Archive pour mars, 2014
HOMÉLIE POUR LA FÊTE DE LA TRANSFIGURATION
14 mars, 2014http://www.egliserusse.eu/blogdiscussion/Homelie-pour-la-fete-de-la-Transfiguration_a1845.html
HOMÉLIE POUR LA FÊTE DE LA TRANSFIGURATION
Frères, il nous arrive, à nous chrétiens, d’être interpellés par nos contemporains agnostiques ou ayant perdu la foi sur l’utilité et le caractère pratique du message du Christ. Certains d’entre nous sommes en effet tentés d’intellectualiser un peu trop notre foi, ou encore de la socialiser à outrance, au détriment de la dimension proprement sotériologique. Je ne dis pas qu’il ne faille pas impliquer notre intellect lorsque nous scrutons la Parole du Christ. Au contraire, notre foi serait vaine si elle n’avait l’adhésion intégrale de notre raison. Ce que je veux dire, c’est que nous ne pouvons réduire le christianisme à une théologie abstraite, de même qu’il ne peut être considéré comme le signe d’une identité particulière.
La foi chrétienne est tout à fait concrète et, si j’ose dire, pragmatique. Ou plutôt, elle est essentielle, puisqu’elle nous touche au plus profond de notre nature, elle transfigure notre être tout entier. Aujourd’hui, lorsque nous célébrons la Transfiguration de Jésus-Christ, c’est le moment de nous en rappeler.
Je vais dire une chose un peu écrue, en vous demandant de me pardonner cette façon de parler, mais si la Transfiguration du Christ ne concernait que lui, notre Seigneur et Sauveur, nos contemporains agnostiques auraient eu raison de se moquer de nous et du caractère purement abstrait et intellectuel de notre foi. Mais nous, croyants, nous savons fermement que la Transfiguration de Jésus ne concerne pas lui seul, le Verbe devenu chair, le Fils de Dieu devenu Fils de l’homme. Elle est l’icône de notre propre transfiguration qui est rendue possible non par nos mérites, mais par l’incarnation de Dieu. D’ailleurs, tout ce qui est accompli par le Christ est une figure de ce qui doit nous arriver : sa mort, sa résurrection, son ascension et, bien sûr, sa transfiguration. Le Seigneur Jésus est le premier-né d’entre les morts, il nous précède dans le Royaume de Dieu, il a la primauté de tout en toute chose, comme notre guide, les Prémices de l’humanité tout entière.
Ainsi, frères, célébrer la Transfiguration de Jésus-Christ, ce n’est pas commémorer un événement passé, sans lien immédiat avec le présent. Célébrer la Transfiguration du Seigneur, c’est d’abord contempler l’union parfaite et indissoluble de la divinité et de l’humanité dans l’unique Christ, c’est aussi découvrir, avec une fascination pleine de gratitude filiale, la gloire incroyable que Dieu a réservée à ses saints, à ceux qui, dans le Christ, deviennent ses fils. C’est de voir combien grand est l’amour de Dieu pour nous, combien merveilleux est le dessein salutaire de la Trinité qui cherche irrévocablement à conduire l’humanité vers sa propre sainteté et béatitude. Dieu n’abandonne pas son image. Et quand cette dernière s’éloigne de lui et se défigure dans le mal et le péché, le Créateur lui-même descend, l’assume et la transfigure au contact avec sa divinité toute pure. L’humanité tout entière est transfigurée dans le Christ Jésus qui montre cette gloire afin que nous n’ayons plus jamais d’autre désir que celui de l’union extraordinaire, mais réelle, vraie, avec la Source de la vie. La lumière divine dans l’humanité assumée du Seigneur nous est révélée pour que nous n’ayons d’autre désir, comme Pierre, que de demeurer éternellement sur la Montagne avec notre Sauveur.
Séminaire Russe
Homélie pour la fête de la Transfiguration du Seigneur (2012)
PREMIERE LECTURE – Genèse 12, 1-4a – MARIE NOËLLE THABUT
14 mars, 2014http://www.eglise.catholique.fr/foi-et-vie-chretienne/commentaires-de-marie-noelle-thabut.html
DIMANCHE 16 MARS : COMMENTAIRES DE MARIE NOËLLE THABUT
PREMIERE LECTURE – Genèse 12, 1-4a
Abraham vivait alors en Chaldée.
1 Le SEIGNEUR lui dit :
« Pars de ton pays,
laisse ta famille et la maison de ton père,
va dans le pays que je te montrerai.
2 Je ferai de toi une grande nation,
je te bénirai,
je rendrai grand ton nom,
et tu deviendras une bénédiction.
3 Je bénirai ceux qui te béniront,
je maudirai celui qui te méprisera.
En toi seront bénies toutes les familles de la terre. »
4 Abraham partit, comme le SEIGNEUR le lui avait dit,
et Loth partit avec lui.
Les quelques lignes que nous venons de lire sont le premier acte de toute l’aventure de notre foi, la foi des Juifs d’abord, bien sûr, puis dans l’ordre chronologique, des Chrétiens, et des Musulmans. Abraham vivait en Chaldée, c’est-à dire en Irak, et plus précisément, à l’extrême Sud-Est de l’Irak, dans la ville de OUR, dans la vallée de l’Euphrate, près du golfe persique. Il y vivait avec sa femme, Sara ; chez son père Térah, et avec ses frères, (Nahor et Haran), et son neveu Loth. Abraham avait soixante-quinze ans, sa femme Sara soixante-cinq ; ils n’avaient pas d’enfant, et donc, vu leur âge, ils n’en auraient plus jamais.
Nous sommes probablement (encore qu’on n’en ait actuellement aucune certitude) au 19ème siècle av.J.C. Les historiens ont retrouvé des traces de mouvements de population à cette époque-là, dans la vallée de l’Euphrate. C’est peut-être dans ce cadre-là qu’un jour le vieux père, Térah, prit la route avec Abraham, Sara et son petit-fils Loth. La caravane remonte la vallée de l’Euphrate du Sud-Est au Nord-Ouest avec l’intention de redescendre vers le pays de Canaan ; il y aurait une route plus courte, bien sûr, que ce grand triangle pour relier le golfe persique à la Méditerranée mais elle traverse un immense désert ; Térah et Abraham préfèrent emprunter le « Croissant Fertile » qui porte bien son nom. Leur dernière étape au Nord-Ouest s’appelle Harran. C’est là que le vieux père, Térah, meurt.
C’est là, surtout, que pour la première fois, il y a donc presque 4000 ans, vers 1850 av.J.C., Dieu parla à Abraham. « Pars de ton pays », dit notre traduction, cela nous paraît banal, et nous risquons de passer à côté de ce qui fut peut-être la découverte la plus importante de la vie d’Abraham ! Car le texte hébreu est beaucoup plus riche ; il dit en réalité « Va pour toi, loin de ton pays, de ta famille et de la maison de ton père ». Le premier mot de Dieu est donc tout un programme : « Va pour toi » ; si vous avez la curiosité de consulter la traduction d’André Chouraqui, ou, pour les plus chanceux, le texte hébreu, le mot à mot est incontestable ; or tout l’enjeu de la foi est là, dans ce « pour toi ». Rachi, le grand commentateur juif du 11ème siècle, traduit « Va pour ton bien et pour ton bonheur » : si Dieu appelle l’homme, c’est pour le bonheur de l’homme, pas pour autre chose ! Le dessein bienveillant de Dieu sur l’humanité est dans ces deux petits mots « Pour toi ». Déjà Dieu se révèle comme celui qui veut le bonheur de l’homme, de tous les hommes ; ce « pour toi » ne doit pas être entendu comme exclusif ; s’il faut retenir une chose, c’est celle-là ! « Va pour toi » : un croyant c’est quelqu’un qui sait que, quoi qu’il arrive, Dieu l’emmène vers son accomplissement, vers son bonheur. Voilà donc la première parole de Dieu à Abraham, celle qui a déclenché toute son aventure… et la nôtre !
« Va pour toi, quitte ton pays, ta famille et la maison de ton père, va vers le pays que je te montrerai ». Et la suite n’est que promesses : « Je ferai de toi une grande nation, je te bénirai, je rendrai grand ton nom, tu deviendras une bénédiction… En toi seront bénies toutes les familles de la terre ». Abraham est arraché à son destin naturel, choisi, élu par Dieu, investi d’une vocation d’ampleur universelle.
Abraham, pour l’heure, est un nomade, riche peut-être, mais inconnu, et il n’a pas d’enfant, et sa femme, Sara, a largement passé l’âge d’en avoir. C’est lui, pourtant, que Dieu choisit pour en faire le père d’un grand peuple. Voilà ce que voulait dire le « pour toi » de tout à l’heure : Dieu lui promet tout ce qui, à cette époque-là, fait le bonheur d’un homme : une descendance nombreuse et la bénédiction de Dieu.
Mais ce bonheur promis à Abraham n’est pas pour lui seul : dans la Bible, jamais aucune vocation, aucun appel n’est pour l’intérêt égoïste de celui qui est appelé. C’est même l’un des critères d’une vocation authentique : toute vocation est toujours pour une mission au service des autres. Ici, il y a cette phrase « En toi seront bénies toutes les familles de la terre ». Elle veut dire au moins deux choses : premièrement, ta réussite sera telle que tu seras pris comme exemple : quand on voudra se souhaiter du bonheur, on se dira « puisses-tu être heureux comme Abraham ». Ensuite, ce « en toi » peut signifier « à travers toi » ; et alors cela veut dire « à travers toi, moi, Dieu, je bénirai toutes les familles de la terre ».
