Archive pour le 1 novembre, 2013
DIMANCHE 3 NOVEMBRE : COMMENTAIRES DE MARIE NOËLLE THABUT -
1 novembre, 2013http://www.eglise.catholique.fr/foi-et-vie-chretienne/commentaires-de-marie-noelle-thabut.html
DIMANCHE 3 NOVEMBRE : COMMENTAIRES DE MARIE NOËLLE THABUT
PREMIERE LECTURE – Sagesse 11, 23 – 12 , 2
11, 23 Seigneur, tu as pitié de tous les hommes,
parce que tu peux tout.
Tu fermes les yeux sur leurs péchés,
pour qu’ils se convertissent.
24 Tu aimes en effet tout ce qui existe,
tu n’as de répulsion envers aucune de tes oeuvres ;
car tu n’aurais pas créé un être
en ayant de la haine envers lui.
25 Et comment aurait-il subsisté,
si tu ne l’avais pas voulu ?
Comment aurait-il conservé l’existence,
si tu ne l’y avais pas appelé ?
26 Mais tu épargnes tous les êtres,
parce qu’ils sont à toi,
Maître qui aimes la vie,
12, 1 toi dont le souffle impérissable anime tous les êtres.
2 Ceux qui tombent, tu les reprends peu à peu,
tu les avertis, tu leur rappelles en quoi ils pèchent,
pour qu’ils se détournent du mal,
et qu’ils puissent croire en toi, Seigneur.
Il est superbe ce texte ! Tout entier rédigé à la deuxième personne, comme une prière : ce n’est pas une méditation sur Dieu, c’est une parole adressée à Dieu, une parole de gratitude ; et ce genre littéraire tout à fait particulier nous donne un texte très émouvant. Plutôt que « gratitude », il faudrait dire « reconnaissance » au double sens du terme ; dans la « reconnaissance », il y a deux choses : il y a d’abord la connaissance et parce qu’il y a la connaissance, il peut y avoir la gratitude ; Israël a reçu ce privilège extraordinaire de la Révélation et donc d’une certaine connaissance et reconnaissance de Dieu. Or le livre de la Sagesse est un texte très tardif (il a été écrit seulement dans les années 50 av.J.C.) ; cela veut dire qu’il vient au terme de l’histoire biblique et qu’il a bénéficié de toute la maturation de la foi d’Israël ; on ne s’étonne donc pas d’y trouver une sorte de synthèse de toutes les découvertes que le peuple élu a faites au long des siècles.
Le texte que nous lisons ici est une hymne adressée au Dieu créateur ; il ne faut pas se priver de lire les versets qui précèdent tout juste ceux d’aujourd’hui : « Ta grande force est toujours à ta disposition ; qui résistera à la vigueur de ton bras ?… Oui, le monde entier est devant toi comme le poids infime qui déséquilibre une balance, comme la goutte de rosée matinale qui descend vers le sol ». Images superbes pour dire notre petitesse devant Dieu. Spontanément, cette conscience de la puissance de Dieu et de notre propre impuissance pourrait nous remplir de peur : historiquement, c’est certainement le premier sens de l’expression « crainte de Dieu ». Mais Dieu s’est révélé progressivement à Israël comme celui dont il ne faut pas avoir peur.
Car la première découverte d’Israël, on le sait bien, ou si l’on préfère, le premier article du credo d’Israël c’est « Dieu libère son peuple », Dieu accompagne son peuple dans son entreprise de libération, et cela gratuitement, sans aucun mérite du peuple, simplement par amour. La foi d’Israël est née de cette expérience vécue de l’Alliance avec ce Dieu qui libère, le Dieu de l’Exode, le « Dieu de tendresse et de fidélité », comme il s’est révélé lui-même à Moïse. Et donc, quand Israël réfléchit sur l’oeuvre de la Création, il l’envisage à partir de son expérience et il en déduit que la Création est elle aussi une oeuvre d’amour. Alors la peur n’est plus de mise : dans la foi, Israël garde une grande conscience de sa petitesse, mais il sait que la puissance de Dieu n’est qu’amour. Et alors, petit à petit, l’expression « crainte de Dieu » a changé de sens. Désormais cette conscience de notre petitesse alimente une grande confiance.
