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LA RÈGLE DE SAINT BENOÎT – CHAPITRE VII: DE L’HUMILITE
10 juillet, 2013http://www.abbaye-saint-benoit.ch/benoit/regle.htm#_Toc502483631
LA RÈGLE DE SAINT BENOÎT
CHAPITRE VII: DE L’HUMILITE
La divine Ecriture, mes frères, proclame pour notre gouverne : « Quiconque s’élève sera humilié, et celui qui s’humilie sera glorifié. » En tenant ce langage, elle nous montre que tout élèvement s’apparente à l’orgueil, et nécessite les précautions dont se munit le Prophète disant : « Seigneur, j’ai fui l’élèvement du cœur et les hautes ambitions ; je n’ai point marché dans des voies prétentieuses, ni vers le mirage d’une condition supérieure à la mienne. » Bien plus, il poursuit : » Si je n’entretiens de bas sentiments de moi-même, Si je m’estime plus que je ne dois, tu me traiteras dans ta justice comme l’enfant trop tôt sevré, qu’on arrache des bras de sa mère.
Voulons-nous, par conséquent, mes frères, atteindre au sommet de cette souveraine humilité, voulons-nous parvenir par une ascension rapide à ces hauteurs célestes où mène l’abaissement de la vie présente, il s’agit alors d’y monter par la gradation de nos œuvres, et de dresser vers le ciel cette même échelle où Jacob vit en songe monter et descendre les anges. Il est ici hors de doute que monter et descendre signifient pour nous que l’on s’abaisse en voulant s’élever, et qu’on s’élève en s’abaissant. Quant à cette échelle dressée, c’est proprement notre vie d’ici-bas, pour alitant que le Seigneur élève jusqu’aux cieux le cœur qui s’humilie. Convenons maintenant que les deux côtés de l’échelle figurent notre corps et notre âme : entre ces montants, Dieu a inséré, nous invitant à les gravir, les échelons successifs de l’art spirituel qui porte nom humilité.
Le premier degré d’humilité est que, par l’effet d’une constante attention à la crainte de Dieu, on échappe résolument à la légèreté d’esprit et qu’on se remémore tous les préceptes divins. Si l’on ne cesse, en effet, de retourner dans son esprit la menace de la géhenne où brûlent pour leurs péchés ceux qui méprisent Dieu, et la promesse de vie éternelle réservée à ceux qui le craignent, on saura se garder à toute heure des péchés et des vices, ceux des pensées, de la langue, des mains, des pieds, ceux de la volonté propre, ou encore des désirs de la chair. Que l’homme considère donc que Dieu le regarde à tout moment du haut du ciel ? en quelque lieu que nous soyons, nos actions sont à découvert sous les yeux de la Divinité et lui sont à tout instant rapportées par les anges. Le Prophète nous donne à entendre cette vérité, et témoigne à quel point nos plus secrètes pensées sont à nu devant Dieu, quand il dit : » Dieu scrute les reins et les cœurs, » et de même : « Le Seigneur connaît les desseins des hommes » ; il dit encore : « Tu pénètres de loin mes pensées, » et : « Tout ce qui s’agite en l’homme vient se déclarer devant Toi. » Dès lors, pour exercer la vigilance sur ses pensées mauvaises, un frère avisé ne manquera pas de se redire au fond du cœur : Pour être sans tache devant Lui, il faut me bien garder de jamais l’offenser.
