26/05 ST PHILIPPE NERI, CONFESSEUR
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26/05 ST PHILIPPE NERI, CONFESSEUR
DOM GUÉRANGER, L’ANNÉE LITURGIQUE
La joie est, ainsi que nous l’avons dit, le caractère principal du Temps pascal : joie surnaturelle, motivée à la fois par le triomphe si éclatant de notre Emmanuel et par le sentiment de notre heureuse délivrance des liens de la mort. Or, ce sentiment de l’allégresse intérieure a régné d’une manière caractéristique dans le grand serviteur de Dieu que nous honorons aujourd’hui ; et c’est bien d’un tel homme, dont le cœur fut toujours dans la jubilation et dans l’enthousiasme des choses divines, que l’on peut dire, avec la sainte Écriture, « que le cœur du juste est comme un festin continuel [2] ». Un de ses derniers disciples, l’illustre Père Faber, fidèle aux doctrines de son maître, enseigne, dans son beau livre du Progrès spirituel, que la bonne humeur est l’un des principaux moyens d’avancement dans la perfection chrétienne. Nous accueillerons donc avec autant d’allégresse que de respect la figure radieuse et bienveillante de Philippe Néri, l’Apôtre de Rome et l’un des plus beaux fruits de la fécondité de l’Église au XVIe siècle.
L’amour de Dieu, un amour ardent, et qui se communiquait comme invinciblement à tous ceux qui l’approchaient, fut le trait particulier de sa vie. Tous les saints ont aimé Dieu ; car l’amour de Dieu est le premier et le plus grand commandement-, mais la vie de Philippe réalise ce divin précepte avec une plénitude, pour ainsi dire, incomparable. Son existence ne fut qu’un transport d’amour envers le souverain Seigneur de toutes choses ; et sans un miracle de la puissance et de la bonté de Dieu, cet amour si ardent au cœur de Philippe eût consumé sa vie avant le temps. Il était arrivé à la vingt-neuvième année de son âge, lorsqu’un jour, dans l’Octave de la Pentecôte, le feu de la divine charité embrasa son cœur avec une telle impétuosité que deux côtes de sa poitrine éclatèrent, laissant au cœur l’espace nécessaire pour céder désormais sans péril aux transports qui l’agitaient. Cette fracture ne se répara jamais ; la trace en était sensible par une proéminence visible à tout le monde ; et grâce à ce soulagement miraculeux, Philippe put vivre cinquante années encore, en proie à toutes les ardeurs d’un amour qui tenait plus du ciel que de la terre.
Ce séraphin dans un corps d’homme fut comme une réponse vivante aux insultes dont la prétendue Réforme poursuivait l’Église catholique. Luther et Calvin avaient appelé cette sainte Église l’infidèle et la prostituée de Babylone ; et voici que cette même Église avait à montrer de tels enfants à ses amis et à ses ennemis : une Thérèse en Espagne, un Philippe Néri dans Rome. Mais le protestantisme s’inquiétait beaucoup de l’affranchissement du joug, et peu de l’amour. Au nom de la liberté des croyances, il opprima les faibles partout où il domina, il s’implanta par la force là même où il était repoussé ; mais il ne revendiquait pas pour Dieu le droit qu’il a d’être aimé. Aussi vit-on disparaître des pays qu’il envahit ce dévouement qui produit le sacrifice à Dieu et au prochain. Un long intervalle de temps s’est écoulé depuis la prétendue Réforme, avant que celle-ci ait songé qu’il existe encore des infidèles sur la surface du globe ; et si plus tard elle s’est fastueusement imposé l’œuvre des missions, on sait assez quels apôtres elle choisit pour organes de ses étranges sociétés bibliques. C’est donc après trois siècles qu’elle s’aperçoit que l’Église catholique n’a pas cessé de produire des corporations vouées aux œuvres de charité. Émue d’une telle découverte, elle essaie en quelques lieux ses diaconesses et ses infirmières. Quoi qu’il en soit du succès d’un effort si tardif, on peut croire raisonnablement qu’il ne prendra jamais de vastes proportions ; et il est permis de penser que cet esprit de dévouement qui sommeilla trois siècles durant au cœur du protestantisme, n’est pas précisément l’essence de son caractère, quand on l’a vu, dans les contrées qu’il envahit, tarir jusqu’à la source de l’esprit de sacrifice, en arrêtant avec violence la pratique des conseils évangéliques qui n’ont leur raison d’être que dans l’amour de Dieu.
