‘RÉFLEXIONS SUR L’ALLIANCE ET LA MISSION’, (FIN DE LA CONVERSION DES JUIFS) – Washington, 13 août 2002
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‘RÉFLEXIONS SUR L’ALLIANCE ET LA MISSION’, (FIN DE LA CONVERSION DES JUIFS)
13/01/2012
Document publié par le Comité Episcopal des Affaires Œcuméniques et Interreligieuses et le Conseil National des Synagogues, disant que la conversion des Juifs est un but inacceptable.
Texte original anglais. Traduction française : Claude Detienne.
Washington, 13 août 2002
Les dirigeants des communautés juive et catholique romaine aux Etats-Unis, qui, depuis plus de vingt ans, se rencontrent, deux fois par an, pour discuter des sujets touchant les relations catholico-juives, publient aujourd’hui (13 août 2002) un document intitulé Réflexions sur l’Alliance et la Mission.
Evoquant le respect croissant pour la tradition juive, qui s’est développé depuis le Concile Vatican II, et l’approfondissement de l’appréciation catholique de l’alliance éternelle entre Dieu et le peuple juif, la partie catholique des Réflexions dit que des campagnes de conversion au christianisme qui visent les juifs ne sont plus théologiquement acceptables dans l’Église catholique.
Cette réflexion commune marque une avancée significative dans le dialogue entre l’Église catholique et la communauté juive dans ce pays, a dit le cardinal William Keeler, modérateur des évêques des Etats-Unis pour les relations catholico-juives. On peut voir ici, peut-être plus clairement que jamais auparavant, une compatibilité essentielle, de même que des différences également significatives, entre les compréhensions chrétienne et juive de l’appel de Dieu à nos deux peuples pour témoigner du Nom du Dieu unique au monde en harmonie. Ce qui fait écho aux paroles de Jean-Paul II, priant pour que, en tant que chrétiens et juifs, nous puissions être une bénédiction l’un pour l’autre, pour être ensemble une bénédiction pour le monde. (Pape Jean-Paul II, Sur le 50e anniversaire de l’insurrection du ghetto de Varsovie, 6 avril 1993).
Pour le rabbin Gilbert Rosenthal, directeur exécutif du Conseil national des synagogues :
Le communiqué commun catholico-juif sur la mission est une nouvelle étape qui tourne une nouvelle page dans la relation souvent tumultueuse entre le peuple juif et l’Église catholique romaine. Les deux groupes de foi croient que nous ne devrions pas faire de l’autre l’objet de la mission pour sauver des âmes par la conversion. Bien au contraire : nous croyons que les deux groupes de foi sont chéris de Dieu et assurés de Sa grâce. Le communiqué commun sur la mission a exprimé clairement un nouveau but, à savoir la guérison d’un monde malade et la nécessité impérieuse de réparer les dommages que nous, humains, avons causés aux créatures de Dieu. Nous croyons être des partenaires pour apporter des bénédictions à toute l’humanité car c’est la volonté de Dieu.
Les participants à la consultation permanente sont des délégués du Comité Episcopal pour les Affaires Oecuméniques et Interreligieuses (BCEIA = Bishops Committee for Ecumenical and Interreligious Affairs) et le Conseil National des Synagogues (NCS = National Council of Synagogues). Le NCS représente la Conférence Centrale des Rabbins Américains, l’Assemblée Rabbinique du Judaïsme Conservateur, l’Union des Congrégations Hébraïques Américaines, et la Synagogue Unie du Judaïsme Conservateur. La consultation est co-présidée par le Cardinal Keeler, le rabbin Joel Zaiman, de l’Assemblée Rabbinique du Judaïsme Conservateur, et le rabbin Michael Signer, de l’Union des Congrégations Hébraïques Américaines.
Ci-dessous, le texte intégral du document
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RÉFLEXIONS SUR L’ALLIANCE ET LA MISSION
Consultation du Conseil national des synagogues et du Comité Episcopal des affaires oecuméniques et interreligieuses, 12 août 2002
PRÉFACE
Pendant plus de vingt ans, des dirigeants de communautés juives et catholiques romaines aux Etats-Unis se sont réunis, deux fois par an, pour discuter d’un large éventail de sujets touchant aux relations catholico-juives. Actuellement les participants de ces consultations permanentes sont des délégués des délégués du Comité Episcopal pour les Affaires Oecuméniques et Interreligieuses (BCEIA = Bishops Committee for Ecumenical and Interreligious Affairs) et le Conseil national des synagogues (NCS = National Council of Synagogues). Le NCS représente la Conférence Centrale des Rabbins Américains, l’Assemblée Rabbinique du Judaïsme Conservateur, l’Union des Congrégations Hébraïques Américaines, et la Synagogue Unie du Judaïsme Conservateur. La consultation est co-présidée par le Cardinal Keeler, le rabbin Joel Zaiman, de l’Assemblée Rabbinique du Judaïsme Conservateur et le rabbin Michael Signer, de l’Union des Congrégations Hébraïques Américaines. Les Dialogues ont précédemment produit des communiqués publics sur des sujets comme les Enfants, l’Environnement et les Actes de haine religieuse.
Lors de la session qui s’est tenue le 13 mars 2002, à New York City, la consultation BCEIA-NCS a examiné comment les traditions juive et catholique romaine comprennent actuellement les notions d’«alliance» et de «mission». Chaque délégation a préparé des réflexions qui ont été discutées et clarifiées par la Consultation comme des formulations de l’état actuel de la question dans chaque communauté. La Consultation a décidé de publier ses considérations, pour encourager une réflexion sérieuse sur ces matières par les juifs et les catholiques dans tous les Etats-Unis. Après un certain délai pour affiner les formulations initiales, les réflexions catholiques romaines et juives sur les sujets «Alliance» et «Mission» sont présentées séparément ci-dessous.
Les réflexions catholiques romaines décrivent le respect croissant pour la tradition juive qui s’est développé depuis le Concile Vatican II. Un approfondissement de l’appréciation catholique de l’alliance éternelle entre Dieu et le peuple juif, de même qu’une reconnaissance de la mission donnée par Dieu aux juifs de témoigner de l’amour fidèle de Dieu, mènent à la conclusion que des campagnes qui visent à convertir des juifs au christianisme ne sont plus théologiquement acceptables dans l’Église catholique.