Le projet de bonheur de Dieu passe par Abraham, mais il le dépasse, il le déborde ; il concerne toute l’humanité : « En toi, à travers toi, seront bénies toutes les familles de la terre ». Tout au long de l’histoire d’Israël, la Bible restera fidèle à cette découverte première : Abraham et ses descendants sont le peuple élu, choisi par Dieu, dans le mystère impénétrable de sa volonté, mais c’est au bénéfice de l’humanité tout entière, et celà depuis le premier jour, depuis la première annonce à Abraham. Reste que les autres nations demeurent libres de ne pas entrer dans cette bénédiction ; c’est le sens de la phrase un peu curieuse à première vue : « Je bénirai ceux qui te béniront, je maudirai celui qui te méprisera. » C’est une manière de dire notre liberté : tous ceux qui le désirent pourront participer à la bénédiction promise à Abraham, mais personne n’est obligé d’accepter !
Et voilà ! L’heure du grand départ a sonné ; le texte est remarquable par sa sobriété ; il dit simplement « Abraham partit comme le SEIGNEUR le lui avait dit, et Loth partit avec lui ». On ne peut pas être plus laconique ! Ce départ, sur simple appel de Dieu, est la plus belle preuve de foi ; quatre mille ans plus tard, nous pouvons dire que notre propre foi a sa source dans celle d’Abraham ; et si nos vies tout entières sont illuminées par la foi, c’est grâce à lui ! Ce que Saint Paul exprime dans la lettre aux Galates quand il dit « Ce sont les croyants qui sont fils d’Abraham… Ceux qui sont croyants sont bénis avec Abraham le croyant » (Ga 3 , 7…9). Et toute l’histoire humaine est ainsi devenue le lieu de l’accomplissement de ces promesses de Dieu à Abraham. Accomplissement lent, accomplissement progressif, mais accomplissement sûr et certain.
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Compléments
« Abraham vivait alors en Chaldée » ; en fait, (la traduction liturgique simplifie), il ne s’appelait encore que « Abram » ; c’est plus tard, après des années de pèlerinage, si on peut dire, qu’Abram recevra de Dieu son nouveau nom, celui sous lequel nous le connaissons, « Abraham » qui veut dire « père des multitudes ». Et c’est vrai que nous sommes des multitudes, répandus sur toute la terre, à le reconnaître comme notre père dans la foi. Saraï, elle aussi, plus tard, recevra de Dieu un nouveau nom et s’appellera Sara.
« Va pour toi » :
1 – Grammaticalement, cette forme ne comporte peut-être pas tout le poids de sens qu’on se plaît à lui prêter. La traduction la plus fidèle serait probablement « Toi, va » ou « Quant à toi, va », qui exprime un appel adressé à une personne bien précise, une vocation. Le commentaire de Rachi est donc déjà de l’ordre de l’interprétation croyante, du commentaire spirituel (que nous ne demandons qu’à suivre, bien sûr).
2 – Mais ce « pour toi » ne doit pas être entendu comme exclusif ; j’ai écrit plus haut (§ 3) : « Déjà Dieu se révèle comme celui qui veut le bonheur de l’homme, de tous les hommes ». Dans un autre moment crucial de la vie d’Abraham, au moment de l’offrande d’Isaac, Dieu emploiera la même expression « Va pour toi » pour lui rappeler tout le chemin déjà parcouru et lui donner la force d’affronter l’épreuve.
Et quand l’auteur de la lettre aux Hébreux veut dire ce qu’est la foi, il prend pour exemple ce départ d’Abraham qui ressemblait fort à un saut dans l’inconnu, justifié par sa seule confiance en Dieu : « Par la foi, répondant à l’appel, Abraham obéit et partit pour un pays qu’il devait recevoir en héritage… Par la foi, il vint résider en étranger dans la terre promise… Par la foi, Sara, elle aussi, malgré son âge avancé, fut rendue capable d’avoir une postérité, parce qu’elle tint pour fidèle l’auteur de la promesse. C’est pourquoi aussi, d’un seul homme déjà marqué par la mort, naquit une multitude comparable à celle des astres du ciel, innombrable comme le sable du bord de la mer ».
HOMÉLIE 2E DIMANCHE DE CARÊME
14 mars, 2014http://www.homelies.fr/homelie,,3772.html
2E DIMANCHE DE CARÊME
DIMANCHE 16 MARS 2014
FAMILLE DE SAINT JOSEPH
HOMÉLIE – MESSE
Faisons un rapide tour d’horizon. L’évangile d’aujourd’hui est excessif. Voici Jésus, notre Jésus de tous les jours, ruisselant de lumière. Voici Pierre, impulsif et spontané, prétendant monter une tente pour des prophètes morts plusieurs siècles auparavant. Voici ces prophètes des temps jadis devisant paisiblement avec Jésus qui se conduit comme si ces personnages faisaient partie de son quotidien. Voici enfin une nuée et une voix venant du ciel qui parle comme au jour du baptême de Jésus. Nous sommes donc à un commencement.
La liturgie, particulièrement construite en ce temps de carême, propose aussi à notre méditation un autre commencement : l’appel d’Abraham. Mais, mise à part la voix céleste, ce texte ne semble pas présenter beaucoup de traits communs avec l’évangile.
Mais comme souvent, c’est saint Paul qui est le meilleur lecteur de l’Ecriture. Il nous dit ce matin : « Cette grâce nous avait été donnée dans le Christ Jésus avant tous les siècles, et maintenant elle est devenue visible à nos yeux ». C’est-à-dire que la transfiguration annonce Jésus ressuscité, mais aussi la réalisation de la promesse faite à Abraham, et en lui, à tout homme.
Engageons-nous donc dans le chemin qu’ouvre saint Paul devant nous. Relisons la promesse faite à l’aurore des temps et consignée dans les pages séculaires de l’Ancien Testament. A cette époque la compréhension de Dieu et du monde invisible se disait par des figures, qui annonçaient les grandeurs à venir.
Mais, nous venons de l’entendre, le Nouveau Testament n’est pas exempt de figures. Il faut les accueillir comme elles se donnent, sans tenter de les réduire à de simples allégories visibles de choses invisibles. Moïse et Elie, la Loi et les Prophètes, tiennent vraiment compagnie à Jésus sur la montagne. Leur familiarité montre que ce n’est pas le monde spirituel qui est le référant, mais le corps du Christ. Le récit est construit autour de sa transformation, de sa transfiguration.
Cette matérialité est importante car elle dit l’accomplissement. Dans l’Ancien Testament en effet, une figure renvoie toujours à l’invisible et appelle nécessairement une deuxième figure, pour la confirmer. Ainsi Moïse et Elie sont des promesses de la résurrection à venir. Cette résurrection est annoncée par leur corps invisible. Moïse en effet a été enterré dans un lieu inconnu et inaccessible ; quant à Elie, il est monté au Ciel sur un char de feu, il n’a pas non plus de sépulture.
Dans l’évangile, nous sommes à la fin de ce processus. Jésus nous apporte la deuxième annonce qui est la confirmation de la première. La transfiguration dévoile en effet le corps invisible du ressuscité. Jésus est le nouveau Josué, le successeur de Moïse qu’annonce le Deutéronome. En rendant visible sa gloire pour quelques moments au sommet de la montagne, Jésus nous ouvre au monde invisible, mais réel, où nous vivons tous. Montrer que Moïse et Elie y habitent, confirme la promesse qui reposait sur eux et se réalise en Jésus. En confirmant l’annonce faite dans le Premier Testament, Jésus annonce la réalisation de la Nouvelle Alliance.
Le corps du Christ apparaît ainsi à nos yeux comme la converge et l’accomplissement des Écritures. Il naît de la présence en excès des deux Testaments. D’une part la déficience de l’Ancien Testament, balbutiant la vérité de Dieu qui lui est inaccessible car trop lointaine, d’autre part la saturation du Nouveau Testament, manifestant en Jésus de la vérité de Dieu. Ce paradoxe se noue dans le corps du Christ. Il nous fait entrer dans le monde invisible : nous le voyons ruisselant de la gloire promise à nos pères.
Mais ce monde est aussi le nôtre. Jésus touche ses disciples. Il leur adresse la parole. La rupture entre les deux univers repose sur une continuité, qui invite à un nouveau type de relation. Jésus ouvre à ses disciples un monde où il est possible d’être particulièrement proches de l’histoire sainte dans son ensemble, d’être en dialogue constant et confiant avec le Père.
C’est là le trésor qu’il nous est donné de découvrir. Nous n’avons pu le lire qu’à la lumière de la résurrection, mais Jésus lui-même savait qu’il en serait ainsi : il a prescrit le silence à ses disciples, jusqu’à la résurrection, c’est-à-dire jusqu’à ce qu’ils puissent comprendre. Jusqu’à ce qu’ils puissent lire la Croix comme excès d’inaccompli qui ouvre à la nouvelle, et ultime, création.
Ainsi Dieu nous enjoint-il d’écouter Jésus, car il annonce son passage par la Croix. Le visage de gloire ne pourra en effet être appréhendé par les disciples qu’une fois passés eux aussi par la mort et la résurrection en Jésus. Voilà pourquoi, aussi longtemps que nous sommes en route, ce visage de gloire nous reste caché. Comme nous est encore dissimulée notre propre gloire.
