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REFLEXION: LA NÉCESSITÉ DE LA CONFESSION SACRAMENTELLE
27 mars, 2014(Journal de la Conference Episcopale Nationale du Camerun)
REFLEXION: LA NÉCESSITÉ DE LA CONFESSION SACRAMENTELLE
Abbé André Fils Mbem
Certains chrétiens ne se confessent pas auprès des prêtres. Ils prétendent qu’ils demandent directement pardon à Dieu pour leurs fautes. Une telle démarche est-elle validée par l’Eglise ? L’Abbé André Fils Mbem, Curé de Saint Michel Archange de Nyalla à Douala et Professeur de Théologie spirituelle et de Sciences Sociales à l’Université Catholique Saint Jérôme de Douala, souligne la nécessité de la confession sacramentelle.
Pourquoi doit-on aller voir un prêtre pour dire ses péchés, et ne peut-on pas le faire directement avec Dieu, qui nous connaît et nous comprend bien mieux que n’importe quel autre interlocuteur humain ? Et plus radicalement encore : pourquoi parler de mes problèmes et en particulier ceux qui me font le plus honte, à quelqu’un qui est pécheur comme moi, et qui évalue peut-être d’une manière complètement différente de la mienne ce que j’ai vécu, ou qui peut-être ne le comprend pas du tout ? Voilà des questions que beaucoup de non chrétiens et même des chrétiens se posent.
Retenons que l’on peut recevoir le pardon de nos péchés véniels par la prière ( la récitation de l’acte de contrition, le psaume 50, la récitation du confiteor : je confesse à Dieu Tout Puissant ; la participation à l’Eucharistie, les œuvres de charité, puisque la charité couvre une multitude de fautes.
Mais pour ce qui regarde les péchés graves, la confession individuelle et intégrale avec l’absolution par un prêtre ayant la faculté d’entendre les confessions, constitue l’unique mode ordinaire par lequel un fidèle conscient d’un péché grave est réconcilié avec Dieu et avec l’Eglise, sauf en cas d’impossibilité physique ou morale.
La « confession complète des péchés mortels », c’est-à-dire la confession de chaque péché mortel, de même que les circonstances morales spécifiques, est par institution divine une partie constitutive du sacrement, elle n’est en aucune manière laissée à la libre disposition des Pasteurs. Ainsi, pour que puisse être effectué le discernement sur les dispositions des pénitents en ce qui concerne la rémission ou non des péchés et l’imposition d’une pénitence opportune de la part du ministre du sacrement, il faut que le fidèle, outre la conscience des péchés commis, la contrition et la volonté de ne plus retomber, confesse ses péchés devant le prêtre. L’Église a toujours reconnu un lien essentiel entre le jugement confié aux prêtres dans ce sacrement et la nécessité pour les pénitents d’énumérer leurs péchés, excepté en cas d’impossibilité.
Le fidèle est tenu par l’obligation de confesser devant le prêtre, selon leur espèce et leur nombre, tous les péchés graves commis après le baptême, non encore directement remis par le pouvoir des clés de l’Église, et non accusés en confession individuelle, dont il aura conscience après un sérieux examen de soi-même. On doit réprouver tout usage qui limite la confession à une accusation d’ordre général, ou seulement à un ou plusieurs péchés considérés comme étant plus significatifs. D’autre part, compte tenu de l’appel de tous les fidèles à la sainteté, il leur est recommandé de confesser aussi les péchés véniels.
La confession complète des péchés graves étant par institution divine une partie constitutive du sacrement, elle n’est en aucune manière laissée à la libre disposition des Pasteurs (dispense, interprétation, coutumes locales, etc.). L’Autorité ecclésiastique compétente spécifie uniquement – dans les normes disciplinaires concernées – les critères pour distinguer l’impossibilité réelle de confesser ses péchés des autres situations dans lesquelles l’impossibilité est seulement apparente ou pour le moins surmontable.
À la lumière de ce qui précède, la demande de pardon que nous pouvons faire à Dieu en ce qui concerne nos péchés ne peut en aucun cas suppléer la confession individuelle. Par ailleurs, même l’absolution simultanée à un ensemble de pénitents, sans confession individuelle préalable, comme cela est prévu au Canon 961, § 1 du Code de droit canonique (CIC), revêt un caractère exceptionnel, et ne peut pas être donnée par mode général, de même qu’elle ne peut en aucun cas suppléer à la confession individuelle et intégrale. De manière spécifique, elle ne peut pas être accordée, à moins : qu’il y ait un danger de mort imminente, et que le prêtre ou les prêtres n’aient pas suffisamment de temps pour entendre les confessions des pénitents, ou encore qu’existe une grave nécessité.
Avec les nouvelles technologies de la communication, certaines personnes aimeraient se confesser et recevoir l’absolution par courrier électronique, faire la confession en ligne ou par le net. Nous devons cependant dire que cette pratique ne correspond pas à la nature du sacrement de pénitence et de réconciliation. Car, la confession des péchés n’est pas seulement un moyen d’effacer les péchés, mais le lieu d’une relation avec Dieu et avec la communauté chrétienne. Le sacrement exige donc une relation personnelle entre le prêtre et le pénitent. Le prêtre, avant de pouvoir pardonner, doit discerner dans le dialogue avec le pénitent, si ce dernier est prêt à recevoir l’absolution, s’il a une réelle contrition. Le dialogue virtuel par internet ou par téléphone ne peut pas remplacer le contact humain. De plus, un message internet ou la confession en ligne ne respecte pas la règle du secret de la confession.