Les réflexions juives décrivent la mission des juifs et la perfection du monde. Cette mission semble revêtir trois aspects. Il y a d’abord les obligations qui résultent de l’élection aimante du peuple juif dans une alliance avec Dieu. Ensuite, il y a la mission de témoigner de la puissance rédemptrice de Dieu dans le monde. Enfin, le peuple juif a une mission qui s’adresse à tous les êtres humains. Les réflexions juives concluent en pressant juifs et chrétiens d’articuler un agenda commun pour guérir le monde.
La consultation NCS-BCEIA a exprimé sa préoccupation de l’ignorance et des caricatures continues de l’autre qui prévalent encore dans de nombreux segments des communautés catholique et juive. La Consultation espère que ces réflexions seront lues et discutées comme une partie d’un processus continu de compréhension mutuelle croissante.
La Consultation NCS-BCEIA réaffirme son engagement à approfondir notre dialogue et à promouvoir l’amitié entre les communautés juive et catholique aux Etats-Unis
RÉFLEXIONS CATHOLIQUES ROMAINES
Introduction
Les dons accordés par l’Esprit Saint à l’Église par l’intermédiaire de la déclaration Nostra Aetate, du Concile Vatican II continuent à se déployer. Les décennies qui se sont écoulées depuis sa proclamation en 1965 ont été le témoin d’un rapprochement régulier entre l’Église catholique romaine et le peuple juif. Même si des controverses et des malentendus continuent à se produire, il y a néanmoins eu un approfondissement progressif de la compréhension mutuelle et de la communauté d’intention.
Nostra Aetate a aussi inspiré une série d’instructions du magistère, incluant trois documents préparés par la Commission pontificale pour les relations religieuses avec les juifs: Orientations et suggestions pour l’application de la déclaration conciliaire Nostra Aetate No. 4 (1974); Notes pour une présentation correcte des Juifs dans la prédication et la catéchèse de l’Église catholique (1985); et « Nous nous souvenons » (1998). Le pape Jean Paul II a prononcé de nombreux discours et s’est engagé dans plusieurs actions importantes qui ont favorisé l’amitié entre catholiques et Juifs. De nombreuses déclarations concernant les relations catholico-juives ont aussi été composées par des Conférences nationales d’évêques catholiques dans le monde. Aux États-Unis, la conférence des évêques catholiques et ses comités ont publié de nombreux documents pertinents, dont: Directives pour les relations catholico-juives (1967, 1985); Critères pour l’évaluation des représentations dramatiques de la Passion (1988); La miséricorde de Dieu dure à jamais : directives pour la présentation des juifs et du judaïsme dans la prédication catholique (1988); et, plus récemment : Enseignement catholique de la Shoah: Mise en œuvre de ‘Nous nous souvenons’ du Saint-Siège (2001).
Un examen de ces communiqués catholiques des dernières décennies montre qu’ils ont progressivement pris en considération de plus en plus d’aspects de la relation complexe entre les juifs et les catholiques, de même que leur impact sur la pratique de la foi catholique. Ce travail, inspiré par Nostra Aetate, a mis en oeuvre un dialogue interreligieux, des initiatives éducatives en collaboration et une recherche théologique et historique commune, de catholiques et de juifs. Cela continuera durant ce nouveau siècle.
Au stade actuel de ce processus de renouveau, les notions d »alliance’ et de ‘mission’ sont venus sur le devant de la scène. Nostra Aetate a déclenché cette réflexion en citant Romains 11, 28-29, et en décrivant le peuple juif comme «très cher à Dieu à cause des patriarches, puisque Dieu ne revient pas sur les dons qu’il a accordés, ni sur le choix qu’il a fait». Jean Paul II a enseigné explicitement que les juifs sont «le peuple de Dieu de l’Ancienne Alliance, jamais révoquée par Dieu», «le peuple contemporain de l’Alliance conclue avec Moïse», et des «partenaires dans une Alliance d’amour éternel jamais révoquée».
Après Nostra Aetate, la reconnaissance de la permanence de la relation d’alliance du peuple juif avec Dieu a conduit à un nouveau regard positif, sans précédent dans l’histoire chrétienne, sur la tradition juive post-biblique ou rabbinique. Les Orientations publiées par le Vatican en 1974, insistaient sur le fait que les chrétiens «doivent s’efforcer d’apprendre par quels traits essentiels les Juifs se définissent eux-mêmes, à la lumière de leur propre expérience religieuse». Les Notes, publiées par le Vatican, en 1985, firent l’éloge du judaïsme post-biblique, pour avoir offert «au monde entier un témoignage – souvent héroïque – de sa fidélité au Dieu unique et ‘pour l’exalter face à tous les vivants’ (Tobie 13, 4)». Les Notes poursuivirent en citant Jean Paul II pressant les chrétiens de se rappeler «combien cette permanence d’Israël s’accompagne d’une créativité spirituelle continue, dans la période rabbinique, au Moyen-Âge, et dans la période moderne, à partir d’un patrimoine qui nous fut longtemps commun, si bien que «la foi et la vie religieuse du peuple juif telles qu’elles sont professées et vécues, encore maintenant, (peuvent) aider à mieux comprendre certains aspects de la vie de l’Église» (Jean Paul Il, 6 mars 1982)». Ce thème a été repris dans des déclarations d’évêques catholiques des Etats-Unis, comme « La miséricorde de Dieu dure à jamais », qui conseillait aux prédicateurs «de se sentir libres d’utiliser des sources juives (rabbiniques, médiévales et modernes) pour exposer le sens des Écritures hébraïques et des écrits apostoliques».
