JOSEPH RATZINGER – MON CONCILE VATICAN II

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JOSEPH RATZINGER

MON CONCILE VATICAN II

P. Bernard Xibaut Perpignan, Artège, 2011. – Esprit & Vie n°235 – mai 2011, p. 51-53.

Paru presque en même temps que le second tome du Jésus de Nazareth, ce titre en a surpris plus d’un lorsqu’il l’a découvert… Mais plutôt qu’un nouvel opus fraîchement rédigé, c’est une compilation de textes existants ou de conférences prononcées dans le prolongement du Concile. Il n’en demeure pas moins que ces pages sont importantes, elles apportent un éclairage utile sur les options théologiques de l’actuel pape. La première impression laissée par cet ouvrage est une certaine perplexité : il est en effet difficile de comprendre d’emblée la manière dont il a été composé. La signature « Joseph Ratzinger » semble indiquer qu’il ne s’agit pas d’une œuvre « pontificale », mais d’un témoignage antérieur, mais renvoie-t-elle au jeune théologien, à l’archevêque de Munich ou au cardinal-préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi ? Ajoutons – pour compliquer les choses – que le livre s’achève par le fameux discours du 22 décembre 2005 au cours duquel c’est bien le pape qui s’exprime : Benoît XVI oppose, dans l’interprétation du Concile, une « herméneutique de la réforme » à une « herméneutique de la discontinuité ». Au dos de la page de titre, l’éditeur précise qu’il s’agit d’une traduction et d’une adaptation française ayant reçu le copyright en mars 2011, mais aucune mention n’est faite de la version originale : quel est son titre ? Où et quand a-t-elle paru ? S’agit-il d’un livre unique ou de publications éparses ? Plusieurs indices militent en faveur de cette seconde hypothèse : l’avant-propos du chapitre II évoque un mystérieux « premier volume » et celui du chapitre III un « opuscule » en plusieurs parties. Grâce à une préface de Mgr Bernard Ginoux, évêque de Montauban, les choses s’éclaircissent quelque peu : l’essentiel de l’ouvrage est constitué de Conférences sur les grands enjeux de Vatican II données par le jeune prêtre théologien choisi par le cardinal Frings comme expert, au fil même des sessions conciliaires et de la discussion des schémas. Dès lors, le livre s’apparente au genre littéraire des journaux rédigés par des participants du Concile, à cela près que ces derniers n’étaient pas tous écrits en vue d’être publiés du vivant de leur auteur, tandis que les conférences de Joseph Ratzinger étaient par nature destinées à un public, ce qui excluait tout commentaire d’ordre confidentiel. S’agissant d’un personnage aussi considérable que le pape, il eût probablement été sage de s’en tenir strictement à la publication de ces conférences, datées du temps du Concile, ou d’établir de manière plus visible la distinction entre l’introduction de l’abbé Éric Iborra, qui occupe une cinquantaine de pages, les conférences proprement dites et les deux textes ajoutés en annexe, à savoir une conférence donnée à Bamberg en 1966 et le discours de 2005, auquel il a déjà été fait allusion. Cela étant dit, au-delà de la manière dont elles ont été mises en forme et présentées, l’ouvrage présente bien évidemment un intérêt majeur à travers toutes ses parties : le texte de l’abbé Iborra – qui pose clairement le problème de la réception du Concile -, les différentes conférences, situées à chaque intersession et par conséquent localisées en dehors de Rome, et… les deux textes ajoutés en annexes. Au cœur du Concile Parce que le jeune Ratzinger y explique les tenants, les aboutissants et les enjeux de certaines décisions prises par les évêques lors de chaque session qui précède, ses conférences présentent un incontestable intérêt didactique. Cela vaut d’abord pour la narration de la dynamique conciliaire : la question du choix des commissions lors de l’ouverture de la première session, la manière dont s’est posée la question œcuménique au début de la deuxième session, la mise en place de la doctrine de la collégialité, le combat autour du « schéma XIII ». Tous ces rebondissements de Vatican II, nous les connaissons depuis longtemps dans le moindre détail par d’autres chroniques, mais il n’est pas inintéressant d’enregistrer le témoignage particulier de l’expert Ratzinger. Fait notable à signaler : le conférencier aborde les événements sans offenser les personnes ; on ne trouve guère dans sa bouche de propos outranciers sur tel ou tel évêque. Lorsqu’il parle d’ » intégristes » pour désigner Mgr Lefebvre et ses amis du Coetus internationalis Patrum, on aimerait vérifier la version allemande : Ratzinger emploie probablement le vocable « Fundamentalist ». À moins d’être prophète, il ne pouvait utiliser durant le Concile une expression qui prendra tout son sens lors du schisme ultérieur. Quant au mot allemand traduit par « progressistes », il induit une simple signification d’ » hommes de progrès », sans la nuance d’excès que comporte le vocable français. On voit donc que la traduction de certains mots aurait mérité une note de commentaire pour éviter les contresens : rappelons-nous le tollé suscité par l’emploi, dans la bouche du cardinal Ratzinger, du mot « restauration », qui évoque en France un « retour en arrière », depuis la « Restauration » monarchique de 1815, alors qu’il voulait désigner une « rénovation ». On peut penser que Ratzinger nuance les oppositions entre conservateurs et novateurs en rappelant une autre ligne de fracture, apparue entre théologiens français et théologiens allemands, sur laquelle les commentateurs francophones se montrent généralement assez discrets : en cela, il amorce déjà son herméneutique de la continuité. La réflexion théologique Au-delà de l’apport sur l’histoire du Concile, les conférences de Joseph Ratzinger manifestent un intérêt proprement théologique. En même temps qu’il présente à ses auditeurs la tournure des différents débats, il apporte en effet sa propre contribution. Comment ne pas citer ici le développement autour du problème de la liturgie ? En ce domaine délicat, le lecteur relève plusieurs critiques assez acerbes de la « liturgie fossilisée », accompagnées d’un appel audacieux aux « questions posées par les protestants », susceptibles d’ » aiguillonner la réflexion sur l’héritage de l’Église ancienne ». Ajoutons, pour être complet, que le conférencier subordonnait la réussite de la réforme liturgique alors en cours à un certain nombre de conditions dont il peut dire aujourd’hui qu’elles n’ont pas été réalisées… L’apport théologique du futur pape se révèle encore dans les grandes questions ecclésiologiques : doctrine de la collégialité épiscopale, de la sacramentalité de l’épiscopat, question de la liberté religieuse, etc. Au fil de la lecture, on ne peut s’empêcher de relever avec malignité que le jeune théologien regrettait que le Synode des évêques reste soumis à la seule convocation du pape et qu’il affirmait que « l’Église se réalise d’abord et surtout dans chacune des Églises locales », lui qui deviendra le plus chaud partisan de l’antériorité chronologique et ontologique de l’Église universelle sur l’Église locale ! Progressivement, l’intérêt se déplace donc du Concile proprement dit vers l’interprétation de la pensée de Joseph Ratzinger : « son Concile », tel qu’il le présentait entre 1963 et 1966, est-il encore celui qu’il commente aujourd’hui ? En d’autres termes, doit-on invoquer « une herméneutique de la continuité » ou « une herméneutique de la rupture » pour évaluer cinquante ans de pensée de Benoît XVI : simple apport de « nuances » – comme il le concède dans Le Sel de la terre – ou maintien de l’ » impulsion fondamentale » ? Ce n’est certainement pas le moindre intérêt de cette publication, à quelques mois du cinquantième anniversaire de l’ouverture de Vatican II.

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