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DIES IRÆ (POÈME) TESTE LATIN ET TRADUCTION
Le jugement dernier par Rogier van der Weyden.
La séquence (sequentia) Dies iræ (« Jour de colère » en latin), qu’on appelle aussi Prose des Morts, est un poème partiellement apocalyptique, intégré au corpus grégorien. Ses prémices sont apparues dès le début du xie siècle. La version actuelle date du xiiie siècle. Le Dies iræ était (et peut toujours être) chanté dans la messe de Requiem.
Sommaire [masquer]
1 Dies iræ
2 Origine et sources du poème
3 Le poème
4 Utilisation du thème dans la musique
5 Utilisation du thème dans le cinéma
6 Notes et références
7 Annexes
7.1 Bibliographie
7.2 Liens externes
DIES IRÆ
Écrit en langue latine sur le thème de la colère de Dieu au dernier jour (celui du Jugement Dernier), le poème évoque le retour (la Parousie) du Christ, au « son étonnant1 de la trompette » qui jettera les créatures au pied de son trône afin que tout acte soit jugé. Il participe d’une tendance médiévale (liée à l’époque des Croisades) que Jean-Charles Payen a appelée « la prédication par la crainte ». Mais c’est aussi, pour une bonne partie, le poème de la faiblesse de l’humain et du doute : « Quel protecteur vais-je implorer, quand le juste est à peine sûr ? » (Quem patronum rogaturus, cum vix justus sit securus ?). Et plus loin : « Rappelle-toi, Jésus très bon, c’est pour moi que tu es venu, ne me perds pas en ce jour-là » (Recordare, Jesu pie, quod sum causa tuæ viæ ; ne me perdas illa die).
C’est un des poèmes les plus connus de la littérature latine médiévale. Les textes de cette époque diffèrent des poèmes latins classiques par leur distribution de l’accent tonique et par la rime. Dans la séquence Dies iræ, le mètre est trochaïque (une syllabe longue, une syllabe brève). Elle est chantée en style de chant grégorien (ou plain-chant).
Son élaboration remonte au début du xie siècle (donc aux alentours de l’an mil) et aux tropes (ou développements) du Répons Libera me Domine (« Libère moi, Seigneur, de la mort éternelle ») qu’on chante également dans les messes de Requiem et où l’on trouve les mots Dies illa, dies iræ : « Ce jour-là sera un jour de colère »). L’essentiel du poème du Dies iræ semble avoir été mis en forme au milieu du xiie siècle (texte et musique). Il a longtemps été attribué à un frère franciscain italien du xiiie siècle, Thomas de Celano (Tomaso da Celano, 1200-1260). Mais il semble que cet auteur n’ait fait passer à la postérité que la version légèrement remaniée et complétée d’un poème plus bref et plus ancien, conservé dans un manuscrit du xiie siècle : en 1931, Dom Mauro Inguanez, bibliothécaire du Mont-Cassin, découvrit à Caramanico Terme, près de Naples, ce manuscrit datant de la fin du xiie siècle, qui donne du Dies iræ une version un peu plus courte que la nôtre : elle se termine avec la strophe Oro supplex. Il manque, en outre, la strophe Juste judex. Celano n’a pu, tout au plus, qu’apporter quelques modifications sur un texte déjà existant, sans doute dans le but de l’intégrer à la Messe des Morts2.
Après cela, le Dies iræ devint, pour une longue période, une Séquence (Sequentia) de la liturgie des funérailles (à laquelle appartient la Messe de Requiem). C’est à ce titre qu’il a fait l’objet de nombreuses compositions musicales ; parmi les plus célèbres, celles qu’on trouve dans les messes des morts de W. A. Mozart et de Giuseppe Verdi (qui ne reprennent aucun élément du plain-chant, mais seulement l’intégralité du texte)3. Cependant, les messes de Requiem ne comportent pas nécessairement le Dies iræ : il est par exemple absent du Requiem de Gabriel Fauré, qui retient plus les idées de repos et de paradis (voir l’In paradisum par lequel la messe se termine) que l’idée de crainte.
Dans le rite approuvé en 1969, à la suite du Concile Vatican II, par le pape Paul VI, la séquence a disparu des messes des défunts (ce qui n’entraîne pas sa disparition totale : elle reste néanmoins présente dans la forme antérieure du rite, celle-ci pouvant toujours être employée). La séquence figure aussi dans la version latine de l’Office des Lectures, à la 34e semaine du Temps ordinaire (Liber Hymnarius, Solesmes, 1983, XVI – 622 p.).