Quant à la volonté propre, nous trouvons dans l’Ecriture cette défense expresse de la suivre : « Détourne-toi de tes volontés. » Nous demandons d’ailleurs nous-mêmes à Dieu dans la Prière » que ce soit sa volonté qui s’accomplisse en nous. « On voit par là combien justifiée est la doctrine du renoncement à la volonté propre; car on évite ainsi l’écueil signalé dans l’Ecriture : » Il est des chemins qui aux yeux des hommes semblent droits, mais qui, au terme, vous plongent jusqu’au fond de l’enfer. » Et nous serons bien inspirés d’envisager avec frayeur le sort de ceux qui se laissent aller à leurs penchants, et dont il est écrit » qu’ils s’y corrompent et y deviennent abominables à Dieu. »
Enfin, pour maîtriser les désirs de la chair, recourons encore et toujours au sentiment de la présence de Dieu, et disons avec le Prophète : « Tous mes désirs, Seigneur, sont devant Toi. » S’il faut ainsi nous garder du désir mauvais, c’est que la mort est postée sur le seuil même de l’accès au plaisir ; d’où le précepte de l’Ecriture : « Ne te laisse pas entraîner par tes convoitises. »
En résumé, si les yeux du Seigneur observent sans cesse les bons et les méchants, si le Seigneur jette du haut du ciel ses regards sur les enfants des hommes pour discerner ceux qui se montrent attentifs à Le chercher, si enfin les anges établis sur nous font chaque jour, font nuit et jour, rapport à Dieu de nos actions, il nous faut prendre garde à tout instant, mes frères, comme dit le Prophète dans les psaumes, que Dieu ne nous voie à quelque moment enclins à pécher, abusant de sa grâce, de peur que, nous ayant épargnés aujourd’hui par grande indulgence et parce qu’il nous laisse le temps de nous amender et de nous tourner vers lui, il ne nous dise un jour : » Voilà ce que tu as fait, et je patientais. »
Le second degré d’humilité consiste à se détacher assez de la volonté propre pour ne plus goûter la satisfaction d’en suivre les mouvements, et pour réaliser dans sa conduite ce que le Seigneur dit de lui-même : « Je ne suis pas venu faire ici-bas ma volonté, mais celle du Père qui m’a envoyé. » L’Ecriture dit ailleurs : « Courir au plaisir c’est encourir la peine, et plier sous la loi c’est gagner la couronne. »
Le troisième degré d’humilité est que, pour l’amour de Dieu, on se soumette au supérieur avec une obéissance sans réserve, à l’imitation du Seigneur qui, nous dit l’Apôtre, « s’est fait obéissant jusqu’à la mort. »
Au quatrième degré d’humilité, s’il arrive que, dans cette voie d’obéissance, on soit en butte à toute sorte de difficultés, de traitements durs ou même injustes, alors, au lieu de protester, on met tout son cœur à embrasser la patience, et à tout supporter sans lâcher prise ni reculer d’un pas, car l’Ecriture dit : « Qui persévère jusqu’à la fin, celui-là sera sauvé. » Et en un autre endroit : « Que ton cœur s’affermisse, et soutienne les délais du Seigneur. Elle montre encore que l’âme fidèle doit, pour le Seigneur, tout endurer et jusqu’aux pires contrariétés, quand elle fait ainsi parler ceux qui sont dans l’épreuve : » C’est à cause de Toi qu’à longueur de journée nous sommes exposés à la mort et traités comme menu bétail de boucherie. » Inébranlables toutefois dans l’espérance de la rétribution divine, ils poursuivent avec joie : « Mais en toutes ces rencontres nous gardons l’avantage, pour l’amour de Celui qui nous a aimés. » Ailleurs on lit encore dans l’Ecriture : « Tu nous as éprouvés, Seigneur, tu nous as fait passer par le feu, comme l’argent qu’on éprouve dans la fournaise ; tu nous as fait prendre au lacet, tu as accumulé les tribulations sur nos épaules. » Et qu’il nous faille ainsi subir le joug d’un supérieur, la suite du texte le montre bien : « Tu as placé des hommes comme un poids sur nos têtes. » De fait, c’est par la patience au milieu des contradictions et des injustices qu’on accomplira jusqu’au bout le précepte du Seigneur : frappé sur une joue, on tendra l’autre ; à qui ravit la tunique, on abandonne par surcroît le manteau ; angarié pour une corvée d’un mille, on en fera deux ; avec l’Apôtre Paul on supporte les faux frères, et à ceux qui maudissent, on adresse en retour des paroles de bénédiction.