La « fécondité spirituelle » du judaïsme post-biblique continua dans des pays où les Juifs constituaient une faible minorité. Ce fut vrai dans l’Europe chrétienne, même si, comme l’a noté le cardinal Idris Cassidy, «à partir de l’époque de l’empereur Constantin, les Juifs furent isolés et victimes de discriminations dans le monde chrétien. Il y eut des expulsions et des conversions forcées. La littérature répandit des stéréotypes et la prédication accusa, de tout temps, les Juifs de déicide.» Ce résumé historique accentue l’importance de l’enseignement des Notes (Vatican, 1985), selon lesquelles «La permanence d’Israël (alors que tant de peuples anciens ont disparu sans laisser de traces) est un fait historique et un signe à interpréter dans le plan de Dieu.»
La connaissance de l’histoire de la vie des Juifs en chrétienté fait aussi relire des textes bibliques, comme Actes 5, 33-39, avec un regard nouveau. Dans ce passage, le pharisien Gamaliel déclare que seules des entreprises d’origine divine peuvent perdurer. Si ce principe néo-testamentaire est considéré aujourd’hui par les chrétiens comme valide pour le christianisme, alors, il doit être considéré comme tel également pour le judaïsme post-biblique. Le judaïsme rabbinique, qui s’est développé après la destruction du Temple, doit aussi être «de Dieu».
Outre ces considérations théologiques et historiques, dans les décennies qui ont suivi Nostra Aetate, de nombreux catholiques ont reçu en bénédiction l’opportunité de faire l’expérience personnelle de la riche vie religieuse et des dons divins de sainteté du judaïsme.
La mission de l’Église: Évangélisation
De telles réflexions et expériences de la vie d’alliance éternelle du peuple juif avec Dieu suscitent des questions sur le devoir chrétien de témoigner des dons de salut, que l’Église reçoit par sa «nouvelle alliance» en Jésus-Christ. Le Concile Vatican II résumait la mission de l’Église de la manière suivante :
Qu’elle aide le monde ou qu’elle reçoive de lui, l’Eglise tend vers un but unique: que vienne le règne de Dieu et que s’établisse le salut du genre humain. D’ailleurs, tout le bien que le Peuple de Dieu, au temps de son pèlerinage terrestre, peut procurer à la famille humaine, découle de cette réalité que l’Eglise est « le sacrement universel du salut », manifestant et actualisant tout à la fois le mystère de l’amour de Dieu pour l’homme.
Cette mission de l’Église peut se résumer en un mot: évangélisation. Le pape Paul VI a donné la définition classique :
« Évangéliser, pour l’Église, c’est porter la Bonne Nouvelle dans tous les milieux de l’humanité et, par son impact, transformer du dedans, rendre neuve l’humanité elle-même »
L’évangélisation renvoie à une réalité complexe qui est parfois mal comprise et réduite à la seule recherche de nouveaux candidats au baptême. C’est la continuation de la mission de Jésus-Christ par l’Église. Comme l’a expliqué le pape Jean-Paul II,
Le Royaume concerne les personnes humaines, la société, le monde entier. Travailler pour le Royaume signifie reconnaître et favoriser le dynamisme divin qui est présent dans l’histoire humaine et la transforme. Construire le Royaume signifie travailler pour la libération du mal sous toutes ses formes. En un mot, le Royaume de Dieu est la manifestation et la réalisation de son dessein de salut dans sa plénitude.
Il faudrait souligner que l’évangélisation, l’œuvre de l’Église pour le royaume de Dieu, ne peut pas être séparée de sa foi en Jésus-Christ, en qui les chrétiens trouvent le Royaume «présent et accompli». L’évangélisation comprend les activités de présence et de témoignage de l’Église ; l’engagement en faveur du développement social et de la libération de l’homme ; le culte chrétien, la prière et la contemplation ; le dialogue interreligieux ; et la proclamation et la catéchèse.
Cette dernière activité de proclamation et de catéchèse – «l’invitation à un engagement de foi en Jésus-Christ et à entrer par le baptême dans la communauté de croyants qu’est l’Église» – est parfois considérée comme synonyme d’«évangélisation». Cependant, c’est une interprétation très étroite, qui n’est, en fait, qu’un des nombreux aspects de la «mission évangélisatrice» de l’Église au service du Royaume de Dieu. Les catholiques qui participent au dialogue interreligieux – partage de dons, mutuellement enrichissant, sans aucune intention d’inviter le partenaire du dialogue au baptême, ne témoignent donc pas moins de leur propre foi dans le Royaume de Dieu incarné en Christ. C’est une forme d’évangélisation, un moyen de s’engager dans la mission de l’Église.
L’évangélisation et le peuple juif
Le christianisme a une relation totalement unique avec le judaïsme, puisque « nos deux communautés religieuses sont liées et étroitement apparentées au niveau de leurs identités religieuses respectives. »
L’histoire du salut clarifie notre relation spéciale avec le peuple juif. Jésus appartient au peuple juif, et il a inauguré son Église à l’intérieur de la nation juive. Une grande partie des Saintes Écritures, que nous chrétiens lisons comme la parole de Dieu, constitue un patrimoine spirituel que nous partageons avec les Juifs. Par conséquent, toute attitude négative à leur égard doit être évitée, puisque « pour être une bénédiction pour le monde, Juifs et chrétiens doivent d’abord être une bénédiction les uns pour les autres.”
Dans le sillage de Nostra Aetate, il y a eu une appréciation catholique, toujours plus profonde, de nombreux aspects de notre lien spirituel unique avec les Juifs. De manière spécifique, l’Église catholique en est venue à reconnaître que sa mission de préparer la venue du royaume de Dieu est partagée avec le peuple juif, même si les Juifs n’ont pas la même conception christologique de cette tâche que celle de l’Église. Les Notes du Vatican (1985) observaient :
Attentifs au même Dieu qui a parlé, suspendus à la même parole, nous avons à témoigner d’une même mémoire et d’une commune espérance en Celui qui est le maître de l’histoire. Il faudrait ainsi que nous prenions notre responsabilité de préparer le monde à la venue du Messie, en oeuvrant ensemble pour la justice sociale, le respect des droits de la personne humaine et des nations, pour la réconciliation sociale et internationale. A cela nous sommes poussés, Juifs et Chrétiens, par le précepte de l’amour du prochain, une espérance commune du Règne de Dieu et le grand héritage des Prophètes.
