Archive pour le 19 avril, 2014
PAPE BENOÎT XV: VÉNÉRATION DU SAINT-SUAIRE – « Icône du Samedi Saint »
19 avril, 2014VISITE PASTORALE À TURIN
VÉNÉRATION DU SAINT-SUAIRE – « Icône du Samedi Saint »
MÉDITATION DU PAPE BENOÎT XVI
Dimanche 2 mai 2010
Chers amis,
C’est pour moi un moment très attendu. En diverses autres occasions, je me suis trouvé face au Saint-Suaire, mais cette fois, je vis ce pèlerinage et cette halte avec une intensité particulière: sans doute parce que les années qui passent me rendent encore plus sensible au message de cet extraordinaire Icône; sans doute, et je dirais surtout, parce que je suis ici en tant que Successeur de Pierre, et que je porte dans mon cœur toute l’Eglise, et même toute l’humanité. Je rends grâce à Dieu pour le don de ce pèlerinage et également pour l’occasion de partager avec vous une brève méditation qui m’a été suggérée par le sous-titre de cette Ostension solennelle: « Le mystère du Samedi Saint ».
On peut dire que le Saint-Suaire est l’Icône de ce mystère, l’Icône du Samedi Saint. En effet, il s’agit d’un linceul qui a enveloppé la dépouille d’un homme crucifié correspondant en tout point à ce que les Evangiles nous rapportent de Jésus, qui, crucifié vers midi, expira vers trois heures de l’après-midi. Le soir venu, comme c’était la Parascève, c’est-à-dire la veille du sabbat solennel de Pâques, Joseph d’Arimathie, un riche et influent membre du Sanhédrin, demanda courageusement à Ponce Pilate de pouvoir enterrer Jésus dans son tombeau neuf, qu’il avait fait creuser dans le roc à peu de distance du Golgotha. Ayant obtenu l’autorisation, il acheta un linceul et, ayant descendu le corps de Jésus de la croix, l’enveloppa dans ce linceul et le déposa dans le tombeau (cf. Mc 15, 42-46). C’est ce que rapporte l’Evangile de saint Marc, et les autres évangélistes concordent avec lui. A partir de ce moment, Jésus demeura dans le sépulcre jusqu’à l’aube du jour après le sabbat, et le Saint-Suaire de Turin nous offre l’image de ce qu’était son corps étendu dans le tombeau au cours de cette période, qui fut chronologiquement brève (environ un jour et demi), mais qui fut immense, infinie dans sa valeur et sa signification.
Le Samedi Saint est le jour où Dieu est caché, comme on le lit dans une ancienne Homélie: « Que se passe-t-il? Aujourd’hui, un grand silence enveloppe la terre. Un grand silence et un grand calme. Un grand silence parce que le Roi dort… Dieu s’est endormi dans la chair, et il réveille ceux qui étaient dans les enfers » (Homélie pour le Samedi Saint, PG 43, 439). Dans le Credo, nous professons que Jésus Christ « a été crucifié sous Ponce Pilate, est mort et a été enseveli, est descendu aux enfers. Le troisième jour est ressuscité des morts ».
Chers frères et sœurs, à notre époque, en particulier après avoir traversé le siècle dernier, l’humanité est devenue particulièrement sensible au mystère du Samedi Saint. Dieu caché fait partie de la spiritualité de l’homme contemporain, de façon existentielle, presque inconsciente, comme un vide dans le cœur qui s’est élargi toujours plus. Vers la fin du xix siècle, Nietzsche écrivait: « Dieu est mort! Et c’est nous qui l’avons tué! ». Cette célèbre expression est, si nous regardons bien, prise presque à la lettre par la tradition chrétienne, nous la répétons souvent dans la Via Crucis, peut-être sans nous rendre pleinement compte de ce que nous disons. Après les deux guerres mondiales, les lager et les goulag, Hiroshima et Nagasaki, notre époque est devenue dans une mesure toujours plus grande un Samedi Saint: l’obscurité de ce jour interpelle tous ceux qui s’interrogent sur la vie, et de façon particulière nous interpelle, nous croyants. Nous aussi nous avons affaire avec cette obscurité.
