Archive pour le 5 septembre, 2013

Angelus Domini

5 septembre, 2013

Angelus Domini dans images sacrée Angelus3

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PETITE HISTOIRE DE L’ANGÉLUS

5 septembre, 2013

http://www.salve-regina.com/salve/Histoire_de_l’Angelus

PETITE HISTOIRE DE L’ANGÉLUS

Les origines de l’Angélus sont assurément liées à la diffusion de l’Ave Maria comme prière privée. Rappelons que l’Ave Maria ne comporta d’abord que la salutation de l’ange Gabriel et celle d’Elisabeth, selon le texte de saint Luc (I, 28 et 42) :
Réjouis-toi, pleine de grâce
Le Seigneur est avec toi
Bénies es-tu entre les femmes
Et béni le fruit de ton sein !

Le légendaire marial et les récits de Miracula, qui connurent une si grande vogue aux XIIème et XIIIème siècles, prouvent combien était répandue chez les fidèles la récitation angélique. On dit que les dévots de la Vierge accompagnaient même chaque Ave d’une génuflexion, ce qui pourrait fort bien être en rapport avec l’évolution iconographique de l’Annonciation. A l’époque romane, l’ange et Marie sont debout l’un devant l’autre. Au XIIIème siècle, l’ange s’agenouille devant elle.
Et c’est l’époque où se répand la pratique des trois Ave Maria. On dit que saint Antoine de Padoue (1195-1231) la recommandait vivement. Elle apparaît comme privilégiée dans les Révélations de sainte Metchilde de Helfta (1241-1298). Réciter ces trois Ave, le soir après complies, en méditant sur le mystère de l’Incarnation : c’est ce qu’aurait proposé saint Bonaventure lors d’un chapitre de l’ordre des Frères mineurs, en 1269.
Ce sont là des traditions parmi d’autres qui ont pour intérêt de montrer que l’institution du pieux exercice de l’Angélus s’est faite progressivement et qu’il faudra encore attendre quelques décennies pour lui voir adopter la forme que lui connaissait M. Olier . Retenons comme point de départ l’usage de la récitation quotidienne de trois Ave Maria.
L’Angélus d’abord prière du soir
On dit que saint Bonaventure (en 1269) eut bien soin de faire tinter la cloche pour appeler ses religieux et les fidèles d’alentour à réciter les trois Ave d’après complies. D’emblée la prière fut associée au tintement de la cloche. Il paraît même qu’au couvent des Frères mineurs d’Arrezo, elle était précédée de l’antienne Angelus locutus est Mariae (L’ange s’adressa à Marie).
Pendant longtemps, on s’en tint là. Aux XIVème et au XVème siècles, les témoignages sont nombreux et concordants.
A Lerida (en Catalogne), en 1308, on tinte trois fois la cloche pour l’Angélus post completorium (après complies), au crépuscule. Même usage dans les couvents franciscains de la province de Venise.
A la même époque, en Hongrie, les Ave du soir se disent aussi au son de la cloche. En 1314, le pape Clément V séjournant à Carpentras où était sa curie, demande que l’on sonne la cloche des Ave Maria après le chants des complies. Son successeur, Jean XXII, originaire de Cahors, approuve, par acte du 13 octobre 1318, la pratique de l’Angélus du soir, observée dans le diocèse de Saintes, l’introduit en Avignon et indulgencie les fidèles qui, entendant la cloche, réciteront à genoux trois Ave Maria.
Le 7 mai 1327, le même Jean XXII (alors âgé de 78 ans) écrit à son vicaire à Rome d’y introduire la même coutume (récitation à genoux de trois Ave), lors de la sonnerie du soir), à laquelle il attache une indulgence. C’est ce que rappellera le mini-concile tenu à Paris en mars 1344 par l’archevêque de Sens, en présence de cinq évêques, en consacrant son treizième et dernier canon à la recommandation de la pratique de l’Angélus à la fin de chaque journée.
On ne s’étonne pas que le pieux usage soit attesté en maints autres endroits à cette époque : par exemple en 1334 à Tréguier, en 1336 dans le Hainaut, en 1370 à Nantes, en 1378 dans le diocèse de la Mayenne, etc.
On fondit même les cloches destinées spécialement à tinter l’Angélus , comme indiquent leurs inscriptions.
Angélus du soir et le couvre-feu
Il y eut pas mal de conciles en Normandie au temps de Guillaume le Conquérant qui se plaisait à les convoquer et même à les présider.
Ainsi en fut-il à Caen, en 1061, où le duc fut assisté de l’archevêque Maurille, de Rouen, et de Lanfranc, alors prieur de l’abbaye du Bec.
C’est là que fut décidé d’instaurer le couvre-feu à travers le duché. Simplement règlement de police, dira-t-on. En fait, si le souci de la sécurité publique motivait la prescription, celle-ci faisait suite aux dispositions prises en 1047 au  » concile  » de Vaucelles  » (faubourg de Caen), où le jeune duc, venait de triompher d’une coalition armée, avait eu le souci de mettre en application la Paix de Dieu et les garanties de sécurité qu’elle apportait à ses sujets.