Si donc l’Église partage une tâche centrale et déterminante avec le peuple juif, quelles sont les implications pour la proclamation chrétienne de la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ ? Les chrétiens devraient-ils inviter des Juifs au baptême ? C’est une question complexe, pas seulement en termes d’autodéfinition théologique chrétienne, mais aussi à cause de l’histoire des baptêmes forcés de Juifs par les chrétiens.
Dans une étude remarquable et toujours très pertinente, présentée à la sixième rencontre du Comité de liaison international catholico-juif, à Venise, il y a vingt-cinq ans, le Prof. Tommaso Federici examinait les implications missiologiques de Nostra Aetate. Sur des bases historiques et théologiques, il argumentait qu’il ne devrait y avoir dans l’Église aucune organisation, de quelque type que ce soit, dédiée à la conversion de Juifs. Telle a été la pratique de facto de l’Église catholique dans les années suivantes.
Plus récemment, le cardinal Walter Kasper, président de la Commission pontificale pour les relations religieuses avec les Juifs, expliquait cette pratique. Dans une déclaration formelle, faite d’abord à la dix-septième rencontre du Comité de liaison international catholico-juif en mai 2001, et répétée plus tard, la même année, à Jérusalem, le cardinal Kasper parlait de «mission», dans un sens étroit, pour signifier la «proclamation», ou l’invitation au baptême et la catéchèse. Il montrait pourquoi de telles initiatives ne s’adressaient pas de façon appropriée aux Juifs:
Au sens propre, le terme mission se réfère à la conversion de [la foi aux] faux dieux et idoles [à la foi] au Dieu vrai et unique, qui s’est révélé dans l’histoire du salut avec Son peuple élu. Au sens strict, mission ne peut donc pas être utilisé pour les Juifs, qui croient au Dieu unique et vrai. Aussi, et ceci est caractéristique, il y a un dialogue, mais aucune organisation missionnaire catholique pour les Juifs.
Comme nous l’avons dit précédemment, le dialogue n’est pas une simple information objective; le dialogue implique la personne tout entière. Dans le dialogue, les Juifs témoignent donc de leur foi, témoignent de ce qui les a soutenus dans les périodes sombres de leur histoire et de leur vie, et les chrétiens rendent compte de l’espoir qu’ils ont en Jésus-Christ. Ce faisant, ils sont très éloignés de toute forme de prosélytisme, mais ils peuvent apprendre les uns des autres et s’enrichir les uns les autres. Nous voulons tous partager nos plus profondes inquiétudes avec un monde souvent désorienté qui a besoin de tels témoignages et les recherche.
Du point de vue de l’Église catholique, le judaïsme est une religion qui découle de la révélation divine. Comme l’a noté le cardinal Kasper, «la grâce de Dieu, qui, selon notre foi, est la grâce de Jésus-Christ, est accessible à tous. Aussi l’Église croit-elle que le judaïsme, c’est-à-dire la réponse fidèle du peuple juif à l’alliance irrévocable de Dieu, est salvifique pour eux, parce que Dieu est fidèle à ses promesses.»
Cette déclaration à propos de l’alliance salvatrice de Dieu est tout à fait spécifique au judaïsme. Bien que l’Église catholique respecte toutes les traditions religieuses, et peut, par le dialogue avec elles, discerner les actions de l’Esprit Saint, et bien que nous croyions que la grâce infinie de Dieu est certainement accessible aux croyants d’autres fois, l’Église ne peut parler avec la certitude du témoignage biblique que de l’alliance d’Israël. Cela est dû au fait que les Ecritures d’Israël forment une partie de notre propre canon biblique et qu’elles ont une «valeur perpétuelle… qui n’a pas été annulée par l’interprétation postérieure du Nouveau Testament.»
Selon l’enseignement catholique romain, tant l’Église que le peuple juif se conforment à une alliance avec Dieu. Nous avons donc tous des missions devant Dieu à entreprendre dans le monde. L’Église croit que la mission du peuple juif ne se limite pas à son rôle comme peuple duquel Jésus est né «selon la chair» (Rm 9, 5) et d’où sont venus les apôtres. Comme l’a écrit récemment le cardinal Kasper, «la providence de Dieu… a manifestement confié à Israël une mission particulière en ce « temps des gentils ». Mais seul le peuple juif lui-même peut mener à bien sa mission «à la lumière de sa propre expérience religieuse.»
Néanmoins, l’Église réalise que la mission du peuple juif ad gentes (aux nations) continue. C’est une mission que l’Église poursuit aussi à sa façon selon sa compréhension de l’alliance. Le commandement de Jésus ressuscité, en Matthieu 28, 19, de faire des disciples «de toutes les nations» (en grec, ethnê, équivalent de l’hébreu goyim, c’est-à-dire les nations autres qu’Israël), signifie que l’Église doit témoigner dans le monde de la Bonne Nouvelle du Christ pour préparer le monde à la plénitude du Royaume de Dieu. Cependant cette tâche évangélisatrice n’inclut plus la volonté d’absorber la foi juive dans le christianisme et de mettre ainsi fin au témoignage spécifique que les Juifs rendent à Dieu dans l’histoire de l’humanité.
Ainsi, l’Église catholique, tout en considérant l’acte salvateur du Christ comme central dans le processus du salut pour toute l’humanité, reconnaît que les Juifs demeurent déjà dans une alliance salvatrice avec Dieu. L’Église catholique doit toujours évangéliser et témoignera toujours, devant les Juifs et tous les autres peuples, de sa foi en la présence du Royaume de Dieu en Jésus-Christ. Ce faisant, l’Église catholique respecte pleinement les principes de la liberté de religion et de conscience, de sorte que des conversions individuelles sincères, de toute tradition ou de tout peuple, y compris le peuple juif, seront bienvenues et acceptées.
