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DIMANCHE 7 JUILLET : COMMENTAIRES DE MARIE NOËLLE THABUT – PREMIERE ET DEUXIEME LECTURE
5 juillet, 2013http://www.eglise.catholique.fr/foi-et-vie-chretienne/commentaires-de-marie-noelle-thabut.html
DIMANCHE 7 JUILLET : COMMENTAIRES DE MARIE NOËLLE THABUT
PREMIERE LECTURE – Isaïe 66, 10-14
10 Réjouissez-vous avec Jérusalem,
exultez à cause d’elle, vous tous qui l’aimez !
Avec elle soyez pleins d’allégresse,
vous tous qui portiez son deuil !
11 Ainsi vous serez nourris et rassasiés
du lait de ses consolations,
et vous puiserez avec délices
à l’abondance de sa gloire.
12 Voici ce que dit le SEIGNEUR :
Je dirigerai vers elle la paix comme un fleuve,
et la gloire des nations comme un torrent qui déborde.
Vous serez comme des nourrissons
que l’on porte sur son bras,
que l’on caresse sur ses genoux.
13 De même qu’une mère console son enfant,
moi-même je vous consolerai,
dans Jérusalem vous serez consolés.
14 Vous le verrez et votre coeur se réjouira ;
vos membres, comme l’herbe nouvelle, seront rajeunis.
Et le SEIGNEUR fera connaître sa puissance à ses serviteurs.
Quand un prophète parle autant de consolation, on peut se poser des questions ! Vous avez entendu : « De même qu’une mère console son enfant, moi-même je vous consolerai, dans Jérusalem vous serez consolés. » et un peu plus haut « vous serez nourris et rassasiés du lait des consolations ».
Cela veut dire que tout allait mal et qu’on avait grand besoin d’être consolés ! Nous avons vu souvent que le prophète est celui qui, dans les moments de détresse, sait réveiller l’espoir. Car un prophète, c’est quelqu’un qui se refuse à écouter les voix découragées qui s’élèvent pour dire que Dieu lui-même ne peut rien contre la mauvaise volonté, l’instinct de puissance, les rivalités, les guerres…
Effectivement, ce texte que nous lisons ici a été écrit dans un moment difficile : l’auteur (que nous appelons le Troisième Isaïe), est un des lointains disciples du grand Isaïe, (ses paroles ont été annexées plus tard au livre du grand prophète Isaïe). Il prêche juste au retour de l’Exil à Babylone, vers 535 av. J.C. Les exilés sont revenus au pays, mais ce retour tant espéré s’est révélé décevant à tous les égards : Jérusalem, pour commencer, la ville bien-aimée, porte encore les cicatrices de la catastrophe de 587 (sa destruction par les armées de Nabuchodonosor). Le Temple est en ruines, une partie de la ville aussi. Pour le reste, ceux qui revenaient n’ont pas reçu l’accueil triomphal qu’ils avaient imaginé de loin : comme toujours dans ces circonstances, ceux qui sont partis ont bien souvent été oubliés, remplacés… surtout pour une captivité de cinquante ans !
Voilà pourquoi, bien qu’ils soient de retour à Jérusalem, le prophète parle de deuil et de consolation. Mais, face au découragement qui s’installe, le prophète ne se contente pas de paroles de réconfort, il ose un discours presque triomphal : « Réjouissez-vous avec Jérusalem, exultez à cause d’elle, vous tous qui l’aimez ! Avec elle soyez pleins d’allégresse, vous tous qui portiez son deuil ! » On peut se demander d’où lui vient son bel optimisme ? C’est bien simple, sa foi, ou plutôt l’expérience d’Israël ! Le seul argument du peuple d’Israël, pour continuer à espérer, c’est toujours le même à toutes les époques de son histoire, c’est la présence de Dieu, la puissance de Dieu. C’est quand tout paraît perdu qu’il faut à tout prix se souvenir que rien n’est impossible à Dieu ; comme l’Ange du Seigneur l’avait dit à Abraham et Sara : « Y a-t-il une chose trop prodigieuse pour le SEIGNEUR ? » (Gn 18, 14) ; comme le Seigneur lui-même l’avait dit à Moïse, un jour de découragement, pendant l’Exode : « Crois-tu que j’aie le bras trop court ? » (Nb 11, 23) ; c’est une image que nous connaissons : nous entendons parfois dire qu’une personne a « le bras long » ! On retrouve à plusieurs reprises la même image dans le livre d’Isaïe ; par exemple, pendant l’Exil quand on perdait espoir d’être libérés un jour, le deuxième Isaïe l’avait employée : « Est-ce que ma main serait courte, trop courte pour affranchir ? » (Is 50, 2).
Plus tard, après le retour, en période de découragement, le troisième Isaïe, celui que nous lisons aujourd’hui, reprend deux fois le même discours. Au chapitre 59, il a affirmé : « Non, la main du SEIGNEUR n’est pas trop courte pour sauver, son oreille n’est pas trop dure pour entendre! » (Is 59, 1). Et dans le dernier verset de notre texte d’aujourd’hui, nous avons lu : « Le SEIGNEUR fera connaître sa puissance à ses serviteurs » ; c’est la traduction liturgique ; mais le texte hébreu dit : « Le SEIGNEUR fera connaître sa main à ses serviteurs. »
C’est donc un appel à l’espérance, celui-là même dont ce peuple a besoin dans cette période de découragement. Dieu a libéré son peuple à maintes reprises dans le passé, il ne l’abandonnera pas. A lui seul, le mot « main » est une allusion à la sortie d’Egypte, car on aime dire que, à ce moment-là, Dieu est intervenu « à main forte et à bras étendu ».
L’expression « Vous serez nourris et rassasiés du lait de ses consolations » est, elle aussi, un rappel de l’Exode : au cours de sa marche au désert, le peuple avait connu la faim et la soif et cela avait été pour lui une terrible épreuve pour sa foi. Et Dieu lui a toujours procuré le nécessaire. Désormais, ce sera la surabondance : « Vous puiserez avec délices à l’abondance de sa gloire ».
Ce rappel de l’Exode comporte deux leçons : d’une part, Dieu nous veut libres et soutient tous nos efforts pour instaurer la justice et la liberté ; mais d’autre part, il y faut nos efforts. Le peuple est sorti d’Egypte grâce à l’intervention de Dieu, on ne l’oublie jamais, mais il a fallu marcher, et parfois péniblement, vers la terre promise. Quand Isaïe promet de la part de Dieu : « Je dirigerai vers Jérusalem la paix comme un fleuve », cela ne veut pas dire que la paix s’instaurera magiquement un beau jour ! Il y faudra une vraie volonté et un effort soutenu des hommes, on ne le sait que trop. Mais cet effort et cette volonté ne pourront se maintenir et aboutir que si nous nous raccrochons résolument à la conviction que « rien n’est impossible à Dieu ».
Dans sa deuxième lettre, saint Pierre dit exactement la même chose : à des Chrétiens qui trouvent que le royaume de Dieu se fait attendre, il répond : « Il y a une chose en tout cas que vous ne devez pas oublier : pour le Seigneur, un seul jour est comme mille ans et mille ans sont comme un jour… Nous attendons selon sa promesse des cieux nouveaux et une terre nouvelle où la justice habitera. » Et il ajoute : « Non, le Seigneur ne tarde pas à tenir sa promesse, alors que certains prétendent qu’il a du retard, mais il fait preuve de patience envers vous, ne voulant pas que quelques-uns périssent, mais que tous parviennent à la conversion ». Saint Pierre rappelle bien ici les deux leçons de l’Exode dont je parlais il y a un instant : premièrement, le Seigneur ne tarde pas à tenir sa promesse, c’est-à-dire, accrochez-vous à la conviction de sa présence permanente et agissante à vos côtés, mais, deuxièmement, vos efforts sont indispensables, la paix, la justice, le bonheur ne s’instaureront pas un beau jour par un coup de baguette magique : « c’est pour vous qu’il patiente ». Moralité, à nous de jouer, il y a urgence !
DEUXIEME LECTURE – Galates 6, 14-18
14 Que la croix de notre Seigneur Jésus Christ
reste mon seul orgueil.
Par elle, le monde est à jamais crucifié pour moi,
et moi, pour le monde.
15 Ce qui compte, ce n’est pas la circoncision,
c’est la création nouvelle.
16 Pour tous ceux qui suivent cette règle de vie
et pour le véritable Israël de Dieu,
paix et miséricorde.
17 Dès lors, que personne ne vienne me tourmenter.
Car moi, je porte dans mon corps
la marque des souffrances de Jésus.
18 Frères, que la grâce de notre Seigneur Jésus Christ
soit avec votre esprit.