Or, il fut décidé à Caen, en 1061, que dans toutes les localités du duché, on sonnerait chaque soir la cloche pour inviter les gens à la prière, après quoi ils devraient rentrer chez eux et fermer leur porte. Simultanément, étaient prises de nouvelles mesures contre les auteurs de vols et d’agressions.
Ainsi a-t-on vu une relation d’origine entre la sonnerie du couvre-feu et celle de l’Angélus, d’autant que l’Angélus n’a d’abord été qu’une prière du soir. En fait, la prière ou les prières dont il est question à Caen en 1061 ne sont pas celles de l’Angélus, et les tintements de la cloche de la fin des complies dans les monastères n’ont rien à voir avec le couvre-feu.
Ce qu’on peut dire – et on l’a dit avec raison – c’est que la volée qui suit les tintements discontinus dans la sonnerie de l’Angélus, est peut-être une survivance de l’ancien couvre-feu médiéval. Quoi qu’il en soit, ce qui est vraiment spécifique de l’Angélus, ce n’est pas la sonnerie à la volée, mais les tintements, trois par trois, qui la précèdent.
Les intervalles entre les trois groupes de tintement devaient, en principe, à l’origine, donner le temps de réciter trois Ave. Il en était ainsi chez les Chartreux au XIVème. Au XVème, les bénédictins de la réforme de Bursfeld, qui compta jusqu’à 180 monastères en Allemagne, Belgique, Hollande et Danemark, avaient coutume à la fin des complies, après Pater, Ave, Credo, de se prosterner et de réciter trois Ave au tintement de la cloche.
A la même époque, les chanoines réguliers de Windesheim faisaient de même après le chant de l’antienne à la Vierge.
Mais, parmi les preuves historiques de la dissociation entre le tintement de l’Angélus et la sonnerie du couvre-feu, il en est une que rapporte W. Henry pour l’Angleterre. Elle concerne la ville de Somerset. En 1331, le doyen du Chapitre, Goddeley, ordonne de sonner trois coups, à trois intervalles rapprochés, sur la grosse cloche de la cathédrale, pour qu’on récite trois Ave, et cela peu de temps avant le couvre-feu.
Notons au passage que la récitation de la salutation angélique semble avoir été plus précocement répandue en Angleterre que sur le continent. D’ailleurs, la même avance se vérifie pour d’autres aspects de la piété mariale.
L’Angélus du Matin
Aussi n’est-il pas étonnant de voir les Anglais, dès le XIVème siècle, doubler l’Angélus du soir de celui du matin. Cela se fit d’abord dans les monastères à l’heure de prime. Puis les séculiers les imitèrent. Mais une certaine fantaisie s’instaure dans le contenu et les intentions de la prière mariale. Ainsi, en 1346, l’évêque de Bath (dans le Somerset) ordonne au clergé de sa cathédrale de réciter cinq Ave matin et soir pour les bienfaiteurs vivants et décédés. En 1399, l’archevêque de Cantorbery, Thomas Arundel, invite l’évêque de Londres à répéter le matin la sonnerie du soir et à faire réciter à ce moment par le clergé et les fidèles un Pater et cinq Ave.
Le  » doublement  » matutinal de la sonnerie du soir et des trois Ave avait déjà été adopté à pavie en 1330.
En France, en 1368, eut lieu à Lavaur (Tarn) un concile qui réunit treize évêques et fut présidé par Geoffroi de Vairolles, archevêque de Narbonne. On y prescrivit de réciter chaque matin cinq Pater en mémoire des Cinq Plaies du Christ et sept Ave pour rappeler les Sept Douleurs de Marie. Assurément cette prière du matin, même annoncée par la cloche, n’est plus étymologiquement un Angélus ; mais il est intéressant de noter, l’association, en 1368, de la dévotion aux Cinq-Plaies de Notre-Seigneur.C’est assurément le siècle où se développe cet aspect de la piété mariale qui associe la vierge à la Passion du Christ. C’est le siècle où se diffuse le Speculum humanae salvationis, où l’on compose des hymnes sur les sept douleurs de Marie, où naît l’admirable Salve Mater Dolorosa.
En somme l’Angélus , malgré l’appellation, ne se fige pas dans une formulation immuable. Nous allons le voir, quand apparaîtra son extension au milieu du jour, et qu’il prendra la triple fréquence quotidienne qu’il a depuis lors.
L’Angélus de midi
Il semble que l’Angélus du milieu du jour, attesté à Omütz (aujourd’hui Olomouc, en Tchécoslovaquie) en 1413, à Mayence et à Cologne en 1423, ait d’abord été limité au vendredi et n’ait concerné que la dévotion à la Passion du Christ.Par contre, en 1451, il est quotidien au monastère du Val des Écoliers, à Mons, dans le Hainaut. En 1456, le pape Calixte III, dont le souci majeur est de parer au danger turc, prescrit une croisade de prières et demande que les cloches tintent trois fois le jour et qu’à chaque fois l’on récite trois Pater et trois Ave.
La victoire de Belgrade (1456) sauve momentanément la chrétienté, mais les Turcs restent redoutables et menaçants.
