INITIATION AU MONACHISME DES PREMIERS SIÈCLES CHRÉTIENS – CHAPITRE I –
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INITIATION AU MONACHISME DES PREMIERS SIÈCLES CHRÉTIENS
CHAPITRE I -
(seule une partie des ailes 4 , suivie par jusqu’à 9 – seulement à la partie 4 , suivie par jusqu’à 9, IVol. 1 : Égypte et Palestine)
LES ANTECEDENTS
DU MONACHISME CHRETIEN
1. DANS L’ANCIEN TESTAMENT
En scrutant l’Ancien Testament (même si vous utilisez un super ordinateur en six langues… mais rien ne vaut de faire le travail par soi-même!), on ne trouve pas de « moines » à proprement parler. Par contre, on trouve quelques traits de spiritualité monastique. C’est ce dont je vais vous entretenir présentement et qui vous permettra de mieux comprendre combien le monachisme chrétien est radicalement nouveau ; il est évangélique; il est une bonne nouvelle vécue.
Cette trace de spiritualité monastique est le naziréat. Qu’est-ce? Le mot signifie « consacré », et, très précisément le terme hébreu signifie « vœu ». Regardons tout d’abord les textes puis nous déduirons la structure de cette consécration.
- Gen. 49,26 « Que les bénédictions du Seigneur viennent sur la tête de Joseph, sur le front du consacré d’entre ses frères ». (Cf en parallèle : Dt, 33,16). Vous me direz que cela n’apporte pas grand chose! Mais tout de même on apprend ainsi que cette pratique du naziréat est très ancienne, qu’elle est antérieure à Moïse. Ce texte s’éclaire par d’autres : (Soit dit en passant, cette méthode d’étude de textes les uns par les autres est spécifiquement de la lectio divina).
- Juges 13,5-7 : « Le rasoir ne passera pas sur sa tête car l’enfant sera nazir de Dieu ».(il s’agit de Samson). Voir aussi Juges 13,13-14.
- Juges 16,17 : « Le rasoir n’a jamais passé sur ma tête car je suis nazir de Dieu depuis le sein de ma mère. »
De ces passages du Livre des Juges, on déduit que le naziréat se signale par :
. la chevelure jamais coupée
. l’abstinence même de raisin, de toute nourriture impure
. le nazir (ici Samson) est un charismatique : il est agité par l’esprit de Dieu (Juges 13,25).
. Il ne se sépare pas du reste du peuple, et ceci est radicalement différent de ce que pratiquera le monachisme chrétien.
- 1 Sam.1,11 : « Alors je le donnerai au Seigneur pour toute sa vie et le rasoir ne passera pas sur sa tête ».
- Mais le principal texte concernant le naziréat dans l’Ancien Testament se trouve dans le Livre des Nombres, 6,11 sq. :
» Quand un homme ou une femme entend s’acquitter d’un vœu, le vœu de naziréat, par lequel il est voué au Seigneur, il s’abstiendra de vin et de boissons fermentées, il ne boira pas le vinaigre que l’on tire de l’un ou de l’autre, il ne boira aucun jus de raisin, il ne mangera ni raisins frais ni raisins secs. Durant tout le temps de sa consécration il ne prendra aucun produit du cep de vigne, depuis le verjus jusqu’au marc. Aussi longtemps qu’il sera consacré par son voeu, le rasoir ne passera pas sur sa tête; jusqu’à ce que soit écoulé le temps par lequel il s’est voué au Seigneur, il sera consacré et laissera croître librement sa chevelure. Durant tout le temps de sa consécration au Seigneur, il ne s’approchera pas d’un mort, ni par son père, ni par sa mère (…) car il porte sur sa tête la consécration de son Dieu. Durant tout le temps de son naziréat, il est consacré au Seigneur » .
Puis aux versets 13 et suivants, vous avez le rituel du nazir. A la fin de sa consécration (car vous avez remarqué que ce vœu peut être temporaire ou définitif), le nazir est emmené à l’entrée de la tente du Rendez-vous où il offre un sacrifice pour le péché, puis un sacrifice de communion. Il reçoit du prêtre et présente au Seigneur les oblats du sacrifice de communion. Alors il peut boire du vin.
Il est encore un autre exemple de nazir, à la charnière de l’Ancien et du Nouveau Testament : c’est Jean, le Baptiste (Luc 1, 15) : « Il ne boira pas ni vin, ni boisson forte, il sera nazir dès le sein de sa mère ». Vous me direz qu’il n’est pas écrit explicitement que Jean Baptiste est nazir, et qu’en plus il n’est pas mentionné qu’il gardait sa chevelure sans la couper, signe par excellence du nazir. C’est vrai, mais souvenez-vous de Samson dont nous venons de parler : la force de Dieu (de l’Esprit de Dieu) est liée à sa chevelure. En Luc il est dit que Jean est rempli de l’Esprit-Saint. Peut-être cette force implique-t-elle que Jean ne s’est jamais coupé les cheveux (pour être signe). De plus, Jean précède le Christ, il attend sa venue; il est un veilleur, ce qui sera l’une des fonctions essentielles du moine.
