Pierre et Paul, les deux colonnes de l’Eglise, en faisant mémoire le même jour de leur martyre. Ensemble, ils ont scellé avec leur propre sang le témoignage qu’ils ont rendu au Christ par la prédication et le ministère ecclésial.
« Jette ton manteau sur tes épaules et suis-moi » (Ac 12, 8). C’est ainsi que l’ange s’adresse à Pierre, qui est détenu dans la prison de Jérusalem. Et Pierre, selon le récit du texte sacré, « sortit, et il le suivait » (Ac 12, 9). La première lecture nous relate ainsi l’évasion miraculeuse de Pierre de la prison de Jérusalem. Par l’intervention extraordinaire de son ange, Dieu vient en aide à son apôtre pour qu’il puisse poursuivre sa mission. Une mission difficile, qui comporte un itinéraire complexe et exigeant. Une mission qui atteindra sa plus haute expression par le martyre à Rome.
Dans la deuxième lecture, Paul réassumant quasiment tout son itinéraire apostolique et missionnaire, lui le persécuteur devenu l’apôtre des nations, affirme : « J’ai échappé à la gueule du lion ; le Seigneur me fera encore échapper à tout ce que l’on fait pour me nuire. Il me sauvera et me fera entrer au ciel, dans son Royaume » (2 Tm 4, 17).
Pierre et Paul, tous les deux, furent envoyés par le Christ annoncer l’Evangile dans un contexte hostile à l’œuvre du salut. Et chacun de leur parcours témoigne que le Seigneur n’abandonne jamais dans sa mission celui qu’il a choisi et envoyé.
A Jérusalem, Pierre expérimenta cette résistance en étant emprisonné par le roi Hérode avec l’intention de « le faire comparaître devant le peuple » juif dont il voulait s’attirer les faveurs. Mais, le Seigneur veillait sur celui qu’il avait choisi pour porter sa Bonne Nouvelle et il le libéra miraculeusement.
Le Converti de la route de Damas, lui aussi, envoyé par le Ressuscité, devait rencontrer l’adversité dans l’annonce de l’Evangile du salut. Ses lettres ne sont-elles pas un témoignage des luttes et combats qu’il dut mener dans les différentes cités de l’Empire romain où l’Esprit Saint le conduisit ? Cependant, comme il le rapporte lui-même dans la deuxième lecture de ce jour, le Seigneur l’a toujours assisté, lui donnant d’échapper mainte fois à la gueule de lion, le remplissant de force pour pouvoir annoncer jusqu’au bout l’Evangile et le faire entendre aux nations païennes.
Pour Pierre et Paul, ce parcours apostolique et missionnaire allait s’achever à Rome, scellé dans le témoignage le plus éloquent qui soit. A quelques années de distance, ils subirent le martyre, consacrant ainsi cette ville une fois pour toutes au Christ, leur sang devenant avec celui de toutes celles et ceux qui subirent la persécution de Néron « semence de chrétiens. »
L’itinéraire de foi et d’amour qui conduisit Pierre et Paul de leur terre natale à Jérusalem pour arriver à travers le bassin méditerranéen jusqu’à Rome est en quelque sorte le modèle du parcours que chaque chrétien est appelé à accomplir pour témoigner du Christ ressuscité.
Saint Pierre et saint Paul nous présentent le paradigme du chemin spirituel de tout chrétien : un itinéraire de conversion, de foi et d’amour à l’égard du Christ qui commence par une expérience personnelle de rencontre avec lui (Cf. Evangile). A partir de cette rencontre où nous sommes saisis par le Christ, où nous le reconnaissons comme notre Seigneur et notre Sauveur, où nous l’accueillons comme tel dans chacune de nos vies, nous pouvons alors devenir en chaque circonstance de notre existence un signe éloquent de sa puissance victorieuse.
« Tu es heureux, Simon Fils de Jonas » ! La béatitude de Simon est la même que celle de la Très Sainte Vierge Marie, à laquelle Elisabeth dit : « Bienheureuse celle qui a cru en l’accomplissement de ce qui lui a été dit de la part du Seigneur » (Lc 1, 45). Cette béatitude nous est également destinée à nous qui faisons partie de la communauté des croyants de ce début de troisième millénaire. En ce jour, Jésus s’adresse à nous pour nous dire : « Bienheureux êtes-vous, vous qui conservez l’Evangile dans toute sa pureté et qui continuez à le proposer avec un enthousiasme renouvelé aux hommes de votre temps ! »
Dans la foi, fruit de la rencontre mystérieuse entre la grâce divine et l’humilité humaine qui s’en remet tout entière à celle-ci, se trouve le secret de la paix intérieure et de la joie du coeur qui anticipent d’une certaine manière la béatitude du Ciel.