Le roi Louis XI, en 1472, prescrit à tout son royaume l’extension de l’Angélus à midi, et demande qu’à cette heure-là l’intention de prières soit la paix. Aussi appelle-t-on l’Angélus de midi :  » l’Ave Maria de la paix « . Cette pratique de l’Angélus de midi fut indulgenciée en 1475 par le pape Sixte IV qui fut un grand pape marial : il favorisa tout particulièrement le culte liturgique de l’Immaculée Conception.
Dès lors, le triple Angélus avec sa triple sonnerie est attesté un peu partout en Occident : à Beauvais, à Tournai, à Liège, à Aix-la-Chapelle, en Angleterre… Et le pape Alexandre VI, qui fut loin d’être un saint, n’en confirma pas moins, en 1500, les dispositions de Calixte III.
A ces trois l’Angélus s’en ajoute pour les Chartreux un quatrième : un Angélus nocturne qu’ils récitent, au tintement de la cloche, après l’office des laudes.
*
Une coutume inspirée de l’Angélus est rapportée par l’abbé Decorde, historien du pays de Bray, concernant les religieuses du monastère de Clair-Ruissel, de l’ordre de Fontevrault, à Gaillefontaine (Seine-Maritime). En cas d’orage, une soeur parcourait le couvent en agitant une clochette et répétant Et verbum caro factum est (Et le Verbe s’est fait chair). A quoi les autres religieuses répondaient par un Ave Maria (Histoire du canton de Forges, p. 173).
Dans sa thèse de doctorat ès-lettres (1986) sur l’évêque Guillaume Briçonnet (1470-1534), le chanoine Michel Veissière rapporte une intéressante indication donnée en 1620 par Guy Bretonneau, généalogiste de la famille Briçonnet. Il s’agit d’une bulle du pape Léon X, du 27 février 1517, accordant des indulgences  » à tous ceux qui diront dévotement Pater noster et Ave Maria , lorsqu’ils entendront la cloche sonner à cet effect le matin soir et midy, ès diocèses de Meaulx et de Lodesve, et au faulxbourg de Sainct Germain des prèz lès Paris « . Cette bulle avait été accordée à la demande de l’évêque, dont le but, écrit Michel Veissière, était  » incontestablement, par le moyen de l’indulgence, de favoriser un authentique renouveau spirituel centré sur le Christ souffrant en compagnie de la Vierge Marie « . Il s’agissait là d’une des  » formes populaires de dévotion… à la portée des plus simples « , qui avaient la faveur de Mgr Briçonnet . On notera que la prière ne comporte à chaque tintement qu’un Pater et un Ave.
A la même époque, on peut lire, sous le titre De Ave Maria dicenda, une intéressante décision incluse dans les statuts synodaux de l’évêque Antoine d’Estaing (Angoulême, 1506-1523), publiés en 1972 dans les Mémoires de la Société historique et archéologique de la Charente (p. 259-316). Voici la traduction d’un passage du texte original latin :  » … Nous concédons à tous les fidèles de notre diocèse qui, à l’heure du matin, du midi et des complies, quand sonnera la cloche, se mettront à genoux pour dire trois Ave , avec dévotion et regret de leurs péchés, 40 jours d’indulgences… Cela sera annoncé par les archiprêtres, recteurs et vicaires aux messes dominicales « .
S’agenouiller au tintement de la cloche de l’Angélus : les Espagnols n’y manquaient jamais. Un paysan picard se rendant à Compostelle notait :  » Quand on sonne l’Angélus dans ces pays, en tel endroit que l’on se trouve, (il) faut se mettre à genoux. Ils y font mettre les étrangers, même de force en cas de résistance « .
C’est au XVIème que se fixa et se généralisa la forme de l’Angélus , tel que nous le récitions aujourd’hui. On le trouve dans un Petit Office de la Sainte Vierge (Officium parvum B.M.V.) imprimé à Rome au temps de saint Pie V (1566-1572), puis dans le Manuale catholicorum du jésuite saint Pierre Canisius (1521-1597), imprimé à Anvers en 1588. Dans nos livres de piété, l’Angélus porte, selon leur date de publication, soit la référence du pape Benoît XIV (14 septembre 1742), soit celle du pape Léon XIII (15 mars 1884). Ce fut Benoît XIV qui prescrivit de remplacer l’Angélus pendant le Temps Pascal par le Regina Coeli.
Le 25 mars 1918, en la fête de l’Annonciation, se fonda à Blois une association de l’Angélus pour les morts de la guerre. Dans son article du Dictionnaire pratique des connaissances religieuses, l’abbé J. Bricout rapporte qu’en 1921, d’après l’Almanach catholique français, l’association groupait alors près de 50.000 adhérents, et qu’elle avait été approuvée par le pape Benoît XV et recommandée par l’épiscopat. .
Cette association prit un essor considérable après qu’elle eut été transférée à Versailles et canoniquement érigée par Mgr Gibier chez les cisterciens du 19 de la rue du Pont-Colbert, le 13 mars 1929. Pie XI l’enrichit d’indulgences. L’oeuvre, dont la fête fut fixée au jour de l’Annonciation, comportait une section réservée aux enfants de moins de 12 ans, les  » Benjamins de l’Angélus « . Tous les associés s’engageaient, bien entendu, à la récitation quotidienne de l’Angélus