Origine et sources du poème
Le poème comporte une indication sur les sources qui l’ont inspiré, avec le vers déclarant Teste David cum Sibylla, « David l’atteste avec la Sibylle ». Le roi David est ici mentionné en tant qu’auteur biblique, en particulier des Psaumes. Le passage biblique ayant le plus clairement inspiré la composition du Dies iræ se trouve cependant dans le premier chapitre du Livre de Sophonie4. Les versets 14 à 18 évoquent en effet un « jour de colère », « jour où sonnera la trompette [tuba dans le texte latin] et jour de clameur », dans lequel toute la terre sera dévorée dans le feu de la colère de Dieu. (1,14-18) :
« Dies iræ, dies illa, dies tribulationis et angustiæ, dies calamitatis et miseriæ, dies tenebrarum et caliginis, dies nebulæ et turbinis, dies tubæ et clangoris super civitates munitas et super angulos excelsos. »
— Livre de Sophonie, 1, 15.
La Sibylle évoquée dans le Dies iræ est ce personnage de l’Antiquité auquel étaient attribués des oracles. Certains de ces oracles furent interprétés comme des prophéties chrétiennes par des auteurs de l’Antiquité, en particulier par Lactance. Ce dernier écrivit au début du vie siècle un livre intitulé La colère de Dieu, mais c’est surtout dans le septième livre des Institutions Divines qu’il a décrit le jour de sa colère en se basant sur des prophéties de la Sibylle Erythée. Ces oracles comportent nombre de thèmes présents dans le Dies iræ : le jour de la colère de Dieu, le jugement final, l’ouverture des tombeaux, la destruction du monde, l’annonce de ce jour par le son d’une trompette, la peur qui saisira tout le monde, l’appel à la clémence :
« …et pour comble de malheur, on entendra une trompette, selon le témoignage de la Sibylle, qui retentira du haut du ciel. Il n’y aura point de cœur où ce triste son ne jette l’épouvante et le tremblement. Alors le fer, le feu, la famine et la maladie servant comme de ministres à la colère de Dieu, se déchargeront sur les hommes qui n’auront point connu sa justice. Mais l’appréhension dont ils seront agités les tourmentera plus cruellement qu’aucun autre mal. Ils imploreront la miséricorde, et ne seront point exaucés ; ils invoqueront la mort, et ne recevront point son secours ; ils ne trouveront aucun repos ; dans la nuit, le sommeil n’approchera point de leurs yeux ; ils seront affligés par l’insomnie et par l’inquiétude du corps ; de sorte qu’ils fondront en pleurs, jetteront des cris, grinceront les dents, déploreront la condition des vivants et envieront celle des morts. La multitude de ces maux et de plusieurs autres, défigurera et désolera la terre, comme la Sibylle l’a prédit, quand elle a dit que le monde serait sans beauté et l’homme sans consolation5. »
— Lactance, Institutions divines, VII, XX, 3-4.
Dans ses premiers vers, le Dies iræ reprend des thèmes présents dans Sophonie et chez Lactance, mais la perspective dans laquelle ces thèmes sont exploités est très différente pour chaque œuvre. Dans le livre de Sophonie, l’évocation de la colère de Dieu précède un appel à la conversion. Chez Lactance, l’annonce du jour de la colère de Dieu est celle d’une victoire ultime, sans défaut et sans appel de la justice de Dieu. Cette justice se traduit par des supplices extrêmes pour les méchants dont les appels à la clémence seront sans effet. Lactance est fataliste, la conversion des méchants ne l’intéresse pas, il faut seulement que justice soit faite au dernier jour. Le Dies iræ ne se situe pas dans cette perspective. Il accorde une très large place aux appels à la miséricorde de la part du juste qui n’est pas certain d’avoir vraiment été juste. Par ailleurs, le Dies iræ ne dit pas que les méchants iront fatalement en enfer, il ne décrit pas non plus les supplices et les tourments que Lactance a très largement détaillés. Le Dies iræ évoque plutôt la Passion du Christ qui a souffert pour le salut des pécheurs, il rappelle aussi le pardon accordé à Marie-Madeleine et se termine par un appel à la clémence envers les pécheurs.
LE POÈME – TEXTE ORIGINAL EN LATIN
Dies iræ, dies illa,
Solvet sæclum in favílla,
Teste David cum Sibýlla !
Quantus tremor est futúrus,
quando judex est ventúrus,
cuncta stricte discussúrus !
Tuba mirum spargens sonum
per sepúlcra regiónum,
coget omnes ante thronum.
Mors stupébit et Natúra,
cum resúrget creatúra,
judicánti responsúra.
Liber scriptus proferétur,
in quo totum continétur,
unde Mundus judicétur.
Judex ergo cum sedébit,
quidquid latet apparébit,
nihil inúltum remanébit.
Quid sum miser tunc dictúrus ?
Quem patrónum rogatúrus,
cum vix justus sit secúrus ?
Rex treméndæ majestátis,
qui salvándos salvas gratis,
salva me, fons pietátis.
