L’ESPRIT SAINT ET LE MYSTÈRE DE L’UNITÉ DANS LA DIVERSITÉ
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L’ESPRIT SAINT ET LE MYSTÈRE DE L’UNITÉ DANS LA DIVERSITÉ
PAR UN MOINE DU MONASTÈRE DE SAINT-MACAIRE (ÉGYPTE)
Sans la diversité fonctionnelle qui les distingue, les membres du corps ne formeraient pas une unité organique, mais un simple amalgame dépourvu de vie. Saint Paul a singulièrement mis en relief cette vérité : Si tout le corps était œil, où serait l’ouïe ? Si tout était oreille, où serait l’odorat ?… Si le tout était un seul membre, où serait le corps ? (1 Co 12,16-17;19).
Que l’on nous permette de citer à ce propos un passage particulièrement éclairant du père Matta el-Maskîne :
« Si nous désirons parvenir à une juste conception de l’unité, nous devons renoncer à l’idée de supprimer toute différence entre les membres, et cesser de vouloir en éliminer la diversité, la distinction et les aptitudes particulières, qui sont justement les principes constitutifs de toute unité intégrale. La plénitude de l’unité et sa valeur relèvent de l’harmonieuse combinaison des diverses parties, de l’accord entre les caractères variés, et du concours des aptitudes différentes. Le groupement humain qui perdrait la capacité de conserver le caractère particulier de chacune de ses parties, et même d’en favoriser le développement propre dans l’harmonie mutuelle, cesserait d’être une unité organique vivante et se réduirait à un simple amalgame humain ayant perdu les qualités de ses parties constituantes. La diversité des charismes est nécessaire à la construction de l’édifice ecclésial, tout comme la diversité des os l’est à la constitution du corps humain ; les fidèles s’harmonisent et se complètent, tout comme les os s’articulent dans la cohésion, par les jointures et les ligaments (Col 2,19) » (L’Église invisible, Le Caire, 1960, pp. 102 et 94).
Une des propriétés de l’Esprit est de se montrer varié et multiple en ses dons et ses charismes, tout en conservant intacte son unité ontologique. Nous avons rencontré cette affirmation plus d’une fois au cours de notre exposé, et tout d’abord dans les Épîtres de saint Paul : Il y a, certes, diversité de dons spirituels, mais c’est le même Esprit… Et tout cela, c’est le seul et même Esprit qui l’opère, distribuant ses dons à chacun comme il l’entend (1 Co 12,4;11).
C’est ensuite chez saint Jean que nous avons retrouvé ce mystère d’unité dans la pluralité, d’identité dans la diversité, qui est au cœur même de la réalité de l’Église, une et multiple, à l’instar de l’Esprit. Dans l’Apocalypse, l’Église et l’Esprit sont désignés tous deux tantôt au pluriel et tantôt au singulier : Les sept Esprits de Dieu…, les sept Églises…, ce que l’Esprit dit aux Églises…, l’Épouse…, l’Esprit et l’Épouse… Le sens de cette indétermination numérique est manifeste : l’Église tout comme l’Esprit a le pouvoir de se diversifier et pour ainsi dire de se distribuer, sans pour autant perdre son unité fondamentale.
Nous avons ensuite retrouvé ce thème de l’indivisibilité de l’Esprit dans la multiplicité de ses dons chez les Pères antérieurs à saint Cyrille le Grand, et notamment chez saint Ambroise et saint Basile. Rappelons la formule particulièrement heureuse de ce dernier :
« Simple par l’essence, multiple en ses puissants effets, tout entier présent à chacun et tout entier partout, sans atteinte à son impassibilité, il est partagé ; en gardant son intégrité, il se donne en partage » (Sur le Saint-Esprit, 9,22).
Toute cette tradition a été recueillie par saint Cyrille d’Alexandrie, qui l’a repensée, organisée et amplifiée. Il répète à plusieurs reprises que l’Esprit est « un et indivisible » (Commentaire sur s. Jean 19,20), et que c’est grâce à cette unité fondamentale qui lui est propre qu’il parvient à unir ensemble ceux qui le reçoivent. Et cependant ce Père tient à préciser, avec plus de vigueur que ses devanciers, que nous ne perdons pas notre personnalité propre par notre adhésion à l’unité de l’Esprit. Notre incorporation au Corps divin, loin de diluer nos caractéristiques propres dans une espèce d’agglomérat anonyme, conserve au contraire à chacun son nom et son caractère particulier :
« Coupés que nous sommes en hypostases propres, je veux dire individuelles, moyennant quoi l’un est Pierre ou Jean, l’autre Thomas ou Matthieu, nous sommes devenus concorporels dans le Christ, nourris de la même chair et scellés dans l’unité par l’unique Esprit-Saint » (Dialogues sur la Trinité, I).