Au sujet de la foi, saint Paul, ce grand missionnaire, nous enseigne qu’elle se « conserve » dans la mesure où on la partage si bien qu’au moment où il fait le bilan de sa vie il peut s’écrier : « J’ai combattu jusqu’au bout le bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi » (2 Tm 4, 7). Cette mission évangélisatrice initiée par les disciples à la Pentecôte se poursuit dans le temps et c’est la manière normale avec laquelle l’Eglise, à travers les membres que nous sommes, administre le trésor de la foi.
Cependant, cette foi ne conduit au salut que dans la mesure où elle est animée de l’amour, de la charité. C’est ici que le martyre de Pierre et Paul au terme de toute leur action évangélisatrice vient révéler ce qui en faisait toute l’essence, ce qui en constituait tout le dynamisme : l’amour de Dieu et l’amour des hommes, la gloire de Dieu et le salut des âmes.
« Seigneur, sur le chemin rocailleux de nos existences où les épreuves ne manquent pas, que le témoignage de saint Pierre et de saint Paul nous stimule en intensifiant en nous le désir d’apporter la Bonne Nouvelle de ton amour à chaque être humain. Qu’avec eux, nous puissions proclamer haut et fort et te répéter à chaque instant : ‘Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant, notre unique Rédempteur, l’unique Rédempteur du monde !’ »
Frère Elie
Le Sacré-Cœur de Jésus
26 juin, 2014ORIGINE ET DEVELOPPEMENT DU CULTE DU SACRE-COEUR
26 juin, 2014http://moulins.visitation.free.fr/sacrecoeur-origine.htm
ORIGINE ET DEVELOPPEMENT DU CULTE DU SACRE-COEUR
[d'après une petite brochure éditée par le monastère de la Visitation de Paray-le-Monial]
Les choix de Dieu
« O abîme de la richesse, de la sagesse et de la science de Dieu ! Que ses décrets sont insondables et ses voies incompréhensibles ! Qui, en effet, a jamais connu la pensée du Seigneur ? Qui en fut jamais le conseiller ? » (Rm 11, 33-34).
Les voies de Dieu, les choix de Dieu sont souvent déconcertants aux yeux des hommes : ils sont généralement à l’opposé des leurs. Pour l’accomplissement de ses plus grands desseins, ne voit-on pas Dieu, dans l’Ancien Testament, tirer d’un pays inconnu des êtres plus ignorés encore ? Son Fils unique lui-même, Jésus, Sauveur du monde, naîtra à Bethléem. Sa mère sera Marie, épouse de Joseph, modestes artisans dont il n’était rien dit : » Les hommes regardent l’apparence, mais le Seigneur regarde le cœur » (1S 16, 7).
» Nul n’a jamais vu Dieu, le Fils unique qui est dans le sein du Père, lui, l’a fait connaître « , affirme saint Jean. En effet : » Dieu a tant aimé le monde qu’il lui a donné son Fils unique « . Ecoutons-le. Un jour, prenant la parole, il dit : » Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux savants et de l’avoir révélé aux tout-petits. Oui, Père, car tel a été ton bon plaisir « . Ces mystères cachés, révélés aux petits, quels sont-ils ?
La Révélation principale
L’essentielle révélation du Christ qu’il importe à tout homme de connaître et de ne jamais oublier, trois petits mots, en quelques traits de feu, suffisent à l’énoncer : » DIEU EST AMOUR « . Ces trois mots ont jailli du cœur de l’apôtre bien-aimé, seul près de Marie, avec Marie-Madeleine et quelques femmes, à l’heure où le Christ expirait, donnant aux hommes la preuve du « plus grand amour « .
Il écrira : » Un des soldats avec sa lance lui perça le côté ; et, aussitôt, il en sortit du sang et de l’eau. Celui qui a vu rend témoignage, afin que vous croyiez vous aussi « . Au véritable Agneau pascal s’applique la parole : » Pas un os ne lui sera brisé « . Il est dit encore : » Ils regarderont celui qu’ils ont transpercé « .
Très tôt, les mystiques et les saints ont contemplé la plaie du côté du Christ, pénétrant jusqu’au cœur de celui qui a versé son sang pour le salut du monde et répandu l’eau vive de l’Esprit.
