Archive pour mars, 2014
I. LES PÈRES ET L’ÉDUCATION CHRÉTIENNE AUX CINQ PREMIERS SIÈCLES.
31 mars, 2014http://www.inrp.fr/edition-electronique/lodel/dictionnaire-ferdinand-buisson/document.php?id=3372
PÈRES DE L’ÉGLISE
Les Pères de l’Eglise ont été, aux cinq premiers siècles, les témoins et les directeurs de l’éducation chrétienne. En outre, depuis le moyen âge jusqu’à nos jours, leurs écrits n’ont pas cessé d’avoir sur l’éducation une influence dont il est nécessaire de tenir compte.
I. LES PÈRES ET L’ÉDUCATION CHRÉTIENNE AUX CINQ PREMIERS SIÈCLES.
Il n’est pas possible d’exposer les idées des Pères sur l’éducation sans avoir d’abord fait connaître leur point de vue. Pour eux, l’éducation était avant tout la préparation à la vie céleste. Comme on commençait à participer à cette vie une fois introduit dans l’Eglise, la véritable éducation était pour eux la préparation de l’homme, quel que fût son âge, à l’entrée dans la communion des fidèles. Relativement aux enfants, ce problème se compliquait de la nécessité de les préparer en même temps à vivre dans la société romaine, dont ils ne pouvaient pas ne pas faire partie.
Notre exposition se trouve naturellement divisée en deux parties par le fait si considérable de l’avènement de l’Eglise à la liberté sous Constantin.
À. LES PERES ET L’EDUCATION CHRETIENNE AUX TROTS PREMIERS SIECLES.— Aux trois premiers siècles, les témoignages des Pères sur les soins à donner à la jeunesse sont rares. Aucun traité ; des indications éparses, le plus souvent à propos d’un autre objet. L’Eglise s’occupait de s’agrandir et de s’organiser au milieu des persécutions et des hérésies. Sa véritable jeunesse fut alors les catéchumènes, qui lui venaient surtout du dehors.
Dans cette première période, où la diversité des sentiments des Pères est plus marquée, il nous a paru préférable de subordonner l’ordre des matières et celui des temps à celui des races. Nous diviserons les écrivains ecclésiastiques en trois groupes, suivant la prédominance de l’élément juif, de l’élément grec, et de l’élément romain. Le premier groupe nous renseignera surtout sur la famille ; le second sur la catéchèse ; le troisième sur la manière dont les fils des chrétiens devaient participer à l’éducation païenne. Le premier groupe a pour centres principaux Home et la Syrie, le second l’Egypte, le troisième l’Afrique proconsulaire.
Premier groupe. — Les conseils aux parents relativement à l’éducation de leurs enfants ne se trouvent que dans un groupe d’écrits très anciens, antérieurs ou indifférents au mouvement pagano-chrétien des apologètes du second siècle contre la persécution, et plus ou moins pénétrés de l’esprit juif qui solidarisait la destinée de tous les membres de la famille. Ils ont tous été composés en langue grecque, et, sauf une exception, à Rome ou en Syrie. Ce sont d’un côté l’Epitre de Clément de Rome avec l’Epître de Polycarpe qui paraît l’avoir imitée sur ce point ; de l’autre, l’Enseignement des douze apôtres, le Pasteur d’Hermas, les Homélies clémentines, les Reconnaissances, et enfin le fond des Constitutions apostoliques, qui est d’une grande antiquité. On y recommande d’abord, il est à peine besoin de le dire, de ne pas se débarrasser des enfants par l’avortement ou après leur naissance. Les Juifs de la dispersion avaient déjà protesté contre la coutume grecque et romaine d’exposer les nouveau-nés. Ensuite il faut enseigner aux enfants dès le jeune âge la crainte de Dieu. Pour ce but on leur apprendra des passages de l’Ecriture dès qu’ils sauront parler. Telle était aussi la coutume juive. De même que chez les Juifs, et comme on devait d’ailleurs s’y attendre, c’est la mère qui sera plus particulièrement chargée de ce soin. On leur mettait ensuite entre les mains les saintes Lettres. Nous pouvons généraliser avec certitude les renseignements qui nous sont donnés par les écrivains de ce groupe, et dire que, partout où ce fut possible, l’instruction religieuse dans la famille précéda les autres éludes, quand on appliquait l’enfant à d’autres études.
Nos écrivains recommandent de ne pas se laisser aller par tendresse à une indulgence qui pourrait être funeste, mais d’être constamment vigilant et ferme, et d’user sans crainte des corrections corporelles. Les Constitutions apostoliques développent cette dernière prescription bien longuement. « Ne craignez donc pas de les châtier : corrigez-les avec sévérité, car en les formant ainsi vous ne les tuerez pas, mais plutôt vous les sauverez. Comme le dit quelque part Salomon, dans sa Sagesse, châtie ton fils et il te donnera du repos. Car c’est ainsi qu’il deviendra un enfant de bonne espérance. Tu le frappera avec la verge, mais lu délivreras son âme de la mort. Il dit encore : Qui ménage le bâton hait son fils. Et encore : Romps-lui les côtes pendant qu’il est enfant, de peur qu’il ne s’endurcisse et ne devienne rebelle. Ainsi, quiconque craint d’exhorter et de corriger son fils hait son propre enfant. » Il est douteux que la tendance juive à courber l’homme sous la loi, à briser les résistances avec le bâton, à faire prédominer non la raison mais la crainte, fût facilement acceptée par les chrétiens grecs.
Dans ce groupe (en mettant de côté Clément avec Polycarpe, qui s’y rattachent à peine), on ne peut être que défavorable à l’éducation ou à la culture grecque, à laquelle les judéo-chrétiens devaient être d’autant plus antipathiques que, pour le Juif, de même que la loi religieuse, la loi politique et la loi civile n’en faisaient qu’une, de même l’instruction formait un tout original, dans lequel les éléments religieux, juridique et littéraire se confondaient. Seulement, pour les judéochrétiens, l’étude de l’Ancien et du Nouveau Testament remplaçait celle de la Loi.
La culture grecque devait donc paraître à nos auteurs non seulement dangereuse, mais tout à fait inutile. Elle est en effet condamnée par les Constitutions apostoliques, par les Reconnaissances et les Homélies clémentines (par ces dernières avec une grande énergie) comme contraire au monothéisme et aux bonnes moeurs. On sait que ce qui correspondait chez les anciens à notre enseignement secondaire, c’était surtout l’explication des poètes par les grammairiens, qui donnaient à cette occasion des notions de toute sorte, en insistant sur l’histoire des dieux et celle des héros. Les païens n’avaient pas tardé à sentir que lit plupart des aventures de leurs dieux étaient scandaleuses. Les philosophes, pour mettre la religion populaire en harmonie avec la conscience et le progrès de la pensée, et les grammairiens pour pouvoir maintenir Homère et Hésiode entre les mains des enfants, avaient réussi à trouver, au moyen de l’exégèse allégorique, toute une physique et toute une morale dans les fables. Ils prétendaient qu’elles avaient été composées avec un art savant par des sages pour une élite capable de les entendre. Cet expédient ne désarme pas l’auteur des Homélies. Il s’étonne avec raison qu’on ait voulu cacher des vérités utiles sous une enveloppe, et qu’on ait imaginé comme enveloppe des récits licencieux. En réalité la mythologie, dit-il, est une invention des démons. Instruire les enfants par la lecture des poètes, c’est les corrompre, d’autant plus que les habitudes prises à cet âge sont particulièrement douces et difficiles à détruire. Voilà pourquoi ceux qui vivent aux champs et dans l’ignorance sont moins vicieux. Il ne faut donc pas exercer la jeunesse à ces études. On doit aussi se délier des philosophes. Les parents, dans leur prévoyance, formeront l’esprit de leurs enfants, avant l’âge des passions, par des livres qui donnent l’habitude de la vertu, et, pour plus Me sûreté, les marieront de très bonne heure. Il est à peine besoin d’ajouter que les hommes faits devront aussi s’abstenir de lire les livres grecs, et, s’ils les avaient auparavant pratiqués, ne s’en souvenir que pour la controverse avec les païens. C’est dans les Reconnaissances, dont le sentiment est d’ailleurs tout à fait analogue, mais un peu plus doux, qu’on trouve cette permission. L’idéal de la littérature clémentine est un chrétien aux trois quarts juif, simple et laborieux, formé par l’Ancien Testament et ne connaissant pour ainsi pas d’autre lecture. Ce type se modifiera sans doute dans le cours des cinq premiers siècles. Ce n’est pas d’après lui que se formera l’éducation chrétienne, mais la tendance qu’il représente ne disparaîtra pas. Nous la retrouverons dans le recueil définitif des Constitutions apostoliques, et il en restera quelque chose chez le Syrien Chrysostome.
Deuxième groupe. — En Egypte, nous voyons aussi le christianisme sous l’influence de l’esprit juif, mais, cette fois, de l’esprit juif profondément modifié par sa combinaison avec l’élément grec. Dans le milieu alexandrin, le judaïsme était devenu une philosophie : il en arrive autant au christianisme. Les maîtres chrétiens empruntent la méthode de Philon, ainsi que plusieurs de ses résultats, comme ils en conviennent (Origène, Contre Celsc, IV, 51) : ils l’admirent et le citent avec honneur. Ici, pour ce qui concerne notre sujet, le centre n’est plus la famille, mais l’école où se pressent les catéchumènes. Elle est un organe officiel de l’Eglise et grandit sous la surveillance de l’évêque. A Alexandrie, nous ne saurions pas ce qui se passe dans la famille si Eusèbe (Hist. eccl., VI, 2) ne nous avait fait entrevoir Origène enfant, tenu chaque jour de réciter ou de raconter à son père quelque partie des Ecritures.
On rivalise avant tout avec les philosophes païens, dont l’enseignement si étendu correspondait à celui de nos Facultés des lettres et des sciences. Cet enseignement supposait de même une instruction préparatoire, qui se donnait plus ou moins dans les écoles des philosophes. On sait, par exemple, que les stoïciens, dans la première partie de leur système, c’est-à-dire dans leur logique, comprenaient, avec la dialectique, la rhétorique et la science grammaticale. Ils commentaient les poètes, et ce sont eux qui les premiers avaient appliqué systématiquement l’allégorie aux poèmes d’Homère et d’Hésiode. Philon, faisant tout aboutir à une philosophie éclectique qu’il retrouvait par l’allégorie dans le Pentateuque, avait exigé de ceux qui voudraient étudier fructueusement les livres de Moïse la connaissance préalable des philosophes païens et, en remontant : celle de la dialectique, afin qu’ils fussent capables de réfuter les sophismes ; celle de la rhétorique, la raison s’exprimant par la parole ; celle des mathématiques et de l’astronomie, non seulement pour habituer l’esprit à la généralisation et lui faire admirer l’ordre du monde, niais aussi pour le rendre capable de saisir, parmi les sens mystérieux des Ecritures, ceux qu’il expliquait par la science des nombres ; enfin, en premier lieu, celle des poètes, dont les fables ne le scandalisaient pas, puisqu’il y voyait avec les stoïciens et les grammairiens un sens profond. C’était, à l’encontre des Palestiniens, non seulement permettre, mais nécessiter la culture grecque dans toute son étendue. Cette préparation est justement celle que le premier maître chrétien d’Alexandrie dont les ouvrages nous soient parvenus, Clément, exige du chrétien gnostique, c’est-à-dire du chrétien qui tend à la perfection par la science. Les vues de son successeur Origène seront les mêmes et, après les avoir exposées, après avoir énuméré toutes les sciences qui sont nécessaires à l’interprétation des saintes Lettres (et qui pour lui viennent de Dieu comme toutes les parcelles de la vérité dans quelque ordre que ce soit), il ajoutera, comme pour mieux nous faire comprendre qu’il s’agit de rivaliser avec les écoles des philosophes : « Ce que disent les philosophes au sujet de la géométrie et de la musique, de la grammaire, de la rhétorique, et de l’astronomie, qu’elles sont les auxiliaires de la philosophie, nous le dirons de la philosophie relativement au christianisme » [Epître à Grégoire le Thaumaturge).
La science, aujourd’hui encore, n’est accessible qu’au petit nombre. Philon voulait qu’on maintînt les Juifs du commun, pour leur bien, dans ce qui n’était à ses yeux que superstition, en leur donnant un enseignement conforme à la médiocrité de leur esprit. Une telle dureté était contraire au caractère du christianisme, dont le fond est l’amour, et qui par cela même attirait à lui la foule des malheureux et des ignorants. Cependant il fallait se résigner à la nécessité, et, pour la multitude, une fois les éléments du dogme transmis, s’en tenir aux instructions morales, qui d’ailleurs sont aussi comprises pour Clément dans la philosophie. Clément, le même maître qui insiste si souvent sur l’utilité de la culture grecque, apprenait avec le plus grand détail aux prosélytes et aux fidèles comment ils devaient se conduire dans les diverses circonstances de la vie. Non seulement il recommandait la simplicité et la sobriété sous toutes les formes, mais il descendait jusqu’aux plus menues instructions relatives aux manières, dont la délicatesse est une conséquence de la délicatesse des moeurs. Une partie de ces préceptes de savoir-vivre, donnés dans le Pédagogue aux personnes de tout âge, se retrouveront au seizième siècle dans le traité de civilité écrit par Erasme pour les enfants. Dans ces leçons, Clement ne parle que rarement pour la jeunesse et alors en général d’une manière indirecte. Il lui interdit le vin, de peur d’exciter les passions. Il tolère à peine pour elle la fréquentation des bains, ma s il encourage à celle des gymnases.
Son successeur Origène dut bientôt, à cause de l’affluence des disciples, laisser aux soins d’un aide la direction de ce qu’on pourrait appeler la classe inférieure, et se borner à enseigner les plus avancés, dans un auditoire où se pressaient même des païens qui n’étaient attirés par aucun autre désir que par la curiosité de l’entendre. Il discutait publiquement les systèmes des philosophes ; il apprenait les mathématiques aux disciples les mieux doués, en les engageant à l’élude de la philosophie ; il excitait les ignorants à la culture littéraire en leur disant qu’elle leur serait d’un grand secours pour l’intelligence des Ecritures. Quand il eut quitté la ville, le même esprit s’y maintint, quoique avec plus de discrétion, sous ses successeurs, au moins jusqu’à la fin du quatorzième siècle.
A Césarée de Palestine, sous la protection des évêques de Césarée et de Jérusalem, Origène rouvrit brillamment son école et fit de sa nouvelle résidence une sorte de ville universitaire chrétienne, avec cette différence que, conformément à la coutume antique, si propre à développer l’étendue et l’originalité de l’esprit, il portait seul le poids de toutes les parties de l’enseignement. Un de ses disciples, Grégoire le Thaumaturge, nous a transmis dans un discours célèbre (Panégyrique d’Origène) son programme, où l’on reconnaît les principales divisions usitées dans les écoles des philosophes. Origène commençait par préparer les esprits à la manière de Socrate, labourant ta terre avant de semer. Puis il enseignait successivement la dialectique, la science de Ta nature et les transformai ions de la matière ou la physique, ainsi que la géométrie et l’astronomie, ensuite la morale, et enfin la théologie, en recommandant à ses disciples de lire tous les philosophes et les poètes, à l’exception des athées : car, disait-il, lorsqu’on ne connaît qu’une opinion, elle exerce sur vous une domination nuisible. Il examinait donc avec eux tous les systèmes, en séparant le vrai du faux. A parcourir ainsi librement toutes les parties du domaine de la science, ils se croyaient, dit Grégoire, dans le paradis. On accourait à l’auditoire d’Origène de plusieurs contrées de l’Asie ; des évêques même venaient de loin pour l’entendre : ses disciples répandirent son esprit en différentes capitales de province, où quelques-uns occupèrent des sièges épiscopaux. Jérusalem, sous l’action de son vieil ami Alexandre, devint un centre de culture chrétienne comme Césarée de Palestine. Il faut en dire autant de Césarée de Cappadoce, dont l’évêque bien connu, Firmilien, avait attiré quelque temps chez lui Origène, et de Néo-Césarée dans le Pont, qui eut pour évêque Grégoire le Thaumaturge. Ainsi se propageait un amour de la philosophie et des lettres que nous retrouverons dans ces pays au quatrième siècle.