Mais elle reconnaît maintenant que les Juifs sont aussi appelés par Dieu à préparer le monde au Royaume de Dieu. Leur témoignage du Royaume, qui ne tire pas son origine de l’expérience qu’a l’Église du Christ crucifié et ressuscité, ne doit pas être tronqué par la recherche de la conversion du peuple juif au christianisme. Le témoignage spécifique juif doit se maintenir, si les catholiques et les Juifs doivent vraiment être, comme annoncé, «une bénédiction les uns pour les autres». Cela est en accord avec la promesse divine, exprimée dans le Nouveau Testament, que les Juifs sont appelés à «servir Dieu sans crainte, dans la sainteté et la droiture devant Dieu tous les jours» (Luc 1, 74-75).
Avec le peuple juif, l’Église catholique, selon les termes de Nostra Aetate, «attend le jour, connu de Dieu seul, où tous les peuples invoqueront le Seigneur d’une seule voix et « le serviront sous un même joug » (So 3, 9 ; cf. Is 66, 23, Ps 65, 4 ; Rom 11, 11-32)».
REFLEXIONS JUIVES
La mission des Juifs et la perfection du monde
Dans la quête sans fin visant à donner sens à la vie, les communautés, tout comme les individus, cherchent à définir leur mission dans le monde. Il en va certainement de même des Juifs.
La mission des Juifs fait partie d’une triple mission, enracinée dans l’Écriture et développée dans les sources juives postérieures. Il y a d’abord la mission d’alliance : l’élan, toujours formateur pour la vie juive, qui résulte de l’alliance entre Dieu et les Juifs. Ensuite, la mission de témoignage, par laquelle les Juifs se voient eux-mêmes (et sont souvent vus par les autres) comme les témoins éternels, devant Dieu, de Son existence et de Sa force rédemptrice dans le monde. Enfin, la mission d’humanité, une mission qui comprend l’histoire biblique des Juifs comme porteuse d’un message qui n’est pas destiné aux seuls Juifs. Elle présuppose un message et une mission destinés à tous les êtres humains.
La mission d’alliance
Les Juifs sont la descendance d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, l’incarnation de l’alliance de Dieu avec ces ancêtres.
Après avoir été appelé par Dieu, non seulement Abraham entreprend un voyage vers la terre de Canaan, mais, quand il a quatre-vingt-dix-neuf ans, Dieu lui apparaît et lui dit : «Marche en ma présence et sois parfait. J’institue mon alliance entre moi et toi, et je t’accroîtrai extrêmement.» L’alliance est décrite comme «perpétuelle… pour être ton Dieu et celui de ta race après toi». L’alliance implique la Terre de Canaan qui est une possession perpétuelle. Il y a un symbole physique de l’alliance : la circoncision de tous les mâles le huitième jour de leur vie.
L’alliance est à la fois physique et spirituelle. Les Juifs sont un peuple physique. L’alliance est une alliance de la chair. La Terre est un lieu physique. Mais c’est aussi une alliance de l’esprit car elle est liée à la «marche en Sa présence».
Les Juifs sont un peuple appelé à l’existence par Dieu, dans un choix d’amour. Pourquoi Dieu ferait-il une telle chose ? La Torah nous conte l’histoire d’un Dieu unique qui, si différent du Dieu d’Aristote, ne se contenta pas de se contempler lui-même. C’est un grand mystère, mais Dieu, qui dépasse essentiellement notre capacité d’entendement, a voulu faire accéder le monde à l’existence. Il a donné à ses créatures un seul commandement, de ne pas manger d’un certain fruit du Jardin d’Eden. Que font-elles ? Bien sûr, elles mangent ce fruit.
Ainsi, Dieu, qui avait décidé de partager son être ineffable, fut rejeté. Il ne fallut pas attendre longtemps pour que la terre se corrompe devant Dieu. Alors, Il recommence, détruisant la création, réunissant les eaux primordiales et ne laissant subsister que Noé et sa famille. Mais cela ne marche pas non plus, car, à peine Noé est-il sorti de l’Arche, qu’il se saoule et se découvre. Nouvel échec – jusqu’à ce que la Torah commence le récit qui marche, qui est le cœur de la saga biblique : le récit d’Abraham et de sa descendance, les Juifs.
L’alliance n’est pas une simple promesse ou une exhortation générale à la perfection. Quand le peuple d’Israël est devenu une énorme communauté et a souffert sous le servage de Pharaon, le peuple est racheté d’Egypte par des miracles extraordinaires. Ils viennent au Sinaï et l’alliance acquiert son contenu : les lois et statuts qui sont donnés là, puis sous la Tente de la Rencontre.
« Vous avez vu vous-mêmes ce que j’ai fait aux Égyptiens, et comment je vous ai emportés sur des ailes d’aigles et amenés vers moi. Maintenant, si vous écoutez ma voix et gardez mon alliance, je vous tiendrai pour mon bien propre parmi tous les peuples, car toute la terre est à moi. Je vous tiendrai pour un royaume de prêtres, une nation sainte. »
Pour les Juifs, ce n’est pas de la flatterie divine, mais le fardeau de l’obligation divine. Telle est donc la définition théologique des Juifs : un peuple physique appelé à vivre dans une relation spéciale avec Dieu. Cette relation a un contenu spécifique. Il y a des récompenses pour son observance et des punitions pour son abandon.
Une telle vision des Juifs ne correspond pas aux définitions sociologiques normales d’un peuple, d’une communauté ou d’une famille. Il est même possible que la plupart des Juifs seraient gênés de cette sociologie théologique. D’habitude, on préfère présenter les Juifs soit comme un groupe ethnique, soit comme une communauté religieuse non liée à un peuple. Mais ce n’est pas la notion des Juifs dans la Bible et dans la littérature juive ultérieure. Les Juifs sont, pour le meilleur ou pour le pire, pour la richesse ou la pauvreté, partenaires de Dieu, dans un roman, parfois tumultueux et parfois idyllique, dans un mariage d’amour qui lie ensemble Dieu et le peuple d’Israël pour toujours et donne son sens le plus profond possible à l’existence juive.