Pourquoi la confession individuelle chez le prêtre est elle nécessaire ? Elle est nécessaire pour plusieurs raisons :
» Elle répond à la volonté et au mandat du Christ : Dès le soir de la résurrection, le Christ donne à ses disciples l’Esprit-Saint afin qu’ils perpétuent ses gestes de miséricorde. » Recevez l’Esprit-Saint. Tout homme à qui vous remettrez ses péchés, ils lui seront remis ; tout homme à qui vous maintiendrez ses péchés, ils lui seront maintenus » (Jn 20, 22-23). Les ministres du pardon, obéissant au Bon pasteur et au Médecin des âmes (Mc 2, 17), reçoivent donc l’aveu humble et sincère des fautes qui permet aux fidèles de rencontrer le Seigneur ressuscité dans la joie de son Esprit. Les ministres du pardon du Seigneur ne peuvent changer d’eux-mêmes les conditions établies par Lui et Son Église pour l’exercice de ce ministère.
» On ne peut pas être juge et partie de sa propre cause.
» Le pécheur ne peut pas savoir s’il est pardonné par Dieu ou pas après une confession directe à Dieu.
» Dieu veut se servir de ses créatures pour communiquer sa grâce. C’est la logique de l’Incarnation. Le Christ sauve l’humanité par son Église, ses disciples, ses « membres » (1 Cor 12.27).
Il est important de noter que tous les sacrements de l’Église sont d’abord des gestes, du Christ à l’endroit d’une personne qu’il introduit dans le cadre de l’Alliance par la médiation de l’Église. Par le baptême, il touche chaque individu avec de l’eau et quelques paroles pour signifier par un signe concret son incorporation à l’Église. Il en va de même pour l’onction de l’Esprit Saint à la confirmation ou pour l’imposition des mains lors de l’ordination sacerdotale.
C’est toujours une personne singulière qui est touchée par l’amour et la grâce du Seigneur. Cela se vérifie aussi pour le sacrement du pardon où chaque personne reçoit une grâce très personnelle correspondant à l’aveu de ses manquements à l’Alliance.
Le Christ expie sur la Croix le péché de chacun, et il exprime par l’absolution, l’amour miséricordieux de Dieu pour chaque personne, qui a justement besoin de se sentir aimée et pardonnée personnellement par Dieu. Le sacrement de la réconciliation touche précisément la sphère intime des blessures et des fautes de chaque personne d’une façon qui restaure le dialogue d’amour et la relation d’amitié avec le Christ.
On comprend alors la sagesse de l’Église qui exige l’aveu des fautes comme une partie intégrante du sacrement, à moins que des circonstances très exceptionnelles ne le permettent pas et obligent le pénitent à remettre à plus tard le geste de l’aveu qui ne peut jamais être, totalement omis. D’ailleurs, même sur le plan humain, les psychologues et autres experts en sciences humaines considèrent l’expression de la personne blessée comme étant une condition de sa guérison. Nous le voyons à l’importance de l’écoute des personnes à la suite de drames de toutes sortes. Un médecin ne peut pas émettre un bon diagnostic, si la personne ne lui dit pas où elle sent le mal.
L’attitude même de Jésus dans l’Évangile nous fait comprendre cette exigence concrète du dialogue avec lui. Plusieurs scènes décrivent le Christ miséricordieux rencontrant individuellement une pécheresse ou un pécheur pour lui annoncer la Bonne Nouvelle de la miséricorde : la femme adultère, Marie Madeleine, la Samaritaine, Zachée, le paralytique descendu par le toit, le bon larron, etc… À chaque occasion, Jésus établit un lien d’amour et de tendresse qui libère la personne et la fait échapper même à la mort, comme dans le cas de la femme adultère menacée de lapidation. Par Son accueil et Sa parole de pardon, Jésus ouvre devant elle le chemin de la liberté et de la conversion : » Va, et désormais ne pèche plus « . Confesser nos fautes, le cœur contrit, signifie confesser notre amour reconnaissant à son égard et accueillir le don de Sa paix.
Il n’existe pas de péchés privés ou personnels, tous les péchés affectent vos frères et sœurs en Christ. Si secrets soient-ils, tous nos péchés ont un effet sur notre communauté. Si je ressens de la colère contre quelqu’un, même si je ne la manifeste par aucune parole ni aucun acte, cette disposition néfaste de mon cœur a un effet destructeur sur les gens qui m’entourent. Tout péché est un péché contre la communauté, tout péché, si secret soit-il, est une pierre d’achoppement pour les autres, et leur rend le service du Christ plus difficile.
Dans l’église primitive, la confession était publique. A partir du quatrième siècle, quand la chrétienté eut grandi, cela devint cause de scandale et la confession a pris sa forme actuelle, à savoir, une ouverture du cœur devant le prêtre seul, et à condition d’être secrète. Mais il faut nous rappeler que pendant la confession, le prêtre est là, entre autres, en tant que représentant de la communauté. Le fait que nous ne nous confessions pas directement à Dieu, mais en présence d’un homme, prouve que nous reconnaissons la dimension sociale et communautaire de tous nos péchés. En nous confessant en la présence du prêtre, nous demandons aussi pardon à la communauté.
