Archive pour mai, 2013
MESSE EN LA SOLENNITÉ DE PENTECÔTE – HOMELIE DU PAPE BENOIT (2011)
17 mai, 2013MESSE EN LA SOLENNITÉ DE PENTECÔTE
OMELIA DEL SANTO PADRE BENEDETTO XVI
Basilique vaticane
Dimanche 12 juin 2011
Chers frères et sœurs!
Nous célébrons aujourd’hui la grande solennité de la Pentecôte. Si, en un certain sens, toutes les solennités liturgiques de l’Eglise sont grandes, celle de la Pentecôte l’est d’une manière particulière, parce qu’elle marque, au bout de cinquante jours, l’accomplissement de l’événement de la Pâque, de la mort et de la résurrection du Seigneur Jésus, à travers le don de l’Esprit du Ressuscité. L’Eglise nous a préparés à la Pentecôte ces jours derniers, à travers sa prière, avec l’invocation répétée et intense à Dieu pour obtenir une effusion renouvelée de l’Esprit Saint sur nous. L’Eglise a revécu ainsi ce qui est advenu à ses origines, lorsque les Apôtres, réunis au Cénacle de Jérusalem, «étaient assidus à la prière avec quelques femmes, dont Marie, mère de Jésus, et avec ses frères» (Ac 1, 14). Ils étaient réunis dans l’attente humble et confiante que s’accomplisse la promesse du Père qui leur avait été communiquée par Jésus: «C’est dans l’Esprit Saint que vous serez baptisés sous peu de jours… vous allez recevoir une force, celle de l’Esprit Saint qui descendra sur vous» (Ac 1, 5.8).
Dans la liturgie de la Pentecôte, au récit des Actes des Apôtres sur la naissance de l’Eglise (cf. Ac 2, 1-11), correspond le Psaume 103 que nous avons écouté, une louange de toute la création, qui exalte l’Esprit Créateur qui a fait toute chose avec sagesse: «Que tes œuvres sont nombreuses, Seigneur! Toutes avec sagesse tu les fis, la terre est remplie de ta richesse… A jamais soit la gloire du Seigneur, que le Seigneur se réjouisse en ses œuvres!» (Ps 103, 24.31). Ce que veut nous dire l’Eglise est ceci: l’Esprit créateur de toute chose, et l’Esprit Saint que le Christ a fait descendre du Père sur la communauté des disciples, sont un et identique: création et rédemption s’appartiennent réciproquement et constituent, en profondeur, un unique mystère d’amour et de salut. L’Esprit Saint est avant tout Esprit Créateur et donc la Pentecôte est aussi fête de la création. Pour nous chrétiens, le monde est le fruit d’un acte d’amour de Dieu, qui a fait toute chose et duquel Il se réjouit parce que «cela est bon», «cela est très bon», comme le dit le récit de la création (cf. Gn 1, 1-31). Dieu n’est pas le totalement Autre, innommable et obscur. Dieu se révèle, il a un visage, Dieu est raison, Dieu est volonté, Dieu est amour, Dieu est beauté. La foi dans l’Esprit Créateur et la foi dans l’Esprit que le Christ Ressuscité a donné aux Apôtres et donne à chacun de nous, sont alors inséparablement liées.
La deuxième lecture et l’Evangile d’aujourd’hui nous montrent ce lien. L’Esprit Saint est Celui qui nous fait reconnaître en Christ le Seigneur, et nous fait prononcer la profession de foi de l’Eglise: «Jésus est Seigneur» (cf. 1 Co 12, 3b). Seigneur est le titre attribué à Dieu dans l’Ancien Testament, titre qui dans la lecture de la Bible prenait la place de son nom imprononçable. Le Credo de l’Eglise n’est rien d’autre que le développement de ce qui est dit à travers cette simple affirmation: «Jésus est Seigneur». De cette profession de foi, saint Paul nous dit qu’il s’agit précisément de la parole et de l’œuvre de l’Esprit. Si nous voulons être dans l’Esprit Saint, nous devons adhérer à ce Credo. En le faisant nôtre, en l’acceptant comme notre parole, nous accédons à l’œuvre de l’Esprit Saint. L’expression «Jésus est Seigneur» peut se lire dans les deux sens. Elle signifie: Jésus est Dieu, et dans le même temps: Dieu est Jésus. L’Esprit Saint éclaire cette réciprocité: Jésus a une dignité divine et Dieu a le visage humain de Jésus. Dieu se montre en Jésus et il nous donne ainsi la vérité sur nous-mêmes. Se laisser éclairer en profondeur par cette parole, tel est l’événement de la Pentecôte. En récitant le Credo nous entrons dans le mystère de la première Pentecôte: après le désordre de Babel, de ces voix qui crient l’une contre l’autre, a lieu une transformation radicale: la multiplicité se fait unité multiforme, à travers le pouvoir unificateur de la Vérité grandit la compréhension. Dans le Credo qui nous unit de tous les coins de la Terre, qui, à travers l’Esprit Saint, fait en sorte que l’on se comprenne même dans la diversité des langues, à travers la foi, l’espérance et l’amour, se forme la nouvelle communauté de l’Eglise de Dieu.
Le passage évangélique nous offre ensuite une merveilleuse image pour éclairer le lien entre Jésus, l’Esprit Saint et le Père: l’Esprit Saint est représenté comme le souffle de Jésus Christ ressuscité (cf. Jn 20, 22). L’évangéliste Jean reprend ici une image du récit de la création, là où il est dit que Dieu souffla dans les narines de l’homme une haleine de vie (cf. Gn 2, 7). Le souffle de Dieu est vie. Aujourd’hui le Seigneur souffle dans notre âme la nouvelle haleine de vie, l’Esprit Saint, son essence la plus intime, et il l’accueille de cette manière dans la famille de Dieu. A travers le baptême et la confirmation nous est fait ce don de manière spécifique, et à travers les sacrements de l’Eucharistie et de la pénitence, il se répète continuellement: le Seigneur souffle dans notre âme une haleine de vie. Tous les sacrements, chacun à leur manière, communiquent à l’homme la vie divine, grâce à l’Esprit Saint qui œuvre en eux.
Dans la liturgie d’aujourd’hui nous saisissons encore un lien supplémentaire. L’Esprit Saint est Créateur, il est dans le même temps Esprit de Jésus Christ, mais d’une façon que le Père, le Fils et l’Esprit Saint sont un seul et unique Dieu. Et à la lumière de la première Lecture nous pouvons ajouter: l’Esprit Saint anime l’Eglise. Elle ne dérive pas de la volonté humaine, de la réflexion, de l’habileté de l’homme ou de sa grande capacité d’organisation, car s’il en était ainsi, elle se serait déjà éteinte depuis longtemps, comme passe toute chose humaine. L’Eglise en revanche est le Corps du Christ, animé par l’Esprit Saint. Les images du vent et du feu, utilisées par saint Luc pour représenter la venue de l’Esprit Saint (cf. Ac 2, 2-3), rappellent le Sinaï, où Dieu s’est révélé au peuple d’Israël et lui avait concédé son alliance; «la montagne du Sinaï était toute fumante — lit-on dans le Livre de l’Exode —, parce que le Seigneur y était descendu dans le feu» (19, 18). En effet, Israël fêta le cinquantième jour après Pâques, après la commémoration de la fuite de l’Egypte, comme la fête du Sinaï, la fête du Pacte. Quand saint Luc parle de langues de feu pour représenter l’Esprit Saint, on rappelle l’antique Pacte, établi sur la base de la Loi reçue par Israël sur le Sinaï. Ainsi, l’événement de la Pentecôte est représenté comme un nouveau Sinaï, comme le don d’un nouveau Pacte où l’alliance avec Israël est étendue à tous les peuples de la Terre, où tombent toutes les barrières de l’ancienne Loi et apparaît son cœur le plus saint et immuable, c’est-à-dire l’amour, que l’Esprit Saint justement communique et diffuse, l’amour qui embrasse toute chose. Dans le même temps, la Loi s’élargit, s’ouvre, tout en devenant plus simple: c’est le Nouveau Pacte, que l’Esprit «écrit» dans les cœurs de ceux qui croient dans le Christ. L’extension du Pacte à tous les peuples de la Terre est représentée par saint Luc à travers une énumération de populations considérables pour cette époque (cf. Ac 2, 9-11). A travers cela, une chose très importante nous est ainsi communiquée: que l’Eglise est catholique dès le premier moment, que son universalité n’est pas le fruit de l’agrégation successive de différentes communautés. Dès le premier instant, en effet, l’Esprit Saint l’a créée comme l’Eglise de tous les peuples; elle embrasse le monde entier, dépasse toutes les frontières de race, de classe, de nation: elle abat toutes les barrières et unit les hommes dans la profession du Dieu un et trine. Dès le début, l’Eglise est une, catholique et apostolique: c’est sa vraie nature et elle doit être reconnue comme telle. Elle est sainte non pas grâce à la capacité de ses membres, mais parce que Dieu lui-même, avec son Esprit, la crée, la purifie et la sanctifie toujours.