Cette Révélation progressive accordée à Israël tout au long de son expérience d’Alliance avec Dieu affleure à plusieurs reprises dans ce passage d’aujourd’hui. En voici quelques traces : par exemple, nous lisons dans le livre de la Sagesse : « Tu aimes tout ce qui existe, tu n’as de répulsion envers aucune de tes oeuvres ; car tu n’aurais pas créé un être en ayant de la haine envers lui. Et comment aurait-il subsisté si tu ne l’avais pas voulu ?… Maître qui aimes la vie »… Il y a là un écho du merveilleux poème de la Création, au premier chapitre de la Genèse avec cette phrase qui revient comme un refrain « Dieu vit que cela était bon ». D’un bout à l’autre, ce poème de la Genèse affirme que Dieu aime ses créatures.
« Maître qui aimes la vie », cela veut dire aussi que la mort n’aura pas le dernier mot : c’est cette découverte que Dieu aime la vie et les vivants qui a progressivement amené Israël à croire à la résurrection des morts. « Toi, dont le souffle impérissable anime tous les êtres » : là encore il y a une résonance avec la Genèse, mais avec le chapitre 2 cette fois, le deuxième récit de création : « Le SEIGNEUR Dieu modela l’homme avec de la poussière prise du sol. Il insuffla dans ses narines l’haleine de vie, et l’homme devint un être vivant. » Magnifique image pour dire que l’homme vit suspendu au souffle de Dieu.
Mais surtout, ce qui suscite la gratitude du croyant, c’est que l’amour du Créateur résiste à toutes nos infidélités ; sa puissance n’est pas domination : pour nous, elle est soutien et relèvement ! C’est cela la vraie puissance : « Tu as pitié de tous les hommes parce que tu peux tout ». On sait bien que le pardon demande beaucoup plus de force que la vengeance ; un peu plus loin le livre de la Sagesse le dit très clairement : « Celui dont le pouvoir absolu est mis en doute fait montre de sa force… mais toi, Dieu, ta maîtrise sur tous te fait user de clémence envers tous » (Sg 12, 13-18). Si Dieu pardonne, c’est parce qu’il aime la vie et les vivants justement, et c’est pour qu’on vive : « Tu as pitié de tous les hommes parce que tu peux tout… Tu fermes les yeux sur leurs péchés POUR qu’ils se convertissent… Ceux qui tombent, tu les reprends peu à peu, tu les avertis, tu leur rappelles en quoi ils pèchent POUR qu’ils se détournent du mal et qu’ils puissent croire en toi. » On entend là un écho du livre d’Ezéchiel : « Dieu ne veut pas la mort du pécheur mais qu’il se convertisse et qu’il vive » (Ez 18, 23).
Autre écho : le livre de la Sagesse dit « Ceux qui tombent, tu les reprends peu à peu, tu les avertis » ; le livre du Deutéronome comparait la patiente pédagogie de Dieu envers son peuple à celle d’un père « Le SEIGNEUR ton Dieu faisait ton éducation comme un homme fait celle de son fils » (Dt 8, 5). Force est bien d’admettre que Dieu n’a pas fini de déployer sa patience à notre égard, que sa pédagogie n’est pas terminée, qu’il reste beaucoup à faire pour que nous soyons vraiment détournés du mal… mais il a toute la patience qu’il faut. Comme dit Saint Pierre, « Pour le Seigneur, un seul jour est comme mille ans et mille ans sont comme un jour ».
——————-
Compléments
- Sg 11, 23 : « Tu as pitié de tous les hommes parce que tu peux tout. » Un peu plus loin, l’auteur développe : « Celui dont le pouvoir absolu est mis en doute fait montre de sa force… mais toi, Dieu, ta maîtrise sur tous te fait user de clémence envers tous. » (Sg 12, 13-18). Dans le film « La liste de Schindler », il y a un moment très intense où le héros du film, Schindler, est en face du chef du camp de concentration : le chef du camp a le pouvoir de vie et de mort sur les prisonniers et, à cet instant précis, il a envie de tuer un jeune garçon. Schindler lui explique qu’il serait beaucoup plus grand en usant de son pouvoir pour faire vivre que pour faire mourir.