On rapporte sur plusieurs saints l’histoire suivante. Le pénitent se plaint : » Oui, je sais que ce que j’ai fait est un péché, je demande à Dieu de me pardonner, mais mon cœur est dur comme une pierre, je ne ressens aucun regret, tout se passe dans ma tête. » Alors le saint lui dit: » Va au milieu de l’église et prosterne-toi devant le peuple, ensuite tu reviendras ». Et tandis que l’homme faisait sa prosternation devant le peuple pour lui demander pardon, quelque chose s’est brisé dans son cœur et il redevenu vivant. Il a vraiment ressenti de la componction pour ce qu’il avait fait, et il a pu recevoir l’absolution. Dans nos confessions, essayons de nous rappeler cette dimension-là en tout premier lieu.
La parole dite, la parole émise possède une grande force. Cela signifie deux choses. Premièrement nous écoutons ce que le prêtre dit, le conseil qu’il nous donne et il arrive que ce qu’il dit, si c’était écrit dans un livre ne nous frapperait pas autant, ne nous paraîtrait pas important. Mais en plus, pendant la confession, le prêtre prie et nous prions aussi pour que la lumière du Saint Esprit vienne sur nous. Le prêtre s’adresse à chacun de nous, à chaque pénitent avec des paroles qu’il prononce sous la direction du Saint Esprit. Ces paroles si on les considère de façon abstraite peuvent paraître évidentes ou même comme des lieux communs, mais elles peuvent devenir des paroles de feu lorsqu’elles me sont adressées personnellement ici et maintenant, sous l’inspiration du Saint Esprit.
L’expression verbale possède une grande force et, en confession, nous nous trouvons, par la grâce de Dieu, placés dans une situation particulière, car nous disons des choses que nous n’avions jamais dites auparavant dans nos prières personnelles. Nous sommes soudain capables de comprendre certaines choses plus profondément et de nous exprimer plus ouvertement. C’est en cela que réside en grande partie la grâce de la confession. Les pères du désert disent qu’une pensée secrète peut avoir sur nous un grand pouvoir, mais lorsque nous trouvons un moyen de l’expliciter et d’en parler, alors elle perd son pouvoir. C’est aussi ce que nous disent les psychiatres modernes, mais les pères du désert l’ont dit avant et le vivent ! Ainsi la parole exprimée que nous apportons à la confession peut avoir force de sacrement et grâce de guérison surprenantes.
Il y a encore une autre chose : pas seulement ce que le prêtre fait lorsqu’il propose un conseil et pas simplement ce que nous faisons lorsque nous essayons de dire la vérité au Christ. Il y a aussi ce que le Christ fait. La confession est un mystère de l’Eglise qui confère une grâce sacramentelle, elle a un pouvoir en elle-même, un pouvoir Divin. Lorsque le prêtre pose ses mains sur notre tête, c’est le Christ qui nous pardonne, et c’est certainement la principale raison pour laquelle nous devons aller nous confesser. Lorsqu’une telle grâce et une telle guérison nous sont offertes, comment oserait-on les refuser.
EN RELISANT LE POÈME DU SEREVITEUR SOUFFRANT ISAÏE 52,13-53,12
27 mars, 2014http://www.maisondelabible.catho.be/articles/autres3.htm
EN RELISANT LE POÈME DU SEREVITEUR SOUFFRANT ISAÏE 52,13-53,12
1. Le Premier Testament
2. Le fait unique du Christ
3. Les premiers chrétiens 4. Le serviteur souffrant du 4e chant d’Isaïe
5. Le Serviteur soufrant et nous
6. Retour à la case du départ
Dans un gros roman tout en suspens, Pomilio raconte l’histoire d’un officier américain, historien de métier, qui découvre dans une cure allemande abandonnée, qui lui a été dévolue comme logis pendant l’occupation, la mention de l’existence d’un cinquième évangile (1) . Et le voilà parti dans une quête passionnée à laquelle il associe ses étudiants en histoire. Quel est ce cinquième évangile ? Prenons cette question comme fil rouge de notre recherche : « Qui est le Serviteur souffrant en Isaïe 53 ? ». Pour le découvrir, acceptons de faire un détour dans les Ecritures.
1. Le Premier Testament
Revenons au Premier Testament. Il nous raconte une histoire concrète, l’histoire d’un peuple avec ses aventures, ses joies, sa religion, ses malheurs, ses erreurs, ses péchés, ses retours… Mais déjà le texte écrit que nous lisons est un premier décodage. Les auteurs y livrent déjà une première clé de lecture. Les faits sont décrits de manière à exprimer à travers eux qui est Dieu, qui est l’homme pour Lui. L’histoire sainte est donc une parabole théologale de Dieu. C’est une histoire à décoder. C’est l’histoire de « Dieu avec son peuple », « d’Israël avec Dieu ».
Allons plus loin. L’écrit est livré au lecteur, à l’auditeur, l’histoire devient parabole nouvelle. Le texte devient pour le lecteur « sa » parabole, il peut y lire aussi l’histoire-parabole de Dieu avec tous les peuples, l’histoire de Dieu avec lui-même, lecteur, auditeur.
2. Le fait unique du Christ
L’Histoire-parabole, la Bible, est livrée aux lecteurs de tous les temps. S’il est vrai que l’Histoire Sainte est l’histoire d’un peuple, elle est aussi notre histoire personnelle, celle de l’Eglise et celle de chaque peuple. Nous pouvons la comparer à une parabole extrêmement significative. Pourtant dans cette histoire, un fait unique s’est produit. Du moins les chrétiens le perçoivent-ils ainsi, à la manière de st Paul : un homme dévoile une signification plus totale de la parabole, une réalité inouïe, une réalité qui dépasse toutes les espérances germées de l’histoire-parabole : nous pouvons dire que certains passages du Premier Testament sont une parabole en premier lieu de Jésus lui-même. C’est en cela que « s’accomplissent les Ecritures ». Et lorsqu’il nous est demandé de suivre Jésus, nous réalisons un peu nous-mêmes cet accomplissement.