En ce jour où la liturgie convoque Abraham, saint Pierre et saint Paul, Moïse et Elie, en ce jour où Jésus nous donne de saisir dans son unité l’ensemble de l’histoire sainte, ne sommes-nous pas invités à nous remémorer les figures de notre passé, les moments de notre histoire sainte qui se conjuguent désormais et pour toujours au présent, comme Jésus devisant avec Moïse et Elie. Lus à la lumière de cet évangile, avec leur grandeur, mais sans éluder leurs limites ni leurs déficiences, ils nous conduisent à l’accomplissement de la promesse que Dieu nous fait personnellement en Jésus.
Certes nous leur trouverons bien des limites et des tiédeurs, elles n’ont pas l’éclat de l’expérience faite par Pierre Jacques et Jean. Mais sans ces limites, le bonheur auquel Dieu nous appelle ne serait qu’une fuite, comme celle de Pierre qui veut rester sur la montagne et toujours jouir de la présence sensible de Dieu. Si nous acceptons cette promesse, avec la confiance d’Abraham qui accepta de se mettre en route, pour son bien, ces déficiences deviendront le lieu de la révélation de Dieu. En nous le Christ prendra corps, et son visage sera celui de la compassion.
Certes, nous avons à vaincre les peurs qui nous rendent sourds à la voix du Père, dont Jésus vient de nous montrer qu’elle ne cesse de résonner. Pour monter courageusement vers notre Croix alors que la nuée se dissipe déjà et que les saints qui nous accompagnent redeviennent invisibles, il ne nous reste que Jésus, seul. Jésus qui nous parle et qui nous touche. Jésus qui nous encourage : « « Relevez-vous », ressuscitez, accueillez la gloire que le Père vous réserve, accueillez la Vie qu’il vous donne en partage ». Nous avons ainsi nos Thabor, nos rencontres intenses et toujours vivantes avec Dieu, moments de grâce sur lesquels nous appuyer pour poursuivre notre marche vers Pâque. Le carême est une route austère, mais elle une route joyeuse car Jésus marche à nos côtés. Sachons en rendre grâce, pour nous relever, et marcher, libres et confiants, dans les pas de Notre Seigneur.
Frère Dominique
MOSES ON MOUNT SINAI
13 mars, 2014PRIER SUR LA MONTAGNE
13 mars, 2014http://catechese.free.fr/PrierMontagne.doc.
CATECHESE BIBLIQUE SYMBOLIQUE
PRIER SUR LA MONTAGNE
Août 2002
1. Reprise
Les catéchumènes de l’antiquité apprenaient la Bible à partir de la liturgie de la Parole, et ne participaient à la » messe des fidèles » qu’après une longue initiation biblique. Parrains et marraines préparaient leurs filleuls à écouter les trois lectures de la messe, et bien sûr, les psaumes qui encadraient ces lectures.
Les apprentis chrétiens étaient ainsi initiés à la prière chrétienne qui, à l’époque, était la liturgie de la Parole. L’exégèse de la Bible était celle que le Ressuscité enseigna aux disciples d’Emmaüs et aux autres rassemblés pour le repas. Toutes les Ecritures (la Torah, les prophètes et les psaumes) parlent de la mort et de la Résurrection de Jésus et de l’Incarnation de Dieu. Ils n’en parlent pas seulement comme un fait du passé, mais comme l’expérience fondatrice de l’Eglise, comme l’expérience spirituelle qui chasse Satan des cœurs en y faisant descendre l’Amour. Nous ne soulignerons jamais assez qu’il s’agit d’une expérience.
Dieu est Vivant parce qu’il parle : un mort ne parle pas ! Où Dieu parle-t-il ? Dans la prière nourrie des Ecritures, dont les psaumes sont une pièce essentielle. Nous verrons successivement deux aspects de la Parole de Dieu :
Le récit évangélique de la Transfiguration de Jésus sera présenté comme une synthèse de l’expérience ecclésiale de » la voix » qui jaillit de la Trinité divine.
2. La » voix » de Dieu sur la montagne
a. La » voix » dans la Bible
» La voix » de Dieu parle au cœur des disciples comme elle parla à Moïse sur le Mont Sinaï. Dans le Deutéronome (5,23-27), Moïse fait mémoire devant le peuple de cette expérience fondatrice d’Israël : Lorsque vous avez entendu cette » voix » sortir des ténèbres alors que la montagne était en feu… vous êtes venus me dire : nous avons entendu sa » voix » du milieu du feu. Aujourd’hui, nous avons constaté que Dieu peut parler à l’homme, et l’homme rester en vie… Mais est-il un être de chair qui puisse rester en vie après avoir entendu comme nous la voix du Dieu vivant parlant au milieu du feu ? Le peuple se déchargea alors sur Moïse de cette écoute dangereuse de » la voix » du Seigneur en lui disant : » Toi, tu écouteras et tu nous répéteras ce que le Seigneur notre Dieu t’aura dit, et nous, nous t’écouterons et mettrons en pratique ce que tu auras entendu. «
Ce passage, bien connu de la Tradition juive, est celle du » Shema Israël « . A la suite de Moïse, le prêtre (ou aujourd’hui, le rabbin) est l’interprète de la Parole de Dieu, il commente la Bible au peuple à partir d’une écoute intérieure de la » voix » de Dieu sur un » Sinaï » spirituel.
Notre » liturgie de la Parole » hérite de la prière intérieure de la Synagogue, de l’écoute de la » voix » du Dieu vivant qui parle au milieu du feu d’Amour sur un Sinaï intérieur. La seconde épître de Pierre (1,16-18) évoque cette expérience fondatrice de la prière biblique : Ce n’est pas en suivant des fables sophistiquées que nous avons fait connaître la puissance et l’avènement de notre Seigneur Jésus-Christ, mais après avoir été les témoins oculaires de sa majesté. Il reçut en effet du Père honneur et gloire lorsque la Gloire pleine de majesté lui transmit cette parole : Celui-ci est mon Fils bien aimé qui a toute ma faveur. Cette » voix « , nous l’avons entendue; elle venait du ciel, nous étions avec Lui sur la montagne sainte.
Le cadre général n’a pas changé, c’est toujours le Sinaï ! Mais le Dieu vivant a en plus un nom : » Jésus-Christ » qui a été transfiguré aux yeux de ceux montés avec Lui sur la haute montagne. (Mt 17,1) Ceux-ci ont » vu » en une même personne l’homme Jésus et Dieu, l’extérieur du prophète de Nazareth et son cœur, son corps et l’Esprit qui l’animait du dedans, la chair et le sang unifiés. Cette étonnante vision des témoins n’est pas seulement un regard extérieur car » la voix » du Père lui rendait témoignage, » voix » qui traverse la Bible et traverse l’écoutant. Le récit évangélique de la Transfiguration semble mettre en scène l’expérience de la Parole faite chair. Voyons comment.
b. La transfiguration ou l’expérience mystique de l’unification de l’âme
Ils sont trois hommes à monter là-haut avec Jésus : Pierre, Jacques et Jean. Où ? Sur une haute montagne à l’écart (Mt 17,1). Le lieu n’est pas déterminé par la géographie, seulement par son élévation et sa situation reculée. Serait-il question d’une » montagne » spirituelle, en clair : de la prière nourrie des Ecritures ?
La suite confirme l’hypothèse. Le texte grec de l’évangile dit que Jésus a été métamorphosé. Il s’agit d’un changement de peau . Jésus a soudain brillé comme le soleil, et ses vêtements sont devenus blancs comme la lumière (Mt 17,2). Ce qu’on appelle habituellement » la transfiguration de Jésus » est en vérité une métamorphose semblable à celle de la chenille qui devient papillon. Cette mue de l’insecte a d’ailleurs été souvent utilisée par la Tradition pour évoquer le passage de la chair mortelle à la chair éternelle. Avant sa Résurrection, Jésus était perçu comme un être humain habituel mais, suite à l’événement, sa chair apparut aux yeux des disciples d’une tout autre nature . Sa personne intime devînt comme un soleil et ses vêtements (de peau) prirent une blancheur éclatante. Autrement dit, son sang et sa chair révélaient à eux deux un immense Amour, la » nature divine » d’un Etre parfait, totalement unifié.
L’homme extérieur perçoit la Transfiguration comme un miracle, comme un spectacle : Jésus a été transfiguré, et les Apôtres ont été impressionnés, bouleversés du dehors par ce qui se passait devant eux. Mais la métamorphose de Jésus en Jésus-Christ, du Crucifié en Ressuscité, relève de l’expérience et pas seulement du fait extraordinaire, elle touche à la fois l’intérieur et l’extérieur du disciple, son » sang » et sa » chair « .
Quiconque fait cette expérience de la métamorphose de Jésus en Jésus-Christ est introduit dans une compréhension neuve des Ecritures. Tel semble être le premier temps de l’événement vécu sur la haute montagne.