- Sg 11, 26 : « Maître qui aimes la vie » : cela veut dire que les solutions de mort sont contraires au projet de Dieu.
BENOÎT XVI: 2 NOVEMBRE 2011 – COMMÉMORATION DE TOUS LES FIDÈLES DÉFUNTS
1 novembre, 2013BENOÎT XVI
AUDIENCE GÉNÉRALE
SALLE PAUL VI
MERCREDI 2 NOVEMBRE 2011 – COMMÉMORATION DE TOUS LES FIDÈLES DÉFUNTS
Chers frères et sœurs !
Après avoir célébré la solennité de tous les saints, l’Eglise nous invite aujourd’hui à commémorer tous les fidèles défunts, à tourner notre regard vers les nombreux visages qui nous ont précédés et qui ont conclu leur chemin terrestre. Au cours de l’Audience d’aujourd’hui, je voudrais donc vous proposer quelques pensées simples sur la réalité de la mort qui pour nous, chrétiens, est illuminée par la Résurrection du Christ, et pour renouveler notre foi dans la vie éternelle.
Comme je le disais déjà hier au cours de l’Angélus, nous nous rendons ces jours-ci au cimetière pour prier pour les personnes chères qui nous ont quittés, nous allons en quelque sorte leur rendre visite pour leur exprimer, une fois de plus, notre affection, pour les sentir encore proches, en rappelant également, de cette façon, un article du Credo : dans la communion des saints existe un lien étroit entre nous, qui marchons encore sur cette terre, et nos nombreux frères et sœurs qui ont déjà atteint l’éternité.
Depuis toujours, l’homme se préoccupe de ses morts et tente de leur donner une deuxième vie à travers l’attention, le soin, l’affection. D’une certaine façon, on veut conserver leur expérience de vie ; et, paradoxalement, c’est précisément des tombes devant lesquelles se bousculent les souvenirs que nous découvrons la façon dont ils ont vécu, ce qu’ils ont aimé, ce qu’ils ont craint, ce qu’ils ont espéré, et ce qu’ils ont détesté. Celles-ci représentent presque un miroir de leur monde.
Pourquoi en est-il ainsi ? Car, bien que la mort soit souvent un thème presque interdit dans notre société, et que l’on tente constamment de chasser de notre esprit la seule idée de la mort, celle-ci concerne chacun de nous, elle concerne l’homme de tout temps et de tout lieu. Et devant ce mystère, tous, même inconsciemment, nous cherchons quelque chose qui nous invite à espérer, un signe qui nous apporte un réconfort, qui nous ouvre un horizon, qui offre encore un avenir. Le chemin de la mort, en réalité, est une voie de l’espérance et parcourir nos cimetières, comme lire les inscriptions sur les tombes, signifie accomplir un chemin marqué par l’espérance d’éternité.
Mais nous nous demandons : pourquoi éprouvons-nous de la crainte face à la mort ? Pourquoi une grande partie de l’humanité ne s’est-elle jamais résignée à croire qu’au-delà de la mort, il n’y pas pas simplement le néant ? Je dirais qu’il existe de multiples réponses : nous éprouvons une crainte face à la mort car nous avons peur du néant, de ce départ vers quelque chose que nous ne connaissons pas, qui nous est inconnu. Il existe alors en nous un sentiment de rejet parce que nous ne pouvons pas accepter que tout ce qui a été réalisé de beau et de grand au cours d’une existence tout entière soit soudainement effacé, tombe dans l’abîme du néant. Et surtout, nous sentons que l’amour appelle et demande l’éternité et il n’est pas possible d’accepter que cela soit détruit par la mort en un seul moment.