LE SHABBAT SOUS L’OEIL DU TALMUD

5 septembre, 2013

http://ghansel.free.fr/shabbat.html

LE SHABBAT SOUS L’OEIL DU TALMUD

Au sein de la loi juive, tant par l’importance qui leur est attribuée que par leur multiplicité, les lois du shabbat ont une place de choix. Selon une expression du Talmud, les lois du shabbat sont comme une montagne suspendue à un cheveu : peu de versets et de nombreuses lois. 2 Même si l’on s’en tient aux textes de base, c’est-à-dire aux textes talmudiques et à ceux des décisionnaires les plus importants, on se trouve déjà en présence de plusieurs centaines de pages à étudier. Quant aux problèmes nouveaux posés par les développements récents des sciences et des techniques, c’est une littérature considérable qui leur est consacrée.
Dans cette étude, je ne chercherai pas à dresser un tableau des lois du shabbat mais seulement à dégager le cadre conceptuel de la législation talmudique, le rappel de lois particulières ne venant qu’à titre d’illustration des principes mis en évidence. De plus, je ne traiterai pas des lois proprement rituelles telles que celles concernant le kiddouch ou les formes spécifiques de la liturgie du septième jour. Je me limiterai essentiellement aux lois relatives au travail.
Deux distinctions classiques doivent être posées d’emblée et vont commander la structure de cette étude. D’une part, il faut distinguer entre obligation (mitsvat assé , commandement de faire) et interdiction (mitsvat lo taassé , commandement de ne pas faire). D’autre part, deuxième distinction, essentiellement relative aux interdits, certaines lois sont dites min hatorah , sont considérées comme découlant directement de la Torah, d’autres sont dites miderabanan , lois rabbiniques. Cependant il convient de remarquer que cette différence n’est pas le plus souvent de nature historique. Il ne s’agit pas de distinguer entre un noyau de lois qui serait très ancien de celles qui se seraient surajoutées au cours des âges. On s’en convainc aisément en observant qu’un même acte, suivant les modalités ou l’intention dans lesquelles il est réalisé, peut relever, soit de l’interdit min hatorah , soit de l’interdit miderabanan . On introduit par là une différenciation a priori entre ce que l’on estime essentiel et ce que l’on considère comme relativement secondaire, différenciation de type logique et non historique. Dès lors, l’analyse des différences entre interdit min hatorah et interdit miderabanan nous permettra de mieux cerner quel est le noyau central, l’essence de l’interdiction shabbatique.
La distinction entre les aspects interdiction et obligation des lois du shabbat est signalée par Maïmonide dès le début du traité qu’il leur consacre. Il y indique qu’il ne faut pas confondre deux versets à première vue semblables :
Exode, XX, 10 : Le septième jour est un shabbat pour l’Eternel ton Dieu, tu n’y feras aucun travail (lo taasse kol melakha)…
Exode, XXXIV, 21 : Six jours tu travailleras et le septième jour tu cesseras (tichbot).
En dépit de leur similitude, ces deux versets doivent être distingués. Le premier est exprimé sous forme négative et énonce un interdit, celui d’effectuer un travail le shabbat. Le second, au contraire, est exprimé sous forme positive et introduit une obligation dont le contenu reste à définir. Je vais successivement développer quelles sont la définition et les caractéristiques de l’interdit, puis celles de l’obligation.
La gravité de l’interdit est soulignée dans un autre passage de l’Exode3:
Moïse convoqua toute la communauté des enfants d’Israël et leur dit : voici les choses que l’Eternel a ordonné d’observer. Pendant six jours on effectuera des travaux, mais au septième vous aurez une solennité sainte, un chômage absolu en l’honneur de l’Eternel. Quiconque effectuera un travail en ce jour sera mis à mort. Vous ne ferez point de feu dans aucune de vos demeures en ce jour de repos.
Ce passage est immédiatement suivi d’un long texte relatif au Tabernacle et indiquant les différents travaux nécessaires à sa construction et au fonctionnement du culte qui s’y rend. En voici les derniers versets4:
Moïse dit aux enfants d’Israël : voyez, l’Eternel a désigné nommément Betsalel, fils d’Uri, fils de Hur, de la tribu de Juda. Il l’a rempli d’un souffle divin, d’habileté, de jugement, de science, d’aptitude pour tous les travaux, lui a appris à mettre en oeuvre l’or, l’argent et le cuivre, à travailler la pierre pour la sertir, à travailler le bois et à exécuter toute oeuvre d’artiste.
Deux remarques formelles relatives à ces textes. La première concerne précisément leur voisinage : l’interdiction shabbatique est immédiatement suivie de la description des travaux de construction du Tabernacle et le Talmud va mettre en valeur cette proximité. Seconde remarque : dans le deuxième texte cité, le travail de construction du Tabernacle est appelé melekhet mahachevet , ce que j’ai traduit provisoirement par oeuvre d’artiste . Le Talmud fait jouer à cette expression melekhet mahachevet un rôle fondamental dans le développement de sa conception de l’interdiction shabbatique.