Et toutefois, la mort du Fils de Dieu, de Jésus de Nazareth a un aspect opposé, totalement positif, source de réconfort et d’espérance. Et cela me fait penser au fait que le Saint-Suaire se présente comme un document « photographique », doté d’un « positif » et d’un « négatif ». Et en effet, c’est précisément le cas: le mystère le plus obscur de la foi est dans le même temps le signe le plus lumineux d’une espérance qui ne connaît pas de limite. Le Samedi Saint est une « terre qui n’appartient à personne » entre la mort et la résurrection, mais dans cette « terre qui n’appartient à personne » est entré l’Un, l’Unique qui l’a traversée avec les signes de sa Passion pour l’homme: « Passio Christi. Passio hominis ». Et le Saint-Suaire nous parle exactement de ce moment, il témoigne précisément de l’intervalle unique et qu’on ne peut répéter dans l’histoire de l’humanité et de l’univers, dans lequel Dieu, dans Jésus Christ, a partagé non seulement notre mort, mais également le fait que nous demeurions dans la mort. La solidarité la plus radicale.
Dans ce « temps-au-delà-du temps », Jésus Christ « est descendu aux enfers ». Que signifie cette expression? Elle signifie que Dieu, s’étant fait homme, est arrivé au point d’entrer dans la solitude extrême et absolue de l’homme, où n’arrive aucun rayon d’amour, où règne l’abandon total sans aucune parole de réconfort: « les enfers ». Jésus Christ, demeurant dans la mort, a franchi la porte de cette ultime solitude pour nous guider également à la franchir avec Lui. Nous avons tous parfois ressenti une terrible sensation d’abandon, et ce qui nous fait le plus peur dans la mort, est précisément cela, comme des enfants, nous avons peur de rester seuls dans l’obscurité, et seule la présence d’une personne qui nous aime peut nous rassurer. Voilà, c’est précisément ce qui est arrivé le jour du Samedi Saint: dans le royaume de la mort a retenti la voix de Dieu. L’impensable a eu lieu: c’est-à-dire que l’Amour a pénétré « dans les enfers »: dans l’obscurité extrême de la solitude humaine la plus absolue également, nous pouvons écouter une voix qui nous appelle et trouver une main qui nous prend et nous conduit au dehors. L’être humain vit pour le fait qu’il est aimé et qu’il peut aimer; et si dans l’espace de la mort également, a pénétré l’amour, alors là aussi est arrivée la vie. A l’heure de la solitude extrême, nous ne serons jamais seuls: « Passio Christi. Passio hominis ».
Tel est le mystère du Samedi Saint! Précisément de là, de l’obscurité de la mort du Fils de Dieu est apparue la lumière d’une espérance nouvelle: la lumière de la Résurrection. Et bien, il me semble qu’en regardant ce saint linceul avec les yeux de la foi, on perçoit quelque chose de cette lumière. En effet, le Saint-Suaire a été immergé dans cette obscurité profonde, mais il est dans le même temps lumineux; et je pense que si des milliers et des milliers de personnes viennent le vénérer, sans compter celles qui le contemplent à travers les images – c’est parce qu’en lui, elles ne voient pas seulement l’obscurité, mais également la lumière; pas tant l’échec de la vie et de l’amour, mais plutôt la victoire, la victoire de la vie sur la mort, de l’amour sur la haine; elles voient bien la mort de Jésus, mais elles entrevoient sa Résurrection; au sein de la mort bat à présent la vie, car l’amour y habite. Tel est le pouvoir du Saint-Suaire: du visage de cet « Homme des douleurs », qui porte sur lui la passion de l’homme de tout temps et de tout lieu, nos passions, nos souffrances, nos difficultés, nos péchés également – « Passio Christi. Passio hominis » – de ce visage émane une majesté solennelle, une grandeur paradoxale. Ce visage, ces mains et ces pieds, ce côté, tout ce corps parle, il est lui-même une parole que nous pouvons écouter dans le silence. Que nous dit le Saint-Suaire? Il parle avec le sang, et le sang est la vie! Le Saint-Suaire est une Icône écrite avec le sang; le sang d’un homme flagellé, couronné d’épines, crucifié et transpercé au côté droit. L’image imprimée sur le Saint-Suaire est celle d’un mort, mais le sang parle de sa vie. Chaque trace de sang parle d’amour et de vie. En particulier cette tâche abondante à proximité du flanc, faite de sang et d’eau ayant coulé avec abondance par une large blessure procurée par un coup de lance romaine, ce sang et cette eau parlent de vie. C’est comme une source qui murmure dans le silence, et nous, nous pouvons l’entendre, nous pouvons l’écouter, dans le silence du Samedi Saint.