L’évangile poursuit : Et voici que Moïse et Elie leur apparurent parlant avec Lui (Mt 17,3). Ici, » la chair » imagine l’apparition de deux personnages disparus depuis des siècles et qui ont été reconnus sans difficultés par les trois spectateurs interdits. Pourtant le texte évangélique ne se focalise par sur l’apparition, mais bien sur l’échange de paroles qui unissait Jésus aux deux grands personnages de l’Ancien Testament, écoutés l’un et l’autre dans la liturgie de la Parole : Moïse (la Loi) est la première lecture, Elie (les prophètes) est la seconde.
Ainsi, dès que le cœur du croyant perçoit la métamorphose du Crucifié en Ressuscité, sa première écoute des Ecritures en est renouvelée, rénovée. L’ancienne lecture juive des livres de la Bible était traversée par la » voix » du Dieu vivant mais elle restait éclatée car elle manquait de modèle, elle n’avait pas de phare. En revanche, la nouvelle exégèse biblique dont nous parlions hier, oriente le croyant vers la Croix qui devient alors la clé des Ecritures.
Pierre entre difficilement dans cette manière toute neuve d’appréhender la Bible. Le récit évangélique semble le laisser entendre. En effet Pierre dit à Jésus : Il est bon que nous soyons ici. Si tu veux, je vais dresser trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Elie (Mt 17,4). Le chef des disciples, à qui Jésus vient de confier la responsabilité de la future Eglise (Mt 16,18-19) reste dans une lecture fractionnée, non unifiée, des Ecritures . Il propose en effet à Jésus de construire trois tentes alors que Moïse et Elie habitent le même lieu spirituel que le Seigneur : ils dialoguent avec Lui comme nous le faisons encore dans la liturgie de la Parole . Pierre n’a pas encore compris que la Loi et les prophètes doivent être placés dans la même » tente » divine que Jésus-Christ, dans le même » ciel » intérieur. Homme encore éclaté, le grand Apôtre restait sur une lecture éclatée des Ecritures, et il passait à côté du plan de Dieu (Ep 1,11), de » l’économie du salut » qu’il nous est proposée de vivre.
Heureusement qu’une nuée lumineuse les prit (tous les trois) sous son ombre et voici que, de la nuée, une » voix » disait : » Celui-ci est mon Fils bien aimé, il a toute ma faveur. Ecoutez-le ! » (Mt 17,5) Une seule » tente » d’Esprit-saint descend d’en haut pour recouvrir l’Eglise en prière sur la » haute montagne « . Cette tente de lumière permet l’écoute du Fils envoyé par le Père, elle éclaire l’esprit des baptisés.
La lumière de Dieu est difficilement supportable par la créature. Ainsi le peuple de l’ancienne Alliance disait-il à Moïse : Que Dieu ne nous parle pas, car ce serait pour nous la mort (Ex 20,20). Depuis cette nuit des temps, la réalité a changé, Dieu a renouvelé son Alliance. Désormais, en Jésus-Christ, l’Amour est tamisé et le feu de Dieu réchauffe les cœurs et éclaire la mort, il ne brûle plus. La nuée lumineuse a été comme » ombrée » par le Fils bien aimé que le chrétien écoute. Par Lui et en elle , » la voix » est devenue parlante, non seulement pour Moïse et quelques privilégiés mais pour tous les baptisés initiés en catéchèse à la » Parole faite chair « .
A cette » voix « , les disciples tombèrent la face contre terre, tout effrayés. (Mt 17,6). L’expérience de la Parole est si bouleversante qu’elle bouscule les habitudes de prière, et fait tomber à terre. Mais Jésus s’approcha d’eux, les toucha et leur dit : » Réveillez -vous, n’ayez pas peur ! » (Mt 17,7). La chute n’est donc pas une mort, mais un éveil. Le Ressuscité vient réveiller l’âme d’un engourdissement millénaire. Le Christ réveille le » vieil Adam » pour en faire un » homme nouveau » dont l’âme, à la fois corporelle et spirituelle, est appelée à s’unifier.
Alors, eux, levant les yeux, ne virent plus que Jésus et Jésus seul (Mt 17,8). En effet, le » ciel » des baptisés n’est éclairé que par un unique » soleil » : Jésus seul, Jésus UN, dont la lumière, c’est-à-dire l’Amour, éclaire les Ecritures. Cette expérience se répète en toutes vies humaines où » la voix » s’écoute sur la » haute montagne » qui se dresse à l’écart des fracas du monde.
L’expérience de la » voix » se fait en Eglise. En chaque baptisé, elle s’approfondit au fil du temps grâce à la liturgie de la Parole. Sur cette haute montagne qui se dresse à l’écart d’un monde angoissé par la mort, Moïse et Elie sont écoutés en référence au Crucifié qui, ressuscité, n’est plus ici dans ce tombeau où on l’avait placé (Mc 16,6). Certes, les hommes tendent encore à l’y enfermer, ne croyant pas vraiment à sa métamorphose. C’est Lui, le Seigneur, qui fait pourtant sortir les baptisés de leur tombeau en leur ouvrant les Ecritures. Cette expérience bouleversante de la » Parole faite chair » était mimée dans la liturgie antique du Baptême par immersion car elle était le résultat attendu de l’initiation catéchétique.
» Baptisé, cette expérience est toujours la tienne : n’est-elle pas la vie de ton Baptême ? «
JUSTICE & CHARITÉ
13 mars, 2014http://philo.pourtous.free.fr/Articles/Marc/justiceetcharite.htm
JUSTICE & CHARITÉ
« Aussi appelons-nous d’une seule expression : le juste, ce qui est susceptible de créer ou de sauvegarder, en totalité ou en partie, le bonheur de la communauté politique. »
Aristote, Ethique à Nicomaque, V, i, 13
« Nous n’avons pas besoin de votre charité, nous voulons la justice. »
Proudhon, Justice.
Dans le domaine de la philosophie morale, il est assez commun de considérer, lorsqu’on distingue la justice et la charité, que la seconde est un “adoucissement” de la première. Autrement dit, un acte de charité serait plus “humain” et donc meilleur moralement qu’un acte de justice. Nous nous proposons ici de montrer que cette idée repose, d’après nous, sur un malentendu à l’égard de la notion de justice.
La conception commune à laquelle nous venons de faire allusion semble avoir son origine dans la distinction entre la morale de l’Ancien Testament et celle du Nouveau[1]. Dans l’Ancien Testament, Dieu est supposé être “seulement” juste sans être charitable : il sanctionne impitoyablement les pécheurs pour leurs fautes. Une des plus fameuses illustrations de cette justice sans pitié est la loi du talion, énoncée par Dieu lui-même, entre autres, en Lévitique, 24, 19 : « Fracture pour fracture, œil pour œil, dent pour dent. Tel dommage que l’on inflige à un homme, tel celui que l’on subit »[2]. On trouve même dans l’Ancien Testament de nombreux exemples d’une justice qui semble plus implacable encore : le Déluge, durant lequel tous les hommes (sauf Noé et sa famille) et tous les animaux de la terre et du ciel (sauf un couple de chaque espèce) sont noyés (ce pourquoi les animaux marins échappent à la sanction…) en punition de la méchanceté de l’homme (Genèse, 6, 5 et suivants) ; la dixième plaie d’Egypte, au cours de laquelle Dieu tue tous les premiers-nés égyptiens, humains et animaux, pour contraindre Pharaon à laisser partir les Hébreux (Exode, 12, 29 et suivants)[3], et bien d’autres encore.
A cette impitoyable justice de l’Ancien Testament, le Nouveau répond, dit-on souvent, par la charité, singulièrement celle de Jésus. On se réfère notamment, pour illustrer cette charité, à l’épisode de « la femme adultère », qu’on trouve dans l’Evangile selon saint Jean, 8, 1-11 : « Or les scribes et les Pharisiens amènent une femme surprise en adultère et, la plaçant au milieu, ils disent à Jésus : “Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d’adultère. Or dans la Loi, Moïse nous a prescrit de lapider ces femmes-là. Toi donc, que dis-tu ?” Ils disaient cela pour le mettre à l’épreuve, afin d’avoir matière à l’accuser. (…) Comme ils persistaient à l’interroger, il se redressa et leur dit : “Que celui d’entre vous qui est sans péché lui jette le premier une pierre !” ».
En Lévitique, 20, 10, et en Deutéronome, 22, 22, (donc dans l’Ancien Testament) est en effet énoncée une condamnation à mort pour les deux personnes qui commettent l’adultère[4]. Jésus choisit délibérément de pardonner à la femme adultère en ne faisant pas exécuter la sentence pourtant prévue par la justice, c’est-à-dire, ici, la Loi de Moïse (la Torah). La Loi n’a bien sûr jamais énoncé que les exécutants d’une peine devaient eux-mêmes être sans péché, car une telle disposition rendrait probablement toute peine humaine impossible. Et en menant l’exigence de Jésus à son terme, c’est effectivement la situation à laquelle on aboutit : nul homme ne pourrait en condamner un autre à quelque sanction que ce soit, du fait qu’il est lui-même pécheur. La charité consisterait alors à déléguer intégralement à Dieu, seul être impeccable (étymologiquement « incapable de pécher »), toute capacité de rendre la justice, prérogative échappant à l’homme.