Je reprends la première phrase : « Que la croix de notre Seigneur Jésus Christ reste mon seul orgueil. » Cette insistance sur le mot « seul » laisse deviner qu’il y a un problème. Effectivement, Paul avait commencé sa lettre aux Galates par un reproche sévère : « J’admire avec quelle rapidité vous vous détournez de celui qui vous a appelés par la grâce du Christ, pour passer à un autre Evangile ». Et il expliquait : « Il y a des gens qui jettent le trouble parmi vous et qui veulent renverser l’Evangile du Christ ». Ceux qui jetaient le trouble parmi les Chrétiens de Galatie, c’étaient des Juifs devenus chrétiens (des judéo-chrétiens) qui voulaient obliger tous les membres de leurs communautés à pratiquer toutes les règles de la religion juive, y compris la circoncision.
Paul écrit alors à ces communautés pour les mettre en garde ; ce qui se cache derrière cette discussion pour ou contre la circoncision, c’est une véritable hérésie : c’est la foi au Christ, et elle seule qui nous sauve, la foi au Christ concrétisée par le Baptême ; imposer la circoncision reviendrait à le nier, à laisser entendre que la croix du Christ ne suffit pas. Ce sont des « faux frères » dit Paul, ces gens qui peuvent soutenir des thèses pareilles.
Il rappelle aux Galates que leur seul orgueil est la croix du Christ. Mais, pour comprendre Paul, il faut bien préciser que, pour lui, la croix n’est pas un objet, pas même un objet de vénération… c’est un événement. Quand Paul parle de la croix du Christ, il ne se livre pas à une contemplation de ses douleurs, au rappel de ses souffrances ; pour lui, la croix du Christ est un événement historique, c’est même l’événement central de l’histoire du monde, l’événement qui a opéré une fois pour toutes la réconciliation entre Dieu et l’humanité d’une part, la réconciliation entre les hommes, d’autre part.
Quand Paul dit « Par la croix du Christ, le monde est à jamais crucifié pour moi », je crois que la formule « par la croix » signifie « depuis l’événement de la croix » et « le monde est à jamais crucifié » signifie « le monde est définitivement transformé ».
C’est un événement décisif : plus rien ne sera jamais comme avant. Comme le dit la lettre aux Colossiens : « Il a plu à Dieu de faire habiter en lui toute la plénitude et de tout réconcilier par lui et pour lui et sur la terre et dans les cieux, ayant établi la paix par le sang de sa croix. » (Col 1, 19-20).
La preuve que la croix est l’événement décisif de l’histoire du monde, c’est que la mort est vaincue pour la première fois : Christ est ressuscité. Dans la première lettre aux Corinthiens, Paul dit : « Si le Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est vide et vide aussi est votre foi ». Pour Paul, la croix et la Résurrection sont indissociables : il s’agit d’un seul et même événement.
Par la croix est née la « création nouvelle » par opposition au « monde ancien ». Au début de cette même lettre aux Galates, il dit : « A vous grâce et paix de la part de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus-Christ, qui s’est livré pour nos péchés, afin de nous arracher à ce monde mauvais… » Et cette expression « à vous grâce et paix » ce n’est pas une formule toute faite ! Réellement grâce et paix sont acquises désormais aux Chrétiens, c’est cela que Paul veut dire.
Tout au long de cette lettre, il a opposé le régime ancien qui était le régime de la loi et le régime nouveau qui est celui de la foi ; la vie selon la chair et la vie selon l’esprit ; l’esclavage ancien et notre liberté acquise par Jésus-Christ ; désormais, par la foi, par notre adhésion à Jésus-Christ, nous sommes des hommes libres de vivre selon l’Esprit.
Dans la deuxième lettre aux Corinthiens, il dit quelque chose d’analogue : « Le monde ancien s’en est allé, un nouveau monde est déjà né ». Le monde ancien, c’est le monde en guerre, l’humanité en révolte contre Dieu, le monde qui soupçonne Dieu de ne pas être amour et bienveillance ; du coup il désobéit aux commandements de Dieu et ce sont les rivalités entre les hommes, les guerres, les luttes pour le pouvoir ou pour l’argent. La création nouvelle, au contraire, c’est l’obéissance du Fils, sa confiance jusqu’au bout, son pardon pour ses bourreaux, sa joue tendue à ceux qui lui arrachent la barbe, comme dit Isaïe. La Passion du Christ a été un paroxysme de haine et d’injustice commis au nom de Dieu ; le Christ en a fait un paroxysme de non-violence, de douceur, de pardon. Et nous, à notre tour, parce que nous sommes greffés sur le Fils, nous sommes rendus capables de la même obéissance, du même amour : capables d’abandonner le mode de vie selon le monde, pour choisir le mode de vie selon le Christ. Ce retournement extraordinaire qui est l’oeuvre de l’Esprit de Dieu inspire à Paul une formule particulièrement frappante : « Par la croix, le monde est à jamais crucifié pour moi, et moi, pour le monde. » Traduisez « la manière de vivre selon le monde est abolie, désormais, nous vivons selon l’Esprit ». Une telle transformation est bien un sujet de fierté pour les Chrétiens : réellement, comme dit Paul « la croix de notre Seigneur Jésus Christ est notre seul orgueil ». C’est bien la raison d’être des crucifix qui ornent les murs de nos maisons ou de nos églises.
Pour cette annonce de la croix du Christ, Paul a déjà payé de sa personne. Quand il dit que désormais nous sommes dans la grâce et la paix, cela ne veut pas dire que tout ira forcément tout seul ! Logiquement, si nous annonçons vraiment l’Evangile, nous devrions rencontrer des oppositions semblables à celles que le Christ a rencontrées et que Paul rencontre à son tour. Quand il dit « je porte dans mon corps la marque des souffrances de Jésus », il fait certainement allusion aux persécutions qu’il a lui-même subies pour avoir annoncé l’Evangile. Chaque fois que nous faisons le signe de la croix, nous manifestons que nous sommes dans cette création nouvelle où toute parole est dite, où tout geste est accompli au nom du Père et du Fils et de l’Esprit ; et en même temps nous nous engageons à témoigner de la transformation que l’Esprit d’amour est seul capable d’opérer.
HOMÉLIE 14E DIMANCHE ORDINAIRE C
5 juillet, 2013http://parolesdudimanche.blogs.lalibre.be/
HOMÉLIE 14E DIMANCHE ORDINAIRE C
Is 66, 10, 14c ; Ga 6, 14-18 ; Lc 10, 1-12, 17-20
Commençons par une devinette. Qui a dit, en s’adressant à des gens qu’il considérait comme mécréants : « Si vous n’accueillez pas le prophète et son message, un feu tombera du ciel pour vous détruire ». Et bien, ce n’est pas Ben Laden. La réponse nous a été donnée le week-end dernier dans l’évangile de Luc. Il s’agit des apôtres Jacques et Jean que Jésus avait d’ailleurs surnommés les fils du tonnerre (Mc 3, 17). C’était bien trouvé. La preuve, c’est qu’ils voulaient utiliser la peur et la violence pour évangéliser les Samaritains, leurs frères ennemis. Mais pourquoi ? Parce qu’ils se croyaient les exécutants impitoyables d’un Dieu autoritaire. Ils réagissaient comme des fanatiques. La réponse de Jésus ne s’est pas fait attendre : « Il se retourna et les interpella vivement ».
Aujourd’hui, Luc nous montre comment Jésus s’y prenait pour que ses disciples puissent annoncer la Bonne Nouvelle : Les objectifs à atteindre, les méthodes et les moyens à utiliser, les risques à courir.
Premièrement, Jésus désigne lui-même les volontaires. Il y a évidemment les Douze, le noyau de base, les premiers et proches collaborateurs. Mais il choisit encore 72 personnes, nous dirions aujourd’hui des laïcs, parmi ceux et celles qui ont déjà accueilli son message et qui lui font confiance. Ils sont aussi envoyés pour venir au secours des diverses détresses humaines. Ce qu’on appellera le pouvoir de guérir. Mais, pourquoi 72 ? C’est un nombre symbolique. Dans la Bible, il correspond au nombre des nations païennes. Ou encore celui de tous les peuples. Un peu comme nous utilisons 36 pour exprimer un nombre indéterminé. Il y en a 36 sortes ! J’ai vu 36 chandelles ! Et, remarquez que 36, c’est la moitié de 72. En termes ecclésiastiques, nous dirions aujourd’hui qu’il n’y a pas que les évêques, les prêtres, les consacré(e)s, les spécialistes, qui sont envoyés pour annoncer la venue du Seigneur, préparer le chemin et témoigner par leur comportement de la proximité du Royaume de Dieu. Chacun, en effet, peut être témoin actif de miséricorde, de pardon et de paix.
