‘’ LA SOUFFRANCE EST UN MYSTÈRE QUI ENGAGE LE MYSTÈRE DE DIEU ET LE MYSTÈRE DE L’HOMME
ABBE JEAN PIERRE BATOUM:
‘’ LA SOUFFRANCE EST UN MYSTÈRE QUI ENGAGE LE MYSTÈRE DE DIEU ET LE MYSTÈRE DE L’HOMME ‘’
Propos recueillis par Gildas Mouthé
(La suite dans notre prochaine édition), [Je ne peux pas trouver la suite]
Pour amener les chrétiens à aborder avec foi le mystère de la souffrance, le Père Jean Pierre Batoum vient de publier une deuxième édition sur la souffrance rapportée à l’expérience de Job, personnage biblique bien connu des croyants et non croyants qui a connu toutes les formes de souffrances qu’un homme puisse connaître. Nous avons choisi le Père Batoum pour cet essai d’explication qu’il a menée sur le livre de Job pour le mettre à la portée de tous. Nous l’avons aussi choisi pour son expérience pastorale auprès des malades et des personnes en détresse.
L’homme peut-il éviter la souffrance, ou alors elle est nécessaire pour une meilleure compréhension du mystère de la Croix ?
L’homme peut éviter, j’allais dire des souffrances particulières : en respectant par exemple le bien d’autrui, en s’appliquant à bien faire ce qu’il doit faire, etc. Mais de façon générale, l’homme ne peut éviter la souffrance, car elle n’est pas un problème qu’on puisse résoudre de l’extérieur. La souffrance est un mystère qui engage le Mystère de Dieu et le mystère de l’homme. Dans la souffrance de l’être humain, Dieu est engagé, et c’est ce qu’enseigne le livre de Job, lu évidemment à la lumière de la Passion de Jésus Christ. Malheureusement le Mystère de Jésus, c’est-à-dire sa Passion, sa Mort et sa Résurrection, est classé dans l’histoire de l’humanité comme une religion, existant à côté d’autres religions. En réalité, le Mystère de Jésus engage l’histoire de chaque homme et de chaque femme, et explique le projet de Dieu sur chacun de nous, c’est- à- dire qu’il ne s’agit pas de fuir la souffrance, il ne s’agit pas de lutter avec acharnement contre la souffrance, au risque d’en créer d’autres souffrances plus graves, mais accueillir la souffrance et en faire un instrument de salut, de bonheur. De cette manière, ceux qui n’accueillent pas le Mystère de Jésus, ceux qui ne sont pas du Christ, ceux qui ne sont pas chrétiens, n’y comprennent rien et parlent de dolorisme, de masochisme, etc. Mais lorsque Gandhi ou Martin Luther King parlent de la non-violence, tout le monde comprend et adhère, et même tout le monde est séduit. Mais au fond, il y a un peu de cela dans le Mystère de Jésus, dans la souffrance comme Mystère, il y a un peu de non violence. Celle-ci suppose d’abord se faire violence pour refuser d’être violent, donc, accepter de souffrir la violence qu’on subit, mais sans subir cette souffrance. Sans subir la violence qu’on me fait, je ne subis pas la violence qu’on me fait, mais je transforme la souffrance qui est engendrée par cette violence comme occasion, comme moyen de libération. C’est pour cela que je dis qu’il y a un peu de cela dans le Mystère de Jésus, dans la souffrance comme mystère, comme pont.
On a souvent l’impression que l’Eglise fait l’apologie de la souffrance. Que veut –elle donner comme enseignement aux chrétiens ?
