Archive pour le 8 mai, 2014
LA FOI ET L’ÉMOTION
8 mai, 2014http://www.france-catholique.fr/La-foi-et-l-emotion.html
Traduit par Isabelle
LA FOI ET L’ÉMOTION
Par David G. Bonagura, Jr., 2014
« Je ne sens rien quand je prie. » « Je m’ennuie à la messe. » « Quand je parle à Dieu, je n’ai pas le sentiment que quelqu’un m’écoute. » Ces plaintes, expérimentées un jour ou l’autre aussi bien par les gens pieux que par ceux qui sont perdus, s’élèvent du cœur même de la praxis chrétienne. Elles expriment le désir humain bien naturel de vibrer d’émotion sensible dans la prière, expérience qui manque à beaucoup, surtout quand on a la foi depuis longtemps.
L’émotion en tant que réalité de l’expérience humaine, a un rôle au sein de la vie de foi. Les écritures elles-mêmes expriment tout un panthéon de sentiments humains : la joie et la peine, la gratitude et la jalousie, la confiance et le doute, l’amour et la haine font tous partie de l’économie divine du salut parce que, chacun à sa manière, nous met en contact avec Dieu. Mais il est critique pour les croyants de comprendre que leurs émotions ne sont qu’un aspect du contexte plus large de leur foi et de leur relation à Dieu – et ne sont pas constitutives de leur foi.
Du fait de l’importance et de la puissance des sentiments, la tentation a toujours existé, souvent dans une bonne intention, de réduire la foi à l’émotion et à l’expérience. Au 19° siècle, Friedrich Schleiermacher déclarait : « La foi n’est rien d’autre que l’expérience naissante de la satisfaction par le Christ d’un besoin spirituel. » De nos jours les « messes de jeunes » tentent de rendre vraie la définition de Schleiermacher parmi les jeunes par des exclamations excitées et de la musique contemporaine. D’autres messes sont au bord de la sentimentalité avec des chants exagérément sirupeux tels que « Me voici Seigneur » et Tu es mien ». Alors, nous sommes censés sentir la présence du Christ et lui répondre dans la Foi.
Ces expériences personnelles et ces sentiments peuvent en effet attiser la foi, mais elles ne peuvent pas être les seuls piliers de notre vie spirituelle parce que les émotions ne sont pas l’essence de la foi. La foi repose plutôt sur un Dieu d’amour qui n’est pas le produit de nos désirs subjectifs mais un être réel et indépendant qui nous appelle à nous unir à Lui à travers la révélation de Son Fils. La foi implique que nous reconnaissions et acceptions la révélation. La réponse que nous faisons à Dieu peut être stimulée et accompagnée par un étalage de sentiments, mais c’est avec notre intellect que nous adhérons à Dieu et à sa volonté. C’est pour cette raison que Saint Thomas d’Aquin a classé la foi comme une vertu intellectuelle :
« Croire est une action de l’intellect qui adhère à la vérité par un acte de volonté. »
L’intellect est premier parce qu’il accepte ce qui vient de Dieu, et pourtant il le fait par l’insistance
de la volonté, qui peut être mûe par la puissance d’expériences religieuses. Ces expériences, si elles sont correctement intégrées dans les contours de la foi, peuvent contribuer au futur développement de notre relation à Dieu.
Mais comme la foi est du domaine de l’intellect, nous n’avons pas besoin de nous inquiéter ou de douter quand l’émotion ou le sentiment religieux déclinent ou même disparaissent de nos vies comme cela arrive inévitablement. L’aridité spirituelle – le fait de ne rien sentir dans sa vie de foi – est un évènement normal de la vie spirituelle, et cela peut être temporaire, ou prolongé. Les saints qui, pour bon nombre d’entre eux ont enduré une douloureuse aridité spirituelle pendant des dizaines d’années, nous enseignent que l’absence de sentiment religieux est la manière qu’a Dieu de purifier notre foi qui repose en définitive, non pas sur l’émotion, mais sur notre confiance dans l’autorité de la parole de Dieu.