Deuxième constat : Il faut prier. Non pas réciter des prières, mais cultiver le contact, l’intimité et l’amitié avec le Seigneur. Non seulement le disciple doit agir en fonction des dons qu’il a reçus, mais comme dit saint Paul : « Celui qui plante n’est rien. Celui qui arrose n’est rien : Dieu seul compte. C’est lui qui fait croître ». Dès lors, les disciples n’ont pas à tirer vanité de leur réussite, ni à se lamenter de leurs échecs.
Autre précision : La Bonne Nouvelle de l’évangile peut être rejetée, et les envoyés mal accueillis. Les disciples n’ont pas pour autant mission de forcer, ni d’imposer, ni d’embrigader . Le message de l’Evangile, la foi au Christ sont présentés et offerts à la liberté de chacun. Pas question donc pour le messager ou le témoin d’être obsédé par le rendement, ni la hantise d’échouer, ou de voir plafonner ou baisser les statistiques. En aucun cas, l’évangélisation ne peut s’exercer par des pressions, des chantages ou des menaces… Mais, bien sûr, cela s’est déjà vu. Quant à l’équipement essentiel et indispensable pour les disciples, c’est la foi et la confiance en Jésus qui nous envoie. La mission ne peut donc pas dépendre des armes du prestige, de la puissance ou de la richesse. D’autre part, le témoin ne se laissera pas déstabiliser par l’échec, la déception ou l’angoisse. Ce qui ne l’empêchera pas pour autant de faire un examen de conscience sur la manière dont il s’y est pris, mais sans dramatiser. Les messagers de paix n’ont pas nécessairement la cote.
Voyons maintenant les consignes données aux évangélisateurs. Tout d’abord, il ne suffit pas de présenter des vérités à croire et des lois à observer. Des rites, des pratiques ou des coutumes à respecter. La priorité et l’urgence c’est d’apporter la paix, de la rayonner, de l’établir. Comment ? Par un type de relation qui ne soit pas conditionné par la jalousie, le racisme, l’orgueil, l’intérêt, mais bien par le respect, le pardon, le souci de justice. Un programme qui est accessible à tous.
L’urgence ne se situe donc pas au niveau de la doctrine, des rites et dévotions. Comme l’écrit saint Paul aux Galates, « ce qui importe, ce n’est ni la circoncision ni l’incirconcision, mais la nouvelle création ». Dans le même esprit, Jésus précise : Si vous êtes accueilli dans une maison, ne faites pas la fine bouche sous prétexte de piété. Ne vous singularisez pas, mais mangez et buvez ce que l’on vous servira. Ce qui, pour l’époque était révolutionnaire. Ses disciples, en effet, mangent casher et ils risquent d’être invités chez des Samaritains, par exemple, et même des païens. Ce qui veut dire : tenez compte des diversités culturelles. Ne confondez pas rites et coutumes avec la foi qu’ils aident à exprimer. Il n’y a pas qu’une seule et unique façon de le faire, que l’on soit à Rome, Mexico ou Pékin.
Cette page d’évangile est toujours d’actualité. Nous avons aussi été appelés par le baptême et la confirmation. Et nous sommes aujourd’hui ré-unis en assemblée, pour faire le point, recevoir éclaircissements, avertissements, consignes et rompre le pain pour faire corps, le corps de l’Eglise, qui est le corps du Christ. Pour être ensuite envoyés comme des artisans de paix au milieu de toutes les formes de violence. Comme des brebis au milieu des loups, mais sans les calculs et les ruses humaines. Confiants dans la force de la Parole – le Verbe.
P. Fabien Deleclos, franciscain (T)
1925 – 2008
St. Thomas the Apostle
4 juillet, 2013BENOÎT XVI : THOMAS APÔTRE
4 juillet, 2013BENOÎT XVI
AUDIENCE GÉNÉRALE
MERCREDI 27 SEPTEMBRE 2006
THOMAS APÔTRE
Chers frères et soeurs,
Poursuivant nos rencontres avec les douze Apôtres choisis directement par Jésus, nous consacrons aujourd’hui notre attention à Thomas. Toujours présent dans les quatre listes établies par le Nouveau Testament, il est placé dans les trois premiers Evangiles, à côté de Matthieu (cf. Mt 10, 3; Mc 3, 18; Lc 6, 15), alors que dans les Actes, il se trouve près de Philippe (cf. Ac 1, 13). Son nom dérive d’une racine juive, ta’am, qui signifie « apparié, jumeau ». En effet, l’Evangile de Jean l’appelle plusieurs fois par le surnom de « Didyme » (cf. Jn 11, 16; 20, 24; 21, 2), qui, en grec, signifie précisément « jumeau ». La raison de cette dénomination n’est pas claire.
Le Quatrième Evangile, en particulier, nous offre plusieurs informations qui décrivent certains traits significatifs de sa personnalité. La première concerne l’exhortation qu’il fit aux autres Apôtres lorsque Jésus, à un moment critique de sa vie, décida de se rendre à Béthanie pour ressusciter Lazare, s’approchant ainsi dangereusement de Jérusalem (cf. Mc 10, 32). A cette occasion, Thomas dit à ses condisciples: « Allons-y nous aussi, pour mourir avec lui! » (Jn 11, 16). Sa détermination à suivre le Maître est véritablement exemplaire et nous offre un précieux enseignement: elle révèle la totale disponibilité à suivre Jésus, jusqu’à identifier son propre destin avec le sien et à vouloir partager avec Lui l’épreuve suprême de la mort. En effet, le plus important est de ne jamais se détacher de Jésus. D’ailleurs, lorsque les Evangiles utilisent le verbe « suivre » c’est pour signifier que là où Il se dirige, son disciple doit également se rendre. De cette manière, la vie chrétienne est définie comme une vie avec Jésus Christ, une vie à passer avec Lui. Saint Paul écrit quelque chose de semblable, lorsqu’il rassure les chrétiens de Corinthe de la façon suivante: « Vous êtes dans nos coeurs à la vie et à la mort » (2 Co 7, 3). Ce qui a lieu entre l’Apôtre et ses chrétiens doit, bien sûr, valoir tout d’abord pour la relation entre les chrétiens et Jésus lui-même: mourir ensemble, vivre ensemble, être dans son coeur comme Il est dans le nôtre.
Une deuxième intervention de Thomas apparaît lors de la Dernière Cène. A cette occasion, Jésus, prédisant son départ imminent, annonce qu’il va préparer une place à ses disciples pour qu’ils aillent eux aussi là où il se trouve; et il leur précise: « Pour aller où je m’en vais, vous savez le chemin » (Jn 14, 4). C’est alors que Thomas intervient en disant: « Seigneur, nous ne savons même pas où tu vas; comment pourrions-nous savoir le chemin? » (Jn 14, 5). En réalité, avec cette phrase, il révèle un niveau de compréhension plutôt bas; mais ses paroles fournissent à Jésus l’occasion de prononcer la célèbre définition: « Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie » (Jn 14, 6). C’est donc tout d’abord à Thomas que cette révélation est faite, mais elle vaut pour nous tous et pour tous les temps. Chaque fois que nous entendons ou que nous lisons ces mots, nous pouvons nous placer en pensée aux côtés de Thomas et imaginer que le Seigneur nous parle à nous aussi, comme Il lui parla. Dans le même temps, sa question nous confère à nous aussi le droit, pour ainsi dire, de demander des explications à Jésus. Souvent, nous ne le comprenons pas. Ayons le courage de dire: je ne te comprends pas, Seigneur, écoute-moi, aide-moi à comprendre. De cette façon, avec cette franchise qui est la véritable façon de prier, de parler avec Jésus, nous exprimons la petitesse de notre capacité à comprendre et, dans le même temps, nous nous plaçons dans l’attitude confiante de celui qui attend la lumière et la force de celui qui est en mesure de les donner.