Cette culture qui attirait au christianisme les intelligences autant que les âmes, et qui avait, au moyen de l’explication allégorique des Ecritures, transformé la foi primitive en un système complet et hardi, n’allait évidemment pas sans opposition. Dans Alexandrie même (car un extrême en appelle un autre, et il en était arrivé autant à Philon), tout un parti, que Clément combat souvent et qui rappelle celui que représentent les Homélies clémentines, prétendait, par horreur de la civilisation païenne, que la philosophie et les lettres venaient du diable. Mais s’il gêna l’essor des Clément et des Origène, il ne réussit pas à l’empêcher.
Troisième groupe. — Les écrivains ecclésiastiques des premiers temps, avec les judéo-chrétiens de Rome et de la Syrie, nous ont dit comment ils entendaient les devoirs des parents ; les Alexandrins nous ont renseigné sur le catéchuménat, tel qu’ils le concevaient ; le reste des auteurs chrétiens des trois premiers siècles se tait d’une manière à peu près complète sur l’éducation.
On comprend le silence des apologètes, dont il faut pourtant excepter les invectives d’un Tatien contre la philosophie, la rhétorique et la grammaire, mais sans oublier qu’il s’agit d’un homme échauffé par la lutte et qui serait sans doute bien fâché d’être étranger à la culture contre laquelle il déclame. Un Irénée est absorbé par la réfutation du gnosticisme Mais le silence des autres est bien surprenant, surtout celui des deux grands écrivains latins de l’Afrique proconsulaire, Tertullien, dont il nous reste tant d’ouvrages, qui règle sur tant de points la conduite des fidèles, n’a pas un conseil à leur donner sur leurs enfants. Il s’occupe avec détail de la femme, vierge ou mariée, réprime son luxe, analyse les difficultés créées à l’épouse chrétienne par les unions mixtes, mais n’a rien à dire à la mère. Cyprien, dans sa correspondance et dans les exhortations de toute sorte qui remplissent ses traités, ne s’occupe qu’une fois et en passant de notre sujet.
On peut d’abord dire, afin d’expliquer leur abstention, que l’Afrique représente au plus haut degré l’esprit romain, et que la législation romaine, qui ne craignait pas d’intervenir dans la vie privée pour borner le luxe et gêner le célibat, n’a jamais pensé, par une singularité dont on s’est étonné, mais qui s’explique par le respect absolu pour l’autorité du père de famille, à réglementer l’éducation. On peut ajouter que l’Eglise était d’autant plus disposée à laisser toute liberté au père de famille, que les chrétiens avaient par leur baptême renoncé au monde pour vivre dans une société entièrement différente, et que, tant que leurs enfants restaient dans le monde, l’Eglise, à laquelle ils étaient étrangers, n’avait pas à s’en occuper. On serrerait ainsi la vérité de plus près ; car celle scission, si peu judéo-chrétienne, dans l’intérieur de la famille, est marquée par Cyprien, au moins à deux reprises, avec énergie. Dans son traité sur l’Oraison dominicale, il dit que les chrétiens ont, depuis leur naissance, c’est-à-dire depuis leur baptême, et dès les premiers mots qu’ils ont alors prononcés, en appelant Dieu « Noire Père », renoncé à leur père terrestre et charnel, et qu’ils ne reconnaissent dorénavant pour père que « celui qui est aux cieux ». Car, ajoute-t-il, il est écrit : « Ceux qui disent à leur père et à leur mère : Je ne te connais pas, et qui ne reconnaissent plus leur fils, ceux-là ont gardé tes préceptes et conservé ton alliance ». Dans son discours sur les oeuvres et les aumônes, s’adressant à ceux qui mettaient en avant la nécessité de réserver leur fortune à leurs enfants, il leur répète la citation sur les vrais fidèles qui ne connaissent ni parents, ni fils, leur fait un crime de préférer leurs enfants aux frères pauvres, et ne voit dans une nombreuse famille que la nécessité de racheter par des aumônes les péchés d’un plus grand nombre de personnes. Tel est le seul passage où il s’occupe des devoirs des parents.
Le respect tout romain de la liberté du père de famille, et surtout le soin de séparer les deux sociétés, expliquent sans doute en quelque mesure le silence des deux écrivains d’Afrique sur les études littéraires des fils des fidèles ; mais ils n’expliquent pas d’une manière tout à fait suffisante leur indifférence relativement à l’éducation domestique. Il faut aller plus loin, jusqu’aux causes qui font de l’enfant, dans la famille chrétienne elle-même, pour nos deux écrivains, un objet secondaire et un embarras. Tertullien, dans son premier livre A sa femme, manifeste à la fois cette tendance et ses causes, qui sont surtout l’ascétique élan vers le ciel et la violence du conflit entre les deux sociétés dans la partie occidentale de l’empire. Pour lui, le plaisir d’être père, le plus amer de tous, doit être étranger au chrétien. A quoi bon désirer des enfants, puisque, dès que nous les avons, nous souhaitons qu’ils nous devancent dans le ciel à cause des dangers de toute sorte qui les menacent? Vraiment, ajoute-t-il avec ironie, une postérité est bien nécessaire au serviteur de Dieu ! Nous sommes, en effet, assez assurés de notre salut pour y joindre la responsabilité des enfants ! Il faut aller chercher des charges, que la plupart des païens évitent, que les lois imposent, auxquelles on se dérobe par des infanticides, qui, en un mot, nous sont extrêmement importunes et mettent la foi en péril ! En conséquence, il préconise non seulement la virginité, mais aussi la continence dans le mariage, dont il y avait déjà de son temps de nombreux exemples.
Qu’on ne s en prenne pas au montanisme de Tertullien. Cyprien est dans les mêmes sentiments. Il déclare que l’ordre de croître et de multiplier, bon au commencement pour peupler la terre, est remplacé, maintenant que le monde est plein, par l’exhortation à la continence.
Les parents chrétiens auraient donc été laissés ici sans direction à nous connue, si, dans ses Témoignages, sorte de manuel de religion, composé de passages de l’Ecriture à apprendre par coeur, et qui devait naturellement être complet, Cyprien n’avait inséré les préceptes de saint Paul relatifs aux parents et aux enfants. Ces préceptes, pleins de bon sens et de mesure, où le devoir de l’obéissance, exprimé sans rudesse, est tempéré par la recommandation aux pères de ne pas aigrir leurs enfants, respectaient la liberté des parents dans les cas particuliers et les guidaient excellemment d’une manière générale.
C’est cependant dans cette littérature africaine, si stérile en l’ait d’éducation, que nous trouvons un renseignement capital, à la fois par son objet (puisqu’il concerne la nature des études et le choix des maîtres) et par son étendue (puisqu’on peut l’appliquer avec quelque confiance à la partie occidentale de l’empire). Nous devons ce renseignement à Tertullien, sans qu’il ait eu l’intention de le donner. On le trouve dans un traité où il s’occupe de déterminer quelles sont les pratiques et les professions qu’un chrétien peut se permettre sans tomber dans le péché d’idolâtrie.
Il y reconnaît sans hésitation que la culture littéraire est indispensable aux rapports avec les hommes et que, sans elle, les études sacrées sont impossibles. On ne devait pas attendre moins d’un aussi grand homme et qui savait mieux que personne combien les études étaient nécessaires dans la lutte contre les païens pour la victoire définitive du christianisme. Mais, en même temps, c’était concéder, à moins de porter ses réflexions sur un plan d’études, ce qui, nous l’avons dit, était étranger à ses préoccupations, qu’il fallait confier les enfants à des grammairiens. En effet, il ne paraît pas soupçonner qu’on puisse instruire la jeunesse autrement que par leur méthode. Pour lui, comme pour eux, Homère est le père des études libérales (De anima, 33). Maintenant, pouvait-on s’attendre à le trouver favorable à l’établissement de grammairiens chrétiens qui adouciraient les inconvénients d’une instruction toute païenne? En aucune façon, car l’intérêt des disciples n’est pas ce qu’il cherche ; c’est à l’âme des maîtres qu’il fait attention. Or, quoique l’enseignement fût libre, il fallait, pour l’exercer sans être inquiété, se conformer à des coutumes que le sévère docteur, élevant la voix dans l’Eglise dont il était encore membre, considérait comme idolâtriques. Il condamne donc formellement les professions de maître d’école et de grammairien. Il ne lui restait alors qu’à indiquer la fréquentation des maîtres païens. C’est ce qu’il fait, expressément pour les fidèles, car il ne dit pas un mot des fils non convertis de parents chrétiens. Mais cette règle s’appliquait à eux à plus forte raison.
Elle dut être d’un usage général, car, quand même il n’y aurait pas eu les difficultés des familles mixtes, il n’est pas dans la nature que les parents s’opposent au développement de leurs enfants, et les condamnent, lorsqu’ils peuvent faire autrement, à occuper un rang inférieur dans la société. L’abstention recommandée par les Homélies clémentines était, d’ailleurs, de plus en plus difficile à mesure que les communautés d’origine juive étaient de plus en plus absorbées par la grande Eglise, et que les familles de distinction entraient en nombre de plus en plus grand dans les rangs chrétiens. Ceux qui ne savaient pas lire se contentaient de savoir par coeur des passages des Ecritures ; d’autres, un peu plus instruits, se bornèrent à lire les Ecritures ; mais, dans les classes aisées, les fils des fidèles, prémunis autant que possible par l’éducation domestique, furent généralement envoyés aux écoles païennes, sauf peut-être dans quelques parties de l’Asie, où l’étendue de la population chrétienne et la largeur d’esprit alexandrine facilitaient aux maîtres chrétiens l’exercice de leur profession.
C’est de cette double éducation, chrétienne à la maison, païenne au dehors, que nous partirons au quatrième siècle, en poursuivant dorénavant cette exposition dans l’ordre chronologique, qui devient le plus important: les diversités, sans disparaître, s’étant de plus en plus subordonnées à l’uniformité de l’Eglise.
B. LES PERES ET L’EDUCATION DES CHRETIENS AUX IVe ET Ve SIECLES. — Au quatrième siècle, on pouvait s’attendre à voir l’Eglise, devenue libre, s’opposer à l’envoi des fils des fidèles chez les maîtres païens et penser à organiser pour les générations de plus en plus nombreuses dont elle avait la charge une éducation nouvelle. Il n’en fut rien. On ne tarda pas à interdire les sacrifices et toutes les manifestations du polythéisme, mais ni un canon de concile, ni un décret impérial ne furent dirigés contre les écoles païennes ou n’eurent pour objet de les remplacer. Bien plus, dans la période qui s’étend jusqu’à Julien, ou plutôt qui comprend la vie entière des principaux Pères qui étaient nés dans les premiers temps de la liberté, l’instruction païenne fut en faveur, et l’on voit de grands évêques liés d’amitié avec les maîtres qui la donnaient, quoique ceux-ci se considérassent comme les soutiens de la religion ancienne et de la civilisation païenne.
Il est facile de trouver les causes de cette situation. D’abord, sous le régime précédent, une longue habitude s’était formée. Ensuite, les empereurs chrétiens n avaient eu qu’à rester fidèles à l’esprit des lois romaines pour laisser l’enseignement des païens entièrement libre. Mais surtout l’Eglise, en recevant les multitudes qui trouvaient avantage à entrer chez elle, était devenue moins sévère. Elle prenait les moeurs du monde au lieu de lui imposer les siennes. Quand elle lui cédait sur tant de points pour le conquérir, comment aurait-elle songé à lui ôter ce qu’il avait de plus cher et de plus beau, et à procéder violemment contre la coutume qui faisait de la culture grecque le meilleur moyen d’arriver aux honneurs et aux dignités? D’ailleurs, la supériorité que donnait cette culture paraissait plus que jamais nécessaire aux évêques.
Depuis longtemps, le but de l’éducation païenne était la science de la parole. On apprenait tout, mais c’était pour charmer par ses discours. La philosophie elle-même s’était vue subordonnée à la rhétorique. Déjà, sous Marc-Aurèle, en organisant les écoles d’Athènes, on l’avait placée au commencement des études. Or, dans un temps où l’on ne persécutait pas encore les païens, mais où l’on cherchait à les attirer, les églises étaient devenues comme les rivales des auditoires des rhéteurs, et elles retentissaient des applaudissements de la foule. Le panégyrique, un des genres alors les plus en faveur, y alternait avec l’homélie. Comment n’aurait-on pas été généralement disposé à envoyer la jeunesse chrétienne aux écoles de rhétorique pour qu’elle y apprit à combattre plus tard les païens avec leurs propres armes ?
Ce n’est pas tout. En face du christianisme, les maîtres avaient pris plus de gravité et même quelque chose de réellement religieux, en même temps que dans la lutte, et au sortir des misères du troisième siècle, leur influence s’était agrandie.
Dans ces circonstances, le nombre très petit des grammairiens et des rhéteurs chrétiens devait augmenter Ils n’étaient plus tenus de se conformer aux pratiques de l’idolâtrie et pouvaient expliquer les poètes avec un esprit nouveau. Nous en connaissons quelques-uns. Le plus ancien, de souche chrétienne, fut le père de saint Basile et de saint Grégoire de Nysse : il était à la fois grammairien et rhéteur dans le Pont, qui avait été pour ainsi dire colonisé, nous l’avons vu par les disciples d’Origène. Grégoire de Nazianze, qui nous le fait connaître, nous dit dans son langage un peu emphatique que le Pont le montrait comme un maître public de vertu. Trois de ses fils se firent entendre dans les auditoires ; deux d’entre eux, saint Basile et saint Grégoire de Nysse, furent quelque temps professeurs de rhétorique. Vers le même temps, à Laodicée en Syrie, deux chrétiens, le père (natif d’Alexandrie) et le fils, Apollinaire l’Ancien et le Jeune, étaient à la fois, l’un grammairien et prêtre, l’autre rhéteur et lecteur. On ne trouvait pas ce cumul des Apollinaires blâmable ; seulement, on s’inquiétait de les voir cultiver l’amitié et applaudir les leçons d’un rhéteur païen ; on craignait qu’ils ne fussent gagnés à l’hellénisme. La diffusion de la culture païenne se faisait d’ailleurs singulièrement sentir dans le langage des évêques. Ils se plaisent souvent aux allusions mythologiques, d’une manière qui aurait choqué leurs prédécesseurs des trois premiers siècles.