Souvent, la foi au fond de nous, est mue par une profonde expérience qui nous propulse joyeusement dans notre relation à Dieu. Mais, alors que la puissance de ces expériences décline avec le temps, nous sommes obligés de faire confiance au fait que nous demeurons en communion avec Dieu, alors même que Sa présence semble disparaître. Notre situation se rapproche de celle des apôtres : pendant 3 ans, ils ont expérimenté directement la présence du Christ, et la joie et la sécurité qu’elle leur apportait. Mais après sa mort et sa résurrection, ils ont appris (grâce à Thomas) que ce n’est pas le sentiment, mais la confiance pure qui constitue la foi. « Tu as cru parce que tu avais vu. Bienheureux celui qui croit sans avoir vu. » (Jean XX 29)
Parce que Dieu est réel et non le produit de nos émotions, nous savons qu’Il entend nos prières, et qu’il nous est présent, même si nous ne Le « sentons » pas. Nos cœurs impatients doivent continuer à tendre vers Dieu sachant que Lui seul est leur terme et leur accomplissement. On montre souvent le contraste entre le culte catholique, plus stoïque, et l’énergie de certains offices protestants. Les différents styles sont des chemins de foi ; Le sentiment religieux en soi ne constitue ni ne mesure la foi qui règne dans la communauté ou dans les individus. La vraie vitalité de notre foi dépend du degré de notre confiance en Dieu, et de notre adhésion à la Révélation. Quand notre confiance et notre adhésion sont assez fortes pour que nous nous donnions entièrement à Dieu, alors nous avons dans notre cœur l’amour de Dieu. Et l’amour n’est pas seulement un sentiment, il est aussi action et engagement.
Le Père Gabriel, carme à Sainte Marie Magdeleine, écrit que « ce n’est pas la joie que l’âme peut éprouver qui enflamme notre amour, mais plutôt la ferme détermination de notre volonté de se donner entièrement à Dieu ». La foi nous unit à l’amour de Dieu. Inutile de nous tourmenter du manque d’émotion religieuse dans notre vie, et inutile de penser que notre expérience religieuse privilégiée devrait être partagée par tout le monde. L’amour vrai résiste au flux de toutes les émotions parce qu’il est ancré dans l’espérance en Dieu qui nous a faits pour Lui.
David Bonagura, professeur de théologie au séminaire Saint Joseph à New à New York
BENOÎT XVI : ART ET PRIÈRE
8 mai, 2014BENOÎT XVI
AUDIENCE GÉNÉRALE
Castel Gandolfo
Mercredi 31 août 2011
ART ET PRIÈRE
Chers frères et sœurs,
Ces derniers temps, j’ai rappelé à plusieurs reprises la nécessité pour chaque chrétien de trouver du temps pour Dieu, pour la prière, parmi les nombreuses préoccupations qui remplissent nos journées. Le Seigneur lui-même nous offre de nombreuses occasions pour que nous nous souvenions de Lui. Aujourd’hui, je voudrais m’arrêter brièvement sur l’une des voies qui peuvent nous conduire à Dieu et nous aider également à le rencontrer: c’est la voie des expressions artistiques, qui font partie de la via pulchritudinis — «voie de la beauté» — dont j’ai parlé à plusieurs reprises et dont l’homme d’aujourd’hui devrait retrouver la signification la plus profonde.
Il vous est sans doute parfois arrivé, devant une sculpture ou un tableau, les vers d’une poésie ou en écoutant un morceau de musique, d’éprouver une émotion intime, un sentiment de joie, c’est-à-dire de ressentir clairement qu’en face de vous, il n’y avait pas seulement une matière, un morceau de marbre ou de bronze, une toile peinte, un ensemble de lettres ou un ensemble de sons, mais quelque chose de plus grand, quelque chose qui «parle», capable de toucher le cœur, de communiquer un message, d’élever l’âme. Une œuvre d’art est le fruit de la capacité créative de l’être humain, qui s’interroge devant la réalité visible, s’efforce d’en découvrir le sens profond et de le communiquer à travers le langage des formes, des couleurs, des sons. L’art est capable d’exprimer et de rendre visible le besoin de l’homme d’aller au-delà de ce qui se voit, il manifeste la soif et la recherche de l’infini. Bien plus, il est comme une porte ouverte vers l’infini, vers une beauté et une vérité qui vont au-delà du quotidien. Et une œuvre d’art peut ouvrir les yeux de l’esprit et du cœur, en nous élevant vers le haut.
