Archive pour le 10 mars, 2014

The Temptation of Adam and Eve (Spain; 10th century)

10 mars, 2014

The Temptation of Adam and Eve (Spain; 10th century) dans images sacrée spain_10thc
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MÉDITATION SUR LE CARÊME

10 mars, 2014

http://www.liturgiecatholique.fr/Meditation-sur-le-careme.html?artsuite=1

MÉDITATION SUR LE CARÊME

Le Carême est là, à notre porte…
Je ne sais ce qu’il en est pour vous, mais ma première réaction est une sorte d’appréhension. Une sorte de mauvaise compréhension enfouie au plus profond de moi et qui remonte. Cela vient de ma culture, de ce que j’ai appris ou retenu de mon enfance, des clichés véhiculés dans la foi de tout un chacun, sans doute. Le carême temps de pénitence, temps de privations, temps sombre, long, rude. Mais est-ce bien cela ?
J’ose croire que non puisque S. Benoît nous dit que : « Il est clair qu’un moine doit, en tout temps, garder l’observance du carême » (RB 49, 1). Or le projet monastique n’est pas de brimer les personnes, de les faire souffrir à plaisir. N’oublions pas la finale du prologue de la Règle : « Toutefois, si la raison et l’équité conseillent de proposer quelque légère contrainte, pour corriger les vices et préserver la charité, ne va pas, troublé de frayeur, abandonner sur le champ le chemin du salut dont les débuts sont forcément malaisés. A mesure qu’on progresse dans une sainte vie et dans la foi, le cœur se dilate, et c’est avec une indicible douceur d’amour que l’on court dans la voie des commandements de Dieu » (Prol 47-48). Donc même pour les non moines, ceci peut nous indiquer le sens de la part de rigueur du Carême.
Il s’agit de corriger ses vices et préserver la charité. Pas de rigueur pour le plaisir, par recherche de l’exploit. Ceci serait contraire à la charité et dans cette apparence d’ascèse se cacherait le vice de la vaine gloire ! Non il s’agit de se convertir, de se re-tourner vers Dieu là où nous nous en sommes éloignés. Le chemin principal est la prière, la lectio divina. Impossible de prétendre se tourner vers Dieu sans l’écouter, se mettre à son écoute et se laisser transformer par sa Parole. Et en gage de conversion, offrons-lui une attention particulière qui nous rappellera au long des quarante jours le chemin sur lequel nous avons librement choisi de nous engager. Cette attention, offrons-la dans la joie du saint-Esprit dit encore Saint Benoît (RB 49, 6), pas avec des mines lugubres.
Et ce chemin, nous rappelle nous conduit vers Pâques. Comme en Avent, le Carême nous met en état d’attente. « Qu’il [le moine] attende la sainte Pâques dans la joie du désir spirituel » (RB 49, 7). Peut-être le carême de cette année C est-il propice pour redécouvrir cette visée pascale.
Avant de nous mettre en route, regardons les étapes qui nous sont proposées afin de comprendre la trajectoire.
Chaque Carême commence par les Cendres. « Souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras en poussière » disait le prêtre en nous marquant le front de cendres dans mon enfance. La formule existe toujours mais généralement on préfère l’autre qui est aussi proposée par la liturgie : « convertissez-vous et croyez à l’évangile ». Oui, il s’agit de se retourner au plus profond de soi-même. Mais n’ayons pas peur e la voir en face, la mort est au bout de tout chemin de vie, même Jésus, notre maître, est passé par là. Nous le savons bien, face à la mort, les choses prennent tout à coup leur juste place. C’est sans doute pour cela que Saint Benoît, encore lui, invite le moine à « avoir chaque jour devant les yeux l’éventualité de la mort » (RB 4, 47). Ce n’est nullement une attitude morbide, mais du bon sens. Ceci nous invite à recevoir chaque matin comme un cadeau de la main du Seigneur. Il y a urgence, ne reportons pas indéfiniment le moment de notre conversion, la mort nous guette, marchons d’un bon pas vers Pâques en cherchant à nous rapprocher du Seigneur, à l’aimer et le servir.
Le troisième dimanche dit de scrutins, il s’agit d’une étape décisive vers le baptême pour les catéchumènes qui seront baptisés lors de la vigile pascale. Mais nous, baptisés depuis… années, il nous est bon de reparcourir cette route avec eux. Sans oublier de prier pour eux !
Nous sommes encore en route. Nous avons soif de l’Eau Vive que seul peut donner le Seigneur. Réveillons en nous la soif de sa présence. Et osons proclamer : « Il m’a dit tout ce que j’ai fait » ! Osons regarder en face notre misère pour découvrir combien Dieu nous aime, lui qui nous a pardonné nos péchés, qui a pris sur lui notre péché pour le clouer au bois de la croix de Jésus Christ.
Ne sommes-nous pas si souvent encore aveugles ?
Demandons au Seigneur d’éclairer notre nuit, de nous ouvrir les yeux du cœur afin que nous puissions croire au Fils de l’homme présent dans nos vies.
Enfin, avant d’entrer dans la Passion et la Semaine Sainte, Jésus nous rappelle : « Je suis la résurrection et la vie : celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra » (Jn 11, 25). La résurrection ou plus exactement réanimation de Lazare est une sorte de prélude à ce qui nous est donné de célébrer dans les jours qui viennent, il porte notre regard vers le Christ ressuscité. C’est à partir de là que tout prend sens.
Alors marchons avec sérieux mais avec joie sur ce chemin qui mène à Pâques !
D’après un texte de Sr Marie-Paule