On pourrait toutefois remarquer que Jésus est lui-même Dieu dans sa deuxième personne selon la religion Chrétienne. A ce titre, il est lui-même impeccable et aurait donc le droit de condamner la femme adultère (et son “complice”) à mort. Or il ne le fait pas, comme l’indique la fin du récit (Evangile selon saint Jean, 8, 10-11) : « Alors, se redressant, Jésus lui dit : “Femme, où sont-ils ? Personne ne t’a condamnée ?” Elle dit : “Personne, Seigneur.” Alors Jésus dit : “Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, désormais ne pèche plus.” »
Jésus veut-il indiquer par là qu’en cas de récidive, la peine prévue par la Loi sera appliquée ? Ou au contraire que nulle justice terrestre ne doit être appliquée ? L’évangile ne le dit pas. Ce qui semble néanmoins clair, c’est le caractère excessif de la peine de mort en cas d’adultère, peine pourtant énoncée, comme on l’a vu, par Dieu lui-même. Mais quoi qu’il en soit, si la charité du Nouveau Testament est souvent présentée comme le prolongement nécessaire et même l’aboutissement de la justice de l’Ancien, dans l’épisode de la femme adultère, c’est bien plus que cela, puisque la charité (de Jésus) ne consiste en rien de moins qu’en l’annulation de la sanction prévue par la justice (de Moïse, inspirée par Dieu).
Un deuxième épisode tiré des évangiles porte à son paroxysme le décalage, et l’on pourrait même ici parler d’opposition, entre justice et charité. Il s’agit de l’épisode du jugement de Jésus, de sa condamnation et de l’une de ses réactions[5] narrée dans l’évangile de Luc. Après avoir été livré par Pilate aux grands prêtres, aux chefs et au peuple juifs[6], après avoir été crucifié avec les deux larrons, Jésus dit : « Père, pardonne-leur : ils ne savent ce qu’ils font. »[7] Si la justice se rapporte ici à la condamnation, effectivement légale, car autorisée par Ponce Pilate, de Jésus à mort, et si la notion de charité permet de qualifier la réaction de Jésus (à nouveau celle du pardon), l’opposition radicale entre justice et charité ne fait ici, moins encore qu’ailleurs, aucune difficulté. Il est également clair que selon l’évangile de Luc, la réaction charitable de Jésus vaut plus, moralement parlant, que les actions de justice de Pilate ou du peuple juif[8].
Remarquons en outre que selon la classification chrétienne des vertus[9], la justice relève des vertus cardinales[10], tandis que la charité est l’une des trois vertus théologales[11]. On peut en déduire, là aussi, une certaine primauté accordée à la charité sur la justice. En effet, les vertus cardinales, dont la justice, sont supposées pouvoir être acquises par le seul effort humain, tandis que les vertus théologales, dont la charité, sont censées requérir l’assistance divine (d’où leur qualificatif) pour être possédées.
Toutes les remarques qui précèdent illustrent bien la conception communément répandue de la justice et de la charité : la justice est souvent trop sévère. Cette sévérité doit alors être atténuée par la charité. A l’implacable, froide et mécanique justice, il faut opposer la clémente, chaleureuse et humaine charité. Or il s’agit là, d’après nous, d’une mauvaise manière de concevoir la justice et, par conséquent, la charité.
La philosophie considère, d’une manière très générale, la justice comme l’application du principe : « A chacun son dû »[12]. Les divergences apparaissent dès lors qu’il s’agit de savoir selon quels critères il faut établir le dû de chacun, autrement dit ce qui lui revient de droit. Mais on peut déjà remarquer que cette conception de la justice, même avec sa grande imprécision, permet d’aller plus loin que la seule conception répressive de la justice (que nous avons exposée dans les paragraphes précédents), tout en l’englobant. Certes, ce qui est dû au coupable, c’est dans la plupart ou la totalité des cas, une punition. Mais dire « A chacun son dû », c’est demander également le dédommagement de la victime, et aussi une certaine égalité des droits pour tous, ce qui suppose nécessairement une aide aux plus défavorisés (« donner plus à ceux qui ont moins », comme on le dit parfois). Il est en effet évident que l’égalité des droits impose une inégalité des traitements ; par exemple, si l’on considère que la santé est un droit, il est juste que les malades aient droit à plus de soins et d’aide que ceux qui sont en bonne santé, sans que cette aide supplémentaire puisse être considérée comme l’expression d’une quelconque charité : il s’agit bien ici de justice.
On voit dès lors que, si toutes les exigences de la justice sont satisfaites, le rôle de la charité devient inutile voire nuisible, puisque par la charité est introduite une certaine inégalité que rien, en droit, ne semble justifier : il n’est pas juste par exemple, même s’il est sans doute charitable, que tel mendiant bénéficie de mes largesses, et non tel autre. On objectera bien sûr que les revendications de la justice, au sens “exigeant” du terme, n’ont jamais, et de loin, été satisfaites, et même qu’elles ne le seront probablement jamais. Cela signifie par conséquent que la charité n’a de raison d’être que si la justice n’est pas complètement appliquée. Une société “idéale”, quels que soient les détails de son organisation, ne connaîtrait pas la charité, mais au contraire une justice totale. La charité est donc moins le signe d’une perfection morale que celui d’une imperfection sociale ou politique[13].
On voit ainsi que la conception d’une justice par essence trop sévère, qui devrait par essence être corrigée par la charité, ne tient pas. Cette conception confond, semble-t-il, la justice de fait, qui est certes parfois trop sévère[14] (mais sans doute aussi parfois trop clémente), et la justice de droit, quelle que soit la théorie précise de cette justice de droit, pourvu qu’elle soit ou prétende être conforme au principe : « A chacun son dû ».
Remarquons également un point important concernant la distinction entre justice et charité. La charité est par définition d’initiative privée[15], tandis que la justice ne saurait relever que de la responsabilité publique. Ce qu’on appelle par exemple la “justice sociale” consiste dans l’ensemble des dispositifs par lesquels l’Etat s’efforce de réduire les injustices dites sociales[16], afin que leur disparition ou au moins leur atténuation ne dépendent précisément pas de la charité privée, souvent insuffisante et toujours inégalement répartie. La charité, ne serait-ce que par cette inégale répartition, est donc toujours injuste, en ce sens qu’il ne se trouve pas quelqu’un de charitable pour toute situation qui l’exigerait. Pour une femme adultère pardonnée par Jésus, combien périrent, faute d’une personne charitable pour les sauver ? Mais si, au contraire, c’est la justice qui exige que l’adultère ne soit pas puni, du moins pas par la mort, alors cette justice fera que toutes les femmes adultère et tous les hommes adultères seront jugés et éventuellement punis de la même manière, ce qui semble la moindre des exigences de la justice, mais qui ne peut être garanti par la charité, fût-ce celle de Jésus.
L’exemple plus général du traitement de la pauvreté dans la société permet de comprendre précisément cette différence entre justice et charité. Saint Thomas d’Aquin, dans la Somme théologique, cite saint Ambroise : « Le pain que tu gardes appartient à ceux qui ont faim »[17]. Les pauvres sont bel et bien propriétaires, au sens strict et en vertu de la volonté divine, des biens que les riches possèdent en plus de ceux qui leur permettent de satisfaire leurs propres besoins naturels (« le pain que tu gardes »). Pour saint Thomas en effet, Dieu veut que tous les hommes puissent satisfaire leurs besoins vitaux. Ceux à qui le droit humain (qui fixe la propriété privée) n’attribue pas suffisamment pour cela, c’est-à-dire les pauvres, ont donc, d’après le droit divin, l’autorisation de prendre ce qui est en fait à eux. Le droit humain est donc en tort par rapport au droit divin à chaque fois qu’un pauvre a moins que le nécessaire et qu’un riche a plus. Lorsqu’un riche donne à un pauvre, il ne fait donc pas la charité, mais rend au pauvre ce qui lui appartient de droit ; il ne fait donc que respecter la justice qui, pour être divine, n’en est pas pour autant charité. On voit donc bien ici que, si la justice est satisfaite, autrement dit si tous les hommes ont au moins de quoi satisfaire leurs besoins vitaux, la charité est inutile.
Spinoza, quant à lui, va plus loin et estime que c’est l’Etat qui doit s’assurer que tous les citoyens qui sont sous son autorité ont ce minimum vital : « (…) porter secours à chaque indigent dépasse de loin les force et l’intérêt d’un homme particulier. Car les richesses d’un homme particulier sont de beaucoup insuffisantes à y subvenir. Et, d’ailleurs, les facultés d’un seul homme sont trop limitées pour qu’il puisse se lier d’amitié avec tous. Aussi le soin des pauvres incombe-t-il à l’ensemble de la société et concerne seulement l’utilité commune.[18] » On peut remarquer ici l’opposition entre « l’intérêt d’un homme particulier » et « l’utilité commune », qui justifie à elle seule que « le soin des pauvres » incombe à « l’ensemble de la société ». Spinoza ne fait pas plus confiance en effet en la bonne volonté des riches qu’en leurs possibilités, puisque qu’il reconnaît que ce n’est pas leur intérêt, en tant qu’hommes particuliers, que d’aider « ceux qui n’ont pas de quoi se procurer les choses nécessaires à la vie[19] ».
Kant, par un raisonnement un peu différent, parvient au même résultat : « La volonté universelle du peuple s’est (…) unie en une société, qui doit se conserver toujours, et elle s’est soumise en conséquence à la puissance publique intérieure, afin d’entretenir les membres de cette société, qui ne peuvent se suffire. C’est par l’Etat donc que le gouvernement est autorisé à contraindre les riches à fournir les moyens de se conserver à ceux qui ne le peuvent point. (…) cela ne saurait se faire que de manière obligatoire par des charges publiques et non pas simplement grâce à des contributions volontaires[20] ».
