HOMÉLIE DU CORPS ET DU SANG DU CHRIST – LE SAINT SACREMENT
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HOMÉLIE DU CORPS ET DU SANG DU CHRIST – LE SAINT SACREMENT
GN 14, 18-20 ; 1 CO 11, 23-26 ; LC 9, 11B-17
Pour être bien compris, l’extrait d’un livre ou d’une lettre doit être replacé dans son contexte. C’est le cas pour les dix lignes où Paul rappelle aux Corinthiens les paroles et les gestes de ce que nous appelons l’institution de l’eucharistie.
Pourquoi ce rappel de l’événement fondateur ? parce que le comportement concret, égoïste et individualiste des chrétiens de Corinthe était en contradiction flagrante avec la célébration de l’eucharistie appelée la « fraction du pain ». Vingt ans seulement après la mort de Jésus, il y avait déjà une opposition entre la pratique sacramentelle et la pratique concrète de la vie ecclésiale. La fraction du pain est devenue un contre témoignage. « Quand vous vous réunissez en commun, leur écrit-il quelques lignes plus haut, ce n’est pas le repas du Seigneur que vous prenez ». (1)
Si Paul secoue vertement les chrétiens de Corinthe, ce n’est pas pour des questions de doctrine et de dogme. C’est parce qu’ils ont perdu de vue le sens de leur participation à l’eucharistie. Ils s’imaginent pouvoir être un avec le Christ, faire corps avec lui, sans se soucier d’être un avec leurs frères et sœurs invités au même repas. Or, la communion au Corps et au Sang du Christ n’est pas seulement d’ordre spirituel et sacramentel. Elle est aussi le signe, le désir et la volonté de réaliser cette unité avec lui, en nous et avec les autres, pour faire de la communauté le Corps du Christ.
Cette unité suppose aussi la solidarité et le partage. Non pas seulement le partage du pain eucharistique, mais aussi et tout autant le partage du pain quotidien. Un partage fraternel essentiel au sacrement, comme l’annonçait déjà la multiplication des pains.
« Quand vous mangez ce pain et buvez cette coupe, vous proclamez que le Seigneur est mort », leur rappelle Paul. Autrement dit : vous confessez que le Seigneur est allé jusqu’à la mort pour vous. Comment donc pourriez-vous être ses disciples, alors que, dans le repas très copieux qui précède le repas du Seigneur, vos excès de table et votre refus de partager avec des plus pauvres constituent un geste de mépris vis-à-vis de l’Eglise et un affront à ceux qui n’ont rien ? On ne peut pas dissocier artificiellement le spirituel des exigences concrètes de la vie quotidienne sous peine de désincarnation.
C’est ce que nous dit aussi l’évangile de la multiplication des pains, que les communautés chrétiennes primitives ont orienté dans un sens eucharistique. On y voit les apôtres, qui sont au service du spirituel, conseiller à Jésus de renvoyer ses auditeurs. Ils n’ont qu’à se débrouiller pour trouver un abri et de quoi manger. Ce n’est pas notre problème !
Jésus prend le contre-pied : « Donnez-leur vous-mêmes à manger ». Bien sûr, ils cherchaient une nourriture spirituelle. C’est pourquoi ils nous ont suivis et écoutés toute la journée sans même se soucier de l’intendance. Ils nous ont fait confiance. Maintenant, c’est à nous de leur procurer de quoi manger. Ainsi, au lieu de se disperser, ils vont se retrouver convives du même repas pour partager le même pain. Un pain de communion qui signifie et invite à une vie fraternelle et solidaire.
C’est pourquoi l’eucharistie fait l’Eglise et l’Eglise se définit comme un « peuple », et plus précisément comme une « communion » qui doit refléter sur terre les relations d’égalité, de réciprocité, de charité, qui existent précisément entre le Père et le Fils dans l’Esprit Saint.
Ces vérités fondamentales et constitutives de l’eucharistie sont périodiquement minimisées, délaissées, jusqu’à être oubliées. Au profit de dévotions sans doute respectables mais secondaires et particulières. Il suffit de parcourir l’histoire de la messe pour s’en convaincre.
Vers le XIe siècle, par exemple, dans nos pays, les chrétiens ont perdu de vue la relation entre le Corps sacramentel du Christ (le pain consacré) et le Corps ecclésial du Christ, l’Assemblée, l’Eglise. La communion devient un acte purement individuel. Progressivement, ils ont même abandonné la communion. Il est vrai que la discipline pénitentielle et celle du jeûne eucharistique exigeaient de gros efforts. Alors, en compensation, on a cherché une sorte de remplacement de la communion : montrer et voir l’hostie consacrée. Le Saint Sacrement de l’Eucharistie va se réduire au saint sacrement de l’hostie exposée. A tel point que l’adoration va remplacer la participation active à l’eucharistie. Un catéchisme de 1734 va jusqu’à enseigner que la messe n’est qu’une des cinq manières d’honorer Jésus dans son Saint Sacrement. Mais elle ne vient qu’en cinquième position. Le plus important, ce sont les processions, puis les saluts, l’adoration des 40 heures, la communion, et enfin la messe. Nous n’en sommes plus là, heureusement, mais nous devons rester attentifs et prudents.
Les textes liturgiques de ce jour nous précisent à nouveau que l’eucharistie c’est faire le Corps du Christ, c’est rassembler pour unir. Et la loi de l’incarnation : on ne peut se soucier des « âmes » sans se préoccuper des corps. « Le pain eucharistique ne rassasie le cœur de l’homme qu’en lui donnant de mieux aimer ses frères et de leur procurer le pain qu’ils n’ont pas » (2).
Quant à « faire mémoire » de la mort et de la résurrection du Christ par l’eucharistie, c’est aussi affirmer et incarner notre décision d’entrer à sa suite, avec lui et grâce à lui, « dans la même voie d’obéissance et d’amour dont il nous a donné l’exemple ».
En réalité, « ne passe de l’Evangile que ce qui passe par l’humain ».
(1) 1 Co 11, 17-23
(2) « Guide de l’Assemblée chrétienne », T IV, Th. Maertens, J. Frisque, Casterman 1970, p 395.
P. Fabien Deleclos, franciscain (T)
1925 – 2008
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