LE PÉCHÉ ORIGINEL : LES DOSSIERS BIBLIQUE, LITURGIQUE ET THÉOLOGIQUE

10 mars, 2014

http://www.portstnicolas.org/l-eglise/questions-diverses/article/le-peche-originel-les-dossiers-biblique-liturgique-et-theologique

LE PÉCHÉ ORIGINEL : LES DOSSIERS BIBLIQUE, LITURGIQUE ET THÉOLOGIQUE

Certainement rien ne nous heurte plus rudement que cette doctrine. Et cependant sans ce mystère, le plus incompréhensible de tous, nous sommes incompréhensibles à nous-mêmes. Le noeud de notre condition prend ses replis et ses tours dans cet abîme. De sorte que l’homme est plus inconcevable sans ce mystère que ce mystère n’est inconcevable à l’homme.
Pascal, Pensées, Brunschwig 434 ; Lafuma 131

Question récurrente des forums de discussion sur les serveurs religieux et, lorsqu’elle surgit, souvent cause de désarroi pour les chrétiens chargés d’animer les rencontres de préparation au baptême dans les paroisses, cette question du péché originel, éludée faute de temps à Vatican I et de propos délibéré à Vatican II, charrie avec elle une foule de représentations et de contentieux que nos contemporains ont bien du mal à décrypter.
À défaut de prétendre trouver ici les mots qui conviennent pour rendre compte de manière satisfaisante de cette expression qui fait partie de l’héritage théologique et dogmatique de l’Eglise catholique, ces quelques pages se proposent seulement de fournir quelques repères pour ce travail encore à venir.
Il nous faut en effet appliquer au « péché originel » ce que Jean XXIII disait au début du dernier concile : « autre est le dépôt lui-même de la foi, c’est-à-dire les vérités contenues dans notre vénérable doctrine, et autre est la forme sous laquelle ces vérités sont énoncées, en leur conservant toutefois le même sens et la même portée. » [1]
Essayons donc d’y voir un peu plus clair en interrogeant successivement l’Ecriture, la prière de l’Eglise (notamment dans sa pratique baptismale) et ces fameuses expressions théologiques dont nous héritons. En même temps que leurs limites, nous tâcherons d’en faire ressortir les enjeux…

I. Le dossier biblique
On serait bien en peine de trouver, dans toute la Bible, une seule mention explicite du « péché originel ». L’expression n’y apparaît nulle part.
Est-ce à dire pour autant que la catégorie théologique qui nous occupe est apparue sans aucun enracinement biblique ? Voilà qui serait bien étonnant ! Ouvrons donc la Bible et arrêtons-nous sur quelques passages très prisés par nos prédécesseurs…

I.1. La figure d’Adam
C’est elle qui, durant de longs siècles, inspira la théologie du péché originel.
Le récit yahviste [2] de la Genèse (Gn 2 et 3)

Un enseignement sur Dieu
Il veut le bonheur de l’homme (Gn 2/18), lui qui en est le créateur. Le seul interdit qu’il donne à l’homme est un interdit protecteur (Gn 2/17), pour son bien donc. Il n’est pas le responsable des malheurs de l’homme. Ce rôle est ici tenu par le serpent puis par l’homme lui-même.

