HOMÉLIE DU 6E DIMANCHE DE PÂQUES C

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HOMÉLIE DU 6E DIMANCHE DE PÂQUES C

Ac 15, 1-2, 22-29 ; Ap 21, 10-14, 22-23 ; Jn 14, 23-29

Allongé sur un lit d’hôpital, « planté d’aiguilles ». Prolongé de tuyaux, de sondes, d’engins divers. « Cloué ». Maurice Bellet n’en a pas moins écrit de petites notes qu’il nous livre dans un ouvrage poignant d’humanité et d’humilité. « Oh, écrit-il, le poids mortel des nécessités qui n’en sont pas ! Des évidences qui, dix ans, vingt ans après, sont condamnées au nom d’évidences plus récentes et contraires ! Mais entre-temps, les premières vous ont écrasé au nom de votre propre bien ». Un constat et des paroles que chacun peut prendre à son compte. On peut aussi remplacer « évidences » par certitudes, règlements, ou même traditions.
L’histoire et l’expérience quotidienne de l’humanité en général et des religions en particulier, montrent bien qu’il en est ainsi. Certains s’en étonnent, s’en inquiètent ou en sont troublés : « La religion change ! » C’est évident. C’est même un signe de vie et de fidélité.
L’évangile de ce jour nous en explique d’ailleurs les raisons profondes, et la page « magazine » des Actes des Apôtres nous fournit un exemple bien concret qui peut sans peine être conjugué au présent à n’importe quelle période de l’histoire.
Au point de départ, la Parole de Dieu, livrée en Jésus Christ. Une Parole qui est Vérité, Chemin et Vie, Amour et Beauté. Encore faut-il pouvoir accueillir cette révélation, la comprendre, la respecter, en accepter les mille et une conséquences. C’est beaucoup pour des esprits souvent encombrés de prétentions et de préjugés, d’égoïsme et d’orgueil, de soupçons et de peurs. Les obstacles ne manquent pas.
La précieuse Parole livrée à l’intelligence, au cœur, à la mémoire et à notre responsabilité, n’est pas un dépôt en banque, ni objet rare et précieux confié à un musée. Il s’agit d’une Parole Vivante, dynamique, créatrice, qui doit courir le risque des semailles en des terres peu hospitalières, pour porter du fruit.
Chacun sait aussi que fruits, fleurs, branches, troncs et racines, sont déjà dans la minuscule semence, mais qu’il faut également beaucoup de temps et de conditions favorables pour qu’elle développe et révèle la totalité et la perfection de son être.
C’est pourquoi, si Jésus a tout dit et révélé durant sa vie mortelle, il a bien précisé qu’après lui l’Esprit viendrait non seulement réveiller les mémoires, mais aussi « enseigner tout ». L’Esprit n’est donc pas simple répétiteur. Force et Souffle, il inspire, suscite le mouvement, crée la nouveauté. Il nous aide constamment à déchiffrer l’éternel et inépuisable message, compte tenu des nécessités du temps, du langage et des problèmes de l’humanité. Non seulement pour que nous puissions « en saisir la signification profonde », mais aussi pour permettre aux disciples d’appliquer les instructions du maître à des situations inédites et souvent imprévisibles.
La fidélité et la vraie tradition sont toujours créatrices. Par contre, nous succombons très souvent à la tentation de mettre Dieu en cage, de l’emprisonner dans des coutumes, des règlements ou des formules, et même de le mettre au service de nos idéologies ou de nos intérêts.
Le conflit d’Antioche montre bien les réticences humaines, le rôle et les surprises de l’Esprit, et la nécessité du discernement, même s’il reste fragile, relatif et chargé de compromis.

Un conflit exemplaire entre deux tendance, deux interprétations, deux cultures. Pour les uns, il faut passer par le judaïsme pour devenir chrétien : « Pas de salut sans circoncision ». Pour d’autres, au contraire, la Bonne Nouvelle et le salut sont proposés à tous, quelle que soit la race, le peuple ou la culture. Les premiers veulent « endoctriner » ceux qui ne sont pas passés par la circoncision et ceux qui les accueillent dans l’Eglise. Trouble et désarroi chez les tenants de l’ouverture qui ont innové en préférant l’intuition et l’audace de l’amour à l’obéissance littérale à des traditions humaines. Le Concile de Jérusalem tranchera en libérant les nouveaux convertis du poids d’obligations qui se révélaient manifestement très relatives.
C’est ainsi qu’à toute époque la religion change et doit changer chaque fois « que la mission est en cause, c’est-à-dire la présentation du message et certaines habitudes religieuses ». Une invitation à l’humilité et à la modestie, car nul ne possède la vérité dans sa plénitude. Nous resterons toujours des chercheurs et des découvreurs, nous rappelant que l’Esprit vient chaque jour pour aider l’Eglise à déchiffrer la Parole, à poursuivre et approfondir l’enseignement et à le vivre dans l’aujourd’hui, qui n’est plus hier et n’est pas encore demain. Il ne tient compte d’aucune frontière. Et nul ne peut le monopoliser.

P. Fabien Deleclos, franciscain (T)

1925 – 2008

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