De plus, nous éprouvons de la crainte à l’égard de la mort car, lorsque nous nous trouvons vers la fin de notre existence, existe la perception qu’un jugement est exercé sur nos actions, sur la façon dont nous avons mené notre vie, surtout sur les zones d’ombre que nous savons souvent habilement éliminer ou que nous nous efforçons d’effacer de notre conscience. Je dirais que c’est précisément la question du jugement qui est souvent à l’origine de la préoccupation de l’homme de tous les temps pour les défunts, de l’attention pour les personnes qui ont compté pour lui et qui ne sont plus à ses côtés sur le chemin de la vie terrestre. Dans un certain sens, les gestes d’affection et d’amour qui entourent le défunt sont une façon de le protéger dans la conviction qu’ils ne demeurent pas sans effet sur le jugement. C’est ce que nous pouvons constater dans la majorité des cultures qui caractérisent l’histoire de l’homme.
Aujourd’hui, le monde est devenu, tout au moins en apparence, beaucoup plus rationnel, ou mieux, la tendance s’est diffusée de penser que chaque réalité doit être affrontée avec les critères de la science expérimentale, et qu’également à la grande question de la mort on ne doit pas tant répondre avec la foi, mais en partant de connaissances expérimentables, empiriques. On ne se rend cependant pas suffisamment compte que, précisément de cette manière, on a fini par tomber dans des formes de spiritisme, dans la tentative d’avoir un contact quelconque avec le monde au-delà de la mort, presque en imaginant qu’il y existe une réalité qui, à la fin, serait une copie de la réalité présente.
Chers amis, la solennité de la Toussaint et la commémoration de tous les fidèles défunts nous disent que seul celui qui peut reconnaître une grande espérance dans la mort, peut aussi vivre une vie à partir de l’espérance. Si nous réduisons l’homme exclusivement à sa dimension horizontale, à ce que l’on peut percevoir de manière empirique, la vie elle-même perd son sens profond. L’homme a besoin d’éternité et toute autre espérance est trop brève, est trop limitée pour lui. L’homme n’est explicable que s’il existe un Amour qui dépasse tout isolement, même celui de la mort, dans une totalité qui transcende aussi l’espace et le temps. L’homme n’est explicable, il ne trouve son sens profond, que s’il y a Dieu. Et nous savons que Dieu est sorti de son éloignement et s’est fait proche, qu’il est entré dans notre vie et nous dit : « Je suis la résurrection et la vie. Qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ; et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais » (Jn 11, 25-26).
Pensons un moment à la scène du Calvaire et écoutons à nouveau les paroles que Jésus, du haut de la Croix, adresse au malfaiteur crucifié à sa droite : « En vérité, je te le dis, aujourd’hui tu seras avec moi dans le Paradis » (Lc 23, 43). Pensons aux deux disciples sur la route d’Emmaüs, quand, après avoir parcouru un bout de chemin avec Jésus Ressuscité, ils le reconnaissent et partent sans attendre vers Jérusalem pour annoncer la Résurrection du Seigneur (cf. Lc 24, 13-35). Les paroles du Maître reviennent à l’esprit avec une clarté renouvelée : « Que votre cœur ne se trouble pas ! Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi. Dans la maison de mon Père, il y a de nombreuses demeures ; sinon, je vous l’aurais dit ; je vais vous préparer une place » (Jn 14, 1-2). Dieu s’est vraiment montré, il est devenu accessible, il a tant aimé le monde « qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle » (Jn 3, 16), et dans l’acte d’amour suprême de la Croix, en se plongeant dans l’abîme de la mort, il l’a vaincue, il est ressuscité et nous a ouvert à nous aussi les portes de l’éternité. Le Christ nous soutient à travers la nuit de la mort qu’Il a lui-même traversée; il est le Bon Pasteur, à la direction duquel on peut se confier sans aucune crainte, car Il connaît bien la route, même dans l’obscurité.
