SAINT THOMAS D’AQUIN: LE MYSTÈRE DE L’INCARNATION DE DIEU
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(Je propose chapitres V, VI, VII, bien sûr, l’étude est beaucoup plus large, pour en savoir plus sur le lien mentionné ci-dessus)
SAINT THOMAS D’AQUIN, DOCTEUR DE L’ÉGLISE
LIVRE I: LE MYSTÈRE DE L’INCARNATION DE DIEU
CHAPITRE V: UN ANGE EST ENVOYÉ POUR ANNONCER LE MYSTÈRE DE L’INCARNATION
Conçue et ordonnée dans l’éternité, préparée sur la terre, attendue des justes, l’incarnation du Sauveur est enfin sur le point de s’accomplir. Dieu envoie un ange pour l’annoncer à Marie. Saint Luc le rapporte en ces termes: « L’ange Gabriel fut envoyé de Dieu en une ville de Galilée appelée Nazareth, à une Vierge qui avait épousé un homme nommé Joseph, de la maison de David, et cette Vierge s’appelait Marie. L’ange, étant entré dans le lieu où elle était, lui dit: « Je vous salue, pleine de grâces, le Seigneur est avec vous; vous êtes bénie entre toutes « les femmes. » Marie, l’ayant entendu, fut troublée de ses paroles, et elle pensait en elle-même quelle pouvait être cette salutation. L’ange lui dit: « Ne craignez point, Marie; car vous avez trouvé « grâce devant Dieu; voici que vous concevrez dans votre sein, et « vous enfanterez un Fils à qui vous donnerez le nom de Jésus. » (Luc., 1, 26-31). Il y a trois choses à considérer au sujet de cette annonciation: l’envoi nième de l’ange, la manière dont il apparut à Marie et l’ordre dans lequel il accomplit sa mission. Tout d’abord, il est dit que l’ange Gabriel fut envoyé de Dieu. Sur quoi il faut bien comprendre trois choses: la dignité du messager, la profondeur du mystère et sa convenance. I. C’est un ange qui est envoyé, c’est-à-dire la plus digne des créatures, parce que c’est la plus semblable à Dieu, comme Ézéchiel le dit du premier des anges: « Vous étiez le sceau de la ressemblance divine. » (Ezech., XXVIII, 12). En effet, plus la nature de l’ange est subtile et sa substance épurée, plus l’image de Dieu s’y trouve véritablement exprimée. De plus, Gabriel était de l’ordre des archanges, et, par conséquent, d’une haute dignité. « Ce n’est pas le premier ange venu, dit saint Grégoire, que Dieu envoie à la Vierge Marie, mais c’est l’archange Gabriel. Un tel mystère méritait la venue du plus grand des anges pour apporter le plus sublime des messages. » II. La profondeur du mystère est indiquée parle nom de l’ange. Gabriel signifie la force de Dieu. « Le Seigneur, dit saint Grégoire, envoie à Marie l’ange Gabriel, dont le nom veut dire la force de Dieu; c’est qu’il venait annoncer celui qui a daigné apparaître parmi les hommes pour vaincre les puissances de l’air. » Il annonçait le Roi et le Seigneur dont il est parlé dans les psaumes: « Ouvrez vos portes, ô prince des cieux; et vous, portes éternelles, ouvrez-vous afin de laisser entrer le Roi de gloire. Où est le Roi de gloire? C’est le Seigneur fort et puissant, le Seigneur puissant dans les combats. » (Ps., XXIII, 7-8). Mystère véritablement profond, dans lequel, selon saint Jean Damascène, apparaissent à la fois la bonté, la justice, la sagesse, la puissance la bonté, puisque, loin de mépriser l’infirmité de sa créature, il a été ému jusqu’au fond des entrailles en la voyant tomber, et lui a tendu la main pour la relever; la justice, parce que l’homme, ayant été vaincu par le démon, Dieu n’appela pas un tiers pour vaincre son tyran, mais il donna la victoire et la vengeance à un homme, c’est-à-dire à celui-là même qui avait été réduit en servitude par le péché; la sagesse, parce que l’Incarnation est la solution la plus simple et la plus aisée d’une difficulté qui semblait impossible à dénouer; la puissance enfin et la vertu infinie de Dieu, car, qu’un Dieu se soit fait homme, c’est l’ouvrage le plus grand qui se puisse concevoir. III. Il y a dans cette mission de l’ange Gabriel des convenances admirables. « Tout ce qui vient de Dieu est dans l’ordre, » dit saint Paul. (Rom., XIII, 1). C’est Dieu qui, selon la parole du Sage, « atteint d’une extrémité à l’autre avec force et dispose tout avec douceur » (Sagesse VIII, 1), c’est-à-dire que, depuis l’éternité qui précède les siècles jusqu’à l’éternité qui les suit, durant tout le temps qui s’écoule entre ces deux termes extrêmes, Dieu opère partout avec une perfection souveraine; car l’extrémité, le terme, la