Gloire donc à Philippe Néri, l’un des plus dignes représentants de la divine charité au XVIe siècle ! Par son impulsion, Rome et bientôt la chrétienté reprirent une vie nouvelle dans la fréquentation des sacrements, dans les aspirations d’une piété plus fervente. Sa parole, sa vue même électrisaient le peuple chrétien dans la cité sainte ; aujourd’hui encore la trace de ses pas n’est point effacée. Chaque année, le vingt-six mai, Rome célèbre avec transport la mémoire de son pacifique réformateur. Philippe partage avec les saints Apôtres les honneurs de Patron dans la ville de saint Pierre. Les travaux sont suspendus, et la population en habits de fête se presse dans les églises pour honorer le jour où Philippe naquit au ciel, après avoir sanctifié la terre. Le Pontife romain en personne se rend en pompe à l’église de Sainte-Marie in Vallicella, et vient acquitter la dette du Siège Apostolique envers l’homme qui releva si haut la dignité et la sainteté de la Mère commune.
Philippe eut le don des miracles, et tandis qu’il ne cherchait que l’oubli et le mépris, il vit s’attacher à lui tout un peuple qui demandait et obtenait par ses prières la guérison des maux de la vie présente, en même temps que la réconciliation des âmes avec Dieu. La mort elle-même obéit à son commandement, témoin ce jeune prince Paul Massimo que Philippe rappela à la vie, lorsque l’on s’apprêtait déjà à lui rendre les soins funéraires. Au moment où cet adolescent rendait le dernier soupir, le serviteur de Dieu dont il avait réclamé l’assistance pour le dernier passage, célébrait le saint Sacrifice. A son entrée dans le palais, Philippe rencontre partout l’image du deuil : un père éploré, des sœurs en larmes, une famille consternée ; tels sont les objets qui frappent ses regards. Le jeune homme venait de succomber après une maladie de soixante-cinq jours, qu’il avait supportée avec la plus rare patience. Philippe se jette à genoux, et après une ardente prière, il impose sa main sur la tête du défunt et l’appelle à haute voix par son nom. Paul, réveillé du sommeil de la mort par cette parole puissante, ouvre les yeux, et répond avec tendresse : « Mon Père ! » Puis il ajoute : « Je voudrais seulement me confesser. » Les assistants s’éloignent un moment, et Philippe reste seul avec cette conquête qu’il vient de faire sur la mort. Bientôt les parents sont rappelés, et Paul, en leur présence, s’entretient avec Philippe d’une mère et d’une sœur qu’il aimait tendrement, et que le trépas lui a ravies. Durant cette conversation, le visage du jeune homme, naguère défiguré par la fièvre, a repris ses couleurs et sa grâce d’autrefois. Jamais Paul n’avait semblé plus plein de vie. Le saint lui demande alors s’il mourrait volontiers de nouveau. — « Oh ! oui, très volontiers, répond le jeune homme ; car je verrai en paradis ma mère et ma sœur. » — « Pars donc, répond Philippe ; pars pour le bonheur, et prie le Seigneur pour moi. » A ces mots, le jeune homme expire de nouveau, et entre dans les joies de l’éternité, laissant l’assistance saisie de regret et d’admiration.
Tel était cet homme favorisé presque constamment des visites du Seigneur dans les ravissements et les extases, doué de l’esprit de prophétie, pénétrant d’un regard les consciences, répandant un parfum de vertu qui attirait les âmes par un charme irrésistible. La jeunesse romaine de toute condition se pressait autour de lui. Aux uns il faisait éviter les écueils ; aux autres il tendait la main dans le naufrage. Les pauvres, les malades, étaient à toute heure l’objet de sa sollicitude. Il se multipliait dans Rome, employant toutes les formes du zèle, et ayant laissé après lui une impulsion pour les bonnes œuvres qui ne s’est pas ralentie.