L’évangéliste Luc exprime cette réalité de Jésus dans les récits après la Résurrection : « Et Jésus, en commençant par Moïse et tous les prophètes, leur expliqua dans toutes les Ecritures, ce qui le concernait » (Luc 24,27). Paul de son côté nous dit : « Un voile demeure lorsqu’on lit l’Ancien Testament… Jusqu’à ce jour un voile demeure sur le cœur. C’est seulement quand on se convertit au Seigneur (Christ) que le voile tombe… » (2 Co 3,14-16). Paul ne dit pas « quand on connaît le Christ » mais « quand on se convertit au Christ ». C’est l’engagement de vie suscité par la connaissance du Christ, la rencontre du Christ, qui découvre peu à peu la vérité des Ecritures, « le mystère caché révélé maintenant aux saints apôtres et prophètes » (Eph 3,5).
3. Les premiers chrétiens
Les premiers chrétiens l’avaient bien compris, eux qui, pour découvrir la personne de Jésus, ont recouru aux textes du Premier Testament, particulièrement les psaumes et les prophètes. Des hommes, tels que Moïse et Elie (présents à la transfiguration, disent les évangélistes!), Jérémie ou l’un des prophètes, surgissent déjà dans la pensée des auditeurs de Jésus : « Qu’est-ce que les gens disent de moi ? » demande Jésus. « Il disent que tu es Elie ou Jérémie, ou l’un des prophètes… » (Mt 16,13-14). Plus encore, les psaumes, qui s’adressent à Dieu à travers les souffrances, et Isaïe, présentant le Serviteur souffrant, sont les textes les plus cités par les écrits des premiers chrétiens. Nous comprenons mieux maintenant ce que dit si souvent Matthieu: « Ainsi s’accomplit ce que dit le Seigneur par le prophète… ». Non que les prophètes aient connu par avance la vie de Jésus, comme le croient encore naïvement certains chrétiens, mais parce que leurs paroles étaient paraboles, ‘grosses’ de réalités nouvelles auxquelles elles vont donner le jour, comme la graine mise en terre ne dit encore rien clairement des fruits de l’arbre qui pourtant va germer à partir d’elle. Ce n’est pas pour rien que nombre de paraboles de l’évangile parlent de la semence! Et que tant de textes prophétiques appellent « germe » celui qu’on attend comme sauveur (Is 4,2; 61,11; Jr 23,5; 33,15; Za 3,8; 6,12) et, dans le poème du serviteur souffrant, celui-ci est annoncé comme un « surgeon qui sort d’une terre déssèchée » (Is 53,2). Le psaume 21 et Isaïe 53 sont des textes importants qui ont permis d’appréhender quelque peu le mystère de Jésus, le secret de Dieu et de son dessein d’amour. .
4. Le Serviteur souffrant du 4e chant (Isaïe 52,13-53,12)
Les paroles d’Isaïe permettent-elles vraiment ce transfert de la prophétie sur le Nouveau Testament ? Essayons de le découvrir. Le texte, appelé souvent « le chant du Serviteur souffrant » est le quatrième d’une série de poèmes, repérés au milieu du texte d’Isaïe entre les chapitres 42 et 54. Ces quatre textes ont ceci de particulier qu’ils parlent d’un mystérieux serviteur que Dieu a choisi pour une mission bien particulière.
Qui est ce serviteur ? Déjà, Israël est appelé « mon serviteur » au chapitre 41,8 : « Je t’ai choisi et non rejeté… ». Le texte est destiné à fortifier la confiance d’Israël, à l’assurer de la présence protectrice de Dieu, « Celui qui te rachète, le saint d’Israël », et lui promet le retournement de sa situation misérable. Ces promesses réconfortantes se continuent au chapitre 43,1 ss. Il s’y ajoute une mission de témoignage « mes témoins à moi, c’est vous, parole du Seigneur; mon serviteur, c’est vous que j’ai choisis » (Is 43,10).
D’autre part, en Isaïe 41,25, nous découvrons un autre serviteur de Dieu : « Du Nord, j’ai fait surgir un homme… » Il s’agit de Cyrus sans doute, comme en Isaïe 40,13 : »Qui a indiqué au Seigneur l’homme (qui réalisera) son dessein ? ». Nous retrouvons ce même serviteur en Isaïe 42,9; 46,11; 44,28; 45,1-6… Quelle est la mission de Cyrus ? Dieu lui promet « d’abaisser les nations devant lui, déboucler les ceintures des rois, ouvrir les battants des portes, Dieu lui donne trésors et richesses… à cause de son peuple ». Le prophète dit de lui « qu’il sera un oiseau de proie… » (Is 46,11).