fin, signifie la perfection. Cet ordre parfait, qui paraît dans toutes les oeuvres de Dieu, brille dans le mystère de l’Annonciation. En effet, d’abord il est d’accord avec le plan de Dieu qui est de communiquer aux hommes les choses divines par le moyen des anges. C’est la pensée de saint Denys au chapitre IV de la Hiérarchie céleste, lorsqu’il dit que les célestes essences qui contemplent Dieu le réfléchissent d’abord en elles-mêmes, en recevant l’illumination, et qu’ensuite elles nous transmettent par leur intermédiaire les manifestations supérieures. Et, plus loin, appliquant ce qu’il adit, il ajoute que le divin mystère de l’humanité du Christ a été d’abord enseigné par les anges et que c’est par eux que la grâce de le connaître est descendue jusqu’à nous. Ainsi, l’ange Gabriel vient instruire le prêtre Zacharie et il annonce la naissance de Jean qui doit arriver contre toute attente par la grâce divine. Il apprend aussi à Marie de quelle manière ineffable un Homme-Dieu sera formé dans ses entrailles, et, en même temps, un autre ange instruit Joseph, un autre encore annonce aux pasteurs la bonne nouvelle, et avec lui toute la multitude des armées célestes chante avec des transports de louanges aux habitants de la terre cette admirable doxologie ou hymne de gloire « Gloire à Dieu au plus haut des cieux. » Ce même mystère convient aussi à la réparation de la nature humaine. « C’est bien justement dit Bède, que l’oeuvre de la réparation de l’homme commence par l’envoi d’un ange à la Vierge qui allait devenir si sacrée par l’enfantement d’un Dieu, puisque, pour perdre l’homme, le démon avait envoyé le serpent à la femme afin de la tromper par l’esprit d’orgueil. » Enfin, la mission de l’ange convenait à la parfaite virginité de Marie, comme saint Jérôme le fait observer: « C’est à bon droit, dit-il, que l’ange est envoyé à la Vierge; en effet, l’âme vierge est soeur des anges; car Vivre dans la chair sans rien tenir de la chair, ce n’est plus une vie terrestre, mais divine. » CHAPITRE VI: DE QUELLE MANIÈRE L’ANGE APPARUT A MARIE Les anges peuvent apparaître de trois manières, selon les trois modes de vision qui peuvent être donnés à l’homme: la vision intellectuelle, la vision imaginaire et la vision corporelle. La vision intellectuelle est la vision de l’essence même ou de la substance spirituelle de l’ange; elle est réservée à la patrie céleste. La vision imaginaire représente l’ange sous certaines figures ou ressemblances des choses corporelles; c’est de cette manière qu’un ange apparut en songe à Joseph, comme il est rapporté en saint Matthieu (II, 13 et 19). La vision corporelle a lieu lorsque l’ange apparaît dans un corps emprunté; c’est ainsi que Gabriel se montra à la Bienheureuse Vierge Marie. Saint Augustin met ces paroles dans la bouche de Marie: « L’archange Gabriel vint à moi avec un visage resplendissant, vêtu d’habits éclatants, admirablement beau dans sa démarche. » Et saint Ambroise, expliquant le passage de saint Luc où il est dit que la Sainte Vierge se troubla des paroles de l’ange (Luc., I, 29), fait cette remarque: « C’est le propre des vierges de craindre, de trembler en présence d’un homme, et de redouter sa conversation. » Ces paroles des deux saints Docteurs supposent évidemment que l’archange Gabriel apparut corporellement à Marie. Et il convenait qu’il en fût ainsi, d’abord à cause du mystère qui était annoncé. Ce mystère était l’Incarnation du Dieu invisible, mais qui voulait se rendre visible à nous; et le messager qui l’annonce est invisible de sa nature, mais il apparaît sous une forme visible. On peut même généraliser ceci et remarquer que toutes les apparitions qui eurent lieu sous l’ancienne loi se rapportaient figurativement à la grande manifestation du Fils de Dieu dans la chair. De plus, comme la Bienheureuse Vierge devait concevoir Dieu, non pas seulement dans son esprit, mais aussi dans ses entrailles, il convenait que les sens mêmes de son corps si noble et si auguste eussent la joie de voir l’ange. Enfin, il le fallait encore pour qu’elle fût plus assurée de la merveille qui lui était annoncée. Car nous possédons une certitude bien plus grande des choses placées sous nos yeux que de celles qui ne sont que présentées à notre imagination. Voilà pourquoi l’ange n’apparut pas en songe à Marie, mais visiblement et