La conséquence pratique de tout cela, c’est que la première mission des Juifs est pour les Juifs. Cela signifie que la communauté juive est vouée à préserver son identité. Comme cela ne va pas toujours de soi, c’est la raison pour laquelle les Juifs parlent constamment des forces institutionnelles et de la capacité, qu’a la communauté, d’éduquer ses enfants. Cela crée une horreur du mariage mixte. Cela explique la passion pour l’étude de la Torah. Les enjeux sont élevés, dans la vie juive, et pour ne pas abandonner Dieu, la communauté juivdépense une grande quantité d’énergie à veiller à ce que la communauté d’alliance réussisse.
La mission de témoignage
Isaïe parle d’un rôle que jouent les Juifs et qui les dépasse. «C’est vous qui êtes mes témoins, oracle de [L'Eternel], vous êtes le serviteur que je me suis choisi.»
Les Juifs sont Ses témoins, qui témoignent qu’il y a, dans le monde, un Dieu qui est Créateur, qu’Il est unique et que les idoles n’ont pas de pouvoir – «Oui, devant moi tout genou fléchira, par moi jurera toute langue» -, et que la puissance de Dieu est une puissance rédemptrice, plus imposante que ce que les êtres humains peuvent concevoir.
Comment se manifeste la puissance de Dieu ? Dans la vie des nations, y compris dans la chute et le relèvement de la nation d’Israël. Et il est bien connu, par la Torah et les livres prophétiques, que la souffrance d’Israël est comprise comme un témoignage de l’alliance de Dieu avec Israël.
Ce qui n’est pas compris, en tout cas pas assez, c’est que Dieu veut que les nations voient la rédemption d’Israël et en soient impressionnées. C’est, par exemple, ce que Dieu veut que voient Pharaon et les Égyptiens. Il ne suffit apparemment pas de se contenter de racheter le peuple d’Israël de l’esclavage. Il est prévu que la rédemption soit publique, pleine de signes et de miracles. Car elle doit apprendre à la grande nation d’Égypte la puissance, la gloire et l’intérêt qu’a le Dieu d’Israël à racheter des esclaves.
C’est aussi dans ce sens que le prophète Isaïe parle des Juifs comme de la « lumière des nations ». «Je relève les tribus de Jacob et ramène les survivants d’Israël. Je fais de toi la lumière des nations pour que mon salut atteigne les extrémités de la terre.» Les nations regarderont et verront la rédemption du peuple d’Israël, et elles seront surprises. Elles apprendront ainsi, si elles ne l’avaient pas fait auparavant, que le Seigneur, Dieu d’Israël, rend Sa terre à Son peuple.
Le messager de joie pour Sion dit: «Que toute vallée soit comblée, toute montagne et toute colline abaissées, que les lieux accidentés se changent en plaine et les escarpements en large vallée». Ce n’est pas de la rhétorique à propos d’une quelconque manifestation mystique de Dieu transformant la nature. C’est une image vigoureuse qui parle de la création d’une grande route extraordinaire qui doit ramener les exilés dans leur pays.
Alors que nous passons beaucoup de temps à penser à nos péchés, ce n’est pas la souffrance qui est le message de Dieu. Le message de Dieu est le pouvoir du repentir et le pouvoir de Son amour manifesté dans la rédemption d’Israël. Aussi, l’un des besoins majeurs de la théologie est-il de se détacher du message de souffrance. Le grand message de Dieu est la puissance de la rédemption. Le grand espoir des Juifs est leur rédemption et la reconstruction de leur État-nation. Le témoignage à rendre est celui de Dieu qui rachète son peuple.
La mission d’humanité
Le message de la Bible n’est pas un message et une vision uniquement pour les Juifs, mais aussi pour toute l’humanité. Isaïe parle, à deux reprises, des Juifs comme lumière des peuples, et nous avons déjà fait référence à cette citation du chapitre 49. Que veut-il dire d’autre quand il parle des Juifs comme «peuple d’alliance et lumière des nations» ? Le commentateur médiéval, David Kimhi, voit, dans la lumière qui s’avance, la lumière qui sort de Sion. Comme le message de la Torah est paix, la lumière qui s’avance est porteuse du message de bénédiction de la paix qui devrait régner dans le monde entier. La vision messianique est : «Il annoncera la paix aux nations.» Ainsi, Isaïe note qu’en ces temps-là, «Il jugera entre les nations, il sera l’arbitre de peuples nombreux. Ils briseront leurs épées pour en faire des socs et leurs lances pour en faire des serpes.»
C’est une erreur de penser, comme Jonas, que Dieu ne s’occupe que des Juifs. Quand il est invité à aller à Ninive, une grande ville païenne, Jonas refuse l’ordre de Dieu d’inviter les gens de Ninive à se repentir. Ce n’est que par la souffrance qu’il apprend que la parole de Dieu est aussi destinée aux Ninivites. Finalement, il y va, et les gens de Ninive proclament un jeûne. Petits et grands revêtent un sac, même le roi. Ils ne se contentèrent pas de jeûner, puisque la Bible dit qu’«ils se détournèrent de leur conduite mauvaise».
Alors qu’on eût pu penser que Jonas serait transporté par son succès, il est désespéré – et il y a probablement deux raisons à cela. D’abord il croyait que le péché devrait être puni et que la miséricorde de Dieu ne devrait pas exclure le châtiment. Ensuite, qui étaient les gens de Ninive ? Quel droit avaient-ils d’attendre l’intérêt personnel de Dieu et son amour indulgent ?
Jonas quitte la ville et s’assied à l’est, faisant une hutte et s’asseyant à son ombre. Et le Seigneur fait pousser un ricin au-dessus de lui, pour donner de l’ombre à sa tête. Jonas était si heureux ! Jusqu’à ce qu’à l’aube du lendemain, Dieu fît qu’un ver attaqua la plante jusqu’à ce qu’elle sèche. Puis, Dieu amena un léger vent d’est, et le soleil s’abattit sur la tête de Jonas jusqu’à ce qu’il défaille. Et il voulut mourir.
Alors Dieu dit à Jonas: «As-tu raison de te fâcher pour ce ricin ?… Toi, tu as de la peine pour ce ricin qui ne t’a coûté aucun travail et que tu n’as pas fait grandir, qui a poussé en une nuit et en une nuit a péri. Et moi, je ne serais pas en peine pour Ninive, la grande ville, où il y a plus de cent vingt mille êtres humains qui ne distinguent pas leur droite de leur gauche, ainsi qu’une foule d’animaux!»