Par des voies fort différentes, saint Thomas d’Aquin, Spinoza et Kant considèrent donc que c’est la justice, qui donne à chacun son dû, et non la charité, qui prétend donner à chacun plus que son dû, qui a pour mission de régler le problème de la pauvreté, que tous sont d’ailleurs d’accord pour définir comme le fait de manquer ce qui est indispensable à la vie. La différence notable entre saint Thomas d’une part, Spinoza et Kant d’autre part, est que pour ces derniers, c’est l’Etat, et non les particuliers, qui a la charge de faire en sorte que les pauvres aient ce à quoi la justice (qui est alors humaine, et non plus divine) leur donne droit. La difficulté rencontrée par saint Thomas est que rien ne contraint réellement les riches à donner aux pauvres, ceux-ci étant par conséquent dépendants de la “bonne volonté” de ceux-là[21]. Mais malgré cette importante divergence, on en arrive bien pour ces trois auteurs à l’idée que si la justice est intégralement satisfaite, la charité est ici inutile. Nous disons bien « ici », car bien que pour Thomas d’Aquin la charité soit évidemment une vertu fondamentale, elle ne semble pas avoir d’application concernant le problème de la pauvreté.
On pourrait objecter à ce qui précède que des actes de charité, en plus des actes de justice, sont indispensables à la vie en société. Prendre un auto-stoppeur dans sa voiture, par exemple, semble un acte de pure charité, et non de justice, car nulle injustice n’est manifestement commise si l’autostoppeur n’est pas pris. Or un tel acte, et tous ceux de même nature, semblent bien souhaitables dans une société. Pour répondre à cette objection, il importe de définir exactement ce que nous entendons par le terme de charité. Ce concept est notamment à distinguer d’autres formes de l’altruisme, plus “simples”, comme la bonté, la générosité ou la gentillesse. Alors que ces dernières peuvent s’exercer dans un contexte quelconque, la charité prétend s’exercer au-delà de la justice. L’exemple extrême de charité chrétienne est l’amour de ses ennemis[22]. On conviendra que nul ne peut prétendre qu’il est juste d’aimer ses ennemis et qu’un tel amour est rien moins que “naturel”. Si mon ennemi est mon ennemi, c’est que j’ai quelque chose à lui reprocher, et que son “dû” n’est certainement pas mon amour… Si seule la justice était respectée, mon ennemi ne recevrait assurément pas mon amour, mais la punition méritée de ce qui en fait mon ennemi. On voit ici, comme dans l’épisode de la femme adultère, que la charité ne consiste pas à “améliorer” la justice, mais bien à l’annuler. La bonté, la générosité, la gentillesse et plus généralement l’altruisme, eux, ne s’opposent jamais à la justice, et on peut effectivement accorder que leur existence est souhaitable.
Notons en outre que la question de la justification de la charité se pose dans des registres différents. On peut notamment considérer, premièrement, le problème de la charité à l’égard des personnes qui, a priori[23], sont davantage des victimes que des coupables, et singulièrement les pauvres et les nécessiteux en tous genres. Sur cette question, la politique moderne, notamment en France, attribue généralement à l’Etat la responsabilité de satisfaire le “minimum” des besoins de ceux qui ne peuvent y subvenir par eux-mêmes[24] : l’exemple le plus parlant est ici celui des « minima sociaux » : RMA (revenu Minimum d’Activité), CMU (Couverture Maladie Universelle), Minimum Vieillesse, etc. Cette politique est dite de « justice sociale », et n’a rien en effet d’une « charité publique », comme certains l’ont pourtant qualifiée. Nous sommes bien là face à une action publique, générale, systématique, égalitaire[25], calculée en fonction des besoins de ceux à qui elle s’adresse, autant de propriétés qu’on ne retrouve jamais dans la charité.
Mais la charité peut également être envisagée, deuxièmement, à l’égard de ceux qui sont a priori[26] davantage coupables que victimes ; nous pensons ici à la justice comme institution punitive. Le juge doit-il être charitable face au délinquant ? On ne peut ici de répondre que la justice est de fait charitable lorsqu’elle décide de tenir compte des circonstances atténuantes d’un crime ou d’un délit. En effet, d’un point de vue juridique, ces circonstances atténuantes font partie intégrante du système pénal, ce qui signifie que leur prise en compte est juste et non charitable.
La charité consisterait ici en tout autre chose : à pardonner au coupable, comme Jésus pardonne à la femme adultère et, plus encore, à ceux qui l’ont condamné à mort et exécuté. On peut dire sans hésitation que la charité de cette deuxième sorte va plus loin encore que la première, de même que le commandement, énoncé par Jésus, de l’amour de ses ennemis, va plus loin que l’amour du seul « prochain » : « Vous avez entendu qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi[27]. Eh bien ! moi je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour vos persécuteurs, afin de devenir fils de votre Père qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et les injustes. Car si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense aurez-vous ? Les publicains eux-mêmes n’en font-ils pas autant ? Et si vous réservez vos saluts à vos frères, que faites-vous d’extraordinaire ? Les païens eux-mêmes n’en font-ils pas autant ? Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait. »[28] On voit bien ici que l’exigence de charité formulée par Jésus (l’amour des ennemis) est, au sens étymologique, extraordinaire. Mais le philosophe ne peut pas ne pas s’interroger sur la possibilité théorique du commandement d’amour, et a fortiori de l’amour de l’ennemi. Comment l’amour pourrait-il se commander ? Peut-on s’obliger à aimer quelqu’un, particulièrement son ennemi ? Si nous avons montré que les précédentes formes de charité étaient inutiles si la justice pouvait être intégralement satisfaite, on peut ici penser que cette dernière sorte de charité est simplement impossible.
En définitive, on peut donc dire que ce dont les hommes ont besoin en société, ce n’est pas d’un surcroît de charité, mais d’une justice satisfaite dans toutes ses exigences. Il reste certes à définir précisément le concept de justice, c’est-à-dire principalement le critère de détermination de ce qui est dû à chacun. Et l’on sait que par-delà l’acceptation du principe « A chacun son dû », diverses conceptions de la justice sont possibles. Ainsi Marx considère-t-il que la véritable justice ne sera atteinte que lorsque « la société pourra écrire sur ses drapeaux : “De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins !”[29] ». Chacune des autres conceptions (« A chacun selon son travail », « A chacun selon son mérite », et ainsi de suite) prétend être celle qui explicite le plus justement le principe « A chacun son dû ». S’il ne s’agit pas ici de prendre position en faveur de l’une ou de l’autre, remarquons bien que dans toutes, si le principe de justice est pleinement satisfait, la charité est inutile ou même nuisible. Si l’on considère par exemple le principe « A chacun selon son travail », il signifie que celui qui ne travaille pas n’a aucun dû, et que ce serait donc une injustice que de lui faire la charité. Dans la conception marxienne, la charité n’a pas non plus sa place, mais pour une raison exactement inverse : Marx se place ici dans la perspective de l’avènement de la société communiste, ce qui suppose que le travail est devenu « lui-même le premier besoin vital »[30]. Chacun recevant alors tout ce dont il a besoin, la charité disparaît d’elle-même, faute de nécessiteux. Et c’est bien là, selon nous, l’horizon du rapport entre justice et charité : si la justice est satisfaite, la charité perd toute raison d’être.
Marc Anglaret
NOTES SUR LE SITE
The British Library, David praying
12 mars, 2014POUR UNE COMPARAISON DES DIX COMMANDEMENTS AVEC LES DIX CORDES DU PSALTÉRION
12 mars, 2014http://peresdeleglise.free.fr/Augustin/Analyses/dixcordes.htm
POUR UNE COMPARAISON DES DIX COMMANDEMENTS AVEC LES DIX CORDES DU PSALTÉRION
Dans un sermon où, recourant au psaume 143 Augustin s’arrête sur cette phrase : « Je chanterai sur le luth à dix cordes » (Ps 143,9), l’évêque d’Hippone entreprend un commentaire des dix commandements donnés à Moïse au Sinaï. Le prédicateur, à propos de cette phrase, pour frapper l’esprit de ses auditeurs, associe chaque précepte transmis dans le « décalogue » avec une des cordes du psaltérion(1) :
Il s’agit là d’un extrait du Sermon 9, dont on ne peut que recommander la lecture intégrale car au-delà de ce rapprochement, il contient beaucoup d’autres données significatives.
Augustin commence par diviser les préceptes des commandements en 3 + 7 (chiffres qu’en raison de leurs significations dans la Bible, Augustin tente fréquemment de mettre en évidence pour frapper l’imagination de son auditoire, et favoriser la mémorisation)(2) : 3 préceptes se rapportant à Dieu (Trinité !) et 7 aux hommes. Puis il commente chacun des préceptes, et c’est alors que se situe le texte qui suit (Sermon 9, 13) qui récapitule les « monstres » dont il convient de se délivrer en respectant le décalogue pour devenir « homme nouveau » : celui du commandement nouveau et du chant nouveau !
« Touchez ces dix cordes, et vous mettez à mort les bêtes féroces. Ces deux choses, vous les faites en même temps.
Vous touchez la première corde, lorsque vous adorez un seul Dieu. Et vous voyez tomber la tête de la superstition.