Voyons maintenant quelle est cette conception. Premier principe associé à la proximité qui vient d’être signalée : un travail n’est interdit le shabbat que s’il se rattache directement ou indirectement à l’un des travaux de la construction du Tabernacle. En particulier, point relativement peu connu, ce n’est jamais en fonction de sa difficulté, ou de la fatigue qu’il peut occasionner, qu’un travail se trouve interdit, du moins min hatorah . Seules les transformations matérielles que le Talmud estime assez significatives pour être rattachées à la construction du Tabernacle entrent dans le domaine de l’interdiction shabbatique. Cette doctrine implique également qu’à proprement parler, l’interdit ne porte pas sur l’effectuation même de l’acte de travailler mais sur son résultat ; ce n’est qu’indirectement que l’effectuation se trouve prohibée. La Michna énumère ainsi trente-neuf types de travaux5:
Il y a 39 principes de travaux : semer, labourer, moissonner, mettre en gerbe, battre (le blé), vanner, trier, moudre, tamiser, pétrir, cuire, tondre la laine, la blanchir, la carder, la teindre, filer, ourdir, tisser deux fils, couper deux fils, nouer, dénouer, coudre deux coutures, déchirer en vue de recoudre, capturer un cerf, l’abattre, le dépecer, le saler, tanner sa peau, la frotter, la découper, écrire deux lettres, effacer [un parchemin] de quoi y écrire deux lettres, construire, détruire [pour reconstruire], éteindre, allumer, frapper avec un marteau, transférer d’un domaine à un autre.
On se gardera de prendre cette énumération au pied de la lettre. Outre le fait que le Talmud y apporte de nombreuses précisions, extensions et limitations, il faut ici noter un point essentiel : par-delà les désignations concrètes ou techniques des différents travaux, le Talmud a toujours en vue une définition abstraite. Ainsi, par exemple, le battage du blé (dicha ) est l’un des 39 travaux énumérés dans la Michna. Mais il est facile de voir que pour le Talmud, ce terme concret recouvre une définition beaucoup plus générale : toute séparation d’une nourriture ou d’une graine de son enveloppe ou de son écorce, lorsqu’elle lui est attachée, relève de ce travail . Par exemple, arracher une graine de lin de sa capsule est rattaché directement au travail de dicha . Plus généralement, parmi les travaux dérivés 6 de dicha , nous rencontrons, entre autres, traire une vache ou presser un jus de fruit. Ainsi le Talmud n’hésite pas à rattacher à un même principe des travaux qui, tant par leur technique que par l’objet auquel ils s’appliquent, diffèrent profondément entre eux. L’important est qu’à chaque fois, il s’agit d’extraire un produit de son enveloppe ou de son écorce. Autrement dit, l’interdit ne porte pas sur tel ou tel acte concret, décrit par sa technique visible, mais sur un ensemble de transformations significatives du monde ayant chacune une définition abstraite. A cet égard, rien ne serait plus faux que de considérer les lois du shabbat comme les éléments d’un catalogue de recettes pour vivre shabbat . Ces lois forment un ensemble structuré découlant d’un nombre limité de principes généraux dont résulte la multiplicité des lois particulières.
J’en viens au deuxième point annoncé plus haut. Il ne suffit pas qu’un acte relève de l’un des 39 travaux pour qu’il soit interdit le shabbat, du moins min hatorah . Encore faut-il qu’il puisse se définir comme melekhet mahachevet , ce que l’on traduit généralement oeuvre d’artiste . Cette traduction est satisfaisante pour la compréhension littérale du texte biblique, mais elle ne rend pas compte de la manière dont ce concept est employé dans le Talmud. Je vais donc procéder à une brève analyse des conditions que doit remplir un acte pour mériter en quelque sorte de s’appeler melekhet mahachevet , ce qui conduira à en donner la « traduction talmudique ».
Pour qu’une action qui est déjà un travail (melakha ) soit dénommée melekhet mahachevet , elle doit satisfaire au moins à quatre conditions. La première est qu’elle soit effectuée avec intention (kavana ). D’une manière plus formelle, supposons qu’un acte A risque d’entraîner un effet B qui est un travail mais que A en lui-même soit permis par la Torah ; alors, bien que A risque d’entraîner B, A reste permis. Pourquoi ? Parce que même si B se produit, ce sera sans intention, et par suite, B n’entre pas dans le cadre du concept melekhet mahachevet . Un exemple souvent donné par le Talmud est le suivant : il est permis de traîner un banc (A) pendant shabbat dans la mesure où l’on n’a pas l’intention de former un sillon (B), ce qui est un travail de labourage (une certaine modification de l’état de la terre).7
Sans entrer dans le détail de la notion de travail intentionnel, il faut signaler cependant qu’elle est fort complexe, au point que l’Encyclopédie Talmudique consacre une bonne dizaine de pages à son analyse.