Enfin l’Evangile d’aujourd’hui nous offre cette très belle expression: «Les disciples furent remplis de joie à la vue du Seigneur» (Jn 20, 20). Ces paroles sont profondément humaines. L’Ami perdu est à nouveau présent, et qui était jusque là bouleversé se réjouit. Mais celle-ci nous dit bien davantage. Parce que l’Ami perdu ne vient pas d’un lieu quelconque, mais de la nuit de la mort; et Il l’a traversée! Il n’est plus un parmi d’autres, mais il est l’Ami et dans le même temps Celui qui est la Vérité qui fait vivre les hommes; et ce qu’il donne n’est pas une joie quelconque, mais c’est la joie même, don de l’Esprit Saint. Oui, il est bon de vivre parce que je suis aimé, et c’est la Vérité qui m’aime. Les disciples furent remplis de joie, en voyant le Seigneur. Aujourd’hui, à la Pentecôte, cette expression nous est destinée aussi, parce que dans la foi nous pouvons Le voir; dans la foi Il vient parmi nous et à nous aussi Il nous montre ses mains et son côté, et nous en sommes remplis de joie. C’est pourquoi nous voulons prier: Seigneur, montre-toi! Fais-nous le don de ta présence, et nous aurons le don le plus beau: ta joie. Amen!
DIMANCHE DE PENTECÔTE C – PÈRE PAUL VALADIER, JÉSUITE
17 mai, 2013http://www.stignace.net/homelies/pentecotec.htm
DIMANCHE DE PENTECÔTE C
PÈRE PAUL VALADIER, JÉSUITE
Pentecôte, naissance de l’Église ; venue de l’Esprit du Christ sur les Apôtres ; gigantesque impulsion qui s’empare des disciples d’abord terrorisés pour annoncer au monde la Bonne Nouvelle du salut. Pentecôte, c’est tout cela, et autre chose encore. Et je voudrais m’arrêter avec vous sur un aspect bien souligné dans le texte des Actes que nous avons lu : les foules assemblées d’origines culturelles diverses entendent le message dans leur propre langue . Les interprètes et traducteurs furent donc inutiles : chacun entend le même chose, et pourtant chacun n’entend que sa propre langue.
Loin d’être banal ou anecdotique, cet épisode dévoile le dessein de Dieu sur l’humanité. Dévoilement dont on ne comprend bien toute la portée que si on le compare à cet autre épisode célèbre de la Bible : la tentative humaine de construire une tour à Babel. L’Écriture situe l’un par rapport à l’autre, le dessein des hommes à Babel et le dessein de Dieu à la Pentecôte. Ce que les hommes souhaitent c’est d’entreprendre une œuvre commune, à laquelle tous et chacun seraient attelés ; c’est de chercher une unification telle que chacun parlerait la même langue, serait identique à tous les autres ; le symbole en est une tour, entreprise gigantesque pour atteindre le ciel, mais en arasant les différences des cultures et des projets humains. Babel, c’est la tentation d’un monde où règnerait l’identique, l’homogène, l’égalité parfaite, et d’où seraient écartées les différences, les diversités, la pluralité. Or Babel échoue, sans doute selon la Bible par une intervention de Dieu, mais parce que ce projet est intrinsèquement contradictoire : comment faire l’unité de tous en balayant les différences qui font la richesse de l’humanité ? comment vouloir que tous jargonnent dans une même langue qui serait la langue de tous parce qu’elle serait la langue de personne ?
Le dessein de Dieu sur l’humanité,nous le voyons à la Pentecôte. Il n’est pas l’unification niveleuse, l’éradication de la diversité des cultures et des langues, la soumission de tous à la même toise. Ce sont les hommes qui, comme dans les défilés militaires, ne veulent voir qu’une seule tête. Dieu, lui, aime voir plusieurs têtes. Il est le Dieu de la communion des diversités où chacun trouve sa juste place sans renoncer à son identité propre. A Jérusalem ce jour-là, les cultures ne sont pas niées ou ignorées ; les langues diverses ne sont pas supprimées au profit d’un sabir anonyme . Toutes et chacune sont prises au sérieux et c’est en leur sein, du dedans d’elles-mêmes qu’elles entendent le message. Le même message, la même parole d’élection et d’amour, la même Bonne Nouvelle, mais dans des langages différents.
Voilà ce que Dieu veut pour l’humanité. Comment ne pas sentir et comprendre l’actualité de ce message ? Car les hommes ne cessent pas de rêver de Babel, d’un monde unifié par le nivellement et des comportements communs, d’une cité où les différences auraient été supprimés : tous égaux, tous pareils, tous interchangeables, tous au même prix, donc sans prix et sans valeur, jetables, éjectables, biodégradables. Mais le dessein de Dieu sur nous n’est pas que nous nous arrachions à ces diversités qui font la richesse de l’humanité telle que Dieu la veut : différence et unicité de chaque personne humaine, différence entre les sexes et non uniformité, différences entre les cultures admirables dans la mesure où elles respectent les hommes et les femmes qui y vivent, convergence de nos qualités diverses comme dans un tableau ou une symphonie dont la richesse vient de la complémentarité des couleurs et des sons.
Il revient à l’Église la première, donc à chacun de nous, d’honorer cette diversité des manières de vivre et de comprendre le monde, d’accepter d’être vraiment catholique, c’est-à-dire vivant d’un universalisme qui ne soit pas niveleur. Rude tâche et cependant celle même à laquelle Dieu appelle tous les hommes qu’il a voulu et qu’il veut différents. Rude tâche pour laquelle l’Église devrait être le symbole et la réalisation balbutiante de la communion de tous dans une même foi, confessée dans nos diversités et nos cultures. Le monde a certainement un long chemin à faire pour s’approcher de la Pentecôte plutôt que de Babel, mais assurément l’Église catholique aussi n’a pas encore vraiment réalisé en elle-même la volonté de Dieu sur elle. Prions en ce jour de Pentecôte pour que le message de ce pluralisme vivant où l’humanité respire dans sa diversité soit entendu, par nos propres esprits d’abord, dans l’Église ensuite, mais aussi dans le monde.
Our Lady of China
16 mai, 2013LA MÉDITATION POUR QUE DISPARAISSE L’EGO
16 mai, 2013http://www.meditation-chretienne.org/meditation_ego.htm
LA MÉDITATION POUR QUE DISPARAISSE L’EGO
JOHN MAIN O.S.B.
» Si nous pouvons abandonner l’ego, nous pouvons entrer dans le royaume de Dieu.