Mais il existe des expressions artistiques qui sont de véritables chemins vers Dieu, la Beauté suprême, et qui aident même à croître dans notre relation avec Lui, dans la prière. Il s’agit des œuvres qui naissent de la foi et qui expriment la foi. Nous pouvons en voir un exemple lorsque nous visitons une cathédrale gothique: nous sommes saisis par les lignes verticales qui s’élèvent vers le ciel et qui attirent notre regard et notre esprit vers le haut, tandis que, dans le même temps, nous nous sentons petits, et pourtant avides de plénitude… Ou lorsque nous entrons dans une église romane: nous sommes invités de façon spontanée au recueillement et à la prière. Nous percevons que dans ces splendides édifices, est comme contenue la foi de générations entières. Ou encore, lorsque nous écoutons un morceau de musique sacrée qui fait vibrer les cordes de notre cœur, notre âme est comme dilatée et s’adresse plus facilement à Dieu. Il me revient à l’esprit un concert de musiques de Jean Sébastien Bach, à Munich, dirigé par Leonard Berstein. Au terme du dernier morceau, l’une des Cantate, je ressentis, non pas de façon raisonnée, mais au plus profond de mon cœur, que ce que j’avais écouté m’avait transmis la vérité, la vérité du suprême compositeur, et me poussait à rendre grâce à Dieu. A côté de moi se tenait l’évêque luthérien de Munich et, spontanément, je lui dis: «En écoutant cela, on comprend que c’est vrai; une foi aussi forte est vraie, de même que la beauté qui exprime de façon irrésistible la présence de la vérité de Dieu. Mais combien de fois des tableaux ou des fresques, fruit de la foi de l’artiste, dans leurs formes, dans leurs couleurs, dans leur lumière, nous poussent à tourner notre pensée vers Dieu et font croître en nous le désir de puiser à la source de toute beauté. Ce qu’a écrit un grand artiste, Marc Chagall, demeure profondément vrai, à savoir que pendant des siècles, les peintres ont trempé leur pinceau dans l’alphabet coloré qu’est la Bible. Combien de fois, alors, les expressions artistiques peuvent être des occasions de nous rappeler de Dieu, pour aider notre prière ou encore la conversion du cœur! Paul Claudel, célèbre poète, dramaturge et diplomate français, ressentit la présence de Dieu dans la Basilique Notre-Dame de Paris, en 1886, précisément en écoutant le chant du Magnificat lors de la Messe de Noël. Il n’était pas entré dans l’église poussé par la foi, il y était entré précisément pour chercher des arguments contre les chrétiens, et au lieu de cela, la grâce de Dieu agit dans son cœur.
Chers amis, je vous invite à redécouvrir l’importance de cette voie également pour la prière, pour notre relation vivante avec Dieu. Les villes et les pays dans le monde entier abritent des trésors d’art qui expriment la foi et nous rappellent notre relation avec Dieu. Que la visite aux lieux d’art ne soit alors pas uniquement une occasion d’enrichissement culturel — elle l’est aussi — mais qu’elle puisse devenir surtout un moment de grâce, d’encouragement pour renforcer notre lien et notre dialogue avec le Seigneur, pour nous arrêter et contempler — dans le passage de la simple réalité extérieure à la réalité plus profonde qu’elle exprime — le rayon de beauté qui nous touche, qui nous «blesse» presque au plus profond de notre être et nous invite à nous élever vers Dieu. Je finis par une prière d’un Psaume, le psaume 27: «Une chose qu’au Seigneur je demande, la chose que je cherche, c’est d’habiter la maison du Seigneur tous les jours de ma vie, de savourer la douceur du Seigneur, de rechercher son palais» (v. 4). Espérons que le Seigneur nous aide à contempler sa beauté, que ce soit dans la nature ou dans les œuvres d’art, de façon à être touchés par la lumière de son visage, afin que nous aussi, nous puissions être lumières pour notre prochain. Merci