Un enseignement sur l’homme
Si l’homme consent au mal et s’en fait le complice, le mal est pourtant déjà là – ne serait-ce que sous la forme de la tentation, de la tromperie et du mensonge (Gn 3/1-5) – avant même son choix d’y consentir. C’est donc que l’homme n’est pas le seul responsable du mal qui l’accable.

Un enseignement sur le péché
Ce premier péché va être présenté comme le péché-type, à savoir le geste de l’homme qui se détourne de Dieu. Rompant la relation de confiance qui existait avec son créateur, l’homme se met à craindre celui qui est pourtant son plus grand bienfaiteur (Gn 3/8-10). Le récit évoque encore le péché comme une désobéissance (St Paul parlera de la « transgression » d’Adam, en Rm 5/14) par rapport à l’interdit divin, comme un désir orgueilleux de refuser son statut de créature pour s’égaler à Dieu (Gn 3/5).

Une question posée au lecteur
Qui est cet homme tiré de la poussière du sol en Gn 4/7 ? S’agit-il de l’homme en général ou d’un individu nommé Adam ? Faut-il voir dans cette histoire un récit populaire exprimant en images le fond de chaque péché et du péché de chacun ou bien la narration circonstanciée d’un péché des origines commis personnellement par nos premiers parents ?
Le terme hébreu employé suggère directement la terre dont l’homme est tiré selon le récit yahviste et pourrait bien être un terme générique pour désigner l’homme en général, tout homme en quelque sorte, surtout lorsqu’il est employé comme un nom commun précédé de l’article. Mais, en certains passages (Gn 4/25 ; Gn 5/3,4,5), « adam » est employé sans article et fonctionne comme un nom propre.
Si l’exégèse moderne penche pour la première ligne d’interprétation, il faut bien reconnaître que les commentaires traditionnels, ignorant l’existence de genres littéraires différents dans la Bible et peu attentifs à la pluralité de sens offerte par l’exégèse rabbinique [3], considéraient l’aventure de M. Adam et de Mme Eve comme une histoire à prendre au pied de la lettre. On sait que ce présupposé rendit même très difficile l’accueil, au siècle dernier, des travaux de Darwin et de toutes les hypothèses soulevées depuis par l’évolution de la cosmologie, de la biologie et des diverses branches de l’anthropologie culturelle. En 1950 encore, le pape Pie XII, dans son encyclique Humani generis , ne voyait guère de compatibilité entre la nouvelle hypothèse d’un polygénisme de l’humanité et le récit biblique, signe qu’on a du mal à se résoudre à ne pas trouver dans la Bible des réponses à nos « comment ? » au-delà des réponses à nos « pourquoi ? »…

L’exégèse typologique de St Paul
Dans la première lettre aux Corinthiens, Adam et le Christ sont face à face, comme source de mort et source de vie : « De même que tous meurent en Adam, tous aussi revivront dans le Christ » (1 Co 15/22,45-49).
Dans l’épître aux Romains, Adam et le Christ sont, en plus, origines l’un du péché, l’autre de la justice. Il faut en effet citer ici le fameux développement du chapitre 5 et notamment le verset 12 dont la traduction, délicate, a donné lieu à diverses interprétations : « de même que par un seul homme le péché est entré dans le monde et par le péché la mort, et qu’ainsi la mort a atteint tous les hommes parce que [4] tous les hommes ont péché… » (traduction de la TOB).
Dans un cas comme dans l’autre, Paul use d’un artifice littéraire, « un seul », « un seul », qui durcit l’opposition en polarisant l’attention sur Adam, à l’exclusion des autres protagonistes de la faute selon le récit de la Genèse : Eve et le serpent, que Paul mentionne pourtant ailleurs (cf. 2 Co 11/3 ; Ep 2/2 ; 1 Tm 2/14). « Il réduit ainsi, note Gérard-Henry BAUDRY [5], le péché collectif des origines au péché individuel d’Adam pour les besoins de sa rhétorique. »
Ce qui est manifeste, c’est que l’enseignement de Paul porte directement sur le Christ. En ce qui concerne Adam, il reprend seulement certaines conceptions juives de son temps concernant les origines, ayant probablement présent à l’esprit que la communauté chrétienne de Rome est composée en grande partie de judéo-chrétiens. D’ailleurs, après avoir dû mettre ainsi en relief le rôle d’Adam pour les besoins de sa démonstration, Paul s’empresse de le relativiser en ajoutant que « tous ont péché ». Adam ne saurait en effet être mis sur le même plan que le Christ, seul et unique Sauveur.