Aucun rituel magique ne nous y conduira, seulement la mort du faux ego.
Seul l’amour nous donne la force de tout laisser pour entrer dans cet ordre nouveau de l’être. »
Willigis Jager
La méditation est un moyen de parvenir à une réalité incommensurable au-delà de toutes les images. Le problème qui se pose à nous au cours de ce cheminement, c’est que nous devons contourner notre ego qui est le fabricateur suprême d’images, de nous-mêmes la plupart du temps, et dans une moindre mesure, des autres et même de Dieu.
Lorsque l’on commence à méditer, l’ego réagit immédiatement. Il rassemble ses forces en péril et pose la question : « Vas-tu perdre du temps à cela ? Quel progrès fais-tu ? À quoi arrives-tu ? » Si l’on est plutôt du genre obstiné et que l’on continue à méditer malgré ses sarcasmes, il essaiera probablement une autre tactique : « Tu fais ça merveilleusement bien, tu vas devenir saint, tu es fait pour la mystique »… Et c’est ainsi que l’ego se met à fabriquer à notre intention l’image de l’homme ou de la femme vraiment spirituelle. Très vite, cette image se brise et nous voilà revenus au point de départ. Il existe d’innombrables moyens par lesquels l’ego essaiera de nous décourager, de nous faire arrêter de méditer, car l’ego sait dès le départ que si nous méditons, si nous dépassons vraiment toute image pour atteindre la réalité, il… sera détrôné. Il perdra son pouvoir.
Alors, pourquoi faudrait-il méditer ? Je pense que nous arrivons tous, en fin de compte, à la réponse suivante : à des moments variables dans nos vies, nous avons tous voulu rechercher avec force la vérité, Dieu. La méditation répond à ce besoin… Ce que nous savons, je pense, c’est que nous avons tous essayé de prier, nous avons tous voulu prier, et nous avons tous échoué. Mais à un certain moment, nous arrivons à la conclusion que la sagesse que nous recevons de la tradition contemplative de prière est une sagesse qui transforme l’échec en triomphe. Le silence et la pauvreté dont nous faisons l’expérience en méditation deviennent dignes de foi. Nous savons que Dieu ne s’analyse pas. Nous savons qu’avec nos esprits limités, nous ne comprendrons pas l’infinitude de Dieu. Mais nous savons aussi, ou du moins nous commençons à le soupçonner vaguement, que nous pouvons faire l’expérience de l’amour de Dieu pour nous… Ce savoir qui vient de l’expérience nous enseigne aussi que les images fabriquées par l’ego, qu’elles soient d’impuissance ou de sainteté, doivent toutes être abandonnées. Aucune ne peut être prise au sérieux…
La réussite et l’échec cèdent la place à ce que l’expérience de la méditation nous a amenés à connaître comme vrai : la mort et la résurrection. Chaque fois que nous nous asseyons pour méditer, nous mourons à nous-mêmes et nous ressuscitons au-delà de nos limitations dans la vie nouvelle en Christ. Nous savons que c’est sa vie en nous, son Esprit qui habite en nos cœurs, qui est réel et l’énergie essentielle de notre croissance. Nous savons aussi que nous ne réaliserons pleinement notre potentiel que si nous sommes enracinés dans cette réalité, enracinés dans cet amour et vivants par sa force. Nous avons à apprendre à dire notre mot de prière. Nous avons à apprendre comment le dire du début à la fin de notre méditation. Nous avons à comprendre que c’est la discipline quotidienne qui, finalement, ôte les masques de l’ego. Une fois démasqué, il disparaît. Il ne faut pas être impatient ou abattu. Il faut dire le mot de prière, avec foi, jour après jour. Réussite ou échec n’auront plus d’importance. La seule chose qui compte est la réalité de Dieu, la réalité de sa présence dans notre cœur…
John Main o.s.b., The Way of Unknowing, “Beyond All Images” (Au-delà des images), New York, Crossroad, 1990, p. 41-43.
Extrait de la lettre hebdomadaire de la Communauté Mondiale des Méditants Chrétiens
Communauté Mondiale de Méditants Chrétiens (CMMC)
ST AUGUSTIN LIT ET COMMENTE ST JEAN
16 mai, 2013http://peresdeleglise.free.fr/Augustin/commandementnouveau.htm
ST AUGUSTIN LIT ET COMMENTE ST JEAN
CHAPITRE 5E : LE COMMANDEMENT NOUVEAU
On trouve ce « commandement nouveau », l’Amour, tout particulièrement au cœur du 65e Tractatus, avec la question : Comment ce commandement « aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » est-il nouveau, alors qu’inscrit dans la loi ancienne, il apparaît si ancien ?
Nous aurons aussi recours au Commentaire sur la première Epître de St Jean qui est surtout une méditation sur l’amour (à l’image de la 1ère épître de Jean).
Aimer même nos ennemis.
« Quelle est la perfection de l’amour ? D’aimer même nos ennemis, et de les aimer à cette fin qu’ils deviennent nos frères » … « Aime tes ennemis en souhaitant qu’ils deviennent tes frères ; aime tes ennemis en demandant qu’ils soient appelés à entrer en communion avec toi. » (Comment. sur la 1ère Ep., Tr, 1, 9).
Dans le texte de référence « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés », ce qui est très important, en effet c’est : « aimer comme je vous ai aimés ». C’est pour cela qu’il convient d’aimer ses ennemis.
« C’est ainsi, en effet qu’a aimé celui qui, suspendu à la Croix, disait : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu’ils font. » [Lc 23, 24] Il n’a pas dit : « Père, fais en sorte qu’ils vivent longtemps ; moi, ils me mettent à mort ; mais eux, qu’ils vivent ! Non, que dit-il ? « Pardonne-leur, car ils ne savent ce qu’ils font. » Il voulait les arracher à la mort éternelle, par une prière toute de miséricorde et une puissance toute de force. Nombre d’entre eux crurent, et il leur fut pardonné d’avoir versé le sang du Christ. D’abord ils le versèrent en s’acharnant contre lui, ensuite ils le burent en croyant en lui. » A ce signe nous savons que nous sommes en lui, si en lui nous sommes parfaits. » C’est à cette perfection de l’amour des ennemis que le Seigneur nous invite, lorsqu’il dit : « Soyez donc parfaits, comme votre Père céleste est parfait. » [MT 5, 48].(Tr I, 9, p. 135)
Pour arriver à cela, il faut déjà aimer ses frères : sans quoi on ne peut être dans la lumière et on est un menteur :
« Aimez vos ennemis » ? Gardez-vous du moins, ce qui serait plus grave, de haïr vos frères. Si vous n’aimez que vos frères, vous ne seriez pas encore parfaits ; mais si vous haïssez vos frères, qu’êtes-vous ? où en êtes-vous ? Que chacun regarde en son cœur ! Qu’il ne garde pas rancune à son frère, pour quelque parole dure ; que pour une chicane de la terre, il ne devienne pas terre ! Quiconque hait son frère en effet, qu’il ne prétende pas marcher dans la lumière ! Que dis-je ? Qu’il ne prétende pas marcher dans le Christ ! » Quiconque prétend être dans la lumière tout en haïssant son frère, est encore dans les ténèbres. » (Tr I, 11, p. 139)
L’explication plus complète de « l’amour des ennemis » viendra plus tard.
L’amour du monde qui détourne de l’amour de Dieu.