Très célèbre et même proverbiale est ensuite la scène de Thomas incrédule, qui eut lieu huit jours après Pâques. Dans un premier temps, il n’avait pas cru à l’apparition de Jésus en son absence et il avait dit: « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt à l’endroit des clous, si je ne mets pas la main dans son côté; non, je ne croirai pas! » (Jn 20, 25). Au fond, ces paroles laissent apparaître la conviction que Jésus est désormais reconnaissable non pas tant par son visage que par ses plaies. Thomas considère que les signes caractéristiques de l’identité de Jésus sont à présent surtout les plaies, dans lesquelles se révèle jusqu’à quel point Il nous a aimés. En cela, l’Apôtre ne se trompe pas. Comme nous le savons, huit jours après, Jésus réapparaît parmi ses disciples, et cette fois, Thomas est présent. Jésus l’interpelle: « Avance ton doigt ici, et vois mes mains; avance ta main, et mets-la dans mon côté: cesse d’être incrédule, sois croyant » (Jn 20, 27). Thomas réagit avec la plus splendide profession de foi de tout le Nouveau Testament: « Mon Seigneur et mon Dieu! » (Jn 20, 28). A ce propos, saint Augustin commente: Thomas « voyait et touchait l’homme, mais il confessait sa foi en Dieu, qu’il ne voyait ni ne touchait. Mais ce qu’il voyait et touchait le poussait à croire en ce que, jusqu’alors, il avait douté » (In Iohann. 121, 5). L’évangéliste poursuit par une dernière parole de Jésus à Thomas: « Parce que tu m’as vu, tu crois. Heureux ceux qui ont cru sans avoir vu » (Jn 20, 29). Cette phrase peut également être mise au présent: « Heureux ceux qui croient sans avoir vu ». Quoi qu’il en soit, Jésus annonce un principe fondamental pour les chrétiens qui viendront après Thomas, et donc pour nous tous. Il est intéressant d’observer qu’un autre Thomas, le grand théologien médiéval d’Aquin, rapproche de cette formule de béatitude celle apparemment opposée qui est rapportée par Luc: « Heureux les yeux qui voient ce que vous voyez » (Lc 10, 23). Mais saint Thomas d’Aquin commente: « Celui qui croit sans voir mérite bien davantage que ceux qui croient en voyant » (In Johann. XX lectio VI 2566). En effet, la Lettre aux Hébreux, rappelant toute la série des anciens Patriarches bibliques, qui crurent en Dieu sans voir l’accomplissement de ses promesses, définit la foi comme « le moyen de posséder déjà ce qu’on espère, et de connaître des réalités qu’on ne voit pas » (11, 1). Le cas de l’Apôtre Thomas est important pour nous au moins pour trois raisons: la première, parce qu’il nous réconforte dans nos incertitudes; la deuxième, parce qu’il nous démontre que chaque doute peut déboucher sur une issue lumineuse au-delà de toute incertitude; et, enfin, parce que les paroles qu’il adresse à Jésus nous rappellent le sens véritable de la foi mûre et nous encouragent à poursuivre, malgré les difficultés, sur notre chemin d’adhésion à sa personne.
Une dernière annotation sur Thomas est conservée dans le Quatrième Evangile, qui le présente comme le témoin du Ressuscité lors du moment qui suit la pêche miraculeuse sur le Lac de Tibériade (cf. Jn 21, 2). En cette occasion, il est même mentionné immédiatement après Simon-Pierre: signe évident de la grande importance dont il jouissait au sein des premières communautés chrétiennes. En effet, c’est sous son nom que furent ensuite écrits les Actes et l’Evangile de Thomas, tous deux apocryphes, mais tout de même importants pour l’étude des origines chrétiennes. Rappelons enfin que, selon une antique tradition, Thomas évangélisa tout d’abord la Syrie et la Perse (c’est ce que réfère déjà Origène, rapporté par Eusèbe de Césarée, Hist. eccl. 3, 1), se rendit ensuite jusqu’en Inde occidentale (cf. Actes de Thomas 1-2 et 17sqq), d’où il atteignit également l’Inde méridionale. Nous terminons notre réflexion dans cette perspective missionnaire, en formant le voeu que l’exemple de Thomas corrobore toujours davantage notre foi en Jésus Christ, notre Seigneur et notre Dieu.
PRIER LE DIEU VIVANT … – Métropolite Antoine Bloom
4 juillet, 2013http://www.meditation-chretienne.org/meditation_priere_bloom.htm
PRIER LE DIEU VIVANT …
EXTRAIT DU LIVRE D’ANTOINE BLOOM « PRIÈRE VIVANTE »
« Nous devons apprendre à nous tenir dans la présence
du Seigneur invisible comme nous le ferions
face au Seigneur présent dans sa chair. »
Métropolite Antoine Bloom
Pour moi prier c’est entrer en relation avec Quelqu’un. D’abord incroyant, j’ai découvert Dieu un beaujour et il m’est apparu immédiatement comme la valeur suprême et la signification plénière de la vie, mais en même temps comme une personne. Je pense que la prière ne peut avoir aucun sens pour celui qui n’a personne à prier.
On ne peut apprendre à prier à celui qui n’a pas le sens du Dieu vivant ; on peut lui apprendre à se comporter comme s’il croyait, mais ce ne sera pas cette attitude spontanée qu’est la véritable prière. Voilà pourquoi, en introduction à ce livre sur la prière, je voudrais dire ma certitude de la réalité personnelle d’un Dieu avec qui on peut entrer en relation. Je demande donc à mon lecteur de traiter Dieu comme un proche, comme quelqu’un, et d’attacher à cette connaissance. la même valeur que celle qu’il attache à sa relation avec un frère ou un ami. Pour moi cela est essentiel.
L’une des raisons pour lesquelles la prière communautaire ou personnelle nous paraît si morne ou si conventionnelle est qu’il y manque trop souvent l’acte même de prier qui naît dans le cœur en communion avec Dieu. Toute expression, qu’elle soit verbale ou gestuelle, peut aider, mais ce n’est que l’expression de l’essentiel à savoir le profond silence de la communion.
Tous nous savons bien que, dans nos relations humaines, amour et amitié n’atteignent leur profondeur que lorsque nous pouvons demeurer en silence avec l’autre.
Tant que l’on a besoin de parier pour garder le contact, on peut présumer à coup sûr, et avec tristesse, que la relation est encore superficielle ; aussi, si nous voulons prier Dieu, devons-nous apprendre avant tout à nous sentir bien, dans le silence, auprès de lui. C’est là chose plus aisée qu’on ne le penserait d’abord ; il y faut un peu de temps, de la confiance et le courage de l’y mettre.
Le curé d’Ars demandait un jour à un vieux paysan ce qu’il faisait, assis durant des heures dans l’église, apparemment sans prier ; le paysan répondit : « Je l’avise et il m’avise et nous sommes heureux ensemble. » Cet homme avait appris à parler à Dieu sans briser par des mots le silence de l’intimité. Si nous sommes capables de cela, nous pouvons utiliser n’importe quelle forme de prière. Mais si nous essayons de créer la prière à partir des mots dont nous nous servons, nousbdeviendrons désespérément las de ces mots, car à moins qu’ils n’aient la profondeur du silence, ils sont superficiels et fastidieux.
Mais comme les mots peuvent être source d’inspiration dès lors qu’ils sont authentifiés par le silence et pénétrés de l’esprit qui convient :
« Seigneur, ouvre mes lèvres, et ma bouche publiera ta louange. » (Ps 51, 17).
(…) Nous devons apprendre à nous tenir dans la présence du Seigneur invisible comme nous le ferions face au Seigneur présent dans sa chair.
Ceci implique d’abord une attitude d’esprit, puis sa traduction corporelle. Si le Christ était là devant nous, et que nous nous tenions totalement transparents à son regard, aussi bien dans l’esprit que par le corps, nous éprouverions révérence, crainte de Dieu, adoration, ou peut-être terreur, mais en tout cas nous ne nous montrerions pas aussi détendus dans notre comportement.
Le monde moderne a pour une bonne part perdu le sens de la prière, et les attitudes physiques sont devenue tout à fait secondaires dans l’esprit des gens, alors qu’elles sont rien moins que telles Nous oublions que nous ne sommes pas une âme habitant un corps, mais un être humain, fait de corps et d’âme, et que nous sommes appelés, selon saint Paul, à glorifier Dieu dans notre esprit et dans notre corps ; nos corps aussi bien que nos âmes seront appelés à la gloire du royaume de Dieu (Co 6. 20).
Trop souvent, la prière n’a pas dans nos vies une importance telle que tout le reste doive s’effacer pour lui faire place. La prière vient en plus de beaucoup d’autres choses ; nous désirons la présence de Dieu, non parce qu’il n’y aurait aucune vie sans lui, non parce qu’il serait la valeur suprême, mais parce que ce serait bien agréable, outre tous les dons que nous recevons de Dieu, d’avoir aussi sa présence. Il fait nombre avec nos besoins, et quand nous le recherchons dans cet esprit-là, nous ne le rencontrons pas.
(…)Les premiers Pères et toute la tradition orthodoxe nous enseignent que nous devons nous concentrer, par un effort de volonté, sur les mots de la prière que nous prononçons. Nous devons articuler attentivement les mots, objectivement, sans chercher à créer une sorte d’état émotionnel, et nous devons laisser à Dieu le soin d’éveiller en nous la réaction dont nous sommes capables.
Saint Jean Climaque nous indique une façon simple d’apprendre à nous concentrer. Il nous dît : choisissez une prière, que ce soit le Notre Père ou toute autre, mettez-vous en présence de Dieu, prenez conscience de l’endroit où vous êtes et de ce que vous êtes en train de faire, et prononcez attentivement les mots de la prière.