Julien voulut arrêter les progrès du christianisme en le refoulant dans l’ignorance. Par une mesure avant lui sans exemple, il limita la liberté de l’enseignement et interdit aux professeurs chrétiens la lecture publique des auteurs grecs. On vil combien le coup avait porté, à l’indignation des chrétiens et à leurs réclamations, après la mort de l’empereur, pour le rétablissement de l’ancienne liberté. Pendant la prospérité de Julien, les Apollinaires purent garder leurs chaires et continuer de mettre leur culture au service de l’Eglise grâce à un expédient qu’ils imaginèrent. Ils eurent l’idée, puisque on leur interdisait les auteurs anciens, de composer sur des sujets chrétiens des ouvrages de diverses sortes pour en faire le thème de leurs leçons. Ainsi le père fabriqua une épopée en vingt quatre chants sur l’histoire des Israélites, pour remplacer Homère ; il fit de même des tragédies, des comédies et des odes pour remplacer Euripide, Ménandre et Pindare : tout cela en hâte, mais de manière à pouvoir faire connaître à ses élèves, par des exemples, les divers genres de la poésie et leur en expliquer tout le mécanisme. Le fils de son côté mit les Evangiles et les Epîtres en dialogues à la manière de Platon. On nous dit qu’ils furent ainsi très utiles, sans doute parce que leurs ouvrages furent aussitôt adoptés dans plusieurs écoles et qu’on put ainsi donner publiquement aux fils des fidèles une sorte d’éducation libérale. Mais il n’y avait là qu’un expédient, qui fut abandonné à la mort de Julien. Un système sérieux eut été de substituer aux auteurs classiques les oeuvres des Pères, qui formaient déjà toute une littérature. L’idée des Apollinaires, de ces maîtres qui passaient de leur chaire à l’auditoire d’un rhéteur païen pour aller l’applaudir, avait été toute différente.
Parmi les Pères de la même génération que Julien, il faut citer saint Grégoire de Nazianze et saint Basile, déjà nommés, de pays origénistes, et saint Ambroise.
Grégoire, né en Cappadoce dans une famille pieuse et pieusement élevé, paraît cependant avoir parcouru le cycle entier de ses études aux écoles des païens. On sait qu’il était lié avec des rhéteurs païens, et que, tout en essayant de les amener à sa foi, il leur envoyait des élèves. On sait qu’en particulier il insiste auprès d’un de ses parents pour qu’il envoie son fils compléter son éducation aux écoles les plus célèbres. On sait aussi que, dans son invective contre Julien, tout en maintenant très haut la supériorité du christianisme, il réclame avec énergie pour les chrétiens le droit à la culture grecque. Dans son panégyrique de Basile, il va jusqu’à déclarer en pleine église qu’elle est, avec la science chrétienne, le premier des biens ; que, si grand que soit le grand nombre de ses adversaires ; ils ont tort ; que sans doute il faut en user avec discernement, puisque elle peut conduire au vice comme à la vertu, mais qu’il faut s’en aider pour fortifier la vraie doctrine, et enfin que ceux qui la méprisent sont des gens grossiers et sans instruction, qui voudraient, pour n’avoir pas à rougir de leur ignorance, que tout le monde fût comme eux.
Quant à saint Basile, disciple, par l’intermédiaire de son aïeul, d’un des plus brillants disciples d’Origène, et plus tard compagnon de saint Grégoire de Nazianze aux écoles de Césarée et d’Athènes, c’est avec raison que son Discours sur la lecture des auteurs profanes, qu’il écrivit à un âge dont il invoque l’autorité ; pour des enfants dont il était proche parent, est demeuré comme l’expression de la sagesse sur ce sujet, tout incomplète qu’en soit la pensée. En effet, il ne voit dans la lecture des auteurs profanes qu’une préparation à la science chrétienne et ne les considère qu’au point de vue de l’honnête. Mais, sous ce rapport, il ne craint pas de dire qu’Homère est un manuel de vertu, comme il le tient d’un grammairien (peut-être de son père). La patience de Socrate frappé au visage, la continence d’Alexandre qui ne veut pas voir les filles de Darius, le refus d’un pythagoricien de prêter serment, lui paraissent des réalisations anticipées des préceptes de Jésus. Que si, dans un passage souvent cité, il regrette d’avoir perdu sa jeunesse à l’acquisition d’une sagesse qui n’est que folie aux yeux de Dieu, souvenons-nous qu’au retour d’Athènes il avait été enivré de ses talents jusqu’au plus dédaigneux orgueil, qu’à la suite d’une crise intérieure il se jeta dans la vie solitaire, et que dans ce passage il rappelle cette crise. N’oublions pas non plus qu’en parlant ainsi, ce qu’il en a vue c’est plutôt l’art de discourir, auquel aboutissait l’enseignement des sophistes, que la lecture des auteurs chez les grammairiens, et enfin que dans cette lettre il se disculpe, il fait son apologie.
Chez les Latins, saint Ambroise, qui florissait vers le même temps, ne se prononce pas au sujet de l’éducation païenne, mais il l’a reçue et il en profite.
Cependant le nombre de ceux qui n’étaient chrétiens que de nom allait en augmentant. Le commun des parents poussait les enfants aux études, uniquement en vue des avantages de la vie présente. Des femmes et des prêtres, même des moines, avaient à la bouche des poésies mythologiques ou licencieuses (Jérôme, Epîtres). D’un autre côté, les maîtres chrétiens, qui nécessairement se multipliaient, — tandis que leurs confrères païens, depuis la mort de Julien, se décourageaient, et, s’ils n’étaient pas persécutés directement, étaient en butte à l’accusation de magie, — s’enfonçaient de plus dans les études profanes et participaient au relâchement général.
Dans ces circonstances, le parti de l’austérité devait réagir avec une notable vigueur. En 398, le quatrième concile de Carthage interdit aux évêques la lecture des livres païens. C’est alors aussi, probablement, que les Constitutions apostoliques, dans leur forme définitive, font à peu près avec les mêmes termes la même défense à tous les fidèles, en leur montrant que la loi de Dieu contient tous les genres de littérature par lesquels on peut cultiver l’esprit.
La virginité et le monachisme, qui formaient depuis longtemps une classe de purs dans l’Eglise même, eurent leur effet sur l’éducation. Les moines recevaient des enfants et les élevaient dans l’ignorance des lettres profanes (Règle de saint Basile, etc.). La soeur de saint Basile, vivant en vierge à la maison, éleva un de ses frères uniquement dans les saintes Lettres et l’inclina à se faire moine : ce fait ne fut certainement pas isolé. Enfin des parents offraient souvent leurs enfants au Seigneur avant leur naissance, c’est-à-dire les destinaient à la virginité et les élevaient chez eux en conséquence, ou les envoyaient chez les moines. Quelque hommage qu’on doive en général à cette lutte contre la corruption du siècle au moyen de la virginité, on ne peut pas ne pas condamner avec force cette manière de disposer à l’avance de la liberté des enfants.
Nous avons à signaler, dans cette seconde et dernière période, saint Chrysostome, saint Jérôme et saint Augustin.
Saint Chrysostome sort d’un centre théologique syrien et de la ville la plus voluptueuse de l’empire. Dans le traité où il s’étend sur les études (Contre les adversaires des moines, livre III), il blâme avec vivacité les parents qui envoyaient leurs fils aux écoles. Parlant de l’idée que la véritable éducation est celle qui mène au salut, il ne voit dans l’autre, telle qu’on la donnait alors, qu’un obstacle ou même la perte des âmes, par les passions ou l’ambition qu’on développe chez les enfants, ainsi que par la corruption des maîtres. Il adjure les parents d’envoyer leur fils chez les moines pour y apprendre la vertu dès leurs premiers ans, avant d’avoir commencé leurs études, et de les laisser sous cette discipline jusqu’à ce que leur caractère se soit formé, pendant dix ans, vingt s’il le faut, ou même davantage. Est-il donc par principe ennemi de toute culture? Non, répond-il, mais il faut commencer par sauver les âmes. Qu’on lui indique un autre moyen, il est tout disposé à le suivre. Ici encore on s’étonne, car l’Eglise n’avait-elle pas le devoir de chercher elle-même cet autre moyen, de porter ses réflexions sur un plan d’éludes ? La pensée ne lui en était pas encore venue. Saint Chrysostome ne renouvelle d’ailleurs dans un aucun autre de ses écrits ni le conseil d’envoyer ainsi les enfants chez les moines, ni la condamnation des écoles. Seulement il insiste à plusieurs reprises sur la responsabilité des parents, sur le devoir de faire passer la piété avant tout, et d’être sévère. Quant aux prêtres, il veut qu’ils soient sérieusement préparés par la dialectique et la rhétorique à l’exercice de leur ministère.
Jérôme a la passion des lettres ; elles font partie de son être, même lorsqu’il s’élève contre elles. Je ne connais pas d’autre solitaire qui ait emporté une bibliothèque profane au désert. Il ne varie pas sur la nécessité des études libérales pour les enfants. Il la reconnaît pour eux, même dans l’épître si souvent citée où il compare ces études aux gousses que les pourceaux mangeaient (Ep. 21, alias 140). Longtemps après sa décision de ne plus lire les auteurs profanes, il les expliquera à des enfants dans le monastère de Bethléem. Certainement il ne veut pas que les fidèles et surtout les prêtres se nourrissent des oeuvres des poètes, mais il veut que le prêtre ait été mis en état, par une forte culture, de bien raisonner et de tenir tête aux adversaires de toute sorte. Suivant la coutume, il accuse d’orgueil les philosophes païens, mais il maintient avec énergie pour le prêtre la nécessité de les lire et de faire passer dans le trésor chrétien ce qu’ils ont de bon. Il en dit même autant en faveur des poètes, dont il ne condamne que la lecture pour le plaisir, et non l’usage intelligent. Je me contente de rappeler ses débats sur ce point avec Rufin. Attaqué par un rhéteur chrétien qui, tout entier à la lecture de Cicéron, faisait sans scrupule comme laïque ce qu’il réprouvait chez un prêtre, il lui répond dans une lettre fameuse par l’exemple de la série des auteurs ecclésiastiques grecs et latins (Ep. 70, ad Magnum, alias 84)
Saint Jérôme est bien connu pour les directions qu’il a données à diverses dames romaines relativement à l’éducation de leurs filles, dans des lettres dont le type est la Lettre à Loeta (Ep. 107, alias 7), qui fait pendant avec le Discours de saint Basile aux jeunes gens. Déjà la Vie de Macrine (soeur de saint Basile et de saint Grégoire de Nysse), par Grégoire de Nysse, avait l’ait connaître avec détail comment une mère pieuse devait élever sa fille. La mère la tient toujours à ses côtes. Pas d auteurs profanes, les passions qu’inspirent les femmes faisant trop souvent le sujet de leurs compositions : mais l’Ecriture sainte, surtout celles de ses parties qui dès le jeune âge peuvent le mieux former les moeurs, en particulier la Sagesse de Salomon. On apprendra par coeur les psaumes, dont le chant ouvrira et terminera les diverses occupations de la journée. Le travail de la laine et les soins du ménage alterneront avec les éludes. C’est ainsi qu’on élevait la fille d’un grammairien dont les frères faisaient de si brillantes études et qui devait elle-même, à l’âge de douze ans, être fiancée à un homme réputé pour son éloquence. Un peu plus tard saint Chrysostome avait donné sur le même sujet des conseils courts et pratiques ; il avait ajouté qu’en faisant des jeunes filles de bonnes femmes on travaillait pour leurs maris, pour leurs enfants et pour toute leur descendance.
C’est pour des jeunes filles vouées à la virginité, comme celle de Loeta, que sont données les directions de saint Jérôme. Ici plus que jamais tout est tourné vers le développement de la piété et le raffinement de la pudeur. Ne sortir qu’avec sa mère, craindre d’être seule, filer la laine, être simple dans ses habits, vivre sobrement, ne lire aucun auteur profane, se nourrir de l’Ecriture sainte et des oeuvres choisies d’auteurs ecclésiastiques (qu’on voit entrer pour la première fois dans un plan d’études), tels sont les principaux devoirs de la vierge chrétienne dont le portrait servira en même temps de modèle aux jeunes filles, L’Eglise, obligée de livrer les jeunes gens à la société, retenait pour elle la femme et formait un type d’une pureté céleste, jusqu’alors inconnu, qu’on peut trouver excessif et incomplet, mais devant lequel il est difficile de rester insensible.
Si saint Jérôme est un lettré, saint Augustin, quoiqu’il ait été professeur de rhétorique, est par excellence un philosophe idéaliste. Il ne voit guère dans les études profanes que l’immoralité des fables et de frivoles exercices ; allant plus loin que saint Chrysostome, il désapprouve l’éducation des grammairiens en elle-même, et voudrait qu’on exerçât les enfants sur des sujets tirés non de Virgile, mais des Ecritures. Il ne faut pas croire que ses Confessions, où il parle ainsi, ne donnent pas la véritable expression de sa pensée. Il ne faut pas chercher cette pensée dans son traité De l’Ordre, un de ses premiers ouvrages, car il en a dit : « Il me déplaît d’avoir beaucoup accordé dans ce traité aux études libérales que beaucoup de saints ignorent beaucoup, tandis que d’autres qui y sont habiles ne sont pas saints ». Il ne faut pas dire non plus que dans sa Doctrine chrétienne il est réellement favorable à la culture profane. Dans cet ouvrage, compose surtout pour les membres du clergé, il veut, connue saint Chrysostome, qu’ils soient en état de bien raisonner et de bien parler et qu’en conséquence ils aient appris la dialectique et la rhétorique ; il veut qu’ils connaissent les sciences et l’histoire pour bien entendre les Ecritures et que pour le mérite but ils lisent les philosophes, surtout les platoniciens ; sous ce rapport il suit les Clément et les Origène : mais il ne dit un mot des fables que pour les rejeter ; c’est aux auteurs chrétiens qu’il demande des modèles d’éloquence ; c’est saint Paul, ce sont Cyprien et Ambroise qu’il cite pour le style simple, tempéré et sublime.
Pendant ce temps le système païen régnait plus que jamais dans les écoles publiques. Elles périrent par les invasions des Barbares plutôt que par la défaveur de l’Eglise, qui leur demeurait indifférente et concentrait de plus en plus son action sur l’éducation de ses futurs ministres.
Au sixième siècle l’Occident, où nous allons nous borner, est définitivement possédé par les Barbares. L’âge des Pères de l’Eglise, dans le sens restreint où nous l’avons pris, est à peu près clos. De leur influence pédagogique sur leur temps nous passons à celle qu’ils vont exercer dans les siècles suivants.
II. Influence des Pérès de l’Eglise sur l’éducation depuis le moyen âge jusqu’à nos jours.
Les deux créations originales du christianisme avaient été une éducation domestique fondée sur les Ecritures et l’instruction en commun du catéchuménat. L’invasion du monde dans l’Eglise et celle des Barbares dans l’empire, c’est-à-dire les progrès de l’indifférence et de l’ignorance, les avaient peu à peu ruinées. D’un autre côté la barbarie n’avait pas été moins funeste aux écoles publiques où s’enseignaient les lettres profanes. Alors parut un nouvel ordre de choses. Du seizième au douzième siècle, l’instruction fut donnée uniquement, sauf en Italie, par les moines ou les membres du clergé, pour faire des moines ou des membres du clergé. C’est à une telle instruction que participèrent d’une manière plus ou moins restreinte les rares laïcs que leurs parents ne laissèrent pas dans l’ignorance. Ainsi l’Eglise, contrairement à ce qui avait eu lieu aux cinq premiers siècles, commença, pour ainsi dire sans s’en douter et par la force même des choses, à prendre la direction générale des études.