Tout autre est la figure d’un autre serviteur, surtout dans ces quatre poèmes (Is 42,1-7; 49,1-9; 50,4-9; 52,13-53,12). « Voici mon serviteur que je soutiens… j’ai mis mon esprit sur lui, il fera paraître le jugement parmi les nations. Il ne criera pas, il n’élèvera pas la voix… il ne brisera pas le roseau blessé… je t’ai destiné à être alliance des nations, lumière des peuples… à ouvrir les yeux des aveugles… » (Is 42,1-7). Ce serviteur reçoit une mission de justice, de guérison, une mission universelle pour toutes la nations. Pourtant il connaît des difficultés, des souffrances, il dira même: « C’est en vain que je me suis fatigué, pour du vide, du vent, que j’ai épuisé mon énergie. En fait mon droit m’attendait près du Seigneur » (Is 49,4). Il souffrira, sera persécuté (Is 50,6). Ce serviteur est un disciple, avec une mission prophétique de réconfort, de consolation : « Tu m’as ouvert l’oreille pour que j’écoute comme un disciple pour que je puisse réconforter l’épuisé… » (Is 50,4-5). Mais surtout sa mission se vit à travers le sacrifice de lui-même pour son peuple, dans sa douceur, son silence,- alors qu’il porte le péché de son peuple, – son offrande de lui-même jusqu’à être rejeté, traité comme puni de Dieu, mis à mort sans qu’on se préoccupe de son sort. Mais sa glorification contre toute attente, son intercession pour les pécheurs, en font une figure énigmatique, une parabole qui recèle un secret inconnu. Qui est le mystérieux Serviteur souffrant ? Ce serviteur ne peut pas être le conquérant Cyrus « oiseau de proie ». Est-il le portrait de Jérémie qui a souffert pour la parole de Dieu ? (Jr 20,8; 26,8.; 30,13…). Est-ce le prophète auteur de ces lignes ? Est-ce le peuple Israël tout entier ? On sait maintenant que le « Maître de Justice » de Qûmran, qui avait aussi été persécuté, disait que ces textes parlaient de lui C’est ainsi que le décrit Israël Knohl (2) , un Israélien, dans son livre « Un autre Messie ». Mais il ne semble pas que les docteurs de la Loi du temps de Jésus voyaient en ces textes des promesses prophétiques.
Comme toutes les paraboles, ces textes ne livrent leur secret qu’à ceux qui « écoutent la parole et qui la gardent » dans leur engagement vivant. Comment Jésus n’aurait-il pas entendu ces paroles comme parlant pour lui? Comment les premiers chrétiens n’auraient-ils pas décrypté le mystère du Serviteur et de Jésus l’un par l’autre? Ils le disent clairement, comme dans le récit de Philippe annonçant Jésus à l’eunuque de Candace, à partir du texte d’Isaïe 53 qu’il était en train de lire (Ac 8,26-37). Ou dans la première lettre de Pierre (1 P 2,24) ou encore par les mots qu’ils utilisent, par exemple quand Jean nous dit l »exaltation » de Jésus comme le Serviteur sera exalté (voir aussi Ro 4,25; 2 Co 5,21; Gal 3,13; Eph 2,14-18). En nous décrivant la Passion, les évangélistes font souvent allusion à ce grand poème du Serviteur souffrant ou même le citent (par exemple Mt 26,63; 27,38.60). On trouve aussi dans les évangiles d’autres citations pendant la vie de Jésus; par exemple : « Il a pris nos infirmités et s’est chargé de nos maladies » (Mt 8,17; Is 53,4; voir aussi Mt 12,18-21; Lc 22,37) « Il a été compté parmi les pécheurs » (Mc 15,28; Is 53,12; les références des différentes éditions des bibles actuelles nous renseigneront sur toutes les citations et les allusions). Nous trouvons dans la première lettre de Pierre un texte remarquable qui montre Jésus accomplissant la prophétie d’Isaïe et demandant aux chrétiens de suivre son exemple, d’accomplir eux aussi ce que disait le prophète : « Le Christ lui aussi a souffert pour vous, vous laissant un exemple afin que vous suiviez ses traces : Lui qui n’a pas commis de péché et dans la bouche duquel il ne s’est pas trouvé de tromperie, lui qui insulté ne rendait pas l’insulte, dans sa souffrance ne menaçait pas mais s’en remettait au juste Juge, lui qui, dans son corps, a porté nos péchés sur le bois, afin que morts à nos péchés nous vivions pour la justice, lui dont les meurtrissures nous ont guéris… » (1 P 2,21-24; Is 53,9…). Jésus lui-même semble bien avoir lu son destin à la lumière du poème d’Isaïe. Les annonces de la Passion, si présentes dans les évangiles, nous disent combien Jésus a senti grandir l’opposition autour de lui et s’est résolument présenté à Jérusalem pour un témoignage décisif qui, il le savait, le conduisait à la mort. Quand Jésus se reconnaît dans le Serviteur souffrant, il ne cultive pas le dolorisme. La souffrance du Serviteur lui est infligée par ceux qui le refusent, ceux qui le méprisent, le condamnent et le comptent pour rien. C’est l’amour du Serviteur, sa fidélité jusqu’à la mort, sans répondre à la violence par la violence ou la haine, qui le mène là : « S’il offre sa vie en sacrifice, il verra de longs jours et le dessein de Dieu par lui s’accomplira… Il intercédera pour les pécheurs » (Is 53,10…12). Les disciples ont refusé d’entrer dans cette perspective dangereuse et de l’accepter (voir Mc 8,31-33; 9,30-37; 10,32-45 et //); ce refus a entraîné leur fuite lors de l’arrestation de Jésus. Au moment de sa Passion, Jésus s’est donné à lui-même le nom de Serviteur : « Je suis au milieu de vous comme celui qui sert » (Lc 22,27). Luc met dans la bouche de Jésus après la résurrection: « Ne fallait-il pas que le Fils de l’Homme souffre cela pour entrer dans sa gloire » (Luc 24,26). Le mot de ‘gloire’ rappelle encore le poème d’Isaïe. La Lettre aux Philippiens contient un chant qui semble un décalque du poème d’Isaïe : « Le Christ, qui est de condition divine, n’a pas revendiqué pour lui d’être l’égal de Dieu. Mais il s’est dépouillé prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes et reconnu à son aspect comme un homme, il s’est abaissé devenant obéissant jusqu’à la mort et la mort de la croix. C’est pourquoi Dieu l’a exalté et lui a donné le Nom qui est au dessus de tout nom… » (Ph 2,2-9…).