Une deuxième condition nécessaire pour qu’un travail s’appelle melekhet mahachevet est qu’il soit effectué de manière normale. Au contraire, tout travail effectué de façon bizarre, inhabituelle, anormale (bechinouï ), n’est pas melekhet mahachevet , et par conséquent n’est pas interdit, du moins selon la Torah8; il peut être, suivant les cas, interdit par loi rabbinique ( miderabanan ), ou être tout simplement permis. Par exemple, écrire est l’un des 39 travaux interdits. Cependant un droitier qui écrit de la main gauche, c’est-à-dire d’une manière qui pour lui est anormale, ne tombe pas sous le coup de l’interdiction min hatorah . Ecrire de la main gauche reste néanmoins interdit miderabanan .
Troisième condition qui raffine la précédente : lorsqu’existe pour un travail donné deux manières de l’accomplir, l’une technique ou professionnelle, l’autre rudimentaire, seule la première est qualifiée melekhet mahachevet , dans la mesure où c’est elle qui est normalement employée. Un exemple donné par le Talmud concerne le travail de tri ( berira ). Le tri est défini comme séparation d’une nourriture, ou, plus généralement, d’un produit quelconque, du déchet auquel il est mélangé9. La technique habituelle pour accomplir un tri est d’utiliser un tamis. Si en revanche on effectue un tri de façon rudimentaire avec un entonnoir, le travail ainsi effectué n’est pas interdit min hatorah . Il reste néanmoins interdit miderabanan .10
Quatrième caractéristique. Un travail n’est interdit min hatorah que s’il est constructif ; au contraire, tout acte destructeur ( kilkoul ) est permis par la Torah le shabbat, même s’il est difficile et fatigant à accomplir. Par exemple, casser un meuble, déchirer un vêtement, sont des gestes permis selon la Torah. Notamment si un tel acte est nécessaire pour se procurer un aliment, il ne tombe sous le coup d’aucune interdiction, même miderabanan .11
Récapitulons : pour qu’un acte soit interdit min hatorah , il doit se rattacher à l’un des 39 travaux fondamentaux identifiés par la Michna ou à l’un de leur dérivés et de plus il doit être qualifié melekhet mahachevet , « travail d’artiste ». Cela suppose au moins quatre conditions12: il doit être effectué intentionnellement, normalement, selon la technique habituelle, et ce ne doit pas être un acte destructeur.
De cette brève analyse, il résulte clairement que le but principal de l’interdiction shabbatique n’est pas de constituer le shabbat en repos hebdomadaire. Imaginons quelqu’un qui se serait amusé à déplacer toute la journée des meubles très lourds en restant dans un même appartement  ; cette personne serait certainement épuisée mais n’aurait pas transgressé l’interdit de travailler shabbat, la transformation accomplie n’étant pas considérée comme significative13. En revanche, la même personne qui aurait transféré (intentionnellement et en toute connaissance de cause) d’un domaine privé à un domaine public un aliment de volume supérieur ou égal à celui d’une figue, se trouverait avoir transgressé cet interdit, et à ce titre, théoriquement, serait susceptible de lapidation.14
Il apparaît donc que l’interdiction shabbatique vise une interruption totale du travail de l’homme, mais de l’homme en tant qu’être volontaire et pensant, animé constamment par des projets de transformation matérielle et les mettant à exécution avec les moyens techniques que sa pensée met à sa disposition. Le terme melekhet mahachevet doit se traduire à mon sens par « travail réfléchi », en mettant dans le qualificatif « réfléchi » les différentes nuances qu’il a en français, projeté, raisonnable, pensé. Le contenu essentiel de l’interdiction shabbatique est l’arrêt du « travail réfléchi » et non l’institution d’un repos hebdomadaire pour le travailleur de force. Il n’est donc pas étonnant que le Talmud ait pris le travail de construction du Tabernacle comme prototype du travail interdit le shabbat. Il n’y a pas de meilleur exemple d’un travail raffiné, tout le contraire d’une mise en oeuvre de force brute.
J’en viens maintenant à la partie « positive » du shabbat, à l’obligation indiquée par le verset15: Six jours tu travailleras et le septième tu cesseras . Ici nous rencontrons une sorte de paradoxe. Habituellement l’accomplissement d’une obligation se traduit par la réalisation d’un acte ou d’un ensemble d’actes. Ainsi des commandements tels que mettre des tephillin , habiter dans une soucca , manger de la matza , se concrétisent par des actions précises. Or en ce qui concerne le shabbat, il existe une obligation, un commandement « positif », tu cesseras , qui se trouve n’exiger l’accomplissement d’aucun acte.