Chaque dimanche, en récitant le Credo, nous réaffirmons cette vérité. Et en nous rendant dans les cimetières pour prier avec affection et avec amour pour nos défunts, nous sommes invités, encore une fois, à renouveler avec courage et avec force notre foi dans la vie éternelle, ou mieux, à vivre avec cette grande espérance et à la témoigner au monde : derrière le présent il n’y a pas le rien. C’est précisément la foi dans la vie éternelle qui donne au chrétien le courage d’aimer encore plus intensément notre terre et de travailler pour lui construire un avenir, pour lui donner une espérance véritable et sûre. Merci.
31E DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE – HOMÉLIE
1 novembre, 2013http://www.homelies.fr/homelie,,3639.html
31E DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE
DIMANCHE 3 NOVEMBRE 2013
FAMILLE DE SAINT JOSEPH
HOMÉLIE MESSE
Zachée est sans doute un des personnages les plus connus et aussi les plus sympathiques des évangiles. Pourtant on ne peut pas dire que ce soit un homme très fréquentable – du moins au départ de son itinéraire. Il est non seulement collecteur, mais « chef des collecteurs d’impôts » c’est-à-dire l’intermédiaire entre les receveurs de taxes et l’administration romaine. Ce poste était fort envié, car il permettait de brasser pas mal d’argent ; mais celui qui l’occupait était ipso facto exclu de la société civile et religieuse juive, en tant que collaborateur direct de l’occupant.
Saint Luc nous apprend qu’il « était de petite taille » : était-ce pour compenser un complexe d’infériorité qu’il avait consenti à ce métier peu honorable, mais qui lui donnait un pouvoir exorbitant sur son entourage ? Était-ce pour se venger des quolibets qu’il avait dû endurer durant son enfance ? Quoi qu’il en soit, sa petite taille lui joue à nouveau un mauvais tour puisqu’elle l’empêche de voir la route où Jésus va passer. On imagine sans peine les rires sarcastiques et revanchards de la foule qui, à la vue du petit homme, se ressert encore davantage pour l’empêcher de se glisser au premier rang.
« Il courut en avant et il grimpa sur un sycomore pour voir Jésus qui devait passer par là » : c’est probablement la détermination et l’astuce de Zachée, associées à l’absence de respect humain, qui le rendent sympathique malgré tous les antécédents qui plaident contre lui. La scène a quelque chose à la fois de cocasse et de bon enfant : un homme adulte, perché maladroitement sur un arbre et cherchant à se cacher dans les frondaisons qui s’étendent au-dessus de la route. La foule l’a bien sûr remarqué et ne manque pas de se moquer bruyamment de lui, trop heureuse de voir s’exposer au ridicule celui qu’elle redoute en d’autres circonstances.
La surprise vient de la réaction de Jésus, qui va faire basculer le récit. Loin de se joindre aux sarcasmes et aux mépris de la foule, Notre-Seigneur s’arrête et pose sur Zachée un regard amusé certes, mais bienveillant. Jésus « lève les yeux » comme pour cueillir un fruit mûr et ouvre le dialogue avec lui : « “Zachée descends vite” : tu veux t’élever, te grandir aux yeux de tous pour compenser ta petite taille mais ce n’est pas ainsi que tu pourras me rencontrer. Le Dieu que tu as trahi et que pourtant tu cherches dans ton cœur, n’est pas dans les hauteurs : “devenu semblable aux hommes et reconnu comme un homme à son comportement, il s’est abaissé lui-même” (Ph 2, 7-8), il est descendu jusqu’à toi, il se tient même en dessous de toi pour ne pas t’humilier comme le font tes concitoyens ; et il vient jusqu’à toi pour mendier ton hospitalité : “aujourd’hui il faut que j’aille demeurer chez toi” ».
« Il faut que » : étonnante nécessité, à laquelle fera écho cet autre parole de Jésus Ressuscité aux disciples d’Emmaüs : « Ne fallait-il pas que le Messie souffrit tout cela pour entrer dans sa gloire ? » (Lc 24, 26) Cette halte du Seigneur dans la maison de Zachée, juste avant sa Passion, résume tout son ministère : « le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu ». Notre-Seigneur n’a pas dit « celui qui était perdu », mais « ce qui était perdu ». Qu’avait donc perdu Zachée, sinon la grâce, dont le péché l’a privé ? « Il fallait » que le Fils de l’homme descende dans notre humanité, pour nous rendre la vie filiale que nous avions perdue par nos fautes.