5. Le Serviteur souffrant et nous
Israël porte le Christ comme une mère porte son enfant sans savoir ce qu’il deviendra. Cet enfant grandit encore en nous « jusqu’à la plénitude de la stature du Christ » (Eph 4,13), à travers nos vies, à travers l’histoire du monde. « Confessant la vérité dans l’amour, nous grandissons à tous égards vers Celui qui est la tête, Christ. Et c’est de lui que le corps tout entier, coordonné et bien uni grâce à toutes les articulations qui le desservent, selon une activité répartie à la mesure de chacun, réalise sa propre croissance pour se construire lui-même dans l’amour » (Eph 4,15-16).
Le poème du Serviteur souffrant est lu intégralement le vendredi saint. Il nous parle de Jésus, éclaire sa passion avec ce grand texte. Mais nous souvenant de la lettre de Pierre et d’autres textes semblables du Nouveau Testament, nous découvrons que la prophétie d’Isaïe devient aussi une parabole de ce qui constitue le cœur de l’être chrétien. Comme Jésus et à notre tour, nous avons à porter notre monde avec tout son mal et son espérance. Bien souvent, les chrétiens, comme le Christ, souffrent le martyre aujourd’hui encore. Mais chacun de nous est invité par Pierre à vivre à l’image du Christ tout simplement dans sa vie » à ne pas répondre à l’insulte, à ne pas menacer, à ne pas avoir dans notre bouche de la tromperie… ». Comme Paul aussi nous le disait, nous portons en nous la croissance du corps du Christ. Il disait aussi : « Je souffre en ma chair ce qui manque aux souffrances du Christ » (Col 1,24). Le poème de la lettre aux Philippiens est précédé d’un encouragement de Paul à ses correspondants, leur demandant « d’avoir eux et entre eux les sentiments qui ont été ceux du Christ » (Ph 2,1-5).
Retour à la case de départ
Partant de l’interrogation de Pomilio (1) , dans l’introduction : « Quel est le cinquième évangile? », nous nous demandions qui était le Serviteur souffrant. Nous sommes mieux à même de répondre maintenant. Le Serviteur souffrant, annoncé par Isaïe, c’est tout à la fois le peuple d’Israël, le Christ, d’une manière unique, parce qu’il a pénétré mieux que n’importe qui le cœur de ce mystère de solidarité et de salut et « qu’habite en lui toute la plénitude » (Col 2,9). Mais aussi, pour leur part, chacun des Juifs ou des Chrétiens qui se confronte au texte, se laisse interpeller, « écoute la Parole et la garde dans sa vie ».
Nous aimons citer en finale un texte de Steinbeck (3) , dans son livre « Les raisins de la colère » (il s’agit d’un homme qui défendait ses frères au péril de sa vie lors d’une crise terrible aux Etats-Unis où des milliers de paysans ont été chassés de leurs terres par les grandes entreprises agricoles):
« Un homme n’a pas à soi une âme unique, mais seulement un morceau de l’âme du monde… à ce moment-là, tout n’a plus d’importance. Je serai toujours là, partout, dans l’ombre. Partout où il y aura une bagarre pour que les gens puissent avoir à manger, je serai là. Partout où il y aura une police en train de passer un type à tabac quand il défend ses frères, je serai là. Dans les cris des gens qui se mettent en colère parce qu’ils n’ont rien dans le ventre, je serai là… Le comprends-tu ? »
Le ‘service’, demandé au chrétien, n’est pas un acte de bonté qu’il consent à faire, mais une exigence de son être. Disciple du ‘Serviteur’, il devient lui-même ‘serviteur’. Le service, que la plupart d’entre nous accepte volontiers de réaliser comme des actes de partage ou de sollicitude, est avant tout une disposition intérieure, un prolongement de l’amour de Dieu. Invisiblement, cette disposition intérieure change le monde, le regard que nous portons sur lui, la source des relations que nous entretiendrons avec lui. Les divers services extérieurs que nous pouvons rendre nous sollicitent à être dans la vie de tous les jours des êtres de non-violence, fidèles jusqu’à la mort.
Marie-Philippe Schùermans
(1) M. Pomilio, Le cinquième Evangile, trad. de l’italien, prix Napoli 1975, éd. Fayard, Paris, 1977
(2) I. Knohl, L’autre Messie, éd. Albin Michel, Paris 2001
(3) J. Steinbeck, Les raisins de la colère, trad. de l’américain, éd.
MESSAGE DE SA SAINTETÉ FRANÇOIS POUR LE CARÊME 2014 – (2Cor 8,9)
27 mars, 2014MESSAGE DE SA SAINTETÉ FRANÇOIS POUR LE CARÊME 2014
Il s’est fait pauvre pour nous enrichir par sa pauvreté (cf 2 Cor 8,9)
Chers frères et sœurs,
Je voudrais vous offrir, à l’occasion du Carême, quelques réflexions qui puissent vous aider dans un chemin personnel et communautaire de conversion. Je m’inspirerai de la formule de Saint Paul : « Vous connaissez en effet la générosité de notre Seigneur Jésus Christ : lui qui est riche, il est devenu pauvre à cause de vous, pour que vous deveniez riches par sa pauvreté » (2 Co 8, 9). L’Apôtre s’adresse aux chrétiens de Corinthe pour les encourager à être généreux vis-à-vis des fidèles de Jérusalem qui étaient dans le besoin. Que nous disent-elles, ces paroles de saint Paul, à nous chrétiens d’aujourd’hui ? Que signifie, pour nous aujourd’hui, cette exhortation à la pauvreté, à une vie pauvre dans un sens évangélique ?
