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DIMANCHE 12 JANVIER : COMMENTAIRES DE MARIE NOËLLE THABUT – ISAÏE 42, 1-4. 6-7
10 janvier, 2014http://www.eglise.catholique.fr/foi-et-vie-chretienne/commentaires-de-marie-noelle-thabut.html
DIMANCHE 12 JANVIER : COMMENTAIRES DE MARIE NOËLLE THABUT
PREMIERE LECTURE – ISAÏE 42, 1-4. 6-7
Ainsi parle le Seigneur : 1 Voici mon serviteur que je soutiens, mon élu en qui j’ai mis toute ma joie. J’ai fait reposer sur lui mon esprit ; devant les nations, il fera paraître le jugement que j’ai prononcé. 2 Il ne criera pas, il ne haussera pas le ton, on n’entendra pas sa voix sur la place publique. 3 Il n’écrasera pas le roseau froissé ; il n’éteindra pas la mèche qui faiblit, il fera paraître le jugement en toute fidélité. 4 Lui ne faiblira pas, lui ne sera pas écrasé, jusqu’à ce qu’il impose mon jugement dans le pays et que les îles lointaines aspirent à recevoir ses instructions… 6 Moi, le SEIGNEUR, je t’ai appelé selon la justice, je t’ai pris par la main, je t’ai mis à part, j’ai fait de toi mon Alliance avec le peuple, et la lumière des nations ; 7 tu ouvriras les yeux des aveugles, tu feras sortir les captifs de leur prison, et de leur cachot, ceux qui habitent les ténèbres.
La difficulté de ce texte vient de sa richesse ! Comme beaucoup de prédications des prophètes, celle-ci est très touffue : beaucoup de choses sont dites en quelques phrases. Je vais essayer de décomposer le texte. Pour commencer, visiblement, il comprend deux parties : c’est Dieu qui parle d’un bout à l’autre, mais, dans la première partie, il parle de celui qu’il appelle « son serviteur » (« Voici mon serviteur que je soutiens… »), tandis que, dans la seconde, il parle directement à son serviteur (« Moi, le SEIGNEUR, je t’ai appelé selon la justice, je t’ai pris par la main… »). Je m’attache d’abord à la première partie : première remarque, je devrais dire premier étonnement : le mot « jugement » revient trois fois. « Mon serviteur fera paraître le jugement que j’ai prononcé… il fera paraître le jugement en toute fidélité… Il ne faiblira pas, il ne sera pas écrasé, jusqu’à ce qu’il impose mon jugement… » Or c’est peut-être là que nous allons avoir des surprises, car ce jugement, curieusement, ne ressemble pas à un verdict ; pourtant, spontanément, pour nous, le mot « jugement » est souvent évocateur de condamnation, surtout quand il s’agit du jugement de Dieu. Mais ici, il n’est pas question de condamnation, il n’est question que de douceur et de respect pour tout ce qui est fragile, « le roseau froissé », « la mèche qui faiblit » : « Il ne criera pas, il ne haussera pas le ton, on n’entendra pas sa voix sur la place publique. Il n’écrasera pas le roseau froissé ; il n’éteindra pas la mèche qui faiblit ». Autre caractéristique de ce jugement, il concerne toute l’humanité : tout le développement sur le jugement est encadré par deux affirmations concernant les nations, c’est-à-dire l’humanité tout entière ; voici la première : « Devant les nations, il fera paraître le jugement que j’ai prononcé » et la deuxième : « Lui ne faiblira pas, lui ne sera pas écrasé, jusqu’à ce que les îles lointaines aspirent à recevoir ses instructions. » On ne peut pas mieux dire que la volonté de Dieu est une volonté de salut, de libération, et qu’elle concerne toute l’humanité. Il attend avec impatience « que les îles lointaines aspirent à recevoir ses instructions », c’est-à-dire son salut. Tout cela veut dire qu’à l’époque où ce texte a été écrit, on avait compris deux choses : premièrement, que le jugement de Dieu n’est pas un verdict de condamnation mais une parole de salut, de libération. (Dieu est ce « juge dont nous n’avons rien à craindre » comme le dit la liturgie des funérailles). Deuxièmement, que la volonté de salut de Dieu concerne toute l’humanité. Enfin, dernier point très important, dans le cadre de cette mission, le serviteur est assuré du soutien de Dieu : « Voici mon serviteur que je soutiens… J’ai fait reposer sur lui mon esprit ». La deuxième partie du texte reprend ces mêmes thèmes : c’est Dieu lui-même qui explique à son serviteur la mission qu’il lui confie : « Tu ouvriras les yeux des aveugles, tu feras sortir les captifs de leur prison, et de leur cachot, ceux qui habitent les ténèbres. » Ici, non seulement il n’est pas question de condamnation, mais le jugement est un véritable « non-lieu » ou même plus exactement une levée d’écrou ! L’image est forte : vous avez entendu le lien entre le mot « cachot » et le mot « ténèbres ». Je m’explique : les cellules des prisons de l’époque étaient dépourvues de fenêtres ; sortir de prison, c’était retrouver la lumière du jour, au