HOMÉLIE DU 11E DIMANCHE ORDINAIRE C

http://parolesdudimanche.blogs.lalibre.be/

HOMÉLIE DU 11E DIMANCHE ORDINAIRE C

2 S 12, 7-10, 13 ; Ga 2, 16, 19-21 ; Lc 7, 36 – 8, 3 (bref : 7, 36-50)

Aujourd’hui comme au temps de Jésus, bien des croyants les plus convaincus et les plus pieux n’échappent pas toujours à la tentation de se décerner eux-mêmes des prix de vertu et de multiplier les comparaisons flatteuses à leur égard. Au milieu des foules indifférentes, des infidèles et des pécheurs, ne sont-ils pas les fidèles observateurs de la Loi ? L’élite !
La satisfaction d’être en règle avec la Loi rassure et comble les esprits légalistes. Mais, nous rappelle Paul, « ce n’est pas en observant la Loi que l’homme devient juste devant Dieu, mais seulement par la foi en Jésus Christ… Car personne ne devient juste en pratiquant la Loi ». Plus fort encore, c’est précisément la Loi vénérée et observée minutieusement par les plus religieux des Juifs qui les a conduits à s’opposer à Jésus, à l’excommunier, puis à le condamner à mort. De quelle hérésie était-il coupable ? Quel crime avait-il commis ? Il avait prêché et pratiqué la supériorité de l’esprit sur la lettre, celle de la foi sur la Loi. La lettre tue. Elle a tué Jésus et les croyants peuvent continuer à le crucifier et à le faire mourir quand ils restent prisonniers de la rigidité et des étroitesses que secrète la lettre de la Loi.
Ce qui sauve, ce qui fait vivre, c’est l’amour de Dieu. C’est ce même amour qui exprime dans la Loi sa radicalité, ses libertés, ses exigences. Mais une Loi qui ne peut être comprise que par la foi, seule capable de transformer des mentalités, de briser les limites de la lettre pour ouvrir le cœur et l’esprit à l’amour.
Croyant engagé et pieux, le pharisien présenté par Luc l’était au plus haut point. Mais il était aussi formaliste et donc intransigeant, rivé à la sécurité des tabous et incapable de comprendre et d’évaluer, encore moins d’inventer, un geste d’amour et de miséricorde.
Curieux, intrigué à méfiant, le pharisien a invité le jeune prédicateur à sa table sans pour autant se mouiller par un accueil chaleureux. La présence de Jésus rend « l’impure » audacieuse jusqu’à la témérité. Bravant les interdits, elle accable le « pur » de démonstrations surprenantes, voire ambiguës. Quel scandale !
Poli, le maître de maison se tait, mais ses yeux le trahissent. Quel spectacle, en effet, et quel enseignement dans les regards qui se croisent ! Celui de Jésus, chargé d’affection et de respect, de compréhension et de miséricorde. Lui, il a compris l’attitude et les intentions de la femme en pleurs. Elle obtiendra d’ailleurs le pardon espéré, « à cause de son grand amour ». Une femme de foi.
Emotion de la pécheresse sentant fixés sur elle les yeux du Maître. Un regard bienveillant, tellement différent de ceux qui d’habitude la poursuivent.
Regard du pharisien, froid, sévère et lourd de mépris pour l’indigne créature. Regard à la fois satisfait et réprobateur envers ce prophète qui prouve bien qu’il n’en est pas un. Mais que dira-t-il alors lorsqu’il verra le rabbi Jésus, au mépris des habitudes, usages et traditions, être entouré de femmes-disciples « qu’il avait délivrées d’esprits mauvais et guéries de leurs maladies » ? Un scandale sans nom.
Entre-temps, grâce à Dieu, Simon aura compris qu’il ne faut pas juger sur les apparences et le qu’en dira-t-on ? Qu’il ne faut pas non plus dresser des frontières définitives entre les bons et les mauvais, les justes et les infidèles, les dignes et les indignes.
N’est-ce pas grâce à la pécheresse aimante et pardonnée que Simon a découvert qu’il était, lui aussi, digne de pardon et appelé à se débarrasser de l’amour de la Loi pour vivre la Loi de l’amour ? Il ne suffit pas de « marcher droit selon la loi » pour être assuré de « marcher droit selon la vérité de l’Evangile ». De même, l’obéissance à « la pratique dominicale » ne prouve pas qu’on adopte pour autant les conséquences de conversion et d’engagement qu’exige l’eucharistie.
N’est-il pas surprenant que les « justes » que nous croyons être, avons tant de difficulté pour découvrir et confesser nos péchés envers l’Amour, parce que nous observons commandements et traditions ?
Aurions-nous oublié « le regard qui tue, la parole qui frappe comme un coup de poignard, l’indifférence qui raye quelqu’un de la carte, la calomnie qui casse une réputation » (1), alors que la foi engendre « le geste qui sauve, le sourire qui efface l’anonymat, l’attention qui remet à flot », la confiance qui crée, la bienveillance qui épanouit ?

(1) « Peut-on ressusciter ? », A. Reboux-Caubel, Centurion, p 23.

P. Fabien Deleclos, franciscain (T)

1925 – 2008

Laisser un commentaire