Après un certain temps, vous vous apercevrez que vos pensées se sont mises à errer ; recommencez alors la prière aux derniers mots, à la dernière phrase que vous avez prononcés avec attention. Vous aurez peut-être à faire cela dix, vingt ou cinquante fois ; il se pourrait que dans le laps de temps fixé pour votre prière, vous ne prononciez que trois phrases, trois demandes, et soyez incapables d’aller plus loin ; mais dans ce combat vous aurez réussi à vous concentrer sur les mots, de sorte que vous apportez à Dieu, sérieusement, sobrement, respectueusement, des paroles de prière dont vous êtes conscients et non une offrande qui ne serait pas vôtre parce qu’elle ne serait plus consciente.
Jean Climaque nous conseille aussi de lire la prière de notre choix sans hâte, sur un mode monotone, assez lentement pour avoir le temps de porter attention aux mots mais pas au point d’en faire un exercice ennuyeux et de ne ïamais y chercher une expérience affective car notre but est d’établir une relation avec Dieu. Lorsque nous nous approchons de Dieu, nous ne devrions jamais faire du sentiment ; pour prier il faut se mettre en état de prière, le reste dépend de Dieu.
Dans cette sorte d’entraînement, un temps déterminé est réservé pour la prière, et si la prière est attentive, la durée que vous vous êtes fixée importe peu. Si, au contraire, vous vous étiez donné pour règle de lire trois pages, et qu’au bout d’une demi-heure vous vous aperceviez que vous en êtes toujours aux douze premiers mots vous éprouverez évidemment un sentiment de découragement ; c’est pourquoi, il vaut mieux fixer une règle de durée et s’y tenir. Vous savez de combien de temps vous disposez et vous avez le texte sur lequel vous désirez prier; si vous vous efforcez sérieusement, très vite vous vous apercevrez que votre attention devient docile, parce que l’attention est beaucoup plus dépendante de la volonté que nous ne l’imaginons, et lorsqu’il est absolument certain que, quelles que soient la tentatives d’échappatoire, ce sera vingt minutes et pas un quart d’heure, il ne reste plus qu’à persévérer.
Saint Jean Climaque a formé des douzaines de moines par cette formule toute simple : une limite de temps et une attention sans pitié, un point c’est tout.
Antoine Bloom
Prière vivante
Cerf
« DIEU C’EST FAIT HOMME, POUR QUE L’HOMME PUISSE DEVENIR DIEU » – LA VISION DE PAUL EVDOKIMOV SUR LA THÉOLOGIE PATRISTIQUE
4 juillet, 2013http://www.spiritualite-orthodoxe.net/paul_evdokimov_orthodoxie.html#article1
« DIEU C’EST FAIT HOMME, POUR QUE L’HOMME PUISSE DEVENIR DIEU »
ARTICLE INSPIRÉ DES COURS DE PÈRE RAZVAN IONESCU – UN EXPLICATION PLUS APPROFONDIE DU MOT THÉOLOGIE
D’APRÈS ORTHODOXIE (L’), PAUL EVDOKIMOV, DESCLÉE DE BROUWER, 1992; PAGES 47-56.
LA VISION DE PAUL EVDOKIMOV SUR LA THÉOLOGIE PATRISTIQUE
Une théologie du mystère qu’on ne connaît que par révélation et participation – la metanoïa
L’Orient distingue d’une part » l’intelligence » orientée vers la coïncidence des opposés et débouchant sur » l’unité et l’identité par la grâce 1, et d’autre part la » raison », pensée discursive fondée sur le principe logique de contradiction et d’identité formelle et tournée vers le multiple, donc « déifuge ». Or, « l’intelligence réside dans le coeur, la pensée dans le cerveau 2 . Ce qui explique pourquoi la foi orthodoxe ne se définit jamais en termes d’adhésion intellectuelle, mais relève de l’évidence vécue, d’une « sensation du transcendant »: « Seigneur, la femme qui était tombée dans un grand nombre de péchés, ayant ressenti ta dignité… » 3. Il faut souligner l’aspect existentiel de la foi où s’opère la coïncidence foncière de l’amour et de la connaissance, inséparablement un dans le coeur-esprit,
- Il n’y a donc pas de division dans la personne humaine qui connait théologiquement.
ce qui dépasse l’intellectualisme et le sentimentalisme et correspond au terme évangélique très fort de metanoïa, revirement de toute l’économie de l’être humain.
- metanoïa de meta-noûs, c’est l’intelligence non pas dans le sens de ratio mais une intelligence plus profonde de l’homme dans sa complexité. C’est un renouveau de l’intelligence, c’est à dire un mouvement qui fait que la personne humaine voit les choses autrement à travers la grâce de Dieu.
La théologie comporte un élément doctrinal, la didascalie objective de l’Eglise, sa catéchèse, mais plus profondément dans sa sève même elle écoute ses saints, s’alimente à leur expérience pneumatophore du Verbe. Ainsi, comme le montre le titre d’un des écrits de Denys le pseudo Aréopagite : De la théologie mystique, celle-ci est théologie du mystère qu’on ne connaît que par révélation et participation. Elle saisit les paroles de Dieu à l’intérieur des « phanies », manifestations de Dieu. La transcendance divine nous apprend qu’on ne peut jamais aller vers Dieu qu’en partant de lui, qu’en se trouvant déjà en lui.
[Oeuvre complète de Saint Denys l'areopagite, Mgr Darboy, Maison de la Bonne presse, 1845 - Théologie Mystique à partir de la page 463 pdf, ou 286 livre., téléchargeable ici]
Par rapport aux orientations développées en Occident, qui développent une théologie de discours et surtout une explication rationnelle des choses, l’Orient est plus enclin à une théologie du mystère. C’est à dire que l’on touche le mystère à travers la théologie. Ceci ne veut pas dire pour autant que l’on épuise le mystère à travers notre discours mais justement la théologie a comme fonction de nous mettre devant le mystère de Dieu. Elle nous invite à le goûter et en le goûtant on se rend compte que c’est une profondeur sans fin.
Les développements théoriques, chez les Pères passent souvent et sans aucune interruption aux textes de prières et de dialogue avec Dieu.
- Paul Evdokimov met l’accent sur cette relation étroite entre ce que l’on écrit sur Dieu et notre prière.
Mystagogie ou initiation
Saint Isaac Saint Isaac le Syrien voit dans ces instants: « la flamme des choses ». C’est peut-être la meilleure définition de la théologie. Art, beaucoup plus que science systématique, elle découvre la vérité cachée des choses célestes et terrestres et initie à la participation-communion au monde éonique de Dieu.
- Le mot initie, initiation, est important car en théologie on parle d’une pédagogie mais aussi d’une mystagogie, c’est à dire une initiation, on se souvient des paroles du seigneur quand Il dit: » Allez, faites des gens de toutes les nations des disciples, baptisez-les pour le nom du Père, du Fils et de l’Esprit saint; et apprenez-leur à garder tout ce que je vous ai commandé. Quant à moi, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin des temps. » Matthieu 28:19-20 » 4 donc quand Il dit « apprenez », cette pédagogie vient tout de suite après « baptisez », qui veut dire « initiez », ouvrez la porte du Royaume à travers la grâce de Dieu, la descente de l’Esprit Saint; à travers cette pentecôte personnelle. La pédagogie vient donc à la suite de la mystagogie, ce qui ne veut pas dire que dans l’Eglise seul le baptême est mystagogique, car toute expérience de l’Eglise nous parle d’une mystagogie mais l’expérience de l’Eglise nous parle aussi d’une pédagogie, on ne peut donc pas les séparer. La mystagogie est donc une initiation au mystère, une découverte du mystère.
Théognosie – Theo: Dieu; gnosis: connaissance – catéchèse – Vous voyez l’équilibre qui existe toujours dans les affirmations théologiques, on parle d’une initiation mais aussi d’un enseignement.
« voie expérimentale de l’union avec Dieu » Ce sont des mots extraordinaires car en fait si on parle de la théologie, en se référant à Theo et Logos, le Logos se rapporte soit à la parole, soit à la logique, un développement rationnel. Mais en même temps à l’école des Pères de l’Eglise c’est dans son aspiration ultime « voie expérimentale de l’union avec Dieu. »
Pour les Pères la théologie est avant tout la contemplation de la Trinité.
- Evdokimov fait une synthèse des Pères de l’Eglise. Par conséquent ce que nous faisons ici c’est une synthèse de synthèses.-
C’est cette connaissance par inhabitation du Verbe qui est la théologie mystique.