Le choix du » cher Paray «
Au XVIIè siècle, la France sort meurtrie des guerres dites » de religion « , qui ont opposé violemment des frères chrétiens. Le jansénisme, de son côté, insuffle dans l’Eglise plus de crainte que d’amour. Plus que jamais, il est nécessaire de redécouvrir l’Evangile, Bonne Nouvelle de Dieu. Amour.
Paray possède, depuis longtemps déjà, un prieuré bénédictin, rattaché à l’Abbaye de Cluny, dont les moines ont bâti l’admirable basilique d’aujourd’hui. Il existe aussi, depuis 1618, une » Mission » des Jésuites. Mais, en 1626, cette ville, où l’on prie, désire encore et obtient, avec l’accord de sainte Jeanne de Chantal, des moniales de la Visitation Sainte-Marie, ordre fondé à Annecy, en 1610. – Le fondateur, saint François de Sales (décédé en 1622), avait écrit : » Vraiment, notre petite congrégation est un ouvrage du cœur de Jésus et de Marie. Le Sauveur mourant nous a enfantés par l’ouverture de son sacré Cœur « . Il avait même été inspiré de donner pour emblème à l’ordre : » Un unique cœur percé de deux flèches « , surmonté d’une croix, entouré d’une couronne d’épines et gravé des noms de Jésus et Marie. -
Entre Paray et Cluny, un petit village : Verosvres. C’est là que sera baptisée, le 25 juillet 1647, Marguerite Alacoque, née trois jours plus tôt, en la fête de sainte Marie Madeleine.
Dès son enfance, elle a horreur du péché, aime prier et rester près du saint Sacrement. Vers l’âge de quatre ans, au cours d’une Messe entendue à genoux, elle se sent pressée, entre les deux élévations, de se consacrer totalement à Dieu. Le Seigneur lui dira plus tard : » C’est moi qui te pressais de le faire… Et puis, je te mis en dépôt au soin de ma sainte Mère, afin qu’elle te façonnât selon mes desseins « .
Prédestinée, elle connaît très tôt la souffrance : elle n’a que huit ans à la mort de son père. Chargée de la tutelle de ses cinq enfants, sa mère reste peu au logis. Marguerite est mise dans un pensionnat, où elle communie à neuf ans et désire imiter les religieuses. Mais la maladie la terrasse : durant quatre ans, il lui est impossible de marcher. Elle prie la Vierge Marie et se trouve guérie dès qu’elle lui fait vœu d’être » un jour l’une de ses filles « . La santé retrouvée, elle se sent portée » à la vanité et à l’affection des créatures « . D’un naturel aimable et gai, elle oublie ses promesses et va jusqu’à se déguiser, au temps du carnaval : ce qu’elle se reprochera amèrement.
Elle aime les pauvres, partage avec eux ce qu’elle a, leur apprend le catéchisme. Sa charité est remarquable : elle appellera » chères bienfaitrices » de son âme les trois personnes de la famille paternelle qui exercent, sur la veuve et sa fille, une autorité exagérée.
De toute leur affection, les siens pressent Marguerite de se marier. Elle lutte. Non. Dieu le veut : elle sera religieuse. Aux Sainte-Marie. » Dès qu’on me nomma Paray, écrit-elle, mon cœur se dilata de joie « . Son frère la conduit donc au » cher Paray « , le 25 mai 1671. Là, au parloir de la Visitation, elle entend intérieurement : » C’est ici que je te veux « . Quittant tout le 20 juin, elle reçoit l’habit religieux et le nom de Marguerite-Marie, le 25 août 1671.
Eprise de vérité, elle saisit très vite – et on le lui dit – que l’esprit de l’Ordre ne veut rien d’extraordinaire. Les responsables s’interrogent. Elle craint son renvoi. Le Seigneur la rassure : » Dis à ta supérieure qu’il n’y a rien à craindre pour te recevoir, que je réponds pour toi… « .
En 1672, elle fait dix jours de retraite en compagnie de son Souverain Maître, avant d’émettre ses vœux le 6 novembre. Le bosquet du jardin lui devient alors » un endroit de grâce « , surtout par les lumières qu’elle y reçoit sur le mystère de la Passion. » Mais, précise-t-elle, c’est ce qui m’a donné tant d’amour pour la croix « .
Objet de grâces spéciales, un 1er juillet, pendant le Te Deum des Matines, une lumière divine vient reposer sur ses bras, sous » la figure d’un petit enfant « , et elle est guérie d’une extinction de voix.