La grâce du Christ
Ces paroles nous disent avant tout quel est le style de Dieu. Dieu ne se révèle pas par les moyens de la puissance et de la richesse du monde, mais par ceux de la faiblesse et la pauvreté : « Lui qui est riche, il est devenu pauvre à cause de vous … ». Le Christ, le Fils éternel de Dieu, qui est l’égal du Père en puissance et en gloire, s’est fait pauvre ; il est descendu parmi nous, il s’est fait proche de chacun de nous, il s’est dépouillé, « vidé », pour nous devenir semblable en tout (cf. Ph 2, 7 ; He 4, 15). Quel grand mystère que celui de l’Incarnation de Dieu ! C’est l’amour divin qui en est la cause, un amour qui est grâce, générosité, désir d’être proche et qui n’hésite pas à se donner, à se sacrifier pour ses créatures bien-aimées. La charité, l’amour, signifient partager en tout le sort du bien-aimé. L’amour rend semblable, il crée une égalité, il abat les murs et les distances. C’est ce qu’a fait Dieu pour nous. Jésus en effet, « a travaillé avec des mains d’homme, il a pensé avec une intelligence d’homme, il a agi avec une volonté d’homme, il a aimé avec un cœur d’homme. Né de la Vierge Marie, il est vraiment devenu l’un de nous, en tout semblable à nous, hormis le péché » (Conc. œcum. Vat. II, Const. past. Gaudium et Spes, n. 22 § 2).
La raison qui a poussé Jésus à se faire pauvre n’est pas la pauvreté en soi, mais, – dit saint Paul – [pour que] « … vous deveniez riches par sa pauvreté ». Il ne s’agit pas d’un jeu de mots, ni d’une figure de style ! Il s’agit au contraire d’une synthèse de la logique de Dieu, de la logique de l’amour, de la logique de l’Incarnation et de la Croix. Dieu n’a pas fait tomber sur nous le salut depuis le haut, comme le ferait celui qui donne en aumône de son superflu avec un piétisme philanthropique. Ce n’est pas cela l’amour du Christ ! Lorsque Jésus descend dans les eaux du Jourdain et se fait baptiser par Jean Baptiste, il ne le fait pas par pénitence, ou parce qu’il a besoin de conversion ; il le fait pour être au milieu des gens, de ceux qui ont besoin du pardon, pour être au milieu de nous, qui sommes pécheurs, et pour se charger du poids de nos péchés. Voilà la voie qu’il a choisie pour nous consoler, pour nous sauver, pour nous libérer de notre misère. Nous sommes frappés par le fait que l’Apôtre nous dise que nous avons été libérés, non pas grâce à la richesse du Christ, mais par sa pauvreté. Pourtant saint Paul connaît bien « la richesse insondable du Christ » (Ep 3, 8) « établi héritier de toutes choses » (He 1, 2).
Alors quelle est-elle cette pauvreté, grâce à laquelle Jésus nous délivre et nous rend riches ? C’est justement sa manière de nous aimer, de se faire proche de nous, tel le Bon Samaritain qui s’approche de l’homme laissé à moitié mort sur le bord de la route (cf. Lc 10, 25ss). Ce qui nous donne la vraie liberté, le vrai salut, le vrai bonheur, c’est son amour de compassion, de tendresse et de partage. La pauvreté du Christ qui nous enrichit, c’est le fait qu’il ait pris chair, qu’il ait assumé nos faiblesses, nos péchés, en nous communiquant la miséricorde infinie de Dieu. La pauvreté du Christ est la plus grande richesse : Jésus est riche de sa confiance sans limite envers le Père, de pouvoir compter sur Lui à tout moment, en cherchant toujours et seulement la volonté et la gloire du Père. Il est riche comme est riche un enfant qui se sent aimé et qui aime ses parents et ne doute pas un seul instant de leur amour et de leur tendresse. La richesse de Jésus, c’est d’être le Fils ; sa relation unique avec le Père est la prérogative souveraine de ce Messie pauvre. Lorsque Jésus nous invite à porter son « joug qui est doux », il nous invite à nous enrichir de cette « riche pauvreté » et de cette « pauvre richesse » qui sont les siennes, à partager avec lui son Esprit filial et fraternel, à devenir des fils dans le Fils, des frères dans le Frère Premier-né (cf. Rm 8, 29).
On a dit qu’il n’y a qu’une seule tristesse, c’est celle de ne pas être des saints (L. Bloy) ; nous pourrions également dire qu’il n’y a qu’une seule vraie misère, c’est celle de ne pas vivre en enfants de Dieu et en frères du Christ.
Notre témoignage
Nous pourrions penser que cette « voie » de la pauvreté s’est limitée à Jésus, et que nous, qui venons après Lui, pouvons sauver le monde avec des moyens humains plus adéquats. Il n’en est rien. À chaque époque et dans chaque lieu, Dieu continue à sauver les hommes et le monde grâce à la pauvreté du Christ, qui s’est fait pauvre dans les sacrements, dans la Parole, et dans son Église, qui est un peuple de pauvres. La richesse de Dieu ne peut nous rejoindre à travers notre richesse, mais toujours et seulement à travers notre pauvreté personnelle et communautaire, vivifiée par l’Esprit du Christ.