I.2. D’autres passages de l’Ancien Testament
Difficile d’extrapoler longtemps à partir du seul petit verset de Si 25/24 ! On y retrouve seulement la tendance quelque peu misogyne de Ben Sirac : « C’est par une femme que le péché a commencé et c’est à cause d’elle que tous nous mourons » !
Quant à l’auteur du livre de la Sagesse, en Sg 10/1-2, il glisse sur la faute du premier homme pour ne retenir que la bonté de Dieu qui le relève, comme s’il s’agissait d’une faute de faiblesse… En identifiant le Serpent de la Genèse avec le Diable qui porte la première responsabilité de la mort, il semble bien d’ailleurs vouloir minimiser la culpabilité du premier homme : « Dieu a créé l’homme incorruptible, il en a fait une image de sa propre nature ; c’est par l’envie du diable que la mort est entrée dans le monde » (Sg 2/24).
A l’appui de son élaboration théologique, St Augustin citera encore un extrait des Proverbes : « Qui dira : “j’ai purifié mon coeur, je suis net de tout péché” ? » (Pr 20/9). Dans cette même ligne, deux extraits de psaume évoquent encore ce bain de péché dans lequel est immergé tout homme dès sa naissance : « Voici que je suis né dans l’iniquité » (Ps 50/7) ; « Aucun homme vivant n’est juste devant toi » (Ps 142/2).
Mais, bien plus que ces versets épars, c’est l’héritage de la civilisation patriarcale et la conception traditionnelle du clan comme entité quasi-biologique qui constituent le terreau biblique sur lequel va se développer la théologie du péché originel.
Les anciens Hébreux mettaient en effet l’accent sur la solidarité collective dans le péché et n’hésitaient donc pas à châtier le coupable avec ou dans sa famille et ses descendants (cf. Jos 7/24-26 ; 2 S 21/5). C’en est au point que la pratique de la répression collective est érigée en principe longtemps indiscuté de la conduite même de Dieu : « Je suis un Dieu jaloux qui punis la faute des pères sur les enfants, les petits-enfants et les arrière-petits enfants pour ceux qui me haïssent » (Ex 20/5 et Dt 5/9 ; cf. Ex 34/7 et Nb 14/18). Plusieurs siècles plus tard, en prônant la responsabilité personnelle du pécheur, la prédication du prophète Ezéchiel se heurtera encore à cette mentalité archaïque (Ez 18 ; Jr 31/29), une mentalité qui subsiste toujours chez les disciples de Jésus (cf. Jn 9/2) et dont saint Paul, hélas, n’est pas arrivé à clairement se détacher : « Par la désobéissance d’un seul homme la multitude a été constituée pécheresse » (Rm 5/19).

I.3. D’autres allusions du Nouveau Testament
On peut bien sûr évoquer l’Apocalypse qui parle expressément de « l’antique serpent, le diable ou Satan, comme on l’appelle » (Ap 12/9 ; 20/2).
Mais c’est à la perspective johannique qu’il faut s’arrêter un instant.
Il y a d’abord cette forte affirmation selon laquelle « nul, s’il ne naît d’eau et d’Esprit, ne peut entrer dans le Royaume de Dieu » (Jn 3/5). Cette affirmation, on s’en doute, a dû peser lourd en faveur du baptême des petits enfants.
Mais surtout, chez Jean, le Christ fait face non plus à Adam mais à celui qui est à l’origine du péché : le diable. Ici comme chez Paul, il est question de la « domination » du péché : « En vérité, je vous le dis : quiconque commet le péché est esclave du péché » (Jn 8/34). Comme chez Paul également, celui qui actuellement commet le péché a un prototype et un père : Satan. à deux reprises Jésus, s’adressant aux « Juifs », parle de « votre père » et l’oppose très précisément à Abraham (Jn 8/38-41). Et d’ajouter : « Vous avez pour père le diable, et ce sont les désirs de votre père que vous voulez accomplir. Dès l’origine, ce fut un homicide : il n’était pas établi dans la vérité, parce qu’il n’y a pas de vérité en lui. Quand il dit ces mensonges, il les tire de son propre fonds, parce qu’il est menteur et père du mensonge » (Jn 8/44). Voila, note P. SCHOONENBERG, « une claire allusion à l’origine, au paradis, où le diable a introduit la mort (Sg 2/24) en induisant l’homme à pécher par son mensonge. Ainsi, chez Jean, le péché se transmet à l’homme comme un héritage spirituel et en tant que domination de Satan. » [6]