Le Dieu de la Bible est le Dieu du monde. Ses visions sont des visions pour toute l’humanité. Son amour est un amour qui s’étend à toutes les créatures.
L’homme souffrant des Écritures, Job, n’est nullement présenté comme un Juif. Est-ce étonnant ? La souffrance de l’humanité n’est l’apanage d’aucun peuple en particulier. L’alliance peut faire, de cette question, une question particulièrement troublante pour les Juifs, mais chacun de nous essaye d’arriver à une solution du problème du juste qui souffre. Job est un être humain universel. L’appel que Dieu lui adresse, du sein de la tornade, est l’appel que Dieu adresse, dans le monde entier, aux justes qui essayent de comprendre le sens de leur destin.
Le Dieu qui a aimé Abraham – «Et toi, Israël, mon serviteur, Jacob, que j’ai choisi, race d’Abraham, mon ami» – aime tous les peuples. Car il est le Créateur du monde. Adam et Ève étaient Ses premières créatures et ils ont été créés bien avant les premiers Juifs. Ils ont été créés à «l’image de Dieu», comme tous leurs enfants, pour l’éternité. Seule la créature humaine est à l’image de Dieu.
Dieu a créé le monde avec un seul être originel, dit le Talmud, pour enseigner que quiconque détruit une seule âme, c’est comme s’il détruisait le monde entier. Quiconque sauve une seule âme, c’est comme s’il sauvait le monde entier. Cela enseigne le concept de paix dans le monde, de sorte que nul ne devrait dire : mon père est plus grand que ton père.
«N’êtes-vous pas pour moi comme des Kushites, enfants d’Israël ? – oracle de [L'Eternel] – N’ai-je pas fait monter Israël du pays d’Égypte, et les Philistins de Kaphtor et les Araméens de Qir ?» Tous sont le peuple de Dieu.
Quand Abraham soulève devant Dieu la question de la justice divine et de la pitié, il prend la défense des gens de Sodome, un groupe mauvais. Abraham conçoit sa mise en cause de Dieu en termes d’action juste de Dieu. L’innocent ne devrait pas souffrir. Et la mise en cause ne résulte d’aucune relation spéciale découlant de l’alliance de Dieu avec les Juifs. La Bible considère plutôt qu’il y a une justice et une pitié divines qui l’emportent dans le monde entier.
Quand Amos demande : «que le droit coule comme de l’eau, et la justice, comme un torrent qui ne tarit pas», c’est parce qu’il y a un Dieu du monde entier qui l’appelle à la justice. Quand Isaïe demande, de manière rhétorique, quelle est la signification du jeûne religieux, il répond que Dieu souhaite que les être humains «défassent les chaînes injustes, délient les liens du joug; renvoient libres les opprimés, et brisent tous les jougs. [En quoi consiste le jeûne, si ce n'est à] partager ton pain avec l’affamé, héberger chez toi les pauvres sans abri, si tu vois un homme nu, le vêtir, ne pas te dérober devant celui qui est ta propre chair?»
Le judaïsme considère que tous les peuples sont obligés d’observer une loi universelle. Cette loi, appelée les Sept Commandements de Noé, s’applique à tous les êtres humains. Ces lois sont : 1) l’établissement de cours de justice de sorte que la loi gouverne la société, 2) la prohibition du blasphème, 3) de l’idolâtrie, 4) de l’inceste, 5) de l’effusion de sang, 6) du vol, 7) et la consommation de la chair d’un animal vivant.
Malgré le fait de l’alliance, Maïmonide et les dcisionnaires postérieurs affirment que «les hommes pieux de toutes les nations du monde ont une place dans le monde à venir».
Aussi, dans le judaïsme, la valeur absolue des êtres humains, leur création à l’image de Dieu, de même que la préoccupation primordiale de Dieu pour la justice et la pitié sont à la base d’une communauté universelle des créatures, une communauté appelée à répondre à l’amour de Dieu en aimant les autres êtres humains, en mettant en place des structures sociales qui privilégient la pratique de la justice et de la miséricorde, et en s’engageant sans fin dans la quête religieuse de la guérison du monde brisé.
Une des prières centrales du judaïsme l’exprime comme suit :
«Nous espérons en toi, Seigneur notre Dieu, pour voir rapidement la beauté de ta puissance, pour que les idoles disparaissent de la terre et que les faux dieux soient détruits, pour parfaire le monde et en faire le Royaume du Tout-Puissant, où toute chair invoquera ton nom, où tous les méchants de la terre se tourneront vers toi.»
Letaqen ‘olam bemalkhut Shaddai, parfaire le monde par le Royaume du Tout-Puissant. Tiqun ha-‘olam, parfaire ou réparer le monde est une tâche commune aux Juifs et à toute l’humanité. Bien que les Juifs se considèrent comme vivant dans un monde qui n’est pas encore racheté, Dieu veut que ses créatures participent à la réparation du monde.
Chrétiens et Juifs
Après l’examen de la triple notion de « mission » dans le judaïsme classique, il y a quelques conclusions pratiques qui en découlent, conclusions qui suggèrent aussi un programme d’action commune pour les chrétiens et pour les Juifs.
Il devrait être évident que toute mission des chrétiens concernant les Juifs est en opposition directe avec la notion juive que l’alliance elle-même est cette mission. En même temps, il est important de souligner que, malgré l’alliance, les nations du monde n’ont pas besoin d’embrasser le judaïsme. Tandis qu’il y a des vérités théologiques comme la foi en l’unicité de Dieu, et des vertus sociales pratiques qui mènent à la création d’une société bonne, qu’il est possible à l’humanité tout entière de pratiquer, le judaïsme n’est pas indispensable pour racheter l’individu ou la société. Les hommes pieux de toutes les nations du monde ont une place dans le monde à venir.