Philippe avait senti que la conservation des mœurs chrétiennes dépendait principalement d’une heureuse dispensation de la parole de Dieu, et nul ne se montra plus empressé à procurer aux fidèles des apôtres capables de les attirer par une prédication solide et attrayante. Il fonda sous le nom d’Oratoire une institution qui dure encore, et dont le but est de ranimer et de maintenir la piété dans les populations. Cette institution, qu’il ne faut pas confondre avec l’Oratoire de France, a pour but d’utiliser le zèle et les talents des prêtres que la vocation divine n’appelle pas à la vie du cloître, et qui, en associant leurs efforts, arrivent cependant à produire d’abondants fruits de sanctification.
En fondant l’Oratoire sans lier les membres de cette association par les vœux de la religion, Philippe s’accommodait au genre de vocation que ceux-ci avaient reçu du ciel, et leur assurait du moins les avantages d’une règle commune, avec le secours de l’exemple si puissant pour soutenir l’âme dans le service de Dieu et dans la pratique des œuvres du zèle. Mais le saint apôtre était trop attaché à la foi de l’Église pour ne pas estimer la vie religieuse comme l’état de la perfection. Durant toute sa longue carrière, il ne cessa de diriger vers le cloître les âmes qui lui semblèrent appelées à la profession des vœux. Par lui les divers ordres religieux se recrutèrent d’un nombre immense de sujets qu’il avait discernes et éprouvés : en sorte que saint Ignace de Loyola, ami intime de Philippe et son admirateur, le comparaît agréablement à la cloche qui convoque les fidèles à l’Église, bien qu’elle n’y entre pas elle-même.
La crise terrible qui agita la chrétienté au XVIe siècle, et enleva à l’Église catholique un si grand nombre de ses provinces, affecta douloureusement Philippe durant toute sa longue vie. Il souffrait cruellement de voir tant de peuples aller s’engloutir les uns après les autres dans le gouffre de l’hérésie. Les efforts tentés par le zèle pour reconquérir les âmes séduites par la prétendue Réforme faisaient battre son cœur, en même temps qu’il suivait d’un œil attentif les manœuvres à l’aide desquelles le protestantisme travaillait à maintenir son influence. Les Centuries de Magdebourg. vaste compilation historique destinée à donner le change aux lecteurs, en leur persuadant, à l’aide de passages falsifiés, de faits dénaturés et souvent même inventés, que l’Église Romaine avait abandonné l’antique croyance et substitué la superstition aux pratiques primitives ; cet ouvrage sembla à Philippe d’une si dangereuse portée, qu’un travail supérieur en érudition, puisé aux véritables sources, pouvait seul assurer le triomphe de l’Église catholique. Il avait deviné le génie de César Baronius, l’un de ses compagnons à l’Oratoire. Prenant en main la cause de la foi, il commanda à ce savant homme d’entrer tout aussitôt dans la lice, et de poursuivre l’ennemi de la vraie foi en s’établissant sur le terrain de l’histoire. Les Annales ecclésiastiques furent le fruit de cette grande pensée de Philippe ; et Baronius lui-même en rend le plus touchant témoignage en tète de son huitième livre. Trois siècles se sont écoulés sur ce grand œuvre. Avec les moyens de la science dont nous disposons aujourd’hui, il est aise d’en signaler les imperfections ; mais jamais l’histoire de l’Église n’a été racontée avec une dignité, une éloquence et une impartialité supérieures à celles qui règnent dans ce noble et savant récit dont le parcours est de douze siècles. L’hérésie sentit le coup ; l’érudition malsaine et infidèle des Centuriateurs s’éclipsa en présence de cette narration loyale des faits, et l’on peut affirmer que le flot montant du protestantisme s’arrêta devant les Annales de Baronius, dans lesquelles l’Église apparaissait enfin telle qu’elle a été toujours, « la colonne et l’appui de la vérité [3]. » La sainteté de Philippe et le génie de Baronius avaient décidé la victoire ; de nombreux retours à la foi romaine vinrent consoler les catholiques si tristement décimés ; et si de nos jours d’innombrables abjurations annoncent la ruine prochaine du protestantisme, il est juste de l’attribuer en grande partie au succès de la méthode historique inaugurée dans les Annales.