II. Le dossier liturgique
« Lex orandi, lex credendi » [7]… Cet adage de notre tradition ecclésiale souligne l’importance de la prière de l’Eglise comme lieu théologique susceptible de nous aider à entrer dans une meilleure compréhension de l’unique dépôt de la foi. C’est donc vers la pratique liturgique de l’Eglise, notamment en matière de baptême, qu’il convient de nous tourner maintenant pour enrichir notre réflexion.

II.1. L’effacement du péché originel ou la victoire contre Satan ?
Il y a, note Gérard-Henry BAUDRY, deux approches de la condition misérable de l’homme. « L’une en fait remonter l’origine à Adam et la présente, certes, comme la conséquence de son péché, mais non pas comme la transmission de ce même péché, nuance importante. Les Pères du second siècle restent fidèles à cette ligne, qui est biblique, en ne parlant pas d’un péché héréditaire dans leur réflexion sur le baptême. Mais il y a aussi une seconde approche, qui prend deux formes : l’une, plus discrète et plus populaire, qui considère que de fait l’homme est souillé dès sa naissance ; et l’autre, plus explicite, qu’il est esclave de Satan. » (…)
« C’est dans la démonologie que les Pères trouvent la réponse au problème du mal. Elle va marquer la liturgie du baptême ainsi que la théologie baptismale (…). Voilà pourquoi le péché d’Adam est refoulé aux origines et est absent de l’idée comme de la pratique du baptême, tandis que Satan est omniprésent comme l’Adversaire du genre humain, celui que le Christ a vaincu par sa mort et sa résurrection. Le baptême est le sacrement de cette victoire. Cette perspective avait l’avantage de rester proche des données évangéliques qui nous montrent constamment le combat que le Christ mène victorieusement contre Satan alors qu’elles ignorent la problématique du péché originel. » [8]

II.2. La pratique du baptême des petits enfants
Même si cette pratique ne semble pas s’être imposée partout [9] et a coexisté avec l’antique tradition du baptême des adultes, elle est attestée très tôt dans l’histoire de l’Eglise [10], en tout cas bien avant que ne soit formalisée la théologie du péché originel. Le baptême n’a d’ailleurs pas pour seul effet la rémission des péchés. Et saint Jean Chrysostome d’ajouter, dans ses Catéchèses baptismales : « C’est pour cette raison que nous baptisons même les petits enfants, bien qu’ils n’aient pas de péchés, pour que leur soit ajouté la justice, la filiation, l’héritage, la grâce d’être frères et membres du Christ, et de devenir la demeure du Saint-Esprit » [11].
Ce n’est qu’avec saint Augustin que cette pratique du baptême des petits enfants va servir d’argument principal à une doctrine du péché originel en cours d’élaboration.

II.3. Les rituels du baptême
Commençons par celui qui sert de modèle à tous les autres, à savoir celui des adultes.
II.3.1. L’initiation chrétienne des adultes
Pour les communautés francophones fut publié en 1974, à titre provisoire, un Rituel du baptême des adultes par étapes ; puis, en 1977, le Rituel du baptême des enfants en âge de scolarité.
Un constat s’impose ici : « Comme dans les rituels anciens, y compris le rituel romain, il n’y est fait aucune mention explicite du péché originel. On reste dans la symbolique traditionnelle, même si on observe un déplacement d’accent. Par exemple la forte opposition entre le monde de Satan et le monde du Christ, marquée par les divers rites d’exorcisme et culminant dans la renonciation à Satan, se trouve beaucoup atténuée. (…) on assiste en quelque sorte à une dé-démonisation des représentations au profit de formules plus générales comme le mal, le péché, l’esprit du mal, la puissance des ténèbres » [12].
C’est tout récemment, en 1997, qu’est parue l’édition francophone dite « définitive » [13] . On ne s’étonnera pas de n’y trouver pas davantage de mention explicite au « péché originel », puisque l’édition de 1997 est , comme celle de 1974, une adaptation du même rituel latin publié en 1972. à noter seulement, parmi toutes les prières proposées dans les exorcismes, quelques allusions à « la faute » (n° 115/4), aux « blessures du péché » (n° 115/9) ou encore à « l’esclavage du péché qui a introduit la mort dans le monde et corrompu ce que tu as fait de bon » (n°172/2).