En conséquence de ce qui précède, le but des études fut la théologie, c’est-à-dire avant tout la connaissance des Ecritures. Mais les Ecritures furent uniquement interprétées d’après les commentaires des Pères, qui, depuis le quatrième siècle, étaient considérés comme les dépositaires de la vraie doctrine et comme les organes dont le Saint-Esprit s’était servi pour perpétuer son action dans l’Eglise. On les appelait saints, leur autorité était regardée comme sacrée. C’est d’après leurs homélies qu’on instruisait le peuple, et autant que possible d’après leur argumentation qu’on réfutait les hérésies. Leurs ouvrages, dont on fit des quantités d’extraits, devinrent la principale matière de l’enseignement dans les écoles. La nécessité de continuer à les comprendre fut certainement une des causes qui maintinrent dans l’Eglise et qui conservèrent au monde la connaissance de la langue latine.
L’étude des Ecritures par les Pères était impossible sans la culture préalable qui avait été jusqu’alors donnée dans les écoles publiques et que l’Eglise avait désignée sous le nom d’ « études du dehors ». Mais maintenant les membres du clergé et les moines, s’étant chargés de toute l’éducation, devront aussi donner cette culture. Ils le feront, soit en s’en tenant aux règles indispensables de la grammaire, de la dialectique, etc., connues sous le nom de trivium et de quadrivium, soit en y joignant avec des restrictions plus ou moins grandes la lecture des auteurs profanes. Dans ce dernier cas, ils en appelleront à l’autorité de saint Augustin ou de saint Jérôme, surtout à celle du premier qui, dans notre sujet comme en tout, sera jusqu’au douzième siècle le maître du moyen âge.
L’éducation a lieu en commun, sous la forme de l’internat. Les enfants donnés par leurs parents pour devenir membres du clergé sont élevés dans la maison de l’église sous la haute direction de l’évêque ; les enfants donnés par leurs parents pour devenir moines avaient pris, au moins depuis le quatrième siècle, une place importante dans l’économie générale des monastères, où se formeront aussi de plus en plus les futurs membres du clergé. Il fallait une sévère discipline pour maintenir ces candidats à la vie ecclésiastique qui n’avaient pus toujours la vocation, ces jeunes Barbares. Les Pères ont participé à la formation de l’internat par les règles de saint Basile et de saint Benoit ainsi que par les conseils de saint Chrysostome.
Cassiodore paraît avoir été le premier qui introduisit régulièrement les éludes libérales dans un monastère. C’est ce qu’il fit, comme on sait, à Viviers, en Italie, au sixième siècle. En donnant dans ses Institutions, qui sont un plan général d’études, une part aux « lettres mondaines », il se couvre de l’autorité des « très saints Pères », qui les ont jugées très utiles à l’intelligence des Ecritures à condition qu’on en fît usage avec sobriété et discernement. « Beaucoup de nos Pères, instruits dans ces lettres et n’en persévérant pas moins dans leur fidélité à la loi du Seigneur, sont parvenus à la vraie sagesse, comme le dit saint Augustin dans sa Doctrine chrétienne. Imitons-les, car, après les nombreux exemples donnés par de tels hommes, qui pourrait hésiter? » Il faut dire que saint Augustin, dans le passage cité par Cassiodore, n’avait recommandé que la lecture des philosophes.
L’Italie conservait encore alors des écoles publiques où les études profanes étaient en honneur, et où on les enseignait avec un grand luxe de mythologie (Cf. Ozanam, Les Ecoles en Italie). La religion païenne elle-même était encore vivante en plusieurs endroits de ce pays. C’est une des raisons qui font comprendre que Cassiodore se soit cru obligé de justifier les éludes profanes par l’autorité des Pères, et qu’un peu plus tard dans le même siècle Grégoire le Grand, le dernier des Pères latins, se soit montré défavorable à ces études. Grégoire blâme un évêque d’enseigner la grammaire, c’est-à-dire la littérature, en disant que les louanges du Christ ne peuvent se trouver avec celles de Jupiter dans une même bouche. Il déclare même, en tête de ses Morales, qu’il se soucie peu de la correction du langage, déclaration dont il ne faut pas exagérer l’importance, car le style de Grégoire n’est pas inculte, mais à laquelle il ne faut pas non plus enlever son énergie et son caractère.
Dans le reste de l’Occident, où l’on n’eut pas à soutenir la même lutte contre les débris de la religion gréco-romaine, la culture antique, redevenue comme au temps d’origine la servante de la théologie, parait avoir été acceptée dans les monastères avec moins de scrupule. Cassiodore avait du reste frayé la voie. Le commerce avec les poètes chrétiens, qu’on aimait beaucoup, contribua certainement a la fréquentation des poètes païens, qu’on moralisait, et pour la lecture desquels on s’appuyait sur l’autorité de saint Jérôme. On peut dire que la littérature païenne fut, autant que le permettait le malheur des temps et malgré des oscillations inévitables, en honneur jusqu’à la fin du douzième siècle. De son côté saint Augustin, qu’on croyait suivre en étudiant la dialectique dans un ouvrage qui lui était faussement attribué, et dont les vrais ouvrages formaient plus sérieusement à la philosophie, comme on peut le voir par l’exemple de saint Anselme, fournissait encore dans la première moitié de sa Cité de Dieu une sorte d’encyclopédie, surtout pour l’histoire romaine, celle de la philosophie et la mythologie. Sans parler du cas que Charlemagne faisait de ce livre, il faut rappeler qu’Abélard reconnaît devoir à saint Augustin tout ce qu’il sait sur les philosophes de l’antiquité.
D’un autre côté, la lettre de saint Jérôme à Loeta entre dans la règle d’un couvent de filles (Amalaire, au neuvième siècle, Regula sanctimonialum). Je ne connais pas d’autre exemple que celui de la règle d’Amalaire, mais on peut sans trop de témérité le généraliser et admettre que les instructions de saint Jérôme à la fille de Loeta, qu’on suit à la trace du seizième siècle jusqu’à nos jours, furent au moyen âge souvent mises à profit pour les novices et pour les jeunes filles du monde qu’on envoyait faire leur éducation dans les monastères.
Au treizième siècle, la dialectique, envahissant la théologie et prenant pour ainsi dire toute la place dans les éludes préparatoires, fait oublier dans la théologie les Pères et dans les études préparatoires les auteurs profanes. Nous avons vu que la dialectique, constamment cultivée par les anciens à cause de son importance pour l’art oratoire, avait aussi été constamment prisée par les Pères à cause de son utilité dans les controverses contre les païens et les hérétiques. Clément d’Alexandrie, après Philon, en avait souvent fait l’éloge ; saint Augustin l’avait longuement appréciée dans sa Doctrine chrétienne ; au sixième siècle elle avait passé, à sa place entre la grammaire et la rhétorique, dans le plan d’études chrétien. Il est inutile de rappeler comment la seule faculté de l’esprit à laquelle fut permis un développement entièrement libre en vint à dévorer toutes les autres.
Lorsque arriva la réaction connue sous le nom de Renaissance, Erasme se servit avec verve des témoignages des Pères contre les « scotistes », comme il les appelait, qui s’opposaient à la restauration de la littérature classique dans les écoles. Il faut lire à ce sujet son premier livre des Anti-Barbares, le seul qui nous ait été conservé et où il en appelle presque à chaque page à saint Augustin et surtout à saint Jérôme. A côté de lui, l’humaniste alsacien Jacques Wimpheling représente un parti plus timide, qui veut bien admettre les philosophes et les orateurs, mais fait quelques réserves relativement aux poètes. Dès 1475 on avait publié comme une sorte de manifeste le discours de saint Basile sur la lecture des auteurs profanes, Wimpheling l’édite aussi en 1507 et s’en fait une arme contre les scotistes ; mais il ne permet l’étude des poètes qu’aux enfants, avant l’âge où les passions s’éveillent. Il appuyait certainement cette opinion singulière sur un passage bien connu de la lettre de saint Jérôme à Damase (Ep. 21, 13, quod in pueris nécessitatis est).
Les humanistes se contentèrent-ils d’employer les Pères comme auxiliaires? ne les mirent-ils pas aussi entre les mains de la jeunesse?
Certainement ils ne pouvaient penser à les rejeter à cause de leur caractère religieux. On avait réveillé l’étude des Pères avec autant d’enthousiasme que celle des auteurs profanes. Erasme, dont le nom dit tant pour les lettres, avait aussi renouvelé la théologie. Les maîtres de la Renaissance ne séparaient pas l’éducation de l’instruction et l’enseignement religieux de l’une et de l’autre. Ils se chargeaient de former l’esprit de l’enfant dans son entier.
La première conséquence de ces principes devait être une sorte d’obligation pour le maître de ne pas ignorer les Pères de l’Eglise. De plus, on pensait alors, et c’était expressément l’opinion d’Erasme, que celui qui se proposait d’enseigner devait tout savoir, ou du moins connaître ce qu’il y a d’essentiel dans chaque science. Il fallait qu’il eût tout lu pour éviter cette peine à ses élèves. La théologie ne devait donc pas lui être étrangère, et c’est surtout chez Origène, Chrysostome, Basile, Ambroise et Jérôme qu’il devait la puiser. Vivès, de son côté, conseille au maître la Cité de Dieu, qui est pour lui un des grands arsenaux de l’érudition, « philologiae » (De tradendis disciplinis). Il serait facile de montrer par plus d’un exemple que les maîtres étaient en effet plus ou moins familiers avec les ouvrages des Pères.
Dans les premiers temps de la Renaissance, comme chacun expliquait ce qui lui plaisait, ils les prirent plus d’une fois pour sujet de leurs leçons. C’est ce que firent à Leipzig Mosellanus et Aesticampianus (Ch. Schmidt, Jean Sturm). Vivès veut que les garçons et les filles lisent les poètes chrétiens qui, dit-il, non seulement ont des sens profonds et salutaires, mais rivalisent avec les anciens en élégance et en grâce, quand ils ne leur sont pas supérieurs (De ratione stuii ; — De institutione puellae). Plus sévère pour les prosateurs, il n’indique aux garçons que les lettres de Sidoine Apollinaire, et encore s’il y a du temps de reste. Mais il recommande aux filles, auxquelles il faut des auteurs qui règlent les moeurs non moins que le langage, les lettres de saint Jérôme et certains traités de saint Augustin. Quant à Erasme, moins pieux que Vivès et beaucoup plus difficile, il ne signale, à ma connaissance, que Prudence, et encore se contente-t-il de le prévoir comme possible au lieu de le recommander (De ratione instituendi discipulos). On continua assez longtemps de lire Prudence dans les écoles les jours de fête (Mosellanus, Paedologia). Mais peu à peu tous les auteurs chrétiens disparurent des mains des écoliers. On avait le culte de la bonne latinité : on travaillait avec ardeur à purifier la langue latine des souillures du moyen âge : les Pères latins, c’est-à-dire les plus accessibles, ceux dont il s’agissait surtout dans une éducation foncièrement latine, devinrent de plus en plus un embarras. On finit par les éliminer à cause de leur style plutôt qu’à cause de leurs idées : sans doute aussi les luttes religieuses contribuèrent à rendre de plus en plus complète la séparation entre les deux domaines.
Pour la France, dont nous allons maintenant nous occuper exclusivement, il est difficile de savoir si les Pères, à la Renaissance, furent jamais expliqués dans les collèges (en dehors de la section de théologie). Quoi qu’il en soit, à la fin du seizième siècle, dans les statuts de l’université de Paris en 1598, la liste des auteurs de la Faculté des arts est entièrement profane (articles 23 et 39-42). Il n’est question des Pères de l’Eglise que pour la Faculté de théologie (art. 6). Quelques années auparavant, les Jésuites avaient publié la première édition de leur plan d’études, où il n’était non plus question d’aucun Père. Mais dans l’édition de 1603, très modifiée, faite à Tournon, on voit figurer saint Jean Chrysostome, saint Basile, saint Grégoire de Nazianze, Synésius, Agapet. Saint Jean Chrysostome y reparaît à trois reprises. Il est probable que l’ardeur pour l’étude des Pères, qui se manifesta sous Henri IV à l’occasion des controverses religieuses, ne fut pas sans influence sur cette modification du programme de la Société.
Au dix-septième siècle, nous savons que les maîtres de Port-Royal commentaient à leurs élèves les Pères de l’Eglise. Il reste un cahier d’extraits de saint Basile faits par Racine quand il étudiait à Port-Royal.
Rollin, dans son Traité des études, parle souvent des Pères en homme à qui ils étaient familiers. On voit que dans sa pensée ceux qui enseignent doivent en être nourris, comme il l’est lui-même. Il dit, par exemple, du traité de saint Augustin sur la Doctrine chrétienne, qu’on ne peut trop en recommander la lecture aux maîtres de rhétorique (livre V, ch. II). D’autres sentiments étonneraient chez un homme qui, d’accord avec les tendances avouées de l’Université, considérait l’article de la religion comme le plus important de tous et qui déclare que « la négligence des maîtres sur ce point serait très criminelle, parce qu’elle aurait des suites d’une conséquence infinie » (liv. VIII, ch. I, art. 5). Mais quoiqu’il parle souvent des Pères dans son ouvrage, il n’en recommande la lecture qu’aux jeunes gens que « Dieu appellerait au ministère ecclésiastique » et surtout en vue de la prédication (livre V, ch. II).
Après la Révolution, l’attention fut de nouveau appelée sur les Pères par le brillant Tableau de l’éloquence chrétienne au quatrième siècle de Villemain (1827). En se plaçant au point de vue des études historiques qui se renouvelaient alors, et à celui de l’analyse littéraire des chefs-d’oeuvre du dix-septième siècle, on fut frappé de la nécessité de faire connaître aux professeurs, pour ce double objet, la littérature chrétienne des premiers siècles. P. Dubois et Saint-Marc Girardin, qui dirigèrent longtemps, l’un l’enseignement littéraire, l’autre l’enseignement historique, indiquèrent souvent pour l’agrégation des lettres cl celle d’histoire des sujets de questions empruntés aux oeuvres des Pères.
Le contre-coup de ces directions se fit sentir d’une manière continue dans les thèses pour le doctorat ès lettres et quelquefois aussi dans les chaires de l’enseignement supérieur (cours de MM. Rigault et Nourrisson). De plus, le catalogue des ouvrages adoptés pour l’enseignement dans les collèges comprend de 1834 à 1851, avec quelques variations dans le titre, un choix de discours des Pères grecs ; le programme du baccalauréat, indépendant alors du plan d’études, ne contenait aucune indication de ce genre (communication de M. Paul Delalain).
