PENSÉE ET SAGESSE D’ISRAËL

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PENSÉE ET SAGESSE D’ISRAËL

(UNIVERSITÉ POPULAIRE DE jÉRUSALEM)

L’histoire des idées n’est pas dissociable de l’histoire d’un peuple. Cela vaut pour le patrimoine intellectuel et spirituel d’Israël. Au regard de la culture dominante, l’apport culturel du peuple juif paraît aussi méconnu que ses évolutions historiques. Pourtant, il est incontestable que la culture du peuple juif est partie intégrante de son narratif, et qu’elle oriente dans une large mesure la philosophie de l’histoire d’Israël. La pensée et la sagesse d’Israël représente le versant culturel et spirituel du narratif juif. Elle est aussi bien la matière de l’historiographie scientifique, que le motif constant d’un vécu de l’histoire, tout autant que la condition d’une philosophie de l’histoire susceptible d’entrer en rivalité avec les conceptions dominantes, souvent fondées sur la contestation d’Israël. La connaissance par les textes constitue sans doute l’un des biais privilégié d’une compréhension renouvelée de l’apport hébraico-juif au développement de la civilisation. Un abord frontal, d’emblée préoccupé de solliciter les sources, de les « faire parler », est aussi la meilleure manière de déchirer le voile du préjugé, ou du lieu commun. Dans ce domaine aussi, l’enseignement privilégie le parti pris de la continuité. Cela consiste d’abord à situer les sources relativement à leur époque, compte tenu de leur mode de formation. Il ne s’agit pourtant pas de valoriser la perspective historique, ni de poser sur les textes un regard de muséographe, ni de conservateur du patrimoine seulement soucieux de préserver une somme documentaire. Disons plutôt, d’accord avec Emmanuel Lévinas, qu’il s’agit moins de « parler du texte, que de faire parler le texte ». Le souci de précision oblige à débuter l’enseignement par une initiation au Talmud, ce qui a priori peut passer pour ce qu’il y a de plus difficile. Il s’agira en l’occurrence de familiariser le public avec les deux dimensions indissociables de ce vaste corpus : son aspect légal autant que son aspect narratif, en montrant que la Halakha (Loi) demeure inséparable de la Aggadah (Récit). Il sera question d’exposer les six ordres de la Michna (ensemble des énoncés de la loi orale), et de montrer comment la Guemara (exégèse de la Michna) vient s’y rapporter. L’étude, axée sur texte, envisage nécessairement de sélectionner certains thèmes, qui trouvent toujours un écho chez le lecteur contemporain.  L’une des finalités de cette initiation vise à nuancer l’idée reçue selon laquelle le Talmud ne serait qu’un commentaire de la Bible. A tout le moins, la Bible juive ne se conçoit pas indépendamment du corpus talmudique avec lequel elle forme un ensemble cohésif et cohérent. L’étape suivante consiste à familiariser le public avec l’esprit du Midrach, ou, pour être plus exact, avec l’esprit qui traverse la lettre du midrach. A commencer par l’examen du vocable même, et de ses acceptions. Il s’agira d’abord de situer le genre midrachique dans l’ensemble de la littérature rabbinique, d’en détailler les principales sources. Mais ces connaissances préalables ne sont qu’un préambule à l’examen détaillé du mode de connaissance et de compréhension du texte biblique que constitue la parole midrachique. Le Midrach est partie intégrante de la loi orale, sa rhétorique tend à pluraliser le sens du texte, à combler une lacune apparente de la littéralité, ou à dénouer un complexe de sens inapparent. Il s’agira ici de montrer en quoi la dynamique du midrach appelle d’abord une herméneutique, qui tient dans l’élaboration d’une fonction langagière de la tradition. Après quoi, pourrait-on ajouter avec une pointe d’humour, il restera à se demander comment se peut-il que d’aucuns persistent à lire la Bible sans exégèse ? L’expérience renouvelée de la Révélation n’est-elle pas renouvellement du sens de la parole ? Loin de constituer un « appendice » du texte princeps, le midrach définit son milieu premier, puisqu’il est une saisie permanente, voire un ressaisissement constant de vues verbalisées qui, autrement, menacent de se figer en aperçus désuets, ou simplistes. Chemin faisant, il sera question du lien rémanent qui relie le Midrach classique à la liberté associative des modernes. Tout cela, pourrait-on dire, nous parle d’un lieu bien « particulier », peut-être d’un « particularisme » aujourd’hui inaudible, sinon intolérable . Est-ce pourtant le cas ? En ce stade, l’enseignement posera la question de l’universel, comme étant la question à laquelle les sources juives nous font un devoir de nous confronter. Que dit Israël de l’humanité, et plus spécifiquement de la diversité humaine ? Celle-ci doit-elle être « réduite » par la conversion, ou au contraire respectée et cultivée ? Et si la différence humaine est la condition même de l’altérité, comment la sagesse d’Israël envisage-t-elle que la paix puisse régner au sein de l’humanité ? Comment cette vision de l’universel peut-elle s’accommoder, sinon appeler comme son corrélat éthique nécessaire un partage de la Loi qui ne soit pas égalité obtenue par la contrainte ? Comment la sagesse d’Israël relie-t-elle le respect de la différence à celui d’une Loi transcendante ? Ce questionnement nous