point d’en être ébloui après un long temps passé dans l’obscurité. Le caractère universel de la mission du serviteur est également bien précisé. Dieu lui dit : « J’ai fait de toi la lumière des nations ». Enfin, le soutien de Dieu est également rappelé : « Moi, le SEIGNEUR, je t’ai appelé… je t’ai pris par la main ». Evidemment, une question se pose tout de suite : de qui parle Isaïe ? Une telle description d’un serviteur de Dieu, investi d’une mission de salut pour son peuple et pour toute l’humanité, et sur qui repose l’esprit de Dieu, c’était exactement la définition du Messie qu’on attendait en Israël. C’est lui qui devait instaurer le règne de Dieu sur la terre et apporter à tous le bonheur et la liberté. Mais Isaïe ne nous précise pas son identité. Qui est ce serviteur, investi d’une telle mission ? Nous trouverons la réponse en allant consulter la traduction que les Juifs eux-mêmes ont faite de ce passage quelques siècles plus tard, vers 250 av.J.C., lorsqu’ils ont traduit la Bible hébraïque en grec, (cette traduction que nous appelons la Septante). Voici le début de notre texte dans la Septante : « Ainsi parle le Seigneur : Voici mon serviteur, Jacob, que je soutiens, mon élu, Israël, en qui j’ai mis toute ma joie ». Alors on comprend mieux l’intention du prophète lorsqu’il adressait cette prédication à ses contemporains : l’auteur (qu’on appelle le Deuxième Isaïe) a vécu et prêché au temps de l’Exil à Babylone donc au sixième siècle av.J.C. C’était une période particulièrement dramatique et le peuple d’Israël croyait être condamné à disparaître et n’avoir plus aucun rôle à jouer dans l’histoire. Alors le prophète Isaïe a consacré toutes ses forces à redonner courage à ses compatriotes, à tel point qu’on appelle son oeuvre « le livre de la consolation d’Israël ». Or, une bonne manière de remonter le moral des troupes consistait à leur dire : tenez bon, Dieu compte encore sur vous, le petit noyau que vous formez est appelé à être son serviteur privilégié dans son oeuvre de salut du monde. Déjà, le prophète Michée, au huitième siècle, avait eu l’intuition que le Messie ne serait pas un individu, mais un être collectif ; désormais, avec cette prédication d’Isaïe, l’idée d’un Messie collectif s’affirme de plus en plus. ————
Compléments - La lecture liturgique ajoute la première phrase : « Ainsi parle le Seigneur » probablement pour compenser la suppression du verset 5 au milieu du texte. - Voici le verset 5 : « Ainsi parle Dieu, le Seigneur, qui crée les cieux et les déploie : il dispose la terre avec sa végétation, il donne la vie au peuple qui l’habite, et le souffle à ceux qui la parcourent. » La deuxième partie du livre d’Isaïe (celle qu’on appelle « le livret de la consolation d’Israël) est riche d’évocations superbes de la Création : c’est dans les périodes les plus difficiles que l’on développe ce thème de la puissance créatrice de Dieu et de son amour pour ses créatures : c’est le meilleur argument pour garder l’espoir. Sa puissance créatrice et sa fidélité sont le meilleur gage de notre libération.
HOMÉLIE DU BAPTÊME DU SEIGNEUR, ANNÉE A
10 janvier, 2014http://parolesdudimanche.blogs.lalibre.be/
HOMÉLIE DU BAPTÊME DU SEIGNEUR, ANNÉE A
IS 42, 1-4 ; AC 10, 34-38 ; MT 3, 13-17
(Homélie prononcée en la cathédrale SS. Michel et Gudule en 2005)
Nous ne sommes pas pétris de culture biblique. Nous n’avons pas appris à jongler avec la panoplie d’images et de symboles qui ont façonné la mentalité du peuple d’Israël. Que pouvons-nous comprendre du baptême de Jésus comme manifestation de Dieu dans le monde ? Nous risquons de l’imaginer en DVD. Mais, à l’époque, la télévision n’existait pas. Personne n’a filmé l’événement, personne n’a enregistré les déclarations du baptiseur, ni les paroles du baptisé. Les évangélistes ne sont pas des journalistes, ni des historiens. Par contre, ils sont témoins de ce qu’ils ont vécu avec Jésus. Témoins de ce qu’ils ont expérimenté avec ceux et celles qui furent les premiers chrétiens.Aujourd’hui, en cette fête que les chrétiens d’Orient célèbrent comme Epiphanie, car c’en est une, les trois lectures bibliques viennent de nous en décrire l’annonce, le signe ET sa concrétisation dans la vie de l’Eglise naissante. Des siècles auparavant, des prophètes avaient évoqué un Messie venant guérir l’aveuglement spirituel d’Israël par le feu. Isaïe, pour sa part, présentait l’élu de Dieu recevant son Esprit. Un Messie qui n’écrasera pas le roseau froissé, qui n’éteindra pas la mèche qui faiblit. Un libérateur pour les captifs, une lumière pour les aveugles de l’esprit. Jean le baptiseur, lui, annonçait un Messie tout proche, qui baptiserait dans l’Esprit Saint et le feu. Sans