LA FOI ET L’ÉMOTION

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Traduit par Isabelle

LA FOI ET L’ÉMOTION

Par David G. Bonagura, Jr., 2014

« Je ne sens rien quand je prie. » « Je m’ennuie à la messe. » « Quand je parle à Dieu, je n’ai pas le sentiment que quelqu’un m’écoute. » Ces plaintes, expérimentées un jour ou l’autre aussi bien par les gens pieux que par ceux qui sont perdus, s’élèvent du cœur même de la praxis chrétienne. Elles expriment le désir humain bien naturel de vibrer d’émotion sensible dans la prière, expérience qui manque à beaucoup, surtout quand on a la foi depuis longtemps.
L’émotion en tant que réalité de l’expérience humaine, a un rôle au sein de la vie de foi. Les écritures elles-mêmes expriment tout un panthéon de sentiments humains : la joie et la peine, la gratitude et la jalousie, la confiance et le doute, l’amour et la haine font tous partie de l’économie divine du salut parce que, chacun à sa manière, nous met en contact avec Dieu. Mais il est critique pour les croyants de comprendre que leurs émotions ne sont qu’un aspect du contexte plus large de leur foi et de leur relation à Dieu – et ne sont pas constitutives de leur foi.
Du fait de l’importance et de la puissance des sentiments, la tentation a toujours existé, souvent dans une bonne intention, de réduire la foi à l’émotion et à l’expérience. Au 19° siècle, Friedrich Schleiermacher déclarait : « La foi n’est rien d’autre que l’expérience naissante de la satisfaction par le Christ d’un besoin spirituel. » De nos jours les « messes de jeunes » tentent de rendre vraie la définition de Schleiermacher parmi les jeunes par des exclamations excitées et de la musique contemporaine. D’autres messes sont au bord de la sentimentalité avec des chants exagérément sirupeux tels que « Me voici Seigneur » et Tu es mien ». Alors, nous sommes censés sentir la présence du Christ et lui répondre dans la Foi.
Ces expériences personnelles et ces sentiments peuvent en effet attiser la foi, mais elles ne peuvent pas être les seuls piliers de notre vie spirituelle parce que les émotions ne sont pas l’essence de la foi. La foi repose plutôt sur un Dieu d’amour qui n’est pas le produit de nos désirs subjectifs mais un être réel et indépendant qui nous appelle à nous unir à Lui à travers la révélation de Son Fils. La foi implique que nous reconnaissions et acceptions la révélation. La réponse que nous faisons à Dieu peut être stimulée et accompagnée par un étalage de sentiments, mais c’est avec notre intellect que nous adhérons à Dieu et à sa volonté. C’est pour cette raison que Saint Thomas d’Aquin a classé la foi comme une vertu intellectuelle :
« Croire est une action de l’intellect qui adhère à la vérité par un acte de volonté. »
L’intellect est premier parce qu’il accepte ce qui vient de Dieu, et pourtant il le fait par l’insistance
de la volonté, qui peut être mûe par la puissance d’expériences religieuses. Ces expériences, si elles sont correctement intégrées dans les contours de la foi, peuvent contribuer au futur développement de notre relation à Dieu.
Mais comme la foi est du domaine de l’intellect, nous n’avons pas besoin de nous inquiéter ou de douter quand l’émotion ou le sentiment religieux déclinent ou même disparaissent de nos vies comme cela arrive inévitablement. L’aridité spirituelle – le fait de ne rien sentir dans sa vie de foi – est un évènement normal de la vie spirituelle, et cela peut être temporaire, ou prolongé. Les saints qui, pour bon nombre d’entre eux ont enduré une douloureuse aridité spirituelle pendant des dizaines d’années, nous enseignent que l’absence de sentiment religieux est la manière qu’a Dieu de purifier notre foi qui repose en définitive, non pas sur l’émotion, mais sur notre confiance dans l’autorité de la parole de Dieu.
Souvent, la foi au fond de nous, est mue par une profonde expérience qui nous propulse joyeusement dans notre relation à Dieu. Mais, alors que la puissance de ces expériences décline avec le temps, nous sommes obligés de faire confiance au fait que nous demeurons en communion avec Dieu, alors même que Sa présence semble disparaître. Notre situation se rapproche de celle des apôtres : pendant 3 ans, ils ont expérimenté directement la présence du Christ, et la joie et la sécurité qu’elle leur apportait. Mais après sa mort et sa résurrection, ils ont appris (grâce à Thomas) que ce n’est pas le sentiment, mais la confiance pure qui constitue la foi. « Tu as cru parce que tu avais vu. Bienheureux celui qui croit sans avoir vu. » (Jean XX 29)
Parce que Dieu est réel et non le produit de nos émotions, nous savons qu’Il entend nos prières, et qu’il nous est présent, même si nous ne Le « sentons » pas. Nos cœurs impatients doivent continuer à tendre vers Dieu sachant que Lui seul est leur terme et leur accomplissement. On montre souvent le contraste entre le culte catholique, plus stoïque, et l’énergie de certains offices protestants. Les différents styles sont des chemins de foi ; Le sentiment religieux en soi ne constitue ni ne mesure la foi qui règne dans la communauté ou dans les individus. La vraie vitalité de notre foi dépend du degré de notre confiance en Dieu, et de notre adhésion à la Révélation. Quand notre confiance et notre adhésion sont assez fortes pour que nous nous donnions entièrement à Dieu, alors nous avons dans notre cœur l’amour de Dieu. Et l’amour n’est pas seulement un sentiment, il est aussi action et engagement.
Le Père Gabriel, carme à Sainte Marie Magdeleine, écrit que « ce n’est pas la joie que l’âme peut éprouver qui enflamme notre amour, mais plutôt la ferme détermination de notre volonté de se donner entièrement à Dieu ». La foi nous unit à l’amour de Dieu. Inutile de nous tourmenter du manque d’émotion religieuse dans notre vie, et inutile de penser que notre expérience religieuse privilégiée devrait être partagée par tout le monde. L’amour vrai résiste au flux de toutes les émotions parce qu’il est ancré dans l’espérance en Dieu qui nous a faits pour Lui.

David Bonagura, professeur de théologie au séminaire Saint Joseph à New à New York

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