Cependant, l’idée que le monde a besoin de perfection est importante également. Alors que chrétiens et Juifs comprennent de manière très différente l’espoir messianique impliqué dans cette perfection, que nous attendions encore le messie – comme le croient les Juifs – ou la seconde venue du messie – comme le croient les chrétiens -, nous partageons la foi que nous vivons dans un monde non encore racheté, qui rêve de réparation.
Pourquoi ne pas mettre au point un programme commun ? Pourquoi ne pas unir nos forces spirituelles pour affirmer et agir, en nous appuyant sur les valeurs qui nous sont communes et qui mènent à la réparation du monde non racheté ? Nous avons collaboré, dans le passé, en faisant avancer la cause de la justice sociale. Nous avons marché ensemble pour les droits civils ; nous nous sommes faits les champions de la cause des travailleurs et des ouvriers agricoles ; nous avons adressé des pétitions à notre gouvernement pour qu’il subvienne aux besoins des pauvres et des sans-abri ; et nous avons appelé le dirigeant de notre pays à rechercher le désarmement nucléaire. Ce ne sont que quelques-unes des questions que nous avons traitées en accord les uns avec les autres, Juifs et chrétiens.
Pour montrer ce que nous pourrions encore faire ensemble, examinons, dans le judaïsme classique, quelques manières concrètes de prendre des idées théologiques et de les transformer en modes de vie. Et si elles peuvent constituer des pierres d’un pavement sur lequel nous pouvons marcher ensemble, alors, nous serons capables de construire une grande route que nous emprunterons ensemble et qui mène à la réparation du monde et sa perfection.
Quelques pensées talmudiques sur la réparation du monde
Même si la préoccupation prophétique du sort du nécessiteux est bien connu, il faut souligner que c’est dans le Talmud que les détails de la bonne action sont exposés de telle façon qu’ils deviennent les pierres angulaires de la vie.
La Tzedakah (aumône) et les actes de miséricorde pèsent dans la balance aussi lourd que tous les commandements de la Torah. L’obligation de l’aumône a pour objet le pauvre, et les actes de miséricorde ont pour objets le pauvre et le riche. L’aumône a pour objets les vivants, et les actes de miséricorde ont pour objet les vivants et les morts. L’aumône fait appel à notre argent, alors que les actes de miséricorde font appel à notre argent mais aussi à notre être.
Déjà, à l’époque du Talmud, des institutions charitables pour s’occuper des pauvres étaient une part fondamentale et essentielle de la vie de la communauté. Quand, par exemple, la Mishnah enseigne qu’un Juif doit célébrer le seder de Pâque avec quatre coupes de vin, elle note que l’allocation publique (tamhui) doit fournir ce vin au pauvre. Le pauvre doit célébrer et éprouver la dignité d’être un peuple libre – et c’est de la responsabilité de la communauté. Mais même si les institutions charitables sont un élément central de la vie de la communauté, Maïmonide affirme que la forme la plus élevée de la charité est de permettre à quelqu’un de gagner sa vie.
L’énorme section du Talmud qui traite de la loi civile et criminelle, Neziqin ou Dommages, stipule et protège la compensation des ouvriers. Elle donne une forme concrète aux interdits de la Torah contre l’usure et étend les lois qui interdisent l’usure, pour y inclure de nombreux types de transactions financières qui semblent être de l’usure, même si elles ne le sont pas. Tout cela a pour but de créer une économie où les gens sont encouragés à s’aider les uns les autres financièrement, comme expression de leur communauté, plutôt que d’indiquer une façon de gagner de l’argent. Des instruments financiers sont créés pour permettre aux désargentés de devenir partenaires des autres plutôt qu’emprunteurs – ce qui est une autre manière de protéger la dignité humaine et d’encourager le développement d’une société où cette dignité se manifeste dans la vie de tous les jours.
Les actes de bonté requis et développés en détail par la loi comprennent l’obligation de visiter les maladies et de réconforter les gens en deuil. Les Juifs doivent racheter les captifs et fournir des dots, enterrer les morts et accueillir les gens à leur table. Le Talmud détaille l’obligation faite aux Juifs de respecter les personnes âgées. «Se lever» et manifester des signes particuliers de respect, sont des réponses aux problèmes physiques de l’âge. Quand le sentiment de dignité d’une personne diminue, la communauté est invitée à renforcer la dignité de l’individu.
Bien sûr, la loi juive concerne les Juifs, et son premier souci est d’encourager l’expression de l’amour envers les membres de la communauté. Elle ne traite pas de sentiments mais principalement d’actions. Mais il est important de noter que beaucoup de ces actions sont obligatoires envers tous les hommes. Ainsi le Talmud dit : «Il faut subvenir aux besoins du pauvre non juif comme du pauvre juif. Il faut visiter le malade non juif comme on visite le malade juif. Il faut s’occuper de l’enterrement d’un non-Juif comme il faut s’occuper de l’enterrement d’un Juif. [Ces obligations sont universelles] parce qu’elles sont les voies de la paix.»
Les voies de la paix de la Torah constituent une réponse concrète à la création sacrée de l’humanité à l’image de Dieu. Elles aident à parfaire le monde pour en faire le Royaume du Tout-Puissant.
L’humanité n’a-t-elle pas besoin d’un chemin commun qui cherche les voies de la paix ? L’humanité n’a-t-elle pas besoin d’une vision commune de la nature sacrée de notre existence humaine, que nous puissions enseigner à nos enfants et que nous puissions promouvoir dans nos communautés pour servir les voies de la paix ? L’humanité n’a-t-elle pas besoin d’un engagement de ses dirigeants religieux dans chaque religion et au-delà de chaque religion, pour se donner la main et créer des liens qui inspireront et guideront l’humanité vers sa promesse sacrée ? Pour les Juifs et les chrétiens qui ont entendu l’appel de Dieu à être une bénédiction et une lumière pour le monde, le défi et la mission sont clairs.
Ce qui est exigé de nous est rien moins que cela – et c’est le vrai sens de la mission à laquelle nous devons tous participer.
Première mise en ligne le 6 octobre 2002 sur le site de CJE, mise à jour le 11 novembre 2005 sur le site convertissez-vous.com.
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