II.3.2. Le rituel du baptême des petits enfants
Plus encore que pour le baptême des adultes, c’est évidemment là qu’on s’attendrait à trouver mention du fameux « péché originel » ! Or, curieusement, l’ancien rituel publié par le pape Paul V en 1614 [14] n’utilise jamais la formule classique peccatum originale ou une formule équivalente. Ainsi que le note G-H. BAUDRY, « ce fait est d’autant plus surprenant que le concile de Trente, face aux diverses déviations contemporaines, avait précisé la doctrine du péché originel, doctrine qui devait affecter si profondément les mentalités. Tout s’est passé comme si l’on n’avait pas osé toucher aux textes liturgiques traditionnels qui remontaient à une si haute antiquité. » [15]
Verra-t-on un changement notable avec la parution du nouveau rituel de 1969 [16] ? Nullement. La seule mention du « péché originel » se trouve au n°125 dans l’une des deux prières d’exorcisme. Encore faut-il signaler le côté contestable de cette traduction française, puisque le texte latin (langue de référence) du rituel prenait précisément bien soin d’éviter la formule originale peccatum qu’il remplaçait par originalis labes (« chute originelle », « faux pas ») [17].
Au silence de l’écriture, voici que s’ajoute donc celui de la liturgie baptismale à propos de cette représentation du péché originel élaborée par la théologie classique. Il faudra s’en souvenir lorsqu’il s’agira d’évaluer l’importance et la pertinence pour aujourd’hui d’un tel vocabulaire et plus encore des images qui lui sont associées.

III. Le dossier théologique
III.1. Les premiers siècles
La pratique du baptême des petits enfants a dû, très tôt, poser problème eu égard à l’affirmation de l’écriture selon laquelle le baptême est conféré « pour la rémission des péchés » (Ac 2/38). Il fallut donc opérer la distinction entre péché personnel et péché originel, le premier étant en effet difficilement imputable aux enfants nouveaux-nés !
Origène distinguera, quant à lui, « souillure » (sordes) et « péché » (peccatum), les petits enfants en naissant ayant contracté une souillure, mais non un péché, lequel suppose toujours un engagement libre et personnel.

III.2. La puissante influence de St Augustin
Son engagement contre l’hérésie de Pélage, une erreur d’interprétation du fameux verset de Rm 5/12 [18] et, reconnaissons-le, une vision très pessimiste de la sexualité liée à son expérience personnelle, conduisirent l’évêque d’Hippone, d’une part à parler de « péché » là où ses prédécesseurs parlait de « mort » ou de « corruption » pour évoquer un état de l’humanité qui affecte tous ses membres [19], d’autre part à concevoir le péché des hommes non comme une simple imitation du péché d’Adam, mais comme une maladie contagieuse transmise par voie de génération charnelle.
Reliant très fortement l’affirmation universelle du salut à la nécessité absolue du baptême et notamment à la pratique ecclésiale du baptême des petits enfants, il n’hésite pas à prédire l’enfer pour les enfants non-baptisés.
III.3. Les enseignements dogmatiques du synode de Carthage (411), du 2ème Concile d’Orange (529) et de la 5ème session du Concile de Trente (1546)
Entre Pélage qui surestimait les forces de l’homme livré à lui-même et les premiers réformateurs protestants qui enseignaient que l’homme était radicalement perverti et sa liberté annulée par le péché des origines, l’Eglise fut amenée à préciser sa doctrine, en s’appuyant fortement sur la réflexion d’Augustin.
Cet enseignement est repris dans la dernière édition du catéchisme de l’église catholique… sans grand effort de reformulation, il faut bien l’avouer !
À la suite de S. Paul, l’Eglise a toujours enseigné que l’immense misère qui opprime les hommes et leur inclination au mal et à la mort ne sont pas compréhensibles sans leur lien avec le péché d’Adam et le fait qu’il nous a transmis un péché dont nous naissons tous affectés et qui est « mort de l’âme ». En raison de cette certitude de foi, l’Eglise donne le Baptême pour la rémission des péchés même aux petits enfants qui n’ont pas commis de péché personnel. » (C.E.C. n° 403)
(…) en cédant au tentateur, Adam et Eve commettent un péché personnel, mais ce péché affecte la nature humaine qu’ils vont transmettre dans un état déchu. C’est un péché qui sera transmis par propagation à toute l’humanité, c’est-à-dire par la transmission d’une nature humaine privée de la sainteté et de la justice originelles. C’est pourquoi le péché originel est appelé « péché » de façon analogique : c’est un péché « contracté » et non pas « commis », un état et non pas un acte. (C.E.C. n° 404) [20]
(…) la nature humaine n’est pas totalement corrompue : elle est blessée dans ses propres forces naturelles, soumise à l’ignorance, à la souffrance et à l’empire de la mort, et inclinée au péché (cette inclination au mal est appelée « concupiscence »). Le Baptême, en donnant la vie de la grâce du Christ, efface le péché originel et retourne l’homme vers Dieu, mais les conséquences pour la nature, affaiblie et inclinée au mal, persistent dans l’homme et l’appellent au combat spirituel. (C.E.C. n° 405)