« Mais comment pourrons-nous aimer Dieu, si nous aimons le monde ? Dieu prépare donc en nous l’inhabitation de la charité. Il y a deux amours : du monde et de Dieu ; là où habite l’amour du monde, nul accès à l’amour de Dieu. Que l’amour du monde cède la place, et que Dieu habite en nous : que le meilleur occupe la place. Tu aimais le monde, renonce à l’amour du monde ; lorsque tu auras vidé ton cœur de tout amour terrestre, tu puiseras l’amour de Dieu : et déjà commence d’habiter en toi la charité, d’où ne peut provenir aucun mal. Ecoutez donc les paroles de celui qui ne veut que purifier. Le cœur humain est pour lui comme un champ : mais en quel état le trouve-t-il ? S’il y trouve une forêt, il défriche ; s’il trouve un champ nettoyé, il plante. Il veut y planter un arbre, la charité. Et quelle forêt veut-il défricher ? L’amour du monde. Ecoute ce que dit le défricheur de forêt : N’aimez pas le monde – c’est le verset qui suit – ni ce qui est dans le monde. Si quelqu’un aime le monde, la dilection du Père n’est pas en lui. » (Tr. II, 8)
Pourquoi ne pas aimer le monde ? Le Christ lui-même est venu dans le monde mais :
« Combien grande est la différence, bien qu’ils soient tous deux dans la prison, entre un accusé et celui qui vient le voir ! Il arrive en effet qu’un homme vienne voir son ami, lui rende visite : apparemment tous deux sont en prison, mais leur condition est bien distincte et différente ! L’un est sous le coup d’une accusation, l’autre est venu par amitié. De même nous étions détenus en cette vie mortelle par le péché ; lui, il y est descendu par miséricorde. Il est venu vers le captif en rédempteur, non en accusateur. Le Seigneur a versé son sang pour nous, il nous a rachetés, il a changé notre destin en espérance. Nous portons encore la mortalité de la chair, mais nous avons le gage de l’immortalité future : nous sommes ballottés sur la mer, mais déjà nous avons fixé sur le sol l’ancre de l’espérance. » (Tr II, 10, pp. 171-173)
Le monde d’après St Jean, rappelle Augustin, est
convoitise de la chair
convoitise des yeux
amibition du monde.
Et il s’interroge : pourquoi n’aimerais-je pas le monde que le Seigneur a fait ?
« Pourquoi n’aimerai-je pas ce que Dieu a fait ? Que l’Esprit de Dieu soit en toi pour te faire voir que tout cela est bon ; mais malheur à toi si, en aimant les créatures, tu abandonnes le Créateur ! Elles te semblent belles ? mais combien plus beau celui qui les a faites ! » (ibid. p. 173)
Suit alors une comparaison très « augustinienne » :
« … supposons qu’un fiancé donne une bague à sa fiancée ; si celle-ci préfère la bague à son fiancé, qui a fait cette bague pour elle, ne surprend-on pas, dans cet attachement au cadeau du fiancé, un cœur adultère, encore que cette jeune fille aime ce que lui a donné son fiancé ? Bien sûr, elle aime ce que lui a donné son fiancé ; pourtant, si elle disait : Cette bague me suffit ; mais lui, je ne veux plus le voir, quelle femme serait-ce là ? qui ne condamnerait cette folie ? qui ne convaincrait ce cœur d’adultère ? Tu aimes l’or au lieu de l’homme, tu aimes la bague au lieu du fiancé : si tels sont tes sentiments que tu préfères la bague au fiancé et ne veuilles plus voir ton fiancé, alors le gage qu’il t’a donné n’est plus lien d’amour, mais cause d’aversion. En te donnant ce gage, le fiancé espérait être aimé pour lui-même à travers ce gage. Si donc Dieu t’a donné toutes ces choses, aime-le, lui qui les a faites. Il veut te donner plus, je veux dire se donner, lui qui les a faites. Mais si tu aimes ces choses, même faites par Dieu, en négligeant le Créateur et en aimant le monde, ton amour ne sera-t-il pas tenu pour adultère ? (Tr II, 11, p. 173-175).
Ceux qui aiment le monde, ceux qui sont le monde :
« désirent manger, boire, coucher ensemble, s’adonner aux plaisirs de cette sorte. Est-ce à dire qu’on ne puisse user de ces choses avec mesure ? Ou alors, quand on dit : « N’aimez pas ces plaisirs », faut-il comprendre qu’il faut ne pas manger, ne pas boire, ne pas procréer d’enfants ? Ce n’est pas cela qu’on veut dire ! Mais vous devez, selon l’intention du Créateur, en user avec mesure, afin de ne pas vous laisser enchaîner par l’amour de ces choses : de crainte d’aimer pour en jouir ce qui ne vous est donné que pour en user. » (Tr II, 12, p. 175-177).
Augustin compare avec les tentations du Christ ce qu’il baptise « convoitise de la chair », « convoitise des yeux », « ambition du monde ». Fidèles aux paroles du Christ qui repousse le Tentateur, nous échappons à la convoitise du monde. (réf. dans l’Evangile à : Mt 4, 1-11 ; Lc 4, 1-13).
Pourquoi le commandement est nouveau ?
Il y a trois nouveautés :
Aimer comme Jésus nous a aimés
Appel à être des hommes nouveaux (conséquences de l’amour de Dieu)
Etre des chantres du cantique nouveau.
1) Le commandement est nouveau parce qu’il est assorti de « comme je vous ai aimés » : cf. Hom. Sur l’Evangile de Jean, Tract 65, 1 :
« Le Seigneur Jésus affirme qu’il donne à ses disciples un commandement nouveau, celui de l’amour mutuel, lorsqu’il dit : Je vous donne un commandement nouveau, c’est de vous aimer les uns les autres.
Est-ce que ce commandement n’existait pas déjà dans la loi ancienne, puisqu’il y est écrit : Tu aimeras ton prochain comme toi-même ? Pourquoi donc le Seigneur appelle-t-il nouveau un commandement qui est évidemment si ancien ? Est-ce un commandement nouveau parce qu’en nous dépouillant de l’homme ancien il nous revêt de l’homme nouveau ? Certes, l’homme qui écoute ce commandement, ou plutôt qui y obéit, est renouvelé non par n’importe quel amour mais par celui que le Seigneur a précisé, en ajoutant, afin de le distinguer de l’amour charnel : Comme je vous ai aimés.
[…]
C’est cet amour-là qui nous renouvelle, pour que nous soyons des hommes nouveaux, les héritiers du testament nouveau, les chantres du cantique nouveau. » [cité d'après Livre des Jours, pp. 406-407]
S’aimer comme Jésus nous a aimés : par ces derniers mots, le Seigneur distingue l’amour mutuel qu’il demande à ses disciples :
non seulement de l’amour coupable que se portent des adultères ou de la solidarité qui lie des complices de crimes ou de brigandages (amour illicite)
mais encore de l’amour naturel qu’ont entre eux les époux, les parents et les enfants, les amis, etc. (amour licite et même « commandé »).
Il s’agit là de « charité humaine » qui est différente de la « charité divine » que Jésus demande aux siens.
2) Le commandement est nouveau surtout parce qu’il nous rend nouveaux !
C’est ainsi qu’Augustin formule la nouveauté dans le Tr 10, 4 du Commentaire sur la 1ère Epître : « Ce commandement est nouveau parce qu’il rend nouveau ». Il continue :
« Quel est le commandement de Dieu ? le commandement nouveau, justement dit nouveau, parce qu’il renouvelle l’homme. »
Il s’agit de ne plus être à l’étroit mais d’ »habiter au large » (Tr X, 6, p. 425), car l’amour de Dieu dilate nos cœurs :
« Aimez tous les hommes, même vos ennemis ; non parce qu’ils sont vos frères, mais pour qu’ils soient vos frères ; en sorte que toujours vous brûliez d’amour fraternel, soit pour celui qui est déjà votre frère, soit pour que votre ennemi, afin qu’à force d’amour, vous en fassiez votre frère. » (Tr. X, 7, p. 429).