corporellement. La grandeur de la révélation que Marie recevait de l’ange exigeait une apparition solennelle et digne du grand événement qui en était le motif. Il se présente cependant sur ce sujet une difficulté. Saint Augustin dit que la vision intellectuelle est plus noble que la vision corporelle. Il semblerait donc que l’apparition de l’ange à la Sainte Vierge, si elle fut corporelle, n’a pas été aussi digne qu’elle devait l’être. — Mais saint Augustin parle de la vision intellectuelle considérée seule, en elle-même, et comparée à la vision corporelle aussi prise à part. Or, la Bienheureuse Vierge ne vit pas seulement l’ange des yeux du corps, elle reçut aussi de sa vision une illumination intellectuelle; c’est pourquoi cette apparition fut plus noble qu’une simple vue de l’esprit. Elle aurait été toutefois plus excellente encore et aurait atteint la suprême noblesse si Marie avait vu par son intelligence l’essence spirituelle de l’ange; mais l’état de la vie présente ne le comportait pas. CHAPITRE VII: DE L’ORDRE DANS LEQUEL S’ACCOMPLIT LA MISSION DE L’ANGE GABRIEL L’ange Gabriel accomplit sa mission auprès de Marie dans un ordre parfaitement juste et convenable. Il faut considérer trois circonstances de son apparition. D’abord, il aborde la Sainte Vierge en la saluant, ensuite il apaise son trouble et la console, et enfin il annonce qu’elle sera Mère de Dieu et comment elle le deviendra. Dans la première circonstance, on voit paraître l’excellence de cette Vierge, dans la seconde l’ardent désir qu’elle avait du salut du genre humain, et dans la troisième la merveilleuse grandeur de la bonté divine. I. Considérons d’abord le salut que l’ange adresse à Marie: « Je vous salue, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie entre toutes les femmes. » « Oui, dit saint Jérôme, elle est vraiment pleine de grâce. La grâce n’est donnée aux autres que partiellement; mais toute la plénitude de la grâce se répand à la fois dans Marie. Elle est vraiment remplie de grâce, la Vierge par qui toute créature a été inondée comme d’une pluie abondante des dons du Saint Esprit. » – « Il n’est personne, dit de son côté saint Bernard, qui ne reçoive de sa plénitude. Le malade obtient par elle sa guérison, le captif sa délivrance, l’affligé sa consolation, le pécheur son pardon, le juste un surcroît de grâce; les anges reçoivent une nouvelle allégresse, toute la Sainte Trinité une nouvelle gloire, et le Fils de l’homme la chair dans laquelle il s’est fait homme. » – « Je vois, ajoute ailleurs saint Bernard, dans ses entrailles, la grâce de la divinité, dans son coeur la grâce de la charité, sur ses lèvres la grâce de la bonté et de l’affabilité, dans ses mains la grâce de la miséricorde et de la largesse. » « Le Seigneur est avec vous, » continue l’ange. » Celui qui envoyait l’ange à la Vierge était déjà dans l’âme de la Vierge, dit saint Jérôme, et le Seigneur avait devancé son messager. » Aussi l’ange pouvait, comme saint Augustin le remarque, lui tenir ce discours: « Le Seigneur est avec vous bien plus qu’avec moi. Car il est dans votre coeur, et il sera dans votre sein, il remplit votre âme afin de remplir vos entrailles. » Et il pouvait ajouter, selon saint Bernard: « Ce n’est pas seulement le Seigneur, le Fils de Dieu que vous revêtez de la chair, qui est avec vous; mais c’est encore l’Esprit Saint par l’opération duquel vous concevez le Fils de Dieu. » L’ange poursuit, dans le texte sacré « Vous êtes bénie entre les femmes. » Vous seule entre toutes, et avant toutes les autres; » car, dit saint Jérôme, tout ce qu’Eve a répandu de malédiction a été ôté par la bénédiction accordée à Marie. » Trois malédictions pesaient sur les femmes: la malédiction de l’opprobre quand elles étaient stériles; en effet, Rachel, en donnant le jour à Joseph après une longue stérilité, s’écrie: « Dieu a éloigné mon opprobre (Gen XXX, 23); « la malédiction du péché, quand elles devenaient mères; c’est ce dont se plaint David « Voici que j’ai été conçu dans l’iniquité, ma mère m’a conçu dans le péché (Ps. L, 7); « la malédiction de la peine dans l’enfantement car Dieu avait dit à Eve « Tu enfanteras tes fils dans la douleur. » (Gen., III, 16). Seule, la Bienheureuse Vierge est bénie entre toutes les femmes, car elle a uni la fécondité à la virginité, une sainteté parfaite à la