- Le saint Esprit vient et fait sa demeure en nous, si Dieu fait sa demeure en quelqu’un Il s’unit avec cette personne. Il ne peut pas vivre dans la chambre du coeur de quelqu’un sans être en communion avec cet être humain. C’est pourquoi quand on invite le Seigneur, on l’invite à venir en nous, à exprimer Sa présence et à s’unir avec nous.
Il s’agit bien de la « parousie » divine dans l’âme
- Paul Evdokimov utilise d’autres termes théologiques pour apporter une nouvelle lumière à la signification.
qui ne peut être saisie que par les yeux de la foi, « les yeux de la Colombe ». Il s’agit non de connaître quelque chose sur Dieu, mais d’ »avoir Dieu en soi ».
- Alors que les démarches théologiques essaient de construire un discours mais sans pouvoir véritablement construire quelque chose à partir de l’expérience concrète, les Pères se contentent d’exprimer leur expérience concrète personnelle par leur théologie. Toutefois ce n’est pas leur expérience particulière à eux, que personne ne peut interpréter, mais c’est une expérience personnelle qui entre dans l’expérience générale de l’Eglise.
La théologie devient la description en termes théologiques de la présence illuminante du Verbe. Ce n’est point une spéculation sur les textes mystiques rnais la voie mystique elle-même, génératrice d’unité. Elle postule le retour à la nudité de l’esprit, son dépouillement jusqu’à son état pré-conceptuel de pure réceptivité adamique:
- Cette expérience de Dieu, nous invite à découvrir un état de l’âme qu’on peut évoquer en pensant d’abord à Adam qui est appelé à goûter le Royaume de Dieu et Dieu Lui-même. Le centre même de notre culte se trouve dans la Cène eucharistique. Nous nous rassemblons pour goûter quelque chose ensemble, signe de communion. Dans le centre du culte chrétien, se trouve donc cette démarche de partager avec les autres notre nourriture qui n’est pas une nourriture de ce monde. Même si les choses matérielles qui contribuent à cette nourriture viennent de ce monde, à travers la bénédiction portée par liturgie la nourriture de ce monde devient également une nourriture qui n’est pas de ce monde, c’est à dire le Corps et le Sang du Seigneur que nous goûtons ensemble.
Le charisme d’oraison, prier sans cesse
« La contemplation était le privilège d’Adam au paradis » et donc nécessite avant tout un « charisme de l’oraison »
- C’est à dire la prière « . On imagine donc bien Adam vivre une vie qui était une contemplation de Dieu et nourrissait son être. Quand on parle de charisme d’oraison ça veut dire que la prière telle que nous l’apprenons aujourd’hui est une redécouverte d’une état qui fut paradisiaque: Adam priait. Quand on a demandé au Seigneur comment prier? Il a répondu: « Priez sans cesse « , ce qui signifie que la prière peut être une prière qui ne cesse pas. Ceci veut dire que l’être humain a une capacité de prière qui exprime quelque chose de sa nature. Il est capable par sa nature d’entretenir une relation avec Dieu à travers sa prière. La prière est comme une respiration de l’âme, c’est à dire que de la même façon que le corps respire et que sans respiration il ne vit plus, l’âme respire (Sans pour autant entrer dans un dualisme âme-corps). La prière fait partie du bon « fonctionnement » de l’être humain, il en a besoin mais c’est un charisme en même temps.
La théologie ainsi s’érige en ministère charismatique, car « personne ne peut connaître Dieu si ce n’est Dieu lui-même qui l’enseigne » et « il n’y a pas d’autre moyen de connaître Dieu que de vivre en lui… « ;
- Sans la grâce de Dieu on n’est pas capable de Prier. Quand nous voulons prier véritablement il nous faut cette aide. Dieu nous donne son aide à condition que nous le cherchions parce qu’Il respecte complètement notre liberté. La grâce de Dieu est garante de la liberté humaine, c’est le péché qui empêche la liberté humaine. Savoir prier nécessite également un enseignement de la part de Dieu.
« parler de Dieu est une grande chose » ironise saint Grégoire le Théologien et justifie son titre en déclarant : « mais il est encore mieux de se purifier pour Dieu ».
- Nous avons donc vu que certains Pères nous parlent de la connaissance de Dieu, nous parlent de la théologie en tant que connaissance de Dieu. J’ai souligné que la théologie est « voie expérimentale de l’union avec Dieu ». Théologie veut donc dire connaissance de Dieu et pour connaître Dieu nous ne pouvons pas rester comme nous sommes à l’heure actuelle, il faut changer quelque chose en nous. Car même si nous arrivons dans ce monde avec un certain état de pureté, notre nature corrompue à travers notre personne fait que nous sommes enclins malheureusement au péché. La vie spirituelle est la guérison totale, absolue et ultime de notre nature humaine. Dans l’office pour les défunts on dit que Dieu a tellement aimé l’être humain, qu’Il ne l’a pas laissé comme ça, c’est la raison pour laquelle la mort est justement la délivrance. S’il n’y avait pas de mort, cette nature à l’origine de l’être humain donnerait une vie corrompue éternelle. Dieu donne une fin à l’être humain par Amour 5.
La divinisation de l’homme par la grâce
C’est un dialogue entre l’esprit de l’homme et l’Esprit de Dieu mais un dialogue générateur d’unité « déifiante »: « Dieu ne s’unit qu’à des dieux », dit saint Symeon?
- C’est vraiment une synthèse avec des mots forts, des mots clés des Pères de l’Eglise. Autrement dit, en reprenant la définition la plus noble de la vie théologique ou de la vie de l’Eglise: « Dieu c’est fait homme, pour que l’homme puisse devenir dieu ». Notre destin n’est pas uniquement l’accomplissement de la personne humaine mais son accomplissement en tant que dieu par la grâce de Dieu. Il n’y a pas de changement de nature en nous mais si on vit la Vie que Dieu vit, on se transforme petit à petit en des dieux.
Pour saint Macaire, un théologien est un enseigné de Dieu et c’est l’Esprit, selon saint Syméon, qui d’un érudit fait un théologien, car il s’agit non de s’instruire intellectuellement sur Dieu, mais de se remplir de Dieu : « Afin que l’ayant reçu en nous, nous devenions ce qu’il est ».
- c’est pour cela que les êtres qui commencent à chercher Dieu dans leur vie deviennent de plus en plus ressemblant à Dieu. Une vie améliorée en Christ est une vie qui fait que quelqu’un est plus ressemblant à Dieu.
La libération des passions, les théologiens chrétiens orthodoxes
Pour saint Basile « la vraie théologie libère des passions »
-Si l’homme se libère petit à petit des mauvaises passions, c’est à dire les comportements qui ne laissent pas se manifester pleinement en nous l’image de Dieu. En s’en libérant on est dans l’acquisition petit à petits des « propriétés » qui expriment ce que Dieu est.
« Une théologie sans action 6 est la théologie des démons » note saint Maxime. C’est au dynamisme de la foi que répond « le don spirituel de l’Esprit qui révèle le sens de la théologie »….
L’Orthodoxie s’est avérée très sobre pour délivrer le titre de « théologien » par excellence. Seules trois personnes le possèdent comme attribut de leur sainteté: saint Jean le Théologien, le plus mystique des quatre évangélistes, saint Grégoire le Théologien, « chantre de la sainte trinité » et saint Symeon le Nouveau Théologien, auteur des hymnes qui exaltent l’union.
- Si l’Eglise est prudente dans l’attribution de ce titre, ce n’est pas qu’elle ne veut pas le donner mais ces personnes étaient caractérisées par leur profondeur théologique: elles ont su la vivre et l’exprimer à la fois. La théologie ce ne se limite pas à la contemplation, car il y a des êtres humains qui contemplent Dieu sans pouvoir exprimer cette contemplation et d’après ce qu’ils disent sans l’aide de Dieu il n’est pas possible de l’exprimer à travers un discours. En effet, notre discours ne peut pas « tenir en sa main » l’ineffable. Il faut que Dieu nous aide pour pouvoir exprimer des choses qui dépassent notre intelligence.
La contemplation ou theoria
La théologie comporte l’élément de contemplation. Ce discours peut paraître très théorique mais la pratique mène à la contemplation, car notre pratique c’est de contempler Dieu, et la contemplation vient de « theoria ». Donc la theoria pour les Pères n’est pas une attitude passive devant Dieu où l’on n’aurait plus envie de bouger puisque ce serait Dieu qui s’occuperait de nous. En référence aux écrits de Père Dumitru staniloae, il est vrai que Dieu prend l’initiative et comble l’être humain de telle façon que l’être humain se trouve parfois dans « l’étonnement », dans les phases les plus élevées du mystère de Dieu, mais même dans cet état la contemplation « theoria » est très pratique. C’est une étape très active dans la vie de quelqu’un parce qu’il est pleinement là dedans. Alors qu’en science la théorie est relative a un schéma abstrait de faits que l’on interprète, dans l’Eglise la « theoria » veut dire contemplation. Toute contemplation de la vérité dans l’Eglise, à travers la parole, à travers les sens ou tout ce que l’on est, est une theoria.