On retrouve cela aussi au début du Sermon 336, 1 :
« Voulant entrer et habiter en nous, le Seigneur Christ disait comme pour bâtir sa maison : Je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres. Vous étiez vieux, vous n’étiez pas encore pour moi une demeure, vous gisiez dans vos ruines. Donc, pour vous arracher à la vieillerie de vos ruines, aimez-vous les uns les autres. »
La priorité est donnée à ce commandement de l’amour :
« Quelle autre question le Seigneur a-t-il posée à Pierre, après sa Résurrection, sinon celle-ci : « M’aimes-tu ? » Et il ne se contenta pas de l’interroger une fois ; mais, une seconde fois, même question, une troisième fois, même question. Bien que, la troisième fois, Pierre se fût attristé à la pensée que le Seigneur ne se fiait pas à lui, comme s’il ignorait ce qui se passait dans son cœur, cependant le Seigneur lui posa cette question une première, une seconde, une troisième fois. Trois fois la crainte a renié, trois fois l’amour a confessé. » (Tr. V, 4 Commentaire sur la 1ère Ep., p. 253).
La perfection de ce commandement est d’être prêt à mourir pour ses frères, mais surtout pour ses ennemis :
« C’est de cette charité que le Seigneur lui-même a donné l’exemple, lui qui est mort pour tous, a prié pour ceux qui le crucifiaient en disant : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu’ils font. » Mais s’il était seul à agir ainsi, il ne serait plus notre Maître, puisqu’il n’aurait pas de disciples. A sa suite, les disciples ont agi comme lui. Lapidé, Etienne se met à genoux et dit : « Seigneur, ne leur impute pas ce crime ». Il aimait ceux qui le tuaient, car c’est pour eux aussi qu’il mourait. Ecoute également l’apôtre Paul : « Je me dépenserai moi-même tout entier pour vos âmes. » Il était en effet de ceux pour lesquels priait Etienne, quand celui-ci mourait de leurs mains. » (Comment. sur la 1ère Ep., Tr V, 4, p. 255).
Il poursuit en rappelant le propos de Jean disant « quiconque hait son frère est un homicide » :
« Ne vous figurez pas, frères, que ce soit faute légère de haïr ou de ne pas aimer. Ecoutez ce qui suit : Quiconque hait son frère est un homicide. Si donc jusqu’alors quelqu’un prenait à la légère la haine qu’il a pour son frère, prendra-t-il également à la légère l’homicide qu’il commet dans son cœur ? Il ne fait pas un geste pour tuer un homme que déjà le Seigneur le tient pour homicide. Cet homme vit, et lui déjà est jugé meurtrier. Quiconque hait son frère est un homicide. Or vous savez qu’aucun homicide n’a la vie éternelle demeurant en lui. »
Pécher contre l’amour n’est pas seulement pécher contre celui qu’on n’aime pas : c’est pécher contre Dieu qui est amour : dit avec insistance par Augustin un peu plus loin dans le Tr. VII.
Mais comment atteindre cette perfection de la charité ? Cela commence par de petites choses :
« Si tu n’es pas encore capable de murir pour ton frère, sois déjà capable de lui donner de tes biens » (V, 12, p. 269).
Attention : la charité doit être sincère : on peut donner ses biens sans amour (souci de sa réputation, de popularité, gloire humaine…).
Les exigences du véritable amour sont donc :
la charité active :
« Si jamais vous voulez conserver la charité, mes frères, gardez-vous par dessus tout de croire qu’elle est languissante et oisive, et qu’on la conserve par une sorte de mansuétude, – que dis-je mansuétude, disons plutôt indolence et mollesse. Ce n’est pas ainsi qu’on la conserve. Ne te figure pas que tu aimes ton serviteur, quand tu ne le frappes pas ; que tu aimes ton fils, quand tu ne châties pas ; que tu aimes ton voisin, quand tu ne le reprends pas : ce n’est pas là charité, mais tiédeur. Que la charité soit fervente à corriger, à reprendre ! Si la vie est pure, réjouis-toi ; si elle est mauvaise, reprends, corrige. Ne va pas, dans l’homme, aimer l’erreur, mais l’homme ; car l’homme, c’est l’œuvre de Dieu ; l’erreur, c’est l’œuvre de l’homme. Aime l’œuvre de Dieu, non l’œuvre de l’homme. Aimer celle-ci, c’est détruire celle-là ; chérir celle-là, c’est purifier celle-ci. Mais, même s’il t’arrive de sévir, que ce soit par amour du mieux. » (p. 333, VII, 11)
la charité toujours :
« Les œuvres de miséricorde, les sentiments de charité, une piété sainte, une chasteté incorruptible, une tempérance qui garde la mesure, ce sont là vertus auxquelles nous devons toujours être fidèles. En public comme en privé, devant les hommes comme en notre chambre, qu’on parle ou se taise, qu’on soit occupé ou de loisir, ce sont vertus auxquelles nous devons toujours être fidèles : car toutes ces vertus que je viens d’énumérer sont intérieures. » (Tr VIII, 1, p. 339).
la charité humble :
« [L'Evangile (Mt 6, 1) dit] : » Gardez-vous de faire vos bonnes œuvres devant les hommes pour être vus d’eux. » A-t-il voulu dire que, quelque bien que nous fassions, nous devions nous cacher aux yeux des hommes et craindre d’en être vus ? Si tu crains les spectateurs, tu n’auras pas d’imitateurs : il faut donc qu’on te voie. Mais tu ne dois pas agir pour qu’on te voie. Là ne doit pas être la fin de ta joie, le terme de ton bonheur, comme si tu estimais avoir obtenu tout le fruit de ta bonne action, quand on t’aura vu et loué. Cela, c’est néant. Méprise-toi, quand on te loue : que celui-là soit loué en toi, qui agit par toi. Le bien que tu fais, ne le fais donc pas pour ta propre gloire, mais pour la gloire de celui qui te donne de bien faire. » (p. 341, Tr. VIII, 2)
l’amour des ennemis : la question a été posée dès le traité 4 et sous forme de contradiction : Le Seigneur commande d’aimer ses ennemis et Jean ne parle que d’amour fraternel : n’y a-t-il pas là contradiction ? Augustin y revient dans le Tr. VIII et propose enfin une solution : ce que le chrétien doit voir dans son ennemi, c’est un frère appelé à la même sainteté que lui (Augustin reprend l’exemple du Christ mourant pour ses bourreaux : « Souhaite [à ton ennemi] d’avoir part avec toi à la vie éternelle ; souhaite-lui d’être ton frère. Si donc tu souhaites, en aimant ton ennemi, qu’il devienne ton frère : quand tu l’aimes, c’est un frère que tu aimes » (p. 361, Tr VIII, 10) :
« Cherche la raison pour laquelle le Christ te dit d’aimer tes ennemis. Est-ce pour qu’ils demeurent à jamais tes ennemis ? S’il te prescrit de les aimer pour qu’ils demeurent tes ennemis, tu les hais, tu ne les aimes pas. Considère comment lui-même les a aimés : non pour qu’ils demeurassent ses persécuteurs, comme le montrent les paroles : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu’ils font. » Vouloir qu’ils soient pardonnés, c’était vouloir qu’ils soient changés ; vouloir qu’ils soient changés, c’était, d’ennemis qu’ils étaient, daigner faire d’eux des frères : et c’est bien ce qu’il a fait. » (p. 363, Tr VIII, 10).