Les principales Révélations de Paray
On est au 27 décembre 1673, fête du » disciple que Jésus aimait « , celui qui, à la Cène, reposa sur son cœur. Et le Seigneur choisit ce jour pour se révéler à celle qu’il va nommer : » la disciple bien-aimée de mon sacré Cœur « .
Marguerite-Marie est en prière devant le saint Sacrement quand elle se sent plus fortement investie que de coutume de la présence divine. Oubliant tout, elle s’abandonne à la force de l’Esprit d’amour. Le Christ la fait » reposer fort longtemps sur sa divine poitrine » où, écrit-elle, » il me découvrit les merveilles de son amour et les secrets inexplicables de son sacré Cœur, qu’il m’avait toujours tenu cachés jusqu’alors qu’il me l’ouvrit pour la première fois. Mais d’une manière si effective et sensible qu’il ne me laissa aucun lieu d’en douter. » Il lui dit : » MON DIVIN CŒUR EST SI PASSIONNE D’AMOUR POUR LES HOMMES ET POUR TOI EN PARTICULIER QUE NE POUVANT PLUS CONTENIR EN LUI-MEME LES FLAMMES DE SON ARDENTE CHARITE, IL FAUT QU’IL LES REPANDE PAR TON MOYEN, ET QU’IL SE MANIFESTE A EUX POUR LES ENRICHIR DE SES PRECIEUX TRESORS QUE JE TE DECOUVRE… «
Ce divin Cœur lui est ensuite spécialement représenté les premiers vendredis du mois » comme un soleil brillant d’une éclatante lumière « . » Une fois entre les autres, écrit-elle sans autre précision, que le saint Sacrement était exposé… Jésus-Christ, mon doux Maître, se présenta à moi tout éclatant de gloire, avec ses cinq plaies brillantes comme cinq soleils « . Des flammes sortaient de toute part, » mais surtout de son adorable poitrine qui ressemblait à une fournaise « . Il lui découvre alors » son tout aimant et tout aimable Cœur qui était la vive source de ces flammes « , et lui redit l’excès de sa tendresse pour les hommes, dont il ne reçoit » que des ingratitudes et des méconnaissances « . Il en souffre et ajoute : » S’ILS ME RENDAIENT QUELQUE RETOUR D’AMOUR, J’ESTIMERAIS PEU TOUT CE QUE J’AI FAIT POUR EUX ET VOUDRAIS, S’IL SE POUVAIT, EN FAIRE ENCORE DAVANTAGE « . La Sainte devra suppléer à ces ingratitudes : communier souvent, en plus des premiers vendredis du mois, et veiller une heure avec lui tous les jeudis, de onze heures à minuit.
Eprouvée en sa santé, elle s’unit à la croix et Dieu la visite. Les trois Personnes de la Sainte Trinité lui apparaissent une fois » sous la forme de trois jeunes hommes vêtus de blanc, tous resplendissants de lumière, de même âge, grandeur et beauté « .
L’apparition la plus célèbre est celle de juin 1675. Un jour de l’octave de la Fête-Dieu, le saint Sacrement est exposé : Marguerite-Marie l’adore. Lui découvrant » son divin Cœur « , Notre Seigneur lui dit : » VOILA CE CŒUR QUI A TANT AIME LES HOMMES, QU’IL N’A RIEN EPARGNE JUSQU’A S’EPUISER ET SE CONSOMMER POUR LEUR TEMOIGNER SON AMOUR. ET, POUR RECONNAISSANCE, JE NE RECOIS DE LA PLUPART QUE DES INGRATITUDES, PAR LEURS IRREVERENCES, ET PAR LES FROIDEURS ET LES MEPRIS QU’ILS ONT POUR MOI DANS CE SACREMENT D’AMOUR… C’EST POUR CELA QUE JE TE DEMANDE QUE LE PREMIER VENDREDI D’APRES L’OCTAVE DU SAINT SACREMENT SOIT DEDIE A UNE FETE PARTICULIERE POUR HONORER MON CŒUR, EN COMMUNIANT CE JOUR-LA ET EN LUI FAISANT REPARATION D’HONNEUR… «
Le Christ avait promis à Marguerite-Marie de lui envoyer » un sien serviteur « . Or, au début de 1675, le P. La Colombière était arrivé à la Résidence des Jésuites. Dès sa première conférence aux Visitandines, ignorant tout, il l’avait distinguée. Interrogeant ensuite la supérieure, il l’assura que c’était » une âme de grâce « . A ce guide éclairé, Marguerite-Marie a tout confié et, le vendredi suivant la grande révélation, 21 juin, en union avec elle, le Père se consacre lui-même au Cœur de Celui qui le nommait son » fidèle et parfait ami « . Dans la ferveur de leur don total, offrant souffrances et humiliations rencontrées, tous deux cherchent alors à faire connaître la nouvelle dévotion. Mais en septembre 1676, le religieux, envoyé en Angleterre, quitte Paray – où il reviendra mourir en 1682.