Le cataphatisme et l’apophatisme, la conscience des limites, et Dieu sujet non pas objet.
On a l’impression en lisant des écrits de théologie que les mots sont compliqués, par exemple cataphatisme et apophatisme. La théologie apophatique 7 est la théologie négative, celle cataphatique est positive. revenons à Paul evdokimov:
La méthode cataphatique procède par affirmation, mais en définissant Dieu, en lui donnant des noms, elle limite et rend son propre enseignement incomplet,
- C’est à dire que si on prend un livre par exemple, on arrive à décrire de quoi il s’agit par ses caractéristiques: sa taille, couleur, etc. Mais essayons de faire la même chose avec Dieu. Qui a vu Dieu? D’une certaine façon personne n’a vu Dieu. Cependant à travers notre expérience on peut avoir été touché par cette présence de Dieu, donc on parle d’une certaine façon d’une vision de Dieu, en gardant bien sûr les proportions. C’est pourquoi quand on essaie d’exprimer notre expérience on se rend compte que nos paroles sont très pauvres, on n’arrive pas à dire qui est Dieu. Si l’on se met à ajouter des attributs, des qualificatifs selon ce que l’on peut comprendre, on se rend compte que l’on commence à fabriquer une idole puisqu’en fait ça ne correspond pas à Dieu, car Il dépasse tout ce que l’on peut dire sur Lui. Ce genre de réflexion existe depuis le commencement du christianisme.
Il faut donc le compléter par la méthode apophatique qui procède par des négations ou oppositons à tout ce qui est de ce monde. Donc la théologie positive n’est point dévaluée mais précisée exactement dans sa dimension propre et ses limites.
- C’est extraordinaire, cette conscience des limites. La science d’aujourd’hui les découvre également car son discours ne couvre pas une réalité beaucoup plus complexe que celle que l’on peut imaginer.
C’est que la théologie négative habitue à l’infranchissable distance salvatrice: « Les conceptions créent des idoles de Dieu, dit saint Grégoire de Nysse, l’étonnement seul saisit quelque chose ».
- C’est à dire que l’on n’est pas devant un objet « Dieu ». En effet, pour la théorie de la connaissance il faut un objet de connaissance. Or dans la définition courante de la science, l’objet Dieu n’existe pas, puisqu’Il n’est pas reconnu de manière universelle. Même pour le théologien définir Dieu comme objet de connaissance n’est pas facile car il n’est pas un objet, il est un sujet de notre connaissance. Si Lui (ou si eux pour les trois personnes), ne s’ouvre pas à notre connaissance on ne peut pas le connaitre.
La prière liturgique, élévation vers Dieu et communion avec les autres
Paul Evdokimov parle plus loin de la prière liturgique: elle nous mène vers cette union. Quand on parle de prière personnelle, cela ne veut pas dire prière individuelle, parce que quand la personne prie elle est en communion avec d’autres personnes. Plus elle prie, plus elle est en communion avec les autres. C’est très important de le comprendre. Le Père Dumitru Staniloae, le décrivait en prenant l’image d’une pyramide inversée, plus on prie, plus on s’approche de Dieu et plus on est entouré. Quand nous prions ordinairement, nous sommes seuls même au milieu de plein de gens car nous ne les aimons pas comme il le faudrait, ou nous n’arrivons pas à entretenir cette communion à travers notre amour, c’est Dieu qui nous enseigne l’Amour.
On parle de la prière liturgique car on a besoin de cette prière qui concerne le peuple de Dieu dans l’Eglise. C’est elle qui nous mène vers notre « déification »: on devient Dieu selon la grâce de Dieu.
En cherchant Dieu, c’est l’homme qui est trouvé par Dieu.
NOTES SUR LE SITE
St. Thomas l’Apôtre (désolé j’ai oublié , demain )
3 juillet, 2013PSEUDO-ÉPIPHANE DE SALAMINE : QU’EST-CECI ? UN GRAND SILENCE RÈGNE AUJOURD’HUI SUR LA TERRE, UN GRAND SILENCE ET UNE GRANDE SOLITUDE.
3 juillet, 2013http://www.patristique.org/Pseudo-Epiphane-de-Salamine-Meditation-pour-un-samedi-saint.html
PSEUDO-ÉPIPHANE DE SALAMINE : MÉDITATION POUR UN SAMEDI SAINT
ATTRIBUÉE, À TORT, À ÉPIPHANE DE SALAMINE (315-403), CETTE MÉDITATION INTRODUIT AU MYSTÈRE DU SAMEDI SAINT.
QU’EST-CECI ? UN GRAND SILENCE RÈGNE AUJOURD’HUI SUR LA TERRE, UN GRAND SILENCE ET UNE GRANDE SOLITUDE.
Un grand silence parce que le roi dort. La terre a tremblé et s’est calmée parce que Dieu s’est endormi dans la chair, et qu’il est allé réveiller ceux qui dormaient depuis des siècles. Dieu est mort dans la chair et les enfers ont tressailli. Dieu s’est endormi pour un peu de temps et il a réveillé du sommeil ceux qui séjournaient dans les enfers…
Il va chercher Adam, notre premier père, la brebis perdue. Il veut aller visiter tous ceux qui sont assis dans les ténèbres et à l’ombre de la mort. Il va pour délivrer de leurs douleurs Adam dans ses liens et Ève captive avec lui, lui qui est en même temps leur Dieu et leur fils.
Descendons avec lui pour voir l’alliance entre Dieu et les hommes. Là se trouve Adam, le premier père et, comme premier créé, enterré plus profondément que tous les condamnés. Là se trouve Abel, le premier mort, et comme premier pasteur juste, figure du meurtre injuste du Christ pasteur. Là se trouve Noé, figure du Christ, le constructeur de la grande arche de Dieu, l’Église. Là se trouve Abraham, le père du Christ, le sacrificateur qui offrit à Dieu par le glaive et sans le glaive un sacrifice mortel sans mort. Là demeure Moïse, dans les ténèbres inférieures, lui qui jadis a séjourné dans les ténèbres supérieures de l’arche de Dieu. Là se trouve Daniel, dans la fosse de l’enfer, lui qui jadis a séjourné sur la terre, dans la fosse aux lions. Là se trouve Jérémie, dans la fosse de boue, dans le trou de l’enfer, dans la fosse de la mort. Là se trouve Jonas dans le monstre capable de contenir le monde, c’est-à-dire dans l’enfer en signe du Christ éternel. Et, parmi les prophètes, il en est un qui s’écrie : « du ventre de l’enfer, entends ma supplication, écoute mon cri ! » et un autre « des profondeurs, je crie vers toi, Seigneur, Seigneur, entends ma voix » – Et un autre encore : « Fais rayonner ton visage, et nous serons sauvés ! »…
Mais, comme par son avènement, le Seigneur voulait pénétrer dans les lieux les plus inférieurs, Adam en tant que premier père et que premier créé de tous les hommes et en tant que premier mortel, lui qui avait été tenu captif plus profondément que tous les autres, et avec le plus grand soin, il entendit le premier le bruit des pas du Seigneur qui venait vers les prisonniers. Et il reconnut la voix de celui qui cheminait dans la prison et s’adressant à tous ceux qui étaient enchaînés avec lui depuis le commencement du monde, il parla ainsi : « J’entends les pas de quelqu’un qui vient vers nous ! » Et pendant qu’il parlait, le Seigneur entra tenant les armes victorieuses de la croix. Et lorsque le premier père Adam le vit, plein de stupeur il se frappa la poitrine et cria aux autres : « Mon Seigneur soit avec vous tous ! » Et le Christ répondit à Adam : « Et avec ton esprit ». Et lui ayant saisi la main, il lui dit : « Tiens-toi debout, toi qui dormais, lève-toi d’entre les morts et le Christ t’illuminera. Je suis ton Dieu et, à cause de toi, je suis devenu ton fils. Lève-toi, toi qui dormais, car je ne t’ai pas créé pour que tu séjournes ici enchaîné dans l’enfer. Surgis d’entre les morts, je suis la Vie des morts. Lève-toi, toi, l’œuvre de mes mains, toi, mon effigie, qui a été faite à mon image. Lève-toi et partons d’ici car tu es en moi et je suis en toi, nous formons tous deux une personne unique et indivisible.