Recordáre, Jesu pie,
quod sum causa tuæ viæ ;
ne me perdas illa die.
Quærens me, sedísti lassus,
redemísti crucem passus,
tantus labor non sit cassus.
Juste Judex ultiónis,
donum fac remissiónis
ante diem ratiónis.
Ingemísco, tamquam reus,
culpa rubet vultus meus,
supplicánti parce Deus.
Qui Maríam absolvísti,
et latrónem exaudísti,
mihi quoque spem dedísti.
Preces meæ non sunt dignæ,
sed tu bonus fac benígne,
ne perénni cremer igne.
Inter oves locum præsta,
et ab hædis me sequéstra,’
státuens in parte dextra.
Confutátis maledíctis,
flammis ácribus addíctis,
voca me cum benedíctis.
Oro supplex et acclínis,
cor contrítum quasi cinis,
gere curam mei finis.
Lacrymósa dies illa,
qua resúrget ex favílla
judicándus homo reus.
Huic ergo parce, Deus.
Pie Jesu Dómine,
dona eis réquiem. Amen.
TRADUCTION LITTÉRALE
Jour de colère, ce jour-là
Il réduira le monde en cendres,
David l’atteste, et la Sibylle.
Quelle terreur à venir,
quand le juge apparaîtra
pour tout strictement examiner !
La trompette répand étonnamment ses sons,
parmi les sépulcres de tous pays,
rassemblant tous les hommes devant le trône.
La Mort sera stupéfaite, comme la Nature,
quand ressuscitera la créature,
pour être jugée d’après ses réponses.
Un livre écrit sera produit,
dans lequel tout sera contenu ;
d’après quoi le Monde sera jugé.
Quand le Juge donc tiendra séance,
tout ce qui est caché apparaîtra,
et rien d’impuni ne restera.
Que, pauvre de moi, alors dirai-je ?
Quel protecteur demanderai-je,
quand à peine le juste sera en sûreté ?
Roi de terrible majesté,
qui sauvez, ceux à sauver, par votre grâce,
sauvez-moi, source de piété.
Souvenez-vous, Jésus si doux,
que je suis la cause de votre route ;
ne me perdez pas en ce jour.
En me cherchant vous vous êtes assis fatigué,
me rachetant par la Croix, la Passion,
que tant de travaux ne soient pas vains.
Juste Juge de votre vengeance,
faites-moi don de la rémission
avant le jour du jugement.
Je gémis comme un coupable,
la faute rougit mon visage,
au suppliant, pardonnez Seigneur.
Vous qui avez absous Marie(-Madeleine),
et, au bon larron, exaucé les vœux,
à moi aussi vous rendez l’espoir.
Mes prières ne sont pas dignes (d’être exaucées),
mais vous, si bon, faites par votre bonté
que jamais je ne brûle dans le feu.
Entre les brebis placez-moi,
que des boucs je sois séparé,
en me plaçant à votre droite.
Confondus, les maudits,
aux flammes âcres assignés,
appelez-moi avec les bénis.
Je prie suppliant et incliné,
le cœur contrit comme de la cendre,
prenez soin de ma fin.
Jour de larmes que ce jour-là,
où ressuscitera, de la poussière,
pour le jugement, l’homme coupable.
À celui-là donc, pardonnez, ô Dieu.
Doux Jésus Seigneur,
donnez-leur le repos. Amen.
TRADUCTION PLUS LITTÉRAIRE
Jour de colère, que ce jour-là
Où le monde sera réduit en cendres,
Selon les oracles de David et de la Sibylle.
Quelle terreur nous saisira,
lorsque la créature ressuscitera
(pour être) examinée rigoureusement
L’étrange son de la trompette,
se répandant sur les tombeaux,
nous jettera au pied du trône.
La Mort, surprise, et la Nature,
verront se lever tous les hommes,
pour comparaître face au Juge.
Le livre alors sera produit,
où tous nos actes seront inscrits ;
tout d’après lui sera jugé.
Lorsque le Juge siégera,
tous les secrets apparaîtront,
et rien ne restera impuni.
Dans ma détresse, que pourrais-je alors dire ?
Quel protecteur vais-je implorer ?
alors que le juste est à peine en sûreté…
Ô Roi d’une majesté redoutable,
toi qui sauves les élus par grâce,
sauve-moi, source d’amour.
Rappelle-toi, Jésus très bon,
que c’est pour moi que tu es venu,
ne me perds pas en ce jour-là.
À me chercher tu as peiné,
Par ta Passion tu m’as sauvé,
qu’un tel labeur ne soit pas vain !
Tu serais juste en condamnant,
mais accorde-moi ton pardon
avant que j’aie à rendre compte.
Vois, je gémis comme un coupable
et le péché rougit mon front ;
mon Dieu, pardonne à qui t’implore.