Vous touchez la seconde, en ne prenant pas en vain le nom du Seigneur votre Dieu, et vous terrassez des erreurs de ces hérésies sacrilèges qui ont pris en vain le nom sacré.
Vous touchez la troisième corde, en agissant sans cesse dans la perspective du repos éternel ; et vous mettez à mort une bête plus cruelle que toutes les autres : l’amour de ce monde. Sous l’inspiration de cet amour, les hommes se donnent beaucoup de mal dans les affaires qu’ils entreprennent. Pour vous, appliquez-vous à bien agir ; non pour l’amour de ce monde, mais pour le repos éternel promis par Dieu.
Honorez votre père et votre mère, et vous touchez la quatrième corde, en rendant à vos parents l’honneur qui leurs est dû, et vous faites tomber la bête qui figure l’oubli de la piété familiale.
Vous ne tuerez point, vous touchez la sixième corde, et vous triomphez de la bête de la cruauté.
Vous ne déroberez point, vous touchez la septième corde, et vous donnez le coup de mort à l’instinct de la rapacité.
Vous ne ferez point de faux témoignage, vous touchez la huitième corde, et soudain tombe la tête du mensonge.
Vous ne convoiterez point l’épouse de votre prochain, vous touchez la neuvième corde, et vous étouffez la bête des pensées adultères.
Vous touchez la dixième corde, et vous voyez tomber la tête de la convoitise.
Toutes ces bêtes féroces étant ainsi terrassées, votre vie s’écoulera en toute sécurité, dans l’amour de Dieu et la société des hommes.
Voyez que de monstres vous mettez à mort en touchant ces dix cordes ! Car, chacun d’eux en comprend beaucoup d’autres ! En touchant chaque corde, ce n’est pas un seul que vous terrassez ; ce sont des multitudes entières !
Ainsi, vous pourrez chanter le « cantique nouveau » non point avec crainte, mais avec amour ! »
(1) On pourra aussi s’amuser de la mise en scène, Augustin proposant (Sermon 9, 6) : « Figurez-vous que je suis un musicien. Que puis-je vous chanter encore ? Voyez, je porte avec moi un psaltérion à dix cordes ; n’en avez-vous pas joué vous-mêmes avant que je prenne la parole ? Vous êtes mon chœur de musiciens, car vous venez de chanter : « O Dieu, je vous chanterai un chant nouveau, je vous célébrerai sur le psaltérion à dix cordes [Ps 143, 9]. » Je touche maintenant ces dix cordes. Qu’y aurait-il de désagréable dans le son rendu par ce divin psaltérion ? « Je vous chanterai sur le psaltérion à dix cordes ».
Notons que le psaltérion ou luth à dix cordes qu’évoque Augustin est un instrument à cordes pincées, de la famille des cithares : une caisse de résonance sur laquelle sont tendues des cordes. Sa conception est simple et il a ainsi pu être utilisé dès la plus haute antiquité dans toute l’Europe et le Proche-Orient.
(2) Augustin est très sensible à une certaine « numérologie » (pratique courante à son époque), et il se livre très fréquemment à des commentaires sur les chiffres (notamment dans la Bible) pour dégager des significations supplémentaires. Cf. par exemple comment il rapproche les sept dons de l’Esprit des Béatitudes et des sept demandes du Notre-Père.
DIRE « OUI » POUR TOUJOURS ? C’EST POSSIBLE !
12 mars, 2014http://www.zenit.org/fr/articles/dire-oui-pour-toujours-c-est-possible
DIRE « OUI » POUR TOUJOURS ? C’EST POSSIBLE !
Rencontre avec les fiancés pour la Saint-Valentin (texte intégral)
Rome, 14 février 2014 (Zenit.org) Pape François
A une époque où « faire des choix pour toute la vie semble impossible », le pape livre des recommandations pour que le « oui » et l’amour des mariés « soit stable et pour toujours ».
Le pape François a rencontré quelque 25.000 fiancés qui se préparent au mariage, en provenance du monde entier, ce vendredi 14 février 2014, place Saint-Pierre, pour la Saint-Valentin.
Au cours de la rencontre, organisée par le Conseil pontifical pour la famille, le pape a dialogué avec trois couples de fiancés. Voici notre traduction intégrale de ce dialogue :
Dialogue entre le pape et les fiancés
Première question : La peur de ce « pour toujours »
[Q. Sainteté, nombreux sont ceux qui pensent, aujourd’hui, que se promettre fidélité pour toute la vie est une entreprise trop difficile ; beaucoup pensent que vivre ensemble est un beau défi, fascinant, mais trop exigeant, presque impossible. Nous vous demandons une parole pour nous éclairer sur ce point.]
Pape François – Je vous remercie pour votre témoignage et pour cette question. Je vais vous expliquer : ils m’ont envoyé leurs questions à l’avance… C’est compréhensible… Et comme cela, j’ai pu réfléchir et penser à une réponse un peu plus solide.
C’est important de se demander s’il est possible de s’aimer « pour toujours ». C’est une question qu’il faut se poser : est-il possible de s’aimer « pour toujours » ? Aujourd’hui, beaucoup de personnes ont peur de faire des choix définitifs. Un garçon disait à son évêque : « Je veux être prêtre, mais seulement pour dix ans ». Il avait peur de faire un choix définitif. Mais c’est une peur généralisée, propre à notre culture. Faire des choix pour toute la vie semble impossible. Aujourd’hui, tout change rapidement, rien ne dure longtemps… Et cette mentalité pousse beaucoup de ceux qui se préparent au mariage à dire : « On reste ensemble tant que dure l’amour », et ensuite ? Salut et à bientôt… Et le mariage se termine comme cela. Mais qu’est-ce que nous entendons par « amour » ? Seulement un sentiment, un état psycho-physique ? Bien sûr, si c’est cela, on ne peut pas se construire sur quelque chose de solide. Mais si, en fait, l’amour est une relation, alors c’est une réalité qui grandit, et nous pouvons dire, par analogie, qu’elle se construit comme une maison. Et on construit la maison ensemble, pas tout seul ! Construire, ici, signifie favoriser et aider la croissance.
Chers fiancés, vous êtes en train de vous préparer à grandir ensemble, à construire cette maison, pour vivre ensemble pour toujours. Vous ne voulez pas la fonder sur le sable des sentiments qui vont et viennent, mais sur le roc de l’amour vrai, l’amour qui vient de Dieu. La famille naît de ce projet d’amour qui veut grandir comme on construit une maison pour qu’elle soit un lieu d’affection, d’aide, d’espérance, de soutien. De même que l’amour de Dieu est stable et pour toujours, ainsi nous voulons aussi que l’amour qui fonde la famille soit stable et pour toujours. S’il vous plaît, nous ne devons pas nous laisser vaincre par « la culture du provisoire » ! Cette culture qui, aujourd’hui, nous envahit tous, cette culture du provisoire. Ce n’est pas possible !
Alors, comment peut-on soigner cette peur du « pour toujours » ? On la soigne jour après jour, en se confiant au Seigneur Jésus dans une vie qui devient un chemin spirituel quotidien, fait de pas – des petits pas, des pas de croissance commune –, fait d’engagement à devenir des femmes et des hommes murs dans la foi. Parce que, chers fiancés, ce « pour toujours » n’est pas simplement une question de durée ! Un mariage n’est pas réussi seulement s’il dure, mais c’est sa qualité qui est importante. Le défi des époux chrétiens est d’être ensemble et de savoir s’aimer pour toujours. Il me vient à l’esprit le miracle de la multiplication des pains ; pour vous aussi, le Seigneur peut multiplier votre amour et vous le rendre frais et bon chaque jour. Il en a une réserve infinie ! C’est lui qui vous donne l’amour qui est le fondement de votre union et il le renouvelle, il le fortifie chaque jour. Et il le rend encore plus grand lorsque la famille s’agrandit avec les enfants. Sur ce chemin, la prière est importante, elle est nécessaire, toujours. Lui pour elle, elle pour lui et tous les deux ensemble. Demandez à Jésus de multiplier votre amour. Dans la prière du Notre Père, nous disons : « Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour ». Les époux peuvent apprendre aussi à prier ainsi : « Seigneur, donne-nous aujourd’hui notre amour de ce jour », parce que l’amour quotidien des époux est le pain, le vrai pain de l’âme, celui qui les soutient pour qu’ils puissent avancer. Et la prière : pouvons-nous faire un essai pour voir si nous la savons ? « Seigneur, donne-nous aujourd’hui notre amour de ce jour ». Tous ensemble ! [les fiancés : Seigneur, donne-nous aujourd’hui notre amour de ce jour]. Encore une fois ! [les fiancés : Seigneur, donne-nous aujourd’hui notre amour de ce jour]. Voilà la prière des fiancés et des époux. Apprends-nous à nous aimer, à nous aimer vraiment ! Plus vous vous confierez en Lui, plus votre amour sera « pour toujours », capable de se renouveler, et il vaincra toute difficulté. Voilà ce que je voulais vous dire, en réponse à votre question. Merci !
Deuxième question : Vivre ensemble : le mariage, un « style de vie »
[Q – Sainteté, c’est beau de vivre ensemble tous les jours, cela donne de la joie, c’est un soutien. Mais c’est un défi à relever. Nous croyons qu’aimer s’apprend. Il y a un « style de vie » du couple, une spiritualité du quotidien, que nous voulons apprendre. Saint-Père, pouvez-vous nous y aider ?]