À cause de toi, moi, ton Dieu, je suis devenu ton fils ; à cause de toi, moi le Seigneur, j’ai pris la forme d’esclave ; à cause de toi, moi qui demeure au-dessus des cieux, je suis descendu sur la terre, et sous la terre. Pour toi, homme, je me suis fait comme un homme sans protection, livré aux juifs dans le jardin et j’ai été crucifié dans le jardin. Regarde sur mon visage les crachats que j’ai reçus pour toi, afin de te replacer dans l’antique paradis. Regarde sur mes joues la trace des soufflets que j’ai subis pour rétablir en mon image ta beauté détruite. Regarde sur mon dos la trace de la flagellation que j’ai reçue afin de te décharger du fardeau de tes péchés, qui avait été imposé sur ton dos. Regarde mes mains qui ont été solidement clouées au bois à cause de toi qui autrefois as mal étendu tes mains vers le bois… Je me suis endormi sur la croix et la lance a percé mon côté à cause de toi qui t’es endormi au paradis et as fait sortir Ève de ton côté. Ma douleur a guéri la douleur de ton côté. Et mon sommeil te fait sortir maintenant du sommeil de l’enfer. Lève-toi et partons d’ici, de la mort à la vie, de la corruption à l’immortalité, des ténèbres à la lumière éternelle. Levez-vous et partons d’ici et allons de la douleur à la joie, de la prison à la Jérusalem céleste, des chaînes à la liberté, de la captivité aux délices du paradis, de la terre au ciel.
Mon Père céleste attend la brebis perdue, un trône de chérubin est prêt, les porteurs sont debout et attendent, la salle de noces est préparée, les tentes et les demeures éternelles sont ornées, les trésors de tout bien sont ouverts, le royaume des cieux qui existait avant tous les siècles vous attend.
Source :
Homélie pour le Samedi-saint, PG 43, 444-464. Cité par H. Urs von Balthasar dans Dieu et l’homme d’aujourd’hui, « Foi Vivante » n° 16, Paris 1966, p. 258-262.
JEAN PAUL II : LES PSAUMES DANS LA TRADITION DE L’EGLISE, Lecture: Ps 150
3 juillet, 2013JEAN PAUL II
AUDIENCE GÉNÉRALE
MERCREDI 28 MARS 2001
LES PSAUMES DANS LA TRADITION DE L’EGLISE
Lecture: Ps 150
1. Dans la Lettre apostolique Novo millennio ineunte, j’ai souhaité que l’Eglise se distingue davantage dans l’ »art de la prière », en l’apprenant toujours à nouveau des lèvres du divin Maître (cf. n. 32). Cet engagement doit être vécu en particulier dans la Liturgie, source et sommet de la vie ecclésiale. Dans cette optique, il est important de réserver une plus grande attention pastorale à la promotion de la Liturgie des Heures comme prière de tout le Peuple de Dieu (cf. Ibid., n. 34). En effet, si les prêtres et les religieux ont le mandat précis de la célébrer, elle est cependant vivement recommandée également aux laïcs. C’est à cela que visait, il y a un peu plus de trente ans, mon vénéré prédécesseur Paul VI, à travers la Constitution Laudis canticum dans laquelle il déterminait le modèle en vigueur de cette prière, souhaitant que les Psaumes et les Cantiques, structure portante de la Liturgie des Heures, soient compris « avec un amour renouvelé par le Peuple de Dieu » (AAS 63 [1971], 532).
Il est encourageant de savoir que de nombreux laïcs, tant dans les paroisses que dans les groupes ecclésiaux, ont appris à la valoriser. Elle reste toutefois une prière qui suppose une formation catéchétique et biblique adaptée, afin de pouvoir l’apprécier totalement.
Dans ce but, nous commençons aujourd’hui une série de catéchèses sur les Psaumes et sur les Cantiques proposés dans la prière matinale des Laudes. Je désire, de cette façon, encourager et aider toutes les personnes présentes à prier avec les mêmes paroles utilisées par Jésus et présentes depuis des millénaires dans la prière d’Israël et dans celle de l’Eglise.
2. Nous pourrions entreprendre l’étude des Psaumes de diverses façons. La première consisterait à présenter leur structure littéraire, leurs auteurs, leur formation, les contextes dans lesquels ils sont nés. Ensuite, une lecture qui en soulignerait le caractère poétique, qui atteint parfois de très hauts niveaux d’intuition lyrique et d’expression symbolique, serait suggestive. Il serait tout aussi intéressant de reparcourir les Psaumes en considérant les divers sentiments de l’âme humaine qu’ils manifestent: joie, reconnaissance, action de grâce, amour, tendresse, enthousiasme, mais également souffrance intense, récrimination, demande d’aide et de justice, qui débouchent parfois sur de la rage et des imprécations. Dans les Psaumes, l’être humain se retrouve entièrement lui-même.
Notre lecture cherchera surtout à faire apparaître la signification religieuse des Psaumes, en montrant comment ceux-ci, bien qu’ayant été écrits il y a de nombreux siècles par des croyants juifs, peuvent être utilisés dans la prière des disciples du Christ. Nous serons aidés en cela par les conclusions de l’exégèse, mais, dans le même temps, nous nous mettrons à l’écoute de la Tradition, en particulier nous nous placerons à l’écoute des Pères de l’Eglise.
3. Ces derniers, en effet, avec une profonde pénétration spirituelle, ont su discerner et indiquer la grande « clef » de lecture des Psaumes dans le Christ lui-même, dans la plénitude de son mystère. Les Pères en étaient tout à fait convaincus: dans les Psaumes, il est question du Christ. En effet, Jésus ressuscité applique à lui-même les Psaumes lors-qu’il dit à ses disciples: « Il faut que s’accomplisse tout ce qui est écrit de moi dans la Loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes » (Lc 24, 44). Les Pères ajoutent que dans les Psaumes, on parle au Christ, ou que c’est le Christ lui-même qui parle. En affirmant cela, ils ne pensaient pas seulement à la personne individuelle de Jésus, mais au Christus totus, à tout le Christ, formé par le Christ tête et par ses membres.
C’est ainsi que naît, pour le chrétien, la possibilité de lire le Psautier à la lumière de tout le mystère du Christ. C’est précisément cette optique qui en fait également apparaître la dimension ecclésiale, qui est particulièrement mise en évidence par le chant choral des Psaumes. On comprend ainsi comment les Psaumes ont pu être utilisés, dès les premiers siècles, comme prière du Peuple de Dieu. Si, au cours de certaines périodes de l’histoire, est apparue une tendance à préférer d’autres prières, les moines ont eu le grand mérite de conserver allumée dans l’Eglise la flamme du Psautier. L’un d’eux, saint Romuald fondateur des Camaldules, à l’aube du second millénaire chrétien, arrivait à soutenir que – comme l’affirme son biographe Bruno de Querfurt – les Psaumes sont l’unique voie pour faire l’expérience d’une prière vraiment profonde: « Una via in psalmis » (Passio sanctorum Benedicti et Johannes ac sociorum eorundem: MPH VI, 1893, 427).
4. Avec cette affirmation, à première vue excessive, il restait en réalité ancré à la meilleure tradition des premiers siècles chrétiens, quand le Psautier était devenu le livre par excellence de la prière ecclésiale. Ce fut un choix juste face aux tendances hérétiques qui menaçaient sans cesse l’unité de foi et de communion. A ce propos, il est intéressant de mentionner une lettre merveilleuse que saint Athanase écrivit à Marcellin dans la première moitié du IVème siècle, alors que l’hérésie arienne sévissait, portant atteinte à la foi dans la divinité du Christ. Face aux hérétiques qui attiraient les gens à eux, notamment à travers des chants et des prières qui en gratifiaient les sentiments religieux, le grand Père de l’Eglise se consacra de toutes ses forces à enseigner le Psautier transmis par l’Ecriture (cf. PG 27, 12sq). Ce fut ainsi qu’au « Notre Père », la prière du Seigneur par antonomase, s’ajouta la pratique, vite devenue universelle parmi les baptisés, de la prière psalmodique.
5. Egalement grâce à la prière communautaire des Psaumes, la conscience chrétienne a rappelé et compris qu’il est impossible de s’adresser au Père qui habite dans les cieux sans une authentique communion de vie avec les frères et les soeurs qui habitent sur terre. De plus, en s’insérant de façon vitale dans la tradition de prière des juifs, les chrétiens apprirent à prier en racontant les magnalia Dei, c’est-à-dire les grandes merveilles accomplies par Dieu, que ce soit dans la création du monde et de l’humanité, ou dans l’histoire d’Israël et de l’Eglise. Cette forme de prière puisée à l’Ecriture n’exclut assurément pas des expressions plus libres, et celles-ci continueront non seulement à caractériser la prière personnelle, mais également à enrichir la prière liturgique elle-même, par exemple avec des hymnes et des tropaires. Le Livre du Psautier demeure toutefois la source idéale de la prière chrétienne, et l’Eglise continuera à s’en inspirer au cours du nouveau millénaire.