Le cinquième degré d’humilité est de ne rien cacher à son Abbé des pensées mauvaises qui se présentent à l’esprit, ni des fautes commises dans le secret. L’Ecriture nous exhorte à pratiquer cette humble confession quand elle nous dit : « Expose devant Dieu ta conduite et espère en Lui, » ou encore : » Confessez-vous au Seigneur, car il est bon, et sa miséricorde est éternelle. » Le Roi Prophète dit aussi : » Je T’ai déclaré mon péché, et je n’ai pas celé mon iniquité ; j’ai dit : je prononcerai contre moi-même devant le Seigneur que j’ai offensé ; mais Ta bonté corrigera la malice de mon âme. »
Le sixième degré d’humilité est qu’un moine trouve son contentement dans tout ce qu’il y a de plus commun et de moindre. Dans les tâches où on l’emploie, il se regarde comme un piètre ouvrier et un incapable. Avec le Prophète il se dit : Me voilà ramené à rien, et je ne sais rien ; Tu le vois, je suis traité comme une bête de somme ; mais je me tiens toujours avec Toi.
Le septième degré d’humilité est que le moine, non en protestations purement verbales, mais par un sentiment profond et une intime conviction du cœur, se reconnaisse comme le plus vil et le dernier de tous les êtres, et que s’abaissant jusqu’à terre il dise avec le Prophète : « Moi, je ne suis qu’un ver, et non un homme, la honte de l’humanité et le rebut du peuple. Je m’étais exalté, et me voici dans l’abjection et la confusion. » Le Prophète dit encore : « Comme il est bon pour moi que Tu m’aies humilié ! par là j’ai appris à T’obéir. »
Le huitième degré d’humilité est qu’un moine ne fasse rien qui ne soit conforme à la règle commune du monastère, ou encouragé par la tradition des anciens.
Le neuvième degré d’humilité est qu’un moine sache retenir sa langue et que, fidèle à la loi du silence, il attende pour parler qu’on l’interroge, d’autant que l’Ecriture témoigne qu’ « à parler beaucoup, on ne peut manquer de pécher » ; et que « le bavard ne trouve pas le droit chemin sur la terre. »
Le dixième degré d’humilité condamne l’habitude de rire à tout propos. Il est écrit : « Le rire bruyant trahit la sottise. »
Le onzième degré d’humilité est que le moine, amené à parler, le fasse sans élever le ton ni badiner, avec une humble gravité, dans un langage sobre et sensé, et qu’il évite les éclats de voix. On dit en effet que « le sage, pour se faire connaître, n’a pas besoin de beaucoup de mots. »
Au douzième degré, l’humilité dont le cœur du moine est rempli passe dans tout son extérieur, et se laisse apercevoir aux regards d’autrui.
A l’Œuvre de Dieu, à l’oratoire, dans le cloître, au jardin, sur les chemins, par les champs, en tout lieu, qu’il soit assis, en marche ou debout, on le voit toujours penchant la tête et fixant les yeux à terre, dans le grave sentiment de sa culpabilité et sous le poids de ses fautes, comme si, à cette heure même, il avait conscience d’affronter le redoutable jugement de Dieu. Dans son cœur il redit sans cesse les paroles que prononçait le publicain de l’Evangile, les yeux humblement baissés: « Seigneur, je ne suis pas digne, moi pécheur, de lever mes regards vers le ciel, » et avec le Prophète il ajoute : « Je me tiens courbé et profondément humilié. »
Lorsqu’enfin le moine a gravi tous ces échelons d’humilité, il atteint bien vite le sommet de la charité divine d’où est bannie la crainte. Tout ce qu’il ne pouvait accomplir au début sans l’appui de cette crainte, il se met à l’observer par amour, sans nul effort, et, pour ainsi dire, avec l’aisance de l’habitude acquise. Ce n’est plus la peur de l’enfer, c’est l’amour du Christ qui le meut, ainsi que l’entraînement au bien et le charme de la vertu. Cette œuvre de L’Esprit-Saint, daigne le Seigneur la montrer achevée en celui qui avec son concours travaille à se purifier des vices et des péchés.