invite à considérer comment, pour le judaïsme, s’articule la Torah dont l’observance incombe au seul peuple juif, et les sept préceptes des enfants de Noé dont l’observance incombe aux non-Juifs ? A quel niveau se situe l’équivalence éthique et métaphysique des deux législations ? La compréhension de la philosophie juive n’est pas moins objet de perplexité de la part du tout venant, y compris dans les sphères académiques. « Philosophie juive », n’est-ce pas une contradiction dans les termes ? Ce simple questionnement, s’il n’était encore le fruit de la méconnaissance, peut cependant s’entendre en bonne part : Il interroge, une fois de plus, une singularité de l’histoire de la pensée, également indissociable de l’histoire. L’idée de philosophie dans le judaïsme éclot assez tard dans le développement de la pensée juive : elle apparaît au 10è siècle de l’ère commune, à l’initiative de Saadia Gaon, auteur du Sefer Emounot vé deot (Livre des croyances et des opinions), à une époque où il devient nécessaire d’expliquer les principes du judaïsme, dans le langage de la philosophie, non seulement pour faire connaître ceux-ci aux nations, mais aussi pour plaider la cause de la Torah auprès des Juifs éloignés. A cet égard, la philosophie juive constitue un discours intermédiaire entre le monde de l’étude et de la transmission et celui du dialogue avec l’environnement non-juif. Le précédent créé par Saadia Gaon fait figure de paradigme. La philosophie juive connaîtra depuis lors un développement relativement autonome, caractérisé par les grands pôles intellectuels et spirituels tels que Maïmonide, Moïse Mendelshonn, Hermann Cohen, Franz Rosensweig, Martin Buber, Emmanuel Lévinas, etc. — d’autant que la plupart de ces auteurs formule ses conceptions sous l’égide d’une défense de la rationalité. L’actualité constante de la philosophie juive tient enfin au fait que ses expressions successives naissent dans des contextes culturels très distincts, qui consistent aussi à s’emparer des enjeux du moment –intellectuels et culturels, sociétaux et politiques– pour signifier un ordre de priorité éthique qu’il convient de préserver. La présentation de la sagesse juive, en tant que quintessence des enseignements du judaïsme, impose également certains choix dans le cadre d’une initiation. Cela n’empêche toutefois pas l’incursion profonde dans les textes. Il sera ici question de faire apparaître les liens de solidarité et de continuité qui se tissent entre le traité Avot du Talmud (traité communément connu sous le titre des Maximes des Pères) et la tradition du moussar (éthique) dont les fins sont avant tout pratiques, puisque ses contenus visent à doter chacun(e) des moyens du perfectionnement spirituel. Tout comme la philosophie juive, la tradition morale d’Israël connaît un développement relativement autonome, marqué par une corpus textuel des plus riches. Il n’est pas un siècle qui soit exempt d’une contribution majeure en ce domaine : Pour ne citer que les plus saillants, depuis le Sefer tikkoun Middot haNefech (Livre du perfectionnement des qualités de l’âme) de Rabbi Salomon Ibn Gavirol (12è siècle) jusqu’au Messilat Yécharim (Chemin des justes) de Rabbi Moshé Haïm Luzzatto (18è siècle) et à l’Iggeret haMoussar de Rabbi Israël Salanter (19è siècle) et de ses disciples successifs (20è et 21è siècles). Cette immense tradition, à la fois psychologique, éthique et spirituelle sous-tend et accompagne le développement du peuple juif, le rappelant à ses devoirs vis-à-vis de l’Alliance et des nations. Il sera notamment question de montrer en quoi cette sagesse, constamment professée, demeure en phase avec nombre de nos aspirations. Le dernier moment de cet suite pédagogique concerne les racines juives du sionisme. L’intention didactique est explicite : il s’agit de couper court au stéréotype négatif qui veut que le mouvement d’indépendance nationale du peuple juif soit né au 19è siècle, comme l’expression la plus tardive, et la plus atypique, du mouvement des nationalités. La perspective d’une aspiration à la souveraineté se fait jour sous la plume de Judah Halévy (12è siècle) dans le Sefer Kuzari (Livre du Kuzari), moment décisif dans la généalogie de la problématique de la renaissance nationale d’Israël. La réflexion de J. Halévy pose les jalons d’une ligne de pensée ininterrompue depuis, dont l’oeuvre du Maharal de Prague (18è siècle) : Be’er haGola (Le Puits de l’Exil), ainsi que la pensée du Rav Abraham Isaac Kook, théoricien explicite du sionisme religieux, dès la fin du 19è siècle : Orot Techouvah (Les Lumières du Retour), constituent les pôles de formulation majeurs. L’examen des conceptions de ces trois auteurs, dont la pensée a nourri des générations, sera l’occasion d’une réflexion collective sur la signification morale et politique du sionisme, compris comme réappropriation par le peuple juif, de sa propre histoire, en regard du double souci de se projeter dans l’avenir, compte tenu du legs de la tradition. La prise en compte de cette problématique est de nature à stimuler la réflexion sur les enjeux contemporains du rapport entre modernité et héritage culturel, mais aussi à avancer quelques propositions sur la caractérisation de l’identité nationale d’Israël.

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