La paix du soir
» Ne te suffis-je pas ? » dit le Seigneur à sa » disciple bien-aimée « , restée seule. Toute sa force est au saint Sacrement et en la Vierge Marie. Travaillant un jour dans une petite cour proche de la chapelle, « l’aimable Cœur » de Jésus lui est représenté » plus brillant qu’un soleil « , environné de Séraphins qui désirent souffrir en sa personne et la réjouir en la leur.
Grâces particulières, épreuves particulières continuent de tisser sa vie, mais sa vertu a fini par éclater aux yeux de ses compagnes qui ne lui mesurent plus leur affection. En mai 1684, elle est élue assistante de la Communauté et, en fin d’année, elle est nommée Maîtresse des novices. Elle leur fera connaître le Cœur du Christ.
Le jour de sa propre fête, 20 juillet 1685, tombant un vendredi, elle les invite à honorer ce Cœur sacré, dont elle leur a donné une » image tracée avec une plume » sur un papier. – Cette » première image du sacré Cœur » n’est visiblement qu’un symbole d’amour : celui du Cœur qui nous » aima jusqu’à l’extrême « . En effet, les tableaux qui ont ravi la Sainte de Paray représentent la Sainte Trinité : le Père sous un visage humain, le Fils sous la figure d’un cœur et l’Esprit Saint sous la forme d’une colombe. Elle n’écrit pas » le Sacré-Cœur « , mais bien : » le sacré Cœur de N.S.J.C. » ou encore : » ce sacré… ce divin Cœur » car elle n’a jamais séparé le Cœur du Christ de sa personne humano-divine. -
Aux premiers hommages rendus par les novices, aucune autre sœur n’a voulu s’unir. Mais, l’année suivante, le vendredi après l’octave de la Fête-Dieu, 21 juin, toute la Communauté répond elle-même au désir du Cœur divin en l’honorant pour la première fois. Elle s’engage alors à lui faire faire un tableau, puis à lui bâtir sa première chapelle dans le jardin. Celle-ci sera bénie solennellement le 7 septembre 1688.
Quelques messages pour Louis XIV sont donnés par le Christ à sa disciple en 1689 : elle essaie de les transmettre. Mais, en 1690, le jour de ses quarante-trois ans et fête de sainte Madeleine, elle commence à se préparer à la mort qu’elle sent approcher. Le culte nouveau se répand désormais : sa tâche est finie. Malade, elle s’alite au début d’octobre et meurt le 17, après avoir dit : » Je n’ai plus besoin que de Dieu seul et de m’abîmer dans le Cœur de Jésus-Christ « . Le lendemain matin, on se redit dans la ville : » La Sainte est morte « . De nombreuses grâces lui sont de suite attribuées et, le 13 mai 1920, l’Eglise elle-même la proclame » Sainte « .
Paray : source inépuisable
La Sainte n’est plus. Son message demeure. Avant 1690, le culte du Sacré-Cœur — déjà éveillé dans les esprits, avec celui du Cœur de Marie, par saint Jean Eudes — s’étendait surtout par le moyen des Confréries. On désire plus. Dès 1692, l’institution d’une fête est en vain sollicitée du Saint-Siège. En France, plusieurs évêques autorisent, dans leurs diocèses, la célébration de messes du Sacré Cœur (à Paray, en 1721). Enfin, sur les instances de son roi, de l’évêque de Cracovie et de tout son épiscopat, la Pologne, la première, obtient de Rome, en 1765, la concession avec messe et office propres. La même année, à la demande de la reine Marie Leczinska, les évêques de France adoptent la fête et, en 1856, ils en obtiennent l’extension à toute l’Eglise.