Pape François – Vivre ensemble est un art, un cheminement patient, beau et fascinant. Cela ne se termine pas une fois que vous vous êtes conquis l’un l’autre… Au contraire, c’est justement à ce moment que ça commence ! Ce cheminement de chaque jour a des règles que l’on peut résumer dans ces trois mots que tu as dits, des mots que j’ai répétés souvent aux familles : « S’il ta plaît / tu permets ? » – ou « je peux ? », comme tu as dit, « merci », et « pardon ».
« Je peux ? – Tu permets ? ». C’est une façon gentille de demander d’entrer dans la vie de quelqu’un d’autre, avec respect et attention. Il faut apprendre à demander : je peux faire cela ? Tu aimes bien que nous fassions cela ? que nous prenions cette initiative, que nous éduquions nos enfants comme cela ? Tu veux que nous sortions ce soir ?… En somme, demander la permission signifie savoir entrer avec courtoisie dans la vie des autres. Mais écoutez bien : savoir entrer avec courtoisie dans la vie des autres. Et ce n’est pas facile, ce n’est pas facile. Parfois, au contraire, on a des manières un peu lourdes, comme avec des chaussures de montagne ! L’amour vrai ne s’impose pas par la dureté et l’agressivité. Dans les Fioretti de saint François, on trouve cette expression : « Sache que la courtoisie est une des propriétés de Dieu… et la courtoisie est la sœur de la charité, qui éteint la haine et conserve l’amour » (Chap. 37). Oui, la courtoisie conserve l’amour. Et aujourd’hui, dans nos familles, dans notre monde, souvent violent et arrogant, il faut beaucoup plus de courtoisie. Et cela peut commencer à la maison.
« Merci ». Il semble que ce soit facile de prononcer ce mot, mais nous savons que ce n’est pas le cas… Pourtant, c’est important ! Nous l’enseignons aux enfants, mais ensuite, nous l’oublions ! La gratitude est un sentiment important ! Une fois, à Buenos Aires, une personne âgée m’a dit : « La gratitude est une fleur qui pousse sur une terre noble ». La noblesse d’âme est nécessaire pour que pousse cette fleur. Vous vous souvenez de l’Évangile de Luc ? Jésus guérit dix malades de la lèpre, et ensuite un seul revient dire merci à Jésus. Et le Seigneur dit : « et les neuf autres, où sont-ils ? Cela vaut pour nous aussi : savons-nous remercier ? Dans votre relation, et demain dans la vie de mariage, il est important de garder une conscience vive que l’autre personne est un don de Dieu et on dit merci pour les cadeaux de Dieu ! Se dire merci, réciproquement, pour tout, dans cette attitude intérieure. Ce n’est pas un mot gentil qu’on utilise avec les étrangers, pour être bien-élevé. Il faut savoir se dire merci, pour avancer ensemble dans la vie matrimoniale.
Le troisième : « Pardon ». Dans la vie, nous nous trompons souvent, nous faisons tant d’erreurs. Nous en faisons tous. Mais peut-être qu’ici, il y a des personnes qui n’ont jamais fait d’erreur ? S’il y a quelqu’un, ici, qu’il lève la main ! Il y a quelqu’un qui n’a jamais fait d’erreur ? Nous en faisons tous, tous. Il n’y a peut-être pas une journée sans que nous ne fassions des erreurs. La Bible dit que le plus juste pèche sept fois par jour. Et donc nous faisons des erreurs… D’où la nécessité d’utiliser ce mot simple : « pardon ». En général, chacun de nous est prêt à accuser l’autre et à se justifier. Cela a commencé avec notre père Adam, quand Dieu lui a demandé : « Adam, tu as mangé de ce fruit ? ». « Moi ? non ! C’est celle que tu m’as donnée ! ». Accuser l’autre pour ne pas dire « pardon », « excuse-moi ». C’est une vieille histoire ! C’est un instinct qui est à la source de tant de désastres. Apprenons à reconnaître nos erreurs et à demander pardon. « Pardon si, aujourd’hui, j’ai haussé le ton », « pardon si je suis passé sans te saluer », « pardon si je suis rentré tard », « si cette semaine, j’ai été si silencieux », « si j’ai trop parlé sans jamais écouter », « pardon, j’ai oublié », « pardon, j’étais en colère et je m’en suis pris à toi »… Tous ces « pardons », nous pouvons les dire tous les jours. C’est aussi de cette façon que grandit une famille chrétienne. Nous savons tous que la famille parfaite n’existe pas, ni le mari parfait, ni la femme parfaite. Sans parler de la belle-mère parfaite ! Nous existons et nous sommes pécheurs. Jésus, qui nous connaît bien, nous enseigne un secret : ne jamais terminer la journée sans se demander pardon, sans que la paix ne soit revenue dans votre maison, dans votre famille. C’est normal de se disputer entre époux, il y a toujours quelque chose, on s’est disputé… Peut-être que vous vous êtes mis en colère, peut-être qu’une assiette a volé, mais s’il vous plaît, rappelez-vous ceci : ne jamais finir la journée sans faire la paix ! Jamais, jamais, jamais ! C’est un secret, un secret pour conserver l’amour et pour faire la paix. Ce n’est pas nécessaire de faire de grands discours… Parfois, un simple geste et… la paix est faite. Ne jamais terminer… parce que si tu termines la journée sans faire la paix, ce que tu as au fond de toi, le lendemain, c’est froid et dur et c’est plus difficile de faire la paix. Souvenez-vous bien de cela : ne jamais finir la journée sans faire la paix ! Si nous apprenons à nous demander pardon et à nous pardonner mutuellement, le mariage durera, il avancera. Lorsque des couples mariés depuis longtemps viennent aux audiences, ou à la messe ici à Sainte-Marthe, des couples qui fêtent leur cinquantième anniversaire, je leur demande : « Qui a supporté qui ? ». C’est beau ! Ils se regardent tous, ils me regardent et ils me disent « Tous les deux ! ». Et ça, c’est beau ! C’est un beau témoignage.
Question 3 : Le style de la célébration du mariage
[Q – Sainteté, ces mois-ci, nous sommes dans tous les préparatifs de notre mariage. Pouvez-vous nous donner quelques conseils pour bien célébrer notre mariage ?]
Faites en sorte que ce soit une véritable fête – parce que le mariage est une fête – une fête chrétienne, pas une fête mondaine ! La raison la plus profonde de la joie de ce jour nous est donnée par l’Évangile de Jean : vous vous souvenez du miracle des noces de Cana ? À un moment, le vin vient à manquer et la fête semble gâchée. Vous imaginez de finir la fête en buvant du thé ? Non, ce n’est pas possible ! Sans vin, ce n’est pas une fête ! Sur la suggestion de Marie, à ce moment-là, Jésus se révèle pour la première fois et il donne un signe : il transforme l’eau en vin et, en faisant cela, il sauve la fête des noces. Ce qui s’est passé à Cana il y a deux mille ans se reproduit en réalité à chaque mariage : ce qui rendra votre mariage plein et profondément vrai sera la présence du Seigneur qui se révèle et qui donne sa grâce. C’est sa présence qui offre le « bon vin », c’est lui le secret de la joie pleine, celle qui réchauffe vraiment le cœur. C’est la présence de Jésus à cette fête. Que ce soit une belle fête, mais avec Jésus ! Pas dans l’esprit du monde, non ! On le sent, quand le Seigneur est là.
Mais en même temps, c’est bien que votre mariage soit sobre et mette en relief ce qui est vraiment important. Certaines personnes se préoccupent davantage des signes extérieurs, du banquet, des photos, des vêtements et des fleurs… Ce sont des choses importantes dans une fête, mais seulement si elles sont capables d’indiquer le véritable motif de votre joie : la bénédiction de votre amour par le Seigneur. Faites en sorte que, comme le vin de Cana, les signes extérieurs de votre fête révèlent la présence du Seigneur et rappellent à vous-mêmes et à tous la source et le motif de votre joie.
Mais tu as dit quelque chose que je veux saisir au vol, parce que je ne veux pas le laisser passer. Le mariage est aussi un travail de tous les jours, je pourrais dire un travail artisanal, un travail de joaillerie, parce le mari a la tâche de rendre son épouse plus femme et la femme a celle de rendre son mari plus homme. Grandir aussi en humanité, comme homme et comme femme. Et c’est entre vous que cela se fait. C’est ce qui s’appelle grandir ensemble. Cela ne tombe pas du ciel ! Le Seigneur le bénit, mais cela vient de nos mains, de vos comportements, de votre mode de vie, de votre manière de vous aimer. Nous faire grandir ! Faire toujours en sorte que l’autre grandisse. Travailler à cela. Et comme cela, je ne sais pas, je pense à toi : un jour tu seras dans ton pays, dans la rue et les gens diront : « Regarde, quelle belle femme, comme elle est forte !… Avec le mari qu’elle a, c’est compréhensible ! » Et aussi, à toi : « Regarde celui-là, comment il est !… Avec la femme qu’il a, c’est compréhensible ! ». C’est cela, parvenir à cela : nous faire grandir ensemble, l’un l’autre. Et vos enfants hériteront de cela, d’avoir eu un papa et une maman qui ont grandi ensemble, se rendant mutuellement davantage homme et femme !
Traduction de Zenit, Hélène Ginabat