III.4. Un état de péché
On vient de le lire dans le C.E.C., le péché originel qui affecte tout homme en ce monde est un état et non un acte.
Cet aspect de la doctrine catholique n’est pas le plus difficile à recevoir : chacun voit bien, en effet, qu’il y a quelque-chose de cassé dans ce monde (cf. Rm 8/19-21) et que le péché – qui consiste à refuser Dieu – ne fait qu’ajouter à toutes les formes de mal et à leur cortège de souffrances (1 Co 15/16-19). Une lecture théologique de la vie économique amenait ainsi le pape Jean Paul II, dans son encyclique Sollicitudo rei socialis de 1987, à qualifier de « structures de péché » (n° 36) les injustices structurelles qui se renforcent, se répandent et deviennent sources d’autres péchés en conditionnant la conduite des hommes.
Plus radicalement, tout homme se découvre, dès sa naissance, comme blessé par un mal qui le précède, prisonnier du péché dont il ne tarde pas à se rendre complice (cf. Rm 7/19 ; Ga 5/17). ; il est incapable par lui-même d’être ami de Dieu et de participer à sa vie. C’est le côté dramatique de l’existence humaine.
Les conséquences du péché originel et de tous les péchés personnels des hommes confèrent au monde dans son ensemble une condition pécheresse, qui peut être désignée par l’expression de Saint Jean : « le péché du monde » (Jn 1/29). Par cette expression on signifie aussi l’influence négative qu’exercent sur les personnes les situations communautaires et les structures sociales qui sont le fruit des péchés des hommes. (C.E.C. n° 408)