En 1873, commence à Paray l’ère des grands pèlerinages. Le 29 juin, on y voit un groupe de députés français. Ce même jour, perdue dans la foule, Mlle Emilie Tamisier a l’inspiration de lancer les Congrès Eucharistiques Internationaux. Lille organise le premier en 1881. – Lourdes est choisie pour le centenaire de cette œuvre voulue pour remercier le Christ du don le plus précieux de son Cœur : l’Eucharistie. -
En 1875, est posée à Montmartre la première pierre de « la basilique du Vœu National « , qui rayonne désormais sur Paris. A l’aube du XXè siècle, en 1899, le genre humain est consacré au Cœur de Jésus par Léon XIII, qui appelait Paray : la » cité chérie du ciel « .
Jean XXIII aimait aussi cette cité qu’il a visité cinq fois. En 1959, première année de son Pontificat, en la fête de Marguerite-Marie, il envoyait spontanément un long télégramme disant à tous son union. Six ans plus tard, le bicentenaire du décret de 1765 unit la Pologne à la France : l’archevêque de Cracovie vient à Paray en » simple pèlerin « . Nul ne pressentait alors qu’en 1978 cette même fête nous donnerait en lui le pape Jean-Paul II…
Nombreux sont les pèlerins de tous pays qui, chaque année, viennent prier en la Chapelle de la Visitation où le Christ a voulu rappeler aux hommes son amour. Lui seul peut satisfaire leur soif de tendresse. Depuis 1975, des groupes de » Renouveau » tiennent, à Paray, leurs sessions d’été. L’année précédente, étant à Vézelay, où l’on vénère Marie Madeleine, la première à connaître l’infinie miséricorde de son Seigneur, ils ont compris qu’ils devaient rencontrer eux-mêmes ce divin Cœur. Au cours de leurs sessions, ils passent chaque nuit des heures d’adoration près du saint Sacrement exposé au lieu des apparitions. Ils y puisent force, lumière et joie. On vient et revient en ce lieu choisi : pourquoi ne pas le faire aussi ? Le Christ nous y invite : » Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et, moi, je vous procurerai le repos. Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos. Oui, mon joug est facile à porter et mon fardeau léger » (Mt 11, 28-30).
[imprimatur : Paray, 1er mai 1981, Mgr Gaidon, év.-aux. d'Autun]
Cette petite brochure, que l’on peut encore se procurer aisément, est fort bien faite et nous introduit facilement dans la spiritualité propre au Sacré-Cœur de N.S.J.C.
Depuis 1981, date de sa parution, Paray n’attire pas moins de pèlerins. Nombreux toujours sont ceux qui, du monde entier, viennent s’y ressourcer. Le pape Jean-Paul II lui-même y vint en 1986 y vénérer sainte Marguerite-Marie et se recueillir sur le lieu des apparitions. Paray est aussi aujourd’hui un centre important de la Communauté de l’Emmanuel, qui y attire beaucoup de jeunes, et puise la force de poursuivre sa mission.
Car l’esprit du Sacré-Cœur est un esprit missionnaire : il s’agit d’accomplir le règne social de N.S.J.C. en ce monde.
Historiquement, le développement du culte du Sacré-Cœur est aussi étroitement lié à celui du sentiment national, plus particulièrement en France. Il nous faut rappeler que, durant la Révolution Française et les années qui suivirent, les Vendéens, révoltés face au régime anticlérical et antichrétien, et autres chouans prirent pour insigne un cœur surmonté d’une croix, tous deux rouges sur fond blanc, avec cette devise : » Dieu et le Roy « . C’est ce même Sacré-Cœur que l’on retrouva accolé aux couleurs tricolores sur nombre de poilus français durant la » Grande Guerre « . La Visitation de Nantes l’avait déjà brodé au XIXème siècle, et s’il se développa alors il n’apparut donc pas pour la première fois durant cette » Grande Guerre « . Plus près de nous, qui n’a pas remarqué les nombreux drapeaux français ornés du Sacré-Cœur en leur milieu brandis par maints jeunes lors des Journées Mondiales de la Jeunesse à Paris en 1997 ? En fait, c’est toute la France chrétienne qui se retrouve derrière un culte né chez elle, dans une petite ville de province, culte riche de sens et de foi nous l’avons vu !
On oublie malheureusement bien souvent les origines » visitandines » du culte du Sacré-Cœur, on oublie bien souvent aussi que saint François de Sales voyait déjà l’Institut de la Visitation Sainte-Marie comme un » ouvrage du cœur de Jésus et de Marie « , de nombreuses années avant les apparitions donc. Il est par conséquent important de le rappeler ici.