La conclusion est que nous ne pourrions pas aimer « comme Dieu nous a aimés » s’il ne nous avait aimés le premier (idée centrale sur laquelle Augustin revient plusieurs fois) :
« Pourrions-nous l’aimer, s’il ne nous avait aimés le premier ? Si nous étions paresseux à l’aimer, ne soyons pas paresseux à lui rendre amour pour amour. Il nous a aimés le premier ; mais pour nous il n’en va pas de même. Il nous a aimés pécheurs, mais il a effacé le péché ; il nous a aimés pécheurs, mais il ne nous a pas rassemblés pour que nous commettions le péché. Il nous a aimés malades, mais il est venu parmi nous pour nous guérir. » (p. 325, Tr. VII, 7)
ou encore :
« En effet, comment pourrions-nous aimer, si lui ne nous avait aimés le premier ? En l’aimant, nous sommes devenus ses amis ; mais ce sont des ennemis qu’il a aimés pour en faire des amis. Le premier il nous a aimés, et nous a donné de l’aimer. Nous ne l’aimions pas encore ; en l’aimant nous devenons beaux. » (p. 397 , Tr. IX, 9).
3) Avec le commandement nouveau, nous sommes chantres du cantique nouveau.
C’est la troisième nouveauté annoncée plus haut.
Augustin lie commandement nouveau, homme nouveau, Testament nouveau, cantique nouveau ; mais c’est une affaire de cœur et non pas de temps qui distingue la Nouvelle Alliance et l’Ancienne Alliance : sous la loi ancienne il a existé des justes qui ont compris spirituellement les promesses terrestres ; sous la loi nouvelle, il y a des injustes qui n’ont pas reçu la parole de Dieu et qui n’ont pas été transformés.
Les commentaires principaux en la matière sont donnés dans les Enarrationes in Psalmos, commentaires sur les Ps 95 et 149.
« ‘Chantez au Seigneur un cantique nouveau’. Au vieil homme l’ancien cantique, au nouvel homme, un cantique nouveau. L’Ancien Testament est l’ancien cantique ; le Nouveau Testament est le cantique nouveau. L’ancien Testament contient des promesses temporelles et terrestres. Quiconque aime les biens de la terre, chante l’ancien cantique, quiconque veut chanter le cantique nouveau, doit aimer les choses éternelles. Ce nouvel amour est aussi éternel ; il est donc éternellement nouveau, parce qu’il ne vieillit jamais. Car à la bien considérer, c’est là une chose ancienne ; comment peut-elle être en même temps nouvelle ? Mes frères, est-ce que la vie éternelle est née récemment ? C’est le Christ lui-même qui est la vie éternelle et, en tant qu’il est Dieu, il n’est pas né récemment, car au commencement était le Verbe et le Verbe était en Dieu et le Verbe était Dieu ; il était en Dieu au commencement. Toutes choses ont été faites par lui et rien n’a été fait sans lui (Jn 1, 3). Si les choses qu’il a faites sont anciennes, qu’est-il lui-même, lui par qui elle s ont été faites ? Qu’est-il, s’il n’est éternel et co-éternel avec son Père ? Mais nous, qui sommes tombés dans le péché, nous sommes, par le péché tombés dans la vieillesse. C’est en effet notre voix qui dit, en gémissant, dans un autre Psaume : J’ai vieilli au milieu de tous mes ennemis (Ps 6, 8) : L’homme a vieilli par suite du péché, il est renouvelé par la grâce. Tous ceux qui sont renouvelés dans le Christ chantent donc le cantique nouveau et ils commencent ainsi à être dignes de la vie éternelle.
C’est aussi le cantique de la paix, c’est le cantique de l’amour. Quiconque se sépare de la communion des saints ne doit pas chanter le cantique nouveau. En effet, il a suivi l’impulsion de l’animosité du vieil homme et non celle de l’amour nouveau. Qu’y a-t-il dans cet amour nouveau. La paix, lien d’une sainte société, union étroite et spirituelle, édifice composé de pierres vivantes. Où est cet édifice ? Il est, non pas en un seul lieu, mais dans l’univers entier. C’est ce que nous voyons dans un autre Psaume, où il est dit : Chantez au Seigneur un cantique nouveau, que la terre entière adresse des cantiques au Seigneur (Ps 95, 1). Nous comprenons par là que celui qui ne chante pas avec toute la terre, chante l’ancien cantique, quelles que soient les paroles qui sortent de sa bouche. » En. in Ps. 149, 1-2
Le cantique nouveau produit des fruits d’amour et d’unité : « Que nul ne se sépare de l’unité, que nul ne s’en retire par le schisme si vous êtes froment, sachez supporter la paille jusqu’à ce que le vannage ait lieu. » (En. in Ps. 149, 3).
« Le Seigneur, qui aime le cantique nouveau, vous l’apprend en disant : « Que celui qui veut être mon disciple, se renonce lui-même, qu’il porte sa croix et qu’il me suive. »" (ibid. 149, 7)
Cette idée était déjà présente dans le Commentaire du Ps 95, 2 :
« ‘Chantez au Seigneur un cantique nouveau ; ô terre entière, chantez au Seigneur’ (Ps 95,1) Si toute la terre chante un cantique nouveau, la maison du Seigneur se construit lorsque la terre chante ; car c’est ce chant même qui l’élève, pourvu qu’il ne soit rien chanté de vieux. La cupidité de la chair chante ce qui est vieux, l’amour de Dieu chante ce qui est nouveau. Quoi que vous chantiez sous l’inspiration de la cupidité, vous ne chanterez que ce qui est vieux, et lors même que votre bouche prononcerait les paroles du Cantique nouveau, la louange n’est pas belle dans la bouche du pécheur [Eccl, XV, 9]. Il vaut mieux être l’homme nouveau et garder le silence, que d’être le vieil homme et de chanter ; car si vous êtes l’homme nouveau et que vous vous taisiez, les oreilles des hommes ne vous entendront pas, mais votre cœur n’en chantera pas moins le Cantique nouveau, et ce cantique parviendra jusqu’aux oreilles de Dieu, qui a fait de vous un homme nouveau. Vous aimez et vous gardez le silence ; or, l’amour même est une voix qui monte vers Dieu, et l’amour même est le Cantique nouveau. Ecoutez la preuve que c’est là le Cantique nouveau : « Je vous donne, dit le Seigneur, un commandement nouveau, qui est que vous vous aimiez les uns les autres (Jn XIII, 34) ». Toute la terre chante donc le Cantique nouveau, et c’est là qu’est bâtie la maison de Dieu. Toute la terre est donc la maison de Dieu. Si toute la terre est la maison de Dieu, quiconque n’est pas attaché à la terre tout entière, ne fait partie que d’une ruine et non de la maison de Dieu : il est cette vieille ruine, dont le vieux Temple était l’ombre. C’est là en effet que ce qui était vieux a été jeté bas, pour élever à la place ce qui est nouveau. » (En. In Ps., 95, 2).
Le résultat du cantique nouveau est la « rénovation par l’Amour ». L’édifice grandit par l’annonce avec zèle du Seigneur et de sa gloire :
« Si vous prétendez annoncer votre propre gloire, vous tomberez ; si vous annoncez sa gloire, c’est vous-même que vous placez dans l’édifice, en l’élevant. C’est pourquoi ceux qui prétendent annoncer leur propre gloire refusent de faire partie de cette maison, et c’est pour cela qu’ils ne chantent pas le cantique nouveau avec toute la terre ». (ibid).
Conclusion
« Chantez avec la voix, chantez avec le cœur, chantez avec la bouche, chantez par toute votre vie : Chantez au Seigneur un chant nouveau. Vous cherchez comment chanter celui que vous aimez ? Car, sans aucun doute, tu veux chanter celui que tu aimes. Tu cherches quelles louanges lui chanter ? Vous avez entendu : Chantez au Seigneur un chant nouveau. Vous cherchez où sont ses louanges ? Sa louange est dans l’assemblée des fidèles. La louange de celui que l’on veut chanter, c’est le chanteur lui-même.