III.5. Un péché des origines ?
Après le « peccatum originale originatum », cette situation générale viciée qui est le lot commun de notre humanité et que nous venons d’évoquer, il convient d’envisager maintenant ce que la théologie scolastique nommait, par opposition, le « peccatum originale originans », c’est-à-dire le péché de nos premiers parents, réputé situé au tout début de l’histoire de l’humanité.
On a déjà mentionné ici les questions posées au lecteur du récit yahviste de la Genèse et la lenteur avec laquelle l’Eglise admit enfin qu’on puisse voir dans ce récit autre chose qu’un événement historique survenu entre M. Adam, Mme Eve et un curieux serpent doté de la parole !
Le récent catéchisme de l’Eglise catholique n’a d’ailleurs pas encore abandonné complètement cette lecture quelque peu naïve, ainsi qu’on peut le constater en lisant le n° 390 :
Le récit de la chute (Gn 3) utilise un langage imagé, mais il affirme un événement primordial, un fait qui a eu lieu au commencement de l’histoire de l’homme. La révélation nous donne la certitude de foi que toute l’histoire humaine est marquée par la faute originelle librement commise par nos premiers parents. (C.E.C. n° 390 ; voir aussi le n° 404 déjà cité).
On peut regretter ici que ce catéchisme n’ait pas retenu la mention moins ambiguë du n° 13 de la constitution conciliaire Gaudium et Spes : « dès le début de l’histoire » ! La formule avait pourtant ceci d’intéressant qu’elle impliquait que l’homme n’avait pas seulement abusé de sa liberté au début de l’histoire, mais dès le début. C’était dire qu’il avait continué d’en abuser après ! C’était surtout refuser de prétendre pouvoir écrire l’histoire du premier péché (les rédacteurs du récit yahviste de la Genèse étaient eux-mêmes déjà immergés dans un monde marqué par le péché !) mais se contenter, plus prosaïquement, d’évoquer l’histoire des péchés qui se multiplient au cours de l’histoire dès son début !
Mais sans doute est-il difficile de penser l’universalité du péché sans le situer à l’origine ?… comme d’affirmer l’unité de l’espèce humaine sans faire dériver ses ancêtres d’un seul et même couple ?
Tel est bien d’ailleurs l’enjeu théologique de cette doctrine du péché originel, avec, comme on l’a signalé dès le début de ces quelques notes, cette autre affirmation vigoureuse : non seulement Dieu n’est pas l’auteur du mal et de la mort, mais Il peut en délivrer tous les hommes, en Jésus Ressuscité.
La doctrine du péché originel est pour ainsi dire le « revers » de la bonne Nouvelle que Jésus est le Sauveur de tous les hommes, que tous ont besoin du salut et que le salut est offert à tous grâce au Christ. L’Eglise qui a le sens du Christ sait bien qu’on ne peut pas toucher à la révélation du péché originel sans porter atteinte au mystère du Christ. (C.E.C. n° 389)

III.6. Un travail de reformulation encore à faire
Pour être normatives, les définitions conciliaires de Carthage et de Trente n’en ont pas moins vieilli. Elles nécessitent, comme l’affirmait Paul VI dès 1966, une « définition et une présentation du péché originel qui soient plus modernes, c’est-à-dire qui satisfassent davantage aux exigences de la foi et de la raison, telles qu’elles sont ressenties et exprimées par les hommes de notre temps » [21].
Vingt ans plus tard, lui faisaient écho les propos du cardinal J. RATZINGER qui reconnaissait : « L’incapacité de comprendre et de présenter le ’péché originel’ est vraiment un des problèmes les plus graves de la théologie et de la pastorale actuelle » [22].
Nos enquêtes, même succinctes, en direction de la Bible et de la pratique baptismale de l’Eglise au long des siècles nous amènent d’ailleurs à relativiser sinon une doctrine du moins une formulation si faiblement enracinée dans l’Ecriture et la prière de l’Eglise.
C’est ainsi que les progrès de l’exégèse et de l’histoire nous obligent déjà à reconsidérer de manière critique l’interprétation donnée aux quelques versets de l’épître aux Romains sur lesquels repose l’essentiel de l’édifice théologique nommé « péché originel », ainsi que la justification donnée par le concile de Carthage et reprise par celui de Trente à l’appui des condamnations qu’ils prononcent.
L’un et l’autre conciles veulent voir en effet leur doctrine présente en Rm 5/12 et n’hésitent pas à déclarer : « on ne peut pas comprendre autrement ce que dit l’Apôtre : ’Par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché, la mort, et ainsi la mort a passé dans tous les hommes, tous ayant péché en lui’ (Rm 5/12), sinon de la manière dont l’Eglise catholique répandue par toute la terre l’a toujours compris [23]. » La redécouverte de la tradition grecque ne rend plus tenable cette affirmation, laquelle d’ailleurs, dans la mesure où elle suit la formule « anathema sit », semble bien être davantage une justification qu’une explication incluse dans l’anathème et donc ne pas faire autant autorité.
D’un autre côté, et sauf le respect que l’on doit à son immense talent, il faut bien reconnaître qu’à trop vouloir se servir de l’antique pratique du baptême des petits enfants pour justifier sa construction théologique, St Augustin n’a probablement pas franchement rendu service à notre église.
N’est-il pas temps aujourd’hui de retrouver toute la richesse de cette pratique et la signification première d’un baptême qui célèbre la primauté, non du péché, mais de la grâce du Christ ?
Et au lieu de se crisper, voire de prétendre partir du « péché originel », n’est-il pas plus conforme à l’évangile et plus urgent pour nos contemporains de parler de « la grâce originelle » ?
Puissent ces quelques lignes nous stimuler en ce sens !