Effectivement, on pense que l’Eglise fait l’apologie de la souffrance, mais parce qu’il y a d’abord un problème de communication, de langage, mais aussi et surtout un problème de foi. L’enseignement de l’Eglise n’est pas une simple idéologie en présence de plusieurs autres idéologies, mais Parole de Dieu transmise aux hommes. Et c’est là que se pose le problème de la communication. A partir du moment où nous devons transmettre aux hommes de ce temps la Parole de Dieu, il faudrait que nous fassions des efforts d’amélioration dans la communication. Nous devons pouvoir parler au monde dans un langage que les gens de ce temps comprennent, dans des termes que les hommes et les femmes comprennent, quitte à forger des expressions qui collent à la réalité, quitte même à prendre les termes de ce temps, de les vider de leurs sens, et de les remplir d’un autre sens. C’est ce que tous les Pères de l’Eglise ont fait, c’est ce que Paul et les autres auteurs inspirés de l’Ecriture ont fait. On n’a pas créé au départ des termes, on avait pris au départ des termes païens, on les a vidés, on les a remplis d’un sens. Donc, nous ne devons pas rester enfermés dans notre jargon théologique, qui est clair pour nous les prêtres, mais très obscur pour les fidèles laïcs, et plus obscur encore pour ceux qui ne croient pas. Si nous restons là dedans, on va toujours dire que l’Eglise fait l’apologie de la souffrance.
L’Eglise, en parlant de la souffrance, veut en réalité expliquer tout simplement la Parole de Dieu. Jésus dit « celui qui veut être mon disciple, qu’il prenne sa croix chaque jour et qu’il me suive ». Evidemment si on en fait un slogan passe-partout pour se débarrasser de ceux qui souffrent, il y aura toujours malentendu. Prendre sa croix, porter sa croix ne signifie pas et ne peut pas signifier : « souffre et tais-toi, si tu es un bon chrétien ! ». Je crois que Jésus veut appeler chacun de ses disciples à faire comme Lui, c’est-à-dire faire de sa souffrance, non pas un obstacle ou une occasion de division ou de séparation, ou même de conflit, mais plutôt un pont, un instrument de paix, de rencontre et de réconciliation. Saint Paul dit que dans sa chair, Jésus a aboli le mur qui séparait les justes des païens, c’est-à-dire ceux qui croient et ceux qui ne croient pas. Et là, ce n’est ni de la poésie ni de l’utopie : tous ceux qui souffrent ont la possibilité de se comprendre, même sans parler. Celui ou celle qui a fait de sa souffrance un pont est capable de comprendre ceux qui souffrent.
Quel rapport y a-t-il entre la souffrance et la croix ?
Cette question me permet de poursuivre la réflexion précédente. Jésus en remplissant la souffrance de sa présence en a fait une manière d’être et de vivre. Jésus qui souffre devient serviteur, et Jésus fait donc de la souffrance un service, et invite chacun de ses disciples à être serviteur, c’est ce que j’appelle une manière d’être et de vivre : être serviteur. Que celui qui veut être le plus grand soit le dernier de tous. C’est la raison pour laquelle la Croix n’est pas seulement le résumé de la vie de Jésus, elle est le résumé de l’Evangile, donc le résumé de la vie du chrétien. C’est l’occasion justement de saisir le sens de la Croix dans sa symbolique. Nous avons le bras vertical qui relie l’homme à Dieu et le bras horizontal qui relie l’homme à son prochain. En Jésus crucifié, mort et ressuscité, l’accès à Dieu est ouvert à tout homme, et le mur de la haine, de la division est abattu entre tout homme et son semblable. Désormais, en Jésus, par Jésus et avec Jésus, il n’ y a plus ni juifs ni païens. Pour rester Camerounais, il n’y a plus de Bamiléké, Bassa, Ewondo, Yambassa, Bakweri…, il y a l’être humain qui est en face de moi, qu’il soit chrétien ou pas. Il est d’abord un être humain, Jésus est mort pour lui, puisque Jésus est mort pour tout homme, il n’est pas seulement mort pour les chrétiens. Moi qui suis chrétien parce que je suis du Christ, j’appartiens à Christ, alors, je suis ouvert à tous. Autrement dit, intégrer la souffrance, servir par la souffrance, c’est-à-dire en réalité être chrétien du Christ, c’est devenir serviteur de la réconciliation et de la paix. A mon humble avis, lorsque que je dis que je suis chrétien, cela signifie que j’accepte d’être serviteur des autres par ma souffrance, comme Jésus. Lorsque je dis que je suis chrétien, cela veut dire que j’intègre la souffrance comme faisant partie de ma mission, de mon être chrétien. La souffrance devient un instrument, un pont, et justement, si je suis chrétien, je deviens donc serviteur de la réconciliation et de la paix.
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