EN RÉSUMÉ DE CETTE COURTE ÉTUDE, NOUS POUVONS CONCLURE QUE:
Ne pas se couper les cheveux ……………. signifie que la force de Dieu agit sur le nazir.
Ne pas boire de boisson fermentée …….. signifie le rejet de la vie facile.
Ne pas approcher un cadavre……….. .signifie que l’on appartient spécialement à Dieu.
A ces trois signes du naziréat, on peut ajouter : la durée, temporaire ou définitive, parfois dès le sein maternel, sans limite de temps.
Notons que l’on ne trouve pas toujours les trois éléments. Par exemple, pour Samuel, il n’est pas dit qu’il s’abstenait de vin.
Vous remarquerez aussi que dans son vœu le nazir n’est tenu qu’à des pratiques – ou absences de pratiques – « extérieures » et non pas forcément morales, fondamentales, ni spirituelles. Ces pratiques sont cependant des signes d’une consécration à Dieu.
1.2. Il y a d’autres traces de « monachisme » dans l’Ancien Testament. Je ne les développerai pas ici car vous étudierez cela plus en détail au cours d’Ecriture Sainte, mais je vous citerai simplement : ELIE, cette grande figure biblique. Elie, lié aussi à Jean Baptiste. Et par là, je voudrais vous faire prendre conscience (mais nous y reviendrons) que le monachisme est lié au prophétisme. Ce lien atteint son apogée avec Jésus, le prophète par excellence, le moine par excellence.
2. DANS LE NOUVEAU TESTAMENT
2.1. JESUS, plus libre dans son comportement et plus libéral que Jean Baptiste. « Il mange et boit avec les pécheurs » etc… Et pourtant, Jésus reçoit le baptême de pénitence, lui qui n’a pas péché. Il passe quarante jours au désert (avec tout le symbolisme du nombre quarante : une vie, une génération…). Il lance l’appel à tout quitter pour le suivre (cf. Mt 16,21-28 et montre en même temps l’impossibilité de suivre deux maîtres. Tout cela manifeste une rupture radicale avec la Loi, aussi radicale que celle de Jean.
2.2. Saint PAUL recommande l’état de virginité qui permet d’être au Seigneur sans partage, sans division (« simple » = monos); voyez le grand texte de 1 Co. 7. De la deuxième Lettre de Paul à Timothée (2,4), les moines vont retenir le principe que les militaires en service ne se laissent pas impliquer dans les affaires séculières. De même si les moines veulent plaire à Dieu, à Celui auquel ils se sont voués, ils sont tendus vers lui, préoccupés de lui seul : « tendu de tout mon être , je cours en avant vers le prix que Dieu m’appelle à recevoir là-haut en Christ Jésus. » (Phil. 3,13-14). Cette tension vers le Christ – que Grégoire de Nysse appellera épectase, est toute monastique.
Autrement dit, le moine est un veilleur qui attend le retour du Christ. Cette spiritualité donnera naissance aux Pères neptiques (nepsis = veille).
3. LES ESSENIENS
Avant d’aller plus loin dans les antécédents du monachisme chrétien, je voudrais vous parler d’un mouvement communautaire juif contemporain de Jean Baptiste et de Jésus, les esséniens.
3.1. Qu’est-ce que c’est ?
Pline l’Ancien, Philon en parlent. Cette secte – car c’était une secte juive – a eu une influence réelle sur la première communauté chrétienne et sur le monachisme des premiers siècles chrétiens. On connaît les esséniens non seulement par les textes anciens, mais aussi par le lieu où ils s’étaient établis : Qumrân, au bord de la Mer Morte, là où l’on a retrouvé en 1947 les restes d’un véritable monastère.
Cette communauté juive habitait un vaste bâtiment dressé sur un promontoire dominant la Mer Morte ainsi que vingt-cinq grottes. Les bâtiments, avec huit cours intérieures, comprenaient un réfectoire, une cuisine, des salles de réunion, une lingerie, deux poteries, huit citernes (de différentes tailles). L’eau y était amenée par des canaux. On a même décelé les traces d’un barrage.
En 68, lorsqu’elle dut fuir devant le général romain Vespasien et la dixième légion romaine – qui détruisirent la plupart des locaux – la communauté enveloppa ses manuscrits dans des jarres en terre cuite qu’elle cacha dans des grottes. On a retrouvé, dix-neuf siècles plus tard, toute cette précieuse bibliothèque. Le climat très sec de la région a permis la conservation intacte de ces manuscrits pendant deux mille ans.