Une partie du clergé voulut pousser ce mouvement à l’excès, en réclamant la substitution presque totale, dans les classes, des auteurs chrétiens aux auteurs païens. Dans l’ardeur de la lutte contre l’Université et en profitant d’inquiétudes excitées par la révolution de 1848, on accusait ce qu’on appelait l’éducation païenne d’avoir établi depuis le quinzième siècle la séparation entre le christianisme et la société, et d’être la cause du socialisme et du communisme (l’abbé Gaume, Le Ver rongeur des sociétés modernes, 1831). L’abbé Gaume, qui dirigea avec vivacité cette campagne, eut pour principal adversaire l’évêque Dupanloup (Gaume, Lettres à Mgr Dupanloup sur le paganisme dans l’éducation, 1852, au sujet d’une lettre de l’évêque d’Orléans aux professeurs de son petit séminaire, qui se trouve à la (in de l’ouvrage). Pour passer de la théorie à la pratique, il publia une série de classiques chrétiens, qui sont encore utilisés dans les petits séminaires, ainsi qu’une autre collection faite par Dübner.
Après le coup d’Etat, les questions disparurent des programmes de l’agrégation, où depuis lors on n’a rien inscrit de relatif aux Pères, à notre connaissance. En revanche, le Choix de discours des Pères grecs passa du plan d’études des lycées dans le programme du baccalauréat, où il a été maintenu, avec des variantes, jusqu’en 1864 (inclusivement : réforme du baccalauréat par Duruy). En 18 4 (arrêté du 11 juillet 1873) et en 1877 (arrêté du 26 décembre 1876), des ou rages ou parties d’ouvrages de Pères grecs et latins furent inscrits dans le programme de la licence ès lettres. Il cessa d’en être ainsi en 1881 (arrêté du 17 juin 1880). Depuis lors les Pères de l’Eglise ont été complètement rayés des programmes de l’Université.
Il est facile de voir, même sans tenir compte de la nécessité de rester neutre entre les dogmes qui est imposée à en enseignement donné au nom de l’Etat, que l’étude des Pères de l’Eglise n’est pas à sa place dans l’instruction secondaire. Les lettres profanes, en dehors de leur supériorité sous le rapport du goût, ont l’avantage de faire connaître l’homme dans son activité harmonieuse, avec le jeu de ses passions (évidemment dans la mesure reconnue convenable par le maître, qui doit aussi montrer, quand les auteurs ne le font pas d’une manière suffisante, comment cette activité doit être réglée par la raison). La connaissance de l’homme, insinuée ainsi peu à peu, sans appareil théorique, dispose la jeunesse à aimer l’homme en tant qu’homme et à exercer plus lard une action utile et noble dans la société. Les Pères, ayant vécu dans un temps de crise, soit pendant la persécution, soit après la victoire, et détachés d’un monde dont ils attendaient incessamment la fin, sont au fond contraires au développement de l’activité humaine, et détruisent les passions au lieu de chercher à les diriger. Il faut que chacun concoure à sa place et suivant ses forces à l’oeuvre sociale : dégoûter d’avance de cette tâche l’enfant, d’abord plein de candeur et d’espérance confiante, puis d’une généreuse ardeur pour l’oeuvre commune, ce serait, à un certain point de vue, fonder l’éducation sur le pessimisme.
Louis Massebieau
LA POÉSIE HÉBRAÏQUE
31 mars, 2014http://hlybk.pagesperso-orange.fr/bible/poesie.htm
LA POÉSIE HÉBRAÏQUE
Une importante partie des Écritures hébraïques consiste en poésie. Le moyen d’expression de la poésie hébraïque n’était pas la rime, mais le parallélisme d’idées, le rythme d’idées. Cette poésie utilisait aussi des métaphores très évocatrices, puisées dans la nature, dans des choses familières à tous, même aux enfants. Elle se servait d’acrostiches alphabétiques, dans lesquels les premières lettres des vers suivent l’ordre alphabétique (Ps 25, 34, 37, 111, 112, 119 ; Pr 31:10-31 ; Lm 1-4).
Psaume 4:1
Quand je t’invoque, réponds-moi, Dieu de ma justice !
Toi qui, dans ma détresse me mets au large.
Aie pitié de moi et entends ma prière.
Psaume 19:1-2
Les cieux proclament la gloire de Dieu;
et l’œuvre de ses mains, l’étendue l’annonce.
Un jour après un autre jour fait jaillir le langage,
et une nuit après une autre nuit révèle la connaissance.
Psaume 71 :12
O Dieu, ne t’éloigne pas de moi.
Mon Dieu, à mon secours hâte-toi.
Les vers hébreux sont courts, beaucoup ne comprenant pas plus de deux ou trois mots , ce qui donne à l’ensemble une force considérable. James Muilenburg, membre du comité de traduction de la Revised Standard Version, a fait cette remarque pertinente : » Dans la poésie hébraïque, l’expression est ramassée et tout l’accent est mis sur les mots importants. Le texte hébreu du Psaume 23 ne compte que cinquante-cinq mots ; nos traductions occidentales modernes en emploient deux fois plus. Pourtant, même dans une traduction, l’économie de l’hébreu original ne se perd pas [...]. La poésie hébraïque est très vivante dans son expression [...]. Le poète hébreu nous aide à voir, à entendre, à sentir. Les sensations physiques sont fraîches et vivantes [...]. Le poète pense en images et puise ses images dans les aspects de la vie quotidienne qui sont communs à tous les hommes » (An Introduction to the Revised Standard Version of the Old Testament, 1952, p. 63, 64).
Pour illustrer la concision du langage poétique hébreu, considérons le premier verset du Psaume 23. Les mots français nécessaires pour traduire chaque terme hébreu sont séparés par une barre oblique (/) :
Note: le Nom de Dieu est écrit dans sa prononciation traditionnelle, telle que nous pouvons le trouver dans la poésie plusieurs fois centenaires. Pour plus de détails voir : Le Nom Divin dans les Écritures hébraïques . La traduction de l’abbé Crampon est souvent utilisée.
Psaume 23
Jéhovah/ [est] mon Berger./
ne de rien/ je manquerai.
On constate que le français a besoin de neuf mots pour traduire quatre termes hébreux. Le verbe « être » est ajouté pour donner un sens au français; en hébreu, il est sous-entendu.
Principales formes de parallélisme.
Du point de vue de la forme, le parallélisme est l’élément le plus important de la poétique hébraïque. Le rythme n’y est pas marqué par la rime (comme en français), mais par la logique de la pensée ; on parle d’ailleurs du » rythme de la pensée « . Prenons pour exemple les deux vers qui composent le
Psaume 24:1 :
À Jéhovah est la terre et ce qu’elle renferme,
Le monde et tous ceux qui l’habitent.
Ces vers présentent ce qu’on appelle un parallélisme synonymique, c’est-à-dire que le deuxième vers répète une partie du premier, mais en d’autres termes. L’expression « À Jéhovah appartient » est indispensable aux deux vers. Cependant, les groupes de mots « la terre » et « le sol productif » sont des synonymes poétiques, tout comme « ce qui la remplit » et « ceux qui y habitent ».
La plupart des spécialistes actuels reconnaissent deux autres grandes formes de parallélisme :
parallélisme antithétique, comme son nom l’indique, avec lequel chaque vers exprime une idée opposée.
Psaume 37:9
Car les méchants seront retranchés,
mais ceux qui espèrent en Jéhovah posséderont le pays.
le parallélisme synthétique (ou formel, constructif), dans lequel le deuxième membre ne se borne pas à se faire l’écho du premier ou à établir un contraste. Il amplifie plutôt l’idée précédente et ajoute une pensée nouvelle.
Psaume 19:7-9
La loi de Jéhovah est parfaite: elle restaure l’âme.
Le témoignage de Jéhovah est sûr,
rendant sage l’homme inexpérimenté.
Les ordonnances de Jéhovah sont droites,
elles réjouissent les cœurs;
le précepte de Jéhovah est pur,
faisant briller les yeux.
La crainte de Jéhovah est sainte,
elle subsiste à jamais.
Les décisions judiciaires de Jéhovah sont vérité ;
elles se sont révélées justes l’une comme l’autre.
On remarque que la deuxième partie de chaque phrase ou proposition complète l’idée ; l’ensemble du vers est donc une synthèse, c’est-à-dire le résultat de la réunion de deux éléments. Ce n’est qu’avec la deuxième partie du vers, par exemple « ramenant l’âme » et « rendant sage l’homme inexpérimenté », que le lecteur apprend en quoi la ‘loi est parfaite‘et le « rappel de Jéhovah est digne de foi ». Dans une telle suite de parallèles synthétiques, la division entre la première et la deuxième partie sert de césure. Ainsi, outre la progression de la pensée, le texte conserve une certaine structure poétique, un parallèle dans la forme. C’est pour cette raison que ce parallélisme est appelé formel ou constructif.
Autres types de parallélisme.
On a parlé de quelques autres types de parallélisme, bien qu’on les considère comme de simples variantes ou combinaisons des parallélismes synonymique, antithétique ou synthétique. On parle notamment de trois types de parallélisme :
Le parallélisme emblématique (ou comparatif) utilise des comparaisons ou des métaphores.
Psaume 103:12 :
Autant le levant est loin du couchant,
autant il a éloigné de nous nos transgressions.
Le parallélisme climactique avec lequel deux, trois vers ou davantage, peuvent répéter et développer la pensée du premier.
Psaume 29:1,2
Attribuez à Jéhovah, ô fils des forts,
attribuez à Jéhovah gloire et force.
Attribuez à Jéhovah la gloire de son nom.
Le parallélisme inversé, plus complexe, peut s’étendre sur un certain nombre de vers.
Psaume 135:15-18 :
Les idoles des nations sont de l’argent et de l’or,
l’œuvre des mains de l’homme tiré du sol.
Elles ont une bouche, mais elles n’expriment rien ;
elles ont des yeux, mais elles ne voient rien ;
elles ont des oreilles, mais elles ne prêtent l’oreille à rien.
En outre, il n’existe pas d’esprit dans leur bouche.
Ceux qui les font deviendront comme elles,
tous ceux qui mettent leur confiance en elles.
Dans son ouvrage « Literary Characteristics and Achievements of the Bible » (1864, p. 170), W. Trail a expliqué ce parallélisme : « Ici, le premier vers correspond au huitième— dans le premier il est question des idoles des païens, dans l’autre de ceux qui mettent leur confiance dans les idoles. Le deuxième vers correspond au septième — l’un parle de la fabrication, l’autre des fabricants. Le troisième correspond au sixième — dans l’un il y a des bouches qui n’articulent pas, dans l’autre des bouches qui ne respirent pas. Le quatrième vers correspond au cinquième, où on peut dire que le parallélisme inversé unit les deux moitiés dans un parallélisme de synthèse — des yeux qui ne voient pas, des oreilles qui n’entendent pas. «
Une forme semblable, mais plus simple, consiste à inverser les mots apparaissant dans des vers consécutifs, comme en Isaïe 11:13b (Os) :
Éphraïm ne jalousera plus Juda
et Juda ne sera plus hostile à Éphraïm.
A man born blind
28 mars, 20141 SAMUEL 16. DIEU CHOISIT CELUI QUI A TENDANCE À ÊTRE EXCLU.
28 mars, 2014http://clamans.hautetfort.com/archive/2007/11/07/dieu-choisit-celui-qui-a-tendance-a-etre-exclu.html
07/11/2007
1 SAMUEL 16. DIEU CHOISIT CELUI QUI A TENDANCE À ÊTRE EXCLU.
Le roi Saül a fortement déplu à Dieu. Aussi, Dieu décide-t-il de préparer la succession de Saül. Il charge le prophète Samuel de désigner, d’oindre le futur roi. Étonnamment, Dieu n’annonce pas à Samuel le nom du futur roi, il lui dit seulement de quelle famille il fait partie. A Samuel de découvrir lequel des huit fils de Jessé Dieu s’est choisi !
C’est ce processus de choix qui me semble important, porteur d’indications précieuses pour nous, pour réfléchir au thème de l’exclusion. Vous savez que le thème de la Campagne d’automne de l’EPER (entraide protestante) est le refus de l’exclusion : Exclu… c’est exclu !
Dans notre vie quotidienne, nous sommes constamment confrontés à des situations où nous devons faire des choix. Et chaque fois que nous choisissons quelque chose, nous excluons autre chose. Le choix et l’exclusion vont de pair… Parler de l’exclusion, c’est aussi parler de nos choix et vice versa. On ne peut pas ne pas choisir (parce qu’on ne peut tout avoir), on ne peut donc pas non plus éviter d’exclure !
Ce que nous avons à faire, c’est penser à nos critères de choix et d’exclusion. Pourquoi choisir ou exclure cela ? Quelles sont les conséquences de mes choix et de mes exclusions ? A première vue, lorsqu’il est question de produits, de marchandises, cela n’a pas beaucoup d’importance. Sauf lorsqu’on se met à penser à qui les produit, qui est derrière les marchandises que nous consommons, de quelle façon sont-elles fabriquées ?
En effet, la question du choix et de l’exclusion se manifeste de manière plus vive, plus cruciale lorsqu’il s’agit de personnes. Et ce sont bien les personnes que vise la Campagne de l’EPER.
Revenons donc à Samuel qui doit exécuter le choix de Dieu. Il prépare une cérémonie pour oindre le nouveau roi et il invite tous les fils de Jessé. Au premier coup d’oeil, il repère l’aîné, Eliab. Voilà un garçon brillant, un homme bien fait, il a belle allure, il ferait un roi plein de prestance ! Ce doit être lui, se dit Samuel. Mais Dieu lui souffle que non. Et tous les fils de Jessé présents défilent. Mais le futur roi n’est pas parmi eux. Surprise, panique… Y en a-t-il un autre ? Oui, il y en a bien encore un, mais il est aux champs. C’est le petit dernier… on y a pas pensé… il est encore jeune… un peu rêveur… musicien…
Pourquoi David est-il aux champs ? Pourquoi n’est-il pas présent, alors que toute la famille avait été appelée à participer à cette cérémonie. Je vois deux réponses possibles :
1) David n’a tout simplement pas reçu le message, l’invitation. Personne ne pensait que ce petit (« ce petit prétentieux, cet espèce de vaurien » dira Eliab, le frère aîné au chapitre suivant : 1 S 17:28) méritait d’être invité à cette cérémonie d’adultes. Samuel est venu chercher quelqu’un pour une mission d’importance. Aux yeux de la famille, cela ne pouvait pas concerner David. Il a été exclu d’office, automatiquement par sa famille. « Tiens on n’avait pas pensé à toi ! », « Tu es trop petit, toi! ». Voilà des paroles d’exclusion qui peuvent faire mal.
2) David a reçu le message, il a entendu, comme les autres que Samuel cherchait quelqu’un pour une mission importante, mais il a pensé : « cela ne peut pas me concerner, moi ! », »je suis trop petit, trop jeune, ou trop inexpérimenté ». David a intériorisé le message familial, au point que plus personne n’a besoin de lui dire quoi que ce soit : le message s’imprime tout seul.
David, ou vous, ou moi, s’exclut par lui-même, parce qu’il n’a pas confiance en lui-même, parce qu’il n’est pas conscient de sa valeur. De quand date la dernière confirmation de sa valeur qu’il ait reçue ?
Que ce soit par une exclusion extérieure ou intérieure, David est d’abord absent, exclu. Mais le voeu de Dieu, c’est qu’on l’envoie chercher. En effet, celui que tout le monde écartait, c’est celui que Dieu s’est choisi.
« La pierre que les bâtisseurs avaient écartée est devenue (par la volonté de Dieu) la pierre principale » (Ps 118:22)
Celui qui allait être écarté, c’est celui qui va recevoir l’onction, qui va être oint. Ce terme « oint » se dit CHRIST en grec. Jésus le Christ, fils de David est celui qui a été rejeté par tous sur la croix, mais que Dieu s’est mystérieusement choisi pour se révéler.