Vous voulez dire les louanges de Dieu ? Soyez ce que vous dites. Vous êtes sa louange, si vous vivez selon le bien. » (Commentaire sur le Ps 149 – Livre des Jours, p. 378)
Kazan Mother of God
15 mai, 2013PRIÈRE DU LEVER (Orthodoxie)
15 mai, 2013http://www.pagesorthodoxes.net/liturgie/expres.htm
PRIÈRE DU LEVER
Béni soit notre Dieu en tout temps, maintenant et toujours et aux siècles des siècles. Amen.
Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur. (3 fois, avec métanie)
Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, par l’intercession de ta Mère toute-pure et de tous les saints, aie pitié de nous. Amen.
Gloire à toi, notre Dieu, gloire à toi. (puis les prières initiales : Roi du Ciel… Saint Dieu… Très sainte Trinité… Notre Père…)
Au sortir du sommeil, nous nous prosternons devant toi, Seigneur puissant et bon, et nous t’adressons l’hymne des anges : Saint, Saint, Saint, es-tu notre Dieu. Par l’intercession de la Mère de Dieu, aie pitié de nous.
Gloire au Père et au Fils et au Saint Esprit.
Seigneur qui m’éveille de mon sommeil, illumine mon cœur et mon esprit, ouvre mes lèvres pour te chanter, ô sainte Trinité : Saint, Saint, Saint, es-tu notre Dieu. Par l’intercession de la Mère de Dieu, aie pitié de nous.
Maintenant et toujours et aux siècles des siècles. Amen.
Le Juge viendra comme un éclair dévoiler les actions de chacun ; avec crainte chantons donc au terme de la nuit : Saint, Saint, Saint, es-tu notre Dieu. Par l’intercession de la Mère de Dieu, aie pitié de nous.
Seigneur, prends pitié. (12 fois)
Au sortir du sommeil, je te rends grâces, très-sainte Trinité ; car dans ta longanimité et ta grande bonté, Seigneur, tu ne t’es pas irrité contre moi, indolent et pécheur que je suis, tu ne m’as pas anéanti à cause de mes péchés, mais dans ton habituel amour pour les hommes tu m’as tiré de ma torpeur pour te chanter dès le matin et glorifier ta majesté.
SABBATAÏ TSEVI ( L’ouvrage magistral de Gershom Scholem… )
15 mai, 2013http://www.lechampdumidrash.net/articles.php?lng=fr&pg=293
SABBATAÏ TSEVI
L’ouvrage magistral de Gershom Scholem, Sabbataï Tsevi, le messie mystique illustre parfaitement le mode de production des élaborations messianiques.
Cet ouvrage montre bien comment l’espoir messianique peut sommeiller de manière invisible, tel un volcan endormi, pour se réveiller brutalement lorsque certaines circonstances historiques extrêmes se trouvent réunies. La Sabbataïsme est une des répliques du tremblement de terre qu’avait constitué le mouvement messianiste chrétien. Certes, il y eut avant Sabbataï Tsevi d’autres éruptions messianistes, mais la particularité du séisme sabbatéen, c’est qu’il a été à deux doigts d’emporter la totalité du Judaïsme vers le rejet de sa propre identité et une apostasie générale, acceptée et consciente de surcroît. Ce qui s’est joué là, c’est rien moins que la fin du Judaïsme. Sans la brutale réaction des autorités rabbiniques, la majeure partie du Judaïsme serait actuellement une secte musulmane hérétique, évoluant au mieux vers un marranisme turc. La minorité restante se serait recroquevillée dans un ritualisme asséché, ou aurait implosé en un millier de sectes, à l’image du protestantisme.
Les conditions de ce réveil tellurique sont comme toujours l’excès, le comble. Or, pour ce qui est de la souffrance, les Juifs de l’époque sont comblés. L’expulsion d’Espagne avait préparé le terrain. Ce sont les terribles massacres commis en 1648 par les Cosaques de Chmielnicki, en Pologne, qui furent, semble-t-il, l’événement déclenchant.
Les pogroms de Pologne passent dans la conscience juive à travers le colportage d’une rumeur, qui élabore le fait historique et lui donne le statut d’épreuve. Une telle tuerie devient un phénomène psychique de masse qui mobilise la culpabilité des auditeurs, exigeant une réponse rationnelle qui ne vient pas. À l’instar de l’exil, cet événement est alors interprété comme châtiment divin. Mais dans le registre de l’eschatologie, qui dit châtiment et épreuve, dit aussi expiation et rédemption imminente: C’est en éprouvant son peuple que Dieu le sauve. L’épreuve étant de taille, le Salut est donc proche. La monstruosité même des massacres devient l’indice de la proximité du Salut. On aurait là une sorte de pattern maniaco-dépressif, l’expiation entraînant une sorte d’euphorie mystique par dissipation momentanée du sentiment de culpabilité. Selon Scholem, Sabbataï Tsevi aurait déclaré qu’en Pologne, le messie fils de Joseph venait de mourir sous les traits d’une sorte de Juif Inconnu: Abraham Zalman. C’est dire si le salut final est imminent. Ceci est crucial pour penser rétrospectivement le mouvement messianiste chrétien. Nul besoin de l’existence historique d’un individu nommé Salut (Jésus) pour expliquer ce mouvement, tout massacre perpétré par les Romains, comme par exemple celui consécutif à la révolte de Bar Kokhba, est un événement potentiellement déclenchant. C’est sans doute ce que veut signifier le Talmud lorsqu’il nous rapporte que lors de la révolte de Bar Kokhba, Rabbi Aqiba ait pu dire: Celui-ci est le Roi messie. Et à son propos, il cita le verset: Un astre issu de Jacob… (Nb 24,17).
Scholem montre que l’explosion sabbatéenne est née de la rencontre d’un homme souffrant de troubles psychiques et d’une sorte de thérapeute, Nathan de Gaza. Ce dernier connaissait un grand succès dans les milieux juifs marqués par la cabale lurianique. Luria avait profondément renouvelé la cabale traditionnelle en réinterprétant l’Exil comme un phénomène cosmique et anthropologique, et non comme un simple événement historique et particulariste. De plus, il avait proposé, avec le concept de tiqun, une sorte de moyen d’action de l’homme sur le monde et sur l’évolution des choses. Analogue à ce qu’il faut bien appeler une sorte de magie, le tiqun donne un sens supportable à la vie exilique: l’homme peut agir pour la délivrance messianique. Il n’est pas condamné à une attente passive, il devient co-opérateur de la délivrance.
Nathan de Gaza parvient à comprendre le malaise de ses “patients” et à leur prescrire le tiqun approprié à leur âme. Sa clé d’interprétation est la doctrine du messie. Il interprète toujours le désêtre de ses auditeurs comme désir de messie, et, grâce à la doctrine de Luria, il leur indique comment agir pour hâter la satisfaction de ce désir.
Or, Sabbataï Tsevi souffre de graves troubles de l’humeur, que Scholem identifie à une psychose maniaco-dépressive. Dans ses phases maniaques, il se livre à des actes étranges, comme par exemple: rapporter chez lui un gros poisson et l’habiller en nourrisson, prononcer le nom divin ineffable, tenter d’arrêter la course du soleil, chanter, à l’office, de vielles chansons d’amour espagnoles ou déclarer recevoir de Dieu de nouvelles lois. Ces fantaisies, difficilement acceptables pour le Judaïsme de l’époque, aboutissent invariablement à son expulsion de la ville par les Rabbins du cru. Il est ainsi contraint à l’errance, à l’exil dans l’Exil. Ce rejet, et la dérision dont il est l’objet ne le guérissent pas de cette alternance de phases, elles semblent même la renforcer.
Sabbataï Tsevi consulte donc Nathan de Gaza, et celui-ci va donner un sens eschatologique à ses troubles. L’alternance des phases de son humeur n’est-elle pas à l’image de l’alternance entre les phases de faveur divine et d’absence de Dieu? Lorsque Sabbataï tente d’arrêter le soleil (Hama), n’est-ce pas pour mettre fin à la colère divine (Hama) et ouvrir ainsi l’ère messianique? Isaïe ne décrit-il pas le messie comme malade dans son chapitre 53?
