PRIER SUR LA MONTAGNE
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CATECHESE BIBLIQUE SYMBOLIQUE
PRIER SUR LA MONTAGNE
Août 2002
1. Reprise
Les catéchumènes de l’antiquité apprenaient la Bible à partir de la liturgie de la Parole, et ne participaient à la » messe des fidèles » qu’après une longue initiation biblique. Parrains et marraines préparaient leurs filleuls à écouter les trois lectures de la messe, et bien sûr, les psaumes qui encadraient ces lectures.
Les apprentis chrétiens étaient ainsi initiés à la prière chrétienne qui, à l’époque, était la liturgie de la Parole. L’exégèse de la Bible était celle que le Ressuscité enseigna aux disciples d’Emmaüs et aux autres rassemblés pour le repas. Toutes les Ecritures (la Torah, les prophètes et les psaumes) parlent de la mort et de la Résurrection de Jésus et de l’Incarnation de Dieu. Ils n’en parlent pas seulement comme un fait du passé, mais comme l’expérience fondatrice de l’Eglise, comme l’expérience spirituelle qui chasse Satan des cœurs en y faisant descendre l’Amour. Nous ne soulignerons jamais assez qu’il s’agit d’une expérience.
Dieu est Vivant parce qu’il parle : un mort ne parle pas ! Où Dieu parle-t-il ? Dans la prière nourrie des Ecritures, dont les psaumes sont une pièce essentielle. Nous verrons successivement deux aspects de la Parole de Dieu :
Le récit évangélique de la Transfiguration de Jésus sera présenté comme une synthèse de l’expérience ecclésiale de » la voix » qui jaillit de la Trinité divine.
2. La » voix » de Dieu sur la montagne
a. La » voix » dans la Bible
» La voix » de Dieu parle au cœur des disciples comme elle parla à Moïse sur le Mont Sinaï. Dans le Deutéronome (5,23-27), Moïse fait mémoire devant le peuple de cette expérience fondatrice d’Israël : Lorsque vous avez entendu cette » voix » sortir des ténèbres alors que la montagne était en feu… vous êtes venus me dire : nous avons entendu sa » voix » du milieu du feu. Aujourd’hui, nous avons constaté que Dieu peut parler à l’homme, et l’homme rester en vie… Mais est-il un être de chair qui puisse rester en vie après avoir entendu comme nous la voix du Dieu vivant parlant au milieu du feu ? Le peuple se déchargea alors sur Moïse de cette écoute dangereuse de » la voix » du Seigneur en lui disant : » Toi, tu écouteras et tu nous répéteras ce que le Seigneur notre Dieu t’aura dit, et nous, nous t’écouterons et mettrons en pratique ce que tu auras entendu. «
Ce passage, bien connu de la Tradition juive, est celle du » Shema Israël « . A la suite de Moïse, le prêtre (ou aujourd’hui, le rabbin) est l’interprète de la Parole de Dieu, il commente la Bible au peuple à partir d’une écoute intérieure de la » voix » de Dieu sur un » Sinaï » spirituel.
Notre » liturgie de la Parole » hérite de la prière intérieure de la Synagogue, de l’écoute de la » voix » du Dieu vivant qui parle au milieu du feu d’Amour sur un Sinaï intérieur. La seconde épître de Pierre (1,16-18) évoque cette expérience fondatrice de la prière biblique : Ce n’est pas en suivant des fables sophistiquées que nous avons fait connaître la puissance et l’avènement de notre Seigneur Jésus-Christ, mais après avoir été les témoins oculaires de sa majesté. Il reçut en effet du Père honneur et gloire lorsque la Gloire pleine de majesté lui transmit cette parole : Celui-ci est mon Fils bien aimé qui a toute ma faveur. Cette » voix « , nous l’avons entendue; elle venait du ciel, nous étions avec Lui sur la montagne sainte.