Vous avez aimé le Seigneur Jésus, ô Philippe, et votre vie tout entière n’a été qu’un acte continu d’amour ; mais vous n’avez pas voulu jouir seul du souverain bien. Tous vos efforts ont tendu à le faire connaître de tous les hommes, afin que tous l’aimassent avec vous et parvinssent à leur fin suprême. Durant quarante années, vous fûtes l’apôtre infatigable de la ville sainte, et nul ne pouvait se soustraire à l’action du feu divin qui brûlait en vous. Nous qui sommes la postérité de ceux qui entendirent votre parole et admirèrent les dons célestes qui étaient en vous, nous osons vous prier de jeter aussi les regards sur nous. Enseignez-nous à aimer notre Jésus ressuscité. Il ne nous suffit pas de l’adorer et de nous réjouir de son triomphe ; il nous faut l’aimer : car la suite de ses mystères depuis son incarnation jusqu’à sa résurrection, n’a d’autre but que de nous révéler, dans une lumière toujours croissante, ses divines amabilités. C’est en l’aimant toujours plus que nous parviendrons à nous élever jusqu’au mystère de sa résurrection, qui achève de nous révéler toutes les richesses de son cœur. Plus il s’élève dans la vie nouvelle qu’il a prise en sortant du tombeau, plus il apparaît rempli d’amour pour nous, plus il sollicite notre cœur de s’attacher à lui. Priez, ô Philippe, et demandez que « notre cœur et notre chair tressaillent pour le Dieu vivant [4]. » Après le mystère delà Pâque, introduisez-nous dans celui de l’Ascension ; disposez nos âmes à recevoir le divin Esprit de la Pentecôte ; et lorsque l’auguste mystère de l’Eucharistie brillera à nos regards de tous ses feux dans la solennité qui approche, vous, ô Philippe, qui l’ayant fêté une dernière fois ici-bas, êtes monté à la fin de la journée au séjour éternel où Jésus se montre sans voiles, préparez nos âmes à recevoir et à goûter « ce pain vivant qui donne la vie au monde [5] ».
La sainteté qui éclata en vous, ô Philippe, eut pour caractère l’élan de votre âme vers Dieu, et tous ceux qui vous approchaient participaient bientôt à cette disposition, qui seule peut répondre à l’appel du divin Rédempteur. Vous saviez vous emparer des âmes, et les conduire à la perfection par la voie de la confiance et la générosité du cœur. Dans ce grand œuvre votre méthode fut de n’en pas avoir, imitant les Apôtres et les anciens Pères, et vous confiant dans la vertu propre de la parole de Dieu. Par vous la fréquentation fervente des sacrements reparut comme le plus sûr indice de la vie chrétienne. Priez pour le peuple fidèle, et venez au secours de tant d’âmes qui s’agitent et s’épuisent dans des voies que la main de l’homme a tracées, et qui trop souvent retardent ou empêchent l’union intime du créateur et de la créature.
Vous avez aimé ardemment l’Église, ô Philippe ; et cet amour de l’Église est le signe indispensable de la sainteté. Votre contemplation si élevée ne vous distrayait pas du sort douloureux de cette sainte Épouse du Christ, si éprouvée dans le siècle qui vous vit naître et mourir. Les efforts de l’hérésie triomphante en tant de pays stimulaient le zèle dans votre cœur : obtenez-nous de l’Esprit-Saint cette vive sympathie pour la vérité catholique qui nous rendra sensibles à ses défaites et à ses victoires. Il ne nous suffit pas de sauver nos âmes ; nous devons désirer avec ardeur et aider de tous nos moyens l’avancement du règne de Dieu sur la terre, l’extirpation de l’hérésie et l’exaltation de notre mère la sainte Église : c’est à cette condition que nous sommes enfants de Dieu Inspirez-nous par vos exemples, ô Philippe, cette ardeur avec laquelle nous devons nous associer en tout aux intérêts sacrés de la Mère commune. Priez aussi pour cette Église militante qui vous a compté dans ses rangs comme un de ses meilleurs soldats. Servez vaillamment la cause de cette Rome qui se fait honneur de vous être redevable de tant de services. Vous l’avez sanctifiée durant votre vie mortelle ; sanctifiez-la encore et défendez-la du haut du ciel.
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