Dieu ne suit donc pas les modes, les apparences comme les hommes. En effet, Dieu dit à Samuel:
« Je ne juge pas de la même manière que les hommes; les hommes s’arrêtent aux apparences, mais moi je vais jusqu’au fond des coeurs. » (1 S 16:7)
Dieu nous regarde au-delà de nos façades, de nos masques, des attitudes que nous nous donnons. Il voit jusqu’au fond de nous-mêmes et il voit ce qu’il y a de plus humain en nous, de plus aimable en nous.
C’est ainsi qu’il peut faire d’Israël son peuple, des habitants de Villars-Ste-Croix et Bussigny son Eglise. Dieu ne rassemble pas ceux qui semblent les meilleurs, les plus talentueux, les plus qualifiés comme le ferait un patron d’entreprise. Non, Dieu va chercher ceux qui n’ont pas été désirés, ceux qui ont été mis de côté, exclus d’office, pour les rassembler et en faire son peuple, parce qu’il sait qu’en chacun de nous il y a un être de valeur qui va pouvoir déployer ses talents comme David contre Goliath.
Ayant été rappelés des champs pour devenir des rois, comme David, nous pouvons à notre tour regarder toute personne avec un nouveau regard — qui vient de Dieu — qui embrasse tout le monde, et voir en chacun un être digne de valeur et pleinement aimable.
La Campagne de l’EPER — Exclu… c’est exclu ! — nous invite à adopter le même regard que Dieu, le regard de l’inclusion, de l’accueil afin que l’oublié, le rejeté ait une vraie place parmi nous.
Amen
2007, Jean-Marie Thévoz
16:50 Publié dans e) Livres historiques | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : samuel, bible, bussigny, paroisse, jean-marie thévoz, christianisme, prédication, spiritualité
L’AVEUGLE-NÉ (JEAN 9, 1-40) – MÉDITATION DU MOINE DE L’ÉGLISE D’ORIENT (PÈRE LEV GILLET)
28 mars, 2014http://www.pagesorthodoxes.net/guerison/j-guerit.htm#ave
L’AVEUGLE-NÉ (JEAN 9, 1-40)
(5E DIMANCHE APRÈS PÂQUES)
MÉDITATION DU MOINE DE L’ÉGLISE D’ORIENT (PÈRE LEV GILLET)
Dimanche dernier — le dimanche de la Samaritaine — nous chantions à la liturgie l’antienne de communion suivante : » Réjouis-toi et sois dans l’allégresse, porte de la divine lumière [c’est-à-dire la Vierge Marie], car Jésus après avoir disparu dans le tombeau, s’est levé encore plus lumineux que le soleil, illuminant par cela tous les croyants « . Il y a là un retour au thème théologique et liturgique de la lumière, qui est si caractéristique de la spiritualité byzantine ; il y a là, plus particulièrement, un rappel du lien entre le Résurrection du Christ et l’illumination des consciences : car un fait extérieur, fut-il même la Résurrection de notre Sauveur, n’a de valeur pratique pour les âmes que s’il peut se traduire en elles par une augmentation de cette Lumière intérieure qui doit diriger toute notre vie. La lumière du Christ est un thème pascal essentiel. C’est ce thème que développe le cinquième dimanche après Pâques, appelé » Dimanche de l’aveugle « , où la commémoraison de la guérison d’un aveugle introduit l’idée de notre propre cécité et de notre guérison.
Nous entendons, à la liturgie, le récit évangélique de la guérison de l’aveugle (Jean 9, 1-38). Jésus rencontre un homme, aveugle de naissance ; ayant fait une mixture de boue et de salive, Jésus envoie l’homme se layer dans la piscine de Siloé. L’homme recouvre la vue et devient l’objet de la curiosité hostile et des questions insidieuses des Pharisiens. Ceux-ci peuvent bien déclarer que Jésus est un pécheur : l’homme proteste qu’un pécheur n’a pas la puissance de rendre la vue à un aveugle. Expulsé par les Pharisiens, l’ancien aveugle est retrouvé par Jésus (ce n’est pas lui qui retrouve Jésus, mais c’est Jésus qui le retrouve, et ce fait est riche de sens). Jésus lui demande s’il croit au Fils de Dieu. » Qui est-il, Seigneur, pour que je croie en lui ? « . Jésus répond : » Tu le vois ; c’est celui qui te parle » (On se rappellera la phrase toute semblable dite par Jésus à la Samaritaine). » Alors il dit : Je crois, Seigneur, et il se prosterna devant lui « .
Cet épisode est une illustration de la phrase du prophète Isaïe : » Alors les yeux des aveugles se dessilleront » (Isaïe 35, 5), et d’une parole de Jésus lui-même : » L’Esprit du Seigneur… m’a envoyé annoncer aux aveugles le retour à la vue » (Luc 4, 18). Il est certain que la cécité physique, tout en étant l’objet de la sollicitude de Jésus (et l’on sait combien les maladies des yeux causent de souffrances en Orient), symbolise ici la cécité spirituelle dont Jésus délivre les hommes. Mais la guérison, dans Évangile que nous venons de lire, n’est pas séparable de la bonne volonté et de la foi sincère de l’aveugle. Le commentaire le plus autorisé de cet épisode nous est donné par l’Église elle-même, qui, dans deux des antiennes de ce dimanche, s’exprime ainsi :
» Christ, notre Dieu, Soleil de Justice qui dépasse tout entendement, toi qui, en le touchant, a ouvert les yeux de l’aveugle-né, ouvre les yeux de nos âmes et fait de nous des enfants de lumière… « .
» Je viens vers toi, ô Christ, les yeux de l’âme aveuglés comme l’aveugle-né et je crie vers toi avec repentir Tu es la Lumière à la suprême clarté pour tous ceux qui sont dans les ténèbres « .
HOMÉLIE – MESSE – 4E DIMANCHE DE CARÊME
28 mars, 2014http://www.homelies.fr/homelie,,3786.html
4E DIMANCHE DE CARÊME
DIMANCHE 30 MARS 2014
FAMILLE DE SAINT JOSEPH
HOMÉLIE – MESSE
« En sortant » du temple : puisque les malheureux n’ont pas le droit de venir jusqu’à Dieu, Dieu sort à leur devant.
« Jésus vit un homme qui était aveugle de naissance » : Dieu ne passe pas outre la misère de ses enfants : « J’ai vu, oui j’ai vu la misère de mon peuple, j’ai entendu ses cris ; je connais ses souffrances. Je suis descendu pour le délivrer » (Ex 3, 7-8). Nous sommes bien la seule religion qui ose prétendre que ce n’est pas l’homme qui cherche Dieu, mais Dieu qui inlassablement vient à la recherche de l’homme qui erre en exil loin de sa Terre Promise.
Impossible d’imputer à ce malheureux la responsabilité de sa maladie : elle est de naissance. Serait-ce donc qu’il porte le poids du péché de ses aïeuls ? Jésus refuse de s’engager dans ce genre de calcul : cet homme ne fait que manifester dans sa chair l’état de cécité de notre humanité tout entière depuis qu’elle est privée de la grâce divine. L’affirmation de Notre-Seigneur : « Je suis la lumière du monde » fait écho au Prologue : « Le Verbe était la vraie lumière qui en venant dans le monde, illumine tout homme » (Jn 1, 9). Il est venu pour manifester l’action de Dieu et révéler ainsi sa bienveillance paternelle envers les hommes ses enfants. C’est bien le même Père qui aux origines « façonna l’homme avec de la glaise prise du sol » (Gn 2, 7), qui maintenant « avec la salive et les mains de son Fils, fait de la boue qu’il applique sur les yeux de l’aveugle ».
Jusque-là on pourrait dire que Jésus guérit le mal par le mal : il ne fait que plonger l’homme dans des ténèbres plus profondes encore. Mais le geste s’accompagne d’une Parole qui va en révéler le sens : « Va te laver dans la piscine de l’Envoyé ». La symbolique baptismale est claire : plongé avec le Christ dans les ténèbres de la mort, enseveli avec lui en terre, l’aveugle va être illuminé par l’Esprit, qui l’introduira dans la vie même du Christ ressuscité. Le miracle est d’autant plus parlant qu’il est réalisé dans le contexte de la fête des Tentes, qui culmine dans une procession solennelle au cours de laquelle l’eau puisée à la source de Siloé dans un vase en or, est déversée sur l’autel du Temple en signe de rogations pour la pluie.
Le miracle est dûment constaté par un nombre important de témoins qui n’en croient pas leurs yeux. L’aveugle guéri n’arrive apparemment pas à calmer les esprits, puisqu’on l’amène aux pharisiens « afin qu’ils instruisent cette étrange affaire » : qui est donc cet homme qui guérit un aveugle-né un jour de sabbat, avant de disparaître dans la nature sans laisser de trace ? Seuls les actes médicaux indispensables à la survie du patient étaient autorisés un jour de sabbat. Rien ne pressait pour cet aveugle-né : le guérisseur est donc en infraction avec la Loi et ne saurait « venir de Dieu ». Mais alors « comment un homme pécheur pourrait-il accomplir des signes pareils ? »
A bout de ressources, le conseil des sages se tourne vers le bénéficiaire de l’intervention, qui sans hésiter confesse : « C’est un prophète ! » Cette réponse n’ayant de toute évidence pas convaincu ces messieurs, ils décident de ré-instruire toute l’affaire en vérifiant chaque étape, à commencer par l’identité du soi-disant miraculé. Les pharisiens devaient être visiblement contrariés par l’événement ; aussi les parents jugent-ils plus prudent de se dissocier de leur fils : « Il est assez grand, interrogez-le ! »
La délibération fut sans doute de courte durée et la sentence est prononcée en présence du bénéficiaire du délit : « Cet homme est un pécheur ». Avec beaucoup de bon sens, l’homme guéri oppose à cette conclusion l’objectivité de sa guérison ; c’est même la seule chose que l’on puisse affirmer avec certitude ; le reste relève plutôt d’une évaluation subjective fondée sur l’a priori des juges contre le thérapeute. L’altercation suscitée par cette impertinence conduit la controverse jusqu’à l’affirmation décisive : « Celui-là, nous ne savons pas d’où il est ».
C’est donc à nouveau la question des origines de Jésus qui surgit au cœur du débat. D’où vient-il ? De qui est-il l’Envoyé ? De qui a-t-il reçu ce pouvoir d’accomplir des miracles ? Pour répondre à cette interrogation qui traverse tout le quatrième évangile, il faut accepter de ne pas « savoir », c’est-à-dire renoncer aux réponses fondées sur des arguments soi-disant rationnels. De même qu’il est vain de vouloir décrire la lumière à un aveugle, il est impossible de définir une personne sans entrer en relation avec elle, sans accueillir ce qu’elle nous révèle d’elle-même. La lumière existe indépendamment du fait que le non-voyant ne la perçoive pas ; pourtant le malheureux ne peut rien en dire tant que ses yeux ne se sont pas ouverts à son influence. De même, la divinité du Christ subsiste indépendamment de notre cécité spirituelle. Mais que pourrions-nous énoncer de pertinent sur la véritable identité de Jésus, tant que notre cœur ne s’est pas ouvert à son influence, que nous ne nous sommes pas laissés guérir de notre aveuglement en nous lavant dans la piscine baptismale de l’Envoyé ? « Si vous étiez des aveugles, vous n’auriez pas de péché ; mais du moment que vous dites : “Nous voyons !” (alors que vous refusez de venir à la lumière) votre péché demeure. » C’est en mettant nos pas dans ceux du Christ, en l’écoutant parler, en le regardant agir, en nous laissant saisir progressivement par toute sa Personne, que sous la douce motion de l’Esprit, nous serons amenés progressivement à confesser sa messianité, c’est-à-dire à « voir » en lui, avec les yeux de la foi, le Fils de Dieu nous révélant la bonté du Père.
Le récit de l’aveugle-né nous fait parcourir l’ensemble de ce cheminement. Après avoir trouvé la vue, c’est l’expulsion de la synagogue – non plus en raison de son handicap mais de sa guérison – qui va permettre à cet homme de franchir le seuil de la foi, au cours d’une seconde rencontre dont Jésus prend à nouveau l’initiative. Dès la première parole qu’il lui adresse, l’aveugle guéri reconnaît sans hésitation sa voix. On imagine sans peine qu’il le mange des yeux et qu’il est tout oreille. Notre-Seigneur a lu dans son regard le germe d’une foi naissante ; aussi pour qu’elle puisse se dire, il lui donne la parole : « Crois-tu au Fils de l’homme ? » La question est directe et la réponse est sincère : l’aveugle guéri n’ose pas faire lui-même le lien entre celui qu’il appelle « Seigneur » et ce fameux « Fils de l’homme » auquel il est invité à donner sa foi. La réponse de Jésus « Tu le vois » vient balayer ses derniers scrupules : « Je crois Seigneur » et tombant à ses genoux, « il se prosterna devant lui » dans un geste d’humble adoration.
Cet admirable parcours n’est-il pas un modèle pour chacun de nous ? Au jour de notre baptême, nous avons été illuminés par le Christ. Mais notre foi doit encore être éprouvée par la contradiction, purifiée par l’épreuve, fortifiée par le témoignage, jusqu’à ce qu’enfin le Seigneur se révèle dans une seconde rencontre, qui nous conduise à le choisir résolument et définitivement comme notre Seigneur et Sauveur adoré. Puissions-nous tout au long de ce chemin de carême nous laisser conduire à cette seconde conversion qui fera de nous de vrais disciples et des adorateurs en esprit et vérité.
« Père saint, augmente en nous la foi, afin que nous puissions reconnaître en Jésus le Berger que tu nous donnes “pour traverser avec nous les ravins de la mort, et nous conduire par le juste chemin pour l’honneur de ton Nom”. Après nous avoir fait reposer sur les verts pâturages de ta Parole, tu nous as plongés dans les eaux vivifiantes du Baptême et tu as répandu sur notre tête le parfum de ton Esprit. Donne-nous maintenant de discerner dans cette Eucharistie, la table que tu prépares pour nous, et à laquelle tu nous offres la coupe débordante de ton amour (cf. Ps 22). »
Père Joseph-Marie
REFLEXION: LA NÉCESSITÉ DE LA CONFESSION SACRAMENTELLE
27 mars, 2014(Journal de la Conference Episcopale Nationale du Camerun)
REFLEXION: LA NÉCESSITÉ DE LA CONFESSION SACRAMENTELLE
Abbé André Fils Mbem
Certains chrétiens ne se confessent pas auprès des prêtres. Ils prétendent qu’ils demandent directement pardon à Dieu pour leurs fautes. Une telle démarche est-elle validée par l’Eglise ? L’Abbé André Fils Mbem, Curé de Saint Michel Archange de Nyalla à Douala et Professeur de Théologie spirituelle et de Sciences Sociales à l’Université Catholique Saint Jérôme de Douala, souligne la nécessité de la confession sacramentelle.