À l’exemple de notre Maître, nous les chrétiens, nous sommes appelés à regarder la misère de nos frères, à la toucher, à la prendre sur nous et à œuvrer concrètement pour la soulager. La misère ne coïncide pas avec la pauvreté ; la misère est la pauvreté sans confiance, sans solidarité, sans espérance. Nous pouvons distinguer trois types de misère : la misère matérielle, la misère morale et la misère spirituelle. La misère matérielle est celle qui est appelée communément pauvreté et qui frappe tous ceux qui vivent dans une situation contraire à la dignité de la personne humaine : ceux qui sont privés des droits fondamentaux et des biens de première nécessité comme la nourriture, l’eau et les conditions d’hygiène, le travail, la possibilité de se développer et de croître culturellement. Face à cette misère, l’Église offre son service, sa diakonia, pour répondre aux besoins et soigner ces plaies qui enlaidissent le visage de l’humanité. Nous voyons dans les pauvres et les laissés-pour-compte le visage du Christ ; en aimant et en aidant les pauvres nous aimons et nous servons le Christ. Notre engagement nous pousse aussi à faire en sorte que, dans le monde, cessent les atteintes à la dignité humaine, les discriminations et les abus qui sont si souvent à l’origine de la misère. Lorsque le pouvoir, le luxe et l’argent deviennent des idoles, ils prennent le pas sur l’exigence d’une distribution équitable des richesses. C’est pourquoi il est nécessaire que les consciences se convertissent à la justice, à l’égalité, à la sobriété et au partage.
La misère morale n’est pas moins préoccupante. Elle consiste à se rendre esclave du vice et du péché. Combien de familles sont dans l’angoisse parce que quelques-uns de leurs membres – souvent des jeunes – sont dépendants de l’alcool, de la drogue, du jeu, de la pornographie ! Combien de personnes ont perdu le sens de la vie, sont sans perspectives pour l’avenir et ont perdu toute espérance ! Et combien de personnes sont obligées de vivre dans cette misère à cause de conditions sociales injustes, du manque de travail qui les prive de la dignité de ramener le pain à la maison, de l’absence d’égalité dans les droits à l’éducation et à la santé. Dans ces cas, la misère morale peut bien s’appeler début de suicide. Cette forme de misère qui est aussi cause de ruine économique, se rattache toujours à la misère spirituelle qui nous frappe, lorsque nous nous éloignons de Dieu et refusons son amour. Si nous estimons ne pas avoir besoin de Dieu, qui nous tend la main à travers le Christ, car nous pensons nous suffire à nous-mêmes, nous nous engageons sur la voie de l’échec. Seul Dieu nous sauve et nous libère vraiment.
L’Évangile est l’antidote véritable contre la misère spirituelle : le chrétien est appelé à porter en tout lieu cette annonce libératrice selon laquelle le pardon pour le mal commis existe, selon laquelle Dieu est plus grand que notre péché et qu’il nous aime gratuitement, toujours, et selon laquelle nous sommes faits pour la communion et pour la vie éternelle. Le Seigneur nous invite à être des hérauts joyeux de ce message de miséricorde et d’espérance ! Il est beau d’expérimenter la joie de répandre cette bonne nouvelle, de partager ce trésor qui nous a été confié pour consoler les cœurs brisés et donner l’espérance à tant de frères et de sœurs qui sont entourés de ténèbres. Il s’agit de suivre et d’imiter Jésus qui est allé vers les pauvres et les pécheurs comme le berger est allé à la recherche de la brebis perdue, et il y est allé avec tout son amour. Unis à Lui, nous pouvons ouvrir courageusement de nouveaux chemins d’évangélisation et de promotion humaine.
Chers frères et sœurs, que ce temps de Carême trouve toute l’Église disposée et prête à témoigner du message évangélique à tous ceux qui sont dans la misère matérielle, morale et spirituelle ; message qui se résume dans l’annonce de l’amour du Père miséricordieux, prêt à embrasser toute personne, dans le Christ. Nous ne pourrons le faire que dans la mesure où nous serons conformés au Christ, Lui qui s’est fait pauvre et qui nous a enrichi par sa pauvreté. Le Carême est un temps propice pour se dépouiller ; et il serait bon de nous demander de quoi nous pouvons nous priver, afin d’aider et d’enrichir les autres avec notre pauvreté. N’oublions pas que la vraie pauvreté fait mal : un dépouillement sans cette dimension pénitentielle ne vaudrait pas grand chose. Je me méfie de l’aumône qui ne coûte rien et qui ne fait pas mal.
Que l’Esprit Saint, grâce auquel nous « [sommes] pauvres, et nous faisons tant de riches ; démunis de tout, et nous possédons tout » (2 Co 6, 10), nous soutienne dans nos bonnes intentions et renforce en nous l’attention et la responsabilité vis-à-vis de la misère humaine, pour que nous devenions miséricordieux et artisans de miséricorde. Avec ce souhait je vous assure de ma prière, afin que tout croyant et toute communauté ecclésiale puisse parcourir avec profit ce chemin de Carême. Je vous demande également de prier pour moi. Que le Seigneur vous bénisse et que la Vierge Marie vous garde.
Du Vatican, le 26 décembre 2013
Fête de Saint Étienne, diacre et protomartyr