BENOÎT XVI: SAINT BENOÎT DE NURSIE (11 JUILLET)
10 juillet, 2013BENOÎT XVI
AUDIENCE GÉNÉRALE
MERCREDI 9 AVRIL 2008
SAINT BENOÎT DE NURSIE (11 JUILLET)
Chers frères et sœurs,
Je voudrais parler aujourd’hui de saint Benoît, fondateur du monachisme occidental, et aussi Patron de mon pontificat. Je commence par une parole de saint Grégoire le Grand, qui écrit à propos de saint Benoît: « L’homme de Dieu qui brilla sur cette terre par de si nombreux miracles, ne brilla pas moins par l’éloquence avec laquelle il sut exposer sa doctrine » (Dial. II, 36). Telles sont les paroles que ce grand Pape écrivit en l’an 592; le saint moine était mort à peine 50 ans auparavant et il était encore vivant dans la mémoire des personnes et en particulier dans le florissant Ordre religieux qu’il avait fondé. Saint Benoît de Nursie, par sa vie et par son œuvre, a exercé une influence fondamentale sur le développement de la civilisation et de la culture européenne. La source la plus importante à propos de la vie de ce saint est le deuxième livre des Dialogues de saint Grégoire le Grand. Il ne s’agit pas d’une biographie au sens classique. Selon les idées de son temps, il voulut illustrer à travers l’exemple d’un homme concret – précisément saint Benoît – l’ascension au sommet de la contemplation, qui peut être réalisée par celui qui s’abandonne à Dieu. Il nous donne donc un modèle de la vie humaine comme ascension vers le sommet de la perfection. Saint Grégoire le Grand raconte également dans ce livre des Dialogues de nombreux miracles accomplis par le saint, et ici aussi il ne veut pas raconter simplement quelque chose d’étrange, mais démontrer comment Dieu, en admonestant, en aidant et aussi en punissant, intervient dans les situations concrètes de la vie de l’homme. Il veut démontrer que Dieu n’est pas une hypothèse lointaine placée à l’origine du monde, mais qu’il est présent dans la vie de l’homme, de tout homme.
Cette perspective du « biographe » s’explique également à la lumière du contexte général de son époque: entre le V et le VI siècle, le monde était bouleversé par une terrible crise des valeurs et des institutions, causée par la chute de l’Empire romain, par l’invasion des nouveaux peuples et par la décadence des mœurs. En présentant saint Benoît comme un « astre lumineux », Grégoire voulait indiquer dans cette situation terrible, précisément ici dans cette ville de Rome, l’issue de la « nuit obscure de l’histoire » (Jean-Paul II, Insegnamenti, II/1, 1979, p. 1158). De fait, l’œuvre du saint et, en particulier, sa Règle se révélèrent détentrices d’un authentique ferment spirituel qui transforma le visage de l’Europe au cours des siècles, bien au-delà des frontières de sa patrie et de son temps, suscitant après la chute de l’unité politique créée par l’empire romain une nouvelle unité spirituelle et culturelle, celle de la foi chrétienne partagée par les peuples du continent. C’est précisément ainsi qu’est née la réalité que nous appelons « Europe ».