Pourquoi doit-on aller voir un prêtre pour dire ses péchés, et ne peut-on pas le faire directement avec Dieu, qui nous connaît et nous comprend bien mieux que n’importe quel autre interlocuteur humain ? Et plus radicalement encore : pourquoi parler de mes problèmes et en particulier ceux qui me font le plus honte, à quelqu’un qui est pécheur comme moi, et qui évalue peut-être d’une manière complètement différente de la mienne ce que j’ai vécu, ou qui peut-être ne le comprend pas du tout ? Voilà des questions que beaucoup de non chrétiens et même des chrétiens se posent.
Retenons que l’on peut recevoir le pardon de nos péchés véniels par la prière ( la récitation de l’acte de contrition, le psaume 50, la récitation du confiteor : je confesse à Dieu Tout Puissant ; la participation à l’Eucharistie, les œuvres de charité, puisque la charité couvre une multitude de fautes.
Mais pour ce qui regarde les péchés graves, la confession individuelle et intégrale avec l’absolution par un prêtre ayant la faculté d’entendre les confessions, constitue l’unique mode ordinaire par lequel un fidèle conscient d’un péché grave est réconcilié avec Dieu et avec l’Eglise, sauf en cas d’impossibilité physique ou morale.
La « confession complète des péchés mortels », c’est-à-dire la confession de chaque péché mortel, de même que les circonstances morales spécifiques, est par institution divine une partie constitutive du sacrement, elle n’est en aucune manière laissée à la libre disposition des Pasteurs. Ainsi, pour que puisse être effectué le discernement sur les dispositions des pénitents en ce qui concerne la rémission ou non des péchés et l’imposition d’une pénitence opportune de la part du ministre du sacrement, il faut que le fidèle, outre la conscience des péchés commis, la contrition et la volonté de ne plus retomber, confesse ses péchés devant le prêtre. L’Église a toujours reconnu un lien essentiel entre le jugement confié aux prêtres dans ce sacrement et la nécessité pour les pénitents d’énumérer leurs péchés, excepté en cas d’impossibilité.
Le fidèle est tenu par l’obligation de confesser devant le prêtre, selon leur espèce et leur nombre, tous les péchés graves commis après le baptême, non encore directement remis par le pouvoir des clés de l’Église, et non accusés en confession individuelle, dont il aura conscience après un sérieux examen de soi-même. On doit réprouver tout usage qui limite la confession à une accusation d’ordre général, ou seulement à un ou plusieurs péchés considérés comme étant plus significatifs. D’autre part, compte tenu de l’appel de tous les fidèles à la sainteté, il leur est recommandé de confesser aussi les péchés véniels.
La confession complète des péchés graves étant par institution divine une partie constitutive du sacrement, elle n’est en aucune manière laissée à la libre disposition des Pasteurs (dispense, interprétation, coutumes locales, etc.). L’Autorité ecclésiastique compétente spécifie uniquement – dans les normes disciplinaires concernées – les critères pour distinguer l’impossibilité réelle de confesser ses péchés des autres situations dans lesquelles l’impossibilité est seulement apparente ou pour le moins surmontable.
À la lumière de ce qui précède, la demande de pardon que nous pouvons faire à Dieu en ce qui concerne nos péchés ne peut en aucun cas suppléer la confession individuelle. Par ailleurs, même l’absolution simultanée à un ensemble de pénitents, sans confession individuelle préalable, comme cela est prévu au Canon 961, § 1 du Code de droit canonique (CIC), revêt un caractère exceptionnel, et ne peut pas être donnée par mode général, de même qu’elle ne peut en aucun cas suppléer à la confession individuelle et intégrale. De manière spécifique, elle ne peut pas être accordée, à moins : qu’il y ait un danger de mort imminente, et que le prêtre ou les prêtres n’aient pas suffisamment de temps pour entendre les confessions des pénitents, ou encore qu’existe une grave nécessité.
Avec les nouvelles technologies de la communication, certaines personnes aimeraient se confesser et recevoir l’absolution par courrier électronique, faire la confession en ligne ou par le net. Nous devons cependant dire que cette pratique ne correspond pas à la nature du sacrement de pénitence et de réconciliation. Car, la confession des péchés n’est pas seulement un moyen d’effacer les péchés, mais le lieu d’une relation avec Dieu et avec la communauté chrétienne. Le sacrement exige donc une relation personnelle entre le prêtre et le pénitent. Le prêtre, avant de pouvoir pardonner, doit discerner dans le dialogue avec le pénitent, si ce dernier est prêt à recevoir l’absolution, s’il a une réelle contrition. Le dialogue virtuel par internet ou par téléphone ne peut pas remplacer le contact humain. De plus, un message internet ou la confession en ligne ne respecte pas la règle du secret de la confession.
Pourquoi la confession individuelle chez le prêtre est elle nécessaire ? Elle est nécessaire pour plusieurs raisons :
» Elle répond à la volonté et au mandat du Christ : Dès le soir de la résurrection, le Christ donne à ses disciples l’Esprit-Saint afin qu’ils perpétuent ses gestes de miséricorde. » Recevez l’Esprit-Saint. Tout homme à qui vous remettrez ses péchés, ils lui seront remis ; tout homme à qui vous maintiendrez ses péchés, ils lui seront maintenus » (Jn 20, 22-23). Les ministres du pardon, obéissant au Bon pasteur et au Médecin des âmes (Mc 2, 17), reçoivent donc l’aveu humble et sincère des fautes qui permet aux fidèles de rencontrer le Seigneur ressuscité dans la joie de son Esprit. Les ministres du pardon du Seigneur ne peuvent changer d’eux-mêmes les conditions établies par Lui et Son Église pour l’exercice de ce ministère.
» On ne peut pas être juge et partie de sa propre cause.
» Le pécheur ne peut pas savoir s’il est pardonné par Dieu ou pas après une confession directe à Dieu.
» Dieu veut se servir de ses créatures pour communiquer sa grâce. C’est la logique de l’Incarnation. Le Christ sauve l’humanité par son Église, ses disciples, ses « membres » (1 Cor 12.27).
Il est important de noter que tous les sacrements de l’Église sont d’abord des gestes, du Christ à l’endroit d’une personne qu’il introduit dans le cadre de l’Alliance par la médiation de l’Église. Par le baptême, il touche chaque individu avec de l’eau et quelques paroles pour signifier par un signe concret son incorporation à l’Église. Il en va de même pour l’onction de l’Esprit Saint à la confirmation ou pour l’imposition des mains lors de l’ordination sacerdotale.
C’est toujours une personne singulière qui est touchée par l’amour et la grâce du Seigneur. Cela se vérifie aussi pour le sacrement du pardon où chaque personne reçoit une grâce très personnelle correspondant à l’aveu de ses manquements à l’Alliance.
Le Christ expie sur la Croix le péché de chacun, et il exprime par l’absolution, l’amour miséricordieux de Dieu pour chaque personne, qui a justement besoin de se sentir aimée et pardonnée personnellement par Dieu. Le sacrement de la réconciliation touche précisément la sphère intime des blessures et des fautes de chaque personne d’une façon qui restaure le dialogue d’amour et la relation d’amitié avec le Christ.
On comprend alors la sagesse de l’Église qui exige l’aveu des fautes comme une partie intégrante du sacrement, à moins que des circonstances très exceptionnelles ne le permettent pas et obligent le pénitent à remettre à plus tard le geste de l’aveu qui ne peut jamais être, totalement omis. D’ailleurs, même sur le plan humain, les psychologues et autres experts en sciences humaines considèrent l’expression de la personne blessée comme étant une condition de sa guérison. Nous le voyons à l’importance de l’écoute des personnes à la suite de drames de toutes sortes. Un médecin ne peut pas émettre un bon diagnostic, si la personne ne lui dit pas où elle sent le mal.
L’attitude même de Jésus dans l’Évangile nous fait comprendre cette exigence concrète du dialogue avec lui. Plusieurs scènes décrivent le Christ miséricordieux rencontrant individuellement une pécheresse ou un pécheur pour lui annoncer la Bonne Nouvelle de la miséricorde : la femme adultère, Marie Madeleine, la Samaritaine, Zachée, le paralytique descendu par le toit, le bon larron, etc… À chaque occasion, Jésus établit un lien d’amour et de tendresse qui libère la personne et la fait échapper même à la mort, comme dans le cas de la femme adultère menacée de lapidation. Par Son accueil et Sa parole de pardon, Jésus ouvre devant elle le chemin de la liberté et de la conversion : » Va, et désormais ne pèche plus « . Confesser nos fautes, le cœur contrit, signifie confesser notre amour reconnaissant à son égard et accueillir le don de Sa paix.
Il n’existe pas de péchés privés ou personnels, tous les péchés affectent vos frères et sœurs en Christ. Si secrets soient-ils, tous nos péchés ont un effet sur notre communauté. Si je ressens de la colère contre quelqu’un, même si je ne la manifeste par aucune parole ni aucun acte, cette disposition néfaste de mon cœur a un effet destructeur sur les gens qui m’entourent. Tout péché est un péché contre la communauté, tout péché, si secret soit-il, est une pierre d’achoppement pour les autres, et leur rend le service du Christ plus difficile.
Dans l’église primitive, la confession était publique. A partir du quatrième siècle, quand la chrétienté eut grandi, cela devint cause de scandale et la confession a pris sa forme actuelle, à savoir, une ouverture du cœur devant le prêtre seul, et à condition d’être secrète. Mais il faut nous rappeler que pendant la confession, le prêtre est là, entre autres, en tant que représentant de la communauté. Le fait que nous ne nous confessions pas directement à Dieu, mais en présence d’un homme, prouve que nous reconnaissons la dimension sociale et communautaire de tous nos péchés. En nous confessant en la présence du prêtre, nous demandons aussi pardon à la communauté.
On rapporte sur plusieurs saints l’histoire suivante. Le pénitent se plaint : » Oui, je sais que ce que j’ai fait est un péché, je demande à Dieu de me pardonner, mais mon cœur est dur comme une pierre, je ne ressens aucun regret, tout se passe dans ma tête. » Alors le saint lui dit: » Va au milieu de l’église et prosterne-toi devant le peuple, ensuite tu reviendras ». Et tandis que l’homme faisait sa prosternation devant le peuple pour lui demander pardon, quelque chose s’est brisé dans son cœur et il redevenu vivant. Il a vraiment ressenti de la componction pour ce qu’il avait fait, et il a pu recevoir l’absolution. Dans nos confessions, essayons de nous rappeler cette dimension-là en tout premier lieu.
La parole dite, la parole émise possède une grande force. Cela signifie deux choses. Premièrement nous écoutons ce que le prêtre dit, le conseil qu’il nous donne et il arrive que ce qu’il dit, si c’était écrit dans un livre ne nous frapperait pas autant, ne nous paraîtrait pas important. Mais en plus, pendant la confession, le prêtre prie et nous prions aussi pour que la lumière du Saint Esprit vienne sur nous. Le prêtre s’adresse à chacun de nous, à chaque pénitent avec des paroles qu’il prononce sous la direction du Saint Esprit. Ces paroles si on les considère de façon abstraite peuvent paraître évidentes ou même comme des lieux communs, mais elles peuvent devenir des paroles de feu lorsqu’elles me sont adressées personnellement ici et maintenant, sous l’inspiration du Saint Esprit.
L’expression verbale possède une grande force et, en confession, nous nous trouvons, par la grâce de Dieu, placés dans une situation particulière, car nous disons des choses que nous n’avions jamais dites auparavant dans nos prières personnelles. Nous sommes soudain capables de comprendre certaines choses plus profondément et de nous exprimer plus ouvertement. C’est en cela que réside en grande partie la grâce de la confession. Les pères du désert disent qu’une pensée secrète peut avoir sur nous un grand pouvoir, mais lorsque nous trouvons un moyen de l’expliciter et d’en parler, alors elle perd son pouvoir. C’est aussi ce que nous disent les psychiatres modernes, mais les pères du désert l’ont dit avant et le vivent ! Ainsi la parole exprimée que nous apportons à la confession peut avoir force de sacrement et grâce de guérison surprenantes.
Il y a encore une autre chose : pas seulement ce que le prêtre fait lorsqu’il propose un conseil et pas simplement ce que nous faisons lorsque nous essayons de dire la vérité au Christ. Il y a aussi ce que le Christ fait. La confession est un mystère de l’Eglise qui confère une grâce sacramentelle, elle a un pouvoir en elle-même, un pouvoir Divin. Lorsque le prêtre pose ses mains sur notre tête, c’est le Christ qui nous pardonne, et c’est certainement la principale raison pour laquelle nous devons aller nous confesser. Lorsqu’une telle grâce et une telle guérison nous sont offertes, comment oserait-on les refuser.
EN RELISANT LE POÈME DU SEREVITEUR SOUFFRANT ISAÏE 52,13-53,12
27 mars, 2014http://www.maisondelabible.catho.be/articles/autres3.htm
EN RELISANT LE POÈME DU SEREVITEUR SOUFFRANT ISAÏE 52,13-53,12
1. Le Premier Testament
2. Le fait unique du Christ
3. Les premiers chrétiens 4. Le serviteur souffrant du 4e chant d’Isaïe
5. Le Serviteur soufrant et nous
6. Retour à la case du départ
Dans un gros roman tout en suspens, Pomilio raconte l’histoire d’un officier américain, historien de métier, qui découvre dans une cure allemande abandonnée, qui lui a été dévolue comme logis pendant l’occupation, la mention de l’existence d’un cinquième évangile (1) . Et le voilà parti dans une quête passionnée à laquelle il associe ses étudiants en histoire. Quel est ce cinquième évangile ? Prenons cette question comme fil rouge de notre recherche : « Qui est le Serviteur souffrant en Isaïe 53 ? ». Pour le découvrir, acceptons de faire un détour dans les Ecritures.
1. Le Premier Testament
Revenons au Premier Testament. Il nous raconte une histoire concrète, l’histoire d’un peuple avec ses aventures, ses joies, sa religion, ses malheurs, ses erreurs, ses péchés, ses retours… Mais déjà le texte écrit que nous lisons est un premier décodage. Les auteurs y livrent déjà une première clé de lecture. Les faits sont décrits de manière à exprimer à travers eux qui est Dieu, qui est l’homme pour Lui. L’histoire sainte est donc une parabole théologale de Dieu. C’est une histoire à décoder. C’est l’histoire de « Dieu avec son peuple », « d’Israël avec Dieu ».
Allons plus loin. L’écrit est livré au lecteur, à l’auditeur, l’histoire devient parabole nouvelle. Le texte devient pour le lecteur « sa » parabole, il peut y lire aussi l’histoire-parabole de Dieu avec tous les peuples, l’histoire de Dieu avec lui-même, lecteur, auditeur.
2. Le fait unique du Christ
L’Histoire-parabole, la Bible, est livrée aux lecteurs de tous les temps. S’il est vrai que l’Histoire Sainte est l’histoire d’un peuple, elle est aussi notre histoire personnelle, celle de l’Eglise et celle de chaque peuple. Nous pouvons la comparer à une parabole extrêmement significative. Pourtant dans cette histoire, un fait unique s’est produit. Du moins les chrétiens le perçoivent-ils ainsi, à la manière de st Paul : un homme dévoile une signification plus totale de la parabole, une réalité inouïe, une réalité qui dépasse toutes les espérances germées de l’histoire-parabole : nous pouvons dire que certains passages du Premier Testament sont une parabole en premier lieu de Jésus lui-même. C’est en cela que « s’accomplissent les Ecritures ». Et lorsqu’il nous est demandé de suivre Jésus, nous réalisons un peu nous-mêmes cet accomplissement.