LE BIG BANG DE LA NOUVELLE CRÉATION, RACONTÉ PAR LE PAPE BENOÎT XVI
26 juin, 2014http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/1350215?fr=y
LE BIG BANG DE LA NOUVELLE CRÉATION, RACONTÉ PAR LE PAPE BENOÎT XVI
« Avec la résurrection de Jésus, Dieu a dit de nouveau: Que la lumière soit! ». L’homélie de la veillée pascale dans la nuit du 7 avril 2012, à la basilique Saint-Pierre
par Benoît XVI
Chers frères et sœurs !
Pâques est la fête de la nouvelle création. Jésus est ressuscité et ne meurt plus. Il a enfoncé la porte vers une vie nouvelle qui ne connaît plus ni maladie ni mort. Il a pris l’homme en Dieu lui-même. « La chair et le sang ne peuvent hériter du royaume de Dieu » avait dit Paul dans la première lettre aux Corinthiens (15, 50). L’écrivain ecclésiastique Tertullien, au III siècle, en référence à la résurrection du Christ et à notre résurrection avait l’audace d’écrire : « Ayez confiance, chair et sang, grâce au Christ vous avez acquis une place dans le Ciel et dans le royaume de Dieu » (CCL II 994). Une nouvelle dimension s’est ouverte pour l’homme. La création est devenue plus grande et plus vaste. Pâques est le jour d’une nouvelle création, c’est la raison pour laquelle en ce jour l’Église commence la liturgie par l’ancienne création, afin que nous apprenions à bien comprendre la nouvelle. C’est pourquoi, au début de la Liturgie de la Parole durant la Vigile pascale, il y a le récit de la création du monde.
En relation à cela, deux choses sont particulièrement importantes dans le contexte de la liturgie de ce jour. En premier lieu, la création est présentée comme un tout dont fait partie le phénomène du temps. Les sept jours sont une image d’une totalité qui se déroule dans le temps. Ils sont ordonnés en vue du septième jour, le jour de la liberté de toutes les créatures pour Dieu et des unes pour les autres. La création est donc orientée vers la communion entre Dieu et la créature ; elle existe afin qu’il y ait un espace de réponse à la grande gloire de Dieu, une rencontre d’amour et de liberté. En second lieu, durant la Vigile pascale, du récit de la création, l’Église écoute surtout la première phrase : « Dieu dit : ‘Que la lumière soit’ ! » (Gen 1, 3). Le récit de la création, d’une façon symbolique, commence par la création de la lumière. Le soleil et la lune sont créés seulement le quatrième jour. Le récit de la création les appelle sources de lumière, que Dieu a placées dans le firmament du ciel. Ainsi il leur ôte consciemment le caractère divin que les grandes religions leur avaient attribué. Non, ce ne sont en rien des dieux. Ce sont des corps lumineux, créés par l’unique Dieu. Ils sont en revanche précédés de la lumière par laquelle la gloire de Dieu se reflète dans la nature de l’être qui est créé.
Qu’entend par là le récit de la création ? La lumière rend possible la vie. Elle rend possible la rencontre. Elle rend possible la communication. Elle rend possible la connaissance, l’accès à la réalité, à la vérité. Et en rendant possible la connaissance, elle rend possible la liberté et le progrès. Le mal se cache. La lumière par conséquent est aussi une expression du bien qui est luminosité et créé la luminosité. C’est le jour dans lequel nous pouvons œuvrer. Le fait que Dieu ait créé la lumière signifie que Dieu a créé le monde comme lieu de connaissance et de vérité, lieu de rencontre et de liberté, lieu du bien et de l’amour. La matière première du monde est bonne, l’être même est bon. Et le mal ne provient pas de l’être qui est créé par Dieu, mais existe en vertu de la négation. C’est le « non ».
A Pâques, au matin du premier jour de la semaine, Dieu a dit de nouveau : « Que la lumière soit ! ». Auparavant il y avait eu la nuit du Mont des Oliviers, l’éclipse solaire de la passion et de la mort de Jésus, la nuit du sépulcre. Mais désormais c’est de nouveau le premier jour – la création recommence entièrement nouvelle. « Que la lumière soit ! », dit Dieu, « et la lumière fut ». Jésus se lève du tombeau. La vie est plus forte que la mort. Le bien est plus fort que le mal. L’amour est plus fort que la haine. La vérité est plus forte que le mensonge. L’obscurité des jours passés est dissipée au moment où Jésus ressuscite du tombeau et devient, lui-même, pure lumière de Dieu. Ceci, toutefois, ne se réfère pas seulement à lui ni à l’obscurité de ces jours. Avec la résurrection de Jésus, la lumière elle-même est créée de façon nouvelle. Il nous attire tous derrière lui dans la nouvelle vie de la résurrection et vainc toute forme d’obscurité. Il est le nouveau jour de Dieu, qui vaut pour nous tous.
