DIMANCHE 8 SEPTEMBRE : COMMENTAIRES DE MARIE NOËLLE THABUT – PREMIERE ET DEUXIEME LECTURES

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DIMANCHE 8 SEPTEMBRE : COMMENTAIRES DE MARIE NOËLLE THABUT

PREMIERE LECTURE – Sagesse 9, 13-18
13 Quel homme peut découvrir les intentions de Dieu ? 
 Qui peut comprendre les volontés du Seigneur ?
14 Les réflexions des mortels sont mesquines, 
 et nos pensées, chancelantes ;
15 car un corps périssable appesantit notre âme, 
 et cette enveloppe d’argile alourdit notre esprit aux mille pensées.
16 Nous avons peine à nous représenter ce qui est sur terre, 
 et nous trouvons avec effort ce qui est à portée de la main ; 
 qui donc a découvert ce qui est dans les cieux ?
17 Et qui aurait connu ta volonté, 
 si tu n’avais pas donné la Sagesse 
 et envoyé d’en haut ton Esprit Saint ?
18 C’est ainsi que les chemins des habitants de la terre 
 sont devenus droits ;
 c’est ainsi que les hommes ont appris ce qui te plaît 
 et, par ta Sagesse, ont été sauvés.

La Sagesse, au sens biblique, c’est la connaissance de ce qui rend heureux ou malheureux, l’art de vivre en quelque sorte. Le peuple d’Israël, comme tous ses voisins, a développé toute une réflexion sur ce sujet, à partir du règne de Salomon, dit-on. Mais l’apport d’Israël, dans ce domaine, est tout à fait original ; il tient en deux points : pour les hommes de la Bible, premièrement, Dieu seul connaît les secrets du bonheur de l’humanité ; et quand l’homme prétend les découvrir par lui-même, il s’engage immanquablement sur des fausses pistes : c’est la leçon du jardin d’Eden. Mais deuxièmement (et très heureusement), Dieu révèle à son peuple d’abord (pour toute l’humanité ensuite) ce secret du bonheur.
 C’est exactement le sens du texte que nous lisons ici : premier message, une leçon d’humilité. Isaïe avait déjà dit quelque chose du même genre : « Mes pensées ne sont pas vos pensées, dit Dieu… Mes chemins ne sont pas vos chemins » (Is 55, 8). C’était clair. Le livre de la Sagesse est écrit bien longtemps après le prophète Isaïe, il a un style tout différent, mais il dit la même chose : « Quel homme peut découvrir les pensées de Dieu ?… Qui peut comprendre les volontés du Seigneur ? » En d’autres termes, par nous-mêmes, il ne faut pas se leurrer, nous sommes à cent lieues d’imaginer ce que Dieu pense… Cela devrait nous rendre modestes : nous croyons facilement que nous avons tout compris et nous risquons de parler avec assurance… Eh bien non, il faut reconnaître humblement que nous n’avons pas la moindre idée de ce que Dieu pense ! En dehors de ce qu’il nous a dit expressément par la bouche de ses prophètes, bien sûr ! On croit entendre ici comme un écho du livre de Job : « La Sagesse, où la trouver ? Où réside l’intelligence ? On en ignore le prix chez les hommes et elle ne se trouve pas au pays des vivants… (mais) Dieu en a discerné le chemin, il a su, lui, où elle réside. » (Jb 28, 12. 23). Un peu plus loin, dans ce même livre (chapitres 38 à 41) Dieu rappelle à Job ses limites : à la fin de la démonstration, Job a compris, il s’incline, il avoue : « J’ai abordé sans le savoir des mystères qui me confondent. » (Jb 42,3).
 Pour revenir à notre texte du livre de la Sagesse, il est intéressant de constater que cette relativisation des connaissances de l’esprit humain se développe dans le milieu le plus intellectuel qui soit : le livre de la Sagesse a été écrit à Alexandrie qui était certainement à l’époque la capitale de l’intelligence ! Les disciplines scientifiques et philosophiques y étaient très développées et la bibliothèque d’Alexandrie est restée célèbre. C’est à ces grands esprits que l’auteur croyant vient rappeler les limites du savoir humain : « Les réflexions des mortels sont mesquines, et nos pensées chancelantes. »