L’évangéliste Luc exprime cette réalité de Jésus dans les récits après la Résurrection : « Et Jésus, en commençant par Moïse et tous les prophètes, leur expliqua dans toutes les Ecritures, ce qui le concernait » (Luc 24,27). Paul de son côté nous dit : « Un voile demeure lorsqu’on lit l’Ancien Testament… Jusqu’à ce jour un voile demeure sur le cœur. C’est seulement quand on se convertit au Seigneur (Christ) que le voile tombe… » (2 Co 3,14-16). Paul ne dit pas « quand on connaît le Christ » mais « quand on se convertit au Christ ». C’est l’engagement de vie suscité par la connaissance du Christ, la rencontre du Christ, qui découvre peu à peu la vérité des Ecritures, « le mystère caché révélé maintenant aux saints apôtres et prophètes » (Eph 3,5).
3. Les premiers chrétiens
Les premiers chrétiens l’avaient bien compris, eux qui, pour découvrir la personne de Jésus, ont recouru aux textes du Premier Testament, particulièrement les psaumes et les prophètes. Des hommes, tels que Moïse et Elie (présents à la transfiguration, disent les évangélistes!), Jérémie ou l’un des prophètes, surgissent déjà dans la pensée des auditeurs de Jésus : « Qu’est-ce que les gens disent de moi ? » demande Jésus. « Il disent que tu es Elie ou Jérémie, ou l’un des prophètes… » (Mt 16,13-14). Plus encore, les psaumes, qui s’adressent à Dieu à travers les souffrances, et Isaïe, présentant le Serviteur souffrant, sont les textes les plus cités par les écrits des premiers chrétiens. Nous comprenons mieux maintenant ce que dit si souvent Matthieu: « Ainsi s’accomplit ce que dit le Seigneur par le prophète… ». Non que les prophètes aient connu par avance la vie de Jésus, comme le croient encore naïvement certains chrétiens, mais parce que leurs paroles étaient paraboles, ‘grosses’ de réalités nouvelles auxquelles elles vont donner le jour, comme la graine mise en terre ne dit encore rien clairement des fruits de l’arbre qui pourtant va germer à partir d’elle. Ce n’est pas pour rien que nombre de paraboles de l’évangile parlent de la semence! Et que tant de textes prophétiques appellent « germe » celui qu’on attend comme sauveur (Is 4,2; 61,11; Jr 23,5; 33,15; Za 3,8; 6,12) et, dans le poème du serviteur souffrant, celui-ci est annoncé comme un « surgeon qui sort d’une terre déssèchée » (Is 53,2). Le psaume 21 et Isaïe 53 sont des textes importants qui ont permis d’appréhender quelque peu le mystère de Jésus, le secret de Dieu et de son dessein d’amour. .
4. Le Serviteur souffrant du 4e chant (Isaïe 52,13-53,12)
Les paroles d’Isaïe permettent-elles vraiment ce transfert de la prophétie sur le Nouveau Testament ? Essayons de le découvrir. Le texte, appelé souvent « le chant du Serviteur souffrant » est le quatrième d’une série de poèmes, repérés au milieu du texte d’Isaïe entre les chapitres 42 et 54. Ces quatre textes ont ceci de particulier qu’ils parlent d’un mystérieux serviteur que Dieu a choisi pour une mission bien particulière.
Qui est ce serviteur ? Déjà, Israël est appelé « mon serviteur » au chapitre 41,8 : « Je t’ai choisi et non rejeté… ». Le texte est destiné à fortifier la confiance d’Israël, à l’assurer de la présence protectrice de Dieu, « Celui qui te rachète, le saint d’Israël », et lui promet le retournement de sa situation misérable. Ces promesses réconfortantes se continuent au chapitre 43,1 ss. Il s’y ajoute une mission de témoignage « mes témoins à moi, c’est vous, parole du Seigneur; mon serviteur, c’est vous que j’ai choisis » (Is 43,10).
D’autre part, en Isaïe 41,25, nous découvrons un autre serviteur de Dieu : « Du Nord, j’ai fait surgir un homme… » Il s’agit de Cyrus sans doute, comme en Isaïe 40,13 : »Qui a indiqué au Seigneur l’homme (qui réalisera) son dessein ? ». Nous retrouvons ce même serviteur en Isaïe 42,9; 46,11; 44,28; 45,1-6… Quelle est la mission de Cyrus ? Dieu lui promet « d’abaisser les nations devant lui, déboucler les ceintures des rois, ouvrir les battants des portes, Dieu lui donne trésors et richesses… à cause de son peuple ». Le prophète dit de lui « qu’il sera un oiseau de proie… » (Is 46,11).
Tout autre est la figure d’un autre serviteur, surtout dans ces quatre poèmes (Is 42,1-7; 49,1-9; 50,4-9; 52,13-53,12). « Voici mon serviteur que je soutiens… j’ai mis mon esprit sur lui, il fera paraître le jugement parmi les nations. Il ne criera pas, il n’élèvera pas la voix… il ne brisera pas le roseau blessé… je t’ai destiné à être alliance des nations, lumière des peuples… à ouvrir les yeux des aveugles… » (Is 42,1-7). Ce serviteur reçoit une mission de justice, de guérison, une mission universelle pour toutes la nations. Pourtant il connaît des difficultés, des souffrances, il dira même: « C’est en vain que je me suis fatigué, pour du vide, du vent, que j’ai épuisé mon énergie. En fait mon droit m’attendait près du Seigneur » (Is 49,4). Il souffrira, sera persécuté (Is 50,6). Ce serviteur est un disciple, avec une mission prophétique de réconfort, de consolation : « Tu m’as ouvert l’oreille pour que j’écoute comme un disciple pour que je puisse réconforter l’épuisé… » (Is 50,4-5). Mais surtout sa mission se vit à travers le sacrifice de lui-même pour son peuple, dans sa douceur, son silence,- alors qu’il porte le péché de son peuple, – son offrande de lui-même jusqu’à être rejeté, traité comme puni de Dieu, mis à mort sans qu’on se préoccupe de son sort. Mais sa glorification contre toute attente, son intercession pour les pécheurs, en font une figure énigmatique, une parabole qui recèle un secret inconnu. Qui est le mystérieux Serviteur souffrant ? Ce serviteur ne peut pas être le conquérant Cyrus « oiseau de proie ». Est-il le portrait de Jérémie qui a souffert pour la parole de Dieu ? (Jr 20,8; 26,8.; 30,13…). Est-ce le prophète auteur de ces lignes ? Est-ce le peuple Israël tout entier ? On sait maintenant que le « Maître de Justice » de Qûmran, qui avait aussi été persécuté, disait que ces textes parlaient de lui C’est ainsi que le décrit Israël Knohl (2) , un Israélien, dans son livre « Un autre Messie ». Mais il ne semble pas que les docteurs de la Loi du temps de Jésus voyaient en ces textes des promesses prophétiques.
Comme toutes les paraboles, ces textes ne livrent leur secret qu’à ceux qui « écoutent la parole et qui la gardent » dans leur engagement vivant. Comment Jésus n’aurait-il pas entendu ces paroles comme parlant pour lui? Comment les premiers chrétiens n’auraient-ils pas décrypté le mystère du Serviteur et de Jésus l’un par l’autre? Ils le disent clairement, comme dans le récit de Philippe annonçant Jésus à l’eunuque de Candace, à partir du texte d’Isaïe 53 qu’il était en train de lire (Ac 8,26-37). Ou dans la première lettre de Pierre (1 P 2,24) ou encore par les mots qu’ils utilisent, par exemple quand Jean nous dit l »exaltation » de Jésus comme le Serviteur sera exalté (voir aussi Ro 4,25; 2 Co 5,21; Gal 3,13; Eph 2,14-18). En nous décrivant la Passion, les évangélistes font souvent allusion à ce grand poème du Serviteur souffrant ou même le citent (par exemple Mt 26,63; 27,38.60). On trouve aussi dans les évangiles d’autres citations pendant la vie de Jésus; par exemple : « Il a pris nos infirmités et s’est chargé de nos maladies » (Mt 8,17; Is 53,4; voir aussi Mt 12,18-21; Lc 22,37) « Il a été compté parmi les pécheurs » (Mc 15,28; Is 53,12; les références des différentes éditions des bibles actuelles nous renseigneront sur toutes les citations et les allusions). Nous trouvons dans la première lettre de Pierre un texte remarquable qui montre Jésus accomplissant la prophétie d’Isaïe et demandant aux chrétiens de suivre son exemple, d’accomplir eux aussi ce que disait le prophète : « Le Christ lui aussi a souffert pour vous, vous laissant un exemple afin que vous suiviez ses traces : Lui qui n’a pas commis de péché et dans la bouche duquel il ne s’est pas trouvé de tromperie, lui qui insulté ne rendait pas l’insulte, dans sa souffrance ne menaçait pas mais s’en remettait au juste Juge, lui qui, dans son corps, a porté nos péchés sur le bois, afin que morts à nos péchés nous vivions pour la justice, lui dont les meurtrissures nous ont guéris… » (1 P 2,21-24; Is 53,9…). Jésus lui-même semble bien avoir lu son destin à la lumière du poème d’Isaïe. Les annonces de la Passion, si présentes dans les évangiles, nous disent combien Jésus a senti grandir l’opposition autour de lui et s’est résolument présenté à Jérusalem pour un témoignage décisif qui, il le savait, le conduisait à la mort. Quand Jésus se reconnaît dans le Serviteur souffrant, il ne cultive pas le dolorisme. La souffrance du Serviteur lui est infligée par ceux qui le refusent, ceux qui le méprisent, le condamnent et le comptent pour rien. C’est l’amour du Serviteur, sa fidélité jusqu’à la mort, sans répondre à la violence par la violence ou la haine, qui le mène là : « S’il offre sa vie en sacrifice, il verra de longs jours et le dessein de Dieu par lui s’accomplira… Il intercédera pour les pécheurs » (Is 53,10…12). Les disciples ont refusé d’entrer dans cette perspective dangereuse et de l’accepter (voir Mc 8,31-33; 9,30-37; 10,32-45 et //); ce refus a entraîné leur fuite lors de l’arrestation de Jésus. Au moment de sa Passion, Jésus s’est donné à lui-même le nom de Serviteur : « Je suis au milieu de vous comme celui qui sert » (Lc 22,27). Luc met dans la bouche de Jésus après la résurrection: « Ne fallait-il pas que le Fils de l’Homme souffre cela pour entrer dans sa gloire » (Luc 24,26). Le mot de ‘gloire’ rappelle encore le poème d’Isaïe. La Lettre aux Philippiens contient un chant qui semble un décalque du poème d’Isaïe : « Le Christ, qui est de condition divine, n’a pas revendiqué pour lui d’être l’égal de Dieu. Mais il s’est dépouillé prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes et reconnu à son aspect comme un homme, il s’est abaissé devenant obéissant jusqu’à la mort et la mort de la croix. C’est pourquoi Dieu l’a exalté et lui a donné le Nom qui est au dessus de tout nom… » (Ph 2,2-9…).
5. Le Serviteur souffrant et nous
Israël porte le Christ comme une mère porte son enfant sans savoir ce qu’il deviendra. Cet enfant grandit encore en nous « jusqu’à la plénitude de la stature du Christ » (Eph 4,13), à travers nos vies, à travers l’histoire du monde. « Confessant la vérité dans l’amour, nous grandissons à tous égards vers Celui qui est la tête, Christ. Et c’est de lui que le corps tout entier, coordonné et bien uni grâce à toutes les articulations qui le desservent, selon une activité répartie à la mesure de chacun, réalise sa propre croissance pour se construire lui-même dans l’amour » (Eph 4,15-16).
Le poème du Serviteur souffrant est lu intégralement le vendredi saint. Il nous parle de Jésus, éclaire sa passion avec ce grand texte. Mais nous souvenant de la lettre de Pierre et d’autres textes semblables du Nouveau Testament, nous découvrons que la prophétie d’Isaïe devient aussi une parabole de ce qui constitue le cœur de l’être chrétien. Comme Jésus et à notre tour, nous avons à porter notre monde avec tout son mal et son espérance. Bien souvent, les chrétiens, comme le Christ, souffrent le martyre aujourd’hui encore. Mais chacun de nous est invité par Pierre à vivre à l’image du Christ tout simplement dans sa vie » à ne pas répondre à l’insulte, à ne pas menacer, à ne pas avoir dans notre bouche de la tromperie… ». Comme Paul aussi nous le disait, nous portons en nous la croissance du corps du Christ. Il disait aussi : « Je souffre en ma chair ce qui manque aux souffrances du Christ » (Col 1,24). Le poème de la lettre aux Philippiens est précédé d’un encouragement de Paul à ses correspondants, leur demandant « d’avoir eux et entre eux les sentiments qui ont été ceux du Christ » (Ph 2,1-5).
Retour à la case de départ
Partant de l’interrogation de Pomilio (1) , dans l’introduction : « Quel est le cinquième évangile? », nous nous demandions qui était le Serviteur souffrant. Nous sommes mieux à même de répondre maintenant. Le Serviteur souffrant, annoncé par Isaïe, c’est tout à la fois le peuple d’Israël, le Christ, d’une manière unique, parce qu’il a pénétré mieux que n’importe qui le cœur de ce mystère de solidarité et de salut et « qu’habite en lui toute la plénitude » (Col 2,9). Mais aussi, pour leur part, chacun des Juifs ou des Chrétiens qui se confronte au texte, se laisse interpeller, « écoute la Parole et la garde dans sa vie ».
Nous aimons citer en finale un texte de Steinbeck (3) , dans son livre « Les raisins de la colère » (il s’agit d’un homme qui défendait ses frères au péril de sa vie lors d’une crise terrible aux Etats-Unis où des milliers de paysans ont été chassés de leurs terres par les grandes entreprises agricoles):
« Un homme n’a pas à soi une âme unique, mais seulement un morceau de l’âme du monde… à ce moment-là, tout n’a plus d’importance. Je serai toujours là, partout, dans l’ombre. Partout où il y aura une bagarre pour que les gens puissent avoir à manger, je serai là. Partout où il y aura une police en train de passer un type à tabac quand il défend ses frères, je serai là. Dans les cris des gens qui se mettent en colère parce qu’ils n’ont rien dans le ventre, je serai là… Le comprends-tu ? »
Le ‘service’, demandé au chrétien, n’est pas un acte de bonté qu’il consent à faire, mais une exigence de son être. Disciple du ‘Serviteur’, il devient lui-même ‘serviteur’. Le service, que la plupart d’entre nous accepte volontiers de réaliser comme des actes de partage ou de sollicitude, est avant tout une disposition intérieure, un prolongement de l’amour de Dieu. Invisiblement, cette disposition intérieure change le monde, le regard que nous portons sur lui, la source des relations que nous entretiendrons avec lui. Les divers services extérieurs que nous pouvons rendre nous sollicitent à être dans la vie de tous les jours des êtres de non-violence, fidèles jusqu’à la mort.
Marie-Philippe Schùermans
(1) M. Pomilio, Le cinquième Evangile, trad. de l’italien, prix Napoli 1975, éd. Fayard, Paris, 1977
(2) I. Knohl, L’autre Messie, éd. Albin Michel, Paris 2001
(3) J. Steinbeck, Les raisins de la colère, trad. de l’américain, éd.