Surpris de voir le Maître « lever le regard » vers lui, Zachée esquisse un geste de recul, cherchant à s’enfoncer plus profondément dans la frondaison. Mais lorsque Jésus lui intime de descendre pour l’accueillir, il n’ose en croire ses oreilles ; cependant l’ordre du Maître s’impose à lui, et fou de joie il descend à toute vitesse de son perchoir pour rejoindre Jésus et l’introduire dans sa maison.
Jamais dans tout son récit, saint Luc ne précise que les pharisiens reçoivent Jésus à leur table « avec joie ». Or dans le troisième évangile – appelé encore « l’évangile de la joie » – celle-ci trahit toujours la présence de l’Esprit Saint. Pensons en particulier à l’atmosphère de joie et même d’allégresse spirituelle, qui préside à la rencontre de Marie et d’Élisabeth dans l’épisode de la visitation (Lc 1, 39-56). Serait-ce donc que l’Esprit habite davantage le cœur du pécheur Zachée que celui des chefs religieux, ces hommes réputés « justes » en raison de leur stricte observance de la loi ? Ce n’est certes pas le péché qui a attiré l’Esprit Saint dans le cœur de Zachée ; mais force nous est de constater que ce ne sont pas davantage les œuvres des pharisiens qui les sanctifient.
La joie résulte du repos de l’âme dans un bien aimé et ardemment désiré. Telle est la joie de Zachée, qui s’est laissé toucher par les propos de Jésus dont il a entendu les enseignements à l’abri des regards indiscrets. Il s’est pris à aimer ce rabbi dont les paroles de miséricorde ont transpercé son cœur. Aussi brûlait-il secrètement du désir de le voir. Lorsqu’en s’invitant chez lui, Jésus vient au devant de ce désir, Zachée ouvre son cœur à la grâce, et l’Esprit manifeste immédiatement sa présence, non seulement par la joie qui l’envahit, mais aussi en le libérant de son avarice et en lui donnant accès à la liberté du don.
Telles ne sont pas les dispositions intérieures des pharisiens, plus préoccupés de saisir le moindre motif de critique, voire de condamnation dans les propos et les agissements de ce rabbi qui leur fait de l’ombre. Loin de brûler d’amour pour Jésus, c’est plutôt la flamme de la haine qui embrase leur cœur. Devant l’enthousiasme des foules, leur aversion ne fait que croître, et leur tristesse morbide se transforme en rage meurtrière. Comment pourraient-ils « recevoir Jésus avec joie » ?
Le secret de Zachée, c’est d’avoir su distinguer clairement sa malice objective, dont il avait bien conscience, et la bienveillance – bien plus objective encore – de Jésus, dont il s’est perçu aimé, non pas malgré ses fautes, mais à cause de son péché. Se convertir ne signifie pas changer de vie de manière volontariste, mais se laisser trouver par Jésus, qui désire être l’hôte de nos cœurs. Ce n’est que dans la mesure où nous accueillons « le salut dans notre maison », que le Seigneur « par sa puissance, nous donnera d’accomplir tout le bien que nous désirons, et qu’il rendra active notre foi ».
« Seigneur, tu poses ce même regard de tendresse à chaque instant sur chacun de nous ; un regard porteur du même message d’espérance. “Tu fermes les yeux sur nos péchés pour que nous nous convertissions et que nous puissions croire vraiment en toi” (1ère lect.). Tu ne désires rien d’autre que de nous voir participer à ta gloire, en nous donnant part à ta vie dans l’Esprit (cf. 2nd lect.). Ce n’est pas nous qui te cherchons, mais c’est toi qui vient au-devant de nous en mendiant notre hospitalité. Aujourd’hui, moi aussi, comme Zachée, je veux te recevoir avec joie, toi qui es venu pour me combler de la grâce que j’avais perdue et que je peux enfin retrouver en toi. »
Père Joseph-Marie