La naissance de saint Benoît se situe autour de l’an 480. Il provenait, comme le dit saint Grégoire, « ex provincia Nursiae » – de la région de la Nursie. Ses parents, qui étaient aisés, l’envoyèrent suivre des études à Rome pour sa formation. Il ne s’arrêta cependant pas longtemps dans la Ville éternelle. Comme explication, pleinement crédible, Grégoire mentionne le fait que le jeune Benoît était écoeuré par le style de vie d’un grand nombre de ses compagnons d’étude, qui vivaient de manière dissolue, et qu’il ne voulait pas tomber dans les mêmes erreurs. Il voulait ne plaire qu’à Dieu seul; « soli Deo placere desiderans » (II Dial. Prol. 1). Ainsi, avant même la conclusion de ses études, Benoît quitta Rome et se retira dans la solitude des montagnes à l’est de Rome. Après un premier séjour dans le village d’Effide (aujourd’hui Affile), où il s’associa pendant un certain temps à une « communauté religieuse » de moines, il devint ermite dans la proche Subiaco. Il vécut là pendant trois ans complètement seul dans une grotte qui, depuis le Haut Moyen-âge, constitue le « coeur » d’un monastère bénédictin appelé « Sacro Speco ». La période à Subiaco, une période de solitude avec Dieu, fut un temps de maturation pour Benoît. Il dut supporter et surmonter en ce lieu les trois tentations fondamentales de chaque être humain: la tentation de l’affirmation personnelle et du désir de se placer lui-même au centre, la tentation de la sensualité et, enfin, la tentation de la colère et de la vengeance. Benoît était en effet convaincu que ce n’était qu’après avoir vaincu ces tentations qu’il aurait pu adresser aux autres une parole pouvant être utile à leur situation de besoin. Et ainsi, son âme désormais pacifiée était en mesure de contrôler pleinement les pulsions du « moi » pour être un créateur de paix autour de lui. Ce n’est qu’alors qu’il décida de fonder ses premiers monastères dans la vallée de l’Anio, près de Subiaco.
En l’an 529, Benoît quitta Subiaco pour s’installer à Montecassino. Certains ont expliqué ce déplacement comme une fuite face aux intrigues d’un ecclésiastique local envieux. Mais cette tentative d’explication s’est révélée peu convaincante, car la mort soudaine de ce dernier n’incita pas Benoît à revenir (II Dial. 8). En réalité, cette décision s’imposa à lui car il était entré dans une nouvelle phase de sa maturation intérieure et de son expérience monastique. Selon Grégoire le Grand, l’exode de la lointaine vallée de l’Anio vers le Mont Cassio – une hauteur qui, dominant la vaste plaine environnante, est visible de loin – revêt un caractère symbolique: la vie monastique cachée a sa raison d’être, mais un monastère possède également une finalité publique dans la vie de l’Eglise et de la société, il doit donner de la visibilité à la foi comme force de vie. De fait, lorsque Benoît conclut sa vie terrestre le 21 mars 547, il laissa avec sa Règle et avec la famille bénédictine qu’il avait fondée un patrimoine qui a porté des fruits dans le monde entier jusqu’à aujourd’hui.
Dans tout le deuxième livre des Dialogues, Grégoire nous montre la façon dont la vie de saint Benoît était plongée dans une atmosphère de prière, fondement central de son existence. Sans prière l’expérience de Dieu n’existe pas. Mais la spiritualité de Benoît n’était pas une intériorité en dehors de la réalité. Dans la tourmente et la confusion de son temps, il vivait sous le regard de Dieu et ne perdit ainsi jamais de vue les devoirs de la vie quotidienne et l’homme avec ses besoins concrets. En voyant Dieu, il comprit la réalité de l’homme et sa mission. Dans sa Règle, il qualifie la vie monastique d’ »école du service du Seigneur » (Prol. 45) et il demande à ses moines de « ne rien placer avant l’Œuvre de Dieu [c'est-à-dire l'Office divin ou la Liturgie des Heures] » (43, 3). Il souligne cependant que la prière est en premier lieu un acte d’écoute (Prol. 9-11), qui doit ensuite se traduire par l’action concrète. « Le Seigneur attend que nous répondions chaque jour par les faits à ses saints enseignements », affirme-t-il (Prol. 35). Ainsi, la vie du moine devient une symbiose féconde entre action et contemplation « afin que Dieu soit glorifié en tout » (57, 9). En opposition avec une réalisation personnelle facile et égocentrique, aujourd’hui souvent exaltée, l’engagement premier et incontournable du disciple de saint Benoît est la recherche sincère de Dieu (58, 7) sur la voie tracée par le Christ humble et obéissant (5, 13), ne devant rien placer avant l’amour pour celui-ci (4, 21; 72, 11) et c’est précisément ainsi, au service de l’autre, qu’il devient un homme du service et de la paix. Dans l’exercice de l’obéissance mise en acte avec une foi animée par l’amour (5, 2), le moine conquiert l’humilité (5, 1), à laquelle la Règle consacre un chapitre entier (7). De cette manière, l’homme devient toujours plus conforme au Christ et atteint la véritable réalisation personnelle comme créature à l’image et à la ressemblance de Dieu.