Quel est donc le contenu légal de cette obligation ? Bien qu’il y ait à ce sujet certaines controverses entre les décisionnaires qui demanderaient à être expliquées pour elles-mêmes, pour la majorité d’entre eux, « tu cesseras » étend l’interdiction shabbatique à certains actes qui ne relèvent pas du concept de melekhet mahachevet . Plus précisément, tout acte inutile, ou exécuté le samedi en vue du dimanche ou d’un jour de la semaine, se trouve prohibé à partir de ce nouveau commandement, même si pour une raison ou une autre, cet acte ne tombe pas sous le coup de l’interdit de travail précédemment considéré. Ainsi cette personne fort active qui déplace des meubles toute la journée de shabbat dans son appartement n’a certes transgressé aucune interdiction, n’a effectué aucun « travail », mais on dira d’elle qu’elle n’a pas réalisé l’obligation « tu cesseras ».
Mais si l’effet du commandement « tu cesseras » est d’étendre encore le champ des interdictions, pourquoi le considère-t-on comme un commandement positif, une mitsvat assé  ? C’est qu’en fait l’extension des interdictions par lesquelles il se traduit n’est que le moyen de l’accomplir, mais n’en constitue pas véritablement l’essence.
Maïmonide et Nahmanide montrent que le contenu essentiel de ce commandement est la constitution du shabbat en yom menouha , ce que l’on traduit souvent par « jour de repos », ce qui est impropre16. Le sens véritable du terme menouha s’exprime à travers les idées de calme, de stabilité, ou de tranquillité. Six jours tu travailleras et le septième tu cesseras implique non pas une idée de repos après le travail, de récupération des fatigues de la semaine, mais un retour ou un accès au calme après l’activité et éventuellement l’agitation qui a pu régner pendant six jours. Cette constitution du shabbat en yom menouha , en « jour de calme », est considérée comme un commandement positif. L’extension des interdictions par lesquelles il se traduit légalement n’est que le moyen de la réalisation de ce commandement, mais n’en constitue pas l’essence propre. Dans notre mentalité, les notions de stabilité et de calme sont essentiellement négatives. Le calme s’interprète comme absence d’activité, la stabilité est absence de mouvement. Au contraire, il apparaît ici que pour le Talmud, il y a une positivité de la menouha , l’affairement matériel s’interprétant comme perte de l’état de menouha et non pas celui-ci comme absence d’activité.
Il existe donc, en tant que lois de la Torah , deux commandements concernant shabbat : un commandement négatif, une interdiction, celle de tout travail réfléchi (melekhet mahachevet ), et un commandement positif, une obligation, la constitution du shabbat en jour de calme (yom menouha ).
Ces deux commandements sont prolongés par de multiples interdictions et obligations miderabanan . Le plus souvent, la loi rabbinique complète la loi de la Torah en prohibant une action insuffisamment significative pour être melekhet mahachevet mais s’y rattachant par extension naturelle ou pouvant y conduire par effet d’entraînement.
Deux cas méritent toutefois une mention spéciale. Ce sont deux obligations fondées par le Talmud sur un verset d’Isaïe17:
Tu appelleras le shabbat agrément (oneg) et le jour consacré à l’Eternel tu l’appelleras honoré (mekhoubad).
Le Talmud s’appuie sur ce verset pour ajouter à la définition du shabbat selon la Torah les caractéristiques de oneg (plaisir, jouissance, agrément) et de kavod (honneur ou respect). Les détails matériels qui concrétisent ces deux notions sont multiples. Je n’en évoquerai que les plus connus et ferai quelques remarques à ce sujet. Conséquence de l’obligation de oneg  : faire trois repas le shabbat au lieu de deux en semaine, et agrémenter ces repas par des mets délicats. Voilà, bien sûr, une considération fort matérialiste. Conséquence de l’obligation de kavod  : le changement vestimentaire, le vêtement de shabbat devant être distinct du vêtement de la semaine. Enfin, loi que le Talmud considère comme relativement importante et relevant à la fois des notions de oneg et de kavod , l’allumage des lumières de shabbat. Je dis intentionnellement l’allumage des « lumières » du shabbat et non l’allumage des « bougies ». En effet cet allumage n’est pas, comme on pourrait le croire, une opération de nature symbolique18. La lumière du shabbat est avant tout destinée à bien éclairer la demeure, condition de « paix », dit le Talmud. La coutume de l’allumage des bougies a sans doute ses justifications propres, mais en ce qui concerne la réalisation du oneg et du kavod , une bonne lumière électrique est supérieure.
Encore une remarque sur ces notions. Il apparaît que dans certains milieux se soit produite une interversion dans les priorités. Tout se passe comme si les éléments fondamentaux du shabbat étaient devenus le oneg et le kavod , les interdictions relatives au travail étant considérées comme secondaires. Cela conduit à une fracture entre le shabbat tel qu’il est vécu et le shabbat du Talmud et de la loi. Pour illustrer ce point, je citerai une phrase talmudique assez frappante19:
Fais de ton shabbat un jour de semaine et ne vis pas aux dépens des créatures.