Le cadre général n’a pas changé, c’est toujours le Sinaï ! Mais le Dieu vivant a en plus un nom : » Jésus-Christ » qui a été transfiguré aux yeux de ceux montés avec Lui sur la haute montagne. (Mt 17,1) Ceux-ci ont » vu » en une même personne l’homme Jésus et Dieu, l’extérieur du prophète de Nazareth et son cœur, son corps et l’Esprit qui l’animait du dedans, la chair et le sang unifiés. Cette étonnante vision des témoins n’est pas seulement un regard extérieur car » la voix » du Père lui rendait témoignage, » voix » qui traverse la Bible et traverse l’écoutant. Le récit évangélique de la Transfiguration semble mettre en scène l’expérience de la Parole faite chair. Voyons comment.
b. La transfiguration ou l’expérience mystique de l’unification de l’âme
Ils sont trois hommes à monter là-haut avec Jésus : Pierre, Jacques et Jean. Où ? Sur une haute montagne à l’écart (Mt 17,1). Le lieu n’est pas déterminé par la géographie, seulement par son élévation et sa situation reculée. Serait-il question d’une » montagne » spirituelle, en clair : de la prière nourrie des Ecritures ?
La suite confirme l’hypothèse. Le texte grec de l’évangile dit que Jésus a été métamorphosé. Il s’agit d’un changement de peau . Jésus a soudain brillé comme le soleil, et ses vêtements sont devenus blancs comme la lumière (Mt 17,2). Ce qu’on appelle habituellement » la transfiguration de Jésus » est en vérité une métamorphose semblable à celle de la chenille qui devient papillon. Cette mue de l’insecte a d’ailleurs été souvent utilisée par la Tradition pour évoquer le passage de la chair mortelle à la chair éternelle. Avant sa Résurrection, Jésus était perçu comme un être humain habituel mais, suite à l’événement, sa chair apparut aux yeux des disciples d’une tout autre nature . Sa personne intime devînt comme un soleil et ses vêtements (de peau) prirent une blancheur éclatante. Autrement dit, son sang et sa chair révélaient à eux deux un immense Amour, la » nature divine » d’un Etre parfait, totalement unifié.
L’homme extérieur perçoit la Transfiguration comme un miracle, comme un spectacle : Jésus a été transfiguré, et les Apôtres ont été impressionnés, bouleversés du dehors par ce qui se passait devant eux. Mais la métamorphose de Jésus en Jésus-Christ, du Crucifié en Ressuscité, relève de l’expérience et pas seulement du fait extraordinaire, elle touche à la fois l’intérieur et l’extérieur du disciple, son » sang » et sa » chair « .
Quiconque fait cette expérience de la métamorphose de Jésus en Jésus-Christ est introduit dans une compréhension neuve des Ecritures. Tel semble être le premier temps de l’événement vécu sur la haute montagne.
L’évangile poursuit : Et voici que Moïse et Elie leur apparurent parlant avec Lui (Mt 17,3). Ici, » la chair » imagine l’apparition de deux personnages disparus depuis des siècles et qui ont été reconnus sans difficultés par les trois spectateurs interdits. Pourtant le texte évangélique ne se focalise par sur l’apparition, mais bien sur l’échange de paroles qui unissait Jésus aux deux grands personnages de l’Ancien Testament, écoutés l’un et l’autre dans la liturgie de la Parole : Moïse (la Loi) est la première lecture, Elie (les prophètes) est la seconde.
Ainsi, dès que le cœur du croyant perçoit la métamorphose du Crucifié en Ressuscité, sa première écoute des Ecritures en est renouvelée, rénovée. L’ancienne lecture juive des livres de la Bible était traversée par la » voix » du Dieu vivant mais elle restait éclatée car elle manquait de modèle, elle n’avait pas de phare. En revanche, la nouvelle exégèse biblique dont nous parlions hier, oriente le croyant vers la Croix qui devient alors la clé des Ecritures.