La relation qui s’établit entre les deux hommes est-elle un délire à deux? Ce qui est certain, c’est que personne n’invente rien. On fouille (sens du mot midrash) les textes, à la recherche d’indices sur la venue messianique et, comme dans toute bonne tragédie, on découvre que le texte parle de soi. Cette étoile messianique dont parle l’Écriture, n’est-elle pas Sabbataï? (Sabbataï est le nom hébreu de la planète Saturne). Son nom tsevi signifie gazelle ou cerf, animal souvent associé à la biche, qui est en réalité un agent de l’eschatologie (ayelet ha-shaHar). Mais ce nom signifie aussi orgueil, parure, gloire. Ce nom porte donc en lui les significations contradictoires de l’animal pourchassé et de la gloire eschatologique. Si le messie représente en fin de compte Israël lui-même, à la fois objet précieux et objet de mépris dans le monde actuel, pourquoi Sabbataï Tsevi ne serait-il pas le messie? Isaïe ne dit-il pas clairement: Ce jour-là, le germe de Yahvé sera tsevi? (Is 4,2)
Isaïe 13, 14 parle d’un cerf pourchassé, tsevi mudaH, ce dernier terme possède la valence messianique 52 comme d’ailleurs Hamad dont il est l’anagramme et qui sera la racine du nom que choisira de porter Sabbataï une fois converti (mehemed en turc). Comme on l’imagine, on va traquer toutes les occurrences des signifiants Sabbataï et Tsevi pour guetter les rapprochements de sonorités et de valences, et ces rapprochements seront à la base de nouvelles élaborations. On a vu que le midrash chrétien utilisait le même type de fouillage, en recherchant les termes de même valeur que le mot mashiaH (messie) et qu’il produisait des textes à l’aide de ces termes (Yohanan: Jean; Ashré: bienheureux, etc.)
Ainsi du verset: Et Babylone, la perle (tsevi) des royaumes, le superbe joyau des Chaldéens, sera comme Sodome et Gomorrhe, dévastées par Dieu. Ce verset contient le terme-clè du renversement eschatologique hapekha. Sabbataï Tsevi va désormais croire qu’il est appelé à détruire le mal, que telle est sa mission. La proximité de son nom tsevi avec tsava (combat) le conforte. tsevaot signifie à la fois gazelles et est l’un des noms de Dieu (tsebaot le Dieu des armées). Sabbataï Tsevi est né le 9 ab date de la destruction des deux Temples, et son nom Sabbataï contient le mot bayit. Or, un midrash fait coïncider la date de la naissance du messie avec celle la destruction du Temple.
Les ouvrages de l’époque, qui rapportent la geste du nouveau messie, portent des noms issus de versets contenant le mot tsevi, comme tits nobel tsevi (la fleur fanée de sa superbe splendeur Is 28,1) splendeur qui, en Is 28,4 est reliée à une grasse vallée devenue célèbre depuis que les Évangiles l’ont translitérée en Gethsémani. Ou encore razi li (quelle épreuve! Is 24,16). Ce dernier verset semble résumer la vie de Sabbataï Tsevi puisqu’il commence par: Des confins de la terre nous avons entendu des psaumes: Tsevi le Juste, mais se conclut dans le comble de l’apostasie (bogdim bagadu uboged bogdim bagadu). bgd étant la racine de la trahison.
Élaborée dans le dialogue entre Sabbataï et Nathan, la doctrine de la messianité de Sabbataï Tsevi émerge peu à peu: Sabbataï n’a pas besoin de tiqun, il est le messie. Ses actes étranges, voire insensés, peuvent être justifiés par l’idée de renouvellement eschatologique. Lors de la venue du messie, la loi prendra un autre sens, inconnu à ce jour.
L’attente messianique est si forte que le cercle des croyants en Sabbataï s’accroît très vite et atteint l’ensemble du monde juif. Il n’est pas une communauté qui ne soit divisée en deux camps, comme cela s’était déjà produit, sans doute, lors du mouvement messianiste chrétien. Curieusement, cette nouvelle saga semble devoir repasser par les mêmes défilés que l’aventure chrétienne: La propagation du Sabbataïsme s’effectue par des Épîtres, car bien entendu, toute Bonne Nouvelle (besora) doit être annoncée par des lettres. On s’avise, autour du nouveau messie, que son nom est l’acrostiche du fameux verset du prophète Habacuc qui ouvre la lettre aux Romains: Le juste vivra par sa foi (TSadiq Be-émunato-YiHie). La foi (émuna) est ainsi replacée au principe même de l’espérance messianique. Un ouvrage de l’époque s’appelle rosh amana. Cette expression issue de Ct 4,8 est traduite en général par “le sommet de l’Amana”. Mais cette montagne est inconnue des Atlas. Dans cet ouvrage (le Principe de la Foi), l’auteur s’attaque à ceux qui refusent d’admettre que la foi en la venue du messie est le principe fondamental de la Loi. Curieusement, Ernst Bloch, appellera précisément son ouvrage le Principe Espérance, par quoi on peut traduire cette expression rosh amana, et qui fait l’apologie de l’utopie.
Le travail de Scholem est une formidable anamnèse consécutive au refoulement massif de l’épisode sabbatéen par le Judaïsme rabbinique. Il ne reste en effet presque plus rien de l’immense littérature sabbatéenne de l’époque. L’apostasie de Sabbataï a été vécue comme un intense moment de honte dans le Judaïsme, car elle accroissait encore les sarcasmes et l’agressivité des Chrétiens et des Musulmans. Cette dérision elle-même a été interprétée dans les termes de l’eschatologie, et a sans doute accru la foi des croyants qui refusèrent d’abandonner Sabbataï.
La conversion forcée de Sabbataï à l’Islam sera lue comme nécessité d’aller encore plus loin dans le mal. Le comble n’a pas encore été atteint, voila tout. Idée terrible qui prépare la voie à l’antinomisme de certains groupes sabbataïstes qui évolueront vers un nihilisme absolu. Ce qui compte, pour les croyants, c’est le drame cosmique qui se joue dans l’âme de Sabattaï Tsevi.
La force du travail de Scholem a été de montrer la puissance quasi tellurique de l’imaginaire eschatologique, les effets dévastateurs de l’éruption messianique et la persistance de ses effets plusieurs siècles après l’explosion. Selon Scholem, la secte des Dunmeh, qui regroupait les sabattéens convertis à l’Islam, aurait été à l’origine de la révolution laïque d’Ataturk. Quant au mouvement frankiste, résurgence du Sabattaïsme en Pologne, il culmine avec un certain Junius Frey qui monte sur l’échafaud en tant que Jacobin, lors de la Révolution Française. Le mouvement frankiste va évoluer vers le nihilisme, et verra dans la Révolution de 1789 une confirmation des thèses de Jacob Frank.
Le travail de Scholem devrait nous permettre de mieux comprendre les rapports entre l’eschatologie, le nihilisme et l’idée de Révolution. Le nihilisme frankiste est un rejeton inattendu de l’eschatologie, de l’indistinction propre aux temps messianiques. Ce n’est pas seulement ni juif ni grec. C’est un épuisement de toute distinction et de tout sens. Plus rien n’a de valeur. Au fond, les Gnostiques n’avaient fait que prendre Paul au pied de la lettre. Et après eux, les Frankistes refont la même expérience. Le monde n’a pas seulement vieilli subitement, il a fait naufrage, et Dieu avec.
Texte extrait de l’ouvrage « Comprendre les origines du Christianisme » de Maurice MERGUI
Date de création : 31/07/2008