3.2. Quel est le projet de vie de cette communauté ?
On le connaît par l’un des manuscrits qui est la Règle de la Communauté. Cette règle aurait été écrite entre 100 et 75 avant Jésus-Christ.
Le supérieur est le Maître de Justice. Les points les plus saillants de la Règle sont les suivants :
obéissance au supérieur et obéissance mutuelle
correction fraternelle
humilité
amour fraternel.
A travers tout ce texte on dégage une « spiritualité », un appel à la perfection et à la sainteté. Mais vous allez le constater, cette soif de perfection et de sainteté est assez élitiste et même « puriste ». On retrouvera cela périodiquement dans la vie de l’Eglise : des chrétiens puristes au point de devenir une secte, que ce soit au II ème siècle avec Montan et Tertullien, ou au Moyen-Age avec les cathares.
La sainteté, dans la Règle de la communauté, se traduit par la communion avec le monde céleste : Dieu et les anges. La perfection se traduit par l’observance exacte de toute la Loi.
Autre point-clé de cette Règle de vie : la conversion et le culte que l’on vit dans l’action de grâce jubilante. Enfin, le célibat fait partie de toutes ces sectes dont je vous parlais à l’instant. Les relations conjugales vont être considérées comme mauvaises (ce qui est chrétiennement faux). Mais à Qumrân, on trouvera, liée au célibat, la conviction d’exercer une fonction sacerdotale. Ceci est intéressant pour la grave question, plus tardive, du célibat des prêtres.
Signalons aussi la place, dans cette règle, de l’interprétation des Ecritures et du discernement des esprits. Vous voyez, nous avons là un ensemble très charismatique.
3.3. Comment se passait une journée?
. Avant le lever du soleil, la communauté se rassemble dans une grande salle de réunion pour la prière matinale.
. Puis chacun vaque à son travail (travail qui a lieu dans l’enceinte du monastère) : potier, teinturier, copiste, jardinier, cuisinier, boulanger…
. A 11 heures a lieu le bain de purification pour lequel on revêt un pagne de lin.
. Succède à cela le repas communautaire : élément très important de la vie à Qumrân. C’est une véritable liturgie à laquelle ne participent que ceux qui sont définitivement engagés dans la communauté. Pour ce repas on revêt des vêtements sacrés. Lorsque tous les membres sont à leur place, le boulanger distribue un pain à chacun, puis le cuisinier remet une écuelle à chacun. Ensuite a lieu la prière de bénédiction (on ne mange pas avant). A la fin du repas, on dit les grâces. A la sortie, on défait ses vêtements sacrés et on retourne au travail jusqu’au soir.
. Repas du soir.
. Veillée nocturne quand le soleil se couche jusque tard dans la nuit. Cette veillée dure trois heures et demie.
3.4. Les membres de la communauté
On commence par une année de postulat, puis une année de noviciat. Après quoi on s’engage par un serment que l’on renouvelle chaque année. Pendant les deux années probatoires, on s’initie à l’idéal d’ascèse et de sainteté de la communauté : vie de prière, vie de travail, vie d’étude de la Loi.
Cette communauté était-elle mixte? On n’a pas de certitudes absolues sur ce point. Mais on a retrouvé des ossements de femmes. Il semble donc que oui.
3.5 LE MONACHISME DE QUMRÂN ET LA SPIRITUALITÉ CHRÉTIENNE
Ils sont issus d’un même germe : l’idéal communautaire et fraternel esquissé dans l’Ancien Testament, ainsi que la vocation à être un peuple saint par une pratique parfaite de la volonté divine. Mais la différence essentielle est que les gens de Qumrân se situent dans une perspective vétéro-testamentaire, c’est-à-dire une perspective légaliste, même lorsqu’ils s’efforcent de se laisser conduire par l’Esprit de Vérité. Le monachisme chrétien se réfère à la personne de Jésus.
Jean Baptiste a peut-être cheminé quelque temps avec les esséniens. En tous cas il s’en serait séparé car tel que nous le présente l’Evangile, il ne vivait pas en communauté.
Jésus a donné à ses disciples (surtout aux Apôtres) une forme de vie communautaire et fraternelle proche de celle des esséniens. Par exemple, la déclaration de Jésus à Simon : « Tu es Pierre… » est un parallèle d’une hymne essénienne plus ancienne. Jésus apparaît comme ré-éditant, de façon nouvelle, le rôle du Maître de Justice. Mais Jésus se démarque aussi radicalement de certaines pratiques esséniennes telles celle d’éviter les souillures, celles concernant le mariage, etc….
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