« Et cependant nous restons distincts par la division de nos corps, chacun de nous se détachant par sa propre forme et sa propre hypostase. Car Paul ne peut ni être appelé ni devenir Pierre, et Pierre à son tour ne peut être Paul, bien que du point de vue de leur union par le Christ, ils ne fassent qu’un » (Commentaire sur s. Jean, 17,20 et 21).
Dans son commentaire du célèbre passage de saint Paul sur la diversité des dons spirituels (1 Co 12), saint Cyrille souligne la valeur positive de cette diversité. Elle contribue à rehausser la splendeur de la parure de l’Église, qui devient alors multicolore et, comme le dit le psaume, brochée d’or fin (cf. Ps 44/45,14) :
« L’Esprit opère la distribution des dons en chacun de façon différente, et cela afin que, tout comme ce corps épais et terrestre tire son existence de parties diverses, le Christ lui aussi – ou plus exactement son Corps qui est l’Église – reçoive sa constitution suprême de la grande multitude des saints dans l’unité spirituelle. C’est dans ce sens que le divin David dit (de l’Église) qu’elle est revêtue d’une robe brochée d’or, parée de couleurs variées. Il indique par là, à mon avis, la diversité des charismes et leur grande valeur » (Commentaire sur 1 Corinthiens, 12,9).
Il est intéressant de noter que ce même psaume (Ps 44/45, vv. 14-15) est aussi employé par saint Augustin pour illustrer la variété des usages dans l’Église. Pour lui, la diversité des rites, des disciplines et des traditions locales « ajoute à la parure de la fille du roi, l’Église, une robe tissée de fils d’or fin, aux reflets divers » (Épître 36,9,22).
Telle est l’incomparable splendeur de l’Église, qui résulte de l’harmonieuse synthèse des charismes et de la concorde des diverses personnalités. Tel est l’éclat multicolore de la Jérusalem céleste, tel qu’il est apparu à saint Jean le Théologien, sous la forme de pierres précieuses de toute couleur et de toute espèce qui formaient les assises de la ville sainte. Sans cette variété harmonisée par l’Esprit, l’Église ne serait plus qu’une masse inerte dépourvue de forme et de couleur, ou pour employer les termes du père Matta el-Maskîne, un simple « amalgame » dépourvu de vie.
Disons pour terminer que c’est justement dans cette diversité que se manifeste la toute-puissance divine, qui a pu transformer les maux mêmes subis par l’humanité par la faute d’Adam en valeurs positives dans le Christ Jésus. Adam était un être unique (avec Ève, il ne faisait qu’une seule chair (Gn 2,24)), mais, à la suite du péché, s’est glissé au cœur même de sa nature un principe de désintégration, de division et de démembrement, qui a abouti au morcellement de l’humanité et à la séparation des peuples, des nations et des langues.
C’est alors que l’indicible sagesse de Dieu et sa toute-puissance se sont particulièrement déployées dans la récapitulation de toute chose dans le Christ (Ép 1,10), sans pour autant supprimer le pluralisme des personnalités, des cultures et des langues, dont elles ont, tout au contraire, opéré la synthèse harmonieuse dans l’Esprit-Saint.
De la sorte, le déchirement et le morcellement de l’humanité qui ont fait suite au péché d’Adam se trouvent transformés en une variété positive des charismes dans le Christ Jésus, pour le plus grand progrès de l’humanité, jusqu’à ce qu’elle parvienne à former l’Homme parfait, à la taille du Christ en sa plénitude (Ép 4,13). La nature humaine dans le Christ Jésus est devenue, en raison même de cette variété des charismes dans l’harmonie spirituelle, infiniment plus féconde, plus belle et plus parfaite qu’elle n’avait été avant la chute dans le premier Adam, avec sa monotone uniformité.
Telle est l’incomparable supériorité du second Adam sur le premier.
Conclusion d’une étude réalisée par un disciple
du père Matta El-Maskîne et revue par lui.
Extrait de Prière, Esprit-Saint et unité chrétienne,
Bellefontaine (SO 48), 1990.
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