 Petite précision sur le verset 16 : « Nous avons peine à nous représenter ce qui est sur terre, et nous trouvons avec effort ce qui est à portée de la main ; qui donc a découvert ce qui est dans les cieux ? » A première lecture on croirait que cela veut dire : quand on aura fini de découvrir la terre, on pourra chercher à comprendre ce qui est au ciel ; c’est seulement une question de distance ou de niveau de connaissances. Mais l’auteur du Livre de la Sagesse nous dit en réalité tout autre chose : ce n’est pas seulement une question de niveau de connaissances comme si un jour ou l’autre, on devait atteindre le bon niveau et découvrir les mystères de Dieu au bout de nos raisonnements et de nos recherches. C’est une affaire de nature : nous ne sommes que des hommes, il y a un abîme entre Dieu et nous. De la part de l’auteur inspiré, il y a là une affirmation de ce qu’on appelle la transcendance de Dieu : c’est-à-dire que Dieu est le Tout-Autre.
 Il faut donc avoir la lucidité de le reconnaître et abandonner nos prétentions orgueilleuses à tout comprendre et tout expliquer : Dieu est le Tout-Autre ; ses pensées ne sont pas nos pensées, comme dit Isaïe, elles sont hors de notre portée ; c’est pourquoi l’on parle de mystères, au sens des secrets de Dieu. Mais précisément, deuxième leçon de ce texte, c’est quand nous reconnaissons notre impuissance que Dieu lui-même nous révèle ce que nous ne découvrons pas tout seuls. Il nous donne son Esprit : « Qui aurait connu ta volonté, si tu n’avais pas donné la Sagesse et envoyé d’en-haut ton Esprit Saint ? » Ce que la lettre aux Ephésiens traduit ainsi : « Dieu nous a fait connaître le mystère de sa volonté… » (Ep 1, 9). Pour nous, baptisés, confirmés, ce passage prend un relief particulier ! Les autres lectures de ce dimanche nous diront quels comportements nouveaux nous inspire l’Esprit de Dieu qui nous habite.
 Pour le reste, il semble que ce texte développe une conception de l’homme qui n’est pas habituelle dans la Bible ; il décrit l’homme comme un être divisé, composé de deux éléments : un esprit immatériel et une enveloppe matérielle qui le contient : « Un corps périssable appesantit notre âme, et cette enveloppe d’argile alourdit notre esprit aux mille pensées. » Nous ne sommes pas habitués à ce type de langage, apparemment dualiste, dans la Bible qui, habituellement, insiste plutôt sur l’unité de l’être humain. En réalité, si l’auteur du livre de la Sagesse (qui écrit en milieu grec, ne l’oublions pas) utilise un vocabulaire qui ne rebutera pas ses lecteurs grecs, ce n’est pas un dualisme de l’être humain qu’il décrit, mais le combat intérieur qui se livre en chacun de nous et que Saint Paul décrit si bien : « Le bien que je veux, je ne le fais pas et le mal que je ne veux pas, je le fais. » (Rm 7, 19).
 En définitive, ce texte apporte sa contribution propre à la grande découverte biblique qui est double : Dieu est à la fois le Tout-Autre ET le Tout Proche. Dieu est le Tout-Autre : « Quel homme peut découvrir les intentions de Dieu ? Qui peut comprendre les intentions du Seigneur ? »… En même temps, il se fait le Tout Proche de l’homme : « Tu as donné la Sagesse et envoyé d’en-haut ton Esprit Saint… Ainsi les hommes ont appris ce qui te plaît et, par la Sagesse, ont été sauvés. »