Pierre entre difficilement dans cette manière toute neuve d’appréhender la Bible. Le récit évangélique semble le laisser entendre. En effet Pierre dit à Jésus : Il est bon que nous soyons ici. Si tu veux, je vais dresser trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Elie (Mt 17,4). Le chef des disciples, à qui Jésus vient de confier la responsabilité de la future Eglise (Mt 16,18-19) reste dans une lecture fractionnée, non unifiée, des Ecritures . Il propose en effet à Jésus de construire trois tentes alors que Moïse et Elie habitent le même lieu spirituel que le Seigneur : ils dialoguent avec Lui comme nous le faisons encore dans la liturgie de la Parole . Pierre n’a pas encore compris que la Loi et les prophètes doivent être placés dans la même » tente » divine que Jésus-Christ, dans le même » ciel » intérieur. Homme encore éclaté, le grand Apôtre restait sur une lecture éclatée des Ecritures, et il passait à côté du plan de Dieu (Ep 1,11), de » l’économie du salut » qu’il nous est proposée de vivre.
Heureusement qu’une nuée lumineuse les prit (tous les trois) sous son ombre et voici que, de la nuée, une » voix » disait : » Celui-ci est mon Fils bien aimé, il a toute ma faveur. Ecoutez-le ! » (Mt 17,5) Une seule » tente » d’Esprit-saint descend d’en haut pour recouvrir l’Eglise en prière sur la » haute montagne « . Cette tente de lumière permet l’écoute du Fils envoyé par le Père, elle éclaire l’esprit des baptisés.
La lumière de Dieu est difficilement supportable par la créature. Ainsi le peuple de l’ancienne Alliance disait-il à Moïse : Que Dieu ne nous parle pas, car ce serait pour nous la mort (Ex 20,20). Depuis cette nuit des temps, la réalité a changé, Dieu a renouvelé son Alliance. Désormais, en Jésus-Christ, l’Amour est tamisé et le feu de Dieu réchauffe les cœurs et éclaire la mort, il ne brûle plus. La nuée lumineuse a été comme » ombrée » par le Fils bien aimé que le chrétien écoute. Par Lui et en elle , » la voix » est devenue parlante, non seulement pour Moïse et quelques privilégiés mais pour tous les baptisés initiés en catéchèse à la » Parole faite chair « .
A cette » voix « , les disciples tombèrent la face contre terre, tout effrayés. (Mt 17,6). L’expérience de la Parole est si bouleversante qu’elle bouscule les habitudes de prière, et fait tomber à terre. Mais Jésus s’approcha d’eux, les toucha et leur dit : » Réveillez -vous, n’ayez pas peur ! » (Mt 17,7). La chute n’est donc pas une mort, mais un éveil. Le Ressuscité vient réveiller l’âme d’un engourdissement millénaire. Le Christ réveille le » vieil Adam » pour en faire un » homme nouveau » dont l’âme, à la fois corporelle et spirituelle, est appelée à s’unifier.
Alors, eux, levant les yeux, ne virent plus que Jésus et Jésus seul (Mt 17,8). En effet, le » ciel » des baptisés n’est éclairé que par un unique » soleil » : Jésus seul, Jésus UN, dont la lumière, c’est-à-dire l’Amour, éclaire les Ecritures. Cette expérience se répète en toutes vies humaines où » la voix » s’écoute sur la » haute montagne » qui se dresse à l’écart des fracas du monde.
L’expérience de la » voix » se fait en Eglise. En chaque baptisé, elle s’approfondit au fil du temps grâce à la liturgie de la Parole. Sur cette haute montagne qui se dresse à l’écart d’un monde angoissé par la mort, Moïse et Elie sont écoutés en référence au Crucifié qui, ressuscité, n’est plus ici dans ce tombeau où on l’avait placé (Mc 16,6). Certes, les hommes tendent encore à l’y enfermer, ne croyant pas vraiment à sa métamorphose. C’est Lui, le Seigneur, qui fait pourtant sortir les baptisés de leur tombeau en leur ouvrant les Ecritures. Cette expérience bouleversante de la » Parole faite chair » était mimée dans la liturgie antique du Baptême par immersion car elle était le résultat attendu de l’initiation catéchétique.
» Baptisé, cette expérience est toujours la tienne : n’est-elle pas la vie de ton Baptême ? «
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