fécondité, et un enfantement sans douleurs à cette parfaite sainteté. Abondance de grâce, présence intime de Dieu, excellence de la bénédiction divine, ces trois privilèges que l’ange salue en Marie nous font assez connaître quelle est la suréminente dignité de cette Vierge. II. « Ne craignez point, Marie, dit l’ange, vous avez trouvé grâce devant le Seigneur. » Ce sont les paroles par lesquelles l’ange, après avoir salué Marie, la rassure dans son trouble et la console. Ce qui avait troublé la Sainte Vierge, ce n’était pas la vue, mais le discours de l’ange. Elle était habituée à ces sortes de visions et ne s’en étonnait plus, aussi l’Evangéliste attribue t-il expressément son trouble aux paroles de l’ange. « L’archange Gabriel, dit saint Pierre Damien, vint avec une douce figure, mais avec des discours terribles; sa vue n’émut guère Marie, mais ses discours la troublèrent étrangement, et c’est pourquoi il dit: « Ne craignez pointa Marie, vous « avez trouvé grâce devant le Seigneur. » On peut voir dans ces dernières paroles comme remarque saint Bernard, quelle sollicitude avait Marie pour le salut de tout le genre humain. Elle a trouvé grâce, la grâce qu’elle souhaitait. Mais quelle était cette grâce? La paix entre Dieu et les hommes, la destruction de la mort, la réparation de la vie, voilà ce qu’elle a trouvé devant le Seigneur. Avec quelle ardeur elle désira donc le salut de l’homme Elle souhaite pour les hommes la grâce du salut; la souhaitant, elle la trouve, et, l’ayant trouvée, elle la répand sur toutes les âmes. « Marie, dit saint Bernard, par la véhémence de son désir, par la ferveur de sa charité, par la pureté de sa prière a atteint jusqu’à cette source sublime, dont la plénitude du coeur môme du Père, est descendue en elle, comme en un canal qui nous l’a distribuée non pas telle qu’elle est en elle-même, mais telle que nous étions capables de la recevoir. » Remarquons, en passant que l’ange Gabriel dit à Zacharie, père de Jean-Baptiste aussi bien qu’à Marie: « Ne craignez pas. » L’ange qui apparaît aux pasteurs à la naissance de Jésus les rassure aussi en leur disant de ne point craindre. Ce soin de rassurer les hommes est le propre des bons anges, comme nous le lisons dans la vie de saint Antoine « Il n’est pas difficile de faire le discernement des bons et des mauvais esprits. Si à la crainte que cause leur apparition succède la joie, c’est que l’ange vient de la part de Dieu, car la sécurité de l’âme atteste la présence d’une majesté céleste. Si, au contraire, la frayeur persévère, c’est l’ennemi qui est apparu. » III. L’ange, après avoir salué et consolé Marie, lui annonce qu’elle deviendra Mère de Dieu: « Voici que vous concevrez et enfanterez un Fils à qui vous donnerez le nom de Jésus. » Voici que: par ces mots, l’ange lui montre le mystère étonnant et inouï qui va s’accomplir. Il le montre non pas sans doute à son regard corporel, mais à son intelligence, dans la lumière de la foi; ce qui fait dire à saint Jérôme: « Ce que la nature n’a point possédé dans son sein, ce que l’oeil n’a point connu, que la raison n’a point deviné, que l’esprit de l’homme ne saurait comprendre; un mystère qui étonne le ciel, qui confond la terre, qui surprend même les esprits célestes, voilà ce que Gabriel annonce à Marie de la part de Dieu et ce qui est accompli par Jésus-Christ. » Assurément, notre foi nous fait découvrir ici une grande charité et une grande puissance, où il faut reconnaître l’action de Dieu même. Aussi la Sainte Vierge dit-elle: « Le Tout-Puissant a fait en moi de grandes choses, » (Luc, 1,49). « Non, lui fait dire saint Bernard, développant cette parole, ce bien qui me fait déclarer bienheureuse par toutes les générations, je ne me l’attribue pas à moi-même, je ne le rapporte pas à mes mérites, mais bien à celui qui a fait ces grandes choses. Que je sois vierge, cela est grand; que je sois mère, cela est grand; que le sois vierge et mère à la fois, voilà ce qui est grand par-dessus tout. » Marie atteste elle-même sa grandeur quand elle dit que le Tout-Puissant a fait en elle de grandes choses; ineffablement grandes, en vérité, car elle est mère et vierge, et Mère du Seigneur; et l’Eglise dit qu’elle n’a point eu son égale dans le passé et que personne ne l’égalera dans la suite des siècles.
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