DEUXIEME LECTURE – Philémon 9b… 17
Fils bien-aimé,
9 moi, Paul, qui suis un vieil homme, 
 moi qui suis aujourd’hui en prison à cause du Christ Jésus,
10 j’ai quelque chose à te demander pour Onésime, 
 mon enfant à qui, dans ma prison, j’ai donné la vie du Christ.
12 Je te le renvoie, 
 lui qui est une part de moi-même.
13 Je l’aurais volontiers gardé auprès de moi, 
 pour qu’il me rende des services en ton nom, 
 à moi qui suis en prison à cause de l’Evangile.
14 Mais je n’ai rien voulu faire sans ton accord, 
 pour que tu accomplisses librement ce qui est bien, 
 sans y être plus ou moins forcé.
15 S’il a été éloigné de toi pendant quelque temps, 
 c’est peut-être pour que tu le retrouves définitivement,
16 non plus comme un esclave, 
 mais, bien mieux qu’un esclave, comme un frère bien-aimé : 
 il l’est vraiment pour moi, 
 il le sera plus encore pour toi, 
 aussi bien humainement que dans le Seigneur.
17 Donc, si tu penses être en communion avec moi, 
 accueille-le comme si c’était moi.

Nous avons lu cet été des extraits de la lettre de Paul aux Colossiens : elle était adressée aux Chrétiens de la ville de Colosses en Turquie. Cette fois, nous lisons une lettre adressée à UN Colossien bien précis alors que Paul est en prison, sans qu’on sache exactement où. Ce correspondant est probablement un homme important, dont l’attitude compte aux yeux des autres. Il s’appelle Philémon, il est chrétien. Il a donc le grand privilège de recevoir de Paul une lettre personnelle, pleine de diplomatie, sur un sujet, il faut le dire, très délicat. Ce Philémon avait probablement plusieurs esclaves, l’histoire ne le dit pas ; en tout cas, il en avait un, du nom d’Onésime. Un beau jour, Onésime s’est enfui de chez son maître : ce qui était totalement interdit en droit romain. Un esclave appartenait à son maître comme un objet ; il ne pouvait disposer de lui-même, et la fuite même était sévèrement châtiée.
 Au cours de son escapade, Onésime a rencontré Paul, il s’est converti au Christianisme et s’est mis au service de Paul. La situation est très délicate : si Paul garde Onésime auprès de lui, il se fait le complice de son abandon de poste ; normalement, cela ne devrait pas être du goût de Philémon ; si Paul renvoie Onésime à Philémon, les choses risquent d’aller très mal pour l’esclave ; peut-être bien, d’ailleurs, n’est-il pas parti en odeur de sainteté, puisque Paul reconnaît un peu plus loin dans sa lettre que Onésime a peut-être des dettes vis-à-vis de son patron.
 Paul a choisi sa position : il renvoie Onésime à son maître, muni d’une lettre de demande de pardon ; il lui reste à convaincre Philémon : il déploie pour cela toutes les richesses de sa persuasion : « Moi qui suis un vieil homme en prison, j’ai quelque chose à te demander »… mais en précisant bien que la décision finale revient à Philémon : « Je te renvoie Onésime, je l’aurais volontiers gardé auprès de moi, pour qu’il me rende des services en ton nom… mais je n’ai rien voulu faire sans ton accord, pour que tu accomplisses librement ce qui est bien, sans y être plus ou moins forcé. » Paul affirme qu’il ne veut pas forcer la main de Philémon, mais il sait bien ce qu’il veut obtenir : c’est très progressivement qu’il le dévoile ; il commence par demander à Philémon de pardonner la fugue ; puis, plus que le pardon accordé à l’esclave, ce que Paul suggère, c’est une véritable conversion : désormais, puisqu’Onésime est baptisé, il est un frère pour son ancien maître : « Si Onésime a été éloigné de toi pendant quelque temps, c’est peut-être pour que tu le retrouves définitivement, non plus comme un esclave, mais, bien mieux qu’un esclave, comme un frère bien-aimé. » Pour finir, Paul va encore plus loin : « Si tu penses être en communion avec moi, accueille-le comme si c’était moi. »
 On est donc là dans une affaire très personnelle, et pourtant cette toute petite lettre de Paul à Philémon, qui remplit à peine une page, a été conservée au même titre que les autres dans la Bible ; ce qui revient à dire qu’on la reconnaît comme Parole de Dieu, comme Révélation.
 On peut se demander pourquoi : si je peux me permettre de risquer une réponse, je dirais trois choses : c’est premièrement, ce que l’Eglise appelle « l’égale dignité des Baptisés ». Comme le dit Paul dans la lettre aux Galates : « Il n’y a plus ni juif ni grec ; il n’y a plus ni esclave ni homme libre ; il n’y a plus l’homme et la femme ; car tous, vous n’êtes qu’un en Jésus-Christ. » (Ga 3, 28). Autrement dit, il n’y a plus que des Baptisés ; le baptême a fait de nous des frères en Jésus-Christ : et cette union intime en Jésus-Christ supprime toutes les distinctions antérieures. Il y a là un enseignement très fort sur le Baptême : la robe blanche du baptisé est là pour nous rappeler cette transformation intime ; désormais le baptisé n’est pas d’abord noir ou blanc, français ou étranger, patron ou employé, homme ou femme… il est d’abord un frère, un autre membre du Corps du Christ.
Deuxième point fort de cette lettre à Philémon, l’importance du quotidien de nos vies, de nos situations concrètes. Parce que, dans l’histoire d’Onésime, nous sommes presque au niveau du fait divers, on pourrait être tenté de dire : que chacun fasse bien comme il veut. Sur ce point, on pourrait s’interroger sur une phrase qu’on entend souvent : « Chacun fait ce qu’il veut de sa vie ». Je ne suis pas sûre que Jésus la signerait ! Car la lettre de Paul, justement, montre bien que notre manière de mener notre vie fait un tout : on n’est pas Chrétien à certaines heures seulement.
 Enfin Paul intervient dans un domaine parfaitement régi par la loi pour demander à Philémon de ne pas appliquer à son esclave les peines légales, et tout cela au nom de la charité chrétienne. Il n’empêche que si Philémon punit très sévèrement Onésime, il sera dans son plus parfait bon droit ! Ce qui revient à dire, et c’est là une troisième leçon : on peut être dans son droit et n’être pas selon l’Evangile ! Car nos lois ne sont pas toujours inspirées par l’Evangile ! A l’inverse, on voit dans cette lettre à Philémon que l’Esprit Saint dicte à Paul des comportements tout à fait contraires à la pratique légale de l’esclavage à son époque, mais dictés par la perspective de la création nouvelle

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