trop savoir ce que cela pouvait signifier exactement. Or, le feu purifie ce qui est contagieux et réduit en cendres les idoles. Il y a aussi le feu de la Parole, le feu de l’Amour, le feu qui cautérise et guérit les blessures. Jean avait l’étoffe d’un libérateur. Il s’adressait à tous, incirconcis, malades, mendiants, et même étrangers. A tous ceux et celles dont les idées et le comportement étaient mal vus des autorités religieuses et des cercles pieux. Il osait même dire leurs quatre vérités aux hommes de pouvoir, tant civil que religieux. Cependant, Jésus ira plus loin qu’un nouveau rituel de purification comparable à une » lessive spirituelle « . Il s’agira de plonger dans la mort du Christ pour entrer avec lui dans l’univers de la résurrection. C’est-à-dire renaître à une vie nouvelle, quitter le strict régime de la Loi, pour adopter celui de l’amour qui est communion et miséricorde. Luc nous l’explique en nous faisant découvrir, dans les Actes, comment les premières communautés chrétiennes ont émergé, péniblement, de traditions figées et de jugements étroits. C’était l’époque où Paul, un pharisien intolérant, ennemi numéro un des chrétiens, venait d’être baptisé. Ces jours-là, un » tract » était distribué à l’entrée du Temple, des synagogues et dans les nouvelles petites communautés qui se réclamaient du Ressuscité. Ce pamphlet, intitulé » l’imposture de Joppé « , émanait des milieux chrétiens, composés surtout de juifs convertis. Il condamnait l’attitude scandaleuse de Pierre, qui avait osé fraterniser avec un centurion païen, alors que, pour un juif, c’était un crime que d’avoir ne fut-ce que quelque contact avec un païen impur (Ac 10, 28). Le comble ! La déclaration de Pierre s’adressait à une assistance en majorité païenne… Et que dit-il ? Il s’est rendu compte que Dieu est impartial et, qu’en toute nation, quiconque le craint et pratique la véritable justice trouve accueil auprès de lui » (Ac 10, 34-35). On racontait même que les croyants circoncis, qui avaient accompagné le chef des apôtres, avaient été stupéfaits de voir l’Esprit Saint tomber sur ces gens qui n’avaient même pas reçu le baptême (Ac 10, 44-45). On imagine aisément la suite. Pierre, de retour à Jérusalem, dut longuement se justifier pour être entré chez des incirconcis notoires et d’avoir mangé avec eux (11, 1-3). Et que répond-il ? : » J’ai enfin compris ce que voulait nous dire le Seigneur : » Jean a donné le baptême d’eau. Mais vous, vous allez recevoir le baptême dans l’Esprit Saint. » Voilà l’essentiel, voilà la nouveauté. L’histoire des tracts est fictive. Mais elle résume ce que Luc détaille dans les Actes des Apôtres. Ce qui signifie que les proches de Jésus eurent du mal à interpréter les actes et directives du maître. Comme nous avons peine à nous laisser constamment éclairer et convertir au rythme des surprises de l’Esprit. Or, l’Esprit ne cesse jamais de contester les raideurs sclérosantes de la lettre et de faire éclater les ghettos, les barrières et autres obstacles que nous ne cessons de construire. Chaque époque a ses prophètes qui interprètent les signes de leur temps. Ils inspirent des réformes et indiquent de nouvelles voies à suivre. Chaque époque a aussi ses nostalgiques. Des croyants frileux, qui se réfugient sous la protection des règlements, et tentent de fermer les portes que l’Esprit s’efforce d’ouvrir. Chaque époque a ses Paul, inspirés, qui osent et qui risquent. Chacune a ses Pierre, qui hésitent, discernent, et finissent par s’engager. Chaque époque a ses » résistants » et ses » intégristes « , qui vivent dans la méfiance, le soupçon, la peur, l’ignorance et crient au sacrilège. Ne refusons pas de nous laisser baptiser par l’Esprit Saint et d’écouter cette voix qui vient du ciel : » Ce que Dieu a rendu pur, toi, ne vas pas le déclarer immonde « . Osons faire confiance à l’Esprit qui nous dit, comme à Pierre, de répondre positivement à l’invitation des païens, des sans dieu, des sans religion. » Sans aucun scrupule « , précise Luc (Ac 11, 12). Il y a 45 ans, l’Esprit s’est efforcé, par le Concile, de nous faire comprendre, par exemple, que sainteté et vérité sont aussi présentes dans les autres Eglises. Et même dans les religions non chrétiennes. » L’Eglise catholique ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans les diverses religions » (Nostra Aetate, 2). Encore faut-il passer de la zone sereine des principes à leur incarnation dans la vie quotidienne. Ce qui dépend de nous tous et de chacun. Moi, comme vous. Mais, ce n’est jamais sans risques… Nous voici donc invités à nous laisser baptiser dans l’Esprit en y mettant le prix.
P. Fabien Deleclos, franciscain (T) 1925 – 2008