Chers amis, rendons toujours gloire au Seigneur pour son amour fidèle et miséricordieux. En partant de ce lieu saint, portons dans les yeux l’image du Saint-Suaire, portons dans le cœur cette parole d’amour, et louons Dieu avec une vie pleine de foi, d’espérance et de charité. Merci.
MÉDITATION POUR LE SAMEDI SAINT – Cardinal Carlo Maria Martini
19 avril, 2014http://christianegrimonprez.blogspot.it/
MÉDITATION POUR LE SAMEDI SAINT
« Et Dieu se fit vulnérable »
Cardinal Carlo Maria Martini
Les récits de la passion
En ce samedi saint, ce jour du grand silence de Dieu, de la grande absence de Dieu… il peut être bon de nous demander : en quel Dieu croyons-nous ? Acceptons-nous vraiment qu’il se dise à nous dans le chemin suivi par Jésus jusqu’à la mort en croix ? Le texte ci-dessous voudrait nous y aider. Il s’agit d’une méditation des derniers instants de Jésus dans le récit qu’en fait Matthieu.
« Un courant de la mystique occidentale a souvent pensé qu’on ne peut faire l’économie, pour l’homme spirituel, de l’expérience de l’aridité, de la tiédeur, de la lassitude, de l’obscurité, de la nuit. Ce serait de simples chemins qui montent de la pesanteur de la chair, par la purification, vers la contemplation de la lumière de Dieu.
En vérité, cette réalité doit être interprétée christologiquement, à la lumière de l’évangile : nous sommes appelés à être là où est le Christ, à connaître Dieu comme le Christ nous l’a fait connaître. Et puisque la puissance du Christ s’est révélée dans la faiblesse, la lumière de Dieu dans l’obscurité des heures de la croix, puisque la gloire et l’espérance de Dieu se sont manifestées dans le cri de douleur et d’abandon, ainsi nous aussi, nous sommes appelés, en quelque sorte, sur les chemins que Jésus nous propose, à connaître un Dieu différent de l’image que nous en avions.
Reparaît la question : pourquoi Dieu se donne-t-il à connaître sur la croix ? Jésus ne pouvait-il pas descendre de ce bois et nous sauver à moindre frais ? Aurait-il donc vraiment pris au sérieux l’abîme de la méchanceté de l’homme et du monde ? Une fois encore nous sommes poussés à chercher le pourquoi de sa mort paradoxale.
La mort de Jésus n’a rien de glorieux ni d’extraordinaire. Il y a par grâce de Dieu, des morts lumineuses, des morts de personnes auprès desquelles on respire un parfum de paradis : la sérénité, la paix de Dieu. C’est la force du Ressuscité qui se déverse dans l’expérience la plus tragique de l’homme et parfois la transfigure… Mais la mort de Jésus n’a pas été ainsi.
Après ses dernière paroles, le malentendu est patent : ils croient que Jésus appelle Elie et ils lui donnent une éponge imbibée de vinaigre. Du trouble se produit, mais nul spectacle de grandeur, personne qui s’étonne et qui prie. Tout se passe à la frange du grave et du dérisoire, au milieu d’une foule habituée à voir mourir des condamnés. Jésus crie, une fois encore : une clameur sans un mot, paroxysme du mystère.
La mort de Jésus est tragique. Elle n’est pas auréolée de sérénité et de paix : Jésus tombe dans l’abîme de la cruauté humaine qui l’engloutit.
Notons ceci : Jean et Luc nous présentent la mort de Jésus comme transfigurée ; Matthieu et Marc, quant à eux, nous montrent l’aspect infiniment plus amer de ce drame. Et ce second aspect (qui ne doit pas nous faire oublier l’autre) insiste sur la part que, dans sa mort, Jésus prend à tant de morts humaines sans grandeur, ce qui est le cas de la grande majorité des hommes et des femmes de notre terre.
(…) Nous voudrions que les derniers moments de notre vie soient paisibles, dans l’abandon serein… ils peuvent être, au contraire, étrangement imprévisibles, mystérieux. La mort de Jésus participe de l’imprévisibilité de l’expérience humaine de la mort.
Il n’y a qu’à adorer le mystère du Seigneur qui s’est fait semblable à chacun de nous. Ce que sera notre expérience de la mort, nous n’en savons rien. Ce que nous savons, toutefois, c’est que le Seigneur, par amour pour nous, nous en a préparé le chemin et qu’il viendra à notre rencontre ».