Mais comment cela peut-il arriver ? Comment tout cela peut-il parvenir jusqu’à nous de façon que cela ne reste pas seulement parole, mais devienne une réalité dans laquelle nous sommes impliqués ? Par le sacrement du Baptême et la profession de foi, le Seigneur a construit un pont vers nous, par lequel le nouveau jour vient à nous. Dans le Baptême, le Seigneur dit à celui qui le reçoit : « Fiat lux » – que la lumière soit. Le nouveau jour, le jour de la vie indestructible vient aussi à nous. Le Christ te prend par la main. Désormais tu seras soutenu par lui et tu entreras ainsi dans la lumière, dans la vraie vie. Pour cette raison, l’Église primitive a appelé le Baptême « photismos » – illumination.
Pourquoi ? L’obscurité vraiment menaçante pour l’homme est le fait que lui, en vérité, est capable de voir et de rechercher les choses tangibles, matérielles, mais il ne voit pas où va le monde et d’où il vient. Où va notre vie elle-même. Ce qu’est le bien et ce qu’est le mal. L’obscurité sur Dieu et sur les valeurs sont la vraie menace pour notre existence et pour le monde en général. Si Dieu et les valeurs, la différence entre le bien et le mal restent dans l’obscurité, alors toutes les autres illuminations, qui nous donnent un pouvoir aussi incroyable, ne sont pas seulement des progrès, mais en même temps elles sont aussi des menaces qui mettent en péril nous et le monde. Aujourd’hui nous pouvons illuminer nos villes d’une façon tellement éblouissante que les étoiles du ciel ne sont plus visibles. N’est-ce pas une image de la problématique du fait que nous soyons illuminés ? Sur les choses matérielles nous savons et nous pouvons incroyablement beaucoup, mais ce qui va au-delà de cela, Dieu et le bien, nous ne réussissons plus à l’identifier. C’est pourquoi, c’est la foi qui nous montre la lumière de Dieu, la véritable illumination, elle est une irruption de la lumière de Dieu dans notre monde, une ouverture de nos yeux à la vraie lumière.
Chers amis, je voudrais enfin ajouter encore une pensée sur la lumière et sur l’illumination. Durant la Vigile pascale, la nuit de la nouvelle création, l’Église présente le mystère de la lumière avec un symbole tout à fait particulier et très humble : le cierge pascal. C’est une lumière qui vit en vertu du sacrifice. Le cierge illumine en se consumant lui-même. Il donne la lumière en se donnant lui-même. Ainsi il représente d’une façon merveilleuse le mystère pascal du Christ qui se donne lui-même et ainsi donne la grande lumière. En second lieu, nous pouvons réfléchir sur le fait que la lumière du cierge est du feu. Le feu est une force qui modèle le monde, un pouvoir qui transforme. Et le feu donne la chaleur. Là encore le mystère du Christ se rend à nouveau visible. Le Christ, la lumière est feu, il est la flamme qui brûle le mal transformant ainsi le monde et nous-mêmes. « Qui est près de moi est près du feu », exprime une parole de Jésus transmise par Origène. Et ce feu est en même temps chaleur, non une lumière froide, mais une lumière dans laquelle se rencontrent la chaleur et la bonté de Dieu.
Le grand hymne de l’Exultet, que le diacre chante au début de la liturgie pascale, nous fait encore remarquer d’une façon très discrète un autre aspect. Il rappelle que ce produit, la cire, est du en premier lieu au travail des abeilles. Ainsi entre en jeu la création tout entière. Dans la cire, la création devient porteuse de lumière. Mais, selon la pensée des Pères, il y a aussi une allusion implicite à l’Église. La coopération de la communauté vivante des fidèles dans l’Église est presque semblable à l’œuvre des abeilles. Elle construit la communauté de la lumière. Nous pouvons ainsi voir dans la cire un rappel fait à nous-mêmes et à notre communion dans la communauté de l’Église, qu’elle existe afin que la lumière du Christ puisse illuminer le monde.
Prions le Seigneur à présent de nous faire expérimenter la joie de sa lumière, et prions-le, afin que nous-mêmes nous devenions des porteurs de sa lumière, pour qu’à travers l’Église la splendeur du visage du Christ entre dans le monde. Amen.