Tu as absous Marie-Madeleine
et exaucé le larron ;
tu m’as aussi donné espoir.
Mes prières ne sont pas dignes,
mais toi, si bon, fais par pitié,
que j’évite le feu sans fin.
Parmi tes brebis place-moi,
à l’écart des boucs garde-moi,
en me mettant à ta main droite.
Quand les maudits, couverts de honte,
seront voués au feu rongeur,
prends-moi donc avec les bénis.
En m’inclinant je te supplie,
le cœur broyé comme la cendre :
prends soin de mes derniers moments.
Jour de larmes que ce jour-là,
où surgira de la poussière
le pécheur, pour être jugé !
Daigne, mon Dieu, lui pardonner.
Bon Jésus, notre Seigneur,
accorde-leur le repos. Amen.
Le poème devrait être complet à l’issue de l’avant-dernier paragraphe. Certains érudits se demandent si la suite est un ajout pour convenir à des fins liturgiques car la dernière strophe casse l’arrangement de trois rimes plates en faveur de deux rimes, tandis que les deux derniers vers abandonnent la rime pour l’assonance et sont en outre catalectiques.
Voici une paraphrase en vers du poème tirée des œuvres posthumes de Jean de La Fontaine6 :
Traduction paraphrasée de la prose Dies iræ
Dieu détruira le siecle au jour de sa fureur.
Un vaste embrasement sera l’avant-coureur,
Des suites du peché long & juste salaire.
Le feu ravagera l’Univers à son tour.
Terre & Cieux passeront, & ce tems de colere
Pour la dernière fois fera naître le jour.
Cette dernière Aurore éveillera les Morts.
L’Ange rassemblera les débris de nos corps ;
Il les ira citer au fond de leur asile.
Au bruit de la trompette en tous lieux dispersé
Toute gent accourra. David & la Sibille.
On prevû ce grand jour, & nous l’ont annoncé.
De quel frémissement nous nous verrons saisis !
Qui se croira pour lors du nombre des choisis ?
Le registre des cœurs, une exacte balance
Paroîtront aux côtez d’un Juge rigoureux.
Les tombeaux s’ouvriront, & leur triste silence
Aura bien-tôt fait place aux cris des malheureux.
La nature & la mort pleines d’étonnement
Verront avec effroi sortir du monument
Ceux que dés son berceau le monde aura vû vivre.
Les Morts de tous les tems demeureront surpris
En lisant leurs secrets aux Annales d’un Livre,
Où même les pensers se trouveront écrits.
Tout sera revelé par ce Livre fatal :
Rien d’impuni. Le Juge assis au Tribunal
Marquera sur son front sa volonté suprême.
Qui prierai-je en ce jour d’être mon défenseur ?
Sera-ce quelque juste ? Il craindra pour lui-même,
Et cherchera l’appui de quelque intercesseur.
Roi qui fais tout trembler devant ta Majesté,
Qui sauves les Elûs par ta seule bonté,
Source d’actes benins & remplis de clemence,
Souviens-toi que pour moi tu descendis des Cieux ;
Pour moi te dépoüillant de ton pouvoir immense,
Comme un simple mortel tu parus à nos yeux.
J’eus part ton passage, en perdras-tu le fruit ?
Veux-tu me condamner à l’éternelle nuit,
Moi pour qui ta bonté fit cet effort insigne ?
Tu ne t’es reposé que las de me chercher :
Tu n’as souffert la Croix que pour me rendre digne
D’un bonheur qui me puisse à toi-même attacher.
Tu pourrois aisément me perdre & te vanger.
Ne le fais point, Seigneur, viens plutôt soulager
Le faix sous qui je sens que mon âme succombe.
Assure mon salut dés ce monde incertain.
Empêche malgré moi que mon cœur ne retombe,
Et ne te force enfin de retirer ta main.
Avant le jour du compte efface entier le mien.
L’illustre Pecheresse en presentant le sien,
Se fit remettre tout par son amour extrême.
Le Larron te priant fut écouté de toi :
La priere & l’amour ont un charme suprême.
Tu m’as fait esperer même grace pour moi.
Je rougis, il est vrai, de cet espoir flatteur :
La honte de me voir infidelle & menteur,
Ainsi que mon peché se lit sur mon visage.
J’insiste toutefois, & n’aurai point cessé,
Que ta bonté mettant toute chose en usage,
N’éclate en ma faveur, & ne m’ait exaucé.
Fais qu’on me place à droite, au nombre des brebis.
Separe-moi des boucs reprouvés & maudits.
Tu vois mon cœur contrit, & mon humble priere.
Fais-mois perseverer dans ce juste remords :
Je te laisse le soin de mon heure dernière ;
Ne m’abandonne pas quand j’irai chez les Morts.