A l’obéissance du disciple doit correspondre la sagesse de l’Abbé, qui dans le monastère remplit « les fonctions du Christ » (2, 2; 63, 13). Sa figure, définie en particulier dans le deuxième chapitre de la Règle, avec ses qualités de beauté spirituelle et d’engagement exigeant, peut-être considérée comme un autoportrait de Benoît, car – comme l’écrit Grégoire le Grand – « le saint ne put en aucune manière enseigner différemment de la façon dont il vécut » (Dial. II, 36). L’Abbé doit être à la fois un père tendre et également un maître sévère (2, 24), un véritable éducateur. Inflexible contre les vices, il est cependant appelé à imiter en particulier la tendresse du Bon Pasteur (27, 8), à « aider plutôt qu’à dominer » (64, 8), à « accentuer davantage à travers les faits qu’à travers les paroles tout ce qui est bon et saint » et à « illustrer les commandements divins par son exemple » (2, 12). Pour être en mesure de décider de manière responsable, l’Abbé doit aussi être un personne qui écoute « le conseil de ses frères » (3, 2), car « souvent Dieu révèle au plus jeune la solution la meilleure » (3, 3). Cette disposition rend étonnamment moderne une Règle écrite il y a presque quinze siècles! Un homme de responsabilité publique, même à une petite échelle, doit toujours être également un homme qui sait écouter et qui sait apprendre de ce qu’il écoute.
Benoît qualifie la Règle de « Règle minimale tracée uniquement pour le début » (73, 8); en réalité, celle-ci offre cependant des indications utiles non seulement aux moines, mais également à tous ceux qui cherchent un guide sur leur chemin vers Dieu. En raison de sa mesure, de son humanité et de son sobre discernement entre ce qui est essentiel et secondaire dans la vie spirituelle, elle a pu conserver sa force illuminatrice jusqu’à aujourd’hui. Paul VI, en proclamant saint Benoît Patron de l’Europe le 24 octobre 1964, voulut reconnaître l’œuvre merveilleuse accomplie par le saint à travers la Règle pour la formation de la civilisation et de la culture européenne. Aujourd’hui, l’Europe – à peine sortie d’un siècle profondément blessé par deux guerres mondiales et après l’effondrement des grandes idéologies qui se sont révélées de tragiques utopies – est à la recherche de sa propre identité. Pour créer une unité nouvelle et durable, les instruments politiques, économiques et juridiques sont assurément importants, mais il faut également susciter un renouveau éthique et spirituel qui puise aux racines chrétiennes du continent, autrement on ne peut pas reconstruire l’Europe. Sans cette sève vitale, l’homme reste exposé au danger de succomber à l’antique tentation de vouloir se racheter tout seul – une utopie qui, de différentes manières, a causé dans l’Europe du XX siècle, comme l’a remarqué le Pape Jean-Paul II, « un recul sans précédent dans l’histoire tourmentée de l’humanité » (Insegnamenti, XIII/1, 1990, p. 58). En recherchant le vrai progrès, nous écoutons encore aujourd’hui la Règle de saint Benoît comme une lumière pour notre chemin. Le grand moine demeure un véritable maître à l’école de qui nous pouvons apprendre l’art de vivre le véritable humanisme.