Cet adage est employé dans la halakha pour dispenser des obligations de oneg et de kavod quelqu’un qui n’en aurait pas les moyens financiers. En revanche, les décisionnaires sont unanimes pour dire qu’en aucun cas cette phrase ne peut être utilisée pour négliger les interdictions relatives au travail. Ces interdictions sont, au moins dans leur noyau central, issues de la Torah ; les obligations de oneg et de kavod sont considérées comme miderabanan et donc d’importance relativement secondaire.
Les linéaments de la loi du shabbat apparaissent ainsi clairement : son fondement essentiel est l’interdit du « travail réfléchi » dans les multiples dimensions que le Talmud dégage ; à cela s’ajoute l’obligation de constituer le shabbat en « jour de calme » ; enfin ces deux éléments sont complétés par de nombreuses interdictions et obligations rabbiniques parmi lesquelles notamment celles de oneg et de kavod . L’analyse de l’interdit relatif au travail a permis d’établir que la finalité de la loi shabbatique n’est nullement le « repos hebdomadaire » au sens courant du terme. Il nous faut donc préciser quelle est sa finalité principale. Pourquoi l’interdit relatif au travail revêt-il une telle importance ?
Dans son texte littéral, la Torah indique que le respect du shabbat est signe de la création du monde. Mais comme l’a montré Samson Raphaël Hirsch20 ce signe ne joue pas seulement sur le mode du renvoi. Il ne s’agit pas de rappeler à la conscience un principe théologique abstrait par un ensemble d’actions symboliques. Le shabbat est un mode de comportement, une façon d’être où est prise en compte la situation d’être créé, ce qui concrètement signifie ne pas tenir de soi-même son existence, ses capacités et ses pouvoirs. Le shabbat est le temps où l’homme renonce à son pouvoir de transformation du monde. Par la mise en oeuvre de sa pensée, l’homme sait créer, fabriquer, transformer, et cette activité est un élément de sa vocation, presque une obligation. Mais la Torah fixe à l’homme une limite à sa puissance. Le shabbat se définit comme le moment où il est prescrit de renoncer à un pouvoir. Il est d’abord une ascèse : « Tu n’y feras aucun travail ». L’homme est le maître du monde d’en bas, il le modifie à sa guise et le soumet à sa domination. La Torah assigne une limite temporelle à cette souveraineté.
On peut ainsi comprendre également un attribut inséparable du shabbat déjà évoqué précédemment21: sa sainteté, son caractère sacré (sa kedoucha ). La définition la plus couramment donnée de la sainteté est la « séparation ». Si l’on s’en tient à cette signification, le shabbat est saint car distingué des jours de la semaine qualifiés a contrario de « profanes » (hol ). Toutefois une telle définition reste formelle. La « séparation » est une catégorie logique et n’affecte aucun contenu réel à la sainteté du shabbat. la limite, n’importe quel signe distinctif pourrait différencier le shabbat des autres jours et, à l’évidence, cela ne suffirait pas à lui donner une sainteté. Si effectivement le shabbat est un jour séparé, encore faut-il préciser ce qui définit le « profane » dont il est séparé.
Le temps « profane » est celui du déploiement de l’être. Persévérance dans l’être, extension, conquête, domination de la nature (et malheureusement aussi des hommes), impératif d’action et de réalisation croissante, accroissement infini de la richesse et de la puissance en sont les catégories. Remplissez la terre et conquérez la , dit la Genèse, phrase qui peut se comprendre tout à la fois comme un ordre et une bénédiction. Armé de sa pensée, l’homme façonne le monde à sa convenance, convertit la pierre en résidence, la graine brute en nourriture raffinée et étoffe chatoyante, l’arbre du champ en meuble précieux.
Arrive le shabbat avec sa « sainteté », coup d’arrêt périodique à cet impérialisme, littéralement « cessez-le-feu ! » ou « halte-là ! ». Sainteté qui se produit non pas dans une quelconque extase mystique mais primordialement comme renonciation au pouvoir sur le monde. A nouveau, on peut observer combien est déficiente la caractérisation du shabbat comme « repos hebdomadaire ». D’une certaine façon, il y a même là un contresens. En effet si l’on adopte une telle optique, le shabbat se trouve intégré comme moment de pause nécessaire pour une conquête toujours plus étendue. Non plus limitation apportée à un pouvoir mais reprise de force, arrêt provisoire dans la marche en avant. Au lieu de constituer un moment où le jeu de l’être est surmonté, le shabbat en devient l’accessoire obligé.
Il est sans doute vain de se demander « pourquoi » la Torah prescrit cette abstention hebdomadaire, cette auto-limitation cyclique. On peut certainement lui trouver de multiples justifications, mais en définitive le plus simple est de répondre : le judaïsme a décidé que tel est le modèle à réaliser, un homme puissant et créateur, mais aussi capable de mettre un frein à sa puissance et à ses créations. La sainteté du shabbat signifie bien « séparation », si l’on précise aussi « de quoi » elle est séparation : du jeu de l’être et de ses déploiements.

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